D. Variation sectorielles dans le cadre de
l'industrie 4.0
Les conséquences de l'Industrie 4.0 dépendent
d'un vaste éventail d'indicateurs, dont certains ont déjà
été vus dans le présent document : l'Industrie 4.0 aura
une incidence sur divers secteurs industriels et diverses régions du
globe, sur lesquels elle n'influera pas toujours de la même façon,
et elle renforcera probablement les inégalités déjà
présentes tant au sein des régions qu'entre les régions.
En outre, la complexité et la tarification des produits, le niveau
requis de compétence et le niveau antérieur d'automatisation sont
d'autres indicateurs importants, car ils permettent de prédire le
comportement des gouvernements et des compagnies durant cette transition. Si
l'investissement initial en capital est trop élevé pour
être assez rapidement rentabilisé par des revenus, les compagnies
n'auront pas tendance à investir dans des technologies de pointe. De
même, s'il n'y a pas suffisamment de personnel qualifié capable de
travailler avec ces technologies, leur investissement sera fait en vain. On
peut regrouper les secteurs en trois catégories, selon qu'ils seront
peu, moyennement ou très influencés par l'Industrie 4.0, dans un
avenir plus ou moins rapproché.
1. Faible impact
Métaux de base
Les secteurs industriels comme les métaux de base ne
connaîtront probablement pas, à court terme, une grande
transformation sous l'influence de l'Industrie 4.0. Ce secteur à
main-d'oeuvre élevée a besoin de travailleuses et travailleurs
hautement qualifiés. Jusqu'à présent, les emplois de ce
secteur ne se prêtent pas bien à l'automatisation, même avec
la robotique de pointe, ce qui nécessiterait de la part des compagnies
un investissement initial élevé et non rentable. Il ne faut
toutefois pas en déduire qu'il ne subira aucune transformation.
L'industrie sidérurgique a encore la réputation
de créer un grand nombre d'emplois, mais la situation est en train de
changer.
À plus ou moins long terme, certaines parties du
processus de production pourraient être externalisées ou
numérisées et un plus grand nombre de processus seront
commandés à partir de salles de commande centrales plutôt
que dans les ateliers.
Des calculateurs industriels prendront de plus en plus de
décisions, entre autres, à propos des mélanges
précis de matières premières, et les machines pourront de
plus en plus diagnostiquer leurs propres besoins en matière d'entretien.
La gestion de l'entretien pourrait devenir numérique et être
confiée à des fournisseurs de services spécialisés
dans des plateformes spécifiques. La location d'équipement de
production, plutôt que l'achat, aura le même effet : le fournisseur
d'équipement conservera les responsabilités touchant l'entretien
et sera tenu au courant des besoins en matière d'entretien par des
composants numériques de TIC intégrés dans les machines.
De nouveaux progrès technologiques dans le domaine des véhicules
autonomes seraient un atout intéressant dans ces secteurs - si les
véhicules autonomes ne sont pas encore assez sophistiqués pour
prendre en charge le transport et la livraison au complet, ils pourraient au
moins prendre en charge la manipulation du matériel au sein de l'usine
elle-même.
À plus long terme, il est certain que même les
emplois dont l'automatisation n'est pas rentable pour le moment finiront par
être transformés. L'Institut de recherche allemand Fraunhofer IAIS
fait une différence entre, d'une part, l'intégration
numérique à l'intérieur de l'usine, dans l'optique de
l'optimisation de la production et, d'autre part, l'intégration
numérique faisant intervenir des entités externes, notamment les
fournisseurs et les clients. La première a tendance à
améliorer l'efficience, la productivité et la qualité,
tandis que la deuxième concerne l'adaptabilité, la
personnalisation, les stocks et la logistique. La vitesse de cette
transformation variera considérablement, mais elle est
déjà en cours dans certains domaines. La nouvelle usine de
laminage de Voestalpine AG, en Autriche, n'a besoin que de 14 travailleurs pour
produire autant de produits que ce que mille travailleurs produisaient dans les
années 1960. Cet exploit est rendu possible grâce à
l'automatisation avancée et à une commande centralisée des
processus. Exception faite du personnel d'entretien et du personnel de
logistique (qui comptent environ 300 personnes encore à l'usine), les
quelques emplois liés à la production qui restent encore à
l'usine sont les employés de bureau et les techniciens à la
régie.
