Groupes armés et conditions socio-économiques de la population de Shabunda au Sud-Kivupar Jacques LUTALA KATAMBWE Université de Lubumbashi - Diplôme d'Etudes Approfondies en Sciences politiques et Administratives. Option : Science Administrative 2020 |
Section 2. Le contexte et les causes d'émergence des groupes armés à ShabundaDans cette partie de notre travail, nous allons dégager les considérations sur le contexte d'une part, et les causes de l'émergence des groupes armés à Shabunda selon qu'il s'agit des groupes armés congolais ou des groupes armés étrangers d'autre part. Ce point va aborder d'abord le contexte d'émergence des groupes armés congolais à Shabunda et ensuite, le contexte des groupes armés étrangers dans cette partie du territoire congolais.
A l'Est et au Nord de la RD Congo, jusqu'à ce que le front se stabilise, le RCD et le MLC n'ont rencontré qu'une faible opposition des Forces Armées Congolaises. En revanche, dès les premiers mois du déclanchement de la guerre du RCD et MLC, les forces rebelles se heurtent à l'opposition des milices tribales, les Maï-Maï, engagées dans de véritables campagnes de guérilla. Ces Maï-Maï, aujourd'hui majoritairement alliés au gouvernement de Kinshasa, représentent une nébuleuse de milices ethniques où il n'existe aucun mouvement fédérateur, sauf à une échelle infra provinciale où certains chefs de guerre, souvent en marge des autorités locales traditionnelles, sont parvenus à rassembler plusieurs groupes de combattants sous leur autorité(65(*)). Les miliciens, eux, sont le plus souvent recrutés dans les rangs d'une jeunesse désoeuvrée, vivant dans des conditions de vulnérabilité qui la poussent à une rébellion vécue comme la seule chance de survie et d'autodéfense contre un ordre politique, économique et social qui l'écrase. Des conflits fonciers ont opposé les populations autochtones du territoire. Le but initial d'entraide et de promotion économique s'était transformé en une démarche protectionniste et violente. Ces mouvements armés étaient des forces ethniques d'autodéfense locale. Les mouvements de résistance Maï-Maï sont nés dans le contexte de crise socio-politique caractérisé essentiellement par des rébellions et l'instabilité des institutions politiques avec leurs conséquences sociales et économiques désastreuses(66(*)). L'émergence de mouvement de résistance Maï-Maï est fort dispersée selon les périodes et leurs contextes. Ainsi, selon la périodicité, on a distingué deux catégories de mouvements : les Maï-Maï qui sont liés aux mouvements de résistance nés des rébellions de 1996 et 1998 d'une part et les Raïa mutomboki qui sont liés aux mouvements de résistance nés pendant la transition et la période postélectorale de 2006. On distingue la présence d'un seul groupe armé étranger dans le Territoire de Shabunda, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Le contexte d'émergence de ce groupe armé revêt des facteurs multiples. Dans tout le Sud-Kivu en général et le Territoire de Shabunda en particulier, le phénomène d'émergence des groupes armés étrangers est lié à des facteurs complexes : les problèmes politiques, économiques, ethniques, etc. Les problèmes politiques sont liés au déversement, en RD Congo, des réfugiés armés et non armés burundais et rwandais depuis les années 1993 et 1994. Les facteurs économiques se résument dans le pillage des ressources naturelles de ce territoire. Les facteurs ethniques renseignent sur les ramifications identitaires des problèmes touchant les intérêts des groupes ethniques se trouvant entre deux ou plusieurs États. Tel est le cas d'une collaboration soupçonnée entre les Burundais de la plaine de la Ruzizi et les FNL, groupe armé burundais. La persistance des groupes armés dans la Province du Sud - Kivu se justifie par la désintégration sociale, politique et économique des certaines catégories de la population du Territoire de Shabunda. L'usage des armes à Shabunda semble s'inscrire dans le corpus mouvant et sans cesse réinventé des pratiques de débrouille au quotidien en contexte incertain. Cette activité à Shabunda n'est pas conçue selon une logique d'accumulation structurelle. La capacité d'adaptation des groupes armés aux évolutions du paysage social dans le territoire, leurs fréquentes et rapides recompositions et la reproduction constante de certains d'entre eux tiennent sans doute au fait que les membres de ce mouvement considèrent leur participation à la lutte comme une pratique ordinaire de survie. Les modes d'entrée dans le mouvement présentent une certaine diversité. Pour certains éléments, c'est le fruit des contingences locales qui résulte d'un désoeuvrement. Les facteurs exerçant le plus d'influence sur l'éclatement des guerres civiles se trouvent dans le coût d'opportunité qui s'appuie sur la prévision des revenus futurs par les individus. Nous avons retenu les indicateurs suivants : le revenu moyen par habitant, le taux d'analphabétisme de la population masculine et le taux de croissance de l'économie. Ces indicateurs facilitent le recrutement de la population dans les groupes rebelles. C'est par exemple, lorsque le taux d'éducation secondaire de la population masculine, le revenu par habitant et le taux de croissance augmentent, les risques de conflits diminuent. Donc les faibles revenus et un accès difficile à la scolarisation sont fortement susceptibles d'attiser la frustration de la population envers le gouvernement. Là, il est question des griefs réels et légitimes. La faillite de l'Etat a poussé la population à créer des groupes d'autodéfenses pour faire face aux attaques des éléments de Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) qui se sont vus être mis hors territoire suite à des opérations lancées par de Raïa Mutomboki lorsque toute l'étendue du Territoire de Shabunda était restée sans force loyaliste pour assurer la sécurité des personnes et des biens. L'intégration dans les groupes armés à Shabunda des jeunes est