UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET
POLITIQUES
MEMOIRE DE MASTER II RECHERCHE DROIT PRIVE ET
SCIENCES CRIMINELLES
QUELLE (S) FINALITE (S) POUR
LE DROIT DU TRAVAIL
SENEGALAIS ?
Sous la direction de Mme Aminata Cissé
NIANG
Professeure
Agrégée des facultés de
droit
Présenté par : M. Alassane
SECK Option : Affaires
Année universitaire
2016 - 2017
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET
POLITIQUES
MEMOIRE DE MASTER II RECHERCHE DROIT PRIVE ET
SCIENCES CRIMINELLES
QUELLE (S) FINALITE (S) POUR
LE DROIT DU TRAVAIL
SENEGALAIS ?
Sous la direction de Mme Aminata Cissé NIANG
Professeure
Agrégé des facultés de
droit
Présenté par :
M. Alassane SECK Option : Affaires
Année universitaire
2016 - 2017
DEDICACES
Je dédie ce travail :
A Allah (exalté soit-il) le Clément, le
Miséricordieux,
A son messager Muhammad (PSL)
A ma digne mère Madjiguène THIOUNE
A mon père Souleymane SECK
A mes deux soeurs
A tous mes camarades de promotion
REMERCIEMENTS
Je remercie :
Ma directrice de mémoire : Mme Aminata Cissé NIANG,
qu'elle trouve l'expression de toute ma reconnaissance pour m'avoir accueilli
et pour l'aide bienveillante qu'elle m'a accordée durant mes travaux de
recherche.
L'ensemble de mes professeurs pour le savoir qu'ils m'ont
transmis
Toute personne qui, de près ou de loin, a contribué
à la réalisation de ce travail.
« L'université Cheikh Anta Diop n'entend donner
aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les
mémoires et thèses. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leurs auteurs ».
PRINCIPALES ABREVIATIONS
Art. : Article
Al. : alinéa
BIT : Bureau international du travail
CCNI : convention collective nationale interprofessionnelle
CDD : contrat à durée
déterminée
CDI : contrat à durée
indéterminée
C. Supr. : Cour suprême
Dr. Soc. : Droit social
E.J.A : Editions juridiques africaines
LGDJ : Librairie générale de droit et de
jurisprudence
OIT : Organisation internationale du travail
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE : LA PROTECTION DU SALARIE :
FINALITE ORIGINELLE DU DROIT DU TRAVAIL
CHAPITRE 1 : LA PROTECTION AU PLAN INDIVIDUEL
Section 1 : Le régime protecteur au cours du contrat de travail
Section 2 : Le régime protecteur à la fin du contrat de
travail
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION AU PLAN COLLECTIF
Section 1 : La reconnaissance d'un droit à la
représentation
Section 2 : Les moyens de sauvegarde des intérêts
des travailleurs
DEUXIEME PARTIE : UNE FINALITE AMBIGUË A
L'EPOQUE CONTEMPORAINE
CHAPITRE 1 : LES RAISONS DU CHANGEMENT DE PERSPECTIVE
Section 1 : Le droit du travail, un instrument de promotion
économique Section 2 : Le renforcement des prérogatives
patronales
CHAPITRE 2 : LA PORTEE DU CHANGEMENT DE PERSPECTIVE
Section 1 : Le recul de l'ordre public social
Section 2 : Un déphasage avec les exigences de l'OIT
INTRODUCTION GENERALE
Du louage de services1 au contrat de
travail, du temps et du chemin ont été parcourus. Le droit du
travail est le fruit d'une conquête, entamée il y a fort
longtemps2, par la classe ouvrière en quête de
l'amélioration des conditions de travail. Après la
révolution industrielle, le libéralisme économique
appuyé par les principes civilistes du consensualisme ne pouvaient
être maintenus tels quels dans les rapports de travail sans tourner au
désavantage des salariés de façon désastreuse sur
le plan économique et social3. Il fallait, à ce titre,
un instrument pour « substituer des rapports de droit aux rapports de
force4 ». C'est la naissance du droit du travail.
En Afrique Noire francophone, le scénario se
répète une seconde fois. La naissance d'un véritable droit
du travail a été le fruit d'une lente et douloureuse gestation.
On est passé d'une phase de négation totale du droit du travail
(travail forcé) à une phase positive et féconde avec
l'adoption des premiers codes du travail africain5. En effet, le
bénéfice de la protection, dont les premiers
éléments de base ont été fixés en France
avec le code du travail de 19106, n'a pas été
étendu aux travailleurs de l'empire colonial français qui ont
demeuré longtemps sous l'empire du code civil. En effet, le contrat de
travail demeurait soumis, dans les colonies, aux règles du code civil
promulguées au Sénégal par l'arrêté du
Gouverneur du 5 novembre 1830 organisant le louage des gens de travail et des
domestiques. Ce n'est qu'en 1947, qu'est intervenu le premier code du travail.
Dénommé code Moutet, son application s'est
néanmoins heurtée aux groupes de pression patronaux à
telle enseigne qu'au mois de novembre de la même année, un
décret eut sursis à son application7. Toutefois, les
autorités coloniales reviennent à la charge en 1952 avec la
promulgation d'une loi comportant 258 articles portant Code du travail des
Territoires d'Outre-mer8.
Cette entame dans la protection du salarié était
inédite dans le terrain africain. Une ébauche qui, certes,
était la bienvenue dans un milieu marqué par les travaux
forcés et la surexploitation
1 Le louage de service est l'aïeul du contrat
de travail. Les rapports de travail étaient laissés à
l'autonomie de la volonté. Le travailleur louant contre un salaire sa
force de travail. C'est la conception du travail-marchandise (G. LYON-CAEN, J.
PELISSIER, A. SUPIOT, Droit du travail, 19e ed., Dalloz, 1998, p.
7.)
2 On situe la formation de la discipline au moment
des premières immixtions de l'État dans la définition des
conditions d'accomplissement de l'activité subordonnée, vers
1840. Mais il faut encore attendre la fin du XIXe siècle pour en
observer le développement. (F. DUQUESNE, 2nd éd, Droit du
travail, Gualino, 2006, p. 19).
3 J.I. SAYEGH, Droit du travail
sénégalais, Nouvelles Editions africaines, 1987, p. 7.
4 A. SUPIOT, « Pourquoi un droit du travail ?
», Dr. soc. 1990, p. 487.
5 A. Kanté, Droit social
sénégalais, Harmattan-Sénégal, 2017, p. 19.
6 Il s'agit de la loi du 28 décembre 1910.
7 A.C. NIANG, « Le droit du travail
sénégalais entre ambigüité et ambivalence »,
Annales africaines, Nouvelle Série, Volume 2, Décembre 2015, p.
69.
8Loi du 15 décembre 1952 (A. Kanté, op.
cit., p. 20).
1
des travailleurs, mais qui demeurait fortement lacunaire car
des pans entiers du droit du travail restaient à être
comblés. On a donc attendu après l'indépendance,
précisément en juin 1961, pour être témoin d'un
nouveau code9, même si celui-ci demeure largement
inspiré de premier10. Par ce code, le droit du travail
sénégalais va ainsi consacrer le contrat de travail comme
fondement des relations entre employeur et salariés. Ces relations sont
gouvernées par l'ordre public, qui s'apparente plus à celui d'un
ordre public de protection qu'à un ordre public de
direction11. La consécration dans les relations de travail de
la notion d'ordre public de protection scelle, de manière claire, la
nature des rapports entre l'employeur est ses salariés. A ce titre, la
protection du salarié était la préoccupation fondamentale
du droit du travail sénégalais.
Cette finalité circonspecte ne durera pas bien
longtemps. Jusqu'au début des années quatre-vingt, le code de
1961 n'a pas subi de modifications mais, celles-ci seront rendues
nécessaires par l'ampleur de la crise économique12. De
plus, l'apparition des premiers plans d'ajustement structurel et la
globalisation demande une plus grande flexibilité dans la gestion des
droits des travailleurs et une libéralisation des normes de
travail13. Le Code du travail subit alors de multiples
révisions mues par les impératifs de développement et de
lutte contre le chômage. Par touches successives relativement
cohérentes, le caractère protecteur du droit du travail
sénégalais a été progressivement dilué de sa
substance. Le coup de grâce a été porté par le code
du travail de 1997 qui s'est finalement plié à la forte
revendication des employeurs contre la prétendue rigidité des
règles du droit du travail.
Clamant plus de flexibilité14, les
employeurs contestent en effet la multiplication des contraintes juridiques
pesant sur l'acquisition et l'usage de la main d'oeuvre. En d'autres termes,
ils désirent une souplesse de gestion de l'entreprise à travers
les conditions d'emploi et les coûts
9 Il s'agit de la Loi n°61-34 du 15 juin 1961
portant Code du travail.
10 Y. BODIAN, « Précarité de
l'emploi et droit du travail sénégalais », Nouvelles annales
africaines, 2013, p. 291.
11 Ibid.
12 S. DIALLO, Profil national de droit du travail : le
Sénégal [en ligne], OIT Document, juin 2011, URL :
https://www.ilo.org/ifpdial/information-resources/national-labour-law-profiles/WCMS_158865/lang--fr/index.htm,
consulté le 3 décembre 2018.
13 M. SAMB, Réformes et réception des
droits fondamentaux du travail au Sénégal, Revue d'étude
et de recherche sur le droit et l'administration dans les pays d'Afrique (URL :
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/réformes-et-réception-des-droits.html),
février 2000, consulté le 10 décembre 2018.
14 Sur la question de la flexibilité de
l'emploi, voir G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, op. cit., p. 20, s ; I.
Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou flexibilisation du droit du
travail, de l'ajustement économique à l'ajustement juridique
», in Ajustement structurel et emploi au Sénégal,
Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p.103, s ; J. Pélissier, G. AUZERO, E.
DOCKES, Droit du travail, Dalloz, 26e éd., 2012, p. 23, s ;
M. SAMB, Réformes et réception des droits fondamentaux du travail
au Sénégal, Revue d'étude et de recherche sur le droit et
l'administration dans les pays d'Afrique (disponible sur
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/réformes-et-réception-des-droits.html),
février 2000, consulté le 10 octobre 2018 ; A. SUPIOT (dir),
Au-delà de l'emploi, transformations du travail et devenir du droit du
travail en Europe, Flammarion, 1999 ; entres autres.
2
de main d'oeuvre, qui ne serait pas permise par les
rigidités du droit du travail. Les autorités publiques ont donc
suivi la logique des employeurs dans le dessein de préserver l'outil de
production, donc le retour à la croissance.
Le droit du travail sénégalais a dû se
plier aux contingences de l'économie libérale. Il perd ses
repères15. La priorité donnée au « tout
économique » conduit à s'interroger sur son devenir compte
tenu du fait qu'il est devenu un instrument des politiques économiques,
et est désormais appelé à contribuer à la
protection des activités économiques en procurant à
l'entreprise plus de souplesse, de flexibilité16. Des
règles ou des opérations juridiques paraissant jusqu'alors servir
les intérêts des salariés se mettent au service des
employeurs17. Le droit du travail sénégalais inspire
aujourd'hui une certaine ambiguïté voire ambivalence18
en raison d'un certain antagonisme de ses objectifs, ce qui motive notre
interrogation sur sa finalité.
L'interrogation quant à la finalité du droit du
travail sénégalais invite que l'on fasse d'abord le point sur le
sens réel de certaines notions. Le droit du travail s'entend comme
l'ensemble des règles qui régissent les relations de travail
entre employeurs et salariés. De façon formelle, il est un corps
de règles juridiques applicable au travail
subordonné19. Il n'y a de travail subordonné que
lorsqu'un chef d'entreprise a recours aux services de personnes qu'il
rémunère pour exécuter fidèlement les ordres qu'il
leur donne20. Dans le cadre de cette étude, le concept de
droit du travail sénégalais est loin d'être
réductible au seul code du travail. En effet, le code est
complété par les lois, décrets et arrêtés qui
réglementent d'autres pans du droit du travail comme la formation
professionnelle, la sécurité sociale, etc. Les normes
professionnelles ne sauraient être omises. Elles obéissent
à un processus d'élaboration marqué par la participation
des différents acteurs sociaux, la Convention collective nationale
interprofessionnelle du 27
15 I.Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à
l'ajustement juridique » in Ajustement structurel et emploi au
Sénégal, Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p. 103 et 104 ; A.
MAZEAUD, Droit du travail, 5e ed., L.G.D.J, 2006, p. 30.
16 Y. BODIAN, « Précarité de
l'emploi et droit du travail sénégalais », Nouvelles annales
africaines, 2013, p. 293.
17 Le Professeur Gérard Lyon-Caen
considère en effet que l'évolution du droit du travail peut
connaître des retournements d'orientation. Voir G. LYON-CAEN, Le droit du
travail, une technique réversible, Dalloz, coll. « Connaissance du
droit », 1995 cité par N. CLAUDE, La variabilité du droit du
travail, thèse de doctorat, Université d'Angers, soutenu le 7
décembre 2010,
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00579595,
p. 17.
18 A.C. NIANG, « Le droit du travail
sénégalais entre ambigüité et ambivalence », op.
cit., p. 71.
19 E. PESKINE, C. WOLMARK, Droit du travail,
11e ed., Dalloz, 2016, p. 10.
20 J.I. SAYEGH, op. cit., p. 5.
3
mai 1982 en témoigne l'expression. Les normes de l'OIT
ne sont pas en rade, le Sénégal a ratifié 38 de ces
conventions21.
Par ailleurs, le droit du travail étant un droit vivant
en perpétuelle mutation22, l'étude ne sera nullement
figée dans le temps. La démarche scientifique englobera
l'évolution législative du droit du travail
sénégalais depuis l'indépendance jusqu'à nos jours.
C'est donc sous ce prisme que « droit du travail sénégalais
» doit être analysé dans le cadre de cette étude.
« A quoi sert le droit du travail ? » évoque
la question de sa finalité qui est définie comme le
caractère de ce qui tend à une fin, vers un but23. La
quintessence de cette question rappelle, à bien des égards, la
raison d'être, l'objet voire la fonction droit du travail. C'est ce qui
nous a amené à s'interroger sur la finalité du droit du
travail sénégalais. Cette finalité est-elle «
l'ultime et fragile rempart contre l'arbitraire patronal, la dictature du
marché ou les appétits des actionnaires24
» ou se résume-t-elle à « permettre à
l'entreprise de trouver une souplesse compatible avec l'état du
marché25 » ? Difficile de donner une réponse
tranchée à la question compte tenu de l'état actuel du
droit du travail sénégalais qui est partagé entre ces deux
orientations non moins contradictoires, témoignant d'un caractère
pour le moins ambivalent26. Pourtant, il n'a pas toujours
été ainsi. A part les quelques réformes survenues,
jusqu'en 1997, avènement du nouveau code du travail, l'orientation
principale du droit du travail sénégalais était la
protection des salariés, finalité première, historiquement
déterminante du droit du travail. Mais, avec le code de 1997, une
démarche toute autre a vu le jour. Le droit du travail
sénégalais s'est plié aux contingences de
l'économie libérale et se donne comme nouvelle orientation la
promotion de la compétitivité de l'entreprise.
La doctrine s'est émue de l'orientation actuelle du
droit travail sénégalais. D'aucuns parlaient déjà
de légitimation de la précarité en 199627 ou de
précarité déjà atteinte28, lorsque le
législateur s'est attaqué à l'emploi permanant par
l'assouplissement du contrat à durée
21 Ratifications des conventions de l'OIT,
ratification par pays : le Sénégal,
https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:11200:0::NO::P11200_COUNTRY_ID:103013,
consulté le 13 décembre 2018.
22 A. MAZEAUD, op. cit., p. 21.
23 Dictionnaire Hachette, Librairie Hachette 1993,
Page 612, colonne III.
24 P. VERKINDT, Le droit du travail, Dalloz, 2005, p.
1.
25 I.Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à
l'ajustement juridique », op. cit. p. 104.
26 A.C. NIANG, « Le droit du travail
sénégalais entre ambigüité et ambivalence », op.
cit., p. 71.
27 I.Y. NDIAYE, « Le contrat de travail
à durée indéterminée, demain l'emploi ? RASDP,
janvier-déc 1996 n034, p. 78.
28 M. SAMB, Réformes et réception des
droits fondamentaux du travail au Sénégal, Revue d'étude
et de recherche sur le droit et l'administration dans les pays d'Afrique
(disponible sur
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/réformes-et-réception-des-droits.html),
février 2000, consulté le 10 octobre 2018.
4
déterminée et l'institution d'un régime
dérogatoire au CDD au profit des entreprises agréées au
bénéfice des dispositions du code des investissements. En effet,
jusqu'en 1989, le CDD ne pouvait être conclu plus de deux fois entre les
même parties, ni être renouvelé plus d'une fois. La sanction
de cette règle substantielle était, sous réserve
d'exceptions limitativement énumérées, la conversion du
contrat en contrat à durée indéterminée. En 1989,
des exceptions supplémentaires furent ajoutées : les travailleurs
intérimaires et les travailleurs engagés pour surcroît
d'activités. Selon une certaine doctrine29, ces
réformes ont repoussé les limites de l'interdit en matière
de contrat à durée déterminée en autorisant avec
une grande permissivité le recours à un tel contrat, parfois
même en dehors du cadre légal30. Ce n'est pas tout.
Lorsque le code du travail de 1997 a ajouté, à la liste
déjà longue d'exceptions au CDD, une nouvelle dérogation
au profit des entreprises qui « ont usage » de recourir à
l'emploi temporaire31 et a assoupli grandement le droit de
rupture32 du contrat de travail, certains sont allés
jusqu'à parler de neutralisation du droit du travail33,
d'autres, de légitimation de la précarité qui aurait
été subtilement organisée par la loi et aggravée
par l'entreprise34.
Cette étude nous renseigne d'abord et avant tout sur
l'évolution du droit du travail sénégalais, partant code
du travail des Territoires d'Outre-mer qui était une ébauche dans
le terrain africain jusqu'alors empreint d'une profonde négation des
droits humains, au code actuel autrement dit celui de 1997, passant par le code
de 1961, premier support textuel régissant les relations de travail
après l' indépendance et les différentes réformes
qu'il a enregistré. Au-delà de cette donne, cette étude
renseigne aussi sur les différentes orientations qu'a connues le droit
du travail sénégalais jusqu'à son point actuel où
il prend en charge bien des paradoxes : l'économie et le
social35.
29 A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui : du permis
à l'interdit », Annales africaines, Nouvelle Série, Volume
2, Décembre 2017, p. 97.
30 Ibid.
31 Il s'agit de l'institution du contrat à
durée déterminée d'usage qui autorise un recours
illimité au CDD pour les entreprises évoluant dans certains
secteurs d'activité (voir Art. L43 code du travail).
32 Il s'agit concrètement de la suppression
de l'autorisation administrative, jadis exigée, dans le licenciement
pour motif économique, de l'assouplissement du licenciement de droit
commun, de l'institution du chômage technique
et de la légalisation du départ volontaire (voir
I.Y. NDIAYE, Droit du travail sénégalais et transfert de normes,
Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, 2005, p. 170 ; M. SAMB, , Réformes et réception des
droits fondamentaux du travail au Sénégal, op. cit.).
33 I.Y NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à
l'ajustement juridique », in Ajustement structurel et emploi au
Sénégal, Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p. 104, s.
34 Y. BODIAN, « Précarité de
l'emploi en droit du travail sénégalais », Nouvelles annales
africaines, 2013, pp. 291 à 329.
35 A.C. NIANG, « Le droit du travail
sénégalais entre ambigüité et ambivalence », op.
cit., p.69.
5
Empreint d'une profonde ambivalence, le droit du travail
sénégalais est aujourd'hui partagé entre la protection du
salarié et la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise.
Si sa finalité actuelle est rendue ambiguë (deuxième partie)
en raison des assauts répétés des multiples
réformes survenues ces dernières décennies,
motivées par les vicissitudes du monde économique, ce qui est
certain, c'est que la finalité originelle historiquement
déterminante du droit du travail sénégalais fut la
protection du salarié (première partie).
6
7
PREMIERE PARTIE : LA PROTECTION DU SALARIE : FINALITE
ORIGINELLE DU DROIT DU TRAVAIL
La protection du salarié est la finalité la plus
fréquemment assignée au droit du travail. A l'instar du droit
civil, il poursuit l'objectif d'organiser la vie des hommes en
société. Cette protection s'observe aussi bien dans les rapports
individuels de travail (chapitre 1) que dans les rapports collectifs (chapitre
2).
