B. Intérêt du sujet
L'intérêt d'un tel sujet est triple. Il est en
effet intéressant à trois niveaux : humanitaire, politique et
académique.
De premier abord, l'intérêt humanitaire est le
plus évident. En effet, depuis plusieurs décennies, les
États s'attèlent à lutter contre ce
phénomène mais les drames liés à l'immigration
irrégulière se multiplient. Ces drames font la une de
l'actualité internationale et font entrer la question de l'immigration
irrégulière dans le débat public. Le drame de Lampedusa du
3 octobre 2013 qui s'est déroulé aux portes mêmes de
l'Europe illustre très bien cette réalité.
Il s'agissait d'un bateau venu de Lybie qui sombra près
de l'île de Lampedusa en raison d'une panique à bord causée
par un passager qui a mis le feu à une couverture. 368 personnes sont
décédées et 155 personnes ont survécu40.
Le 11 octobre 2013, toujours près de l'île de Lampedusa et de
Malte, environ 200 personnes ont péri après le naufrage d'un
bateau de pêche, malgré plusieurs appels au Centre de coordination
de sauvetage en mer de Rome dès 11 heures. Les services de recherche et
de sauvetage n'ont pas pu éviter le naufrage à temps. Le Pape
François s'était rendu à Lampedusa en juillet 2013 et a
dénoncé dans son discours une « mondialisation de
l'indifférence »41.
37 Ibid.
38 Patrick DAILLIER et al., Droit international
public, 8ème édition, L.G.D.J., 2009, p. 1276.
39 Jean-Paul PANCRACIO, Droit de la mer,
op. cit., p. 3.
40 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe:
un enjeu sécuritaire. Causes et conséquences des politiques
migratoires européennes sur les migrants, Mémoire
présenté pour l'obtention du Master en études
européennes, Global Studies Institute de l'Université de
Genève, 2015, p. 39.
41 Ibid., p. 40.
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Ce genre de drame a fait se demander à Claire Saas si
la Méditerranée est « une zone de non-droit pour les
boat-people »42. Dans la conclusion de son article, elle fit ce
constat amer: « si de jure, la zone méditerranéenne
n'est pas une zone de non-droit, elle le devient de facto
»43. C'est toute la problématique auquel
les migrants sont confrontés : ils sont protégés de
jure mais l'application concrète fait douter du droit.
La situation à Lampedusa est toujours aussi
préoccupante en 2020. En effet, dans un article du Figaro du 10
juillet 2020, l'on apprend que plus de 500 migrants ont débarqué
sur l'île italienne en deux jours. Neuf bateaux contenant 116 passagers
en provenance de Tunisie ont accosté le premier jour suivis le lendemain
de sept bateaux venant de Tunisie et deux bateaux de Lybie transportant 434
migrants44.
Ce qui nous mène subséquemment à
l'intérêt politique du sujet de l'immigration
irrégulière qui est intimement lié à la notion
chère à l'État de souveraineté. Le traitement
juridique de la question de la migration irrégulière par voie
maritime fait l'objet d'un paradoxe. En effet, le cadre juridique est
tiraillé entre la protection des frontières des États et
le sauvetage des migrants. Les États ont le droit de protéger
leurs frontières. Ils ont le privilège de définir
eux-mêmes les conditions d'accès à leur territoire.
Cependant ceux-ci ont parallèlement le devoir, en raison des conventions
pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS)45 et sur la
recherche et le sauvetage (SAR)46, de recueillir dans un port
sûr les migrants quel que soit leur situation juridique.
C'est ce qu'exprime Guy S. Goodwin-Gill en ces termes :
«The refugee in international law occupies a legal
space characterized, on the one hand, by the principle of State sovereignty and
the related principles of territorial supremacy and self-preservation; and on
the other hand by competing humanitarian principles deriving from general
international law [...] and from treaty «47.
42 Claire SAAS, « La
Méditerranée, une zone de non-droit pour les boat-people? »
dans Patrick Chaumette, Espaces marins: surveillance et prévention
des trafics illicites en mer, 2016, p. 179.