À l'échelle mondiale, la production d'une tonne
d'acier exige maintenant en moyenne 250 travailleurs-heures, par rapport
à 700 travailleurs-heures il y a 20 ans - cette tendance à la
baisse se poursuit et pourrait même s'accélérer. Les hauts
fourneaux, par la nature de leur travail, risquent de moins bien se
prêter, à court terme, à ce type radical d'automatisation,
comparativement à une usine de laminage, mais des changements sont
à venir là aussi. Voestalpine cherche déjà des
moyens de moderniser ces lieux de travail et d'éliminer un grand nombre
d'emplois.
Secteur minier
Le secteur minier est relativement diversifié quant aux
progrès technologiques utilisés dans les mines. Quelques mines
nécessitent encore une grande proportion de travail manuel, mais
d'autres sont déjà très automatisées, ce qui
semblerait indiquer que les mines sont de bonnes candidates pour une
numérisation industrielle plus poussée. Bien que la
transformation numérique (ou la diffusion de ces technologies) varie
selon la région où se trouvent les mines, la « mine
numérique » n'est pas loin à l'horizon. Dans les pays
où la main-d'oeuvre est bon marché et où les technologies
couramment utilisées sont rudimentaires, les compagnies n'auront pas
tendance à investir à court terme dans la numérisation des
mines parce que le rendement de cet investissement demeurerait plutôt
bas.
Cela dit, il y a déjà des mines où des
robots ou des machines téléguidées accomplissent une
grande partie du travail qui était fait autrefois par des humains sur la
paroi rocheuse; le forage est un bon exemple. Plus le coût de ces
technologies sera bas, plus elles seront utilisées.
L'accessibilité des technologies de pointe, notamment les capteurs, les
analyseurs et la connectivité des machines de production, placera
l'Internet des objets et les services en nuage au centre de l'environnement
numérique de l'industrie minière. « Les forces à
l'oeuvre derrière l'essor de la «mine numérique» sont
aussi impérieuses que celles qui provoquent le changement dans d'autres
industries. » - Marcelo Sávio, architecte, Solutions industrielles
mondiales, chez IBM. Les forces motrices derrière l'essor de la «
mine numérique », ce que Marcelo Sávio appelle l'«
économie transformée » de l'exploitation minière,
sont la productivité, les défis techniques et sociaux, la hausse
du prix des intrants, la chute des cours des produits de base et les exigences
en matière de sécurité. Les statistiques concernant la
numérisation sont étonnantes.
Voici quelques chiffres tirés d'un webinaire de la
division Energy Insights de la société International Data
Corporation (IDC), intitulé Digital Transformation in Mining : Driving
Productivity Improvements : À l'échelle internationale, 28 % des
sociétés minières comptent augmenter leurs budgets de TI
malgré les défis auxquels l'industrie est confrontée
actuellement.
Les technologies jouent un rôle de plus en plus
déterminant du côté des investissements : 70 % des
compagnies envisagent d'investir dans l'automatisation de leurs mines; 69 %
examinent la possibilité d'installer un poste de commande et de
contrôle centralisé; plus de 25 % étudient le rôle
que pourrait jouer la robotique. Les compagnies qui réussiront à
créer une différentiation concurrentielle se retrouveront dans la
meilleure position pour obtenir de bons résultats dès maintenant
et quand les cours des produits de base remonteront. Les compagnies
minières augmenteront progressivement leurs visibilité, dynamisme
et contrôle au moyen de leurs données. On s'attend à une
augmentation de 30 % chez les sociétés minières qui
utiliseront l'analytique avancée dans leurs opérations au cours
des prochaines années, particulièrement pour la gestion de
l'énergie, des minerais et de la chaîne d'approvisionnement.