CHAPITRE 1 : LA PROTECTION AU PLAN INDIVIDUEL
De la conclusion du contrat de travail, en passant par son
exécution et de sa rupture, nombreuses sont les dispositions
législatives, règlementaires et conventionnelles qui
protègent les salariés. Même dès le recrutement, le
droit du travail s'attelle à remédier à l'asymétrie
des forces entre l'employeur et le potentiel salarié en posant de
nombreuses règles que l'employeur est contraint de respecter. Cette
démarche protectrice du droit du travail s'intensifie au cours du
contrat de travail, s'il y a recrutement (section 1) et lors de sa rupture
(section 2).
Section 1 : Le régime protecteur au cours du
contrat de travail
L'employeur ne bénéficie plus d'un pouvoir
discrétionnaire, son pouvoir a été encadré par
l'information et la consultation des représentants du personnel, par
l'inspection du travail et le juge. Ainsi, dès la conclusion du contrat
de travail, support juridique qui le salarié à l'employeur, le
régime protecteur du droit du travail procède à
l'encadrement de la relation de travail (paragraphe 1) et à la
délimitation des prérogatives patronales (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'encadrement de la relation de travail A
- Le principe d'égalité professionnelle
L'égalité est un droit fondamental de la
personne humaine, quel que soit le sexe biologique ou social, l'orientation
sexuelle, et quelles que soient les différences entre les personnes. Il
convient, afin de lever toute équivoque, de cerner la notion
d'égalité.
Au sens commun, égalité évoque la
qualité de ce qui est égal36, en droit,
l'égalité est appréciée à l'aune de la loi
ou des droits. A ce titre, on parlera d'égalité devant la loi ou
égalité en droit. L'égalité est le deuxième
grand principe posé par la déclaration des droits de l'homme et
du citoyen du 26 aout 1789. Il s'agit d'une égalité strictement
juridique. Les hommes naissent
36 Le dictionnaire Robert de la langue
française.
8
et demeurent égaux en droit37. C'est
l'égalité devant la loi qui importe et non pas
l'égalité sociale38. Cela implique, par exemple,
l'égale admission aux dignités, places et emplois
publics39.
Ce principe fondamental trouve écho dans le droit du
travail. On parlera donc d'égalité professionnelle. En droit du
travail, la question d'égalité se pose surtout entre homme et
femme. Face à une différence, on a tendance à
établir une hiérarchie des valeurs, ce qui crée des
inégalités et l'anatomie d'un homme est différente de
celle d'une femme. De ce fait, sur cette base de différences physiques,
l'humanité a traditionnellement affecté une valeur moindre aux
femmes. Il en est souvent de même pour les différences de couleurs
de peaux. La notion d'égalité n'est pas contradictoire avec la
notion de différence. Chaque personne, parce qu'elle est unique, est
différente des autres, mais toutes les personnes sont égales en
droit. L'égalité homme-femme n'implique pas que les hommes et les
femmes deviennent identiques, mais que tout le monde ait les mêmes droits
et des opportunités dans l'existence40.
La Constitution sénégalaise de 2001 inscrit
l'égalité femmes-hommes dans son article 7 in fine, elle garantit
à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à
ceux de l'homme et proclame le rejet et l'élimination, sous toutes leurs
formes, de l'injustice, des inégalités et des discriminations.
Par ailleurs, dans l'article 25 in fine, on peut lire : « Chacun a le
droit de travailler et le droit de prétendre à un emploi. Nul ne
peut être lésé dans son travail en raison de ses origines,
de son sexe, de ses opinions, de ses choix politiques ou de ses croyances. Le
travailleur peut adhérer à un syndicat et défendre ses
droits par l'action syndicale. Toute discrimination entre l'homme et la femme
devant l'emploi, le salaire et l'impôt est interdite ». Ces
dispositions constitutionnelles sont corroborées, sur le plan
législatif, par l'article L1 in fine du code du travail qui dispose que
« l'Etat assure l'égalité de chance et de traitement des
citoyens en ce qui concerne l'accès à la formation
professionnelle et à l'emploi, sans distinction d'origine, de race, de
sexe et de religion ».
Concrètement, il s'agira de d'assurer l'accès
des femmes et des hommes aux mêmes opportunités, droits,
occasions, conditions matérielles - par exemple, même accès
aux soins médicaux, partage des ressources économiques,
même participation à l'exercice du pouvoir politique...- , tout en
respectant leurs spécificités. Dans la profession,
l'égalité sera le fait pour
37 Art. 1 déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789 ; art. 1 déclaration universelle des droits de
l'homme.
38 Art. 6 Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789.
39 J. MEKHANTAR, Droit politique et constitutionnel,
Editions ESKA, 1997, P. 226.
40 Egalité, équité,
mixité, parité, genre,
http://www.adequations.org/spip.php?article362,
consulté le 09/11/2018.
9
les femmes et les hommes d'avoir les mêmes droits et
avantages en matière d'accès à l'emploi, d'accès
à la formation professionnelle, de qualification, de classification, de
promotion et de conditions de travail. Ainsi, l'égalité de
rémunération entre les femmes et les hommes est obligatoire pour
un même travail ou un travail de valeur égal41.
Ce principe d'égalité professionnelle participe
de l'encadrement de la relation de travail par le droit du travail et,
s'inscrit plus généralement dans la protection du salarié
de sexe féminin qui, pendant longtemps, a été victime des
clivages et inégalités dans le domaine de l'emploi. L'encadrement
de la relation de travail se poursuit en cas de modification de la situation
juridique de l'employeur.
B - Le maintien du salarié en cas de modification
de la situation juridique de l'employeur
Les contrats de travail à durée
indéterminée peuvent être résiliés
unilatéralement par l'employeur en raison de difficultés
rencontrées par l'entreprise ou de facteurs concernant le
salarié. Par ailleurs, le caractère intuitu personae du contrat
de travail devrait logiquement entrainé la rupture de celui-ci lorsque
l'un des contractants n'est plus en mesure de l'exécuter : ainsi, la
cession de l'entreprise qui implique le départ de l'employeur
co-contractant devait, conformément au principe de la relativité
des conventions, s'accompagner de la rupture des contrats liant cet employeur
avec les salariés qu'il a engagés.
Toutefois, dans une démarche de protection du
salarié, le droit du travail, toujours animé par le souci de
limiter la précarité de l'emploi susceptible d'être
engendré par le droit de résiliation unilatérale et par
les transferts d'entreprise, pose le principe du maintien des contrats de
travail42. Un principe qui est néanmoins soumis à des
conditions d'application pour pouvoir porter ses effets.
1 - Les conditions du maintien des contrats de
travail
L'alinéa 1 de l'article L66 du code du travail dispose
: « S'il survient une modification dans la situation juridique de
l'employeur, notamment par succession, reprise sous une nouvelle appellation,
vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les
contrats de travail
41 Voir B. TEYSSIE dans commentaire de l'article L.
1141-1 du code du travail français, LexisNexis, 2014, p. 27.
42 Article L66 du code du travail.
10
en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel
employeur et le personnel de l'entreprise ». Nous en déduisons
trois conditions générales pour que s'applique ce texte.
La première condition est la modification de la
situation juridique de l'employeur. La loi ne précise pas cette notion,
néanmoins elle est assez limpide pour exclure les modifications de la
situation économique de l'entreprise telles que les réductions
d'activité, les suppressions de branche
d'activité43... Bien que l'article L66 ne vise
expressément que quelques situations particulières par
l'utilisation de l'adverbe notamment, il faut souligner que la jurisprudence
considère qu'il contient un « principe de portée
générale applicable à tous les actes ou faits entrainant
une modification juridique de la forme44, de la
propriété45 ou de l'exploitation de
l'entreprise46 ».
La seconde condition est la continuité de l'entreprise.
Le régime protecteur du droit du travail ne se manifeste que si c'est la
même entreprise qui se poursuit. Dans la pratique, les juges retiennent
plusieurs éléments de fait pour vérifier si c'est la
même entreprise qui se poursuit. A ce titre, s'il y a poursuite de
l'activité initiale ou prospection de la même clientèle ou
encore travail dans les mêmes locaux, avec le même matériel
et une partie du précédent employeur, les juges retiennent
souvent la continuité de l'entreprise47. En droit
français, on parle, outre le maintien de l'activité
économique, du maintien de l'identité de l'entité
économique. S'il y a exploitation de la même activité
économique par le nouvel employeur mais non accompagnée d'un
maintien de l'identité de l'entité économique, il n'y a
pas maintien des contrats de travail. Ainsi, « l'entité
économique perd son identité lorsqu'elle passe du secteur public
au secteur privé ou inversement »48. Par ailleurs,
contrairement en droit français, ou un lien de droit n'est pas
exigé entre les employeurs successifs49, en droit
sénégalais, il y l'exigence de ce lien de droit.
La troisième condition a trait aux contrats de travail.
Le nouvel employeur ne peut être lié par les contrats de travail
auxquels était partie l'employeur précédent, que si ces
contrats étaient encore en cours au moment du transfert. Le contrat de
travail qui a cessé de produire ses effets avant la modification de la
situation juridique de l'employeur pour des motifs étrangers ne peut
être maintenu. Le principe profite donc aux contrats qui étaient
en cours d'exécution ou même
43 J. P. TOSI, op. cit., p. 470.
44 Transformation d'une société
privée en une société d'économie mixte. C. supr.
2e sec. 3 juin 1975 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.
45 C. supr, 11 mai 1966, Rec. Légil.
Jurispr. 1966, CS., p. 73. Trib. Trav. Dakar. 1er Juin 1970, TPOM
n307, p. 6794 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.
46 CA., 15 nov. 1961, TPOM n 108, p. 2397 cité
par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.
47 J. P. TOSI, op. cit, p. 471.
48 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit
du travail, 18e ed., Dalloz, 1996, p. 287.
49 Ass. Plénière, 16 mars 1990, Dr
social 1990, p. 339.
11
suspendus au moment de la survenance de
l'événement. Les contrats d'engagement à l'essai sont
inclus, de même que ceux en période préavis. Qu'en est-il
des effets.
2 - Les effets du maintien des contrats de
travail
Lorsque les conditions prévues par l'article L.66 du
code du travail sont réunies, la loi impose le maintien des contrats de
travail en cours. Ce maintien s'impose aux deux parties. Le contrat est donc
transféré au nouvel employeur intact, c'est-à-dire avec le
même contenu (salaire, qualification du salarié, lieu de
travail...), la même ancienneté... Le contrat de travail doit
être transféré tel quel. Toute modification lors du
transfert est réputée nulle. Néanmoins, après que
le transfert de contrat ait été accompli, les parties sont libres
de proposer des modifications ou de résilier le contrat en respectant
les exigences posées par la loi.
Toutefois, c'est le contrat de travail, seul, qui est
transféré50, à l'exception des normes
conventionnelles51 contrairement en France où la
jurisprudence maintient l'application des normes collectives pendant un
délai d'une année52.
En toute hypothèse, ce principe de maintien des
contrats de travail en cas modification de la situation juridique de
l'employeur manifeste bien une volonté marquée d'instaurer une
certaine stabilité de l'emploi par le droit du travail qui est mu par la
protection des salariés en toute circonstance. La délimitation
des prérogatives patronales est aussi l'un des volets de protection du
droit du travail.
Paragraphe 2 : La délimitation des
prérogatives patronales
Est-il vrai que l'état de subordination du
salarié puisse justifier que l'employeur lui impose le respect de
certaines règles ? Peut-il exister dans un Etat de droit des normes non
conventionnelles qui ne seraient pas issues de l'autorité publique mais
d'une autorité privé ? Peut-il exister réellement une
« autoréglementation » ? 53 La réponse
à ce questionnement sera positive. La loi reconnait à l'employeur
des pouvoirs exorbitants, suite logique de la liberté d'entreprise, afin
de conduire la gestion et la direction de son entreprise.
L'inconvénient, c'est que ces prérogatives peuvent
dégénérer rapidement en arbitraire. Pour le contrecarrer,
un
50 Cour supreme, 10 juillet 1963, Rec. Legisl. Juripr.
1963, p. 128.
51 Sauf si l'entreprise est régie par une
convention collective qui a fait l'objet d'extension par un arrêté
ministériel.
52 A l'expiration de ce délai si aucun
accord de substitution n'a été conclu, les salariés
peuvent invoquer le bénéfice des avantages individuels acquis au
titre de la convention collective qui était applicable à l'ancien
employeur.
53 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, op.
cit., p. 59.
12
régime restrictif a été institué
par la loi afin de mieux assurer la protection du salarié dans
l'entreprise.
Les pouvoirs qui sont reconnus à l'employeur,
représenté par le chef d'entreprise, sont au nombre de trois,
tout aussi encadré. Il s'agit du pouvoir de direction, du pouvoir
réglementaire et du pouvoir disciplinaire.
Pour ce qui est du pouvoir de direction, il est le plus
important et confère au chef d'entreprise un pouvoir
général de direction sur l'ensemble du personnel de l'entreprise.
Il participe des attributs de ce pouvoir, la possibilité du chef
d'entreprise de choisir la personne du salarié en procédant
à son embauche, en décidant de son affectation à un emploi
qu'il peut éventuellement modifier, en gérant sa carrière
par des promotions, des déclassements, des mutations, en le
congédiant par le licenciement, qui est le point culminant de son
pouvoir de direction.
Dans une perspective de limitation de ce pouvoir afin de
protéger le salarié, le droit du travail a dressé une
obligation pour l'employeur de respecter les droits et libertés
fondamentaux du salarié. Il en va ainsi de leur vie privée, du
secret de leurs correspondances, de leur liberté d'opinion... Au reste,
mentionnons que l'employeur est également tenu au respect de
règles concernant l'embauche54, les conditions de
travail55, le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), les
licenciements, l'organisation de l'entreprise... Et la plupart de ces
règles ont un caractère impératif et relèvent de
l'ordre public. Enfin, les pouvoirs du Chef d'entreprise font l'objet d'un
contrôle par le juge social qui vérifie si les décisions
prises par celui-ci ne heurtent pas les dispositions légales ou
réglementaires.
Pour ce qui est du pouvoir règlementaire de
l'employeur, il lui permet de fixer un cadre normatif dans l'entreprise afin
d'assurer le bon ordre. Dans une perspective d'encadrement de ce pouvoir
réglementaire, le législateur a limité son contenu,
exclusivement, aux règles relatives à l'organisation technique du
travail, à la discipline et aux prescriptions concernant
l'hygiène et la sécurité, nécessaires à la
bonne marche de l'établissement, toute clause étrangère
étant considérée nulle de plein droit56. De
même, l'employeur doit communiquer le règlement intérieur
aux délégués du personnel, s'il en existe, et à
l'inspecteur du travail qui exige le retrait des dispositions
étrangères et la modification des dispositions contraires aux
lois et règlements en vigueur.
En ce qui concerne le pouvoir disciplinaire, privilège
exorbitant de droit commun en raison de sa dérogation au monopole de
l'Etat quant à l'édiction de peines, il est soumis, lui aussi,
à
54 Voir supra (A du Para. 1).
55 Hygiène et sécurité,
médecine de travail.
56 Art. L100 code du travail.
13
un très restrictif. Au Sénégal, la CCNI,
prévoit des garanties disciplinaires57 pour le salarié
fautif. En effet, elle stipule que les sanctions qu'elles prévoient ne
peuvent être infligées par le chef d'entreprise qu'après
que le salarié, assisté sur sa demande, d'un
délégué du personnel, aura fourni des explications
écrites ou verbales. En outre, en application du principe tiré de
l'adage « non bis in idem » le salarié ne saurait
être sanctionné deux fois pour la même faute. De la
même façon, le salarié bénéficie d'une sorte
d'amnistie pour des faits fautifs déjà sanctionnées s'il
récidive. Dans ce cas, l'employeur ne pourra pas invoquer cette sanction
pour alourdir celle qu'il envisage de prendre. Par ailleurs, les sanctions
pécuniaires sont interdites. Il est interdit à l'employeur
d'infliger des amendes58 et il ne peut retenir sur le salaire des
sommes en guise de sanction. Mais, les sanctions pécuniaires indirectes,
consécutives par exemple à une rétrogradation, sont
licites.
Les prérogatives patronales ne pouvaient être
laissées générales, inconditionnelles et les
salariés à la merci de l'employeur. Le droit du travail a
érigé des garde-fous pour contenir les pouvoirs du l'employeur.
Cet encadrement participe de l'objectif de protection des salariés par
le droit du travail lorsque le contrat de travail est en cours
d'exécution. Ce régime protecteur s'observe aussi à la fin
du contrat de travail.
Section 2 : Le régime protecteur à la fin
du contrat de travail
Dans le système classique, le contrat de travail
constituait la source normale et quasi exclusive des rapports individuels, il
appartient aux seules parties de décider de la durée de la
convention et des modalités suivant lesquelles elle prendra fin. Suivant
une conception purement civiliste, qui inspire encore largement la Cour de
cassation, le régime juridique de la rupture caractérisé
par le droit de résiliation unilatérale de « chaque partie
», demeure donc dominé par le double principe théorique de
la liberté et de la réciprocité59. Toutefois,
cette liberté de rompre le contrat de travail, à tout moment,
sans avoir à justifier sa décision, sans avoir à verser
une quelconque indemnité au cocontractant supporta progressivement
certaines limitations60 par le droit du travail, mu par la
stabilité de l'emploi et la protection du salarié, qui condamne
progressivement cette construction juridique abstraite méconnaissant les
impératifs
57 Pour toute cette question, voir art. 16 CCNI ou
I.Y. NDIAYE (dir.), Codes du travail et de la prévoyance sociale
annotés, E.J.A., 1989, p. 285.
58 Art. L129 code du travail.
59 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, op.
cit., p. 325.
60 Il s'agit de l'instauration de l'abus du droit de
licencier, de l'apparition d'un préavis, puis d'une indemnité de
licenciement.
14
sociaux du monde du travail. Cette démarche protectrice
s'observe aussi bien dans la rupture à l'initiative l'employeur
(paragraphe 1) que du salarié (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : En matière de licenciement
Jadis, le principe de la liberté contractuelle
prévalait au sein de la relation de travail, employeur comme
salarié était libre de rompre le contrat sans formalité
particulière. Le caractère indéterminé du contrat
permettait, en vertu de l'interdiction des engagements
perpétuels61, la rupture unilatérale à chacun
des contractants. Avec le temps, la doctrine et les organisations syndicales
ont vivement dénoncé cette large latitude qui pouvait facilement
dériver à l'arbitraire et avoir des conséquences
désastreuses sur le plan social. Il y avait totale absence de garanties
du travailleur contre un licenciement demeuré
discrétionnaire62.
Les autorités publiques sont donc intervenues en
restreignant cette faculté. L'OIT n'étant pas en reste, plusieurs
de ses normes régissent la cessation de la relation de travail. Ainsi,
la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur est
régit par la recommandation n° 119 de 1963, la convention
n°158 et la recommandation n° 166 de 1982. La convention
précitée traite notamment de la cause justifiant le
licenciement63, de la procédure ainsi que des
recours64. La charge de la preuve peut incomber soit à
l'employeur, soit aux deux parties65. La Partie III de la convention
158 est relative aux licenciements pour motif économique, technologique,
structurel ou comparable. Il est prévu une information et consultation
des représentants des travailleurs66, ainsi qu'une
notification du licenciement à l'autorité
compétente67. Cet encadrement rigoureux a été
mis en place dans une perspective de sauvegarde des intérêts du
salarié qui est celui qui en subit, en général et en toute
hypothèse, les conséquences. Ces restrictions se traduisent aussi
bien sur le plan formel que sur le fond.
Au niveau formel, le licenciement doit être
précédé d'une procédure se déroulant dans le
cadre de l'entreprise. Il y a donc nécessité d'une notification
écrite préalable68 du salarié. En
congédiant le salarié, l'employeur doit le mettre en mesure de
connaitre les motifs de son renvoi. L'employeur doit lui envoyer une lettre de
notification du licenciement et de fixer le point de
61 Voir art. 4 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789.
62 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit
du travail, 18e ed., Dalloz, 1996, p. 349.
63 Art. 4 à 6 Convention n° 158.
64 Art. 7 à 10 Convention n° 158.
65 Art. 9 al. 2, a et b Convention n° 158.
66 Art. 13 Convention n° 158.
67 Art. 4 Convention n° 158.
68 Art. L50 code du travail.
15
départ du préavis le cas échéant.
