INTRODUCTION
Lire un livre ou cuisiner après le coucher du
soleil, écouter les actualités à la radio ou les regarder
à la télévision, recharger son portable chez soi, vivre
à proximité d'un centre de soin pouvant conserver des vaccins ou
vivre proche d'un commerce disposant d'un réfrigérateur sont
autant d'activités et de services basiques facilités ou rendus
possibles par l'électricité. Pourtant, près d'un milliard
de personnes dans le monde n'y ont toujours pas accès de nos jours et
84% d'entre elles habitent dans une zone rurale (International Energy Agency,
2017). Ces chiffres reflètent un déséquilibre et une
injustice dont les origines sont multiples et les solutions
connues.
L'électrification rurale
décentralisée (ErD) constitue un élément de
réponse à cette problématique revenue sur le devant de la
scène internationale depuis une dizaine d'années. L'ErD est une
solution permettant aux personnes, non desservies par le réseau de
distribution national, d'accéder à un service électrique.
Ces installations exploitent principalement des sources d'énergies
renouvelables pour permettre à des populations
défavorisées par leur isolement géographique de profiter
de l'électricité. Cet isolement géographique s'accompagne
souvent de nombreux désavantages impactant la santé,
l'éducation, l'économie et les conditions de vie en
général dans ces régions.
L'ErD a parfois été perçue comme
une réponse « miracle » à la problématique du
développement des populations rurales. Mais au vu des enjeux humains
(les conditions de vie de plus d'un milliard de personnes sont
concernées), environnementaux (la production d'électricité
est source de nombreuses pollutions et dégradations environnementales)
et économiques (augmentation potentielle des revenus pour les
bénéficiaires, montants des investissements nécessaires,
etc.), il est légitime de s'interroger sur le véritable
rôle et les réels impacts de cette solution. Plusieurs acteurs,
chercheurs ou bailleurs internationaux reprennent ce questionnement. En
d'autres termes, l'électrification rurale décentralisée
constitue-t-elle vraiment une réponse viable et efficace afin de
favoriser l'amélioration des conditions de vie et le
développement économique des populations rurales ? Ce
mémoire se fixe donc pour objectif de dresser un portrait global et
réaliste de l'ErD dans les pays émergents depuis sa
création dans les années 80 jusqu'à nos jours.
Ce document se base principalement sur une
étude documentaire1 ainsi que sur les observations et
expériences acquises lors d'un stage de cinq mois à la Fondation
Energies pour le Monde. La littérature est abondante dans le domaine de
l'électrification rurale et ses différentes facettes sont
largement abordées à travers des rapports et notes de travail
de
1 La majorité des écrits cités se
rapportent au continent Africain car celui-ci concentre aujourd'hui la plupart
des besoins.
7
bailleurs nationaux ou internationaux, des notes de
réflexion lors de rencontres ou forums mondiaux, des articles de
chercheurs, des évaluations de programmes ou de projets d'agence de
développement ou d'ONG, etc. Une vaste partie de cette
littérature est consacrée à l'analyse des impacts positifs
de l'ErD mais il existe aussi de nombreux documents contrebalançant ces
conclusions et témoignant d'une véritable conscience des limites
et contraintes existantes.
La première partie permet d'introduire l'ErD,
elle évoque ses évolutions politiques, institutionnelles et
techniques depuis ses débuts afin d`appréhender sa situation
actuelle. Elle expose les enjeux soulevés ainsi que les contraintes qui
s'appliquent. Enfin elle présente succinctement les solutions techniques
répondant à ces enjeux. Dans un deuxième temps, ce
document tente d'énumérer les contributions de l'ErD au
développement des pays émergents. Des impacts aussi
communément admis que la santé, l'éducation et le
dynamisme économique sont évoqués mais aussi d'autres
moins étudiés. La troisième partie relève les
principales critiques rencontrées par les programmes et projets d'ErD
(efficacité, évaluation des résultats et solutions
techniques privilégiées) afin d'évoquer les
évolutions possibles pour les surpasser.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
8
PARTIE 1 : ELECTRIFICATION RURALE DECENTRALISEE, DE
QUOI PARLE-T-ON ?
Les évolutions
Historique succinct
L'électrification des pays que l'on nomme
aujourd'hui émergents ou en développement a commencé,
dès le début du 20ème siècle, par la
construction de centres de production et de réseaux de distribution dans
les centres industriels et miniers. La production était assurée
par des centrales thermiques construite à proximité des sources
de charbon ou de pétrole. Il y a donc historiquement une forte
corrélation entre l'industrialisation des pays émergents et leur
électrification. Cette corrélation s'illustre parfaitement avec
l'exemple de l'Afrique du Sud, le pays a très tôt fait
évoluer de pair l'offre et la demande (pour l'industrie et les quartiers
blancs uniquement) en électricité, en exploitant les
réserves abondantes de charbons dont le pays disposait et a pu
même profiter, dans les années 1900, d'un tarif de
l'électricité inférieur à celui de la
Grande-Bretagne. Mais l'Afrique du Sud reste une exception car il faut attendre
l'indépendance des autres pays africains pour que les premiers
programmes d'extension de réseau voient le jour. La priorité est
toujours donnée aux centres industriels mais certains quartiers
d'habitation proches de ces centres sont raccordés. C'est le cas
notamment au Kenya et en Côte d'Ivoire (Debeugny, Jacquot & De
Gromard, 2017) mais ces extensions sont anecdotiques et peu suivies sur le
continent.
Les premiers programmes de coopération
internationale en matière d'électrification font suite aux deux
chocs pétroliers de 1973 et 1979. Le développement des
énergies renouvelables, et particulièrement le solaire, initie la
création d'agences nationales de promotion de cette technologie dans les
pays du Nord et de mise en oeuvre de programmes internationaux (par exemple le
Commissariat à l'Energie Solaire, COMES, créé en 1978 en
France). Ces agences financent des programmes ciblés
géographiquement (anciennes colonies) et thématiques
(télécommunication, santé, etc.). L'objectif était
de participer au développement à long terme des pays anciennement
colonisés par la construction d'infrastructures permettant
d'améliorer les conditions de vie et de limiter la migration urbaine, la
déforestation, etc. En Asie, le Bangladesh met en place dès 1975
sa première initiative majeure pour étendre son réseau
électrique, le Total Electrification Program, qui
s'avèrera très efficace grâce à une implication
massive des habitants dans la construction et l'exploitation des
opérateurs (Khandker, Barnes & Samad, 2009).
