Paragraphe 2. La pratique australienne de la «
solution du pacifique »
La « solution du Pacifique »271 est une
pratique d'interception et de refoulement des migrants (A) qui ne respecte pas
le principe de non-refoulement (B) mise sur place dès 2001 par le
gouvernement australien.
268 LES VERTS /ALE (PARLEMENT EUROPÉEN), Agence
Frontex : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? Étude sur
l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de
la refonte de son mandat, op. cit., p. 31.
269 Nina FABRIZI-RACINE, « Frontex, nouvelle Agence
européenne de garde-frontières et de garde-côtes: Des
données et des hommes », La Revue des droits de l'homme [En
ligne], Actualités Droits-Libertés, (21 mars 2017), p. 5.
270 Carole BILLET, « Quelle(s) responsabilité(s)
pour l'agence Frontex ? » dans Patrick Chaumette. Wealth and miseries
of the oceans: Conservation, Resources and Borders Richesses et misères
des océans: Conservation, Ressources et Frontières, GOMILEX,
2018, p. 423.
271 Fiona MCKAY, « Retour à la «solution du
Pacifique» », Revue des migrations forcées,
no 44 (octobre 2013), p. 24?26.
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A. Une pratique d'interception et de refoulement des
migrants vers les États voisins de l'Australie
La pratique de la « solution du Pacifique » a
été mise en place à partir de l'affaire
emblématique du Tampa. En effet, ce cargo norvégien
s'est retrouvé au coeur d'un imbroglio politique international. Le 26
août 2001, le cargo norvégien le MV Tampa porte secours
à une embarcation transportant quelque 400 migrants, en grande partie
des Afghans, venant d'Indonésie et se dirigeant vers l'Australie pour
fuir les violences des Talibans. L'embarcation menace de faire naufrage et les
gardes côtes australiens lui demandent de la secourir. Mais ils ne
donnent aucune indication sur le lieu de débarquement. Le capitaine
prévoit de les débarquer alors sur l'île Christmas, port le
plus proche de sa position, mais les autorités australiennes lui
refusent l'accès. Alors que dans le cargo, la situation est critique :
en effet, il y a de nombreux malades et très peu de vivres pour un
navire prévu pour 50 personnes. L'Indonésie refuse
également le débarquement. Le 29 août, l'armée
australienne prit le contrôle du Tampa afin d'empêcher
l'entrée des migrants sur l'île. Il y a des discussions politiques
intenses entre l'Australie et le HCR : l'Australie ne veut pas du
débarquement et le HCR rappelle les obligations de sauvetage contenues
dans les dispositions pertinentes du droit international. Finalement, un accord
est trouvé entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, Nauru et la
Papouasie Nouvelle-Guinée. La Nouvelle-Zélande et Nauru
acceptèrent de se charger d'évaluer elles-mêmes le
bien-fondé des demandes d'asile. La Nouvelle-Zélande accepte
d'accueillir près de 150 de ces réfugiés, surtout les
familles, les femmes et les enfants. De son côté, Nauru accepte
d'« accueillir » les quelque 280 autres réfugiés dans
son centre de détention. L'Australie accepte, en échange,
d'assurer l'ensemble des coûts liés à cette
opération à Nauru.
Cet évènement a fait l'objet de
récupération politique de la part des politiciens australiens qui
ont fait une corrélation avec les évènements du 11
septembre 2001 qui ont montré au monde occidental qu'il est
vulnérable272. Ils ont avancé que les migrants
étaient des terroristes pour justifier le fait qu'ils leur ont
refusé l'asile et ont mis en place la « solution du Pacifique
» qui consiste à emmener les migrants vers les pays voisins comme
la Nouvelle-Zélande273. Cette
272 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 55.
273 Jean-Claude ICART, L'Odyssée du Tampa. Analyse
d'un cas emblématique dans la conjoncture du 11 septembre, 2002
(consultée le 19 décembre 2019) p.4.
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manipulation a été permise par le manque
d'accès des journalistes aux réfugiés274. Le
gouvernement du premier ministre Howard a voulu montrer à la population
australienne que seules des mesures fortes peuvent protéger le pays d'
« éventuels terroristes »275.
La solution du Pacifique est avant tout un ensemble de trois
lois votées en 2001 qui constituent un arsenal juridique. Il s'agit
d'abord du Border Protection (Validation and Enforcement Powers) Act qui valide
l'interception des migrants aux frontières. Ensuite, le Migration
Amendment (Excision from Migration Zone) Act qui retire les îles et
territoires de Christmas, de Cocos, d'Ashmore et les îles Cartier des
zones où l'on peut demander un visa. Enfin, le Migration Amendment
(Excision from Migration Zone) (Consequential Provisions) Act permet à
n'importe quelle autorité australienne de détenir une personne
qui entre en Australie en dehors du territoire australien ou de les amener vers
un pays désigné « declared country »276.
Un autre évènement révélateur de
la politique australienne est celui du Minasa Bone en 2003.
D'ailleurs, il est à noter qu'en raison de la politique très
restrictive de l'Australie, il ne s'agit que du deuxième bateau de ce
type à pénétrer dans les eaux australiennes après
le Tampa277. Le Minasa Bone est un bateau de
pêche indonésien qui transportait en novembre 2003 14 demandeurs
d'asile kurdes de Turquie. Le bateau a été retourné vers
l'Indonésie après que les demandeurs d'asile ont atteint Melville
Island, située à 80 kilomètres de la terre
australienne278.
Brouwer et Kumin montrent dans leur article que le principal
problème des États est la protection de leur frontière
avec l'interception279. Cette méthode ne respecte pas
toujours le principe de non refoulement.
274 Julian BURNSIDE, « Refugees: The Tampa Case »,
Postcolonial Stud, vol. 5:1. (2002), p. 3.
275 Bette Diane WRIGHT, Asylum seekers and australian
politics, 1996-2007, A thesis presented to the School of History and
Politics In the Faculty of Humanities and Social Sciences for the Degree of
Doctor of Philosophy, Adelaide, The University of Adelaide, South Autralia,
2007, p. 105.
276 Penelope MATHEW, « Australian Refugee Protection in
the Wake of the Tampa », The American Journal of International
Law, vol. Vol. 96. No. 3 (juillet 2002), p. 663.
277 Susan KNEEBONE, « The Pacific Plan: The Provision of
«Effective Protection»? », International Journal of Refugee
Law, (septembre 2006), p. 707.
278 Susan KNEEBONE, « Controlling Migration by Sea: The
Australian Case » dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas,
Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff
Publishers, 2010, p. 360.
279 Andrew BROUWER et Judith KUMIN, « Interception and
Asylum: When Migration Control and Human Rights Collide »,
Refuge, vol. 21. Number 4.
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