La notification écrite doit être adressée au salarié
par lettre recommandée avec avis de réception ou lui être
remise en main propre contre reçu ou devant témoins. Le droit du
travail instaure cette notification obligatoire en toute hypothèse. Il
est ainsi dans le cadre du licenciement fautif ou non fautif, dans le cadre du
licenciement pour motif économique et même dans le cadre du
licenciement pour faute lourde69. Par ailleurs, toujours sur le plan
formel, la résiliation du contrat à durée
déterminée est soumise à un préavis pour permettre
au salarié de se préparer à la perte de l'emploi. En
principe, toute résiliation unilatérale du contrat de travail
donne droit à ce délai70 pour se préparer en
conséquence. La seule hypothèse où le salarié n'en
bénéficie pas est celle d'un licenciement consécutive
à une faute lourde de ce dernier. Ce délai de préavis peut
être remplacé par ce qui est dénommé «
indemnité compensatrice de préavis » en cas de manquement
par l'une des parties de cette obligation.
Au demeurant, l'employeur ne peut pas licencier pour n'importe
quel motif. Il est assujetti au respect d'un impératif de justification
de motifs légitimes71 sous peine d'une qualification du
licenciement en licenciement abusif par le juge. Le motif légitime peut
résulter du travailleur ou de l'entreprise. S'agissant du travailleur,
son inaptitude physique, médicalement constatée, ou son
inaptitude professionnelle peut constituer un motif légitime. De
même, et c'est l'hypothèse le plus courant, le licenciement du
travailleur résulte d'une faute de ce dernier. La faute peut être
simple ou grave72. Le point d'orgue est la faute lourde,
caractérisée par un manquement grossier aux obligations incombant
au travailleur73. Cela peut aussi résulter d'une perte de
confiance de l'employeur à l'égard du travailleur basée
sur des critères objectifs pertinents.
Pour ce qui est des motifs tenant à l'entreprise, ils
tiennent généralement à la cessation d'activité de
l'entreprise. Il est question ici d'une fermeture totale et définitive
de l'entreprise et non d'un établissement74. Par ailleurs, le
motif peut aussi être économique. Il s'agira concrètement
d'un licenciement motivé par une difficulté économique ou
une réorganisation
69 Cour de Cassation, arrêt n66 23 juin 1999,
société Sen Sécurité c/ MM, Matar Sy et autres.
70 La durée de ce délai est fixée
par la CCNI et varie selon le statut du salarié.
71 L'article L.56 du code du travail parle de «
motif légitime ». En droit français, on parle de cause
réelle et sérieuse.
72 Le code du travail ne prévoit que deux
types de faute (simple et lourde), la jurisprudence a retenu la faute grave
(Cour de cassation, arrêt n28 du 27 février 2002, Aminata MBAYE c/
la SNCDS : « (...) Qu'ainsi, pendant l'année 1989-1990, sur un
total de 12 625000 francs de ristournes, le chef d'entreprise n'a reçu
que la somme de 8 485000 francs ; qu'il résulte de ce qui
précède que le juge d'appel a estimé à bon droit
que la différence de 4 640000 dont la destination n'est pas
justifiée est constitutive d'une faute grave
»).
73 Sur l'ensemble de cette question, voir A. KANTE,
Droit social sénégalais, Harmattan-Sénégal, 2017,
p. 108, s.
74 A. KANTE, op. cit., p. 110.
16
intérieure de l'entreprise75.
Néanmoins, l'employeur est tenu de respecter une
procédure76 bien spécifique à la
méconnaissance de laquelle le licenciement sera qualifié
d'abusif77. De surcroit, le salarié bénéficiera
d'une priorité de réembauchage pour une durée de deux ans
à compter de la rupture du contrat de travail pour motif
économique78.
Du reste, relevons que pour compenser la douleur de la
rupture, le droit du travail a institué un certain nombre
d'indemnités variant selon la nature du licenciement ou de son motif au
profit du travailleur. Le régime protecteur du droit du travail
transparait aussi à travers la démission.
Paragraphe 2 : En matière de démission
Les employeurs, trouvant la réglementation du
licenciement trop contraignante, ont, assez naturellement, cherché
à utiliser les moyens juridiques leur permettant d'éluder
celle-ci. Ainsi, un premier moyen a consisté à conclure des
contrats de travail à durée déterminée plutôt
que des contrats à durée indéterminée, la
législation du licenciement ne s'appliquant qu'au CDI. Dans le
même ordre d'idée, Certains employeurs ont cherché à
éluder les contraintes du licenciement en donnant à la rupture du
contrat une qualification autre que le licenciement79. En dehors
même de ces tentatives, les causes de rupture sont souvent complexes :
celui qui prend l'initiative de la rupture n'est pas toujours le responsable ou
le véritable auteur de celle-ci. La jurisprudence a ainsi
été amenée à distinguer l'initiative de
l'imputabilité de la rupture80 et à approfondir les
notions servant à la qualification des ruptures de contrat de travail
à durée indéterminée.
La démission est la mise en oeuvre, par le
salarié, de la faculté de résiliation unilatérale
reconnue à chaque contractant dans un contrat à exécution
successive à durée indéterminée81. Il
est alors tenu de notifier sa volonté par écrit82
à l'employeur et de respecter un délai de préavis
75 Art. 60 code du travail.
76 Voir al. 2, s de l'article 60 du code du
travail.
77 C.A. de Dakar, Arrêt n110 du
1er fevrier 2011, CARITAS DAKAR c/ JEAN PIERRE NDIAYE, Bull. 2013,
vol. n1, p. 241.
78 Art. L62 in fine.
79 C'est l'exemple de la démission. Il y a
aussi la rupture contractuelle, la mise en retraite, la résiliation
judiciaire. Mais, dans le cadre de cette étude, l'accent sera
porté uniquement sur à la démission.
80 X. BLANC-JOUVAN, Initiative et
imputabilité : un éclatement de la notion de licenciement, Dr.
Soc. 1981, p. 207 cité par G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, op.
cit.
81 J. Javallier, Droit du travail, 5e ed.,
L.G.D.J, 1996, p. 234.
82 Cour suprême, arrêt n11 du
08 FEVRIER 2012. Cheikhou CISSOKHO c/ Société Africaine de
réalisation et de conception dite ARC SARL, inédit :
« Attendu que la démission ne se présume pas, qu'elle doit
résulter d'une intention sans équivoque, librement
exprimée par le travailleur ; Et attendu que pour constater la
démission de Cissokho, la cour d'appel se borne à relever que ce
dernier a signé le document établissant « le solde de tout
compte après démission » et que bien qu'il argue avoir
apposé sa signature par contrainte dans le cas où la
démission n'est pas contestée, le travailleur doit prouver cette
contrainte, pour en déduire que cette preuve n'ayant
17
dont la durée est fixée par voie conventionnelle
ou réglementaire. Ici, le droit du travail se soucie plus de la
situation du salarié, qui perd son emploi, que de celle de l'employeur
qui peut, en toute hypothèse, embaucher un nouveau salarié. C'est
dans cet élan protectrice que le juge social s'efforce de
déterminer s'il y a réellement eu consentement et ce,
dépouillé de tout vice, dans la démission. De ce constat,
si la démission du salarié résulte d'une faute de
l'employeur en qu'elle fut provoquée par ce dernier, elle doit
être requalifié en licenciement. Ainsi en est -il notamment
lorsque l'employeur « pousse à bout » le salarié pour
qu'il démissionne83 ou encore ne règle pas les
salaires échus84. De surcroit, la preuve de la
démission du salarié doit être rapportée par
l'employeur lui-même85 car, dans la pratique, ce sera presque
toujours l'employeur qui invoquera la démission du salarié, en
cas de rupture du contrat, pour justifier l'absence de procédure et le
non-versement des indemnités de licenciement et de préavis et
pour repousser toute demande d'explication sur la légitimité du
« licenciement ».. Les problèmes de preuve et de notion
sont
pas été rapportée, la démission
est légitime ; qu'en se déterminant ainsi, alors qu'en l'absence
d'une notification écrite du travailleur indiquant son désir de
mettre fin à son contrat et ce dernier réfutant cette
volonté de démissionner que lui prête l'employeur, la Cour
d'appel n'a pas légalement justifié sa décision. »
cité par M. GAYE, Cours de droit du travail, FSJP, 2017.
83 Soc. 4 janvier 1968 : JCP 1969, II, 15853, note
J. Ghestin. Cité par G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, op. cit.
84 Soc. 22 oct. 1959 : D., 1960, J., p. 208
Cité par G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, op. cit.
85 Arrêt n 19 du 10 mars 1999,
Abdoulaye Faye c/ L'agence dakaroise de sécurité et d'Assistance
au tourisme ADEF, inédit : attendu que la démission ne
se présume pas et ne peut résulter que d'une intention librement
exprimée par le travailleur ; qu'il en découle que la preuve de
la démission incombe à l'employeur et que faute par lui de
rapporter cette preuve, l'on droit considérer que le, travailleur a
été congédié sans motifs légitimes et ce,
conformément à l'article 51 du code du travail qui, en ses
alinéas 2 et 3, dispose que : « Les licenciements effectués
sans motifs légitimes son abusifs. En cas de contestation, la preuve de
l'existence d'un motif légitime de licenciement incombe à
l'employeur ». Qu'en l'espèce, la cour d'appel qui s'est
contentée à énoncer que le travailleur n'avait pas
prouvé qu'il avait été effectivement licencié et
ce, sans exiger que l'employeur rapporte la preuve de la démission, a
rendu un arrêt insuffisamment motivé et violé par la
même les dispositions de la loi précitées. ;
Cour de cassation, arrêt n57 du 14 mai 1997,
FATHON Victorin c/ FRADET Faouzia, inédit : « Attendu que
le demandeur reproche à l'arrêt attaqué d'avoir
considéré qu'après sa relaxe l'employé
s'était abstenu de se présenter à son employeur pour
reprendre le travail et que ce faisant, il avait abandonné son poste se
rendant ainsi responsable de la rupture du lien contractuel alors qu'il est
notoirement connu qu'ayant vécu pendant quatre ans sous le même
toit que son employeur et ayant de ce fait pu bénéficier de la
liberté provisoire, il était tout naturellement, à sa
sortie de prison, retourné chez ce dernier d'où il a
été chassé et menacé d'expulsion ;
Qu'ainsi le Cour d'appel n'a pas donné de base
légale à sa décision en ce qu'il a considéré
qu'il appartenait au travailleur de rapporter la preuve qu'il s'était
présent à son lieu de travail après son
élargissement alors que la charge de la preuve d'une démission
incombe à l'employeur et non à l'employé » ;
Cour de Cassation arrêt n31 du 27 février
2002 Samba FALL c/ M. Adib KFOURI : « attendu qu'il apparait des
énonciations de l'arrêt attaqué que « le
salarié n'a pas établi la preuve de la rupture imputée
à l'employeur, qu'il n'a même pas fait une offre de faire entendre
un témoin (...) qu'il y a donc lieu de prendre en considération
les déclarations de l'employeur en retenant que le salarié a
lui-même pris l'initiative de la rupture de son contrat de travail en ne
se présentant plus à son travail pour compter du 12 septembre
1993 » Attendu qu'en statuant comme elle l'a fait, se bornant asseoir sa
conviction sur les déclarations de l'employeur qui, dès lors
qu'elles sont contestées, ne peuvent, à elles seules, constituer
la preuve de la rupture du contrat travail sur la propre initiative du
salarié, alors que, même établie, l'absence de ce dernier
n'est constitutive d'une rupture de son fait que si elle caractérise la
volonté claire et non équivoque de l'intéressé de
quitter l'entreprise, la cour d'appel, en raison de l'insuffisance des motifs
de sa décision, ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer
son contrôle ; D'où il suit que le moyen est fondé.
Cité par M. GAYE, Cours de droit du travail, FSJP, 2017.
18
donc étroitement imbriqués. Pour établir
l'existence d'une démission, l'employeur doit prouver qu'il y a eu
volonté unilatérale du salarié de mettre fin au contrat de
travail à durée indéterminée. Par le biais de
l'objet de la preuve, c'est la notion même de démission que les
juges sont amenés à cerner. Les juges écartent tout
d'abord la qualification « démission » chaque fois que la
volonté du salarié est équivoque. Ce peut être le
cas lorsque l'employeur a déduit du comportement du salarié la
volonté de celui-ci de rompre le contrat. La volonté du
salarié, a la supposer non équivoque, ne vaudra pas
démission lorsqu'elle n'a pas été émise librement.
La jurisprudence requalifie la décision du salarié en
licenciement chaque fois que le salarié a été contraint
à la « démission » par le comportement fautif de
l'employeur. Ainsi, le salarié qui décide de mettre un terme
définitif à son contrat de travail parce que l'employeur ne lui
paie pas les salaires dus ou l'oblige à travailler dans des conditions
dangereuses86 ou l'a roué de coups87 ou lui impose
unilatéralement une modification du contrat de travail
substantielle88, n'est pas démissionnaire.
La finalité protectrice du droit du travail ne se
limite pas au rapport individuels de travail, elle est tout aussi
énergique au plan collectif.
86 Soc. 18 oct. 1989, R.J.S. nov. 1989, p. 496,
n° 826.
87 Soc. 14 mars 1979, D. 1979. I.R. 424; même
solution en cas de simples brimades, Soc. 14 mars 1983, Dr. ouvr. 1984, p.
392.
88 Soc. 10 avr. 1991, R.J.S. 6/91, n 690 ; Soc. 13
mars 1991, U.I.M.M, juin 1991, p. 218. Cité par G. LYON-CAEN, J.
PELISSIER, A. SUPIOT, op. cit.
19
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION AU PLAN COLLECTIF
Le droit du travail est le résultat d'un rapport de
forces. Cette particularité doit être reliée aux conditions
particulières d'accomplissement du travail subordonné. La
contrainte subie sur plan individuel trouve dans l'épanchement collectif
un mode de reconquête de la liberté perdue89. C'est la
volonté du groupe qui permet l'évolution du droit à
quelque niveau qu'elle s'exerce. Le droit du travail est avant tout
collectif90. Dans cet élan de protection, le droit du travail
reconnait aux salariés un droit de représentation aussi bien dans
l'entreprise que dans la profession (section 1), pour une meilleure sauvegarde
des intérêts des travailleurs (section 2).
Section 1 : La reconnaissance d'un droit à la
représentation
Les droits et libertés fondamentaux reconnus au sujet
de droit par la constitution du Sénégal trouvent application dans
le code du travail. En effet la constitution reconnait la liberté
d'association, la liberté de réunion, la liberté de
manifestation, la liberté d'expression, les libertés syndicales
et celles d'affiliation syndicale, le droit au travail, le droit de
grève, le droit de participer, par l'intermédiaire de ses
délégués, à la détermination des conditions
de travail dans l'entreprise91. La loi organise, de ce fait, les
relations collectives de travail à travers la représentation
collective des salariés par le biais des délégués
du personnel, au sein de tout établissement de l'entreprise (paragraphe
1) et par le biais du syndicat, dans la profession (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Dans tout établissement de
l'entreprise : les délégués du personnel
Les délégués du personnel sont la voix du
personnel dans l'entreprise. Lorsque l'effectif de l'établissement
atteint un certain seuil, l'institution de délégués du
personnel devient une obligation pour l'employeur. Le
délégué du personnel est avant tout un salarié,
mais avec un statut particulier (A). La fonction de représentant du
personnel exposant le salarié à des sanctions et
représailles, il a été institué une protection
juridique pour garantir les missions du délégué du
personnel (B).
89 F. DUQUESNE, 2nd éd, Droit du travail,
Gualino, 2006, p. 19.
90 Ibid.
91 L'énumération n'est pas
limitative.
20
A - Le statut de délégué du
personnel
Au Sénégal, en matière de
délégué du personnel, le Code du Travail est le texte de
référence qui en définit les grands principes. A
côté, les règlements et autres textes viennent en
élargir la portée. Les délégués du personnel
doivent obligatoirement être mis en place dans tout établissement
comportant au moins 11 salariés. L'établissement est un groupe de
personne relevant d'une même entreprise et travaillant en commun en un
même lieu déterminé sous l'autorité d'un chef
d'établissement ou de son représentant92. Cependant,
par voie conventionnelle, rien n'empêche l'employeur de mettre en place
une telle institution alors même que ce seuil ne serait pas atteint. Pour
accéder au statut de délégué du personnel, il faut
d'abord passer par les élections. Le statut ayant été
acquis, un certain nombre de missions lui incombe.
S'agissant des élections, pour le décompte de
l'effectif, on prend en considération tous les travailleurs
habituellement occupés dans l'établissement. Toutefois, les
textes permettent de tenir compte des apprentis, des journaliers et des
saisonniers qui ont une certaine stabilité dans l'établissement.
Le temps de présence est de 6 mois de travail dans l'année. Tout
travailleur âgé de 18 ans révolus, ayant travaillé
six mois, au moins dans l'entreprise et n'ayant pas été l'objet
d'une condamnation privative des droits civiques93.
Pour ce qui est de l'éligibilité, il faut
être électeur âgé de 21 ans révolus,
être de nationalité sénégalaise ou, ressortissant
d'un Etat signataire d'un traité accordant la réciprocité,
savoir lire et écrire, avoir accompli 12 mois de service dans
l'entreprise, sans interruption. Toutefois, les ascendants et descendants,
frères et alliés au même degré du chef d'entreprise
ne sont éligibles. Le mandat de délégué du
personnel est de trois ans et il est renouvelable. Le mandat prend fin à
l'expiration des trois ans ou par démission, révocation de
l'organisation syndicale ou du collège électoral qui l'a
présenté ou élu et par perte des conditions requises pour
l'éligibilité94.
En ce qui concerne les missions, le
délégué du personnel va être chargé de faire
remonter à l'employeur les revendications individuelles et collectives
des salariés. En l'absence du comité d'hygiène et de
sécurité, les délégués du personnel doivent
veuiller à l'application des prescriptions relatives à
l'hygiène, à la sécurité des travailleurs, à
la sécurité sociale et proposent toute mesure utile à ce
sujet. Les délégués du personnel peuvent saisir
l'Inspection du Travail
92 A. KANTE, op. cit., 189.
93 B. SOW, Les délégués du
personnel [en ligne], SUTTAAAS, SEPTEMBRE 2006, URL :
www.suttaas.org/wp-content/uploads/2017/04/Delegue-personnel.pdf,
consulté le 14 novembre 2018.
94 Ibid.
21
de toute plainte ou réclamation concernant
l'application des prescriptions légales et réglementaires dont
elle est chargée d'assurer le contrôle. Les
délégués du personnel sont consultés pour avis,
lors de l'élaboration du règlement intérieur et des
licenciements pour motif économique. Un délégué du
personnel peut éventuellement saisir l'inspection du travail si un
salarié se plaint de la mauvaise application de ces normes. Du reste,
relevons que les délégués du personnel disposent d'un
crédit d'heure mensuel non cumulable considéré comme temps
de travail et rémunéré pour exercer efficacement leurs
fonctions.
Dans l'accomplissement de sa mission, le
délégué du personnel est exposé et peut faire
l'objet de mesures de représailles. C'est pourquoi le droit du travail a
institué une protection à son égard.
B - La protection juridique du
délégué du personnel
Dans le cadre de la protection du délégué
du personnel, le législateur a imposé le principe d'une
autorisation obligatoire et préalable de licenciement que l'employeur
doit demander et obtenir de l'Inspecteur du Travail95. Cette
protection concerne les délégués du personnel en fonction,
les candidats aux fonctions de délégué du personnel entre
la date de remise des listes à l'employeur et celle du scrutin et les
délégués du personnel dont le mandat a expiré et
trois mois après l'expiration.
Pour ce qui de la procédure de licenciement, la demande
doit être faite par écrit à l'Inspection du Travail du
ressort, qui doit rendre sa décision dans les 15 jours (30 jours si
expertise est sollicitée par l'inspecteur) suivant le dépôt
de la demande. Le défaut de réponse dans le délai vaut
autorisation implicite de licenciement. L'Inspecteur du Travail est tenu de
motiver sa décision d'autorisation ou de refus du fait de son
caractère définitif. L'employeur est tenu de notifier au
délégué du personnel dont il envisage le licenciement son
intention de demander l'autorisation de licenciement. Tout licenciement d'un
délégué du personnel opéré sans autorisation
ou en dépit du refus de l'Inspecteur du Travail est nul ; en
conséquence le délégué du personnel doit être
réintégré dans son emploi et dans sa qualité de
représentant du personnel et tous les salaires doivent lui être
payés allant de la date du départ de l'entreprise jusqu'à
sa réintégration. A défaut de sa
réintégration, dans les 15 jours suivant la notification de la
décision de refus de licenciement de l'Inspecteur ou de la
décision du Ministre infirmant l'autorisation, donnée ou de la
mise en demeure faite par L'Inspecteur de réintégrer le
délégué du personnel
95 Al. 1 de l'art. L214 code du travail ; El-H-M.
MBOUP, Le licenciement des salariés protégés en droit
sénégalais : le cas des délégués du
personnel, Nouvelles annales africaines, n1, 2010, p. 207 ; M. GAYE, Les
formalités contractuelles en droit du travail sénégalais,
Annales africaines, nouvelle série, volume 1, avril 2005, p. 99, s.