Dans les années 80, de nouveaux programmes
innovants sont lancés au Maghreb. Ils initient ce que l'on appelle
aujourd'hui l'ErD (Debeugny, Jacquot & De Gromard, 2017)
c'est-à-dire la
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
9
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
prise en compte des usages de
l'électricité, complémentarité des solutions de
production (PV, diesel, hydraulique), l'introduction des batteries,
l'utilisation de lampes basse consommation, etc. Mais ces initiatives sont
coûteuses et le manque de données précises pour les
évaluer va conduire à leur ralentissement lors des
périodes d'ajustement structurel et du New Public
Management.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce ralentissement
(Bernard, 2010), la crise de la dette des pays du Sud impose de nouvelles
conditions de prêts plus exigeantes à ces pays, plusieurs
études jettent un doute sur l'efficacité de
l'électrification rurale (peu de personnes connectés et surtout
des foyers aisés, utilisation toujours massive de biocombustible et donc
déforestation, pas de baisse de la migration rurale, etc.). De plus, la
synergie électricité-croissance est aussi remise en cause, le
modèle « l'électricité entraine la demande » est
inversé et l'électrification n'est plus vue comme un facteur
déterminant de développement. Jusqu'à la fin des
années 2000, la priorité n'est donc plus donnée aux grands
programmes de coopération internationale en faveur de
l'électrification. C'est pendant cette période que les agences
nationales d'électrification seront créées dans les pays
du Sud et que les plans nationaux seront lancés. Leur efficacité
est relative en Afrique car, si certain pays (notamment au Maghreb) ont pu
s'appuyer sur un tissu industriel important pour soutenir
l'électrification rurale, d'autre ont souffert des plans d'ajustement
structurels (Club-ER, 2010). Le recours au Partenariats Public-Privé
(PPP) pour assurer le financement des programmes d'électrification
rurale a entrainé la multiplication des structures nationales sans
réflexion globale à long terme. Les interventions ponctuelles
n'ont pas permis d'atteindre efficacement les zones rurales et ont largement
privilégiées les centres urbains et industriels.
Une décennie plus tard,
l'électrification rurale redevient une priorité pour plusieurs
raisons. D'une part, de nouvelles études mettent en évidence le
rôle qu'elle peut avoir dans la réduction de la pauvreté,
objectif principal d'organisations internationales telles que l'ONU et la
Banque Mondiale. De nouveaux financements lui sont donc réservés
et de nombreux programmes voient le jour (évoqués plus bas).
D'autre part, un travail est aussi mené pour mieux évaluer les
impacts de ce type de programmes par l'ensemble des bailleurs et dans agences
de financement. Il semble pertinent de cité la création de
divisions spécialisées pour les grands bailleurs2
ainsi que des efforts de normalisation illustré par The Paris
Declaration on Aid Effectivness en 2005 et le Partenariat de Busan en
2011. Enfin, les avancées technologiques permettent de
considérablement baisser le coût de revient de
l'électrification et de l'ErD.
2 Par exemple l'Independent Evaluation Group de
la Banque Mondiale et le Network on Development Evaluation de
l'OCDE.
10
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Baisse des coûts de revient
Aujourd'hui, l'ErD devient de plus en plus abordable
et cela est particulièrement vrai quand la solution technique choisie
est le solaire. La baisse des coûts des panneaux photovoltaïques
(PV) et l'augmentation de leur rendement rendent toute une gamme de
systèmes, des lampes solaires aux centrales, viables et abordables pour
les populations rurales. Le prix au Watt des panneaux PV est passé de 75
US$ en 1976 à seulement 0.61US$ en 2015 (Bloomberg and Lighting Global,
2016). Le prix et l'efficacité des LED pour l'éclairage se sont
fortement améliorés : le prix de revient d'une LED qui
était de 0.4 US$ par unité en 2012 est aujourd'hui
inférieur à 0.1 US$, leur intensité lumineuse a quant
à elle augmenté de 166 lm/W en 2012 à 200 lm/W en 2016.
L'éclairage domestique et des commerces est donc devenu abordable pour
toute une partie de la population avec des solutions de lampes pico-solaires
disponibles pour 4 US$. Le stockage de l'électricité a lui aussi
profité d'évolutions technologiques rapides et d'une baisse des
coûts. Les batteries au plomb ont été remplacées par
des batteries lithium-ion plus efficaces et moins chères : de 1000
US$/kWh en 2010 à 350 US$/kWh en 2015. Ces avancées permettent de
rendre les modèles économiques plus faciles à
équilibrer et de permettre à l'ErD de répondre aux besoins
des populations.
Des besoins et contraintes toujours
d'actualités
Une répartition des besoins
inégale
En 2016, le nombre de personne vivant sans avoir
accès à l'électricité était de 1,1 milliard
soit 14% de la population mondiale (International Energy Agency, 2017). Ce
chiffre cache bien sûr de grandes disparités entre le nord et le
sud mais aussi entre les zones rurales et urbaines. Le taux
d'électrification est supérieur à 99% dans les pays
développés mais atteint seulement 43% en Afrique sub-saharienne.
Le continent comptabilise près de la moitié des personnes sans
accès à ce service vital et en 2014, 20 pays rassemblaient 80%
des personnes n'ayant pas accès à l'électricité
(Nations Unies, 2017). Comme expliqué plus haut, les disparités
se retrouvent aussi au sein même des pays avec des taux
d'électrification plus élevés dans les centres urbains que
dans les zones rurales. En Afrique subsaharienne, par exemple, le taux
d'électrification rurale est le plus bas du monde avec seulement 25% de
la population ayant accès à ce service3 (Figure 1).
Dans le monde, les populations rurales représentent 84% des personnes
sans accès à l'électricité. Plusieurs facteurs
peuvent expliquer que ce chiffre ne diminue que faiblement : une croissance
démographique plus élevée dans les zones rurales qu'en
ville et plus élevée que le taux de croissance des raccordements,
la manque d'usages productifs potentiels (développé plus bas) et
la faible capacité d ;e financement des populations.
3 Contre 60% environ en ville.
11
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 1 : Taux d'électrification rurale par
région géographique (Banque Mondiale)
Mais ces indicateurs semblent enfin s'améliorer
significativement. Ainsi, le taux d'électrification rurale en Afrique
subsaharienne, cité ci-dessus, a plus progressé ces 5
dernières années que depuis 1995. Cette décennie a vu se
succéder, avec une relative efficacité, des plans et programmes
internationaux ayant pour objectif « d'électrifier »
l'ensemble de la planète et notamment l'Afrique qui reste aujourd'hui le
continent le moins électrifié (Figure 2).
