PARTIE 3 : LIMITES DE L'ELECTRIFICATION RURALE
DECENTRALISEE ET EVOLUTIONS POSSIBLES
Malgré les nombreuses contributions de l'ErD au
développement des pays émergents, celle-ci ne fait pas
l'unanimité. Il existe une partie de la littérature remettant en
cause plusieurs aspects de l'ErD. Cette partie tente, dans un premier temps, de
rassembler et de mettre en lumière les réserves des chercheurs,
ONG et groupes d'évaluation sur les difficultés à
atteindre les populations les plus pauvres, le manque de données fiables
pour attester des impacts ainsi que les problèmes organisationnels et
techniques. Puis dans un deuxième temps, il s'agira de montrer que des
solutions méthodologiques, organisationnelles et techniques existent
afin de dépasser ces limites.
L'Electrification rurale Décentralisée et
ses limites
Une électrification qui ne se concentre pas sur
les plus défavorisés
Une des menaces pesant sur le financement de l'ErD est
la tendance des grands bailleurs internationaux à s'orienter vers des
partenariats public-privé (PPP). Ces partenariats demandent des retours
sur investissements plus rapides (Jacquemot, 2017), ce qui favorise les types
de programmes plus rentables que l'ErD tels qu'une extension de réseau
urbain ou la construction d'une centrale thermique. Les investissements se
concentrent donc sur des groupes de population en général plus
aisés que les ruraux et qui bénéficient déjà
d'un environnement électrifié (infrastructures, commerces,
services de bases, etc.). Cette tendance des grands bailleurs internationaux de
recourir aux PPP fragilise les financements de l'ErD et ne permet pas de
fournir un service électrique fiable et abordable aux populations les
plus économiquement et géographiquement
défavorisées.
Cet écart d'investissement se retrouve aussi
à plus grande échelle avec les choix d'investissement des grands
bailleurs. La Banque Mondiale, par exemple, représente à elle
seule près de 500 milliards de US$ d'investissement en faveur de
l'accès à l'électricité entre 2000 et 2014. Or
selon le rapport du Groupe d'Evaluation Indépendant de la Banque
Mondiale, 46% des montants investis dans l'électrification ont
été destinés à des pays ayant un taux
d'électrification déjà élevé voir disposant
d'un accès universel (Independant Evaluation Group, 2014). Les pays
ayant un faible taux d'électrification n'ont perçu que 22% des
montants investis et la part consacrée à l'ErD est minime (de
l'ordre de 1%).
Plusieurs raisons peuvent expliquer la
frilosité des bailleurs internationaux pour les projets « off-grid
» (Power 4 All, 2016) :
o les équipes de ces OI sont habituées
aux gros projets d'infrastructures (extension de réseau, mise à
niveau d'infrastructures existantes, importants projets
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Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
hydroélectriques et thermique, etc.), les
personnes recrutées (ingénieurs et économistes) sont
issues d'écoles et formations spécialisées sur ce type de
projets
;
o les agences de notation des banques valorisent
davantage les gros projets d'infrastructures ;
o les entreprises actives dans ce secteur sont
jeunes, ont des capitaux plus faibles (maximum 50 millions de US$) donc moins
rassurants ;
o les clients de ces solutions sont moins
solvables.
De plus, quand la construction des installations de
production d'électricité est terminée, celle-ci n'est pas
toujours suivie de raccordements massifs. Ce décalage s'explique souvent
par le prix du service et notamment celui du raccordement. Le coût de
raccordement est compris entre 50 et 250 euros (Bernard, 2010) selon les
programmes et les régions. Même si il ne revient pas en
intégralité aux abonnés16, il reste
élevé et représente un lourd investissement pouvant
atteindre 3 mois de salaires complets (Barron & Torero, 2015) pour les
ménages les plus pauvres. En Afrique sub-saharienne, où le
pourcentage de la population vivant avec moins de 1,90$ par jour est d'environ
42% en 2013 (World Bank, 2014), il n'est pas rare de constater que les taux de
connexion, pourcentage de la population connectée dans les zones
où un accès au service est pourtant disponible, sont assez bas
(Bernard, 2010). Il en résulte que les foyers raccordés sont
souvent les plus riches. Les premiers bénéficiaires des
programmes sont les ménages capables de réaliser l'effort
financier correspondant au coût du raccordement. Cela remet en cause
l'objectif de l'ErD de fournir un service électrique de qualité
au plus grand nombre et induit des biais non négligeables dans la mesure
des impacts.