22
lorsque l'employeur n'a pas fait la demande, ce dernier est
tenu de verser une indemnité supplémentaire variable selon
l'ancienneté du délégué du personnel : de 1
à 5 ans ( 12 mois ) , de 5 à 10 ans ( 20 mois ) et au -
delà de 10 ans ( 2 mois par année d'ancienneté avec un
maximum de 36 mois )96
Aussi, relevons que les parties disposent également
d'un recours hiérarchique. En cas de faute lourde du
délégué du personnel, justifiant en principe le
licenciement immédiat de l'intéressé, l'employeur peut
prononcer immédiatement la sanction disciplinaire de la mise à
pied, en attendant la décision définitive de l'Inspecteur. La
décision de L'Inspecteur accordant ou refusant l'autorisation de
licenciement n'est susceptible d'aucun recours autre que le recours
hiérarchique devant le Ministre du Travail. Les parties disposent d'un
délai de 15 jours, à compter de la notification de la
décision de l'Inspecteur pour déférer celle-ci devant le
Ministre qui dispose d'un délai de 30 jours pour statuer sur le recours
hiérarchique et confirmer ou infirmer la décision de
l'Inspecteur. La décision du Ministre est susceptible de recours
juridictionnel en excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat qui ne peut
que rejeter le recours ou annuler la décision administrative qui lui est
soumise. L'appréciation du Conseil d'Etat peut porter sur la
légalité de la décision et sur l'opportunité de la
décision attaquée.
Au reste, mentionnons que l'entrave97 à la
libre désignation des délégués du personnel et
à l'exercice régulier de leurs fonctions est pénalement
réprimée. La rupture du contrat de travail du
délégué du personnel en dehors de la procédure
prévue par la loi ainsi que le refus de réintégration
consomment le délit d'entrave98. Les auteurs d'infractions
aux dispositions fixant les conditions et les modalités de
désignation des délégués du personnel et
définissant leur mission sont punis de deux façons. S'il n'est
établi à leur encontre aucune intention d'entraver leur libre
désignation ou l'exercice régulier de leurs fonctions, ils
s'exposent à des peines contraventionnelles Si une telle intention est
prouvée, ils sont exposés à des peines
délictuelles.
Qu'en est-il du droit à la représentation dans la
profession ?
Paragraphe 2 : Dans la profession : le syndicat
Le syndicat professionnel est une organisation à
caractère privé associant des personnes exerçant ou ayant
exercé leur activité dans une même branche de
métier. En droit du travail sénégalais, le droit syndical
tient sa source des conventions internationales adoptées par
l'OIT99
96 B. SOW, Les délégués du
personnel, op. cit.
97 Art. L 278 du code du travail.
98 J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, Droit du
travail, précis Dalloz, 22e ed., 2004, p. 707, n593.
99 Il s'agit de la convention n 87 sur la
liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
23
et qui sont en vigueur au Sénégal, de la
constitution et de la loi. La liberté syndicale est un droit fondamental
du salarié et le syndicat, titulaire de prérogatives bien
définies.
Le principe de la liberté syndicale est très
ancien. Il a déjà était proclamé en 1919 par la
constitution de l'OIT qui en faisait la clé de voute de son programme
d'action. Ensuite, la déclaration de Philadelphie de 1944 relative aux
buts et aux objectifs de l'OIT devait affirmer que la liberté
d'expression et d'association a été définie comme la
condition indispensable d'un progrès soutenu.
Sur le plan interne, le droit syndical est un principe
constitutionnel. Dans le préambule comme dans le corpus100,
le respect et la garantie des libertés syndicales sont proclamés.
Sur le plan législatif, la loi n°97-17 du 1er décembre 1997
portant code du travail a, à la suite de la loi n° 61-34 du 15 juin
1961, joué son rôle de précision quant à la
reconnaissance du principe constitutionnel du droit syndical. Son article L7 in
fine dispose que : « Les personnes exerçant la même
profession, des métiers similaires ou des professions connexes
concourant à l'établissement de produits
déterminés, ou la même profession libérale, peuvent
constituer librement un syndicat professionnel. Tout travailleur ou employeur
peut adhérer librement à un syndicat dans le cadre de sa
profession ». La liberté d'adhérer à un syndicat
n'est restreinte que pour les mineurs de plus de seize ans101 et
exclue102 pour ceux qui n'ont pas atteint cet âge.
Élément d'expression du salarié,
l'entré, la sortie, l'appartenance ou non à un syndicat sont des
droits reconnus et protégés du salarié. Cette protection
résulte du fait de l'interdiction faite à l'employeur de prendre
en considération l'appartenance ou non à un syndicat ou
l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses
décisions en ce qui concerne l'embauchage, la conduite et la
répartition du travail, l'avancement et la rémunération.
Cette interdiction trouve son fondement à l'article L29 du code du
travail ; elle doit être conçue de manière large et
illimitée. L'article ne donne en effet que des cas où la
discrimination peut être habituellement faite par les employeurs, mais
son usage de l'adverbe « notamment » permet d'affirmer que toute
discrimination en faveur ou en défaveur du travailleur, motif pris de
son appartenance syndicale est prohibée. C'est le même texte qui
pose la sanction, il dispose à son alinéa 3 que : toute mesure
prise par l'employeur, contrairement aux dispositions des alinéas
précédents (alinéas 1 et 2), sera considérée
comme abusive et donnant lieu à dommages-intérêts. Il faut
déplorer
100 Il s'agit des articles 8 et 25 de la constitution
sénégalaise de 2001
101 Art. L11 code du travail
102 Disposition qui est alors contraire à la convention
n87 de l'OIT qui n'opère de distinction tenant à l'âge et
par conséquent, reconnait aux mineurs admis au travail, la
liberté de se syndiquer sous réserve seulement des statuts du
syndicat choisi.
24
l'absence de protection des dirigeants syndicaux. Le droit du
travail sénégalais ne leur reconnait pas une protection
particulière103 comme celle dont bénéficient
les délégués du personnel. Cette absence de protection
résulte de l'inexistence juridique propre du syndicat dans l'entreprise.
Il urge, en raison de l'importance que revêt cette liberté
fondamentale, que la législation sénégalais
s'attèle au renforcement de ce droit pour une meilleure prise en compte
de l'intérêt des travailleurs.
Pour ce qui est de ces prérogatives, le syndicat est
une organisation destinée à défendre les
intérêts communs professionnels, matériels et moraux, tant
collectifs qu'individuels des membres de la profession. Ainsi, le syndicat ne
représente pas seulement ses adhérents, mais la profession dans
son ensemble. Etant donné que l'organisation de l'entreprise ne permet
pas à chaque salarié de porter personnellement et
individuellement ses revendications, l'idée de représentation est
posée à l'article 25 de la constitution qui dispose que : «
tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses
délégués à la détermination des conditions
de travail dans l'entreprise » L'article L-6 du code du travail dispose :
« les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude
et la défense des intérêts économiques, industriels,
commerciaux, agricole et artisanaux ». Le syndicat exerce ainsi un objet
strictement et spécifiquement professionnel.
Par ailleurs, il a le droit d'ester en justice et d'exercer,
devant toutes juridictions répressives, tous les droits
réservés à la partie civile lorsque les faits poursuivis
portent un préjudice directement ou indirectement à
l'intérêt collectif de la profession qu'il représente. Sur
ce terrain, le syndicat peut aussi ester en justice pour défendre un
intérêt personnel d'un travailleur membre de l'organisation pourvu
que cette action dérive de l'application d'une convention collective ou
d'un accord d'entreprise et d'établissement dont il est signataire. Il
n'a pas, dans ce cas, à justifier d'un mandat du salarié, il
suffit juste que l'intéressé ne s'y oppose pas et qu'il soit
averti104. De même, le syndicat peut intervenir dans une
instance engagée par une personne physique ou un groupement lorsque le
droit qui lui sert de fondement découle d'une convention collective ou
d'un accord dès lors que ses membres sont liés par ces actes
juridiques ; le fondement d'une telle intervention étant
l'intérêt collectif que la solution du litige peut
présenter pour ses membres105. Enfin le syndicat
bénéficie d'un quasi-monopole106 en ce qui concerne
la
103 Ce qui est déplorable puisqu'en droit
français, les syndicats peuvent créer une section syndicale au
sein de l'entreprise et les délégués syndicaux
bénéficient d'une protection contre les mesures que l'employeur
peut être amené à prendre contre eux.
104 Art. L98 al. 1 code du travail.
105 Art. 98 al. 2 code du travail.
106 L'art. L80 prévoit aussi que les salariés
peuvent être représentés par des groupements
professionnels.
25
négociation collective. Il représente en
principe les travailleurs pour conclure les conventions et accords
collectifs.
La représentation des salariés, que cela se
fasse au sein de l'établissement de l'entreprise ou dans la profession,
est, en toute hypothèse, mue par la sauvegarde des intérêts
des travailleurs.
Section 2 : Les moyens de sauvegarde des
intérêts des travailleurs
Conflits du travail et négociation collective sont
inséparables107. Les salariés doivent souvent recourir
à des procédés de lutte pour parvenir à la
négociation d'un accord, d'une convention collective de travail. Ainsi,
les acteurs des relations collectives entretiennent des rapports et sont
appelés à travers ceux-ci à secréter des normes
applicables à la relation de travail par le biais de la
négociation collective et du dialogue social (paragraphe 1). Parfois,
ces relations sont contentieuses. A ce titre, le code du travail a
institué des moyens d'expression de leur mécontentement. La
possibilité pour l'employeur d'exprimer son désaccord avec les
travailleurs est appelé lock-out. Mais, souvent, ce sont les
salariés qui montrent leur courroux à travers l'exercice du droit
de grève (paragraphe 2) qui, seul, va nous retenir dans le cadre de
cette étude.
Paragraphe 1 : La négociation collective et le
dialogue social
La démarche scientifique sera duale dans cette partie.
Nous étudierons d'abord la négociation collective (A) ensuite le
dialogue social (B).
A - La négociation collective
La négociation collective concrétise le droit
des salariés de participer à l'élaboration des normes qui
les régissent108. Elle est l'un des éléments
centraux de la dynamique du droit du travail et du système des relations
professionnelles109. Employeurs et salariés,
représentés par leurs syndicats, élaborent des normes
destinées à régir leurs rapports. C'est l'autonomie
normative des interlocuteurs sociaux, sans laquelle il n'est de dynamique du
droit du travail110. Ce qui implique, l'existence d'un droit des
salariés à la négociation collective. Cette
dernière a été consacrée en droit international du
travail et en droit interne. En droit international, à notre niveau,
nous nous appesantirons sur deux conventions principales de l'OIT qui ont trait
à la
107 J. JAVALLIER, Droit du travail, 5e ed., LGDJ,
1996, p. 513.
108 A.C. NIANG, Le droit du travail sénégalais
entre ambigüité et ambivalence, Annales africaines, Nouvelle
Série, Volume 2, Décembre 2015, p. 80.
109 J. JAVALLIER, op. cit., p. 556.
110 Ibid.
26
négociation collective. Cet intérêt
découle du fait que le Sénégal les a ratifiées et a
fait sienne le suivi qui sied à leur application scrupuleuse par ceux
qui en sont destinataires. Il s'agit de la convention n°87 relatif
à liberté syndicale et à la protection du droit syndical
adoptée en 1948 et la convention n°98 sur le droit d'organisation
et de négociation collective datant de 1949. Il s'agit là des
deux conventions qui intéressent directement le volet négociation
et qui ont fait l'objet d'une ratification par le gouvernement du
Sénégal111. En droit interne la constitution s'inscrit
également dans cette même logique. La liberté d'expression
et d'opinion est reconnue, de même que le droit à tout travailleur
de participer, par l'intermédiaire de ses délégués
à la détermination des conditions de travail dans
l'entreprise112. Sur le plan législatif, le code du travail,
à travers l'article L5, reconnait aux travailleurs et à leurs
représentants, un droit à l'expression directe et collective sur
le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation du travail dans
l'entreprise.
Grâce à la négociation collective, un
ordre public social protection s'est progressivement formé.
S'écartant des règles du droit commun, le droit du travail a
perturbé l'application du principe de la hiérarchie des normes.
L'hétéronomie qui le caractérise favorise ce processus.
Ainsi, la loi définit des minima que la négociation est
censée améliorer113. Cela se concrétise donc
par l'élaboration de convention collective. Cette dernière est
définie comme un accord relatif aux conditions de travail conclu entre,
d'une part, les représentants d'un ou plusieurs syndicats ou groupements
professionnels de travailleurs, et, d'autre part, une ou plusieurs
organisations syndicales d'employeurs, ou un ou plusieurs employeurs pris
individuellement114. Au Sénégal, on peut distinguer
globalement quatre catégories de conventions collectives : la convention
collective ordinaire, la convention collective extensible, l'accord collectif
d'entreprise et la convention collective nationale
interprofessionnelle115. Du reste, les conventions collectives
remplissent trois fonctions socioéconomiques. D'abord, c'est la
compensation de l'inégalité des rapports entre les employeurs et
les salariés. Ensuite, elles enrichissent et améliorent le SMIG
soit en inventant des avantages nouveaux, soit en améliorant des
avantages existants. Enfin, elles assurent la paix sociale en donnant
satisfaction aux revendications de travailleurs soit pour éviter des
conflits soit pour y mettre fin116. L'ordre
111 P. M. MBODJ, La négociation collective dans le
secteur privé au Sénégal, mémoire de maitrise,
Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2009,
https://www.memoireonline.com/10/09/2769/La-negociation-collective-dans-le-secteur-prive-au-Senegal.html,
consulté le 13/11/2018.
112 Art. 25, al. 5 de la constitution
113 A.C. NIANG, ibid.
114 Art. L.80
115 A. KANTE, op. cit., p. 137
116 A. KANTE, op. cit., p. 139
27
public n'est spécifique en droit du travail qu'en ce
qu'il permet de déroger aux règles étatiques pour
améliorer la condition du salarié. La doctrine s'est ainsi
largement accordée sur l'existence de cet ordre public qui
déroule ses effets selon un principe de faveur. Autrement dit l'ordre
public social impose l'application de la norme la plus favorable au
salarié117. Qu'en est-il du dialogue social.
B - Le dialogue social
Le dialogue social est une « notion qui inclut tout
type de négociation, de consultation ou simplement d'échange
d'informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs
et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions
relatives à la politique économique et sociale présentant
un intérêt commun. Il peut prendre la forme d'un processus
tripartite auquel le gouvernement participe officiellement ou de relations
bipartites entre les travailleurs et les chefs d'entreprise118,
où le gouvernement peut éventuellement intervenir indirectement
»119.
Le dialogue social est consacré aussi bien en droit
international qu'en droit interne. Sur le plan international, le dialogue est
élevé au rang de principe fondamental porté clairement par
deux conventions internationales de l'OIT : convention n144 et 154. La
convention 144 sur les consultations tripartites constitue
précisément l'une des quatre conventions prioritaires qui est
d'ailleurs visée par la charte précitée. Quant à la
convention 154, elle porte sur la négociation collective et peut donc
être opportunément considérée comme une
référence en la matière120. En droit interne,
la Constitution sénégalaise ne contient aucune
référence expresse au dialogue social. Les droits et
libertés qui y figurent sont ceux traditionnellement consacrés
par les lois antérieures à savoir la liberté syndicale, le
droit de grève et le droit de participer par l'intermédiaire des
délégués à la détermination des conditions
de travail dans l'entreprise. Le dernier code du travail a repris ces droits
pour en préciser le régime juridique. Toutefois on n'a pas
manqué de dire que l'article L5 de ce code, qui consacre un droit
à l'expression directe et collective des salariés et de leurs
représentants manifeste la reconnaissance du dialogue
117 A. C. NIANG, op. cit, P. 81
118 Ou les syndicats et les organisations d'employeurs.
119 Qu'est-ce que le dialogue social,
http://www.ilo.org/ifpdial/areas-of-work/social-dialogue/lang--fr/index.htm,
consulté le 13/11/2018.
120 A. C. NIANG, « A propos du dialogue », Revue
sénégalaise de droit et de science politique, n12, avril 2014, p.
277.
28
social121. L'unique support textuel qui fonde
expressément le dialogue social au Sénégal122
est la charte nationale du dialogue social qui a été
adoptée le 22 novembre 2002123. Néanmoins, il a
été institué un haut conseil du dialogue social qui se
substitue au comité national du dialogue social124. Cette
structure se charge de promouvoir le dialogue social en s'efforçant de
créer un cadre national de concertation entre les différents
acteurs du monde du travail et de parfaire un climat social favorable à
tous les acteurs et unanime à tous les niveaux.
Le dialogue social participe de la revivification des sources
normatives du droit du travail. Ainsi, l'article 2 de la charte insiste
énergiquement sur l'aspect négociation. En effet, elle dispose
que ladite charte a pour objet : « de renforcer les mécanismes du
dialogue social (négociation collective, conciliation et consultation)
à travers l'établissement d'un cadre bipartite ou tripartite afin
que les négociations aient lieu d'abord au niveau de l'entreprise, au
niveau des branches d'activités, et au niveau national avec la pleine
participation de l'Etat, soit en sa qualité d'employeurs, soit en sa
qualité de garant de l'intérêt général
». Toujours dans une perspective de renforcement de l'efficacité de
la négociation collective la charte a prévu de « mettre en
place des formations sur les négociations collectives,
l'économie, la législation sociale et les normes internationales
du travail ». Ainsi nous nous rendons compte que le régime
conventionnel est assez riche au Sénégal et cela témoigne
d'une volonté manifeste de créer un cadre de dialogue propice au
développement des rapports entre les différents acteurs de la vie
sociale en général et de la négociation collective en
particulier.
Outre la négociation collective et le dialogue social,
le droit grève participe des moyens accordés aux salariés
pour la sauvegarde de leurs intérêts.
Paragraphe 2 : L'exercice du droit de grève
Le code du travail a outillé les salariés
mécontents de leur employeur d'un puissant instrument de dissuasion
qu'est la grève pour leur permettre de défendre leurs
intérêts. Le droit de grève est reconnu par la Constitution
et encadré par la loi.
La Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 a
consacré le droit de grève en disposant en son article 25 que
« Le droit de grève est reconnu. Il s'exerce dans le cadre des lois
qui le
121 P. Marie COLY, Code du travail annoté, EENAS,
Nouvelle édition, p.7 ; A. FALL, « Dialogue social et
ordonnancement juridique » ; A. Wade « Pour quel dialogue social au
Sénégal » cité par A.C. NIANG, « A propos du
dialogue », op. cit.
122 A. C. NIANG, « A propos du dialogue », op. cit.
123 Cette charte forte de 19 articles en plus du
préambule a été signée et adoptée à
Dakar par les représentants des employeurs, les travailleurs et le
ministre de la fonction publique d'alors, Mr Yoro DE, et s'applique dans les
secteurs public, parapublic et privé (moderne et informel).
124 A. KANTE, op. cit., p. 133.
29
régissent. Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte
à la liberté de travail, ni mettre l'entreprise en péril
». En droit international, la matière fait preuve d'une
discrétion aisément explicable : fort nombreux sont les
États qui n'ont pas un penchant particulier pour la consécration,
et encore moins, la protection d'un droit de grève. Les conventions et
recommandations de l'OIT sont silencieuses mais, les experts ont parlé.
La « jurisprudence » du Comité de la liberté syndicale
du Conseil d'administration du B.I.T. est sans équivoque : « le
droit de grève et celui d'organiser des réunions syndicales sont
des éléments essentiels du droit syndical (...)
»125. De vifs débats entre groupes des employeurs et des
salariés ont d'ailleurs eu lieu à la Conférence
internationale du travail126.
La grève consiste dans la cessation collective et
concertée du travail, à l'appui de revendications127.