une opportunité d'atteindre un statut social plus élevé, car cela a favorisé plusieurs jeunes Ex-combattants de bénéficier des formations dans les différents centres de formation socioprofessionnelle installés soit à Kitona dans la Province du Kongo - central, soit à Kamina dans la Province du Haut - Lomani. Suite aux revendications de l'amélioration du bien - être de la population par les différents éléments des groupes armés, il s'est observé la présence, dans le Territoire de Shabunda, des plusieurs organismes humanitaires oeuvrant dans le domaine social qui sont venus construire et équiper les écoles sur toute l'étendue du territoire. Qu'il découle d'une contrainte physique ou d'un impératif social, le recours aux armes à Shabunda n'est conçu ni comme une vocation ni comme un acte exceptionnel. Fruits des contingences, il répond à des considérations s'inscrivant dans le « temps court marqué par l'improvisation »(67(*)), et ce, dans un contexte où « la distinction entre les luttes pour la subsistance proprement dite et les luttes pour la survie tout court s'est estompée » et « où la vie au quotidien est de plus en plus définie à partir du paradigme de la menace, du danger et de l'incertitude ». Les groupes armés à Shabunda mettent en oeuvre une action collective violente lorsqu'ils considèrent que la situation d'inégalité horizontale, face à la population ou la société où ils évoluent, est devenue intolérable. C'est pourquoi, plusieurs auteurs perçoivent la défaillance étatique comme le facteur le plus significatif pour expliquer l'éclatement des groupes armés. Le terme Etat défaillant est utilisé pour désigner un Etat dont le degré de faiblesse institutionnelle a atteint un point critique. C'est-à-dire lorsqu'il y a une rupture générale du corpus de règles formelles et informelles gouvernant une société, accompagnée d'une disparition ou d'une érosion de l'autorité formelle »(68(*)). Les Etats défaillants sont incapables de remplir leurs fonctions traditionnelles. Dans une telle situation, les conditions de vie se détériorent (la réduction des services publics (voir leur disparition), la dégradation des infrastructures physiques, etc.). Par conséquent, ce vide politique mène souvent à l'anarchie et à la formation des différents groupes armés sous prétexte de l'autodéfense. Il est remarqué que les groupes armés à Shabunda sont formés de jeunes (la plupart issus des milieux ruraux) qui ont observé que les actions de l'Etat n'ont pas un impact considérable sur les conditions de vie de la population. L'analphabétisme, le manque d'instruction et aussi le manque d'emploi sont autant de facteurs qui contribuent à la persistance des groupes armés. Nous sommes sans ignorer que la fréquence des groupes armés est déterminée par des opportunités et des incitations économiques qui agissent en interaction avec des revendications politiques et sociales, des disputes interethniques et des dilemmes sécuritaires. Selon nos observations, nous constatons qu'aucune des guerres civiles ne peut éclater à cause de facteurs strictement économiques. Les motivations politiques ont été, et ce dans tous les cas, à l'origine de la création des mouvements de rébellion. Il nous faut insister sur le fait qu'à de multiples reprises, les facteurs économiques se sont combinés à des facteurs politiques. Et cette combinaison a facilité l'éclatement des hostilités. Pour de nombreux combattants, la surveillance des axes de communication, l'approvisionnement en vivres, le prélèvement de taxes sur les marchandises et la protection de groupes viennent combler de longues périodes d'oisiveté dans les villages occupés par eux. Certaines de pratiques des groupes armés à Shabunda s'insèrent dans le tissu économique local et associent des acteurs qui leur sont proches sans toutefois faire partie du groupe armé. Ainsi, les combattants arrivent à tirer profit de leur statut et de leurs armes pour protéger le petit commerce de leurs proches, notamment dans les zones d'exploitation minière. La protection du commerce, des fermes et des carrés miniers d'opérateurs économiques proches des groupes maï - maï à Shabunda est devenue une activité routinière pour ces derniers qui assurent ainsi une forme de maintien de l'ordre à leur propre bénéfice. Section 3. Groupes armés à l'Est de la RD Congo et stratégies de leur éradication par les pouvoirs publics. Dans cette section de notre travail, nous allons d'abord présenter les groupes armés opérationnels à l'Est de la RD Congo, ensuite, nous dégagerons les différentes stratégies mises en place par les pouvoirs publics pour leur éradication. 3.1. Les groupes armés à l'Est de la RD Congo Dans ce point, nous allons présenter les groupes armés opérationnel dans la partie Est de la RD Congo selon qu'ils sont congolais ou/et étrangers. L'objectif du présent point est de donner un descriptif de la situation des groupes armés actifs à l'Est du Congo, en général, et de celle du Territoire de Shabunda en particulier. Il a également comme ambition de fournir un essai d'analyse de phénomène de ces groupes armés qui sèment l'insécurité et empêchent le relèvement de la situation sociale et économique du Territoire de Shabunda et par ricochet de la Province du Sud-Kivu. 3.1.1. Les groupes armés congolais Au-delà de multiples groupes armés congolais actifs à l'Est de la République Démocratique du Congo, nous avons jugé opportun de sélectionner quelques-uns qui ont de ramifications directes ou indirectes avec notre champ d'étude, notamment : le Raïa Mutomboki, le Maï-Maï Padiri, le Maï - Maï Yakutumba, les Patriotes Résistants du Congo - Nyatura (PARECO-Nyatura). 