TITRE 3 : Vers un modèle amélioré
de politique monétaire : La sous - optimalité de la règle
de
Taylor pour conduire une politique monétaire
optimale 70
I. Les grands « oublis » de la politique
monétaire 71
1. L'absence de la microéconomie bancaire dans l'analyse
du canal du crédit 71
2. L'importance cruciale des frictions sur le marché du
travail dans la transmission des politiques
économiques 74
3. L'existence de fortes non-linéarités dans les
réactions des agents 78
II. Autres considérations sur la pertinence des
fondamentaux de la politique monétaire 80
1. Discussions autour du ciblage de l'inflation : Quel taux ?
Quelle cible ? 80
1.1. Le ciblage de l'inflation 80
1.2. Le ciblage du niveau des prix 81
2. Le retour de la théorie discrétionnaire de la
politique monétaire 83
CONCLUSION 86
BIBLIOGRAPHIE 87
5
PARTIE 1
Les fondements de la politique monétaire et
la « grande dépression »
TITRE 1 : Les fondements théoriques de la
politique monétaire d'avant crise dans les économies
développées
Cette première partie du mémoire a pour objet de
recadrer les évolutions théoriques qui ont conduit à la
formulation de la politique monétaire telle qu'on la connait aujourd'hui
et depuis les années 70.
Dans un premier temps, il s'agira de replacer historiquement la
théorie de la monnaie.
Puis, dans un second temps, nous détaillerons les
fondements théoriques de la politique monétaire actuelle, ses
objectifs, ses instruments, sa mise en oeuvre.
I. Les fondements économiques à la base de
la politique monétaire
De tout temps, les hommes se sont intéressés au
pouvoir de la monnaie. Certains ne lui conférant que le rôle de
moyen d'échange, d'autre la désirant ardemment pour le pouvoir
qu'elle confère (Thésaurisation).
Dans tous les cas, la monnaie est d'une importance capitale
dans le bon fonctionnement des échanges puisqu'elle permet
d'éliminer les problèmes liés au troc. Aujourd'hui la
monnaie qui circule dans l'économie est de forme fiduciaire (i.e. sans
valeur intrinsèque), et est frappée par les banques centrales qui
contrôlent son volume afin d'éviter entre autres les
problèmes de dévaluation et d'inflation. Cette monnaie tient sa
légitimité dans le fait qu'elle soit socialement acceptée
par la population qui place leur confiance en sa valeur inter temporelle.
La monnaie assure trois fonctions principales :
- celle de moyen d'échange, elle permet l'extinction
immédiate d'une dette ;
- celle d'unité de compte, c'est-à-dire
d'échelle de mesure de la valeur des biens. A ce titre, elle est souvent
résumée à un voile à l'échange. Les prix
étant de ce fait des prix
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avant tout relatifs entre les biens (base de la théorie
des préférences du consommateur).
- celle de réserve de valeur, c'est-à-dire de la
capacité de la monnaie à maintenir son pouvoir d'achat dans le
temps. Ce dernier point a une importance capitale dans les domaines de
l'économie et de la finance avec des thèmes phares comme la
spéculation (immobilière, boursière, sur les devises
etc.), les mouvements internationaux de capitaux et la formation des
décisions d'investissement ou de consommation des agents
économiques etc. La majorité des agents économiques
forment des anticipations sur les risques d'inflation à venir ou de
dévaluation de la monnaie qu'ils détiennent.
Définition de l'Inflation :
l'inflation consiste en une augmentation sur une période
relativement longue du niveau général des prix
(généralement calculé de façon annuelle). Cet
indice est en fait évalué sur la base des prix des principaux
postes de dépense des ménages (alimentation, logement,
téléphonie, loisirs, habillement, éducation entre autres).
A chaque poste est attaché un poids (pondération en fonction de
l'importance de la dépense dans le revenu des ménages). La
structure de cet indice est révisée ponctuellement afin de tenir
compte des évolutions des modes de consommation dans le temps. Des
efforts pour annuler les effets « inflation - qualité » ont
été investis mais font encore l'objet de rectifications.
La déflation est le
phénomène inverse.
À partir de cette définition de l'inflation, on
peut facilement expliquer qu'à salaires nominaux inchangés, une
hausse de l'inflation consiste en réalité à une baisse du
pouvoir d'achat via une baisse du salaire réel (i.e. évaluation
du salaire nominal en termes de biens).
Mais l'inflation va au-delà de la perte de pouvoir
d'achat des ménages. Il conditionne aussi les décisions
d'investissement des entreprises. Par exemple, en cas de déflation
avérée ou d'anticipation de déflation, les entrepreneurs
vont diminuer le volume de leur production et licencier des travailleurs ;
tandis que ceux qui avaient des projets d'investissement
préféreront attendre avant d'investir. Le raisonnement inverse
devrait s'appliquer dans le cas d'une inflation non anticipée.
