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Esthétique picaresque et satire sociale dans l'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et Onitsha de JM-G Le Clézio


par Mathias Steve EKEUH
Université de Douala - Master 2 2017
  

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les motivations du choix du sujet et justification

Le genre romanesque m'a toujours fasciné, son élaboration, son esthétique et surtout les péripéties que l'auteur y accorde une place indéniable. Les romans lus la plupart du temps ne se ressemblent pas. Parfois à cause de leur différence au niveau du temps, parfois à cause de la vision du monde propre à chaque écrivain digne de ce nom. Cette différence observée à la lecture de chaque roman m'ont alors permis de m'interroger sur les genres ou types de romans. J'ai constaté que je tombais toujours sur un genre particulier de roman, et ce dernier me fascinait au regard du protagoniste mis en scène, les actions que ce dernier entreprend pour se sortir des difficultés. Il s'agit bien entendu du roman picaresque. La découverte du picaresque comme genre romanesque a donc finir par attiser ma curiosité. En quoi elle consiste ? Quel historique dégage-t-il, du moins d'où provient-il ? La découverte originelle du picaresque a été ce qui m'a plus motivé à m'interroger sur l'empreinte de ce genre de roman dans la littérature française.

Originalité et intérêt du sujet

Le picaresque est un genre romanesque qui s'exprime en priorité dans les récits espagnols du siècle d'Or. Sa venue dans la taxinomie littéraire apparaît en réaction aux romans pastoraux et chevaleresques1. Il est essentiellement subversif puisqu'il se démarque aussi bien par sa forme que par un univers éthique auquel il voue une priorité indéniable. Cela explique pourquoi d'aucuns pensent que « le genre picaresque s'est posé en s'opposant » (Bodo B., 2005 :21) aux genres médiévaux. Autrement dit, le picaresque est une esthétique de révolte. Son esthétique se transpose d'un point de vue diachronique en une idéologie, en défenseur des valeurs humaines et se veut engageante. Le picaresque se conçoit comme un miroir de la société de par son goût pour l'observation morale et celui de la raillerie. La satire sociale en est une modalité essentielle de son écriture. Dans le picaresque, le héros s'initie à faire face

1 Les livres pastoraux et de chevalerie sont des récits en prose qui relatent les vaillantes aventures d'un guerrier extraordinaire, le chevalier errant, paradigme des vertus héroïques et sentimentales. Ces romans, héritiers des valeurs médiévales, amour, vaillance, foi, sacrifice, loyauté, associent le service dû à la dame aimée aux aventures. La guerre (contre les païens), l'amour, l'honneur (à travers la loyauté et le sacrifice) constituent les sujets majeurs du chevaleresque. En somme, le chevaleresque et le pastoral sont l'écriture de la noblesse : noblesse du héros, de la matière, du langage. Ces genres sont conservateurs et apologétiques dans la mesure où il offre à son lecteur qu'un monde artificiellement parfait et peuplé de figures trop exemplaires qui ne visent qu'à valider et soutenir la pensée officielle.

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aux multiples difficultés de l'existence à travers des aventures typiquement périlleuses et rocambolesques.

Pour des critiques de genre comme Maurice Molho ou encore Edmond Cros, le picaresque est une esthétique littéraire ayant vécu uniquement entre le XVIe et le XVIIe siècle en Espagne. Le véritable roman picaresque serait donc aujourd'hui considéré comme disparu. Par conséquent, il ne se constitue plus comme un genre à part entière étant donné qu'il n'obéit pas au même contexte historique de sa genèse. Cependant, notre travail démontre au contraire la permanence du picaresque dans le discours littéraire français. Ainsi, l'objet de ce mémoire est de redéfinir le picaresque afin de montrer la pérennité de son esthétique dans la littérature française actuelle. Pour que cela soit réalisable, nous fondons notre réflexion sur un corpus littéraire composé de deux romans : L'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha, respectivement écrits par Alain-René Lesage et Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Le choix de ces deux oeuvres repose sur le fait qu'ils mettent en relief le caractère atemporel du picaresque. Ceci étant, L'histoire de Gil Blas de santillane s'avère donc indispensable dans l'analyse de notre sujet dans la mesure où elle se caractérise par une empreinte culturelle espagnole. Par ailleurs, elle est considérée par les critiques comme le modèle du picaresque en France. A elle seule, elle est déjà une évolution au niveau de son esthétique et se revendique être un imaginaire de pérennité du picaresque. Quant à Onitsha, elle est choisie parce qu'elle dégage les critères de la contemporanéité liée au picaresque : l'initiation du héros à la question de la classe sociale et aux difficultés de l'existence.

Problématique et hypothèses

Notre mémoire pose un problème de genre. Ceci étant, poser le fondement de la pérennité du picaresque dans la littérature française actuelle, nous permet de formuler les problématiques suivantes. Comment se manifeste le picaresque dans les textes de notre corpus? Sur quels ressorts se fonde t- il pour représenter la marginalité ? Peut-on parler de modalités picaresques ? Si oui comment se construisent-elles ? Quels rapports s'établissent entre le picaresque et l'Histoire ? Sur quels principes ce genre se repose-t-il pour réécrire les mentalités d'une civilisation donnée ?

Une telle problématique, nous permet de proposer les hypothèses suivantes : le picaresque est un genre de nature marxiste représentant une forme essentielle de la marginalité. Les outils

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satiriques font du picaresque un genre atemporel. Le picaresque réécrit l'histoire des mentalités d'une civilisation donnée.

Cadre théorique et méthodologique

Les approches théoriques et méthodologiques que nous considérons les mieux adaptées pour mettre en exergue la problématique de notre analyse sont la transgénéricité et le structuralisme génétique de Lucien Goldman.

Pour ce qui est de la critique transgénérique, notre choix s'est porté sur elle dans la mesure où elle fonde sa méthode sur le transfert des compétences d'un genre littéraire dans un autre et d'une époque à une autre. Ceci dit, la trangénéricité s'est donnée pour tâche - par le biais de la transtextualité développée par Genette Gérard - d'insister sur le phénomène de la transversalité d'un genre dans un autre ou encore la traversée d'un genre d'un siècle à un autre. Car comme le signale Josias Semujanga (2001 : 156 )

Transgénérique ne [signifie] nullement absence de cultures nationales ni de genres littéraires, mais refus de toute vision homogénéisante de l'écriture, de tout principe privilégiant des canons reconnus d'emblée comme légitimes. En effet, la prévision qu'implique un système stable est contraire à l'écriture agissant comme transformation, comme processus instable et même comme insolence vis-à-vis des canons esthétiques. [...] les oeuvres [...] transgénériques vont se multiplier, opérer des déplacements de plus en plus inattendus et renouveler les genres classiques.

