Introduction générale
violence, ce qui nécessite un retour aux valeurs
humanistes du vivre-ensemble et le rejet de tous les fanatismes.
Pour aborder tous ces points, notre étude du roman se
fera en deux parties ; d'abord théorique puis pratique, la partie
théorique se divisera en trois chapitres ; 1. La littérature et
l'histoire qui met, brièvement, la relation entre le roman
précisément et l'Histoire ou comment la littérature traite
l'Histoire ; 2. Interpellation de l'histoire dans le roman maghrébin
francophone, sachant que l'Histoire était toujours une thématique
préférée des écrivains maghrébins ; 3. Crise
d'Histoire enAlgérie, donner une définition bien précise
de la notion de « crise ». La partie pratique s'articulera sur deux
approches chacune rédigée en un chapitre : l'étude
sémiologique dans le premier chapitre se basera spécialement sur
la sémiologie des personnages selon la méthode de Philippe Hamon.
Nous décèlerons la dimension historique au niveau des noms et
dénominations.Dans l'étude sociocritique on examinera
minutieusement le hors-texte et la sémiosis sociale et surtout le
discours social et l'idéologie dominante dans le récit.
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La partie théorique
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Chapitre I littérature et Histoire
Chapitre I Littérature et Histoire
1. Aperçu historique :
La littérature, tous genres confondus, a toujours
puisé dans l'histoire pour y trouver un cadre, un décor bref un
contexte dans lequel est situé un récit, une trame narrative ou
une piècethéâtrale. Des personnages historiques et des
évènements du passé ont souvent constitué une
matière d'écriture et de création, ainsi que les diverses
péripéties et des contradictions, conflits et guerres.
De ce fait la littérature peut s'identifier à
l'histoire dans de nombreux concepts ce qui amena les Goncourt à
écriredans leur journal « l'Histoire est un roman qui a
été, le roman de l'histoire qui aurait pu être » plus
récemment Paul Veyne disait : « les historiens racontent des
évènements vrais qui ont l'homme pour acteur, l'histoire est un
roman vrai », pour cette raison justement est né le roman
historique qui est un genre narratif dont la matière historique est
l'élémentdéclencheur avec une dimension d'ampleur.
Au XVIIe siècle le roman « La princesse de
Clèves » de Madame de La Fayette parut assorti d'une intrigue qui
se déroulait à la cour d'Henri II. Prenons aussi la
tragédie de Racine « Britannicus » qui puise dans l'histoire
romaine.
Mais c'est au XIXe siècle que l'histoire a vraiment
fait l'objet de littérature et surtout sous la forme du roman à
cause des bouleversements majeurs et la rapidité des
évènements survenus à l'instar des guerres de
Napoléon Ier.
Toujours dans son livre le roman historique, Isabelle
Durand-Le Guerne considère qu'après la révolution
française : « le XIXe siècle est bien celui des
bouleversements : les régimes politiques se succèdent avec
rapidité (Empire, Restauration, Monarchie de juillet, république
de 1848, second Empire donnant à voir à chacun la
fragilité des structures politiques et sociales »1.
Mais selon l'autrice toujours, c'est Walter Scott qui, en 1814, a
publié Waverly, et a créé le roman historique,
elle cite : « cette apparition se trouve de fait liée à
une nouvelle conception de l'histoire (...) c'est en effet avec la
révolution française que la perception de l'histoire et donc de
sa place en littérature va changer »2
1Isabelle Durand-Le Guerne, le roman historique,
Armand Colin, Paris, 2008, p : 6 2Ibid. p : 3
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Chapitre I littérature et Histoire
Apres Walter Scott, ce sont les écrivainsromantiques
qui ont le plus emprunté à l'histoire leur thèmes et
matières de créationlittéraire, citons Victor Hugo dans
son roman quatre-vingt-treize.