Des biais dans la mesure des impacts
L'objectif général de la grande
majorité des projets ErD est l'amélioration des conditions de vie
des bénéficiaires et le développement économique
des régions électrifiées, or ces résultats sont
parfois subjectifs (mesure du développement, de la qualité de
vie, etc.) et dépendent de multiples variables. Les évaluateurs
et chercheurs ne peuvent contrôler toutes ces variables comme dans la
recherche médicale et leurs accès est souvent limité
(durée de l'évaluation, absence de données,
fiabilité, etc.) ce qui rend les évaluations complexes et induit
des biais. Toutes les études d'impacts et évaluations de
programmes ou de projets en comportent et ceux-ci sont plus ou moins influents,
plus ou moins connus et plus ou moins pris en compte.
16 Le reste étant subventionné par l'Etat,
des programmes de coopération internationale ou des ONG.
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Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Dans le cas de l'ErD, les biais sont présents
car il est difficile de constituer des échantillons de personnes
témoins et donc d'étudier rigoureusement les différences
entre ces groupes témoins et les personnes bénéficiaires.
Par exemple, si le groupe témoin (foyers non électrifiés)
se situe dans le même village que les foyers électrifiés
par kits individuels ou par réseau, il est tout à fait
envisageable qu'il bénéficie indirectement de
l'électrification (nouveaux produits ou services moins onéreux,
pouvoir d'achat des clients croissant, amélioration de la
sécurité, etc.) et biaisent donc la comparaison. Si le groupe
témoin se situe dans un autre village, d'autres externalités
entrent en jeu. Il est aussi périlleux de se contenter d'une comparaison
avant/après. D'une part, celle-ci ne serait que descriptive et ne
permettrait pas d'analyser les résultats et d'autre part, ces
résultats ne se manifestent parfois que des années après
la mise en service des installations et ne sont donc pas
répertoriés. En l'absence de méthode robuste et
acceptée par l'ensemble de la communauté de chercheurs et
d'évaluateurs, nombre d'études soulignant les effets positifs de
l'électrification (santé, éducation, développement
économique, etc.) se retrouvent sujets aux critiques et remises en cause
par d'autres études ou rapport (Bernard, 2010 ; Van De Walle, Ravallion,
Mendiratta & Koolwal, 2013 ; Winther, 2015). En 2008, le Groupe
d'Evaluation Indépendant de la Banque Mondiale remettait en cause le
nombre d'études fiables en écrivant « la base de
données reste faible pour nombre des avantages revendiqués par
l'électrification rurale » (Independant Evaluation Group,
2008).
Concernant les impacts sur l'éducation et
l'économie, il existe de multiples biais. Certains sont connus et pris
en compte depuis longtemps tel que le biais de placement : si la zone
électrifiée est proche d'une ville ou d'une région
déjà électrifiée, les habitants ont de fortes
chances d'avoir des revenus plus élevés que les habitants de
zones plus éloignées, ils sont généralement plus
dynamiques économiquement et l'électrification leur sera plus
profitable, maximisant ses impacts (Cook, 2011). Ce biais de placement
influence donc le développement économique par l'achat de nouveau
matériel électrique facilité et plus abordable, des
clients potentiels plus importants en cas de diversification ou de
création d'activités, la présence d'infrastructures de
transport, etc. L'accès à une meilleure éducation est,
lui, facilité par un nombre d'écoles, collèges et
universités plus important, la présence de librairies et
bibliothèques, etc. Dès 1975, la Banque Mondiale a pris en compte
ce biais en établissant des critères de localisation des projets
d'électrification rurale (Bernard, 2010) mais ce n'est pas le cas pour
tous les programmes et projets.