Ainsi caractérisée, elle est un instrument d'expression et de
défense essentiel pour les travailleurs. Dans la mesure où elle
engendre des perturbations dans le fonctionnement d'une entreprise ou d'un
service, elle est constitutive d'un préjudice au détriment de
l'employeur qu'elle incite de la sorte à négocier128.
Outre les conditions de forme129 que sont la notification du conflit
à l'inspection du travail, le dépôt de préavis de
grève qui laisse suivre trente jours en cas d'échec de la
procédure de conciliation, la grève nécessite deux
conditions quant au fond : une cessation collective de travail en vue de la
satisfaction d'intérêts professionnels, avant de porter ses
effets.
Le premier élément de cette définition
concerne l'existence d'une collectivité de travailleurs. Il s'agit alors
d'une communauté c'est-à-dire un groupement
organisé130 ou non organisé131 ou une
communauté à l'échelle d'une profession, d'une entreprise,
d'un établissement. La grève est un droit individuel mais
d'exercice collectif. Il découle de cette affirmation que tout
salarié bénéficie du droit de grève mais il ne peut
l'exercer seul. Il faut, en effet, plusieurs salariés132,
sans besoin qu'il y ait une majorité, pour aller en grève. Cette
communauté doit être en conflit et l'arrêt de travail doit
être effectif. C'est un arrêt totale de travail des salariés
et ce, sans
125 Recueil des décisions, Genève, 3 éd.,
1985, p. 37, n 69 cité par J.C. Pillissier, op. cit., p. 516.
126 Jean-Maurice VERDIER, « Débat sur le droit de
grève à la Conférence internationale du travail » :
IFS, 1994, p. 968 cité par J.C. Pillissier, ibid.
127 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot , op. cit., p.
918
128 Ibid.
129 Dans le cadre de cette modeste étude, l'accent sera
plus porté sur les conditions de fond de la grève.
130 Il s'agira donc d'un syndicat.
131 Ou un comité de grève.
132 Au moins deux salariés. Mais, par exception, la
jurisprudence apporte des dérogations. Ainsi, il est possible à
un seul salarié d'aller en grève au sein de son entreprise. Il en
est ainsi d'abord lorsque le salarié participe seul de son entreprise
à une grève dépassant le cadre de celle-ci et
déclenché et sur le plan local, régional ou national (Soc.
23 mars 1995, Bull. civ. 1995, V, n111). Il en est ainsi ensuite lorsqu'il est
le seul salarié de l'entreprise. Cf M. GAYE, Cours de droit du travail,
FSJP, 2017.
30
exigence de durée133. L'article 25 de la
constitution affirme que cette cessation de travail ne doit pas mettre en
péril134 l'entreprise dans une perspective de prise en compte
des intérêts de l'entreprise. Une question d'équilibre
surgit de ce fait. La quête d'un équilibre des droits et
libertés constitutionnellement protégés : le droit de
grève et la liberté d'entreprendre.
Le deuxième élément est que le conflit
doit porter sur des intérêts collectifs, à savoir des
intérêts communs à tous les salariés en cause et
dont la satisfaction les concernent tous135. La cessation collective
et concerté de travail doit donc être appuyée de
revendications professionnelles. En conséquence, toute grève
justifiée par des motifs politiques est jugée illégale. Il
se pose aussi la question de la licéité des grèves de
solidarité, ainsi que celles des grèves de protestations
nationales. Il existe une certaine tolérance pour ces deux formes
d'action.
Pour ce qui est des effets, la grève étant un
droit fondamental, son exercice licite suspend le contrat de travail et retire
à l'employeur ses prérogatives136. La suspension du
contrat de travail aura pour effet que le salarié gréviste soit
soustrait de l'autorité et de la direction de son employeur en raison du
fait que ces pouvoirs lui sont conférés par le contrat de travail
dont les effets sont désormais suspendus jusqu'à la reprise du
travail. L'employeur pourra plus leur donner des ordres en raison justement de
la suspension du contrat de travail. Il lui est aussi interdit de recruter des
travailleurs pour remplacer temporairement les salariés
grévistes137. Les travailleurs grévistes doivent
cependant respecter la liberté de travail manifestée par les
non-grévistes138.
Procès-verbal, constat, protocole, accord « de fin
de conflit », quel qu'en soit le vocabulaire, ces actes juridiques ont
force obligatoire pour l'une et l'autre partie lorsqu'ils en remplissent
133 Il n'y a pas une limite de temps instituée dans
laquelle la grève devrait être faite. Il peut aller donc d'un
débrayage à une grève illimitée.
134 La notion de mise en péril n'a pas
été définie par le constituant et peut donc poser des
problèmes d'interprétation. On peut toutefois voir à
travers cette notion, une reprise maladroite de la notion de
désorganisation de l'entreprise qui rend la grève abusive. Mais,
en toute hypothèse, il appartient au juge de donner un contenu à
cette notion de mise en péril de l'entreprise. Voir sur cette question :
A. SAKHO, Droit de grève et survie de l'entreprise, Nouvelles annales
africaines, n1-2007, p. 353 ; A. FAYE, La grève dans la constitution du
Sénégal de janvier 2001, Droit sénégalais n10,
2011-2012, p. 233.
135 A. KANTE, op. cit., p. 169
136 Sous réserve, bien sûr, du droit de
réquisition.
137 Art. 12 du décret 209-1412 du 23 décembre
2009 fixant la protection particulière des travailleurs employés
par des entreprises de travail temporaire et les obligations auxquelles sont
assujetties ces entreprises, J.O. n6518 du samedi 27 mars 2010.
138 Ils ne doivent pas exercer des voies de fait par rapport
à l'employeur et à l'entreprise. Ils ne doivent se livrer
à aucun acte d'entrave ou de sabotage. En effet, il s'agit là
d'infractions pénales qui exposent les salariés à des
sanctions et qui entache donc d'illicéité une grève qui
pouvait être licite dans son principe.
31
les conditions de forme et de fond. L'objectif principal de la
grève est d'amener l'employeur à la négociation dans une
perspective de sauvegarde des intérêts des travailleurs.
Tout cet arsenal d'outils institué par le droit du
travail et conféré aux salariés, participe de la
finalité protectionniste du droit du travail sénégalais.
Aujourd'hui, cette protection du salarié de plus en plus remise en
cause, il serait plus convenable, plus conforme aux réalités, de
parler de finalité ambivalente ou ambiguë du droit du travail
sénégalais.
32
DEUXIEME PARTIE : UNE FINALITE AMBIGUË
A L'EPOQUE CONTEMPORAINE
Le droit du travail en a fait du chemin avant d'en arriver
à son point actuel, il est le produit fini des luttes
sociales139. Le dynamisme est le propre du droit du travail, il ne
demeure pas figé à une époque, il évolue et
s'adapter au gré des conditions sociales. Son objectif continu est de
rétablir un équilibre entre les parties, en empruntant les traits
caractéristiques de données factuelles naturellement
fluctuantes140. A ce titre le caractère ambiguë de la
finalité actuelle du droit du travail sénégalais
découle de plusieurs raisons (chapitre 1) et a une portée bien
définie (chapitre 2).
CHAPITRE 1 : LES RAISONS DU CHANGEMENT DE
PERSPECTIVE
Sous l'influence du fort changement de l'environnement
politique, social et économique dû à l'économie
mondialisée et à l'émergence de nouveaux slogans tels que
: « restructurations », « privatisations », « nouvelle
politique industrielle », « moins d'État, mieux d'État
»141, les autorités publiques ont fini par parachever
cette orientation en réformant le Code du travail pour « l'adapter
aux réalités économiques et sociales de notre pays et en
faire un vecteur dynamique de croissance »142. C'est ainsi que
le droit du travail sénégalais a été
transformé en instrument de promotion économique (section 1) pour
l'épanouissement de l'entreprise, outil de production et pierre
angulaire de la croissance économique. Cette transformation s'est faite
par le renforcement des prérogatives patronales (section 2).
Section 1 : Le droit du travail, un instrument de
promotion économique
Pendant longtemps, la protection du salarié a
été le seul souci du droit du travail. Toutes les règles
étaient édifiées de manière telle, que les
salariés, seuls, pouvaient en tirer contrepartie. Toute idée de
flexibilité du droit du travail était envisagée dans une
perspective de renforcement de la protection des salariés :
flexibilité « à sens unique », de
protection143. Depuis peu, des dérogations à ce
principe sont apparues dans la législation, aux fins de permettre une
prise en
139 F. DUQUESNE, op. cit., p. 18
140 N. Claude, La variabilité du droit du travail,
thèse de doctorat, Université d'Angers, soutenu le 7
décembre 2010,
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00579595,
p. 16.
141 I.Y. NDIAYE, Droit du travail sénégalais et
transfert de normes, Bulletin de droit comparé du travail et de la
sécurité sociale, 2005, p. 166.
142 Exposé des motifs de la loi n° 97-17 du 1er
décembre 1997 portant sur le nouveau Code du travail cité par
I.Y. NDIAYE, op. cit. p. 166.
143 Expression empruntée à Jean Claude JAVALLIER
(Droit du travail, LGDJ, 5e ed., 1996).
33
compte de l'intérêt de l'entreprise (paragraphe
1), caractéristique essentiel d'un droit maintenant tourné vers
l'économie (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'avènement de la prise en compte de
l'intérêt de l'entreprise
Le dernier quart de siècle a coïncidé avec
une remise en question du droit du travail lui-même144,
entrainant l'émergence et l'affirmation d'un caractère nouveau :
l'ambivalence.
En Europe, la remise en question du droit du travail a suivi
la profonde crise économique et financière résultant des
« chocs pétroliers » des années 1970145 mais
aussi la mondialisation des marchés. La crise économique a
entrainé un ralentissement de l'activité, des restructurations,
des pertes d'emplois industriels, des licenciements massifs et une croissance
du chômage bientôt angoissante146. Tout ceci
renforcé par mondialisation qui a favorisé une concurrence rude
des pays dit « émergents » où les entrepreneurs
profitent du faible coût de la main d'oeuvre. Dès lors, les
thèses libérales dominantes poussent à ce qu'on appelle la
« déréglementation », qui consiste à la fois
à faire disparaître tout monopole et toute entente et à
laisser les mains libres aux entreprises dans la gestion de leur
personnel147. L'idée d'un Droit du travail, protecteur du
salarié devient dans ces conditions totalement inappropriée. Le
droit du travail est vu comme une source des rigidités qui affecteraient
la capacité des entreprises à répondre aux
impératifs de la compétition économique148 et
fait l'objet d'un procès permanant. Le maximum de liberté devant
être laissée à ceux qui gèrent l'entreprise, source
d'emplois et méritant, seule, les faveurs de la loi. Ces discours, que
les autorités publiques ont pris en considération, ont eu raison
du droit du travail qui s'est progressivement adjoint de nouvelles
finalités prenant en compte l'intérêt de l'entreprise.
C'est d'ailleurs en ce sens que le Professeur Gérard Lyon-Caen
considérait que l'évolution du droit du travail pouvait
connaître des retournements d'orientation: des règles, ou des
opérations juridiques paraissant jusqu'alors servir les
intérêts
144 I. Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à
l'ajustement juridique », in Ajustement structurel et emploi au
Sénégal, Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p.103; G. Lyon-Caen, J.
Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, 18ed., Dalloz, 1996, p. 16 ; J.
Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26
éd., 2012, p. 23.
145 M. SAMB, Réformes et réception des droits
fondamentaux du travail au Sénégal, Revue d'étude et de
recherche sur le droit et l'administration dans les pays d'Afrique (disponible
sur
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/réformes-et-réception-des-droits.html),
février 2000, consulté le 10 octobre 2018.
146 J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, op. cit.,
p. 23.
147 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, op. cit., p.
17.
148 P. VERKINDT, Le droit du travail, Dalloz, 2005, p. 1.
34
des salariés, pouvaient ainsi être mises à
profit par les employeurs149, témoignant du caractère
ambivalent du droit du travail.
En Afrique subsaharienne, l'instabilité
économique et sociale et la persistance d'un environnement international
hostile, conséquence de la profonde crise économique, a
marqué le début des années 1980. Récepteurs des
crédits à des taux très bas résultant de la
surliquidité générée par le recyclage des
pétrodollars, les États africains deviennent surendettés,
en 1980, au moment où la baisse des prix des matières
premières leurs enlèvent les possibilités de faire face
durablement au service de leur dette extérieure. Au même moment,
les pays non producteurs de pétrole, comme le Sénégal,
sont affectés par le gonflement de leur facture
pétrolière, contribuant ainsi à creuser le déficit
de leur balance commerciale150. Les emprunts contractés dans
les années 1970 contenant des clauses d'indexation des taux
d'intérêt aux taux d'inflation des pays du Nord, étant de
surcroît libellés en dollars, les pays africains vont être
confrontés, à stock de dette constant, au triplement des charges
à rembourser. La négociation avec les groupements de
prêteurs publics et privés (Club de Paris, Club de Londres)
conduit alors les États africains à se lier aux programmes des
institutions financières internationales, notamment la Banque Mondiale
et le Fonds Monétaire International, qui leur imposèrent des
mesures drastiques de « stabilisation » et « d'ajustement
structurel », avec une kyrielle de conditions151. La nouvelle
politique économique imposée par les institutions
financières internationales consacre l'hégémonie absolue
de l'économique et la remise en cause des politiques protectrices
socialisantes de l'État152. Au Sénégal, ces
programmes de restructuration ont suivi l'échec des stratégies de
développement économique initiées après les
indépendances, et ont invariablement préconisé une plus
grande flexibilité dans la gestion des droits des travailleurs et une
libéralisation des normes de travail153.
En définitive, en droit du travail
sénégalais, l'avènement de la prise en compte de
l'intérêt de l'entreprise est consécutif aux divers
politiques d'ajustements structurels adoptés154. La
libéralisation du commerce international, la mondialisation des
marchés financiers et l'importance grandissante de l'intervention des
multinationales sur les marchés bouleversent les systèmes
nationaux. Les contraintes de comparaison des coûts des facteurs de
production, y
149 A. SUPIOT et A. JEAMMAUD, Droit du travail, Dalloz, coll.
« Précis Droit privé », 24ème éd., 2008,
n° 22.
150 M. SAMB, op. cit.
151 Ibid.
152 Ibid.
153 A. KANTE, op. cit., p. 20.
154 Y. BODIAN, « précarité de l'emploi en
droit du travail sénégalais », Nouvelles annales africaines,
2013, p. 293.
35
compris le facteur travail conduisent les États
à une course vers un certain désengagement, une plus grande
flexibilité pour attirer les investisseurs. Ces remous ont conduit
à la réforme du code du travail en 1989155 et, en
1997, l'instauration d'un nouveau code du travail plus tourné vers la
prise en compte de l'intérêt de l'entreprise156.
Paragraphe 2 : Un droit plus tourné vers
l'économie
L'objectif d'instauration d'un environnement économique
susceptible d'attirer plus d'investisseurs a grandement motivé le
changement de perspective opéré par le droit du travail
sénégalais. Ce dernier ne pouvait se cantonner
éternellement à la protection du salarié contre la «
toute-puissance » de l'employeur au mépris des multiples
changements des conditions économiques et sociales. Le droit du travail
sénégalais ne pouvait donc ignorer l'évolution de
l'économique et se devait de prendre en compte les nouveaux
impératifs de développement et de lutte contre le
chômage157. Ainsi, le droit du travail nouveau est un
instrument de promotion de l'emploi, de promotion d'un environnement facilitant
les affaires et la concurrence entre les acteurs
économiques158. Le droit du travail s'installerait ainsi au
coeur du droit économique formant une trinité entre le droit de
la concurrence et le droit de la régulation159.
Selon le professeur Jean Louis CORREA160, le droit
du travail serait désormais un instrument, un outil au service de
l'économie. Ses règles doivent faire l'objet d'une
interprétation téléologique fondée sur la recherche
d'un équilibre entre plusieurs intérêts : le marché
et la protection du salarié. Pour atteindre les objectifs
précités, il faut instrumentaliser la règle de droit, dans
ce sens on est ici dans 1a deuxième signification de la règle de
droit, à savoir une règle au service voire au secours de
l'économie. Cette conception est celle des pays appartenant à la
famille de droit Common Law. Toujours selon lui, c'est justement sous
l'influence de la doctrine anglo-saxonne, que le coût économique
et l'efficience de la règle de droit ont commencé à
être mesurés. Il s'agit de l'analyse économique du droit.
Pour l'un des principaux fondateurs de cette méthode, le juge
américain Richard POSNER, l'analyse économique du droit fournit
« au législateur et au juge des prescriptions quant à ce que
devrait être une règle ou une décision efficiente
».
155 I. Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à
l'ajustement juridique », in Ajustement structurel et emploi au
Sénégal, Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p. 112
156 S. DIALLO, Profil national de droit du travail : le
Sénégal, OIT Document, 17 juin 2011, p. 4.
157 Y. BODIAN, op. cit., p. 293.
158 G. LYON- CAEN, Les juges brûlent le Code dit travail
Au nom de la flexibilité, Le Monde, 5 novembre 1981, p. 1 et 2
cité par J.L. CORREA, op. cit., p. 226.
159 Ibid.
160 J.L. CORREA dans son article : l'éclairage sur un
acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme relatif au droit du travail,
Nouvelles annales africaines, 2013, p. 226, s.
36
Au-delà de la communauté scientifique, cette
doctrine anglo-saxonne du Law and economics trouve écho dans
les méthodes scientifiques des institutions internationales
chargées d'aider au développement des pays africains telles que
la banque mondial qui publie chaque année un rapport161
contenant un classement des pays selon les réglementations qui sont
favorables ou défavorables à l'activité
commerciale162. Cette méthode « Law and economics
» trouve une application très médiatisée dans
ces rapports « Doing Business » de la Banque mondiale. Au
Sénégal, la publication des rapports « Doing Business
» a eu pour conséquence notable une volonté
affichée du gouvernement sénégalais de vouloir
réformer son droit du travail à l'effet de gagner des places
supplémentaires dans ce rapport. Ainsi, le Sénégal est
dans une logique constante d'amélioration de son environnement des
affaires afin de progresser dans le classement Doing Business en vue d'attirer
les investisseurs. D'ailleurs, Le Sénégal s'est classé
à la 147ème place du classement du rapport 2017 de la Banque
Mondiale, ce qui constitue un gain de 31 places en 3 ans163. Au
reste, mentionnons que le Rapport « Africa Attractiveness Index
» publié en mai 2017 par le Cabinet Ernest & Young, classe
le Sénégal 9ème économie la plus attractive pour
les investisseurs en 2016, parmi 46 pays africains164.
L'approche économique du droit du travail est à
l'oeuvre. M. Hammouda avait entièrement raison en affirmant, en 1998,
que dans les années à venir, la loi du marché et la
libéralisation économique continueront à être au
centre de l'évolution des relations professionnelles au
Sénégal165. Désormais il n'est plus saugrenu de
paraphraser Levasseur en disant que c'est à l'aune de son droit du
travail que l'on juge du degré d'ouverture de l'économie d'un
pays166. Il convient dès lors de s'intéresser à
la facette cachée d'un droit du travail tournée vers
l'économie : la consistance des prérogatives patronales.
161 Il s'agit des rapports doing business de la banque
mondial.
162 Doing Business Comparaison des Réglementations
S'appliquant Aux Entreprises Locales Dans 190 Économies 2017, p. 5,
http://www.doingbusiness.org/content/dam/doingBusiness/media/Annual-Reports/Foreign/DB17-Mini-Book-French.pdf,
consulté le 23 novembre 2018.
163
https://www.lejecos.com/CLASSEMENT-DOING-BUSINESS-Le-Senegal-a-gagne-31-places-en-3- ans_a10719.html,
consulté le 23 novembre 2018.
164
https://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/ey-attractiveness-program-africa-2017-connectivity- redefined/$FILE/ey-attractiveness-program-africa-2017-connectivity-redefined.pdf,
p. 16, consulté le 23 novembre 2018.
165 H. B. HAMMOUDA, Les théories du post-ajustement :
quelques pistes de recherche pour les économies africaines, Codestria,
Dakar, 1998 cité par M. SAMB, op. cit.
