Les basses fréquences dans les musiques populaires modernes

II - Étude générale et analyse de l'évolution

du rôle de la basse dans les musiques

populaires modernes

Dans la première partie de ce mémoire, nous avons parlé de l'importance de la basse dans la musique. Nous avons fait un historique du développement de cette importance, et nous avons quelque peu évoqué la basse au XXe siècle.

Dans cette partie, nous allons analyser le rôle de la basse pour chaque style populaire de musique du XXe siècle dans l'ordre chronologique. Il est nécessaire de préciser que nous allons étudier chaque style à une période donnée. Car, en réalité, si nous étudions l'évolution de chaque style musical, et ses dérivés, nous pourrons constater que chacun d'eux s'est adapté à son époque en proposant des morceaux de plus en plus riches en basses fréquences.

Pour mener à bien cette analyse, nous nous servirons des connaissances acquises pendant les cours d'histoire des musiques actuelles en licence de musicologie à l'Université de Strasbourg, et de références bibliographiques, puis nous donnerons des exemples de morceaux.

Nous allons, ainsi, chercher à démontrer de manière historique et analytique que la basse prend de plus en plus d'ampleur dans les musiques populaires modernes, preuve que les basses fréquences deviennent de plus en plus omniprésentes de décennies en décennies.

1 | LES MUSIQUES DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XX^E SIÈCLE

Dans la première moitié du XXe siècle, le genre qui est sans doute le plus populaire est le jazz. On le retrouve sous diverses formes : des petites formations, quartet, orchestre, etc. On trouve aussi différentes variantes : cool jazz, jazz manouche, free-jazz, etc. Et certains genres empruntent au jazz, comme la Chanson française par exemple.

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Les technologies de restitution du son de l'époque (gramophone, vinyle, etc.) font que

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le registre des basses fréquences est très peu exploité. La basse sert principalement de base harmonique à l'ensemble instrumental ^(67), par une technique bien connue des bassistes que nous appelons le «walking bass». Cette technique consiste à jouer sur tous les temps, en exécutant une mélodie à la basse. Néanmoins, il arrivait que la basse réalise aussi des solos comme les autres instruments du jazz.

La basse prend certainement plus d'ampleur lorsque la basse électrique est inventée en 1951, car jusqu'à ce moment précis, la basse était jouée par une contrebasse amplifiée avec un micro-externe, ce qui pouvait résulter d'une perte sonore non négligeable ^(68).

Voici un exemple de «walking bass»:

Partition pour basse de «Autumn Leaves» ⁽⁶⁹⁾

«Autumn Leaves» est un grand standard de jazz. C'est à l'origine une Chanson française écrite en 1945. Sur cette partition, on peut en effet constater que la basse joue sur tous les temps, chaque note vaut le temps d'une noire, et on n'a jamais deux fois la même note d'affilée, afin de créer cette mélodie typique de la technique de «walking bass».

La grosse caisse, élément le plus grave de la batterie, ressort très mal aussi dans les morceaux de jazz du début du XXe siècle. Cela s'explique encore une fois par l'incapacité des appareils de l'époque à bien restituer les sons dans le registre des basses fréquences. Le blues aussi est populaire mais principalement aux États-Unis. Ce sont les descen-

67 DOWDALL Peter, Technology and the Stylistic Evolution of the Jazz Bass (Ashgate Popular and Folk Music Series), Routledge, 27 juillet 2017, p.13

68 Ibid.

69 Issu du site: http://dedediagram.blogspot.com/2012/02/how-to-attack-jazz-on-bass.html

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dants du blues qui vont connaître un succès sans précédent.

2 | LE ROCK

Le rock est sans doute le premier genre musical à connaître un succès phénoménal au XXe siècle. Un certain nombre d'artistes y ont contribué: Elvis Presley, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Little Richard, Johnny Cash, etc. Il est apparu dans les années cinquante. À cette époque, de même que pour le jazz, les technologies de l'époque font que le registre dans les basses fréquences est moins exploité également. L'instrument le plus emblématique est alors la guitare, et notamment avec Chuck Berry, virtuose de cet instrument. Et surtout, une grande place est donnée au chanteur, qui devient la superstar, en témoigne le succès incroyable d'Elvis Presley.

La basse tient toujours le rôle de soutien comme dans le jazz. Elle exécute aussi une «walking bass» dans la plupart des morceaux de rockabilly des années cinquante, mais elle se base sur une grille d'accords de blues.

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Voici un exemple:

Partition pour basse de «Johnny B. Goode» de Chuck Berry ⁽⁷⁰⁾

«Johnny B. Goode» de Chuck Berry, sorti en 1957, est sans doute l'un des morceaux les plus populaires du rock'n'roll. C'est un morceau que l'on a pu entendre lors de concerts, sur internet, ou dans des films à succès tel que «Retour vers le futur». C'est l'un des morceaux les plus emblématiques du rock des années cinquante.