Zola dans sa fresque les Rougon-macquart, Balzac,
dans la comédie humaine, note dans l'avant-propos : «
la société française allait être l'historien, je ne
devraisêtre que le secrétaire » outre les
français il y a aussi des écrivains russes, allemands,
italiens...etc. qui se sont intéressés à l'histoire dans
leurs oeuvres.
Le XXe siècle aussi était riche
d'évènements et de crises notamment à propos des deux
Guerres mondiales et la révolution algérienne qui ont beaucoup
marqué la littérature mondiale, nombreux sont les
écrivains qui ont placé la réflexion sur l'écriture
de l'histoire, ainsi que dans leur préoccupation artistique, on peut
citer : Michelet, Paul Veyne, Paul Ricoeur...
Dans ces tractations et polémiques, pourquoi le romancier
puise-t-il dans l'élément historique ? Quel est le rôle
joué par l'histoire dans le genre romanesque ? On commence par d'abord
par définir la notion de l'histoire.
2. Définition de l'histoire :
2.1. Encyclopédie Universalis :
L'Encyclopédie Universalis définit ainsi
l'histoire : « Le mot histoire désigne aussi bien ce qui est
arrivé que de ce qui arrivé ; l'histoire est donc soit une suite
d'évènements soit le récit de cette suite
d'évènements. Ceux-ci sont réellement arrivés :
l'histoire est récit d'évènements vrais, par opposition au
roman, par exemple, par cette norme de vérité l'histoire, comme
discipline, s'apparente à la science , · elle est une
activité de connaissance »3
2.2. Définition philosophique :
Pour cette définition, nous avons consulté le
dictionnaire de philosophie4 : « transformation dans le
temps des sociétés humaines , · succession des
états par lesquels passe une réalité (individu,
pays,...) »
3 Encyclopédie Universalis, Tome 11, p : 464
4 N. Barraquin, Anne Baudart, Dictionnaire de
philosophie, p : 252
Chapitre I littérature et Histoire
Dans notre travail nous allons nousintéresser au terme
Histoire avec h majuscule qui renvoie au type de discours historique
produit par les historiens au sein de la discipline appelé «
Histoire ».
3. Entre historien et romancier :
A.Zaoui fait du contexte de la colonisation un
référent historique, il interpelle cette Histoire et met ses
moments conflictuels sous les projecteurs de la critique, cependant Amin Zaoui
« l'écrivain » ne se prend pas pour un « historien »
et il n'en fait pas son souci : mais il considère autrement le parcours
narratif de « Afulay » qui a rejoint les groupes armées durant
la décennie noire aprèsson rôled'ancien maquisard pendant
la guerre de libération nationale qui défendait le peuple contre
l'oppression coloniale, ici le romancier est en train de « juger »
l'histoire, pourquoi en est-on arrivé là ? C'est cette question
cruciale et significative qui occupe la pensée de notre écrivain,
donc il y a un jugement de valeurs et des marques de subjectivité
à travers une trame narrative et fictionnelle, c'est moins la
volonté d'approcher « la vérité » que de livrer
sa « vérité » qui ne saurait être que «
subjective » alors loin de l'objectivité nécessaire pour le
travail de l'historien.
Le romancier juge encore l'Histoire imposée par le
pouvoir politique depuis 1962, qui néglige et fait fi d'une partie
fondamentale dans la construction d'un patrimoine collectif de la nation
algérienne, ce patrimoine confisqué faisait réagir
l'écrivain Smail Goumeziane, il rapporte que l'élite
algérienne dominante prétend que l'Histoire de l'Algérie
commence avec l'arrivée des Arabes au VIIIe siècle alors que
:« Gilbert Meynier n'hésite pas à faire de ce
territoire, hérité depuis plus de deux mille années, un
berceau de l'humanité »5
4. Rôle de l'histoire dans le récit : 4.1.
Rôle idéologique :
Le romancier, dans la littérature
particulièrement, essaie souvent de faire passer une idée, un
message idéologique à travers le discours historique tenu dans le
récit « le recours au passé permet en effet de tenir un
discours sur le présent tout en écartant les foudres de la
censure »6. Au contraire de l'historien, qui ne peut pas
fuir le positionnement tenu par le pouvoir politique, et sous peine de finir en
prison ou exposer sa vie au danger, le romancier peut contourner l'interdit en
usant du coté polysémique du langage et de la
littérature.