On note que les esthétiques littéraires à travers leur univers générique ne se constituent pas seulement comme appartenant à une période fixe et figée mais elles sont également atemporelles et peuvent dans certaines mesures fonder d'autres esthétiques. Dans cette perspective, en partant du postulat de la différenciation entre les genres littéraires, nous arrivons à rendre compte du phénomène de l'intertextualité et de la transtextualité.

Cela dit, la transgénéricité ou encore « genre de travers2 » est une critique qui découle de plusieurs théories développées autour du genre romanesque. En ce qui concerne son histoire, nous faisons d'abord appel à Bakhtine Mïchael qui dans son ouvrage critique Esthétique et théorie du roman3 (1978) donnait les canons essentiels permettant d'observer le phénomène de la transversalité dans le discours littéraire. Ainsi le genre romanesque ne s'exprime mieux qu'à travers une « polyphonie », un « plurilinguisme » voire une « polyculturalité » dans la

2 Concept développé par Dominique Moncond'huy et Henri Scepi dans leur ouvrage collectif né à l'issu d'un colloque intitulé Les genres de travers : littérature et transgénéricité. Ces termes sont utilisés pour mieux étayer le concept de la transgénéricité qui se repose sur une expérience de la traverse et de la transversalité d'une esthétique littéraire par une autre.

3 Traduction en 1978 par les éditions Gallimard

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mesure où on peut identifier dans un échantillon de texte plusieurs esthétiques ou schèmes textuels qui s'entrecroisent et s'entremêlent. Le genre romanesque devient donc un dialogue entre deux ou plusieurs cultures. Bakhtine parle d'ailleurs de « dialogisme » permettant d'expliquer le fait que le roman soit la « manifestation historico-littéraire du métissage culturel, [...] et serait dès l'origine le point de rencontre de plusieurs dialectes, de discours multiples encore perceptibles » (Valette, 1992 :42). Bakhtine marque ainsi le premier pas quant à identifier le roman comme une traversée des genres en théorisant son concept de « dialogisme ».

En s'inscrivant dans la même vision du texte romanesque que son contemporain Bakhtine, Julia Kristeva apporte un plus dans l'analyse du texte romanesque. Ainsi, cette essayiste théorise le concept de l' « intertextualité ». Ce terme est employé pour la première fois dans son essai sur Bakhtine « le mot, le dialogue et le roman » mais c'est dans sa Révolution du langage poétique (1974) qu'elle confère au mot « intertextualité » une définition délégitimant les axes de l'écriture romanesque. Ainsi on comprendra que « le terme d'intertextualité [est] la transposition d'un (ou de plusieurs) système(s) de signes en un autre » (59). De ce fait, l'objectif de l'intertextualité de Kristeva est de montrer comment la littérature est créée et comment elle se constitue parmi des univers pluriels et hétérogènes. Ainsi, lorsqu'on dit qu'un texte individuel est intertextuel, cela ne veut pas dire uniquement que ce texte est joint à un autre à travers des traces concrètes, au contraire, cela signifie que toute oeuvre se constitue à travers les autres. Selon Kristeva, le processus de lecture a plus d'importance que le processus d'écriture de l'auteur dans la création de liens et de rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont précédée ou suivie (60). Par conséquent, dans une étude intertextuelle, ce n'est pas l'intention seule de l'auteur qui compte, ce sont également les perceptions par le lecteur des traces d'autres textes. L'intérêt de toute recherche intertextuelle est d'étudier comment la cohabitation des textes produit de nouvelles significations.

Gérard Genette (1992) opère dans le même sillage que Kristeva mais oriente sa conception de l'intertextualité au même titre que meta- extra- archi- et hypertextualité comme des sous catégories de ce qu'il nomme de « transtextualité4 ». Ainsi dans son ouvrage Palimpsestes, la littérature au second degré, il définit l'intertextualité comme « d'une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire [...], par

4 Dans Palimpsestes - La Littérature au second degré, l'auteur définit la transtextualité, ou transcendance textuelle du texte, par tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes. La transtextualité est donc selon lui un terme général qui englobe toutes sortes de relations textuelles où « l'on voit un texte se superposer à un autre qu'il ne dissimule pas mais laisse voir par transparence ».

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la présence effective d'un texte dans un autre » (7-8). Pour lui les pratiques de la citation5, du plagiat6 et de l'allusion7 sont en effet pour lui des exemples de l'intertextualité par excellence, puisqu'elles témoignent de la présence locale d'un texte dans un autre. La conception genettienne de l'intertextualité comme faisant partie intégrante du concept de la transtextualité marque ici un pas vers la critique transgénérique. Puisqu'en fin de compte et comme le signale d'ailleurs Eric Bordas (2005 : 231) :

À l'heure actuelle, dans l'analyse littéraire, la transtextualité en est venue à signifier tout phénomène de changement, d'évolution, d'un support textuel à un autre, et elle comprend, par exemple, la réécriture en prose d'un texte en vers et l'adaptation d'un récit en pièce de théâtre.

La critique de Genette sur la transtextualité marque ainsi un point fort de toute analyse de réécriture, des reprises ou encore de survivances d'une esthétique littéraire à travers le temps et l'espace. Cette critique ouvre le champ sans aucun doute à la notion de transgénéricité.

Dominique Moncond'huy et Henri Scepi (2008) apportent d'ailleurs une nette appréhension sur l'écriture transgénérique dans leur ouvrage les genres de travers : la transgénéricité. Ils trouvent que la théorie de la transgénéricité repose en effet sur le :

Passage, croisement, interférence, intersection, télescopage, les termes abondent qui pourraient efficacement décrire ces phénomènes esthétiques, formels et rhétopoétiques qui font de l'oeuvre littéraire à la fois une traversée des genres et un espace traversé par les genres. [...] Il s'agit des relations intergénériques qui favorisent le glissement d'un genre vers un autre, selon une logique de l'attraction, de l'interpolation ou de la contamination, génératrice de phénomènes d'hybridation ou de montage hétérogène. Mais ce glissement, par quoi peut toujours se révéler une « volonté d'affranchissement sans limites » du créateur, s'ordonne aussi et d'abord en un faisceau de rapports et de discours qui, de l'intérieur du texte, commandent des attitudes interprétatives et des comportements de lecture voués à configurer les modes d'intelligibilité de l'oeuvre.(8)

A partir de ces mots, qui paraissent définitoires de la chose transgénérique, on comprend qu'elle accorde une place non seulement à toute esthétique pouvant être identifiée dans un seul genre littéraire ou encore la pérennité d'un genre à travers des siècles. Ainsi, la transgénéricité pourrait se définir comme une pratique littéraire qui utilise différents genres ou esthétiques romanesques dans un même texte, d'une période à une autre. De ce fait, on note sans doute le concept d'hybridité textuelle qui est en effet, l'esthétique qui nait de la jonction ou du moins de la rencontre entre plusieurs esthétiques littéraires. Nous parlons ici en connaissance au regard du lien entre le picaresque et le satirique. L'entremêlement des genres

5 Un emprunt très explicite et littéral avec guillemets, avec ou sans référence précise.

6 Un emprunt moins explicite et moins canonique, non déclaré mais encore littéral.

7 Un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel elle renvoie.

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peut se faire à l'aide de n'importe quel genre et peut se faire à n'importe quel moment dans le texte (Hamelin, 2010 :6).