3.1.1.1. Le Raïa Mutomboki En termes de nombre de combattants, le Raïa Mutomboki « citoyens en colère » en swahili, représentent probablement l'un des groupes armés actif en RDC. Cependant, ce groupe présent dans les trois provinces constituant l'ancien « Grand Kivu » (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Maniema) apparaît comme extrêmement disparate et éclaté. Au cours des dernières années, il a réussi à rallier un grand nombre de Maï-Maï, mais a aussi connu de nombreuses scissions. Les diverses factions, si elles semblent avoir pour point commun la volonté d'éradiquer les FDLR, n'ont pas de commandement central et privilégient parfois des alliés considérés comme des ennemis par d'autres. Aussi, il serait sans doute plus exact de parler d'un conglomérat de groupes armés. Nés en 2005 au Sud de Shabunda dans la Province du Sud-Kivu, les Raïa Mutomboki sont apparus, en réaction aux exactions des FDLR. Ces dernières (FDLR) qui étaient alliées aux Maï-Maï Padiri et soutenus par le gouvernement de Kinshasa pendant l'occupation rwandaise, s'étaient senties abandonnées après l'Accord global et inclusif de 2002, prévoyant l'intégration des Maï-Maï dans une nouvelle armée nationale, les FARDC, mais ne concernant pas les groupes armés étrangers. Le départ de ceux-ci vers des centres d'intégration a laissé un vide sécuritaire qu'ont vite comblé les FDLR qui, dans d'autres territoires, étaient la cible d'attaques des FARDC, soutenues par la MONUSCO. Ce sentiment de trahison a alimenté une hargne se traduisant en massacres de civils dans plusieurs localités du Sud-Kivu. Dans le Sud du Territoire de Shabunda, un prêtre kimbanguiste, Jean Musumbu, a prêché l'autodéfense dans les villages, nommant des chefs et mobilisant la jeunesse Lega de la communauté locale. Dotés quasi-exclusivement d'armes blanches, confortés par les « pouvoirs magiques » que leur aurait fournis Musumbu, ces jeunes se sont constitués en milices et ont réussi, en moins de deux ans, à chasser les FDLR, se frottant de temps à autre aux FARDC ou à des groupes armés de territoires voisins. Très populaires dans cette région, bien que passés pratiquement inaperçus ailleurs, les Raïa Mutomboki sont entrés, à partir de 2007, dans une période de latence. Cependant, plusieurs individus, non mandatés par Musumbu, se sont approprié le label, que ce soit pour s'en prétendre les représentants (par exemple lors de la conférence de Goma sur les groupes armés de 2008) ou pour créer, avec peu de succès, leur propre milice (Misaba Bwansolo, dit Mwami Alexandre, et Kyatend Dittman). Le 23 mars 2009, les Raïa Mutomboki, ainsi que 21 autres groupes armés dont le CNDP, ont signé l'accord par lequel ils ont intégré dans les FARDC en vue de permettre à ces dernières de concentrer leurs opérations contre les FDLR ; ce qui a également déclenché de sanglantes représailles contre les populations civiles dans les deux Kivus. En outre, début 2011, toutes les unités des FARDC ont quitté le Territoire de Shabunda pour y être fondues dans des nouveaux régiments, intégrant notamment les ex-CNDP. Profitant à nouveau de l'espace laissé vacant, les FDLR ont refait leur apparition dans le territoire et commis diverses exactions. Et à nouveau, Musumbu a mobilisé les siens pour y résister. Mais, cette fois-ci, la mobilisation a trouvé un large écho également dans le Nord du territoire, où les FDLR avaient pris le contrôle de sites miniers. 3.1.1.2. Le Maï Maï Padiri Le Maï-Maï (littéralement « eau-eau ») se sont imposés progressivement comme un acteur incontournable de la poudrière du Kivu, pour reprendre l'expression de Roland Pourtier(69(*)), au sein des conflits multidimensionnels que connaît la République Démocratique du Congo. Par son contrôle des zones rurales et par un discours rituel attirant, les Maï-Maï réussissent à recruter des centaines de jeunes et d'enfants-soldats : une jeunesse congolaise marginalisée par défaut d'intégration économique et par un contexte permanent d'insécurité. Mais qui sont ces Maï Maï et d'où vient leur importance actuelle sur la scène congolaise ? L'expression Maï-Maï, fait référence à des pratiques d'aspersion bénite ou d'absorption d'eau et autres rituels magiques visant à rendre les combattants invulnérables aux balles ennemies. Les rebelles Simbas de Lumumba, dans les années 60, devaient ainsi crier « Maï Maï » pour dévier les projectiles adverses. Dans l'imaginaire de la région, l'eau est en effet l'ultime rempart contre les fétiches et autres sortilèges maléfiques. Le Sud - Kivu et Nord - Kivu sont frappés de plein fouet par l'arrivée de plus d'un million de réfugiés hutus qui s'installent dans l'Est du Zaïre après le génocide de 1994, et par l'offensive rwandaise visant à éradiquer les camps de réfugiés en 1996-1997 mettant fin au régime de Mobutu par le soutien apporté à l'AFDL de Laurent-Désiré Kabila. Le Kivu est donc pris au coeur des interventions extérieures et de la régionalisation du conflit de ce qui redevient en 1997 la République Démocratique du Congo. Le terme Maï-Maï resurgit en tout cas en 1993. Les Maï Maï opèrent exclusivement dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo, c'est à dire la région qui a connu le plus de troubles depuis l'indépendance jusqu'à aujourd'hui. Ils sont présents essentiellement dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, mais depuis l'installation de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir en 1997, le Maniema a lui aussi vu surgir des groupes Maï-Maï. Dans la Province Orientale et le Haut-Katanga, ce phénomène reste épisodique. L'émergence de Maï-Maï se fait sans aucun programme véritablement défini. Une idéologie patriotique anti-tutsie et anti-rwandaise est bien présente, mais l'apparition des Maï-Maï relève plutôt de la résurrection d'une forme de banditisme social qui ne saurait être éradiqué seulement par la force militaire. Ce groupe armé Maï-Maï est utilisé par certaines autorités locales voulant prendre leur revanche sur d'autres groupes armés perçus comme les « envahisseurs étrangers », ou bien contre le gouvernement central, adversaire accablé de tous les maux. Il est d'ailleurs significatif qu'au départ, les Maï-Maï recrutent largement dans les campagnes et se méfient beaucoup du monde urbain. Les