Figure 2 : Pourcentage de la population sans
accès au réseau d'électricité (Données
Banque Mondiale de 2012)
Peuvent être cités : le programme
Lighting Africa (2007) et Africa Electrification Initiative
(2008) tous deux de la Banque Mondiale, le programme des Nation unies
Sustainable Energy For All (SE4All) lancé en 2011, l'initiative
lancée par le gouvernement de Barack Obama en 2013
12
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Power Africa, l'Initiative Africaine pour
les Energies Renouvelables menée par l'Union Africaine en 2015 mais
aussi des projets privés comme celui du chanteur Akon et de l'entreprise
Solektra, Akon Lighting Africa, de 2014. Ces programmes s'accompagnent
de promesses de fonds (près de 320 milliards pour SE4All) mais les
investissements tardent.
D'autre part, les Objectifs du Millénaire
pour le Développement (OMD), effectifs jusqu'en 2015, ne
comprenaient pas de composantes particulières concernant l'accès
à l'énergie. Mais avec les Objectifs de Développement
Durable (ODD) adoptés en 2015 par 193 pays, c'est maintenant chose
faite. Ces successeurs aux OMD, comptent un volet, parmi les 17,
spécialement consacré à l'accès à
l'énergie.
Objectif de Développement Durable n°7:
Garantir l'accès à un service
énergétique abordable, fiable, durable et moderne pour
tous.
Des contraintes fortes
Les quatre dimensions développées par
cet objectif (abordable, fiable, durable et moderne) permettent de souligner
les principales contraintes dans le domaine de l'accès à
l'énergie. L'immense majorité des investissements et programmes
ou projets répondant à cet objectif concernent l'accès
à l'électricité ou dans une moindre mesure, l'installation
de système de cuissons plus efficaces.
La problématique du coût est bien
évidemment soulevée car il est primordial d'adapter et
d'équilibrer l'offre énergétique à la population.
Les programmes et projets participants à cet objectif doivent,
dès les premières étapes de conception, évaluer
finement les besoins et intégrer les capacités financières
des bénéficiaires. Cette étape est trop souvent
négligée par les bailleurs et cela met en péril
l'équilibre financier du projet et donc sa viabilité. Pour
s'assurer de la réponse à leurs besoins, le « business-plan
» doit au moins prendre en compte le revenu moyen de la région et
la part de ce revenu consacré aux dépenses
énergétiques (gasoil, bougie, piles, etc.). Pour proposer une
solution financièrement équilibrée, il est aussi important
de distinguer les utilisations domestiques et productives afin de
répartir équitablement le coût global du projet en
établissant une grille de tarif flexible et prenant en compte les
éventuelles aides ou subventions de l'Etat4. Qu'ils soient
publics ou privé, l'équilibre financier est difficile à
atteindre pour les exploitants. Les exploitants privés doivent
même aller au-delà et chercher à rentabiliser le service
d'électricité.
La deuxième dimension abordée est celle
de la fiabilité, de la constance et de la « solidité »
du service. Dans les pays développés, en excluant les quelques
petites coupures d'électricité dues à des
éléments naturels imprévus (inondations, chute de neige,
de branches, etc.) ou à
4 La problématique du coût de
l'électricité et des tarifs est développée p. 33 et
36.
13
une trop forte demande ponctuelle, le service
électrique est assuré 7 jours sur 7 et 24h sur 24 toute
l'année. Ce n'est pas le cas dans les pays en développement,
où les populations raccordées aux réseaux nationaux
subissent régulièrement des coupures d'électricité
impactant la vie quotidienne et les activités économiques.
Au-delà des incidents naturels et des conflits, les entreprises
privées ou les compagnies nationales font face à une croissance
de la demande en électricité presque 2 fois supérieure
à celle de leurs capacités. Les producteurs
d'électricité ont donc recours au délestage soit la
coupure de l'alimentation en électricité de quartiers entiers et
pour plusieurs heures. Ces coupures atteignent dans certains pays un
équivalent de 56 jours par an. Les pertes économiques sont
évaluées à près de 2% de PIB (Heuraux, 2011) et de
7 à 13% d'heure de travail par an (Desarnaud, 2016). Pour faire face
à ce manque de fiabilité, les entreprises ont recours à
des groupes électrogènes d'appoints, couteux et
polluant.
La problématique de la durabilité de
l'accès à l'énergie nécessiterait à elle
seul un mémoire complet. Il est aujourd'hui largement admit que
l'utilisation massive de combustibles fossiles fait peser sur notre avenir une
menace globale. Les pays en développement sont particulièrement
concernés car la croissance rapide de leur économie s'appuie sur
un mix énergétique dominé par l'utilisation de charbon et
de biomasse (près de 60% de la consommation globale, Europan Commission,
2011), forts émetteurs de gaz à effet de serre. Le mix
énergétique doit se recentrer sur l'utilisation de techniques de
productions viables sur le long terme et adaptées aux potentiels de
chaque pays. La diversité de l'offre technologique actuelle (solaire,
hydraulique, éolien, biomasse, géothermie, etc.) permet
d'exploiter les potentiels énergétiques de ces pays et de
produire de l'électricité dans toutes les régions du
globe.
Le dernier enjeu abordé est la modernisation de
ce mix énergétique. Cette modernisation passe par (i) un recours
massif à l'électricité pour les usages domestiques et
économique de l'énergie ; (ii) l'utilisation d'équipements
plus efficients.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
14
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 3 : Utilisation finale de l'énergie
par personne (IEA, 2015)
L'objectif est de faire bénéficier de
l'amélioration des conditions de vie, des gains de rendement et de la
diversification des activités qu'offre l'usage de
l'électricité au plus grand nombre. Cette transformation est
aujourd'hui rendue possible grâce à la baisse des coûts de
production de l'électricité permettant l'élargissement des
possibilités.