Tout compte fait, la critique transgénérique nous permet, au regard de la problématique que pose le présent travail, d'insister, d'une part, sur l'alliance archétypale qui lie le picaresque au satirique et, d'autre part, sur les modalités majeures qui confèrent au picaresque son immortalité à travers des siècles.

Cependant, si la transgénéricité s'appuie effectivement sur les motifs picaresques pour mettre en relief la traversée du picaresque dans les oeuvres à travers des siècles, l'appel à la critique sociologique nous permet d'asseoir ce genre dans son un contexte bien défini, dans son milieu social afin de montrer, d'un point de vue diachronique, comment le picaresque travaille les marges de la société.

Ceci étant, nous faisons donc appel au structuralisme génétique de Lucien Goldman pour analyser notre corpus. Ce choix s'est orienté vers la critique sociologique car elle considère le texte littéraire comme le reflet de la société. A partir de ce postulat, la littérature semble donc être un fait social. Autrement dit elle se conçoit comme le reflet d'une conscience collective réelle et donnée dans la mesure où elle met en relief l'oeuvre littéraire comme correspondant à la structure mentale d'un groupe social bien élaboré. Vu les concepts de notre analyse, c'est-à-dire le picaresque à travers sa satire sociale, nous pensons que la sociologie de la littérature est la mieux indiquée pour permettre de comprendre le groupe social - la basse classe - où prend corps le picaro.

Lucien Goldman (1964) théorise en sociologie de la littérature une méthode qui nous semble beaucoup plus pratique pour atteindre notre but : il s'agit du structuralisme génétique. Inspiré des travaux de Georges Lukács, de Girard sur l'esthétique du roman et de la critique marxiste, l'approche sociologique de Goldmann décèle chez ces prédécesseurs des manquements sur la correspondance exclusive de contenus8 car « la vie sociale ne saurait s'exprimer sur le plan littéraire [...] qu'à travers la chaine intermédiaire de la conscience collective ».(42-43) Il considère que le structuralisme génétique parvient plus facilement à mieux dégager les liens nécessaires en les rattachant à des unités collectives dont la structuration est beaucoup plus facile à mettre en lumière. Pour lui :

8 Goldmann trouve que la sociologie littéraire orientée vers le contenu a souvent un caractère anecdotique et s'avère surtout opératoire et efficace lorsqu'on étudie des oeuvres de niveau moyen ou des courants littéraires, mais perd progressivement tout intérêt à mesure qu'elle approche les grandes créations.

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Le structuralisme génétique part de l'hypothèse que tout comportement humain est un essai de donner une réponse significative à une situation particulière et tend par cela même à créer un équilibre entre le sujet de l'action et l'objet sur lequel elle porte, le monde ambiant. (338)

On voit ici que cette méthode fait un effort de dégager des relations nécessaires entre les phénomènes. Ceci dit, les tentatives de mettre en relation les oeuvres culturelles avec les groupes sociaux en tant que sujets acteurs s'avèrent beaucoup plus opératoires que tous les essais de considérer l'individu comme le véritable sujet de la création littéraire. Vu que le picaresque semble être une esthétique toujours vivante aussi bien chez Lesage que chez Le Clézio à travers sa modalité satirique, ceci suppose que :

Le caractère collectif de la création littéraire provient du fait que les structures de l'univers de l'oeuvre sont homologues aux structures mentales de certains groupes sociaux ou en relation intelligible avec elles. (345)

On comprends ici que le groupe social constitue un processus de structuration qui élabore dans la conscience de ses membres des tendances mentales affectives, intellectuelles et pratiques, vers une réponse cohérente aux problèmes que posent leurs relations avec la nature et leurs relations interhumaines. Comme l'affirme Goldmann (1964):

Le grand écrivain est précisément l'individu exceptionnel qui réussit à créer dans un certain domaine, celui de l'oeuvre littéraire [...], un imaginaire, cohérent ou presque rigoureusement cohérent, dont la structure correspond à celle vers laquelle tend l'ensemble du groupe. (347)

Ainsi, le structuralisme génétique voit donc dans l'oeuvre littéraire un des éléments constitutifs les plus importants de celle-ci, celui qui permet aux membres d'un groupe de prendre conscience de ce qu'ils pensent, sentent et font sans en savoir objectivement la signification. De ce fait, la critique de Goldmann s'avère opératoire, quand il s'agit d'étudier les chefs d'oeuvre de la littérature mondiale.

Présentation et résumé des oeuvres du corpus

L'histoire de Gil Blas de Santillane est écrite entre 1715- 1735. C'est l'histoire de Gil Blas, le fils d'un écuyer, élevé par son oncle et quitte le domicile tutoriel pour des études supérieures à Salamanque. Beaucoup de péripéties rendent impossible cette entreprise. Par sa stupidité, il est dupé au cours de son voyage et voit la fortune de sa vie à venir s'envoler. La contrainte le pousse à devenir tour à tour volage, gueux et servent de petit maitre pour faire aux multiples pièges des villes espagnoles. Accusé injustement, emprisonné puis libéré, il rencontre Fabrice à Valladolid qui le soutient dans la majorité de ses entreprises. Ayant accumulé de petits métiers les uns après les autres dans une course folle dans toute l'Espagne, il retourne dans sa

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contrée natale auprès de son père-tuteur agonisant. Il y épouse Antonia et rejoint enfin la cour sous la tenue de protégé du roi et favori du comte d'Olivares. Suite à d'autres événements malencontreux, il devient veuf. Au crépuscule de sa vie, il épouse Dorothée et devient père de plusieurs enfants.