43 Claire SAAS, « La Méditerranée,
une zone de non-droit pour les boat-people? », loc. cit.
44 LE FIGARO AVEC AFP. « Plus de 500 migrants
ont accosté à Lampedusa depuis jeudi, selon l'OIM, 10 juillet
2020 ».
45 Convention internationale pour la sauvegarde
de la vie humaine en mer (SOLAS) adoptée le 1er novembre 1974 ,
entrée en vigueur le 25 mai 1980, chapitre V, Règle
33(1).
46 Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin1985, chapitre V, Règle 7.
47 Guy S. GOODWIN-GILL et Jane MCADAM, The
Refugee in International Law, 3rd edition., Oxford: Oxford University
Press, 2007. ; Anja KLUG et Tim HOWE, « The Concept of State Jurisdiction
and the Applicability of the Non-refoulement Principle to Extraterritorial
Interception Measures » dans Bernard Ryan et
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Le terme « migrant » est souvent opposé
négativement dans le discours politique au terme de «
réfugié »48. Ainsi cette distinction fait une
différence entre les réfugiés, que l'on doit accueillir,
et les migrants « économiques », qui ne font que chercher une
vie meilleure et qui ne doivent pas s'installer. Ce que le discours public
omet, c'est que tout migrant qu'il soit ou non protégé par la
Convention sur les réfugiés bénéficie de droits
communs à tous les êtres humains, les droits de l'Homme. Certes il
n'y a pas de loi ou de régime spécial qui s'applique aux migrants
irréguliers et aucun migrant n'a le droit intrinsèque de
résider dans un pays autre que celui dont il a la
nationalité49. Cependant la mer n'est pas une zone de
non-droit, ce que ce mémoire veut expliciter.
L'apport académique, enfin, de notre sujet est
d'étudier les causes et les conséquences d'un tel paradoxe sur le
phénomène de l'immigration irrégulière par voie
maritime.
La globalisation ou mondialisation est un
phénomène qui se traduit par une augmentation des transactions
transfrontalières et des échanges50. Cette situation
de globalisation a un impact considérable sur la mobilité des
personnes, et accroît le flux de déplacements de celles-ci d'un
pays à un autre. Par conséquent, la question de l'immigration
irrégulière se fera de plus en plus urgente et il faudra, pour la
communauté internationale, trouver de nouvelles solutions juridiques
plus efficaces par rapport à la problématique.
De plus, plusieurs situations de crises risquent d'augmenter
encore le flux de migrants par cette voie comme le réchauffement
climatique. En effet, la montée de la température de la Terre et
partant du volume des océans menace l'habitat de milliers de personnes
à travers le monde. Au point où la doctrine internationale
s'interroge sur une nouvelle catégorie de réfugiés : les
réfugiés climatiques51.
Certains auteurs, comme François Crépeau,
militent même pour une accélération de la mobilité
régulière et légale. En effet, selon François
Crépeau, en permettant à plus d'étrangers de se
déplacer librement avec des documents de voyage, l'on peut mieux
contrôler leur identité
Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control.
Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010,
p. 69.
48 Julian M. LEHMANN, « Rights at the
Frontier: Border Control and Human Rights Protection of Irregular International
Migrants », Goettingen Journal of International Law, vol. Vol. 3.
No. 2 (2011), p. 737.
49 Ibid., p. 768.
50 Henk OVERBEEK, « Globalization,
Sovereignty, and Transnational Regulation: Reshaping the Governance of
International Migration » dans Ghosh, B., Managing Migration: Time for
a New International Regime?, Oxford: Oxford University Press, 2000, p.
49.
51 À ce propos voir : Roméo
Koïbé Madjilem, « La protection juridique des
réfugiés et déplacés climatiques à assurer
par les organisations régionales Rôle de l'Union Africaine »
(Thèse en vue de l'obtention du doctorat de Droit public de
l'Université Paris Nanterre, Université Paris Nanterre, 2017).
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et empêcher des voyages irréguliers, dangereux et
mortels52. Mais cette idée n'est pas à l'ordre du jour
des discussions diplomatiques qui se basent plutôt sur la surveillance
accrue des frontières.
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