Une gamme de solutions disponibles
Afin de produire et de distribuer
l'électricité aux populations, plusieurs solutions techniques
existent. Chacune d'entre elles répond à une demande et à
un contexte historique, socio-économique, géographique et
politique. Dans les pays industrialisés, toute la population à
accès à un service d'électricité et sa production
est centralisée. En effet, l'écrasante majorité de
l'électricité domestique et à usage productif est
générée par de grosses infrastructures (centrales
thermiques, nucléaires, barrages, parcs solaires, éoliens, etc.)
pour alimenter un réseau recouvrant tout le territoire et
connecté aux pays voisins (par exemple le European Network of
Transmission System Operators for Electricity - ENTSO-E regroupe les 41
gérants de réseaux électrique en Europe et est même
connecté avec des pays d'Afrique du Nord). Dans les pays
émergents, la centralisation de la production et la mise en
réseau nationale et internationale ne sont pas aussi
efficace.
Le raccordement, solution historique
Pour effectuer de nouveaux raccordements, la solution
historique a longtemps été, à l'instar des pays
industrialisés, l'extension du réseau existant. Des milliers de
kilomètres de nouvelles lignes hautes, moyennes et basses tensions ont
été construites mais cette technique pose aujourd'hui de nombreux
problèmes. D'une part, si ces nouveaux raccordements ne s'accompagnent
pas d'augmentation des capacités de génération, l'ensemble
du réseau n'est plus fiable et cela entraîne des coupures
volontaires (délestages) ou non. Le coût de construction et
d'entretien étant très élevés, les pays en
développement privilégiant cette technique ne sont
généralement pas en mesure d'assurer un service fiable à
la population
15
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
(Desarnaud, 2016). La clientèle,
majoritairement composée de ménages, les compagnies
d'électricité des pays peu électrifiés freine les
investissements importants car leur pouvoir d'achat et leur niveau de
consommation est faible comparée aux entreprises et industries. La
santé financière de ces compagnies est donc assez précaire
(Heuraux, 2011).
D'autre part, si le raccordement est
économiquement viable dans les zones densément peuplées,
il demande des investissements bien plus importants dans les
périphéries des villes et dans les zones rurales et cela se
ressent sur la somme que doivent débourser, dans certains pays, les
populations rurales pour être raccordées. Ce coût de
raccordement augmente avec l'éloignement par rapport à
l'infrastructure de production et alonge fortement l'atteinte d'un taux
d'électrification de 100%. Par exemple, il a fallu 20 ans pour que des
pays comme la Thailande et la Chine passent d'un taux de 30-40% à 85-90%
et de nouveau 20 ans pour atteindre l'accès universel (International
Energy Agency, 2017). Ce phénomène s'appelle le dernier
kilomètre.
Enfin, ces programmes nationaux sont très long
à prévoir et à mettre en oeuvre. Le tracé des
lignes et le choix des régions ou villages à desservir sont
souvent le résultat de longues négociations politiques sujettes
aux changements de gouvernements. A cela s'ajoutent les longues mais
indispensables procédures d'évaluations des impacts
environnementaux et sociaux5. Au total, il faut compter entre 5
(Heuraux, 2011) et 9 ans (Independant Evaluation Group, 2014) pour que la prise
de décision se transforme en réalisation technique. Même si
l'immense majorité (97%) des investissements pour
l'électrification depuis les années 2000 ont été
destiné à l'extension de réseaux (International Energy
Agency, 2017), cet ensemble non-exhaustif de limites montre bien qu'il n'est
pas possible d'atteindre un taux d'électrification globale de 100% d'ici
2030 uniquement par cette voie. Pour électrifier l'ensemble de la
population, il semble donc nécessaire d'envisager un nexus de solutions
centralisées et décentralisées.
Les solutions décentralisées
L'ErD se positionne aujourd'hui comme une alternative
viable à l'extension de réseau, surtout en zone rurale. Ce terme
regroupe plusieurs systèmes adaptés aux besoins domestiques et
économiques des foyers ruraux. En 2011, la consommation moyenne
d'énergie en Afrique était 35 fois inférieure à
celle de l'Union européenne et la consommation
d'électricité près de 100 fois inférieure (Europan
Commission, 2011), ces chiffres cachent de grandes disparités mais ils
sont encore plus importants dans les zones rurales. Cet écart
représente un avantage6 car la puissance à produire
pour répondre aux besoins des habitants est assez faible et
permet
5 Ces dernières années, les
procédures d'évaluation bénéficient toute fois
d'une nouvelle optimisation
6 Mais aussi un inconvénient, voir
p.32
16
une souplesse dans les solutions possibles. Ces
nouvelles solutions déconnectées du réseau national sont
développées plus bas et classées selon deux grandes
catégories et quatre sous-catégories déterminées
par le nombre de personnes alimentées, la puissance
délivrée et les usages possibles (ces caractéristiques
peuvent varier selon les auteurs) :
· Solutions « hors réseau »
composées des pico-dispositifs (standalone, pico-solar) et des
kits individuels (solar home systems) ;
· Solutions « en réseau »
composées des micro-réseaux et des
mini-réseaux.
Les pico-dispositifs sont généralement
constitués d'un petit panneau PV (moins d'une centaine de Watts), d'une
batterie (selon les modèles), d'un contrôleur et d'un ou plusieurs
petits équipements électriques (LED, chargeur de
téléphone, etc.). Ils constituent le premier échelon de
l'électrification et permettent de répondre aux besoins
domestiques les plus basiques (éclairage de la maison ou d'un commerce,
télécommunication, etc.) mais ne dépasse rarement ces
besoins. Ce secteur est extrêmement dynamique avec plusieurs dizaines de
millions de dispositifs vendus chaque année en Afrique (Bloomberg and
Lighting Global, 2016) et des dizaines d'entreprises sont en concurrence. Son
succès peut s`expliquer par la baisse des coûts de la technologie
PV7, le développement de nouveaux moyens de paiements tels
que le Pay As You Go8 et la facilité et la
rapidité de mise en fonctionnement facilitant sa diffusion à
grande échelle par des opérateurs privés. Un des autres
avantages est l'évolutivité des systèmes, les utilisateurs
pouvant ajouter des éléments assez facilement (panneaux PV,
batterie, etc.) et ainsi répondre, en fonction de leur revenus et
jusqu'à un certain point, à une évolution de leurs
besoins. Les pico-dispositifs sont aujourd'hui vendus dans plus 25 pays et
près de 15 à 20% des ruraux en sont équipés au
Kenya, en Tanzanie et en Ethiopie (Jacquemot, 2017). Ce premier échelon
permet de répondre aux besoins les plus basiques mais ne constitue pas,
à lui seul, une réponse suffisante à long terme. Certains
équipements permettant d'améliorer nettement le quotidien des
populations nécessitent des puissances plus
élevées.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
7 Les systèmes valent de 10 à 40 US$
environ.
17
8 Développé p.36
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 4 : Exemple de pico-dispositif pour
l'éclairage et la recharge USB proposé par Greenlight
Planet.
A partir de quelque centaines de Watts, les kits
individuels s'avèrent des solutions plus adaptées. Ces
systèmes se basent sur l'énergie solaire ou, plus rarement,
éolienne pour fournir de l'électricité à une
maison, une infrastructure publique ou privé (école, dispensaire,
petit commerce, antenne relai, etc.). Dans le cas des particuliers, ils
permettent d'alimenter de quelques lampes et une radio à un ensemble
d'équipements plus complet comprenant une télévision, un
réfrigérateur, un ventilateur, des chargeurs de portables, etc.
Les infrastructures privées et publiques peuvent profiter de
l'éclairage, d'un ordinateur, de ventilateurs, d'un
réfrigérateur/congélateur. Dans le cas de la chaîne
du froid domestique ou pour les petits commerce, le mini-réseau est
parfois couplé à un générateur diesel d'appoint
pour compenser les intermittences dans la production d'énergie (cycle
jour-nuit, abcence de vent, etc.). Cette hybridation est obligatoire pour les
dispensaires et les petits centres de soins. Pour ce genre
d'équipements, l'utilisation de batteries est indispensable au vu des
utilisations. Ces kits sont de fait plus onéreux (de quelques centaines
à quelques milliers de US$) et majoritairement introduits dans le cadre
de prgrammes d'éléctrification menés par des agences
nationales ou des OI prenant en charge une partie du coût global et
proposant des facilités de paiement.
Ces deux types de systèmes (pico et kits
individuels) permettent d'améliorer grandement les conditions de vie des
populations rurales. En revanche, ils ne permettent pas de soutenir la mise en
place d'accès à l'électricité à
l'échelle d'un village ou le développement d'activités
économiques plus demandeuses en énergie. Les micro-réseaux
et mini-réseaux désignent des infrastructures de production et de
distribution de l'électricité à plus grande
échelles mais toujours déconnéctées du
système national.
Si la zone possède les caractéristiques
adéquates (source d'énergie, clients potentiels, cadre
institutionnel, densité de population, etc.), une électrification
par micro-réseau est envisageable. Il s'agit d'une centrale de petite
dimension (quelque kilowatt) et généralement solaire, mais il est
parfois possible d'utiliser l'énergie hydraulique, couplée
à un réseau de distribution permettant de desservir les
habitations d'un village. Ce type d'infrastrucure demande une organisation et
un investissement plus important pour plusieurs raisons. D'une
18
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
part, le système nécessite
l'installation d'une unité de production (surface de panneau PV,
turbine, parc éolien, etc.) et d'un parc de batteries plus difficile
à entretenir que les systèmes précédents. Ces
contraintes techniques entrainent des contraintes organisationnelles, les
projets doivent respecter un cadre reglementaire plus lourd, se doter d'un
exploitant fiable et investit, assurer une sensibilisation et une implication
des populations plus poussées, etc. Les infrastructures peuvent
coûter aux alentours d'une centaine de milliers de US$ et sont donc
portés par des OSC et des OI mais peu de groupes privés. En
effet, l'équilibre financier des mini-réseaux est
généralement très précaire et dépend souvent
de subventions, de dotations des collectivités territoriales locales ou
de partenariats Nord-Sud. Dans certains cas les micro-réseaux peuvent
supporter la demande de petites activités économiques peu
consommatrices en éléctricité.
Si la zone à élelctrifier dispose d'un
tissu économique dynamique et potentiellement plus demandeur en
énergie, il s'agira alors d'un mini-réseau ou d'une Zone
d'Activité Electrifiée (ZAE). Les mini-réseaux permettent
de fournir un accès à l'électricité à
environ 2000-5000 personnes. Ils reprennent le principe de fonctionnement d'un
micro-réseaux mais à plus grande échelle. La puissance
potentiellement délivrée est plus imporant ce qui permet
d'envisager la création de véritables pôles
économiques avec des activités diversifiées et
énergivores (transformation agricole, restauration, commerce de produits
frais, menuiserie, ferronerie, cyber-café, atelier de couture, etc.) en
plus d'alimenter les foyers. Les investissements représentent plusieurs
centaines de milliers de US$ mais les mini-réseaux possèdent un
équilibre financier plus stable grâce aux activités
économiques. Celles-ci consomment plus d'élécticité
que les ménages et permettent d'obtenir cet équilibre plus
facilement.
Ce retour à une synergie
électrification/développement économique est aujourd'hui
bien présent dans l'ensemble des projets. Les organisations
internationales favorisent les « usages productifs de
l'électricité », en témoignent les nombreux rapports
de l'ONU9, la Banque Mondiale10, GIZ11,
USAID12, etc. soulignant l'importance de cet aspect pour mieux
rentabiliser les projets et démultiplier les impacts de
l'électrification sur les conditions de vie des populations.
9 Planning for Improved Energy Access and Productive Uses
of Electricity, UNDP, 2015
10 Maximizing the Productive Uses of Electricity to
Increase the Impact of Rural Electrification Programs, The World Bank,
2008
11 Promoting Productive Use of Energy in the Framework of
Energy Access Programmes, GIZ, 2013
12 Guides for Electric Cooperative Development and Rural
Electrification, USAID, 2009
19
PARTIE 2 : LES IMPACTS POSITIFS DE L'ELECTRIFICATION
RURALE DECENTRALISEE
Les parties précédentes tentent de
dresser un portrait de l'électrification et de ses évolutions
jusqu'à nos jours. La partie suivante a pour objectif de regrouper
l'ensemble des domaines impactés par l'électrification et
particulièrement de l'ErD.
Figure 5 : IDH en fonction de la consommation
d'électricité (Banque Mondiale, 2014)
Ce graphique (Figure 3) représentant l'Indice
de Développement Humain (IDH) en fonction de la consommation
d'électricité (en kWh par personne et par an) met en
lumière la corrélation entre l'accès à un service
électrique et la satisfaction de besoins basiques
représentés par l'IDH (notamment santé et
éducation). Même si cet indicateur ne représente pas
fidèlement le développement il permet de s'en approcher et le
plus intéressant sur ce graphique n'est pas la valeur de l'IDH mais
plutôt la forme de la courbe dessinée. Cette courbe logarithmique
croît très fortement sur les petites valeurs (de 0 à 5 000
kWh environ) et se stabilise, ou du moins croît avec beaucoup moins
d'intensité, après un certain seuil. Cela semble indiquer que
« les premiers kWh » sont les plus importants, que l'impact de
l'électrification se ressent même avec des installations de faible
puissance. Les systèmes décris précédemment
permettent de fournir ce service bénéfique dans de multiples
domaines.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
20
Des impacts bien connus
Impacts sur la santé
Les impacts de l'ErD sur la santé des
populations rurales se ressentent de multiples manières plus ou moins
évidentes. L'exemple de l'électrification des centres de soin est
éloquent et facilement compréhensible. En Afrique sub-saharienne,
seules 40% des infrastructures de soins ont accès à
l'électricité (African Development Bank, 2014) et près de
2/3 des hôpitaux et 3/4 des centres de soins subissent au moins une
coupure électrique prolongée par semaine (World Health
Organisation and World Bank, 2014). Que ce soit par le raccordement au
réseau national ou à l'aide d'une centrale photovoltaïque
dédiée couplée à un groupe
électrogène, ces infrastructures demandent une puissance
électrique conséquente et régulière du fait des
nombreuses utilisations de l'électricité. L'accès à
un éclairage adapté et fiable permet d'étendre les plages
horaires des consultations et opérations, le chauffage améliore
le confort des patients et personnels. Toute une gamme de nouveaux
matériels peut être convenablement utilisée comme des
appareils performants pour la stérilisation des instruments, des
réfrigérateurs pour la conservation des médicaments et
vaccins. Dans les cliniques africaines, 60% des réfrigérateurs
n'ont pas d'alimentation électrique fiable entrainant la perte de
près de la moitié des vaccins conservés (United Nations
Environment Programme, 2017). Des moyens de télécommunication
rapides permettent la mise en réseau de l'infrastructure et une
amélioration de sa réactivité, etc. En opérant
cette mise à niveau de leurs matériels, cela permet aussi aux
infrastructures rurales d'attirer les médecins des villes et donc
d'améliorer et diversifier leur service de soin (Cabraal, Barnes, &
Agarwal, 2005).
Les bénéfices de l'ErD sur la
santé se retrouvent aussi directement dans les foyers
électrifiés. 2,8 milliards de personnes utilisent quotidiennement
des combustibles fossiles pour s'éclairer, cuire les repas et se
chauffer (Torero, 2015). Or, au-delà de l'augmentation des risques
d'incendie, l'utilisation de ces biocombustibles (charbon, bois, etc.) pour la
cuisson des aliments et de lampe à pétrole ou de bougies pour
l'éclairage est une source de pollution intérieure reconnue avec
l'émission de substances toxiques et/ou cancérigènes comme
le monoxyde de carbone, différents oxydes d'azotes, le dioxyde de
souffre et les particules fines (Esther, Greenstone & Hana,
2008).
L'Agence Internationale de L'Energie (IAE) estime que
la pollution intérieure tue aujourd'hui près de 2,8 millions de
personnes par an. L'introduction de l'électricité permet de
considérablement réduire les impacts de cette pollution sur la
santé. Par exemple, l'électrification de foyers ruraux au
Salvador et en Erythrée a permis une réduction de presque 2/3 des
infections respiratoires des hommes adultes (Barron & Torero, 2015) et
d'environ 40% chez les enfants de moins de 6 ans (Barron & Torero, 2014)
avec une baisse d'environ 60%
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
21
de l'exposition aux particules fines (PM2.5). Une
étude de la Banque Asiatique de Développement suggère
quant à elle que les habitants des foyers électrifiés ont
13% de chance en moins de souffrir d'irritation des yeux (Asian Development
Bank, 2010).
|
Perception du flux lumineux en lumen (lm) selon le type
d'éclairage :
Bougie : 12 lm
Lampe à pétrole : 30-80 lm
Ampoule incandescente : 5-15 lm/Watt
LED : 30-100 lm/Watt
|
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 6 : Evolution de la demande en énergie
pour l'éclairage en Inde (Kanagawa & Nakata, 2008)
De plus, l'éclairage électrique
étant plus efficace que celui fourni par les traditionnelles lampes
à pétrole ou bougies (voir encadré ci-contre), les foyers
électrifiés peuvent préparer les repas, manger et dormir
dans de meilleures conditions grâce à la réduction des
risques de piqures d'insectes et la prévention d'invasions de nuisibles
(cafards, rats, etc.)
Impacts sur l'éducation
Les impacts de l'électrification rurale sur
l'éducation des populations sont aujourd'hui bien connus malgré
certaines divergences de la littérature sur les moyens de mesurer ces
impacts sur les foyers (voir partie sur les biais de mesure). Comme pour la
santé, l'électrification apporte ses bénéfices dans
les infrastructures dédiées et dans les foyers.
En 2014, près de 188 millions d'enfants dans le
monde fréquentaient une école sans accès à
l'électricité et en Afrique sub-saharienne, cela
représente environ 90% des enfants (UNDESA, 2014). Les écoles,
collèges, lycées et bibliothèques peuvent également
étendre leurs horaires d'ouverture et donc proposer des cours du soir
permettant aux femmes et hommes travaillants la journée de les suivre.
L'accès à un service d'électricité permet aussi
d'améliorer le confort des élèves grâce à un
système de ventilation ou de chauffage et de disposer d'outils
informatiques (ordinateur, imprimante, etc.). Toutes ces améliorations
permettent d'attirer des
22
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
professeurs plus qualifiés13,
motivés et d'observer une baisse de l'absentéisme, une
augmentation des effectifs, de la durée moyenne de scolarité et
du taux de réussite aux examens (UNDESA, 2014).
Pour les usages domestiques, l'immense majorité
des programmes d'ErD se fixe comme objectif, a minima, de permettre
l'alimentation d'une ou plusieurs LED pour l'éclairage des foyers.
N'étant plus dépendant de l'éclairage naturel, les enfants
ont donc la possibilité d'étudier, lire et faire leurs devoirs
même après le coucher du soleil. De plus, l'éclairage des
lampes à LED est bien plus confortable pour la lecture que celui des
lampes à kérosène. Selon les études, on constate
que l'électrification du foyer entraîne un temps de lecture
augmenté de 7% (Barron & Torero, 2014) à 25% (Asian
Development Bank, 2010) pour les enfants de 6 à 15 ans ou de 7 minutes
(World Bank, 2013) à 48 minutes (World Bank, 2002) selon les pays et le
type d'électrification (le raccordement au réseau permettant une
plus longue utilisation des lampes que l'installation de panneaux solaires
individuels). Il est aussi suggéré que le taux de scolarisation
augmente avec l'accès à ce nouveau service comme, par exemple,
dans des villages ruraux au Vietnam où il a augmenté de 17% pour
les garçons et de 15% pour les filles 3 ans après
l'électrification du village. Mais les chiffres sont bien plus parlants
à long terme car 10 ans après l'électrification, ces taux
passent respectivement à 100% et 93% (Khandker S. , Barnes, Samad &
Minh, 2009).
La possession d'un poste de télévision
et/ou de radio engendre des impacts en demi-teinte. Dans toutes les
études abordant cet aspect, quand les revenus et le service
d'accès à l'électricité le permettent, une grande
majorité des personnes interrogées estiment que la
télévision est une bonne source d'informations
générales et d'actualités. Il est aussi possible pour les
enfants de suivre des programmes éducationnels à distance (par
exemple les « teleschool » au Brésil dans les années 90
ou plus récemment, des exercices de mathématiques par SMS au
Kenya avec le service MoMaths). Cependant ces études soulignent aussi
que la télévision peut avoir un impact négatif sur le
temps de travail et de lecture des enfants.
Impacts économiques
Au-delà des impacts indirects que peut avoir
l'électrification sur l'économie via un meilleur accès
à des services de santé modernes et à l'éducation,
il est aussi communément admis que celle-ci est un facteur
non-négligeable de développement économique. Les
manières dont l'électrification impacte l'économie des
foyers, villages, régions et pays électrifiés ne sont
pas
13 «Teachers are understandably reluctant to work
in deprived areas, which lack basic facilities such as electricity, good
housing and health care.» (UNESCO, 2014)
23
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
toutes encore bien connues ou comprises mais il est
tout de même possible de dresser un bilan sommaire.
Dans un premier temps et une fois le coût de
raccordement acquitté, les programmes d'électrification
domestique permettent aux foyers électrifiés de réaliser
des économies sur leur facture énergétique. Les
ménages ayant acquis des lampes électrique (systèmes
pico-solaires) ont réalisé des économies d'environ 2
à 3% au Rwanda et de 2 à 7% au Bangladesh par rapport au lampes
à pétrole (Bloomberg and Lighting Global, 2016). Le coût de
revient des lampes à pétrole ou des bougies varie selon les
régions et les périodes mais il est en moyenne plus
élevé que l'éclairage électrique (jusqu'à
100 fois plus onéreux au Bangladesh) (Khandker, Barnes & Samad,
2009). L'éclairage électrique permet aux ménages de
poursuivre leurs activités économiques et domestiques
après le coucher du soleil (couture, réparation de
matériel, entretien de l'habitat, etc.). En Afrique du Sud,
l'électrification a permis une augmentation de 3 à 4 % du temps
de travail annuel (Dinkelman, 2011) ; dans certains cas,
l'électrification augmente la part de temps consacré à des
activités génératrices de revenus particulièrement
pour les femmes (Chowdhury, 2010). Ce gain de temps et de revenus n'est pas
négligeable et engendre des effets positifs sur l'éducation et la
santé. En plus de l'éclairage, d'autres économies sont
réalisées lors de la recharge des appareils électriques et
notamment des portables. Dans les zones rurales des pays en
développement, les points d'accès à
l'électricité sont rares (il est parfois nécessaire de
parcourir plusieurs kilomètres pour pouvoir recharger, moyennant un
paiement, son portable) alors que les utilisations faites par les habitants du
téléphone portable sont nombreuses et participent au
développement économique de ces régions. Il semble
important de citer parmi les bénéfices l'amélioration de
la communication entres les acteurs économiques (producteurs, acheteurs,
grossistes, transporteurs, etc.), l'accès facilité à des
informations actualisées (bulletin météorologiques, prix
du marché, taux de change, etc.) et aux services bancaires, de
micro-crédit et d'assurance. Le téléphone portable permet,
dans une certaine mesure, de pallier l'absence de tous ces services dans les
zones rurales et de permettre à ses habitants de
bénéficier de leurs avantages. Le paiement par mobile est, quant
à lui, largement plus développé en Afrique qu'en Europe ou
en Amérique du Nord et cette technologie profite bien au
développement de l'électrification rurale
décentralisée14.
L'électrification des activités est
l'autre facteur majeur de développement économique. Elle permet
de les diversifier et favorise l'augmentation de la productivité des
activités existantes. L'exemple du secteur agricole est significatif car
il représente en moyenne près de 20% du PIB dans les pays en
développement ainsi que le plus gros secteur en terme d'emplois
(dans
14 Voir p.36
24
certains pays d'Afrique, 70% de la population
travaille dans l'agriculture dont une majorité de femmes, African
Development Bank, 2015) mais aussi car il possède un fort potentiel
d'amélioration et de modernisation. La modernisation des
équipements et la mécanisation permettent de fort gain de
production (comme l'installation de pompe pour l'irrigation, de
décortiqueuse électrique, etc.) mais aussi de
considérablement réduire les pertes une fois les produits
récoltés grâce à un stockage et une transformation
plus efficace. Ainsi au Vietnam, l'électrification rurale aurait permis
une augmentation des revenus agricoles de 30% (Khandker S. , Barnes, Samad
& Minh, 2009). En dehors de l'agriculture, l'électrification de
communautés rurales semble avoir un impact positif sur d'autres facteurs
économiques comme l'employabilité (en hausse de 9% en Afrique du
Sud, Dinkelman 2011), le temps de travail salarié annuel, en Inde cette
augmentation représenterait près de 17 jours de travail pour les
hommes et 6 jours pour les femmes (Van De Walle, Ravallion, Mendiratta, &
Koolwal, 2013). Enfin plusieurs études semble relever une
amélioration sur des indicateurs plus globaux comme le salaire moyen ou
le pouvoir d'achat (O'Dell & al., 2014 ; Khandker, Barnes & Samad,
2009). Cela peut s'expliquer par l'accès à des outils plus
performants, l'allongement des horaires d'ouverture grâce à
l'éclairage des commerces, des ateliers et des
marchés.