La déflation a aussi pour conséquence
d'augmenter la charge de la dette réelle contractée par les
agents privés ou publiques. Et de l'alléger dans le cas
d'inflation.
Un autre exemple de l'importance de l'inflation est l'impact
qu'elle aura sur le commerce extérieur en rendant les biens nationaux
moins compétitifs et moins demandés.
La dévaluation a aussi une importance capitale à
ce titre puisqu'elle consiste en une augmentation du taux de change au certain
(baisse de la valeur relative de la monnaie nationale), ce qui induit le
renchérissement des importations contre une augmentation des commandes
à l'exportation.
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Aussi, une monnaie dont la valeur est instable fait fuir
investisseurs et capitaux financiers qui recherchent des placements
sûrs.
Enfin, notons que l'inflation revêt un rôle
considérable sur les marché financiers, alimentant la
spéculation sur les devises, le recours aux produits
dérivés et de l'assurance (opérations de couverture contre
le risque de change).
Pour résumer assez rapidement, la déflation et
l'inflation sont néfastes pour les économies. Leurs coûts
économiques et sociaux sont importants en termes de croissance, de
chômage et de bien-être. D'où l'importance d'inclure dans
les missions des autorités politiques celle de conduire une
« politique monétaire » qui puisse
contrôler la volatilité de la valeur de la monnaie.
Les objectifs que doit poursuivre la politique
monétaire sont un sujet de discorde très vif qui oppose
principalement keynésiens et monétaristes. Le point le plus
important de leurs divergences est celui de la question du rôle de la
politique monétaire.
Les monétaristes considèrent que la politique
monétaire ne doit avoir pour objectif que celui de gérer la masse
monétaire en circulation dans l'économie de telle sorte que
celle-ci augmente de façon strictement parallèle aux besoins de
monnaie découlant de l'augmentation des activités
économiques dans le temps. Elle doit alors ancrer la croissance de la
masse monétaire sur l'évolution du volume d'activités
économiques, assurer la gestion des réserves de change et des
opérations de change. Pour les monétaristes comme pour les
classiques et les néoclassiques, la monnaie doit être neutre et
« l'inflation est toujours et partout un phénomène
monétaire » M. Friedman. Ainsi, l'objectif final de la
politique monétaire est celui du maintien de la stabilité
des prix. Selon cette approche, et conformément aux
prévisions de la théorie quantitative de la monnaie, toute
augmentation de la masse monétaire non justifiée par une
augmentation du volume d'activité économique a pour
conséquence de produire un ajustement par l'inflation de
l'équation de Fisher.
Cette vision s'oppose à la vision Keynésienne de
la monnaie qui confère à la politique monétaire la
capacité de pouvoir influencer l'économie réelle en
orientant les décisions des agents. La politique monétaire comme
la politique budgétaire endosse selon cette école la mission
d'intervenir ponctuellement dans l'activité économique en vue de
palier aux blocages et aux déséquilibres qui peuvent se former et
persister de manière durable (contrairement à la vision classique
qui suggère que ces déséquilibres disparaissent
d'eux-mêmes à court ou moyen terme). La politique
économique endosse en ce sens le rôle de guide et les
déséquilibres sont dus majoritairement à un défaut
d'adaptation entre l'offre et la demande de biens. C'est ainsi que selon les
keynésiens, des politiques dites de relance sont nécessaires afin
de remettre les agents économiques sur les bonnes positions. Ce sont des
politiques de relance tournées vers la demande, l'offre étant
considérée comme suivant une marche d'adaptation automatique
à la demande. Aussi, dans les modèles keynésiens, la
monnaie n'est
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plus un simple voile aux échanges mais a en plus la
capacité d'influencer les comportements d'investissement et de
consommation et la caractéristique d'être demandée
pour elle-même comme tout autre bien. En effet, elle peut
être demandée à la fois pour des motifs de transaction mais
aussi pour des motifs de précaution et de spéculation. Ainsi
l'objectif de la politique monétaire n'est pas la lutte contre
l'inflation mais la relance de l'économie. Nous ne rentrerons pas dans
les détails du modèle d'équilibre général,
ce n'est pas le sujet de notre mémoire, nous conclurons cependant que ce
modèle représente en une grande avancée pour les sciences
économiques puisqu'il a non seulement permis d'approfondir l'analyse
microéconomique des choix des agents, a introduit le fonctionnement des
marchés financiers, a alimenté le débat sur la politique
économique, a réussi à mettre en relation les grandes
variables économiques afin de justifier de la formation de la richesse
nationale et a introduit ce que l'on nomme aujourd'hui les canaux de
transmission à l'origine de l'efficacité de toute politique
économique.
