Perceptions de l'ethnicisation politique au Cameroun: cas dans l'arrondissement de Dschangpar Jonias KAMWA KAMDE Université de Dschang Cameroun - 2019 |
1.2 Abstraction faite du projet politiqueConsidérant l'attachement des uns et des autres à leur communauté d'origine, il va de soi que l'attention n'est plus prêtée sur le projet politique des différents protagonistes pour le pouvoir ou une quelconque fonction. Selon les données recueillies sur le terrain, il ressort qu'on a besoin de rien d'autre que le lien social pour avoir l'approbation des siens. Écoutons à ce propos l'une des personnes ressources « chacun va aller parler à ses frères, pour les motivations de l'ethnicisation, on n'a pas besoin d'argument, ce que je dis n'a plus d'importance, vous n'avez même plus besoin d'un programme politique c'est votre frère quand il va monter il va penser à vous »57(*). Une conséquence débouchant de l'abstraction faite du projet politique peut-être la montée et la perpétuation du vote ethnique. Le vote ethnique ou clanique existe partout dans le monde, aussi bien dans les pays démocratie avancée que sur le continent africain. Mais il semble être plus inquiétant en Afrique. Ce vote se caractérise par des intérêts ethniques et claniques. En concordance avec le terrain nous avons pu faire la remarque que « Je vote un tel parce qu'il est de chez moi, parce qu'il est de ma région, un point c'est tout »58(*). Les électeurs ne tiennent compte ni du programme, ni des capacités réelles du candidat à qui ils accordent leurs suffrages. Ils se fondent principalement sur l'appartenance soit religieuse, régionaliste, ethnique etc., avec l'espoir de mieux bénéficier des biens du pouvoir dès lors que c'est leur frère qui y est. Dans la logique, c'est un vote irrationnel, or la démocratie est le rationnel. On réfléchit, on raisonne en démocratie pour améliorer et envisager le développement. Nous convenons donc que nous sommes là en plein dans un modèle déterministe du comportement électoral qui peut se rapprocher de celui que décrit que décrit N MAYER59(*) etH-L MENTHONG60(*)quand elles étudient les modèles explicatifs du vote mais il y'a une équivoque à lever. Certes le vote ou alors le comportement politique est déterminé par les liens affectifs, le sang, la langue, la culture qui lient les populations, cependant il faudrait voir en cela non pas l'irrationnel mais une sorte rationalité dite communautaire car l'individu agit en fonction des convictions qui sont les siennes, convictions qui sont le résultat des idées murement réfléchies. Loin de voir en l'individu un « aliéné » qui prends des décisions hâtives, qui agit par instinct, voyons plutôt quelqu'un qui pose une action rationnelle en finalité. Dans le même ordre d'idée, nous remarquons au bout de cette analyse plus approfondie des discours recueillis que l'attachement à la communauté, l'abstraction faite du programme politique peut avoir aussi des répercutions dans le choix des partis politique. Plus précisément, c'est l'identification des enquêtés qui suscite cette remarque. Voici d'ailleurs le tableau d'identification de quelques enquêtés selon leur origine ethnique et leur appartenance politique. Tableau 6: Croisement entre l'appartenance ethnique et l'appartenance politique de quelques enquêtés
Source : enquête de terrain, 2019. Dans ce tableau représentant le croisement entre la Région d'appartenance et l'appartenance politique de quelques enquêtés, nous remarquons quele choix du parti politique ne s'éloigne pas significativement de la logique ethnique. Pour la majorité, l'attachement à la communauté d'origine influe sur la formation politique d'appartenance en ce sens que, selon le tableau, la plupart des personnes originaires de l'Ouest Cameroun appartiennent au parti MRC, parti dit Bamilékés. Le constat est également fait pour les personnes interrogées ressortissantes du centre qui, pour la plupart militent pour le parti RDPC, parti taxé de « parti Bétis ». Ceci montre que la logique actuelle tend à se rapprocher de ce que MENTHONG H-L61(*) pensait en affirmant à la page 42 de son travail sur le vote que les « Les partis politiques reproduisent en grande partie les clivages ethniques au prix d'un travail de construction de l'identification et de la représentation, même si le nombre de partis politiques ne correspond pas à celui des ethnies » * 57 Propos de l'enquêté n°4, 17 -4- 2019. * 58Récapitulatif des interventions sur la question visant à savoir si le vote est ethnique * 59MAYER Nonna : « qui vote pour qui et pourquoi ? Les modèles explicatifs du choix électoral », pouvoirs, vol1, n°120, 2007, PP 10-16. * 60 MENTHONG, Hélène-Laure : « vote et communautarisme au Cameroun : un vote de coeur de sang et de raison », in des élections comme les autres, politique Africaine, n°69, 1998 PP.20-50. * 61 MENTHONG, Hélène-Laure : « vote et communautarisme au Cameroun : un vote de coeur de sang et de raison », in des élections comme les autres, politique Africaine, n°69, 1998, PP.42. |
|