166 J. L. CORREA, op. cit., p. 228.
37
Section 2 : Le renforcement des prérogatives
patronales
Pour favoriser la promotion de l'entreprise et donc de
l'emploi, il fallait alléger les règles du droit du travail
jugées trop rigides. La flexibilité a été brandie
comme une réponse à la rigidité du code du
travail167. Elle est apparue comme la panacée pour
réaliser les performances nécessaires à une plus grande
compétitivité de l'économie. Ces performances
économiques supposent, en effet, une plus grande souplesse dans la
gestion des droits des travailleurs et l'émergence d'un droit du travail
libérale plus adapté à la crise économique et
financière168. Le législateur sénégalais
s'est inscrit dans cette démarche. Par une flexibilité dite
d'adaptation169, il a procédé à un renforcement
des prérogatives patronales quant au recrutement (paragraphe 1) et
à la rupture (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Quant au recrutement
La flexibilité serait l'aptitude d'un système
juridique de relations professionnelles à adapter ses normes aux
contingences économiques, d'ordre conjoncturel et structurel et aux
particularismes professionnels et techniques à
l'entreprise170. Le législateur sénégalais a
décidé de réformer son droit du travail afin de rendre
plus performant son économie à travers la flexibilité. Le
renforcement des prérogatives patronales quant au recrutement s'est donc
fait à plusieurs niveaux qu'il convient d'évoquer.
? L'assouplissement du contrat à durée
déterminée
En premier lieu, le législateur s'est attaqué
à l'emploi permanant. L'article 35171 du code du travail a
été ciblé. En effet, Jusqu'en 1987, il résultait de
ce texte que le contrat de travail à durée
déterminée ne pouvait être conclu plus de deux fois entre
les même parties, ni être renouvelé plus d'une fois. La
sanction de cette règle substantielle était, sous réserve
d'exceptions que l'on pouvait considérer comme mineures (dockers,
journaliers, saisonniers),
167 I.Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à
l'ajustement juridique », op. cit., p. 119.
168 Ibid.
169 On distingue la flexibilité d'adaptation de la
flexibilité de dérégulation totale. La première
s'efforce, par méthodes douces, à conformer les normes existantes
aux conditions économiques d'ordre conjoncturel ou structurel. Le Code
du travail de 1997 semble s'inscrire dans cette perspective car elle se limite
à consacrer une dérégulation partielle, en particulier,
l'emploi. La flexibilité de dérégulation totale, comme son
nom l'indique, tend à assimiler le travail à une marchandise
soumise à la loi de l'offre et de la demande. C'est un retour pur et
simple au droit civil. On a le cas du Chili à titre illustratif. (I.Y.
NDIAYE, M. SAMB, op. cit., pp. 119, 120).
170 Définition tirée de l'article de I.Y. NDIAYE
et M. SAMB, op. cit, p. 120 ; D'autres y voient : la capacité des
entreprises de réagir rapidement aux stimulants du marché ou aux
décisions de gestion interne dans un but de rationalisation (M. DIOP, La
flexibilité de l'emploi en droit du travail français et
sénégalais, Googlebooks, 1996).
171 Il s'agit de l'article L42 du code du travail actuel.
38
la conversion par majoration172. Les tentatives
d'abrogation de ce texte furent rejetées par les syndicats de
travailleurs173. Les autorités durent alors se
résoudre à greffer, en 1989174, des exceptions
supplémentaires. Il s'agit de l'intérim et du recrutement pour
surcroît d'activités.
Par ailleurs, les entreprises naissantes ou qui s'agrandissent
ayant également besoin d'une certaine flexibilité
opérationnelle, une autre loi de 1989175 institue un
régime dérogatoire au profit de toutes les entreprises
agréées au bénéfice des dispositions du code des
investissements. Les entreprises bénéficiant de la
dérogation étaient de trois sortes : les entreprises
agréées installées dans la zone franche
industrielle176, les petites et moyennes entreprises et les
entreprises ayant une vocation ou une structure
spécifique177. La dérogation en question était
en considération de la législation du travail en matière
de licenciement pour motif économique et en matière de contrat
à durée déterminée178. S'agissant du
licenciement pour motif économique, cette dérogation soustrayait
les entreprises agréées de la procédure instituée
par l'article 47 paragraphe 3 de code du travail de l'époque. Le
régime qu'il mettait en place reposait sur un mécanisme
d'autorisation administrative avec consultation des
délégués du personnel et un ordre des licenciements
précis. La suppression de l'autorisation administrative en cas de
licenciement pour motif économique a donc été
consacrée pour ces dites entreprises179 afin de leur
conférer plus de souplesse. Pour ce qui est du contrat à
durée déterminée, le code du travail autorise, aux
entreprises agréées, la conclusion ou le renouvellement de
contrats à durée déterminée sans limite de nombre,
pour une durée de cinq années à compter de la date
d'agrément. Tout travailleur recruté dans cette période
est assimilé à un travailleur recruté pour surcroit
d'activité180.
172 I.Y. NDIAYE, « Le contrat de travail à
durée indéterminée, demain l'emploi ?, RASDP,
janvier-décembre 1996 n03-4, p. 75.
173 M. SAMB, op. cit. ; I. Y. NDIAYE, M. SAMB op. cit., p. 112
174 Il s'agit du décret n89-1122 du 15 septembre 1989
en application de la loi 87-20 du 18 aout 1987 cité I.Y. NDIAYE, M.
SAMB, op. cit.
175 Loi 89-31 du 12 octobre portant modification du code des
investissements cité I.Y. NDIAYE, M. SAMB, op. cit.
176 Cette zone a été créée par une
loi de 1974 dans le souci d'inciter les investisseurs étrangers à
venir s'installer au Sénégal moyennant certains avantages surtout
d'ordre fiscal et douanier. (I.Y. NDIAYE, M. SAMB, op. cit, p. 108)
177 Cette dernière catégorie englobe les
entreprises participant activement au développement technologique, les
entreprises valorisant les ressources locales et les entreprises
décentralisées.
178 A.C. NIANG, Le droit du travail sénégalais
entre ambigüité et ambivalence, Annales africaines, Nouvelle
Série, Volume 2, Décembre 2015, p. 89
179 I.Y NDIAYE, M. SAMB, op. cit., p. 108
180 Y. BODIAN, « précarité de l'emploi en
droit du travail sénégalais », Nouvelles annales africaines,
2013, p. 302 ; A.C. NIANG, op. cit., p. 89 ; I.Y. NDIAYE, op. cit., p. 77.
39
? L'institution de nouvelles formes d'emploi
précaire
L'objectif de renforcement des prérogatives patronales
pour plus de flexibilité s'est réaffirmé avec le code de
1997 avec l'institution de nouvelles formes d'emploi inspirées du droit
français. La loi étend considérablement les pouvoirs de
l'employeur avec la consécration du contrat à durée
déterminée d'usage et du travail à temps partiel.
S'agissant du contrat à durée
déterminée d'usage, il a pour support textuel l'article L43 du
code du travail de 1997. L'article en question institue une autre
dérogation au régime du contrat à durée
déterminée. La requalification n'étant donc plus une
épée de Damoclès qui pèse au-dessus de la
tête de certains employeurs. Le texte affirme que la conclusion de plus
de deux fois ou le renouvellement plus d'une fois d'un CDD ne s'appliquent pas
aux « travailleurs engagés par des entreprises relevant d'un
secteur d'activité dans lequel il est d'usage de ne pas recourir au
contrat à durée indéterminée en raison des
caractéristiques de l'activité exercée, lorsque l'emploi
de ces travailleurs est par nature temporaire ». La liste desdites
entreprises a été effectivement établie en 2008 par un
arrêté ministériel181. Ce texte cite des
secteurs et activités qui vont des activités de spectacle, de
sport ou de loisir à celle des chantiers de réparations navales.
Les secteurs concernés englobent le bâtiment et travaux publics,
l'agriculture et l'agro-industrie, le tourisme et les
télécommunications. Cette large palette d'entreprises est ainsi
exclue du régime rigoureux du contrat à durée
déterminée pour leur accorder une plus grande souplesse dans un
environnement économique hostile.
Pour ce qui est du travail à temps
partiel182, connu dans la pratique sous la désignation de
travail à mi-temps, son support textuel est l'article L137. Ce dernier
dispose dans son alinéa 2 que « sont considérés comme
horaires à temps partiel les horaires inférieurs d'au moins un
cinquième (1/5) à la durée légale de travail ou
à la durée fixée conventionnellement (...) ».
L'employeur a, dans ce système, la liberté d'organiser le travail
à temps partiel183 sans porter atteinte aux droits
individuels et collectifs des salariés, notamment à la
rémunération184. Le contrat de travail des
travailleurs à temps partiel doit, en principe, être
constaté par un écrit, mais l'employeur se voit aussi reconnaitre
la possibilité d'«imposer le travail partiel, par une
181 ARRETE MINISTERIEL n° 1887 en date du 6 mars 2008
fixant la liste des secteurs d'activité dans lesquels il est d'usage de
ne pas recourir au contrat à durée indéterminée.
182 J. JAVILLIER, op. cit., p. 213.
183 M. Miné, « Quand le droit favorise
l'augmentation et la flexibilité du temps de travail », La nouvelle
revue du travail [En ligne], URL :
http://journals.openedition.org/nrt/3234
mis en ligne le 03 novembre 2017, consulté le 29 novembre 2018.
184 I.Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou
flexibilisation du droit du travail », op. cit., p. 127.
40
modification des clauses du contrat initial
présentée comme une mesure de substitution au licenciement
économique185.
Le renforcement des prérogatives patronales se poursuit
également à travers la rupture du contrat de travail.
Paragraphe 2 : Quant à la rupture
Il faut rappeler que le droit du travail a
conféré des pouvoirs très étendus, sous
réserve du respect des lois et règlements, aux employeurs pour la
gestion de leur entreprise. Il s'agit du pouvoir de direction, du pouvoir
disciplinaire ainsi que du pouvoir réglementaire186. Le
pouvoir de direction confère au chef d'entreprise les
prérogatives les plus élargies sur le salarié, dont il
organise la carrière professionnelle au sein de l'entreprise, du
recrutement au licenciement ou au départ à la retraite. Dans une
démarche de flexibilisation des normes du droit du travail jugé
trop rigides, le législateur sénégalais, a élargi
la marge de manoeuvre des entreprises quant à la rupture Cette
flexibilité se justifie par le fait que, dans un contexte ou
l'environnement économique et financière de l'entreprise est en
constante évolution, il convient de doter à celle-ci des moyens
afin de s'adapter à ce contexte187. A ce titre, le
législateur a libéralisé le droit du licenciement tant
ordinaire qu'économique, ensuite, institué le chômage
technique puis, légaliser les départs volontaires qui
étaient déjà assez rependus, le tout, sous le manteau de
la flexibilité de l'emploi.
Pour ce qui est du licenciement pour motif
économique, c'est une forme de licenciement qui a connu une
évolution en dents de scie188. En 1961, l'employeur devait
seulement informer les délégués du personnel de son
intention de licencier pour motif économique et le dernier mot lui
revenait. En 1977, la loi avait renforcé considérablement la
protection des travailleurs en introduisant la procédure d'une
autorisation préalable de l'Inspecteur du Travail. En 1983, il eut le
renforcement de la procédure de licenciement par la consultation des
délégués du personnel, l'autorisation de l'inspection du
travail et le recours possible contre la décision de l'inspecteur du
travail. En 1997, on est revenu à la législation de 1961,
à savoir la simple information des délégués du
personnel mais, cette fois ci, accompagné de la consultation de
l'Inspecteur du Travail qui ne peut plus s'opposer au licenciement pour motif
économique189. Désormais, l'on ne dira plus qu'au
Sénégal on divorce plus facilement d'avec sa femme qu'on ne se
séparer de
185 Ibid.
186 Voir supra (Para. 2 chap. 1 de la première partie).
187 J.C. JAVALLIER, Le patronat et les transformations du droit
du travail, Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p.
207 cité par Y. BODIAN, op. cit.
188 A. KANTE, op. cit., 113.
189 Ibid.
41
son employé190. L'entreprise ayant acquis
l'adaptation du facteur travail et de sa rémunération aux
variations de la demande et des conditions de concurrence subies.
S'agissant du licenciement de droit
commun191, avant l'avènement du nouveau code du
travail en 1997, tout licenciement effectué sans respect de la
procédure était considéré comme abusif même
si le motif était légitime. L'innovation majeure apportée
par le Code de 1997, c'est l'assouplissement des règles du licenciement,
plus exactement la sanction des règles de forme. Désormais,
lorsque l'employeur ne procède pas à une notification
écrite, ou lorsqu'il omet d'indiquer le motif du licenciement, la loi
décide que la violation de ces conditions de forme n'entraîne pas,
ne donne pas au licenciement un caractère abusif (article L51 code du
travail). Si le licenciement d'un travailleur survient sans observation de la
formalité de la notification écrite ou de l'indication du motif,
ce licenciement irrégulier en la forme ne peut être
considéré comme abusif. Tout au plus, ajoute la Loi, le Tribunal
peut-il accorder une indemnité pour sanctionner l'inobservation des
règles de forme. Cette relativisation pourrait s'expliquer
aisément. En effet, il faut reconnaitre que le licenciement
irrégulier, contrairement au licenciement abusif, sanctionne par
définition, le non-respect d'une règle de forme, donc d'une
simple formalité192. Or, on s'accorde de nos jours à
reconnaitre que le non-respect d'une condition de forme s'avère beaucoup
moins dramatique que celui d'une condition de fond. Il s'agit là
manifestement d'une rupture, mais une rupture qui consacre un recul, parce que
de tout temps, la Jurisprudence considérait que la violation des
règles de forme faisait du licenciement un licenciement
abusif193. La légitimité concerne dorénavant le
fond et non la forme. Dans ce sens, des juges du fond avaient rejeté une
demande d'indemnisation faite par un groupe de salariés dont les
licenciements prononcés pour motif légitime, étaient
déclarés abusifs uniquement pour vice de forme. Pour parvenir
à ce rejet, les juges avaient estimé que le licenciement abusif
du seul fait de la procédure n'ouvrait pas droit à
réparation si le salarié ne
190 Voir la note de bas de page n105, J.L. CORREA,
l'éclairage sur un acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme
relatif au droit du travail, op. cit., p. 226.
191 Sur l'ensemble de cette question, voir I.Y. NDIAYE, «
Droit du travail sénégalais et transfert de normes »,
Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, 2005, pp. 165 à 176.
192 N. NDOYE, Le licenciement pour motif personnel en France
et au Sénégal, thèse de doctorat, Université de
Strasbourg, soutenu le 20 avril 2012, p. 316
193 Cass. Soc. 25 novembre 1998, M. WADE c/ A. NDlAYE.
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du Sénégal.
Chambre sociale, année judiciaire 1998/1999, p. 13. Adde. Casa.
Soc, 9 décembre 1998, La Palmeraie Ndiogonal c/ Y. BATHILY, à
propos d'un licenciement considéré comme abusif pour absence de
lettre de licenciement, Bulletin précité, p.19 et s. cité
par N. NDOYE, Le licenciement pour motif personnel en France et au
Sénégal, thèse de doctorat, Université de
Strasbourg, soutenu le 20 avril 2012, pp. 316 - 317.
42
prouvait pas que l'irrégularité lui avait
causé un préjudice ; position que la Cour de cassation n'a pas
hésité à entériner194.
Au reste, mentionnons l'institution du chômage
technique195 par le code 1997 et qui permet à
l'employeur de suspendre les contrats de travail de tout ou partie de son
personnel, après consultation des délégués du
personnel, en cas de nécessité d'une interruption collective
résultant de causes conjoncturelles et accidentelles196. Il
s'agit notamment des accidents survenus au matériel, d'une interruption
de la force motrice, d'un sinistre, des intempéries, d'une
pénurie de matières premières d'outillage ou de moyens de
transport (art. L. 65 C. trav.)197. A défaut de convention
collective ou d'accord d'établissement, l'inspecteur du travail doit
être préalablement informé des mesures
envisagées.
Enfin, relevons le départ volontaire
qui était déjà rependu avant l'avènement
du code de 1997 qui n'est d'ailleurs venu que pour le reconnaitre et le
consacrer.
Toute cette effervescence législative depuis
l'avènement de la prise en compte de l'intérêt de
l'entreprise et qui se poursuit jusqu'à nos jours198, a
profondément marqué la droit du travail sénégalais
qui s'est vu contraint d'adapter voire d'amoindrir sa finalité
protectrice. La flexibilité à « sens unique » de
protection199 n'est plus à l'ordre du jour. Le droit du
travail se doit de ne pas compromette l'emploi, il doit maintenant concilier
finalité originelle et promotion de la compétitivité de
l'entreprise. L'essence du droit du travail n'étant désormais ni
la défense des intérêts des salariés, puisqu'il peut
être utilisé au bénéfice des entreprises, ni le
camouflage hypocrite des rapports de force, puisqu'il peut être
utilisé au bénéfice des salariés200.
Mais cette ambiguïté prononcée de sa finalité est
lourde de conséquence et d'un cout social élevé pour le
salarié.
194 Cass. Soc. 9 février 2000. M. DIOP et K. DIOP c/
IPM Groupe MIMRAN, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du
Sénégal, Chambre sociale, année judiciaire 1999/2000, p.
39. Cité par N. NDOYE, op. cit., pp. 316317.
195 Voir A.C. NIANG, Le droit du travail sénégalais
entre ambigüité et ambivalence, op. cit., p. 90
196 A. KANTE, op. cit., p. 92
197 Toutefois, l'employeur, qui sous prétexte de mettre
ses travailleurs en chômage technique conformément aux
dispositions de l'article L.65 du C.T., vend son outil de travail commet un
licenciement abusif Voir dans C.A. de Dakar, Arrêt n° 274 du 5 avril
2011, Massaer BA et autres c/ SOCA, Bull. 2013, vol. n°1, p.268.
198 Voir article de J.L. CORREA, l'éclairage sur un
acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme relatif au droit du travail,
op. cit., p. 229, s.
199 Expression emprunté à J-C. JAVALLIER, op. cit.,
p. 103
200 N. Claude, thèse précitée, p. 18
43
CHAPITRE 2 : LA PORTEE DU CHANGEMENT DE PERSPECTIVE
Une sociologue constatait que le lien entre flexibilité
et compétitivité n'a jamais été
démontré dans les travaux scientifiques, qu'en revanche, le lien
entre travail de qualité et compétitivité ou entre
qualité de vie au travail et compétitivité l'est. Que
c'est en fidélisant leurs salariés, en les formant et en
s'appuyant sur leurs expertises que les entreprises seront plus productives et
compétitives, pas en les précarisant davantage201. Il
devient donc légitime de se demander si la flexibilité de
l'emploi améliore-t-elle réellement l'emploi ? Rien de robuste ne
permet de l'affirmer202. Par contre, le recul de l'ordre public
social, lui, est bien perceptible (Section 1) à plusieurs niveaux,
lequel recul qui place le droit du travail sénégalais en
déphasage avec les aspirations de l'OIT (section 2).
Section 1 : Le recul de l'ordre public social
Le renforcement de la protection de l'entreprise passe
inévitablement par un recul de la protection des
salariés203 par voie de conséquence un recul de
l'ordre public social. Or, Flexibilité rime avec montée de la
précarité. Cette précarité accrue (paragraphe 1) a
fini par entrainer une atténuation voire une absence de protection des
salariés (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'aggravation de la précarité
de l'emploi
La notion de précarité de l'emploi renvoie
à un phénomène multidimensionnel, dont la
définition diffère selon les auteurs (chercheurs, praticiens de
la sphère sociale, statisticiens, sociologue). La
précarité est liée en effet à plusieurs notions
connexes : la pauvreté, l'instabilité,
l'insécurité, le chômage, l'exclusion. Utilisée par
les syndicats, les associations, les hommes politiques, la
précarité est devenue une catégorie « politique
», difficile à enfermer dans une définition204.
Ainsi, l'acception de la notion de précarité est devenue
très large, ce qui entretient une certaine confusion et rend difficile
d'aboutir à des mesures précises. Monsieur Serge
PAUGAM205 éclaire néanmoins notre lanterne sur cette
notion. Il distingue précarité de
201 C. KORNIG, La précarité de l'emploi
peut-elle être un projet de société ?, [en ligne], LEST.
URL:
http://www.lest.cnrs.fr/IMG/pdf/loitravail_cathel_kornig.pdf,
consulté le 1 déc. 2018.
202 C. RAMAUX, « Flexicurité : quels enjeux
théoriques ? », Économie et institutions [En
ligne], 9 | 2006, mis en ligne le 31 janvier 2013, consulté le 09
décembre 2018. URL :
http://journals.openedition.org/ei/368.
203 Roch D. Gnahoui, Intérêt de l'entreprise et
droit des salariés, Rsda, Janvier - Juin 2003 cité par C. KORNIG,
op. cit.