5Smail Goumeziane, Algérie une histoire en
héritage, Edif 2000/Non-lieu p : 33 6I. Durand- Le Guerne, le
roman historique, P : 8
Chapitre I littérature et Histoire
A.Zaoui fait le constat de l'échec de la construction
d'un Etat moderne après l'indépendance à travers
l'enchainement d'éléments narratifs qui influencent le sort
tragique du personnage juif du roman nommé « Levy » dans son
roman, et dont les ossements finirent par être transférés
vers un cimetière non musulman et ce sur l'injonction de son ami d'arme
« Afulay » « c'est un grand péché ( ...)
d'enterrer les ossements d'un Levy dans le cimetière des martyrs
»7. Tous ces éléments nous éclairent
sur la définition d'une identité nationale algérienne
restreinte et par conséquent exclusive de l' « autre ». Une
telle conception exclusive était de nature à nourrir très
tôt une crise sociale et idéologique assez profonde.
4.2. Rôle politique :
L'engagement politique s'infiltre souvent au travers d'un
discours émaillé d'Histoire et d'évènements
historiques importants.
Parlant d'un drame de Musset « Lorenzaccio »,
isabelle Durand-Le Guerne dit : «la dimension politique y est
essentielle, avec de nombreuses scènes de rue où le peuple
s'exprime et stigmatise la tyrannie des Médicis »8,
l'élément politique est souvent introduit dans le
récit romanesque comme complément ou accompagnateur du fait
historique.
4.3. Rôle didactique :
Le narrateur est amené à maintes fois à
commenter et à prendre position sur les évènements qu'il
décrits, ainsi il juge et soumet le lecteur parallèlement
à sa lecture. Dans le roman en question Canicule glaciale,
A.Zaoui écrit : « ce décret de 1870 avait
créé un clivage de la population autochtone algérienne,
entre juifs et musulmans (...) au même titre que les musulmans.
»9. L'auteur s'est focalisé sur l'aspect didactique
du décret de Crémieux de 1870.
5. Histoire et idéologie :
C'est un point de conflit envisagé par l'historien et
le littéraire qui doivent affronter les tentatives de manipulation de
l'héritage historique de la part de la classe dominante après
avoir été annexé au patrimoine matériel de l'Etat :
cela a facilité sa falsification : « (...) cependant, en
Algérie, ce processus traduit aussi un autre glissement, autrement, plus
fondamental celui de la
7 Amin Zaoui, Canicule Glaciale, Ed ; Dalimen, 2020 ;
p ; 223 8Ibid, p : 10
9 Amin Zaoui, Op.cit. p ; 212
Chapitre I littérature et Histoire
monopolisation ou de la privatisation du patrimoine
publique, en particulier, de la réalité historique par un groupe
au pouvoir »10
Malgré cette apparente subjectivité de la
science de l'Histoire il n'en demeure pas moins qu'elle présente des
aspects objectifs notamment après l'introduction de la théorie
positiviste d'Auguste Comte quant à l'étude des documents
historiques.
Le philosophe français Paul Ricoeur, dans son ouvrage
Histoire et vérité, n'a cessé de s'interroger sur
cette relation entre l'Histoire et l'objectivité : « Nous
attendons de l'histoire une certaine objectivité, l'objectivité
qui lui convient c'est de là que nous devons partir et non de l'autre
terme.»11
8
10SmailGoumeziane, Algérie, une histoire en
héritage, Edif 2000/Non-lieu, p : 33 11 Paul Ricoeur,
Histoire et vérité, (3eme) éd ; Seuil, 1990, p : 35
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