Comme indiqué dans la sous-partie
précédente, le revenu des foyers influence grandement leur
propension à se connecter lors des projets d'électrification,
mais il implique aussi d'autres conséquences. Une fois connectés,
les foyers les plus riches bénéficient plus de
l'électrification et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord et d'un
point de vue économique, il a
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Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
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été constaté par plusieurs
études et chercheurs que le revenu moyen augmentait plus
significativement (10% pour les foyers riches contre 2% pour les foyers pauvres
aux Philippines ; Cook, 2011) ainsi que le pouvoir d'achat (12% contre 3 % au
Bangladesh ; Khandker, Barnes & Samad, 2009). Cela contribue grandement
à l'amélioration des conditions de vie et aux possibilités
de développement économique. Les évaluations des impacts
des programmes d'électrification sur l'éducation diffèrent
aussi selon le revenu pré-électrification. Au Bangladesh,
l'étude de Khandker, Barnes & Samad (2009) semble indiquer un
écart sur le temps de lecture quotidien ainsi que sur le niveau
d'étude atteint. Ce biais, quand il n'est pas clairement
identifié et pris en compte influence plusieurs indicateurs souvent
utilisés lors des évaluation et études et jette donc un
doute sur l'exactitude de celle-ci.
Pour les impacts sur la santé, les
réserves concernent plus les performances techniques des installations
que la mesure et la prise en compte des biais dans
l'évaluation.
Limites dans les usages domestiques et
productifs
La réduction de l'utilisation de bougies et
lampe à pétrole, source de particules nocives, est bien
confirmée par la grande majorité des études17
mais des doutes sont émis sur l'efficacité de l'ErD à
réduire la pollution des moyens de cuisson et de chauffage. Comme
évoqué auparavant, l'ErD ne permet pas de fournir de grandes
puissances électriques dans le cas des solutions individuelles et des
micro-réseaux.
Dans l'immense majorité des cas,
l'électricité ne remplace pas les biocombustibles pour la cuisson
des aliments et le chauffage des ménages ruraux18. Cela
s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, la quantité
d'énergie nécessaire pour la cuisson et le chauffage est trop
importante pour être alimentée par les systèmes solaires ou
éoliens les plus accessibles et répandus : les kits individuels.
D'autre part, ces biocombustibles sont accessibles gratuitement ou pour un
faible investissement toute l'année, argument particulièrement
décisif pour les foyers et région rurales les plus pauvres. Ces
éléments limitent l'impact de l'ErD sur la réduction de la
pollution intérieure des foyers et ne permet pas de ralentir
l'utilisation des biocombustibles.
Ces faibles puissances proposées par les kits
individuels limitent aussi grandement le développement
d'activités génératrices de revenus pour les foyers
électrifiés. Avec ce type de système, il est difficile
d'envisager l'utilisation d'équipements électriques gourmands
permettant la mécanisation d'activités (moulins
électriques, pompes, scies, etc.) existantes et le développement
de nouvelles activités (réfrigérateurs, soudeuses,
cyber-cafés, etc.).
17 Voir p. 21
18 En Afrique du Sud par exemple,
l'électricité ne remplace pas les biocombustibles pour la cuisson
dans 90% des cas et dans 99% des cas pour le chauffage (Madubansi &
Shackleton, 2006)
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Des moyens de paiement et des tarifs longtemps peu
adaptés
La pérennité des projets d'ErD de type
micro et mini-réseaux repose sur la viabilité de l'exploitant et
le renouvellement des équipements électriques défaillants
(panneaux, batteries, petit matériel, etc.). Cela n'est possible que si
le nombre d'abonnés est suffisant et si le paiement de la redevance est
régulièrement effectué, or une des limites de l'ErD a
longtemps résidé dans son système de paiement. Celui-ci
était calqué sur les pays occidentaux avec un versement de
mensualités. Mais ce système de paiement mensuel par forfait
n'est pas le plus adapté au mode de vie des habitants des
ruralités des pays émergents. En effet, la majorité des
foyers et entrepreneurs sont plus habitués à payer
régulièrement de petites sommes pour leur accès à
l'énergie que des mensualités non adaptées à leur
trésorerie. Sans l'électricité, l'approvisionnement en
énergie se fait en fonction du besoin : achat de carburant, bois,
charbon, piles, bougies, etc. L'électrification et les systèmes
de paiement classiques obligent à changer ce mode de consommation et ce
changement n'est pas toujours bien compris ou accepté. De plus, les
exploitants sont obligés de se déplacer dans les foyers et
entreprises pour collecter les paiements. Ces frais de fonctionnement
supplémentaires fragilisent l'équilibre financier des exploitants
et la pérennité des projets.