En ce qui concerne Onitsha, il est publié en 1991 aux éditions Gallimard. Ce texte est écrit par Jean-Marie Gustave Le Clézio. ce texte relate des aventures périlleuses de trois personnages au coeur d'Onitsha, une contrée nigériane sous les baies de Biafra. Il s'agit de l'histoire de Fintan, Maou, Geoffroy : trois rêves, trois révoltes et une même soif. A l'âge de douze ans, Fintan Allen débarque en Afrique avec sa mère. Il arrive plus précisément à Onitsha, une ville au sud-est du Nigeria pour rejoindre Geoffroy son père qu'il ne connait pas. Ce dernier est en service à l'United Africa. Durant ces années à Onitsha, Fintan découvre une l'Afrique croupissant dans la misère et ce, sous les yeux des colons despotiques. La rencontre avec une Afrique bien différente de ses imaginations dépasse cruellement ses attentes. Ici c'est un conformisme oppressant, celui du milieu colonial fait de haines, de mesquineries et d'échecs inavouables. Fintan mène de son côté une existence volage et marginal, se révolte contre son père, contre ce nouveau monde et passe ses journées dans les plantations avec de jeunes Noirs dépravés. Il refuse d'obéir aux lois interdisant tout rapport avec les Noirs. Il finit par quitter Onitsha pour une pension en Angleterre lorsque la guerre éclate sur la baie de Biafra.

Revue de la littérature

Le picaresque est une esthétique romanesque qui revendique l'idéologie des écrivains de la basse classe communément nommée Tiers-état. Ces derniers, dans leurs récits, font une satire acerbe des moeurs tout en insistant sur l'injustice causée par l'institution des classes et sa division. Le fossé existant entre la noblesse et la classe des paysans est un problème majeur pour ces écrivains. De ce fait, ils réclament une société de justice tout en tournant en dérision l'esprit noble et apologétique des hommes de la cour. Ceci s'observe lorsqu'on interroge l'étymologie du vocable « picaresque ».

Maurice Molho (1990) citant Pierre Sanchez affirme que l'adjectif picaresque vient de l'espagnol picaresco. Celui-ci découle du substantif picaro signifiant tour à tour « un personnage de basse extraction, sans métier fixe, serviteur aux nombreux maîtres, incessant voyageur, vagabond, voleur, mendiant, lâche » (306). Ces différents qualificatifs contribuent à la construction de la figure du picaro en littérature et donnent à l'esthétique picaresque des connotations aussi bien péjoratives que revendicatrices. C'est la raison pour laquelle le

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picaresque devient une esthétique de révolte, de révolution par le biais de son esprit de satire des moeurs. Ceci dit, les premiers romans picaresques naissent en Espagne au siècle d'Or. L'Espagne devient donc le lieu d'ancrage du récit picaresque dans la mesure où elle est fortement « picarisée » (Souiller, 1980 :16). Il naît ici les textes canoniques picaresques. Ainsi, c'est en 1554 que le premier récit picaresque voit le jour. Dans un univers castillan, La Vie de Lazarillo de Tormes, écrit par un anonyme, vient s'opposer aux genres pastoraux et de chevalerie déjà connus comme les esthétiques les plus prisées de l'Espagne médiévale et destinées à une classe sociale particulière : la noblesse. On note que cet auteur axe sa recherche sur l'étude philologique du terme « picaresque ». Ceci dit, il n'interroge en aucun cas la pérennité de l'esthétique picaresque dans la littérature française.

Manuel Montoya (2006), pour sa part, signale plutôt cette rupture que prétend amorcer le picaresque espagnol lorsqu'il affirme que :

Le roman dit picaresque réagit à sa façon contre d'autres genres romanesques qui ont connu un succès immense, même après la parution du Lazarillo. Il s'agit du roman pastoral et du roman de chevalerie dont les thèmes et les structures sont d'après Mateo Aleman obsolètes et dignes d'une autre époque. (112)

Pour elle, dans le roman picaresque, la préoccupation quotidienne est de survivre et cet objectif constitue déjà une aventure à part entière. En prenant directement la parole et en retraçant les origines modestes, le héros picaresque réclame le droit d'exister et d'aspirer au mieux dans une société où, en définitive, les plus démunis sont suffisamment nombreux pour qu'une telle requête soit considérée comme pleinement légitime.

Nous notons que Manuel Montoya focalise son attention dans la comparaison du roman picaresque aux autres romans en vogue dans la littérature européenne médiévale. Il montre que le picaresque a apporté une révolution au niveau du genre romanesque. Il ne parle en aucun cas de la pérennité de ce genre à travers les siècles.

Pour Sonia Marta Mora Escalante (1994), les oeuvres picaresques sont nées en Espagne. Pour elle, ces ouvrages semblent obéir à la naissance du picaresque dans la mesure où :

En [se] référant à la tradition picaresque, [on se] limite, pour l'instant, aux romans picaresques du Siècle d'Or espagnol. [...] Les critiques sont d'accord sur le fait que Lazarillo de Tormes (1554), Guzmân d'Alfarache (1599 et 1604) et le Buscôn (1626) occupent une place capitale dans cette production textuelle ; [...] ces ouvrages constituent un élément actif du système littéraire en vigueur dans la société [espagnole]. (82)

On note que le picaresque entre donc, avec des virtualités sémantiques très puissantes, dans le processus de composition que suppose son écriture en Espagne entre le XVIe et le XVIIe

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siècle. Satirique et caricaturale, cette esthétique est, pour Sonia Marta, un violent manifeste contre les romans chevaleresques et pastoraux très prisés durant la grande période médiévale. Ces romans ayant comme centre d'intérêt l'amour, l'honneur, la foi, le merveilleux, l'imaginaire guerrier des croisades, se retrouvent ainsi reléguer au second rang. Le picaresque met fin à cet élan de superficialité et transpose la société et ses maux dans ses récits. Il est mordant et se veut dénonciateur des tares dont l'Espagne du Siècle d'or fait semblant d'ignorer, ceci en privilégiant les procédés satiriques. Nous constatons également que cette auteure ne privilégie en aucun cas l'esprit atemporel qui se manifeste dans l'écriture du picaresque à travers les âges.