L'insuffisance du modèle keynésien à
rendre compte du mécanisme de formation des prix, l'abstraction du
mécanisme de prise de décision du producteur qui est
considéré comme un robot, et son incapacité à
rendre compte des frictions sur le marché du travail ont imposé
l'élargissement du modèle afin que celui-ci soit conforme
à la réalité économique.
Sur la base de la théorie classique du producteur et de
l'enseignement du modèle WS-PS, le courant de la synthèse
néoclassique dirigé par Hicks corrige le modèle
d'équilibre général en y réintroduisant la
théorie microéconomique classique du choix de l'entrepreneur, en
modifiant ses hypothèses telle que soit prise en compte la
variabilité des prix et des salaires réels ainsi que l'existence
d'un marché du travail actif et déterminant dans la formation de
l'équilibre macroéconomique. La logique du modèle ISLM
n'est pas rejetée pour autant mais elle est résumée dans
une fonction de demande globale qui est fonction du prix et réagit aux
politiques économiques de la même façon que dans le
modèle de base ISLM. Une fonction d'offre globale émanant des
entreprises est formulée sur les principes de la théorie
classique de l'optimisation du profit en fonction des coûts de
production. Dans ce modèle, le progrès technique restant absent,
seul le coût du salaire importe. La fonction d'offre globale est
croissante avec le prix et n'est qu'indirectement influencée par les
décisions des politiques économiques. L'équilibre
général (Y, Prix) se fait à l'intersection de ces deux
courbes.
Les conclusions du modèle AS-AD implique que les
politiques économiques, qu'elles soient fiscales, budgétaires,
monétaires ou concerne la réglementation sur les salaires
ont un effet sur l'équilibre macroéconomique de court
terme. Cependant, il pose que les effets de ces politiques sur
l'équilibre de long terme sont neutres puisque le niveau de la
production nationale retourne systématiquement à son niveau
naturel Y* auquel correspond un niveau de chômage naturel
(équilibre structurel optimal). Ainsi, la courbe d'offre de long
terme est de forme verticale ce qui implique qu'à LT, une
politique économique qui tend à pousser le niveau de la
production au-dessus de son équilibre naturel crée de l'inflation
sans pour autant engendrer des améliorations dans l'économie
réelle.
Bref rappel des hypothèses du modèle AS-AD
: - Les prix sont variables
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- Le marché du travail est actif
- Les salaires nominaux sont rigides à court terme
- Le niveau réglementaire des salaires, l'offre de
monnaie, le niveau des dépenses
publiques et de l'impôt sont des variables
exogènes
- Il n'y a pas de progrès technique et le stock de capital
fixe est constant
- Les rendements d'échelle sont constants
Keynes et Hicks ont posé les bases des modèles
d'équilibre général utilisés par les politiques
aujourd'hui. Certes selon des hypothèses différentes et avec des
cadres opérationnels qui ont été enrichis. Ces
modèles sont des moyens de décision et de prévisions
économiques et sont utilisés aujourd'hui sous la forme
d'innombrables modèles dits DGSE (modèle d'équilibre
général dynamique stochastique).
Les préconisations du courant keynésien en ce
qui est des politiques budgétaires et monétaires sont en grande
partie rejetées depuis la « grande inflation » des
années 70 - 80, laquelle avait été
précédée d'une instabilité notable du niveau
d'inflation. Cette période difficile s'accompagne en plus d'une
envolée des taux de chômage remettant en doute la logique de la
courbe de Philips (c'est la stagflation). Les politiques keynésiennes
s'acharnent dans des politiques de relance par la demande qui s'avèrent
vaines et coûteuses en ce sens qu'elles engendrent une explosion du
niveau des déficits publics. Le canal de l'offre est à l'origine
de cet échec, révélant que le comportement
d'investissement est plus complexe qu'il n'y paraissait. L'équilibre
macroéconomique ne se fait plus par les quantités mais par les
prix.
La théorie quantitative de la monnaie revient alors en
force, accusant les méandres des politiques interventionnistes et
replaçant la politique monétaire dans son seul rôle de
contrôleur de l'inflation. Les échecs des politiques de relance
par la demande ont par ailleurs impulsé la formulation d'une nouvelle
école de pensée, celle de la nouvelle école classique
(N.E.C.) avec des économistes comme Lucas, Friedman, Kydland, Prescott,
Wallace entres autres. La N.E.C. réintroduit la vision quantitative de
la politique monétaire et utilise le modèle standard AS-AD pour
ses analyses qu'elle corrige de nouvelles considérations. La plus grande
contribution de cette école à la théorie économique
est celle de la formulation du concept d'anticipation rationnelle
que l'on doit à l'économiste R. Lucas. Ce concept
révolutionne les modalités d'intervention des politiques
économiques et réussit à expliquer les échecs des
précédentes politiques. Selon la N.E.C., les décisions
économiques des agents (investissement, consommation, épargne,
embauche etc.) sont dictées avant tout par les anticipations qu'ils
forment quant au niveau à venir des prix.