Maï-Maï ont aussi tendance à se solidifier de plus en plus autour de groupes ethniques, qui fournissent tout l'encadrement de chaque bande, combattants, docteurs, et enfants-soldats « kadogo ». Globalement, le phénomène Maï-Maï a resurgi en RDC à la faveur des interventions étrangères provoquées par les deux guerres de 1996-1997 et 1998-2003. Des évolutions importantes pour ces groupes se sont d'ailleurs produites pendant le dernier conflit, en particulier. En 2005, la situation était relativement simple au Nord-Kivu : tous les groupes Maï-Maï de cette région, ainsi que ceux de la Province Orientale, reconnaissaient comme chef Padiri Bulenda Kalendo, nommé général de brigade par Laurent Désiré Kabila, et qui avait combattu avec succès l'armée rwandaise et le RCD-Goma (une rébellion de la deuxième guerre congolaise soutenue par les Rwandais) au Nord-Kivu, entre 1998 et 2002. Les Maï Maï ont attiré beaucoup de jeunes, voire d'enfants-soldats, car l'intégration dans l'un de ces groupes avaient pour avantage de combler par la violence, une absence de participation politique tout en satisfaisant des mobiles purement matériels. L'AFDL de Laurent-Désiré Kabila, qui a mis à genoux le régime de Mobutu avec l'aide du Rwanda en 1996-1997, avait d'ailleurs beaucoup recruté dans l'Est de la RDC pour les mêmes raisons. Le revirement AFDL-Maï-Maï se produit car Kabila ne se soucie guère de récompenser ces jeunes qui ont assuré, en partie, sa prise du pouvoir. Si le groupe Maï-Maï s'est montré si efficaces et résistants sur la longue durée, c'est parce qu'ils ont bénéficié d'un soutien extérieur non négligeable. Les ex-FAR (Forces Armées Rwandaises) et miliciens Interahamwe, autrement dit les Hutus responsables du génocide rwandais et réfugiés ensuite en RDC après 1994, ont ainsi encadré et fourni des armes aux groupes Maï-Maï de Padiri dans le Sud - Kivu en général et à Shabunda en particulier. Ce n'est qu'au début de 2002, lorsque le Président Joseph Kabila se rapproche des Maï-Maï, que les Hutus réorganisés alors dans les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) s'éloignent des Maï-Maï, voire les affrontent militairement dans les deux Kivus. Le gouvernement central congolais s'intéresse en fait au Maï-Maï Padiri depuis 1998 avec l'émergence de la rébellion du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), appuyée en sous-main par le Rwanda et l'Ouganda. Le gouvernement congolais voit dans le Maï-Maï le moyen de contenir la rébellion dans l'Est et de s'opposer aux desseins de Kigali en particulier. Des conseillers militaires de l'armée régulière congolaise sont expédiés dans le Sud-Kivu en passant par Shabunda et permettent au Maï-Maï de mener une guérilla des plus efficaces contre les rebelles parrainés par les rwandais. L'armement des Maï-Maï a connu plusieurs sources. D'abord par du troc auprès des populations locales et des différents autres groupes armés présents dans l'Est de la RDC comme les FDLR. Quand les temps sont devenus plus durs, lors de la deuxième guerre du Congo, les Maï-Maï ont commencé à pratiquer l'extorsion et d'autres activités criminelles pour obtenir les moyens d'échange utilisés pour l'achat d'armement. Un commerce fructueux s'était ainsi développé avec le Burundi et des officiers peu regardants de son armée. Mais depuis 2002, c'est Kinshasa qui arme les Maï-Maï, baptisés Forces d'Autodéfense Populaires, une force formée par Laurent Désiré Kabila et entretenue après sa mort par Joseph Kabila. Si on analyse les pratiques, le nom et le programme des Maï-Maï, on peut déduire que ce groupe représente, en quelque sorte, un rejet de toute société et d'un Etat considéré comme défaillant ; une sorte d'enclave à vocation « égalitariste » dans un monde patrimonial, pour reprendre la formule de deux spécialistes de la question. Les pratiques rituelles des Maï-Maï structurent aussi le comportement de ces communautés de combattants. Le rituel de l'eau magique est, on l'a dit, souvent administré aux enfants, initiés par des docteurs plus anciens. Placé au milieu d'une hutte, un bac en plastique contient l'eau mélangée à des herbes, des substances organiques, voire des parties du corps humain (testicules écrasées et réduites en cendres, par exemple). Le Maï-Maï est scarifié sur différentes parties du corps. On lui remet une arme (souvent une machette ou autre arme blanche dans les années 90, faute d'armes à feu en nombre suffisant) et au combat il est toujours suivi d'un docteur qui l'asperge d'eau continuellement en hurlant « Maï-Maï », cri également poussé par les combattants. L'invulnérabilité du Maï-Maï dépend de certains interdits à respecter : rapports sexuels, vols, regard du sang, toilette et utilisation du savon, consommation de feuilles de manioc et de viande cuite avec peau et os, contact avec les civils sont prohibés. La mort d'un Maï-Maï est souvent attribuée au non-respect d'une des règles, d'ailleurs souvent peu respectées : les Maï-Maï sont en effet connus pour leur pratique massive d'enlèvement des femmes et les viols qui s'ensuivent régulièrement. La faillite de l'Etat congolais est donc bien à l'origine de la montée en puissance des Maï-Maï depuis 1993. Le Sud - Kivu en général et le Territoire de Shabunda en particulier ne répond quasiment plus aux ordres de Kinshasa, et les Maï-Maï servent les desseins de différentes factions politiques, tout en entretenant des activités quasi mafieuses des plus lucratives, à l'image de ce qu'avaient réalisé le Rwanda et l'Ouganda dans l'Est de la RDC pendant la deuxième guerre du Congo. 