204 J. Baptiste de Foucauld, La précarité de
l'emploi [en ligne], Conseil national de l'information statistique (FR),
URL:
https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2017/12/DPR_2008_12e_reunion_GT_emploi_precarite_emploi.pdf,
avril 2008, consulté le 3 décembre 2018, p. 1
205 Dans son ouvrage S. PAUGAM, Le salarié de la
précarité, PUF, 2007 cité par J. Baptiste de Foucauld, op.
cit. p. 3
44
l'emploi et précarité du travail. La
précarité du travail renvoie à des situations où le
travail est sans intérêt, mal rétribué, faiblement
reconnu dans l'entreprise tandis que la précarité de l'emploi
correspond, selon lui, au fait de ne pas pouvoir prévoir son avenir
professionnel, ni assurer durablement sa protection sociale. Les
critères à prendre en compte sont au nombre de trois,
durabilité de la relation d'emploi, unicité de l'employeur,
niveau des revenus. Les personnes en CDD, les intérimaires, les
contractuels et vacataires de la Fonction publique, les intermittents, les
jeunes en apprentissage, les stagiaires et les personnes en contrats
aidés ont un statut précaire, défini par le contrat
particulier qui les relie à leurs employeurs. Dans leur cas, la
précarité de l'emploi se définit à partir de la
nature du contrat de travail. Les personnes à temps partiel ou en
sous-emploi sont aussi considérées en emploi précaire :
c'est l'insuffisance de leurs revenus qui les classe dans cette
catégorie. Enfin, les personnes qui sont en CDI à temps plein,
mais qui risquent d'être licenciées, ont aussi un emploi
précaire car la relation d'emploi risque de ne pas être
durable206.
Le conditionnement économique du droit du travail
sénégalais à l'écho des discours sur la
flexibilité a favorisé le développement de la
précarité et de sa généralisation suite aux
diverses mesures législatives ou réglementaires dans les codes de
1961 et de 1997 qui ont contribué à l'éclatement de la
collectivité des salariés dans leurs perspectives d'adaptation
à la nouvelle donnée économique mondiale207. De
plus en plus de salariés sont licenciés en masse, les nouvelles
méthodes de gestion de la main d'oeuvre confèrent à
l'employeur la souplesse la plus absolue dans la gestion du facteur travail qui
est maintenant considéré comme instrument de transfert des
risques pesant sur l'entreprise vers les salariés208. La
précarité de l'emploi consécutive à ces
différentes réformes est aujourd'hui aggravée par les
nombreux abus que l'on observe dans le contrat à durée
déterminée sous le couvert du surcroit d'activité et de
l'intérim.
Jadis, la conversion par majoration faisait obstacle à
la conclusion de plus de deux fois ou au renouvellement plus d'une fois d'un
CDD, à l'exception des journaliers, saisonniers et dockers. En
1989209, les deux autres exceptions ajoutées ont
repoussé les limites de la précarité. Il s'agit de
l'intérim et du recrutement pour surcroit d'activité. La grande
permissivité de ces exceptions instituées dans le dessein de
permettre aux employeurs de recruter sans grandes contraintes s'est
206 Ibid.
207 S. DIALLO, Profil national de droit du travail : le
Sénégal [en ligne], OIT Document, juin 2011, URL :
https://www.ilo.org/ifpdial/information-resources/national-labour-law-profiles/WCMS_158865/lang--fr/index.htm,
consulté le 3 décembre 2018.
208 M. MINE, « Quand le droit favorise l'augmentation et la
flexibilité du temps de travail, op. cit.
209 Voir supra (première partie de cette étude)
45
rapidement transformée en portail210
cédant la voie aux abus de toute sorte. Le tout, sans parler du
salarié recruté sur la base d'un contrat à durée
déterminée d'usage qui, dans le contexte juridique actuel, peut
être maintenu dans la précarité toute sa vie
professionnelle du fait de la souplesse extrême de ce contrat au profit
d'une liste plutôt longue d'entreprise211.
D'abord, le travail
intérimaire212. Institué pour remédier
au déficit de personnel résultant d'absences autorisées de
certains salariés, l'intérim a été vite
détourné de son objet. Pour compléter l'effectif du
personnel, l'employeur a la latitude de recruter directement le personnel dont
il a besoin mais, il recourt souvent à société de
placement de main d'oeuvre d'où la prolifération des entreprises
de travail temporaire213. Le travail temporaire est l'expression
juridique qui vise ce que la pratique nomme le plus souvent travail
intérimaire214 et instaure une relation triangulaire de
travail plaçant souvent le salarié dans une situation très
délicate, toute perspective de carrière obstruée. La
nouvelle pratique des entreprises consiste à contractualiser avec ces
sociétés « écran » qui foisonnent au
Sénégal et contribuant, pour la plupart, à
précariser d'avantage l'emploi. Elles font des retenues illégales
et des contrats secrets avec les entreprises en totale ignorance du
travailleur215. Ainsi, elles bouchent les perspectives de
carrière de beaucoup de jeunes diplômés216
obligés d'accepter des contrats bidons et des conditions de travail
indécentes. Il s'agit d'un mode de domination qui « contraint
les travailleurs à la soumission, à l'acceptation de
l'exploitation »217.
Ensuite, nous retrouvons le recrutement pour surcroit
d'activité. Ce type de recrutement évolue dans une
totale incertitude. La doctrine a dénoncé l'imprécision de
la notion de surcroit d'activité218 que le législateur
ne définit pas219. Toutefois le véritable
problème est la réalité du surcroit d'activité.
Nombre sont les entreprises qui profitent de l'imprécision de la notion
de
210 A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis
à l'interdit », Annales africaines, Nouvelle Série, Vol. 2,
Décembre 2017, p. 97.
211 Sur l'ensemble de cette question voir Y. BODIAN, «
Précarité de l'emploi et droit du travail
sénégalais », op. cit., pp. 303-307.
212 Sur l'ensemble de cette question voir : Les agences
d'emploi privées, les travailleurs intérimaires et leur
contribution au marché du travail, Document BIT, Généve,
2009, 73p.
213 Du fait de leur grand nombre, le président de
l'union sénégalaise des entreprises de travail temporaire
(Usett), affirmait, en 2010, que les entreprises de travail temporaire
mettaient plus 100 000 emplois chaque année sur le marché du
travail. URL :
http://www.servicepublic.gouv.sn/index.php/demarche_administrative/actu/2/1116,
consulté le 4 décembre 2018.
214 E. PESKINE, C. WOLMARK, op. cit., p. 136.
215 B. CISS, La précarisation de l'emploi en roue libre
au Sénégal, avril 2010, [en ligne] URL :
https://www.pressafrik.com/La-precarisation-de-l-emploi-en-roue-libre-au-Senegal_a27748.html,
consulté le 4 décembre 2018.
216 Voir aussi A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis
à l'interdit », op. cit. p. 113.
217 J. Baptiste de Foucauld, La précarité de
l'emploi [en ligne], op. cit, p. 3.
218 A. C. NIANG, op. cit.
219 En principe cette situation correspond à une
augmentation du niveau de production telle qu'il soit nécessaire de
renforcer le personnel habituellement occupé dans l'entreprise pour
respecter les délais d'exécution. (A.C. NIANG, op. cit.)
46
surcroit d'activité et de l'absence d'outils de mesure
permettant d'apprécier le caractère exceptionnel du surcroit
d'activité pour surexploiter les salariés déjà dans
une situation très délicate. Ce qui participe de l'aggravation de
la précarité déjà organisée par la loi.
Par ailleurs, la formation professionnelle
constitue également un point important dans la question de
l'aggravation de la précarité. Ayant été mise en
place dans une perspective d'accorder à l'entreprise plus de
facilité dans le recrutement220 et d'assurer aux jeunes
diplômés221 ou jeunes issus de l'enseignement
général ou n'ayant pas bénéficié d'une
instruction académique une préparation à l'entrée
dans le marché du travail222, la formation professionnelle a
été souvent détournée de son objet.
Nombre de stagiaires évoluaient en dehors du cadre
légal, occupant souvent, sous le couvert d'un contrat de stage, des
emplois à temps plein qui se prolonge dans la durée sans
régularisation de leur situation intrinsèquement précaire.
Ils n'avaient aucun statut professionnel et faisaient l'objet de tous les abus.
L'intervention d'une réglementation plus poussé en
2015223 instaure une lueur d'espoir mais reste à voir si ces
nouvelles exigences vont freiner les pratiques abusives, ce dont une certaine
doctrine224 doute légitimement du fait de la
quasi-inexistence voire l'absence de contrôles administratifs faute de
moyens de l'administration de travail et de pouvoir de sanction de l'inspecteur
du travail.
Avec les apprentis c'est à peu près le
même scénario. Souvent considéré comme occupant un
vrai emploi, le rapport avec l'employeur, soit disant formateur, est souvent
très énigmatique, les contours flous, pas tout à fait un
contrat de travail parce que presque ou pas du tout
rémunéré, pas tout à fait un contrat
d'apprentissage car formateurs ou apprentis ignorent souvent l'existence d'une
réglementation en la matière225. Un décret de
2016226 réglemente désormais le contrat
d'apprentissage. Toutefois, l'abondance et la rigidité observées
dans les règles peuvent malheureusement amplifier la réticence et
les difficultés des entreprises à se conformer aux
règles227.
220 A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à
l'interdit », op. cit., p. 99
221 Exposée de motifs de la loi n2015-04 du 12
février 2015 portant réforme de certaines dispositions du code du
travail ; J.O. N° 6856 du samedi 20 juin 2015.
222 Rapport de présentation du décret n2016-263
du 22 février 2016 fixant les règles applicables au contrat
d'apprentissage ; J.O. N° 6932 du samedi 30 avril 2016
223 Loi sur le stage précité et son
décret d'application (décret n2015-777 fixant les règles
applicables au contrat de stage)
224 Cf. A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis
à l'interdit », op. cit., p. 103.
225 Ibid.
226 Décret précité sur le contrat
d'apprentissage.
227 A.C. NIANG, op. cit.
47
Cette constellation de précarité à
laquelle s'ajoutent les nombreux abus que l'on observe, de nos jours, dans les
contrats d'engagement à l'essai228 où nombre
d'employeurs détournent sciemment l'objet, ne fait qu'amplifier
l'affaiblissement de la protection accordée aux salariés.
Paragraphe 2 : L'affaiblissement de la protection des
salariés
A bien des égards, l'on pourrait assimiler
précarité de l'emploi et affaiblissement de la protection des
salariés, mais relevons, pour lever toute équivoque, que
précarité de l'emploi et affaiblissement de la protection des
salariés sont deux notions différentes mais connexes. L'une
entraine l'autre. La notion de précarité de l'emploi renvoie
à l'absence de sécurité résultant de la nature
intrinsèquement précaire et instable de l'emploi. Un emploi
précaire se définit souvent par le type de contrat. Tout contrat
de travail dérogeant au contrat à durée
indéterminée et à un temps plein est un emploi
précaire (contrat à durée déterminée,
intérim, le temps partiel). En revanche, parler d'affaiblissement de la
protection des salariés évoque la question des garanties
sociales. La précarité entraine une absence de protection sociale
efficace et effective des salariés. Dans cette perspective,
affaiblissement de la protection des salariés signifie affaiblissement
des droits sociaux et déficit d'intégration
sociale229.
Outre l'anéantissement de toute perspective de
carrière pour le salarié, du fait de la fragmentation de la vie
professionnelle qu'elle suscite, la précarité n'a pas encore fini
de montrer sa mauvaise fortune. En effet, être en emploi précaire
fragilise d'abord l'accès aux droits sociaux. Être en contrat
à durée déterminée ou en intérim fait de
vous un salarié de seconde zone dans l'entreprise230. Si dans
les textes, l'égalité de traitement est affirmée, dans la
pratique, cette égalité de traitement est le plus souvent
contournée. Les textes proclament que tous les salariés, quel que
soit leur statut, ont les mêmes droits à la syndicalisation et
à la représentation au sein de l'entreprise mais dans la
réalité comment oser prétendre revendiquer ses droits
lorsque l'on attend un CDI dans l'entreprise ? Comment s'afficher
représentant du personnel lorsque l'on est intérimaire ? La peur
de se syndiquer ou l'attente d'un contrat stable pour le faire, est plus
fortement ancrée dans les emplois courts231. Les CDD ou les
intérimaires
228 Sur cette question voir Y. BODIAN, «
Précarité de l'emploi et droit du travail
sénégalais », op. cit., p. 321 à 328.
229 M. Nanteuil-Miribel, Les dilemmes de l'entreprise
flexible, IAG - LSM Working Papers, 2012, [en ligne], URL :
http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/iag/documents/WP_61_denanteuil.pdf
, consulté le 2 décembre 2018, p. 21
230 Expression métaphorique empruntée à
la professeure A.C. NIANG qui soulignait la différence flagrante entre
employés permanents et employés temporaires, relevant qu'il y
avait un mur entre ces deux catégories de salariés. Elle les
compare ensuite, de citoyens et de citoyens de seconde zone dans l'entreprise
(A. C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à l'interdit
», op. cit., p. 117)
231 C. KORNIG, op. cit.
48
ne se syndiquent pas ou peu par peur de ne pas être
embauchés définitivement. Le personnel sur contrat temporaire est
donc dans une relation de dépendance telle qu'il leur est le plus
souvent impensable de contester les décisions ou revendiquer une
amélioration de leur sort. Cela se traduit par un taux de
syndicalisation quasiment nul parmi les salariés en CDD ou en
intérim et cela permet donc d'avoir une main-d'oeuvre « docile
» et « malléable » à souhait232. La
précarisation est un moyen parfait pour affaiblir les syndicats et
éviter les grèves et les employeurs l'ont bien compris. De
surcroit, sur bien des sujets, les salariés en contrats temporaires sont
exclus par un effet d'ancienneté minimum requis ou de non
priorité dans l'entreprise malgré les dispositions
particulières233 les concernant.
Malgré leur situation alarmante, ces salariés ne
bénéficient que rarement de l'appui d'une organisation syndicale
ad-hoc, pouvant les aider à connaître leurs droits et à les
faire appliquer. Les intérimaires n'ont aucune sécurité
sur le plan économique et juridique. Ils ne peuvent défendre
leurs intérêts personnels que de façon individuelle lorsque
l'entreprise use de leur prestation de manière discontinue mais
régulière. Les revendications portées par l'action
collective ne concernent que le personnel permanent car « ceux qui ont
la légitimité de parler au nom des salariés ne peuvent se
hasarder à défendre la cause de ceux qui viennent peut-être
menacer leurs propres emplois à la faveur ou au prétexte d'une
politique de partage de l'emploi » soulignait la professeure Aminata
Cissé NIANG. Ce qui explique, sans doute, au Sénégal,
l'inertie des syndicats par rapport à la question de la
sécurité234. Il faut même relever pour le
déplorer que le régime de retraite ne concerne que les
travailleurs sous contrat à durée
indéterminée235 alors que le droit
sénégalais ne comporte aucun dispositif de garantie des revenus
en dehors de la relation de travail. Il n'existe aucun dispositif légal
d'indemnisation du chômage. Or, le contrat de travail à
durée indéterminée est devenu une denrée
rare236, certains vont même jusqu'à en faire
l'exception et le contrat à durée déterminée, le
principe en droit du travail sénégalais237.
232 Ibid.
233 DECRET n2009-1412 du 23 décembre 2009 fixant la
protection particulière des travailleurs temporaires ; J.O. N° 6518
du Samedi 27 MARS 2010.
234 A. C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à
l'interdit », op. cit., p. 116.
235 Ibid.
236 A.C NIANG, « Le droit du travail
sénégalais entre ambiguïté et ambivalence », op.
cit., p. 89.
237 Le professeur affirme que la souplesse de la
règlementation du CDD lui confère une certaine
prédominance sur le CDI et semble être la règle ces
dernières années. (Y. BODIAN, « Précarité de
l'emploi et droit du travail sénégalais », op. cit., p.
313).
49
Pis, on note l'absence de débat mais aussi de texte sur
le problème des intérimaires qui constituent une catégorie
professionnelle très vulnérable. Une enquête nationale sur
l'emploi238 constatait que la plupart des salariés n'ont pas
de protection sociale. La majorité des employés (un peu plus de
80%) ne disposait pas de protection sociale, particulièrement les
avantages liés à l'exercice des activités tels que les
congés annuels payés, les congés maladies
rémunérés, l'assurance maladie, les cotisations de
sécurité sociale, les congés de maternité ou de
paternité, l'assurance d'accidents de travail.
C'est sous ce visage renfrogné que se présente
le droit du travail sénégalais au salarié. Le travailleur
évolue dans une précarité criarde du fait d'un emploi
aujourd'hui envisagé comme une variable d'ajustement à la
conjoncture économique239. Ce qui ne manque de conduire
à un affaiblissement inquiétant de la protection due aux
salariés. Cet état de fait témoigne d'un certain
déphasage avec les exigences de l'organisation internationale du
travail.
Section 2 : Un déphasage avec les exigences de
l'OIT
Il est évident qu'à l'heure actuelle, tous les
discours sur l'emploi sont articulés autour du pacte mondial pour
l'emploi et les exigences du travail décent (paragraphe 1). La
flexicurité, ne pourrait-elle pas être un modèle pour
parvenir au travail décent pour les salariés (paragraphe 2) ?
Paragraphe 1 : La problématique du travail
décent
Le but fondamental de l'OIT aujourd'hui est que chaque femme
et chaque homme puissent accéder à un travail décent et
productif dans des conditions de liberté, d'équité, de
sécurité et de dignité240. Le concept de «
travail décent » - du moins exprimé sous cette forme -
apparaît pour la première fois en 1999, dans le rapport
présenté par le Directeur général à la 87e
session de la Conférence internationale du Travail241. Ce
terme embrasse dans leur totalité les aspects les plus divers de ce
qu'est le travail aujourd'hui et les synthétise dans une expression que
tout
238 Note d'informations sur les résultats de la
1ère Enquête Nationale sur l'Emploi au
Sénégal, Novembre 2015,
http://www.ansd.sn/ressources/publications/Resume_Resultats_ENES-2015.pdf,
p. 03, consulté le 6 décembre 2018.
239 I.Y. NDIAYE, « Droit du travail
sénégalais et transfert de normes », Bulletin de droit
comparé du travail et de la sécurité sociale, 2005, p.
168.
240 D. GHAI, « Travail décent : concept et
indicateurs », Revue internationale du Travail, vol. 142 (2003), no 2, p.
1. URL :
http://ilo.org/public/french/revue/download/pdf/ghai.pdf,
consulté le 7 décembre 2018.
241 Rapport directeur général : travail
décent, BIT, Genève, Juin 1999, URL :
https://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc87/rep-i.htm,
consulté le 8 décembre 2018.
50
le monde peut appréhender. Mais quel est le
véritable contenu de cette notion de « travail décent »
?
Dans le rapport que nous venons d'évoquer, il est
précisé que cette notion repose sur quatre piliers : l'emploi, la
protection sociale, les droits des travailleurs et le dialogue social. Le terme
« emploi » désigne ici le travail sous toutes ses formes et
dans ses aspects quantitatifs et qualitatifs. De ce fait, la notion de travail
décent ne s'applique pas seulement aux travailleurs de l'économie
formelle, mais aussi aux salariés en situation informelle et aux
personnes travaillant à leur compte ou à domicile. Le travail
décent, c'est également la possibilité d'accéder
à un emploi, une rémunération (en espèces ou en
nature) appropriée, la sécurité au travail et des
conditions de travail salubres. La sécurité sociale et la
sécurité du revenu en sont deux autres éléments
essentiels, dont la définition varie en fonction des capacités et
du niveau de développement de chaque société. Les deux
autres composantes ont principalement trait aux relations sociales des
travailleurs: d'une part, leurs droits fondamentaux (liberté syndicale,
nondiscrimination au travail, absence de travail forcé et de travail des
enfants); d'autre part, le dialogue social, grâce auquel ils peuvent
exercer leur droit de faire valoir leur point de vue, de défendre leurs
intérêts et de négocier avec les employeurs et les
autorités sur les questions relatives au travail242.
Il est donc difficile de donner une définition
englobant tous ces aspects mais on peut quant même dire que le travail
décent résume « les aspirations des êtres humains
au travail. Il regroupe l'accès à un travail productif et
convenablement rémunéré, la sécurité sur le
lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures
perspectives de développement personnel et d'insertion sociale, la
liberté pour les individus d'exprimer leurs revendications, de
s'organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et
l'égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et
femmes243 ».