Il est aussi important de souligner l'importance des
tarifs de l'électricité. Du point de vue des exploitants, les
coûts d'investissement de l'ErD sont élevés et
l'équilibre financier est précaire dans ces régions
à faible densité de charge (peu de clients et peu de consommation
par personne). Si le pays opte pour une tarification nationale homogène
basée sur le coût de revient du réseau national
d'électricité, le prix payé par les abonnés sera
inférieur au prix de revient pour les systèmes
décentralisés ruraux, mettant en péril les exploitants
(The Africa Electrification Initiative, 2012). Le cadre législatif peut
donc, dans certains cas, freiner le développement de l'ErD par un
encadrement non adapté des tarifs.
Cette inadéquation entre les habitudes de
paiement traditionnelles couplée à une tarification
défavorable et une sensibilisation insuffisante en amont des projets
sont des facteurs pouvant expliquer les faibles taux de recouvrement pour les
services d'électricité et notamment en milieu rural.
Il apparait donc que l'ErD souffre de plusieurs
limites et contraintes liées à son évaluation, son
fonctionnement, ses régions d'interventions, aux limites technologiques
de ses systèmes, etc. Mais celles-ci ne sont pas définitives et
il existe des améliorations et évolutions qui, une fois
généralisées, permettront de les
dépasser.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
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Comment les dépasser ?
Amélioration de la méthodologie
d'étude
Dans le cadre de l'évaluation de projet de
développement, il est impossible de disposer de conditions parfaitement
contrôlées mais les études d'impacts et les
évaluations de projets ou programmes d'ErD disposent d'outils
méthodologiques permettant de contrer une partie des biais
évoqués plus haut, ou du moins mieux les prendre en compte. Au vu
du nombre de facteurs extérieurs, une simple comparaison
avant/après n'est pas envisageable pour les projets d'ErD. Il est
possible de recourir à d'autres méthodes dont deux très
utilisées : la méthode de la « simple différence
» et celle de la « double différence ». Ces deux
techniques d'évaluation nécessitent un groupe de contrôle.
Il s'agira, avec la méthode de la « simple différence
», de comparer sur un ensemble d'indicateurs le groupe de contrôle
avec le groupe de population électrifié. C'est une méthode
standard qui ne neutralise pas tous les biais. Si les chercheurs ou
évaluateurs dispose de temps et de bases de données suffisantes,
ils peuvent envisager la méthode de la « double différence
», plus fine dans son analyse. En effet, celle-ci reprend le principe de
la « simple différence » mais étend la comparaison avec
le groupe de contrôle dans le temps. Elle permet donc une mesure de
l'évolution plutôt que des résultats finaux.
Deux étapes indispensables de ces
méthodes sont sujettes aux critiques et ont été
renforcées avec le temps. La première est la définition
des indicateurs qui seront utilisés pour la comparaison entre le groupe
de contrôle et le groupe électrifié. Ces indicateurs
doivent être définis bien en amont du projet et répondre
à certaines contraintes (Winther, 2015) : (i) être accessible afin
de s'assurer que la récolte des données sera possible (temps de
production des données, personne compétente pour la
récolte, etc.) ; (ii) correspondre aux objectifs du projet et ne pas se
contenter d'illustrer les résultats les plus évidents (exemple :
taux de connexion VS usage productif de l'électricité) ; (iii)
permettre une évaluation des impacts à long-terme sur des
années voire des dizaines d'années (évolution de la
consommation, achat progressif d'équipements, utilisation de ces
équipements, etc.) et (iv) permettre une différenciation selon le
niveau de revenu avant-projet des foyers.