Pour Gilles Del Vecchio (2011) dans son analyse du roman picaresque se focalise sur le modalité essentielle de cette esthétique. Ainsi il affirme :

Après un demi-siècle de succès, le roman de chevalerie est concurrencée par de nouveaux genres [...] Le voyage et l'aventure rattachant le roman byzantin au roman de chevalerie : l'amour et la tendance à l'idéalisation rattachent les romans pastoraux au genre chevaleresque. Le Lazarillo, considérée comme le texte fondateur du roman picaresque, s'éloigne radicalement du roman de chevalerie. La noblesse du comportement ne trouve pas sa place dans l'oeuvre, les personnages de sang royal ont disparu au même titre que les combats et sentiments amoureux. [...] Lazarillo, en affichant la bassesse de ses origines, tourne le dos à une société qui, en dépit des difficultés qui se présentent à elle, conserve un penchant immodéré et déplacé pour la généalogie. (16)

A partir ce qui précède, on comprend que, pour cet auteur, le picaresque depuis ses origines est effectivement comme susmentionné une esthétique de révolution. Une révolution aussi bien sur le plan social que sur le plan de l'esthétique littéraire. Le picaresque réclame sa liberté et fonde l'esthétique romanesque de la génération suivant le Siècle d'or espagnol de par se. La pensée de cet auteur est ici limitée car il focalise son étude sur les modalités de l'esthétique picaresque ceci au vu de ses origines fictionnelles, contrairement à nous qui insistons que ce qui fait l'immortalité de l'esthétique dans la littérature française.

Bodo Cyprien (2005) dans sa thèse de doctorat L'esthétique picaresque dans le roman subsaharien d'expression française fait une étude sur l'emprunt du picaresque dans le roman africain comme le symbole d'un legs colonial. Ceci dit, avec la montée en puissance des discriminations sociales, l'esthétique picaresque est mise en avant grâce à son personnage principal qui semble revendiquer un récit romanesque centralisé sur une vie de gueuserie et de vagabond étant donné qu'enfin de compte comme l'affirme Bodo Cyprien (2005 :24):

Le chevaleresque est [...] la littérature des aristocrates [...] Le personnage chevaleresque se maintient vers le haut, le personnage picaresque est issu du bas, des

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profondeurs de la société [...] Le picaro est déclassé, un marginal, la négation de la noblesse.

Ces différentes attributions forment la figure du personnage picaresque. Il s'agit effectivement du picaro. Ce-dernier devient donc la nouvelle muse qui fascine les nouveaux romanciers par ses traits caractéristiques non chevaleresques et revanchards face à l'injustice qui sévit de façon perpétuelle dans la société. Autrement dit, on assiste pour ainsi dire à un protagoniste du roman désemparé. De ce fait, Body Cyprien (2005) citant Souiller Didier dénombre comme modalités atemporelles :

La naissance est infamante quant à l'origine du héros, une éducation négligée et de mauvais traitements dont il est victime, l'abondance des thèmes comme l'errance, l'apparence, la faim, le destin, l'amour impossible. Quant à la structure du texte, Soullier constate que le récit [obéit à des règles] : l'itinéraire géographique (matériel et spirituel), le passage par différents maitres, les récits librement insérés ou les histoires indépendantes. (27)

On note ici une révision des critères du picaresque des origines pour l'inscrit au-delà du XVIe et XVIIe siècle. Toutes les autres littératures européennes s'inscrivent dans ce sillage. Ici le picaresque devient incontournable en ce qui concerne son action, celle de faire une observation virulente des problèmes de la société. Ainsi pour Bodo Cyprien, le picaresque revêt une armure de révolte et donne pour rôle de changer le monde. Agissant sur l'inconscient et l'imagination, le picaro incite l'homme à faire ressortir l'animal, le mauvais et la perversité qui sont logés dans son for intérieur. D'un point de vue formelle, on assiste ainsi à une narration qui ne se limite plus seulement à la première personne mais continue à s'ouvrir au réalisme, à la satire sociale, à un personnage de basse classe - mendiant, des délinquants, des orphelins, servants, bâtards - et à une lutte pour la survie dans un environnement hostile et chaotique. Toutefois, nous notons que l'analyse de Bodo Cyprien se limite à l'emprunt du picaresque dans la littérature africaine noire pour expliquer la misère qui mine le quotidien des héros dans le roman du continent noir. Son analyse est aussi limitée car il ne s'interroge sur les modalités esthétique qui rendent le picaresque atemporel voire éternel.

En ce qui le concept de « satire », il convient de s'interroger sur sa définition et sur son essence qui semble primordial pour mettre en exergue le rôle qu'elle joue dans l'esthétique picaresque. Avant d'attribuer une quelconque définition à ce mot, il convient de noter que la satire prend son essor dans l'antiquité gréco-latine. A cet effet, Doumet Christian (1999 : 944) affirme:

Dans l'antiquité latine, [la satire représente un] poème de rythme narratif, mais de développement souvent dramatique, qui réalise l'union de la raillerie mordante et de la leçon de morale.

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En paraphrasant ces dires, Doumet pense que la satura - salade, macédoine - a été longtemps un vocable populaire pour désigner toutes sortes de jeux dramatiques, hétéroclites sur des sujets et de mètres variés. Toutefois, l'honneur revient à Lucilius (IIe siècle avant J.C) de faire de ce « mélange », une forme stable. Ses Satires (1978-1991), écrites en hexamètre dactylique, prennent pour sujet des travers qu'on ne cessera après lui de fustiger : le ridicule du luxe, des plaideurs, la goinfrerie, les erreurs de gouts ou parler. Horace recueillant l'héritage de ce dernier va orienter la satire vers la forme plus dramatique d'une causerie morale. Cependant, en ce qui concerne Juvénal, il met dans ses Satires (1658) plus d'indignation et plus d'amertume lorsqu'il s'en prend à la noblesse, aux débauchés, au luxe ou au fanatisme.

Après avoir présenté l'historique de la satire, on peut définir la satire comme un style d'écriture littéraire dans lequel l'auteur pose un regard critique, moralisant sur les phénomènes sociaux. La satire juge, apprécie, refuse et tente d'améliorer les structures aliénantes de l'espace dans lequel vit l'homme. Elle peut être considérée comme la voie royale des esthétiques littéraires. La satire se propose de se nourrir des humeurs de l'écrivain. En effet, quelle que soit l'action que mène un écrivain, la satire se réclame une prise de position, une forme d'engagement. La satire se présente, cependant, comme un thème très prisé dans les littératures en générale et en particulier dans la littérature française.