Le concept d'anticipation rationnelle: Si on
considère que les choix des agents économiques sont
déterminés par leur ambition à venir, il semble clair que
les décisions de cet agent, à un moment donnée,
dépend principalement des projections qu'il établit concernant
l'état de la conjoncture économique à venir. Or,
l'hypothèse des anticipations rationnelles suppose que les agents
apprennent du passé, comprennent le présent et anticipent
l'avenir avec un faible risque d'erreur puisqu'ils utilisent pour formuler leur
anticipations les mêmes
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modèles macroéconomiques que leur dirigeant.
Ainsi, leur probabilité de se tromper est d'espérance nulle. Cela
ne signifie cependant pas que l'inflation anticipée est toujours
égale à l'inflation effective. La N.E.C. considère les
anticipations rationnelles comme une variable économique
déterminante à prendre en compte dans le modèle
d'équilibre général. Les implications de ce concept sont
entre autres que :
- Seules des variations non anticipées du niveau
général des prix peuvent engendrer des changements dans
l'économie réelle et un ajustement de court terme. A long terme,
l'économie retourne à son niveau potentiel avec un niveau des
variables réelles identiques à celui d'avant l'introduction de la
politique. Cependant, la politique économique ne peut pas
systématiquement tromper les agents économiques au risque de
créer des phénomènes de forte inflation.
Pour être plus précis : Les salaires nominaux
étant rigides à court terme, l'augmentation non anticipée
des prix aura pour conséquence de diminuer les salaires réels
effectifs et de placer le niveau optimal de production à un niveau
supérieur ; ce qui implique alors une baisse du niveau de chômage
et une augmentation de la demande de consommation. Cependant, à plus
long terme, les salaires nominaux s'ajustent à l'inflation, l'offre et
le chômage retrouvent leur niveau initial.
Mais aussi, l'augmentation non anticipée des prix a
pour effet de diminuer le taux d'intérêt réel (taux
d'intérêt nominaux - inflation) et ainsi de rendre plus
intéressant la réalisation de projet d'investissement. Par
ailleurs, la baisse de ce taux a pour effet d'alléger le poids de la
dette des emprunteurs et prend la forme d'un effet richesse qui peut jouer
positivement sur l'économie. À long terme, le taux
d'intérêt nominal s'ajuste à la hausse.
- L'annonce d'une politique budgétaire de relance ou
d'une politique monétaire expansionniste engendre des anticipations de
hausse de l'inflation à venir qui induisent des pressions à la
hausse sur les salaires nominaux (négociations syndicales) et une
augmentation quasi - immédiate du niveau des prix. Le rapport entre les
agrégats économique reste inchangé. Seul le niveau des
prix d'équilibre se trouve augmenté. Ces politiques sont vaines
et n'engendrent pas d'amélioration dans l'économie réelle.
Elles sont également très dangereuses si elles sont
réalisées de manière répétitive puisqu'elles
engendrent des risques d'hyperinflation avec les multiples problèmes que
cette situation engendre, tout en accroissant le niveau des déficits
publics.
- Une politique salariale telle que les salaires nominaux
légalement fixés sont revus à la baisse engendre une
diminution du chômage et une augmentation du revenu national. Cependant,
les effets sur la demande restent ambigus.
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- Les excès de demande peuvent être durablement
taxés par l'inflation si les anticipations des entreprises sont
mauvaises. Cela justifie l'intérêt d'élaborer des
indicateurs statistiques comme celui du « sentiment de l'entrepreneur
».
- Seule des modifications dans la structure de l'offre peuvent
faire varier l'équilibre réel de long terme. Ce changement peut
être engendré par des innovations techniques, des modifications de
la structure de la demande, aux phénomènes de
délocalisations entre autres.
- À court terme, l'économie peut être
sujette à des chocs d'offre ou de demande sans pour autant que la
politique monétaire ne doive intervenir puisque l'équilibrage de
long terme définit les niveaux naturels des variables
économiques.
- Un taux d'inflation instable implique des niveaux
d'équilibre économique sous optimaux et une perte du
bien-être social
- Les autorités monétaires doivent être
indépendantes, doivent avoir pour mission principale, voire pour seule
mission, celle de la maîtrise de l'inflation. Cet engagement solide de la
politique monétaire à assurer sa mission, rend sa politique
crédible aux yeux des agents économiques et permet ainsi d'ancrer
et de piloter les anticipations de ces derniers de manière à ce
que son intervention ait des résultats optimaux.
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