La deuxième étape importante est la
définition d'un groupe de contrôle fiable et adapté.
Plusieurs techniques peuvent être envisagées afin de créer
ce groupe dans les projets et programmes d'électrification (Duflo, 2005)
mais elles posent des questions éthiques. Par exemple «
l'appariement par score de propension » : il s'agit, dans un premier
temps, de collecter le plus de données possibles sur la population
étudiée (conditions de vie, économie, santé,
démographie, éducation, etc.) puis de créer des paires
d'individus, de groupes
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d'individus ou de foyers avec des
caractéristiques aussi proches que possible. Un des deux groupes ainsi
constitué sera le groupe de contrôle.
Une autre technique est aussi souvent citée car
elle permet de contrer de nombreux biais : l'assignation aléatoire. Dans
le cas de l'électrification, cette assignation facilite
financièrement (peu importe le revenu) l'accès au service
électrique par la distribution aléatoire de bons de
réduction (ou crédits) sur le coût de raccordement au
réseau local (Bernard & Torero, 2011) ou sur l'achat de kits
individuels. Ces bons, pour des raisons de transparence et de fiabilité
des études, doivent être nominatifs, non échangeables et
distribués au vu et au su de tous. Le groupe ainsi désigné
se veut représentatif de l'ensemble de la population
étudiée et permet d'évaluer l'impact global de
l'électrification mais pas de manière individuelle. Comme pour
les indicateurs, plusieurs contraintes sont à prévoir (White,
2011). Par exemple, l'assignation aléatoire doit être
prévue et acceptée par toutes les parties prenantes dès la
préparation du projet et il n'est pas possible de l'appliquer à
des projets déjà en cours ou finis car cela induit de nouveaux
biais De plus, il faut respecter une taille critique de l'échantillon
à étudier car l'assignation aléatoire a pour objectif de
fournir une vision globale des impacts. Elle se révèle donc
parfois plus coûteuse que des techniques plus classiques (collecte et
analyse des données, distribution des bons, suivis, etc.).
Les alternatives ou évolutions
évoquées ci-dessus ne permettent pas d'éliminer tous les
biais ni d'atteindre des conditions d'évaluation parfaites. Le secteur
de l'évaluation des programmes de développement étudie des
phénomènes sociaux complexes et ne peut se targuer d'une
objectivité absolue ou d'une analyse complète.
L'amélioration des méthodes d'évaluation est
nécessaire et possible mais elle ne pourra être efficace sans un
renforcement des capacités des acteurs locaux. En effet, il est
difficile d'envisager des évaluations sans bases de données
fiables (institutions nationales spécialisées), connaissances du
terrain et suivis rigoureux (bureaux d'études, associations,
etc.).
Les activités productives comme point
d'ancrage
Le développement d'activités productives
peut être vu comme une conséquence de l'électrification
d'un village mais c'est aussi un facteur important pour le développement
des projets d'électrification et particulièrement en milieu
rural. Cette synergie est présente depuis les débuts de
l'électrification rurale comme urbaine et se justifie encore
aujourd'hui.
Afin de rendre l'électrification aussi utile
que possible, il est montré que les nouveaux projets et programme
doivent se baser sur une étude fine des besoins de la population mais
aussi des activités présentes, en développement ou en
projet (Bernard, 2010 ; IFDD, 2015 ; Short, 2015 ; International Energy Agency,
2017). Il s'agit de caractériser au mieux le tissu économique
local et d'identifier les filières productives pouvant
bénéficier de l'électricité. C'est
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une étape indispensable car ces
activités peuvent servir de point d'ancrage à l'exploitant et
donc au projet c'est-à-dire être un/des client(s) important(s) et
stable(s). Si ces activités sont prises en compte dès la
préparation du projet, cela permet d'établir un business plan
plus robuste et de faire profiter aux abonnés de tarifs plus
abordables.