3.1.1.3. Le Maï-Maï Yakutumba Le Maï-Maï du Général Yakutumba s4EST imposé comme le principal groupe armé dans le sud du Sud-Kivu, autrement dit le Territoire de Fizi. Depuis l'indépendance, ce territoire bordant le lac Tanganyika, à quelques encablures de la Tanzanie, n'a jamais pu être réellement contrôlé par les autorités centrales. C'est là que se développa en 1964 la rébellion des Simba et que Laurent-Désiré Kabila reçut, l'année suivante, Che Guevara. De même, pendant l'occupation rwandaise, Kigali et ses supplétifs du RCD-Goma ne réussirent à assurer leur mainmise que sur quelques centres urbains, sans jamais l'étendre sur la plus grande partie du territoire. Un groupe Maï-Maï, dirigé par un ancien combattant Simba, Dunia Lwendama, s'y est développé, même au-delà du Territoire de Fizi. Par ailleurs, cette occupation a fortement dégradé les relations, déjà tendues, entre les Bembe, l'ethnie majoritaire vivant essentiellement de l'agriculture, et les Banyamulenge, des éleveurs d'expression rwandaise et assimilés aux Tutsi, vivant sur les hauts plateaux surplombant le littoral fizien. Après le départ des troupes rwandaises, une partie des Maï-Maï a été démobilisée ou a été intégrée dans les FARDC, tel fut le cas de Dunia, nommé Général. Cependant, certains autres, dont le capitaine William Amuri Yakutumba, un adjoint de Dunia nommé commandant de la brigade basée à Baraka, la principale localité côtière du territoire de Fizi, a refusé d'envoyer ses hommes au centre de « brassage », arguant que les milices banyamulenge (qui allaient devenir les Forces républicaines fédéralistes, FRF, aujourd'hui dissoutes) étaient également réticentes à ce processus. En janvier 2007, après avoir rencontré Raphaël Looba Undji, un politicien bembe et futur idéologue de son mouvement, Yakutumba quittait les FARDC, créait les Maï-Maï réformés et s'autoproclamait « Général ». Invité par le Président Joseph Kabila, il arriva à Kinshasa en septembre 2007 en compagnie de Looba Undji, mais dût patienter six mois avant de se voir accorder une audience d'à peine 30 minutes. Il eut cependant largement le temps d'établir des contacts avec des politiciens bembe vivant dans la capitale et de réfléchir à une stratégie, passant notamment par l'établissement d'une branche politique, le Parti pour l'action et la reconstruction du Congo (PARC). En 2009, le déploiement de troupes rwandaises au Kivu pour traquer les FDLR, alliées de longue date de Yakutumba, ainsi que, surtout, l'arrivée dans le territoire de nouvelles troupes des FARDC commandées par des officiers provenant du CNDP et du PARECO, c'est-à-dire de groupes armés respectivement tutsi et hutu, mit encore plus d'huile sur le feu. Pour Yakutumba, il s'agissait d'une preuve supplémentaire que le Président Kabila, non content d'accorder la nationalité congolaise aux Banyamulenge, travaillait à l'établissement d'un « empire hima », à la dévotion de Kigali. D'autre part, alors que ses Maï-Maï développaient de plus en plus d'activités lucratives et souvent criminelles (réseau de soutien à Kinshasa et à l'étranger, racket, trafic d'or, piraterie), Yakutumba renforçait son alliance avec les FNL burundaises, dont certains membres rejoignaient son propre groupe. A la fin 2010, il nommait la branche armée de son mouvement « Forces armées alléluia » (FAAL). En 2011, année électorale, Yakutumba a été intensément courtisé par plusieurs hommes politiques bembe, dont un autre point commun était une virulente rhétorique hostile aux Banyamulenge. Après les élections et l'intégration des Fronts Répûblicain Fédéraliste (FRF) dans les FARDC, Yakutumba fut soumis à des pressions accrues pour qu'il en fasse de même avec ses combattants. Ces efforts semblent avoir été abandonnés après l'insurrection du M23, les Forces Armées Alléluia (FAAL) profitant en outre des désertions au sein des FARDC pour s'emparer de nouvelles positions. Des négociations en vue d'une alliance se seraient tenues avec le M23, qui aurait transféré des armes aux FAAL. A la fin 2012, le départ des Forces Nationalistes de Libération(FNL) vers des zones plus proches du Burundi et la reprise des attaques des FARDC semble avoir affaibli le groupe, qui reprenait des négociations en vue de son intégration dans les FARDC. Malgré l'envoi d'environ 250 hommes, environ la moitié des effectifs estimés, bien que Yakutumba prétend en avoir plus de 10 000, dans un camp d'intégration près de Baraka, le processus échouait à nouveau et, à partir de juillet 2013, des combats avec les FARDC étaient signalés en divers lieux du territoire. Signalons enfin que les FAAL sont présentes dans d'autres territoires, notamment celui de Kalemie (Tanganyika) et dans ceux de Shabunda et d'Uvira (Sud-Kivu). Dans ces deux derniers, des alliances ont été forgées avec des groupes armés locaux. 3.1.1.4. Patriotes Resistants du Congo-Nyatura/Pareco-Nyatura Apparue en 2010, la milice des Nyatura est composée des Hutus, dont des anciens membres du groupe des Patriotes résistants congolais (PARECO), intégrés en 2009 dans les FARDC avant d'en déserter rapidement. Dirigée par un « Colonel Kasongo », elle est présente dans les territoires de Kalehe (Sud-Kivu) et dans celui de Masisi (Nord-Kivu), bien qu'elle ait conduit des opérations également plus au Nord, à proximité de Rutshuru et de Kiwanja. Sa motivation première aurait été de protéger les agriculteurs hutus face à l'expansionnisme des éleveurs tutsis. Mais elle semble s'être développée surtout en 2011, en réaction aux attaques anti-hutues des Raïa Mutomboki. Cela l'a également conduit à s'allier à d'autres groupes hutus, comme le Mouvement populaire d'autodéfense (MPA), ainsi qu'aux FDLR et à accueillir des transfuges de ce dernier groupe. En outre, elle ne dispose apparemment pas de commandement central et ses effectifs sont mal connus, mais ils ne dépasseraient pas un millier de combattants. Depuis 2011, les Nyatura se sont affrontés à plusieurs autres groupes, dont les Forces de défense du Congo (FDC, branche Hunde-Nyanga des Raïa Mutomboki), les Maï-Maï Shetani (Nande), et l'APCLS (Hunde) faisant craindre, particulièrement au Nord-Kivu, le développement d'une guerre interethnique. Des massacres des civils Nande, Tembo et Hunde par des miliciens Nyatura ont été constatés. Dans le territoire de Kalehe, une alliance éphémère a uni ces derniers au groupe de