L'incidence sur les emplois est évidente, ainsi que la
nécessité pour les travailleuses et travailleurs
d'acquérir de nouvelles compétences. Les mesures favorisant une
transition équitable dans le secteur de l'énergie - c'est
à dire les programmes qui devraient être mis en place pour
protéger les travailleuses et travailleurs touchés par cette
transition - devront être complétées par des projets de
diversification économique réalisés par les gouvernements
nationaux. La diversification des économies locales serait
renforcée par un modèle de développement économique
intégré - une politique industrielle durable - qui obligera les
compagnies minières à intégrer leurs plans de
développement des infrastructures à l'intérieur des plans
de développement des économies locales.
Ces plans ont été mis en place jusqu'ici lorsque
l'investissement était justifié par des circonstances
exceptionnelles, comme l'exploitation de minerai d'uranium à très
haute teneur, qu'il serait impossible d'extraire à l'aide de
travailleurs humains à cause du danger d'irradiation. Précisons
que les technologies capables de remplacer divers emplois du secteur minier par
des robots existent déjà. Nul doute qu'elles seront de plus en
plus utilisées à mesure que le coût de ces technologies
diminuera.
Secteur du textile, de l'habillement et du cuir
Le secteur du textile, de l'habillement et du cuir est lui
aussi relativement diversifié en ce qui concerne les produits et les
technologies utilisés. Les fibres et les textiles utilisés dans
la fabrication de matériaux spéciaux, par exemple, les tissus et
les plastiques renforcés de fibres de carbone, entrent de plus en plus
dans la construction des automobiles, des avions, etc., et utilisent
déjà de l'équipement très moderne. Par ailleurs, la
confection de vêtements et d'articles en cuir profite encore d'une
main-d'oeuvre bon marché, mais elle est effectuée dans des
conditions de travail extrêmement précaires, malsaines et
dangereuses, presque toujours dans le monde en développement. Ce secteur
sera probablement partiellement touché par l'Industrie 4.0 : la
confection de textiles spéciaux qui se fait déjà à
l'aide de machines de haute technologie pourrait être
numérisée davantage.
Encore récemment, l'automatisation de la fabrication de
vêtements était considérée comme une tâche
très difficile, à cause notamment des caractéristiques
extensibles des tissus et de l'obligation de personnaliser les produits. Cela
dit, il y a eu des percées dans ce domaine, et des robots sont
maintenant capables de faire le travail qui était autrefois accompli par
des opérateurs de machines à coudre. À mesure que cette
technologie fera ses preuves, des centaines de milliers - peut-être
même des millions - d'opératrices de machines à coudre
risqueront de perdre leurs emplois. À titre d'exemple, au Bangladesh,
l'automatisation avancée a déjà éliminé des
centaines de milliers d'emplois dans les usines de chandails. Comme ce secteur
est un secteur clé dans certains pays en développement, les
risques sociaux et les risques de développement seront énormes.
En effet, la possibilité que l'automatisation devienne rentable,
même dans les pays où la main-d'oeuvre est bon marché,
soulève des questions importantes.
Cette initiative et d'autres semblables
réussiront-elles à inciter les fabricants à
accélérer l'implantation des technologies de pointe? Le tannage
et le cuir ont eux aussi résisté dans une certaine mesure aux
changements technologiques, mais ce n'est plus nécessairement le cas, et
les conséquences pourraient être considérables. En Inde,
les emplois dans l'industrie du tannage et du cuir sont déjà
passés de presque 200 000 à environ 30 000 (ces pertes d'emplois
ne sont pas dues qu'aux seuls changements technologiques, mais à une
combinaison de facteurs).
Par ailleurs, en raison de tolérances de plus en plus
strictes par rapport au contrôle de la qualité, les fournisseurs
de textiles, de vêtements et de cuir se verront obligés d'adopter
la haute technologie. Les parties du secteur du vêtement exigeant des
travailleurs peu qualifiés pourraient être touchées par la
relocalisation d'usines vers des pays européens - comme l'a
déjà fait Adidas. Cette relocalisation permet aux compagnies de
produire à l'aide de méthodes en grande partie
numérisées, mais de vendre leurs produits plus cher parce qu'ils
sont de meilleure qualité et que le sceau « Fabriqué en
Europe » exerce un attrait sur les consommateurs.
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