Comme mentionnée plus haut, la satire est à l'origine une écriture politique. Sa démarche en France va donner à la littérature une orientation virulente. Elle s'affirme à la Renaissance avec les auteurs tels que Marot, Rabelais, Montaigne, Du Bellay. C'est au XVIIe siècle que le modèle de la satire latine essaimera. Ici, elle prend un essor considérable et par là devient une idéologie qui transparait dans toute oeuvre publiée à cette époque. Cette satire place l'homme au centre de toute attention et tente de peindre les structures aliénantes de l'homme. De ce faire, la satire se veut rigueur, clarté, efficacité et morale. A ces termes, on voit les clés de voûte de sa théorisation. Ce sont tous les auteurs du classicisme qui s'abandonnent à ce style d'écriture originaire des anciens (Dans la querelle des anciens et des modernes notamment). On assiste à des textes satiriques tels que La satire de Ménippée et Les 17 satires de Mathurin Régnier (1608 - 1613). Sa corrélation à cette époque se veut venimeuse.

Pour Tournand (2005), la satire se réclame comme une valeur messianique, celle de vouloir éradiquer le mal qui avilit l'homme. On peut le remarquer à partir de l'extrait de Tournand (2005 : 87) :

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Il faut donc bien admettre que, malgré les silences nécessaires, les hommes du 17e siècle n'ont pas été par leurs siècles des juges complaisants. La sottise des individus, l'injustice de la société, les horreurs du pouvoir ont trouvé tout au long du siècle des censeurs pleins de vigilance. Constatons, toutefois, que, fidèles à l'esprit de leur temps, ces écrivains ont fait porter leur critique bien plus sur les hommes que sur les institutions. Les critiques les plus audacieuses en matière politique par exemple s'adressent aux âmes et aux caractères.

De ce qui précède, on voit que cette satire qu'on pourrait dans une certaine mesure qualifier de « classique » est fort évidente chez les auteurs tels que La Rochefoucauld, La Bruyère, Pascal et Boileau. Ce dernier publie le plus grand ouvrage sur les Satires (1666) de son temps dans lequel il répertorie douze satires résumant l'esprit de critique de la société française au XVIIe siècle. On note de ce qui précède que cet auteur se livre uniquement à répertorier les différentes modalités qui font la satire dans les oeuvres littéraires classiques. Il ne traite à aucun moment la satire en rapport avec l'esthétique picaresque.

Dans son dictionnaire des oeuvres littéraires françaises, Laurence Bourgault (2000), dit qu'avec les auteurs du XVIIIe siècle, cette aventure devient aussi représentative qu'au XVIIe bien que bercée de philosophie. Les auteurs tels que Marivaux, Voltaire, Rousseau et surtout Lesage perpétuent le satirique dans leurs ouvrages. Elle est mordante, caricaturale, moralisante, et avilissante car elle se veut la voie par excellence de l'accès à la perfection. Ici, l'utilité de la satire s'est affirmée, elle qui, dénonçant les méchants, corrigeant les abus, rendait à la société policée les mêmes services moraux que toute haute littérature. Laurence Bourgault (2000 : 195) dans son texte dit du XVIIIe siècle qu'il résume toutes les autres satires. A cet effet, elle déclare :

S'il s'agit d'instruire, il faut donc toucher. L'objectif se double d'une méthode : on cherchera l'amusement, on fera rire. Tous les procédés comiques sont déjà mis en oeuvre par Horace, Perse. [...] c'est de la fantaisie rabelaisienne et du « coq à l'âne marotique » que les hommes de la Pléiade malgré leur innovation tiennent beaucoup de leur manière de faire [...]. Mais le verbe s'est fait plus coulant, la langue pure et surtout la matière s'est renouvelé : sous Boileau et après lui, la satire, sans renoncer à l'actualité, aborde volontiers les problèmes de théorie et les lieux communs de la morale.

On remarque qu'au XVIIIe siècle la satire est de plus en plus violente. Il aime mordre et poindre. Il suffit de peu de chose pour que les voies du comique deviennent celles du naturel. Le satirique se propose d'imiter les actions humaines mais avec plus de simplicité pour les tourner en dérision. Comme le remarque encore Bourgault « Chez Aristote, chez Régnier, chez Furetière et chez Boileau, le vrai semblable se trouve ainsi au niveau de la réalité quotidienne et l'oeuvre prend un parfum d'authenticité vécue » (2000 :194). Cette auteure se

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contente également d'établir une histoire de la satire en France et ne touche en aucun moment le lien entre le picaresque et la satire.

En somme, les ouvrages théoriques susmentionnés produits sur la thématique de la satire ne confrontent en aucun moment l'esthétique picaresque en rapport avec la satire sociale qui la hiérarchise.

En ce qui concerne notre analyse du picaresque dans la littérature française actuelle, notre choix s'est porté comme déjà mentionné plus haut sur deux textes littéraires, tous écrits par des auteurs français. Il s'agit de l'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et Onitsha de Jean-Marie-Gustave Le Clézio.

Alain-Réné Lesage a marqué l'esprit de son temps. Il se démarque au XVIIIe siècle par ses ouvrages colorés d'un univers hispanique. Nous pensons ici à ces principaux chefs d'oeuvres Le diable boiteux (1707) et L'histoire de Gil Blas de Santillane (1715). La particularité de Lesage se réside dans le fait qu'il met toujours ses personnages dans un espace défini, celui de la société espagnole comme si ses histoires trouvent plus de crédibilité dans un univers castillan. Il s'inspire d'ailleurs des romans typiquement espagnols pour reproduire d'oeuvre illustre à la française, preuve d'autant faite avec Réné Garguilo (1991 : 222) qui trouve que :

Lesage rend hommage aux « façons de parler figurées » aux « images bizarres » et aux « pensées extraordinaires » de Vêlez de Guevara, mais cela ne valait que pour l'Espagne. Les Français qui, dit-il, "ont la justesse et le naturel en partage" ne sauraient accepter les excès d'imagination et de plume des auteurs espagnols.

On note que Lesage définit ici sa méthode pour la production de ses romans. Lesage copie en "accommodant". Ainsi, dans le pire des cas, il n'y aura pas plagiat, mais adaptation et dans le meilleur des cas, il y a tout simplement « naturalisation » de l'oeuvre espagnole et création originale d'une écriture française. Une manipulation culturelle caractérise l'écriture lesagienne. Dans ses romans cadencés des traits castillans, il se permet de supprimer toutes les allusions à la vie espagnole réelle au profit à celles de la vie française mais en gardant quand même un décor typique à l'Espagne et une couleur locale comme par exemple des amants qui vont « chanter leurs peines ou leur plaisir » sous les balcons de leurs maitresses. (Garguilo, 1991 :224). Par ailleurs, Lesage se comporte, à travers des oeuvres, en moraliste qui observe, qui collectionne les anecdotes et surtout dessine des caractères. C'est la raison pour laquelle Réné Garguillo affirme que :

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Ses oeuvres les meilleures, son Diable, son Gil Blas, représentent exactement ce qu'aurait donné une collaboration littéraire entre La Bruyère et Scarron: des « caractères » insérés dans un « roman comique ». Il y avait du La Bruyère en Lesage mais sans doute guère de Scarron... C'est pour cela qu'il est allé chercher son Scarron en Espagne. [...] Dans le Diable boiteux comme plus tard dans le Gil Blas, Lesage ne perd jamais de vue que son but est de peindre la société française de son époque et d'en faire la satire. Il lui arrive aussi, comme à ses modèles espagnols de hausser le ton et de méditer sur la condition humaine. (225)

De ce qui précède, on comprend que l'oeuvre de Lesage s'implante dans son univers et prend effet à partir de son action à perpétuer l'ordre établi par les moralistes français du XVIIe siècle9 et de la littérature espagnole10.