Dans un rapport de 2015, Tenenbaum, Greacen,
Siyambalapitiya & Knickles prennent l'exemple des tours
téléphoniques en Inde comme activité productive d'ancrage.
9 000 d'entre elles, situées dans des zones non connectées au
réseau national, sont alimentées par un exploitant local. Des
systèmes hybrides solaires-éoliens-biogaz produisent de
l'électricité pour ces tours mais elle est aussi
distribuée aux habitants proches. De cette façon, 150 000 foyers
et petits commerces étaient raccordés en 2012.
Lors des périodes d'étude et de
sensibilisation, il est important d'informer très tôt les
populations des possibilités productives qu'offre
l'électricité. Par cette sensibilisation en amont et une aide
financière adaptée (crédits, subvention, dons), les
habitants pourront anticiper l'arrivée de ce nouveau service et
s'équiper en récepteurs électriques pour leur permettre de
profiter pleinement de ses avantages.
Souplesse dans les moyens de paiement et les
tarifs
Grâce aux avancées technologiques et
à la pénétration massive du téléphone
portable, même dans les régions les plus reculées du monde,
de nouvelles solutions adaptées ont été mises en place
pour faciliter le paiement du service électrique. Pour les installations
électriques rurales, l'installation de compteurs intelligents
connectés et le paiement par mobile permettent, paradoxalement, de se
rapprocher des modes traditionnels de consommation avec de faibles montants
payés plus fréquemment. Les abonnés peuvent choisir
d'acheter une recharge leur donnant droit à une certaine quantité
d'énergie et une fois cette quantité épuisée, le
système cesse de fonctionner. Le paiement peut aussi se faire a
postériori avec un suivi précis de la consommation et la
possibilité de recevoir des alertes par SMS en cas de dépassement
d'un seuil établi à l'avance.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
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Figure 8 : Exemple d'utilisation de système
solaire débloqué avec un code SMS (Big Eye,
2013).
Ces méthodes, appelées « Pay As You
Go », permettent de payer le service électrique mais ouvrent aussi
la voie à l'acquisition des systèmes par les foyers. En effet,
les entreprises proposent aux clients de devenir propriétaire des
équipements en incluant dans la facture d'électricité le
paiement d'un crédit. Ce système est de plus en plus
utilisé et certains gouvernements19 s'associent avec des
compagnies privées pour le diffuser largement. Les gouvernements peuvent
aussi faciliter l'acquisition des systèmes par des subventions pour le
raccordement ou l'octroi de crédit à travers leurs compagnies
nationales d'électricité. Au Botswana, il a été
montré que 80% des personnes raccordées avec un crédit ne
l'aurait pas été sans l'aide financière du gouvernement
(Prasad, 2008).
Le problème de la tarification est complexe car
c'est aussi une question politique. D'une part, il est possible de laisser les
exploitants fixer eux-même leurs prix pour assurer la
pérennité des systèmes mais cela excluera les foyers les
plus pauvres. D'autre part et comme évoqué p. 33, un prix du kWh
national met en péril l'équilibre financier des exploitants mais
permet au plus grand nombre d'accéder au service électrique. Une
des solutions envisagées est alors la subvention d'un tarif rural par
l'Etat. Afin d'évaluer le prix hypothétique maximum du kWh dans
ces régions, des études (Cook, 2011) proposent de se baser sur
les dépenses moyennes des foyers pour l'éclairage et les
utilisations possibles de l'électricité (par exemple le diesel
nécessaire aux pompes à eau, la recharge des télphones
portables, etc.).
« Je vais rendre l'électricité si bon
marché que seuls les riches pourront se payer le luxe d'utiliser des
bougies. »
Thomas Edison, prononcée en 1887
19 Notamment au Togo ; International Energy Agency,
2017.
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