70 Issu du site: http://www.hamienet.com/score15947-8.html

Sur cette partition, on peut retrouver les éléments typiques de la «walking bass». En effet, on constate une répétition de notes sur tous les temps avec une valeur de noire. Mélodiquement, il y a une simplification, car on suit la grille du blues, et souvent, il y a deux ou trois fois d'affilée la même note répétée. Par contre, on observe une complexi-fication rythmique: il y a des doubles croches et des triples croches. La dynamique du rock'n'roll veut que la basse soit plus rythmée. Donc, bien qu'elle serve de soutien, on constate une évolution certaine dans la rythmique, au profit de l'énergie du rock.

Il en va de même pour le rythm'n'blues, jumeau du rock'n'roll, qui, dans le contexte de la ségrégation aux États-Unis, s'est vu différencié du rock.

3 | LA SOUL

«Il revient d'abord à la pop noire d'avoir fait de la basse le protagoniste de ses arrangements» ^(71).

La soul, première musique «pop noire» apparaît vers la fin des années cinquante, début des années soixante. La musique soul tire ses origines du blues, du rythm'n'blues, du jazz et de la musique gospel. On l'appelle ainsi, car on dit que c'est la musique de «l'âme», la musique de l'expression des sentiments les plus forts. Ray Charles en est le père, et James Brown «The Godfather of soul» (le parrain de la soul).

La basse se simplifie rythmiquement et mélodiquement, mais cela varie selon les morceaux. Et elle passe plus aisément au premier plan.

En témoigne ci-après le morceau de Ben E. King sorti en 1962 :

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71 POSCHARDT Ulf, DJ Culture, Eclat, 31 août 2002, p.435

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Partition pour basse de «Stand By Me» de Ben E. King ⁽⁷²⁾

Sur la clé de FA, on peut lire la ligne de basse jouée dans ce morceau. Dans «Stand by me», la basse est l'élément principal du morceau. Il y a peu de guitare. Il y a quelques arrangements d'instruments à cordes frottées et des percussions. Ce morceau démontre un intérêt naissant pour une utilisation de la basse au premier plan.

72 Issu du site: https://www.sheetmusicdirect.us/sheetmusic/song/1000080790/stand-by-me?redi-rect=1

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4 | LES ANNÉES SOIXANTE-DIX

Dans les années soixante-dix, de nouveaux genres musicaux apparaissent. De son côté, le rock continue son évolution, la basse prend un peu plus d'ampleur, mais la guitare reste l'élément principal car c'est l'époque du hard rock et des gros riffs de guitare avec des groupes comme Led Zeppelin, ou Deep Purple. Nous allons nous intéresser à deux styles populaires de cette décennie: le Funk et le Reggae.

4.1. Le Funk

Le Funk est le descendant de la soul et du jazz. On dit que James Brown est le père du Funk. Néanmoins, ce genre a commencé à apparaître dans les années soixante, mais il était encore fortement imprégné de la soul. C'est dans les années soixante-dix qu'il s'éloigne peu à peu pour devenir un genre à part et populaire, caractérisé par une utilisation systématique de tous les instruments comme section rythmique.

Comme dans la soul, la basse peut aussi bien passer au premier plan, comme au second plan en soutien. Mais elle est plus rythmée dans les deux cas.

Par exemple, dans «Thank you (Fallentinme Be Mice Elf Agin)» de Sly and the Family Stone, sortie en 1969, la basse est mise plus en avant dans le «mix», c'est l'élément principal sur lequel repose le morceau, tandis que les guitares et cuivres soutiennent la basse : «`'Thank You» used the poping bass as the primary melody-a syncopated melodic phrase from the bass, which turned the bass guitar from a background rhythm instrument into the driving force of the song.» ⁽⁷³⁾

Dans les morceaux de Sly and the Family Stone, la basse est souvent mise en avant, et ce particulièrement après «Thank You» ^(74). En effet, Larry Graham, bassiste talentueux du groupe est l'inventeur de la technique du slap. Il a contribué à l'enrichissement de la palette sonore de la basse.

73 «Thank You utilisait la basse comme mélodie première - une phrase mélodique syncopée de la basse, qui a fait passer la basse de l'arrière-plan instrumental rythmique à la force directrice du morceau.» RICKEY Vincent, Funk: The Music, The People, and The Rhythm of The One, St Martin's Griffin, 31 décembre 1995, p.95

74 RICKEY Vincent, Funk: The Music, The People, and The Rhythm of The One, St Martin's Griffin, 31 décembre 1995, p.95

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