Le profil pays du travail décent244
révèle que le Sénégal doit faire des efforts
importants pour améliorer son rang sur le travail décent.
242 D. GHAI, « Travail décent : concept et
indicateurs », op. cit.
243 Travail décent, OIT, URL :
http://www.oit.org/global/topics/decent-work/lang--fr/index.htm,
consulté le 8 décembre 2018.
244 Profil pays du travail décent SENEGAL, Bureau
international du Travail, Dakar: BIT, 2013.
51
Le taux de chômage demeure élevé (10,6%)
et la précarité des chômeurs est accentuée par
l'absence d'assurance chômage245. L'emploi demeure par
ailleurs essentiellement informel246, ce qui fait que les revenus
perçus sont essentiellement très bas. En effet, 77% des
travailleurs perçoivent de bas revenus et cette inégalité
est notable chez les hommes dont 82,5% perçoivent des bas niveaux de
revenus247. Par ailleurs, le salaire minimum interprofessionnel
garanti est maintenu au même niveau depuis 1966. Cette situation accentue
l'appauvrissement des travailleurs avec une incidence de la pauvreté de
49,1% en 2011248. Par ailleurs, des efforts restent à faire
dans le domaine de la stabilité et de la sécurité du
travail puisque seuls 17% des travailleurs disposent d'un CDI tandis que les
travailleurs sans contrat représentent 56,4% de la population
occupée249. Il convient donc de favoriser des réformes
qui tendent à limiter l'utilisation des contrats précaires et
interdire les successions injustifiées des contrats temporaires pour
préserver la sécurité des travailleurs et accorder plus de
flexibilité aux employeurs. Nous estimons également que le
législateur sénégalais devrait fortement encourager le
renforcement de la négociation collective et les syndicats pour
favoriser la signature d'accords interprofessionnels sur la stabilité de
l'emploi, mais aussi la conclusion de convention collective sur le salaire
minimum pour pallier et contre carrer la précarité pour plus de
protection. Les négociations seront donc déterminantes pour
arriver à une véritable sécurisation professionnelle.
S'agissant du temps de travail décent qui englobe les
personnes qui travaillent excessivement de longues heures à intervalle
régulier ; les personnes qui travaillent à temps partiel mais qui
souhaiteraient travailler davantage afin d'augmenter leur salaire, et
finalement, ces travailleurs qui ont pour principale préoccupation non
pas le nombre d'heure de travail mais plutôt leur aménagement :
les personnes travaillant de nuit, les week-ends, avec des horaires et des
rotations irréguliers250, seuls 33,2% des travailleurs
enquêtés en 2011 exercent leurs activités sur une plage
d'horaires décents (entre 40 et 48 heures par semaine)251.
245 Profil pays du travail décent SENEGAL, op. cit., p.
10.
246 Pour une étude exhaustive voir S. KANTEYE, Le
secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la promotion d'un
travail décent, BIT, Genève, 2002.
247 Profil pays du travail décent SENEGAL, op. cit., p.
10
248 Ibid.
249 Ibid.
250 S. KANTEYE, Le secteur informel en Afrique subsaharienne
francophone : vers la promotion d'un travail décent, BIT, Genève,
2002, p. 1.
251 Profil pays du travail décent SENEGAL, op. cit., p.
10
52
Les travailleurs bénéficiant d'une
sécurité sociale en 2011 sont peu nombreux du fait que
l'essentiel des travailleurs sont dans le secteur informel252.
L'IPRES, en charge de la pension de retraites, ne collecte les cotisations que
de 4% des travailleurs. Les cotisations à la CSS ne concernent que 2,8%
des travailleurs et une faible partie de ces travailleurs souscrivent à
une mutuelle de santé (3%) ou à un autre système de
sécurité (0,7%)253.
Au regard de tous ces données, on note que
l'idéal de travail décent promu par l'OIT est loin d'être
atteint par le Sénégal qui devrait encore faire des efforts sur
ce point pour se mettre en phase avec les exigences de l'OIT à travers
le travail décent et le pacte mondial pour l'emploi254.
Mais au-delà de ces aspirations, peut-on trouver une forme
de flexibilité qui, en assurant la sécurité du
salarié, ne mènerait pas à la pauvreté et à
la précarité ? Oui ! La flexicurité.
Paragraphe 2 : Le recours à la Flexicurité :
un modèle en devenir
Le droit du travail sénégalais s'inscrit dans un
contexte où l'on note une nécessité de repenser le statut
du travailleur qui est dans un contexte de précarité et de
discontinuité de l'emploi. Ayant d'abord consacré la
flexibilité, le droit du travail sénégalais ne pourrait
méconnaitre la flexicurité255 qui pourrait être
un moyen de parvenir à un travail décent pour les
salariés256.
Le principe de la flexicurité est simple. Il consiste
à combiner flexibilité pour les employeurs et
sécurité pour les salariés, afin, notamment, de
circonscrire les effets de la précarité induits par une trop
forte dérégulation du marché du travail. La place
accordée aux transferts sociaux, au rôle clef des partenaires
sociaux dans la régulation sociale, à la qualité du
système de formation professionnelle et du service public de l'emploi
explique la force de ce modèle
252 92% en 2011 selon : Profil pays du travail décent
SENEGAL, op. cit. p. 11.
253 Ibid.
254 Le Pacte mondial pour l'emploi est un ensemble
équilibré et réaliste de mesures que les pays, avec
l'appui d'institutions régionales ou multilatérales, peuvent
adopter afin d'atténuer l'impact de la crise et accélérer
le redressement du marché de l'emploi. Adopté en juin 2009 par
l'Organisation internationale du travail, il appelle ses États membres
à centrer fondamentalement leurs mesures de lutte contre la crise sur
les opportunités de travail décent. Le Pacte s'intéresse
à l'impact social de la crise mondiale sur le marché de l'emploi
et présente des politiques orientées sur la création
d'emploi que les pays peuvent adapter à leurs propres besoins. Le Pacte
propose un éventail de politiques visant à : Stimuler l'emploi,
étendre la protection sociale, respecter les normes internationales du
travail, promouvoir le dialogue social, façonner une mondialisation
équitable, bref, le Pacte concerne la promotion de l'emploi et la
protection des personnes et apporte une réponse à la fois aux
préoccupations de la population et aux besoins de l'économie
réelle. (A propos du pacte, URL :
https://www.ilo.org/jobspact/about/lang--fr/index.htm,
consulté le 8 décembre 2018)
255 A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à
l'interdit », op. cit., p. 117.
256 Flexicurité et Travail décent: une approche
de la politique du marché du travail,
https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_093921/lang--fr/index.htm,
consulté le 10 décembre 2018.
53
d'origine scandinave257. Parmi l'ensemble des pays
scandinaves, le Danemark est celui qui a été le plus loin, et
bien avant les autres, dans la mise en place d'une démarche de
«flexicurité» visant moins à protéger l'emploi
que la personne du salarié. La notion de « flexicurité
» y a été pour la première fois mentionnée
dans une publication de 1999 du Ministère du travail
(Arbejdsministeriet)258. Les responsables de la politique
de l'emploi se réfèrent régulièrement à la
métaphore du «triangle d'or» pour illustrer la démarche
proposée259. Dès lors, l'intérêt se
focalise sur ce qui est maintenant connu sous le nom de triangle
d'or260.
Le premier pilier englobe la facilité des entreprises
à embaucher et à licencier, donc une faible protection de
l'emploi (c'est le volet flexibilité) 261. La
législation de l'emploi doit donc être faiblement contraignante.
Il découle de cette faible protection de l'emploi une forte
mobilité des salariés sur le marché du travail. Toutefois,
la flexibilité ne débouche pas sur des phénomènes
de précarisation sociale262, La condition posée
à cette faible régulation des systèmes d'emploi est
précisément l'obtention de garanties sociales fortes qui est le
second pilier.
Le second instaure une indemnisation généreuse
des chômeurs (c'est le volet sécurité). Il s'agit
concrètement d'une compensation de salaire élevée en cas
de chômage, un régime d'assurance-chômage qui joue
pleinement son rôle de revenu de remplacement263. Ce
régime d'assurance-chômage est au coeur du système. Il est
l'instrument qui rend possible ces transitions fréquentes sur le
marché du travail parce qu'il permet de maintenir les revenus en cas de
discontinuité de l'emploi. De ce fait, le système indemnitaire
contribue à encourager les nécessaires mobilités
professionnelles264. Toutefois, le bénéfice d'une
allocation de chômage
257 C. TUCHSZIRER, « Le modèle danois de
«flexicurité». L'improbable «copier-coller» »,
Informations sociales, 2007/6 (n° 142), p. 132-141. URL :
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-6.htm-page-132.htm,
consulté le 10 décembre 2018.
258 C. TUCHSZIRER, « Le modèle danois de
«flexicurité». L'improbable «copier-coller» »,
op. cit.
259 C. TUCHSZIRER (avec F. Lefresne), «Les
stratégies d'activation des dépenses « passives » dans
quatre pays européens : Belgique, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni»,
Document d'études de la DARES, n° 43, mars 2001 cité par C.
TUCHSZIRER, « Le modèle danois de «flexicurité».
L'improbable «copier-coller» », op. cit.
260 Voir J. Gautié, La flexicurité : nouvel
horizon du modèle social français ?,
http://ses.ens-lyon.fr/ses/fichiers/Articles/ac26c.pdf,
consulté le 10 décembre 2018.
261 C. RAMAUX, « Flexicurité : quels enjeux
théoriques ? », op. cit.
262 F. LEFRESNE, «Bad jobs au Royaume-Uni : état
des lieux et enjeux du syndicalisme», Chronique internationale de l'IRES,
novembre 2005 cité par C. TUCHSZIRER, « Le modèle danois de
«flexicurité». L'improbable «copier-coller» »,
op. cit.
263 Expression emprunté à C. TUCHSZIRER, «
Le modèle danois de «flexicurité». L'improbable
«copier-coller» », op. cit.
264 P. Martin. Flexibilité et sécurité : le
droit social français en quête de nouveaux équilibres.
Philippe Auvergnon (dir.). Emploi et protection sociale : de
nouvelles relations ?, Presses universitaires de Bordeaux, pp.197-227, 2009.
URL :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00822375/document,
consulté le 11 décembre 2018
54
est assorti de l'obligation de participer aux programmes
d'activation initiés par le Service de l'emploi. C'est le
troisième pilier.
Le troisième pilier repose sur une politique active du
marché du travail centrée sur la reconversion et la formation
continue265. C'est une politique de suivi et de contrôle des
chômeurs suffisamment stricte pour les dissuader de rester dans leur
état (c'est le volet politique active) 266. Par ailleurs, le
rôle des régions et des partenaires sociaux a été
renforcé pour leur confier une responsabilité croissante dans
l'élaboration et dans la conduite des politiques locales
d'emploi267. La réussite de ce modèle est
attestée au début des années 2000 par un taux de
chômage très faible (de l'ordre de 5 %) au Danemark et un
sentiment de sécurité très élevé,
malgré une mobilité par le chômage elle aussi
particulièrement élevée. Les économistes adeptes de
la « sécurisation des trajectoires » peuvent donc y voir une
bonne illustration des solutions qu'ils préconisent268.
Telle que présentée, la flexicurité
combine l'économie et le social. Ce nouveau concept a vocation à
irradier toute analyse de l'emploi au même titre que le travail
décent s'est imposé en la matière269. Cette
flexicurité comporterait diverses composantes parmi lesquelles trois
intéressent particulièrement les stagiaires, apprentis et
travailleurs temporaires : une politique active et efficace, un système
de sécurité social débarrassé de ses scories
c'est-à-dire modernisé et un apprentissage tout au long de la
vie270. Nous estimons que c'est un modèle en devenir bien
qu'il est plus facile de le dire que de le faire en raison des
inconvénients pratiques que soulève néanmoins ce
modèle qui n'est pas tout aussi parfait271.
265 B. LAMOTTE, C. MASSIT, La flexibilité des
marchés du travail à l'épreuve de la crise : plus de
travailleurs pauvres ?. Colloque »Inégalités
et pauvreté dans les pays riches», Université Blaise
Pascal,
IUFM Auvergne, Jan 2012. URL :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00669906.
Consulté le 1 décembre 2018, p. 6.
266 C. RAMAUX, « Flexicurité : quels enjeux
théoriques ? », op. cit.
267 C. TUCHSZIRER, « Le modèle danois de
«flexicurité». L'improbable «copier-coller» »,
op. cit.
268 J. GAUTIE, Le défi de l'emploi Flexibilité
et/ou sécurité : la France en quête d'un modèle, op.
cit.
269 A.C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à
l'interdit », op. cit., p. 117
270 Ibid.
271 Sur les limites de la flexicurté, voir : C.
TUCHSZIRER, « Le modèle danois de «flexicurité».
L'improbable «copier-coller» », op. cit. Adde J.
Gautié, Le défi de l'emploi Flexibilité et/ou
sécurité : la France en quête d'un modèle, op. cit.
Adde Voir J. Gautié, La flexicurité : nouvel horizon du
modèle social français ?, op. cit. Adde P. Martin.
Flexibilité et sécurité : le droit social français
en quête de nouveaux équilibres, op. cit. Adde C. RAMAUX,
« Flexicurité : quels enjeux théoriques ? », op. cit. ;
entre autres.
55
56
CONCLUSION GENERALE
En définitive, le droit du travail
sénégalais, qui était, jadis, fort protecteur envers le
salarié, s'est progressivement relâché, au rythme des
multiples réformes qu'il a souffert dans une perspective d'adaptation
aux contingences du monde économique. Aujourd'hui, il est partagé
entre l'économie et le social, l'épanouissement de l'entreprise
et la protection des salariés. En même temps qu'il protège
les travailleurs, il légitime, autorise leur soumission272.
Le législateur a-t-il atteint, aujourd'hui, son ambition de 1997
lorsqu'il réformait le droit du travail ? Dans le projet de la loi
n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant sur le nouveau Code du
travail, on pouvait lire « le présent projet de loi a pour objet de
réformer le Code du travail pour l'adapter aux réalités
économiques et sociales de notre pays, en faire un vecteur dynamique de
croissance (...) ; il a pour ambition de moderniser les relations sociales, de
poser les jalons de l'épanouissement de l'entreprise sans
déprotéger les travailleurs ».
Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que la
précarité a atteint un niveau très élevé et
l'on se demande si l'intérêt de l'entreprise n'a pas pris le
dessus sur la protection des salariés. La neutralisation légale
de l'effectivité de la protection des travailleurs a été
accompagnée, de manière subtile, par l'inefficience des organes
de contrôle. L'inspection du travail et de la sécurité
sociale s'est vue, progressivement et de manière indirecte,
dépouillée de ses prérogatives la privant des moyens
indispensables à l'accomplissement de ses missions. Par ailleurs, les
difficultés d'accès à la justice, ajoutées à
celles d'exécution des décisions qu'elle rend, ont fini par
réduire les possibilités de faire sanctionner les dérives
des praticiens qui tendent à abuser des formes souples de mise au
travail273.
La représentation collective que l'on croyait
être la panacée pour décanter la situation par
l'élaboration de normes professionnelles, garantes d'une prise en compte
des intérêts divergents des partenaires sociaux, reste encore
insuffisamment assurée. Les syndicats et les
délégués du personnel, seuls organes de
représentation, restent encore victimes de certaines pesanteurs. Ils
n'ont pas accès à l'information économique et, bien
souvent, manquent d'expertise274 alors Malheureusement, le projet
d'Acte Uniforme relatif au droit du travail ne semble pas avoir pris la mesure
de cette orientation. Tout au plus, envisage-t-il une présence syndicale
dans l'entreprise sans en définir le contour. De même, on retrouve
la même inertie dans l'application
272 E. PESKINE, C. WOLMARK, op. cit., p. 10
273 Y. BODIAN., « Précarité de l'emploi et
droit du travail sénégalais », op. cit., p. 368.
274 I.Y. NDIAYE, Droit du travail sénégalais et
transfert de normes, op. cit., p. 176.
57
des conventions internationales
ratifiées275. Il s'agit là autant de situations qui
obscurcissent davantage la face du droit du travail
sénégalais.
Une auteur s'interrogeait d'ailleurs sur l'avenir radieux que
pourrait avoir un droit du travail dans un système de relations
professionnelles dominé par des exigences antagonistes, entre un
État envahi par les programmes d'ajustement et de réduction de
déficit, de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire
International, des entreprises préoccupées par leur survie et des
objectifs de rentabilité dans un environnement économique
marqué par une concurrence impitoyable, et des travailleurs plus
soucieux de maintenir leurs emplois que de se lancer à la conquête
de nouvelles conditions de travail plus avantageuses, pour ne pas dire plus
humaines276. Assurément, la problématique demeure
complexe.
Certes, il demeure pertinent de s'interroger sur la
construction d'un modèle de politiques juridiques cohérentes et
socialement acceptables qui assurent l'efficacité économique tout
en évitant d'être trop défavorables aux travailleurs. Un
droit du travail adapté aux réalités
sénégalaises susceptible de prendre en charge tous les secteurs
économiques277 y compris les relations professionnelles dans
le secteur informel, secteur essentiel de la population active dans notre
économie. Un droit du travail où l'interventionnisme
législatif est quasi-néant mais, remplacé par une
participation féconde des partenaires sociaux pour une
libéralisation du domaine de la négociation collective dans
l'entreprise. Nous estimons que la contractualisation du droit du travail est
le meilleur moyen pour l'adapter à nos réalités
actuelles.
275 Ibid.
276 M. SAMB., Réformes et réception des droits
fondamentaux du travail au Sénégal, op. cit.
277 Ibid.
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· Soc. 14 mars 1979, D. 1979. I.R. 424
62
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : LA PROTECTION DU SALARIE : FINALITE
ORIGINELLE
DU DROIT DU TRAVAIL 8
CHAPITRE 1 : LA PROTECTION AU PLAN INDIVIDUEL
8
Section 1 : Le régime protecteur au cours du
contrat de travail 8
Paragraphe 1 : L'encadrement de la relation de travail 8
A - Le principe d'égalité professionnelle 8
B - Le maintien du salarié en cas de modification de la
situation juridique de l'employeur 10
1 - Les conditions du maintien des contrats de travail 10
2 - Les effets du maintien des contrats de travail 12
Paragraphe 2 : La délimitation des prérogatives
patronales 12
Section 2 : Le régime protecteur à la fin
du contrat de travail 14
Paragraphe 1 : En matière de licenciement 15
Paragraphe 2 : En matière de démission 17
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION AU PLAN COLLECTIF
20
Section 1 : La reconnaissance d'un droit à la
représentation 20
Paragraphe 1 : Dans tout établissement de l'entreprise :
les délégués du personnel 20
A - Le statut de délégué du personnel 21
B - La protection juridique du délégué du
personnel 22
Paragraphe 2 : Dans la profession : le syndicat 23
Section 2 : Les moyens de sauvegarde des
intérêts des travailleurs 26
Paragraphe 1 : La négociation collective et le dialogue
social 26
A - La négociation collective 26
B - Le dialogue social 28
Paragraphe 2 : L'exercice du droit de grève 29
DEUXIEME PARTIE : UNE FINALITE AMBIGUË A
L'EPOQUE
CONTEMPORAINE 33
CHAPITRE 1 : LES RAISONS DU CHANGEMENT DE PERSPECTIVE
33
63
Section 1 : Le droit du travail, un instrument de
promotion économique 33
Paragraphe 1 : L'avènement de la prise en compte de
l'intérêt de l'entreprise 34
Paragraphe 2 : Un droit plus tourné vers
l'économie 36
Section 2 : Le renforcement des prérogatives
patronales 38
Paragraphe 1 : Quant au recrutement 38
? L'assouplissement du contrat à durée
déterminée 38
? L'institution de nouvelles formes d'emploi précaire
40
Paragraphe 2 : Quant à la rupture 41
CHAPITRE 2 : LA PORTEE DU CHANGEMENT DE PERSPECTIVE
44
Section 1 : Le recul de l'ordre public social
44
Paragraphe 1 : L'aggravation de la précarité de
l'emploi 44
Paragraphe 2 : L'affaiblissement de la protection des
salariés 48
Section 2 : Un déphasage avec les exigences de
l'OIT 50
Paragraphe 1 : La problématique du travail
décent 50
Paragraphe 2 : Le recours à la Flexicurité : un
modèle en devenir 53
CONCLUSION GENERALE 57
BIBLIOGRAPHIE 59
TABLE DES MATIERES Erreur ! Signet non
défini.
64
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