Avec l'histoire de Gil Blas de Santillane, le moraliste et le censeur des moeurs de temps Alain-René Lesage portera le costume de picaro mais dans une France de la Régence derrière le décor particulièrement espagnol.

Le choix de ce texte du XVIIIe siècle pour notre analyse repose essentiellement sur son statut de roman français picaresque. Didier Souiller (1980 : 78) trouve d'ailleurs que « c'est le seul roman français indiscutablement picaresque ». On assiste donc à l'évolution d'un personnage, bourgeois et philosophique qui rejoint un fantasme ou une réalité de son siècle, celui de la Régence et des premières années du règne de Louis XV. Ayant les modalités requises pour conférer à l'esthétique picaresque toute sa valeur en France, L'histoire de Gil Blas de Santillane met en scène certes, un réalisme pas convaincant car il n'échappe pas aux clichés, mais semble être un roman à la croisée des chemins, une oeuvre rococo dans la mesure où elle interroge à sa façon le monde, chercher à exprimer la variété de l'univers en se servant de la légende d'un héros comme fil conducteur. Ainsi, avec René Garguillo (1991) on comprend que dans son roman :

Lesage ne se contente pas de transférer le picaresque de la culture espagnole à la culture française. Il se sert du picaresque à d'autres fins. Alors que le picaresque espagnol se donnait pour tâche de montrer les aléas de la fortune dans l'existence pittoresque d'un picaro, avec parfois une réflexion sur la destinée humaine; le picaresque de Lesage peint des caractères et, pour l'essentiel, fait la satire de la société française. (228, 229)

La matière et le langage du picaro guidant ce texte montrent qu'il est en effet d'un picaresque qui s'est actualisé.

Onitsha comme susmentionné est écrit par JMG Le Clézio en 1991, publié aux éditions Gallimard

9 En référence ici à La Rochefoucauld et La Bruyère.

10 En référence ici à Vélez de Guevara ou encore Vicente Espinel

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Pour commencer, cet auteur est considéré dans l'histoire de la littérature française contemporaine comme l'auteur le plus en vue, ceci par le biais de l'immensité de ses ouvrages. Du Procès-verbal (1963) à la ritournelle de la faim (2008), Le Clézio s'inscrit dans le sillage d'un écrivain en perpétuelle évolution. Son oeuvre échappe d'ailleurs pour la plupart aux classifications génériques et maintient son statut subversif et indépendant. C'est la raison pour laquelle d'aucuns comme Nadine Thomas (2001) ou encore Ouanghari Abdallah (2009) pensent que l'écriture le clézienne traduit les diverses influences qui l'ont marqué, les problèmes auxquels il fait face et la thématique majeure dans laquelle il inscrit son oeuvre. Ainsi, ce qui sous-entend l'ensemble de l'oeuvre de Le Clézio et en constitue la cohérence significative profonde, c'est le dynamisme d'une quête philosophique qui met le lecteur d'aujourd'hui au centre de diverses préoccupations quotidiennes. On comprend donc avec Ouanghari Abdallah (2009 : 1) que :

L'oeuvre de JMG Le Clézio se veut un témoignage de son époque, elle est représentative de la condition humaine et sociale qui caractérisait la deuxième moitié du XXe siècle. Son oeuvre, tout en interrogeant la société moderne sur ses principes et valeurs déchus, dépeint le malaise existentiel de l'individu moderne en quête d'un ailleurs où son identité recouvrera sa quiétude. Parallèlement elle s'interroge sur elle-même et remet en question paradigmes et structures légués par la tradition romanesque. Cette attitude subversive et innovatrice inscrit l'oeuvre de Le Clézio dans une perspective de quête pour un renouveau littéraire, ce qui lui a valu le qualificatif d'oeuvre inclassable.

On note ici que Le Clézio est un écrivain qui s'inscrit effectivement dans le sillage des romanciers engagés puisqu'en fin de compte son écriture est mise au service de l'humanité. Toutefois, Le Clézio refuse toute tentative de systématisation de son écriture et reste ouvert à toutes les influences. Il débride son écriture et lui tolère tous les excès. Jean Ominus (1994 :7) caractérise cette écriture d' « étrange, audacieuse, un constat à la fois terrible, cruel et drôle, un accent jamais entendu »

Le choix d'Onitsha comme second texte du corpus n'est pas anodin car elle met en scène un jeune héros, Fintan, dans une procédure d'apprentissage et de formation. Pour Madeleine Borgomano (1993 : 243) :

Nouvelle recherche du temps perdu, onitsha s'inscrit explicitement dans le sillage de modèles anciens, romans d'apprentissage, roman d'initiation. La construction classique du texte est soulignée par les titres des quatre parties : « un long voyage » ; « Onitsha » [...], « Aro chuku » [...]. Le voyage est bouclé par un retour, clôture géographique et narrative, institué par le dernier titre, « Loin d'Onitsha », comme exil irrémédiable.

En effet, on comprend que ce roman se démarque des autres textes le cléziens, parce qu'il obéit à certaines règles d'écriture du picaresque. Ainsi, Onitsha utilise des tournures

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linguistiques mordantes liées au picaresque pour peindre une société coloniale aux moeurs décadentes, une société où l'esclave ayant une origine infâme est marginalisé par le despotisme de la haute classe et donc obligé de se coller l'étiquette d'être vil, errant et vagabondant pour survivre aux inégalités sociales.

On note que cette auteure traite Onitsha comme un roman d'initiation, un roman d'apprentissage, ce qui peut laisser croire qu'elle fait exprès d'ignorer le coté picaresque de ce roman. C'est à cela que ce roman paraît primordial pour montrer le picaresque qui transparaît à la lecture de ce roman leclézien.