L'accès à un service
d'électricité permet non seulement de développer des
activités existantes mais aussi d'en créer de nouvelles. Dans un
premier temps, il s'agit de métiers et activités liées
à ce nouveau service : exploitation, maintenance, relation avec les
abonnées, etc. Selon la taille et le type d'installations, une dizaine
d'emplois peuvent être créés par gigawatt-heure avec
l'énergie éolienne et plus de 50 avec le solaire (Appiah, 2012).
Ces créations d'emploi s'accompagnent de formations dans des domaines
variés (électronique, gestion, comptabilité, management,
etc.) profitant à l'ensemble de la population. Comme abordé plus
haut, la création d'activités productives accompagnent de plus en
plus les projet d'électrification. Ceux-ci permettent la création
d'un tissu économique favorable au développement des
régions et à la réduction de la pauvreté
grâce à de nouveaux services (recharge des
téléphones portable, cyber-café, services sociaux, etc.)
et commerces (chaîne du froid, couture, transformation agricole,
férronerie-soudure, etc.).
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
25
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 7 : Mode d'influence des programmes
d'électrification rurale (Torero, 2015)
Et d'autres moins étudiés
Les avantages qu'apporte l'ErD ne se résument
pas qu'aux aspects évoqués ci-dessus, il existe nombre de
conséquences positives plus difficilement mesurables ou moins
évidentes qui pourtant participent à l'amélioration des
conditions de vie et de développement des communautés
électrifiées.
Impacts institutionnels
Un des impacts positifs et indirects de l'ErD est la
structuration institutionnelle. Cet impact n'est pas forcément
évident ni souvent étudié dans la littérature car
il ne se retrouve pas dans tous les projets ni ne bénéficie
directement aux populations. Pour assurer la pérennité de
l'accès à l'électricité dans les zones rurales des
pays en développement, il est indispensable d'avoir recours à un
exploitant investi et compétent. L'exploitant est la personne ou
l'organisation, privée ou publique, chargée de l'entretien et de
la maintenance des installations ainsi que des relations avec les clients ou
abonnés. La création ou sélection de cet exploitant est
bénéfique car il est souvent nécessaire de regrouper des
représentants et notables de différents villages ou
communautés pour créer une institution simple mais
représentative. Cette mise en commun des préoccupations de
développement de la zone crée une dynamique d'échange et
de dialogue autour des besoins de la population pouvant résulter sur des
actions communes et concertées. Cette dynamique communautaire peut se
poursuivre avec le recours au tissu économique local pour les
étapes du projet utilisant une main d'oeuvre peu qualifiée et
avec, dans certain cas, la construction d'infrastructures de transport
(principalement routière) indispensable à l'acheminement des
systèmes électriques qui participent au désenclavement de
la région.
26
Le cas du CGESO dans la commune rurale de Ouonck au
Sénégal.
Le CGESO (Comité de Gestion de
l'Electrification Solaire à Ouonck) a été
créé en 2011 à l'occasion d'un projet
d'électrification de la Fondation Energies pour le Monde. Il est
composé d'habitants des villages de la commune et sa mission
première fut de gérer l'installation et l'exploitation de kits
individuels. Ses membres ne possédaient pas de compétences en
lien avec l'électrification mais ont été formé
durant les différents projets de la Fondation dans la commune pour
assurer l'entretien des systèmes, la gestion financière et la
relation avec les abonnés. Il exploite aujourd'hui plus de 150 kits et
s'est diversifié en assurant aussi l'exploitation de pompe solaire pour
les périmètres maraichers alentour.
|
De plus, la création du rôle
d'exploitant, corps de métier inexistant dans la zone avant le projet,
est alors l'occasion d'une montée en compétence de ces personnes.
L'exploitant doit être formé à divers missions techniques
nécessaires au bon fonctionnement des installations électriques
mais aussi à des domaines tel que la comptabilité, la gestion
financière, la gestion relationnelle avec les clients, etc. Les
personnes formées possèdent alors un savoir-faire qui sera
utilisé et diffusé à d'autres activités
économiques ou communautaires.
Les impacts institutionnels de
l'électrification sont donc très structurants et se
répercutent dans de nombreux secteurs.
Synergies multi-domaines
Il semble aussi important de citer les projets
d'éclairage public et leurs impacts sur la sécurité et la
vie communautaire. L'installation de lampadaires (potentiellement solaires)
permet de réduire le nombre d'agressions, de vols et ainsi le sentiment
global d'insécurité. Ils sont aussi un formidable moyen de
développer des activités communautaires telles que des
marchés, évènements culturels et fêtes religieuses
en permettant à la population de se rassembler après le coucher
du soleil.
Une autre conséquence peu évidente
attribuée aux programmes d'ErD serait la baisse de la fertilité.
En effet, un des liens envisagé serait que l'accès à
l'électricité permet aux foyers et notamment aux femmes de mieux
s'informer sur les méthodes de contraception, les risques liés
à la grossesse, le planning familial, etc. via la radio, la
télévision ou Internet. A cela s'ajoute la diffusion de programme
qui illustrent d'autres modes de vie et influencent les idéaux
familiaux, comme par exemple les « soap opera ». Un rapport de la
Banque Asiatique de
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
27
Développement indique que sur 9 pays
étudiés15, l'électrification aurait fait
baisser le taux de fertilité de 8 d'entre eux avec des baisses allant de
0,04 enfant par femme au Nicaragua à 2 enfants au Sénégal
(Asian Development Bank, 2010). En Côte d'Ivoire, une étude semble
confirmer ces résultats pour les populations rurales mais relève
un effet inverse dans les villes (Peters & Vance, 2011). Ces études
ne prouvent pas que l'électrification accélère la
transition démographique des pays émergents mais mettent en
évidence une corrélation intéressante.
De manière plus générale, la
réduction de la fracture énergétique,
l'amélioration globale des conditions de vie, des infrastructures de
santé, d'éducation, de l'attractivité économique et
sociale des espaces ruraux électrifiés permettent de
réduire les disparités qui existent avec les
agglomérations.
L'ensemble de cette partie se base sur une
littérature assez fournie qui semble converger sur la contribution de
l'électrification au développement de secteurs variés
(institutions, santé, éducation, revenus, etc.). Cependant,
toutes les études ne sont pas unanimes et certaines soulignent plusieurs
critiques et limites.
28
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
15 Bangladesh, Ghana, Indonésie, Maroc,
Népal, Nicaragua, Pérou, Philippines,
Sénégal.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
|