Kirikicho, un chef maï-maï tembo. L'apparition du M23 a fortement influencé les Nyatura. Le redéploiement de troupes des FARDC pour combattre le M23 a permis aux Nyatura d'accroître la zone sous leur contrôle, parfois de connivence avec d'autres groupes armés, avant que les nouveaux maîtres des lieux en décousent entre eux. En outre, apparemment en coalition avec les FDLR, les Nyatura sont partis affronter le M23 dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo, menant notamment un raid sur la cité de Rutshuru en avril 2013. En juillet, près de Goma, ils ont également tiré sur une patrouille de la MONUSCO qui tentait de protéger des civils fuyant les combats qui les opposaient au M23. Comme avec de nombreux autres groupes armés du Kivu, les paradoxes sont nombreux avec les Nyatura. A l'instar des Raïa Mutomboki, les Nyatura sont un groupe extrêmement fragmenté. Ainsi, dans une seule localité du territoire de Masisi, Bashali, située près de la cité de Kitshanga dans le territoire de Masisi, cinq groupes armés, dont trois se revendiquant des Nyatura, y auraient été créés en l'espace d'une année, certains ne comptant que quelques individus. 3.1.1.5. LE MOUVEMENT DU 23 MARS/M23 L'accord d'intégration signé le 23 mars 2009 s'effondra début 2012 en raison d'un différend entre Kinshasa et le leadership de l'ex-CNDP, entraînant une énième phase de mobilisation. Alors que les FARDC tentaient depuis 2009 de redéployer le leadership de l'ex-CNDP à l'écart des régions des Kivus, le fiasco électoral 2011 poussa le Président Joseph Kabila à intensifier ces efforts. En partie du fait des pressions internationales, il essaya aussi d'arrêter le général Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale. Cependant, anticipant la situation, certaines parties de l'ex-CNDP se mutinèrent en avril 2012. Cette dissidence se transforma en une nouvelle rébellion, qui prit le nom de M23, conduisant à une fracture au sein du réseau de l'ex-CNDP. Environ la moitié des officiers de l'ex-CNDP ne rejoignirent pas le M23, résistant ainsi aux pressions des autorités rwandaises qui étaient de plus en plus impliquées dans la gestion de la rébellion70(*). La crise du M23 se fit sentir dans toute la région, déclenchant la formation ou la consolidation de plusieurs groupes antagonistes dans sa zone de déploiement de Rutshuru, notamment les FDLR-Soki, le Maï-Maï Shetani, le Mouvement populaire d'autodéfense (MPA) et les Forces pour la défense des intérêts du peuple congolais (FDIPC). Cette mobilisation croissante était également le résultat des efforts entrepris par le M23 et ses alliés au Rwanda pour former des alliances ou créer des nouveaux groupes dans tout l'Est de la RDC, tels que l'Alliance pour la libération de l'Est du Congo (ALEC) à Uvira et la Force oecuménique pour la libération du Congo (FOLC) dirigée par le déserteur des FARDC Hilaire Kombi dans la région de Beni, dans la partie nord du Nord-Kivu. Le M23 tenta également d'organiser des coalitions de groupes armés en Ituri, efforts qui pour la plupart furent vains. Outre les déserteurs de l'armée comme Kombi, des politiciens marginalisés jouèrent un rôle crucial dans ces efforts de mobilisation. Dans le nord du Nord-Kivu, Antipas Mbusa Nyamwisi, député et ancien ministre des Affaires étrangères, organisa un soutien politique significatif en faveur du groupe de Kombi et lui donna des armes71(*). Au Sud-Kivu, le candidat parlementaire malheureux Gustave Bagayamukwe fut l'initiateur d'un nouveau satellite du M23 appelé l'Union des forces révolutionnaires du Congo (UFRC) fin 201272(*). Cependant, la plupart de ces groupes étaient de faible envergure et le M23 ne parvint pas à déstabiliser la région au sens large. 3.1.2. Groupes armés étrangers Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda, FDLR et les Allied Democratic Forces - National Army of Liberation of Uganda, ADF-NALU (Forces démocratiques alliées - l'Armée Nationale pour la Libération de l'Ouganda) sont les deux grands groupes armés étrangers que nous retrouvons à l'Est de la RD Congo. 3.1.2.1. Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda, FDLR Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR; Urugaga Ruharanira Demokarasi No Kubohoza U Rwanda en kinyarwanda) regroupent essentiellement des Hutu et des soldats des anciennes Forces Armées Rwandaises de Juvénal Habyarimana et des anciennes milices Interahamwe. Elles sont basées dans l'Est de la République démocratique du Congo. Ce groupe a pris cette dénomination en 2000, après s'être appelé Armée de Libération du Rwanda (ALiR). Ces forces ont pris forme dans les camps de réfugiés du Zaïre (actuelle RD Congo) en 1994, organisés par l'opération Turquoise de la France au Rwanda du 22 juin au 21 août 1994. Médecin Sans Frontières avait quitté ces camps en novembre 1994 en dénonçant les reconstitutions des forces dans les camps. Le gouvernement de Kigali demande le démantèlement de ces forces depuis 1994. En 1996 lors de la première guerre du Congo, l'armée du régime actuel du Rwanda a poursuivi ces forces à travers les forêts du Congo et massacré plusieurs milliers de leurs membres et des populations réfugiées prises en otage par ces forces génocidaires. Ces rebelles ont contribué à la déstabilisation de l'Est de la République Démocratique du Congo. La Commission d'enquête citoyenne française et la journaliste Colette Braekmann, du journal belge Le Soir, ont eu des informations selon lesquelles la France avait contribué à leur armement(73(*)). Les FDLR ont annoncé officiellement début avril 2005 qu'elles acceptaient de renoncer aux armes et de rentrer au Rwanda. D'autres membres de FDLR sont déjà rentrés au Rwanda depuis plusieurs années. Mais attention, les rebelles hutus présents en RDC ne sont pas tous d'ex-génocidaires. À l'inverse, tous les exilés rwandais qui ont pris part au génocide ne sont pas établis dans l'Est de la RDC. Ceux qui, en revanche, se trouvent bel et bien sur le théâtre des opérations militaires sont alliés aux rebelles hutus des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) qui, eux, ne peuvent être systématiquement assimilés aux artisans du génocide. Les FDLR sont loin d'être homogènes. Elles comprennent essentiellement: 1. Des membres des ex-FAR et des milices interahamwes qui ont participé au génocide de 1994 ; 2. Des ex-FAR qui n'ont pas participé aux massacres ; 3. Des recrues « post-génocide » passées par les camps de réfugiés en Tanzanie et au Zaïre, entre 1994 - 1996, et qui constituent aujourd'hui le gros des troupes. Bâties sur les restes de l'armée gouvernementale de l'ancien régime rwandais, les Forces Armées Rwandaises (FAR), et des milices Interahamwe exilées au Congo après le génocide de 1994, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) ont été fondées en 2000 dans l'Est du Congo. Leurs objectifs principaux sont la protection des réfugiés hutus rwandais disséminés dans cette partie du pays et la lutte contre le gouvernement en place à Kigali. Le sigle FDLR fait en réalité référence à la branche politique, implantée en Occident (en Allemagne surtout), tandis que le nom officiel de la branche armée est « Forces Combattantes Abacunguzi (FOCA) ». Cependant, parmi la population et les médias, l'appellation FDLR est de loin la plus courante. Par ailleurs, il faut noter qu'une proportion croissante de combattants est de nationalité congolaise, notamment des Hutus, représentant près de la moitié des effectifs totaux de combattants, estimés actuellement à environ 1 500, répartis dans les deux Kivu. En outre, à partir de 2005 dans le Territoire de Shabunda, et depuis 2011 dans plusieurs autres territoires du Sud-Kivu, les Raïa Mutomboki se sont soulevés contre les FDLR et leur cortège de violations des droits des populations locales, s'en prenant violemment à leurs suspectés sympathisants ; ce qui a permis d'éradiquer le groupe de pratiquement tout le Nord de la province. De plus, fin 2011 et début 2012, des tueurs à gages, apparemment commandités par Kigali, ont éliminé plusieurs chefs militaires de la milice, contribuant à l'affaiblissement de son commandement, encore accru par l'arrestation en Tanzanie et l'extradition au Rwanda d'un de ses principaux leaders au début de l'année 2013(74(*)). Enfin, des divisions internes entre « modérés » et « radicaux » et l'éparpillement des cellules encore actives relativisent encore davantage l'ampleur de la menace représentée par les FDLR. Actuellement, les FDLR subsistent encore dans une partie du Nord-Kivu, où ils seraient un bon millier de combattants dirigés par le Colonel Pacifique Ntawhunguka alias Omega, et dispersés dans le Nord du Territoire de Walikale, dans le Sud de celui de Lubero et dans ceux de Rutshuru et Masisi. A l'instar du Territoire de Shabunda, on les trouve également dans d'autres Territoires du Sud-Kivu, soit quelques centaines de combattants commandés par le Lieutenant-colonel Hamada Habimana et disséminés dans les Territoires de Mwenga, Uvira et Fizi. Leurs ressources proviendraient principalement de financements de la diaspora hutue rwandaise, de l'extorsion de biens sur les routes, des sites miniers et des marchés, et de la culture et la vente de cannabis. Peu de groupes armés s'aventurent encore à s'allier ouvertement aux FDLR. Au Sud-Kivu, elles collaborent avec les Hutus burundais des Forces Nationales de Libération (FNL) pour affronter les FARDC soutenues par divers groupes armés locaux. La population congolaise subit encore journellement les exactions de ces combattants déracinés et sans perspective de réintégration dans la vie civile, sinon après passage par les « fourches caudines » de Kigali. D'autre part, les diverses rébellions, comme celle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie - Goma (RCD/Goma), soutenues par le Rwanda, et le gouvernement lui-même, ont souvent justifié leur action par le risque de « génocide » que ferait courir à la population tutsi la simple existence des FDLR. L'élimination de cette milice apparaît donc incontournable pour mettre fin à l'ingérence du Rwanda en RDC, elle-même en grande partie à la base de l'instabilité qui gangrène tout l'Est du pays. 3.1.2.2. Allied Democratic Forces-National Army Of Liberation Of Uganda/ADF-NALU A l'origine, deux groupes armés ougandais étaient en lutte contre le pouvoir incarné par le Président Yoweri Museveni, les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces/ADF) et l'Armée nationale pour la libération de l'Ouganda (National Army of the Liberationof Uganda/NALU) se sont unies en 1995, à l'instigation des services secrets zaïrois et soudanais, soucieux d'affaiblir un adversaire commun. Les ADF/NALU sont composées des groupes suivants, Allied Democratic Movement/ADM, Uganda Muslim Liberation Army/UMLA, et par National Army of Liberation of Uganda/NALU. Installées dans le massif de Ruwenzori, à la frontière entre la RDC et l'Ouganda, elles n'ont jamais réussi à s'implanter dans leur pays d'origine, malgré plusieurs attaques contre des localités frontalières et des attentats à Kampala. Cependant, aucune action d'envergure en sol ougandais ne semble y avoir été enregistrée depuis 2001, bien que les ADF-NALU y recrutent encore régulièrement des combattants, ce qu'elles font également dans d'autres pays d'Afrique orientale. C'est donc en territoire congolais, en particulier dans le Nord-est du territoire de Beni (Nord-Kivu), autour des localités d'Eringeti et Oïcha et dans la zone entre cet axe et la frontière ougandaise, que les ADF-NALU concentrent leurs activités. L'occupation ougandaise de la région ne semble guère avoir gêné le développement du groupe. C'est surtout après le retrait des forces ougandaises et le déploiement des FARDC, soutenues par la MONUC, que les ADF-NALU ont essuyé des revers militaires, en particulier entre 2005 et 2007. Suite à ceux-ci et à des négociations, tant avec la MONUC qu'avec le gouvernement ougandais, la branche NALU du groupe a accepté de se dissoudre et de participer à un programme de DDRRR, tandis que Kampala reconnaissait, en 2008, un « Royaume de Rwenzururu » à l'intérieur de ses frontières, la principale revendication à la base de la création de la NALU. Quant aux ADF, qui semblent avoir été créées en réaction à la répression des musulmans ougandais entreprise par Museveni après sa prise de pouvoir, elles ne paraissent pas avoir le profil-type d'une organisation terroriste à idéologie islamiste radicale que leur attribue le gouvernement de Kampala. Même si, depuis la disparition de la tendance NALU, tous les combattants des ADF doivent être d'origine musulmane ou se convertir à l'islam, elles n'ont jamais exprimé les objectifs politiques « classiques » des mouvements islamistes (instauration de la charia, d'un califat, etc.). Quoi qu'il en soit, les ADF encore fréquemment désignées sous leur ancien sigle ADF-NALU, semblent avoir forgé une alliance durable avec le groupe Al-Shebab « la jeunesse » en arabe, issu des tribunaux islamiques de Somalie et auteur d'attentats sanglants, notamment à Kampala (74 morts en juillet 2010) et à Nairobi (au moins 62 morts en septembre 2013 et plus de 300 en 2014). Des combattants des ADF auraient renforcé Al-Shebab en Somalie, ou se seraient entraînés dans ce pays, et réciproquement des combattants d'Al-Shabab seraient présents en RDC(75(*)). Toujours est-il que cette situation met particulièrement mal à l'aise la petite communauté musulmane du territoire de Beni, soupçonnée d'être complaisante envers les ADF et se plaignant de tensions accrues avec la communauté chrétienne. Contrairement à de nombreux groupes congolais, les ADF disposent d'un commandement centralisé. Leur chef, Jamil Mukulu, est à la tête du mouvement depuis 2007, tandis que les opérations militaires sont dirigées par Hood Lukwago. Le taux de désertion serait particulièrement faible, de même que le nombre de candidats à un processus DDRRR. Elles disposent d'une grande variété d'armes antiaériennes, ainsi que d'un important réseau de soutien et de financement, implanté notamment en Ouganda, au Burundi, en Tanzanie, au Kenya et au Royaume-Uni. En outre, elles tirent des revenus en « taxant » les exploitants de mines d'or, la production de bois et les motos-taxis dans leur zone d'activité. Selon des estimations minimales, leurs effectifs seraient compris entre 800 et 1 200 combattants, dont de nombreux Congolais d'ethnie Nande76(*), mais pourraient avoir crû récemment en raison d'une campagne de recrutement entamée vers la fin 2012. En tout cas, une recrudescence des activités du groupe a été constatée à partir de juillet 2013 ; outre des combats avec les FARDC et même avec la MONUSCO, des civils ont été victimes de meurtres, d'enlèvements et de pillages, qui ont entraîné la fuite de plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont une partie s'est réfugiée du côté ougandais de la frontière.
La politique de lutte contre la prolifération des groupes armés menée par l'Organisation des Nations unies (ONU) et le gouvernement de la RDC peut se résumer en quatre grands axes : 1. Désarmement, démobilisation et réinsertion sociale des enfants soldats ; 2. Désarmement, démobilisation, rapatriement, réinstallation et réintégration des combattants étrangers (DDRRR) ; 3. Désarmement, démobilisation et réintégration des ex-combattants congolais (DDR) ; 4. Les opérations militaires des FARDC. 3.2.1. Désarmement, démobilisation et réinsertion sociale des enfants-soldatsLes Nations unies ont, via l'UNICEF, soutenu dès 1999 les programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion sociale d'enfants-soldats. Dans un premier temps, ces programmes de désarmement ont ciblé des enfants ayant appartenu aux Forces Armées Congolaises (FAC). Par la suite, l'UNICEF s'est attaché à assurer la réinsertion sociale et économique de milliers d'enfants ayant appartenu aux groupes armés qui n'avaient pas participé au programme officiel de DDR. Le bilan de ce programme est mitigé, dans la mesure où la participation de combattants armés à ce processus d'intégration militaire ou de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) n'a eu qu'un succès limité. Ceux d'entre eux qui se sont réintégrés dans la société locale se sont souvent retrouvés marginalisés et avec peu d'opportunités économiques qui les ont poussés à rejoindre de nouveau la brousse et reprendre avec la vie armée. * 65 HUGO,J-F., La RDC : Une guerre inconnue, Paris, Ed. MICHALON, 2006, pp. 36-37 * 66KAGANDA MULUME-ODERHWA, Mouvement Maï-Maï et participation politique au Sud-Kivu. Contribution à la critique de la sociologie de la paix en société post-conflit, Thèse de doctorat, UOB, FSSPA, Inédit, 2012-2013. * 67 MBEMBE, A., Sortir de la grande nuit. Essai sur l'Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2010, p.194 * 68 FOREST, D., Op. Cit, p.8 * 69POURTIER, R., « Le
Kivu dans la guerre : acteurs et enjeux », EchoGéo [En ligne], Sur
le Vif, mis en * 70ONU, Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2012/348/Add.1, Additif au rapport d'étape du Groupe d'experts sur la République démocratique du Congo, 27 juin 2012, pp. 11-12. * 71ONU, Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2012/843, pp. 19-27. * 72ONU, Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2013/433, Rapport de mi-mandat du Groupe d'experts sur la République démocratique du Congo, 19 juillet 2013, pp. 13-15. * 73 http://blog.lesoir.be/colette-braeckman?s=fdlr, consulté le 4/07/2017 * 74BERGHEZAN, G., « Groupes armés actifs en RDC : Situation dans le Grand Kivu », in GRIP, n°11, 2013, p.18 * 75Rapport du GRIP Georges BERGHEZAN, Groupes armés actifs en RDC : Situation dans le Grand Kivu au 2ème semestre 2013, p. 20. * 76Rapport du GRIP Georges BERGHEZAN, Groupes armés actifs en RDC : Situation dans le Grand Kivu au 2ème semestre 2013, p. 20. |
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