Nadine Thomas (2001 :506) dans son article consacré à Onitsha affirme :

Le Clézio dénonce les codes d'une société coloniale uniformisée, mais plus généralement il s'en prend aux principaux vices de notre société moderne occidentale : le matérialisme, la frivolité, la vanité, l'arrogance, l'égocentrisme, l'esprit de conquête, la soif de possession et d'exploitation sans limite, le manque de respect vis-à-vis de tous ceux qui sont autres, différents, l'ethnocentrisme aberrant. Dans cet esprit de domination, tous les individus sont séparés les uns des autres, rivaux.

On voit donc que ce texte est en effet une véritable prise de position, un cri de colère face à la souffrance d'une société victime d'une bipolarisation exacerbée et où les riches doivent automatiquement dominés ceux qui portent le statut de déshérités, de déclassés. Cet auteur toujours le coté satirique de ce roman de Le Clézio sans toutefois relevé le coté picaresque qui y fait l'unanimité. C'est face à ce manquement que notre étude retrouve sa nécessité épistémologique.

Tout compte fait, la mise en commun de ces deux textes vient du fait qu'ils développent des motifs liés au picaresque érigé dans les oeuvres espagnoles. Et les études susmentionnées ne confrontent en aucun moment les deux textes afin de montrer le coté picaresque qui s'y observe d'un point de la forme que du fond. C'est face à ces manquements que notre mémoire se veut le porteur d'étendard pour réorienter les études précédemment menées sur notre sujet et les oeuvres constituants le corpus d'analyse. C'est pourquoi, nous avons trouvé avisé de prendre une oeuvre traditionnelle11 et une oeuvre contemporaine12 pour montrer comment se pérennise le picaresque dans la littérature française.

11 Il s'agit de l'histoire de Gil Blas de Santillane.

12 Il s'agit d'Onitsha.

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Plan

Notre travail s'organise en trois parties constituées de deux chapitres chacune. Dans la première partie, nous montrons comment le picaresque organise le texte littéraire à travers une écriture du social. Dans cette partie, l'accent est mis sur les schèmes lexicaux et sur les strates sémantiques qui construisent le discours social. Ainsi dans le chapitre 1, nous insistons sur le caractère marginal du personnage picaresque et arrivons à montrer comment il devient antihéros à force de travailler les marges d'une société injuste et discriminatoire. Le personnage picaresque - anti-héros - arrive ainsi à ériger la satire comme une des modalités essentielles du genre. Quant au chapitre 2, nous revisitons la dimension marxiste du picaresque en analysant ses ressorts satiriques. Ici, notre analyse met tour à tour un accent particulier sur le dévoilement des instances sociales, sur le climat conflictuel qui articule les rapports entre les différentes classes sociales et sur une relecture du bas social. Et, ce sont justement ces modalités que découvre la deuxième partie de ce travail.

En effet, ayant ainsi mis en lumière les éléments constitutifs, fondamentaux du picaresque, notre réflexion peut alors dévoiler les modes d'agir du picaresque. Parti d'une approche structurale, nous nous intéressons à la disposition des éléments qui mettent en scène de manière particulière le discours picaresque. Ainsi au chapitre 1, nous focalisons notre attention sur l'étude d'une structure fonctionnelle de la pérennité du picaresque dans les deux textes. À partir d'un parallélisme établi au regard des romans picaresques canoniques, nous montrons que la structure interne de ces récits obéit à l'esthétique picaresque. Ici, les modalités structurelles du picaresque telles qu'un héros-narrateur, des récits épisodiques, hybrides et hétéroclites et une autobiographie fictive nous permettent de montrer la picaricature13 de notre corpus. C'est dans ce contexte qu'au chapitre 2, nous nous attelons à montrer qu'effectivement le picaresque s'appuie sur un tropisme dont les outils essentiels sont la caricature, l'ironie, l'humour et le sarcasme, eux-mêmes modes particuliers d'une expression satirique conférant aux textes choisis pour cette étude une verve subversive et polémique. Nous aboutissons à un discours sur le réel qui se veut pamphlétaire.

Après avoir ainsi montré le picaresque dans toute sa complexité, la troisième partie de notre travail est enfin en mesure d'affirmer qu'il est possible de réécrire l'histoire des mentalités à travers ce genre. En effet, nous y arguons que l'esthétique picaresque, en prenant appui sur les modes de fonctionnement de la satire, nous révèle une autre histoire de la résistance et

13 Mentalité picaresque

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constitue une forme particulière d'engagement qui revendique liberté et justice. Le chapitre 1 de cette partie montre comment le picaresque déconstruit l'idéologie dominante. Ici l'accent est mis tour à tour sur la satire comme une érection de la problématique de l'agence, la virulence des mots comme le symbole du langage picaresque et le picaresque pris comme une identité commune aux auteurs qui semblent ainsi réclamer l'ascension du bas social. A ce titre, le picaresque a une dimension marxiste indéniable. Comme le suggère le chapitre 2, le picaresque est l'expression d'une vision du monde qui repose sur le principe même de l'abolition des classes sociales et, partant, de la discrimination et de l'injustice. Le picaresque est ainsi par-dessus tout, liberté et suggère que le picarisme devient une philosophie qui transcende le temps et l'espace. En tant que « genre de travers » le picarisme vient rétablir une harmonia mundi détruite par la montée spectaculaire d'une bourgeoisie fondée sur un individualisme outrancier.

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PREMIÈRE PARTIE : DE LA MISE EN

SCÈNE DE LA MARGINALITÉ A

L'ÉCRITURE DU SOCIAL

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Le picaresque est avant tout, une écriture de la marginalité encrée dans un univers social. De ce fait, le héros picaresque ou tout simplement le picaro est alors appelé à se mouvoir et présenter le bas social toute sa profondeur, ceci par le biais ses aventures et péripéties pittoresques au coeur de la classe ouvrière. Ainsi dans cette partie, nous nous permettons de mettre en relief l'univers picaresque qui se manifeste dans les textes choisis pour notre présent travail. Ceci se manifeste bien entendu dans la mise au point des différentes modalités qui confèrent au picaresque tout son esthétique et sa vision du monde. Ainsi nous ouvrons cette partie de notre travail en insistant sur les personnages et leurs attributs marginaux. Ce qui nous permet par la suite d'en déduire une écriture du social dont les auteurs s'y attèlent de façon subversive tout en dévoilant les misères causées par la séparation des classes ; d'où une particularité marxiste que nous attribuons à la satire sociale. Ceci dit, nous voulons ainsi montrer que le picaresque n'est en réalité qu'une esthétique marxiste dans la mesure où son rôle est de dévoiler les dégâts orchestrés par la division des classes sociales.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore