CONCLUSION
Notre question de départ interrogeait les origines
historiques et culturelles propres à chaque pays, expliquant les
différences du traitement sur le marché mais aussi dans la
société des régimes « sans ». Dans ses
origines, nous cherchions l'explication au scepticisme et à
l'intolérance française. Les regards croisés entre les
apports socio-historiques, culturels, statistiques mais aussi psychologiques
nous ont offert un large champ de réponses. Au regard de cette
recherche, il paraît envisageable de supposer que l'inscription durable
et qualitative d'une nouvelle habitude, ici alimentaire, dépend
étroitement des dispositions historiques et culturelles du pays
où elle cherche à s'implanter et se développer. Ces
contextes et leurs tenants déterminent la faisabilité du
développement économique et culturel du sans gluten, comme des
produits qui lui sont affiliés. On remarque ainsi, à l'instar de
la France, que certains contextes historiques et culturels sont
particulièrement défavorables à l'émergence de
certains produits dont le sans gluten fait partie, alors même que le sans
gluten comme beaucoup d'autres alternatives, est partie prenante de
l'évolution de la santé publique et du développement
économique.
Nous avons pu donner à notre étude quatre grands
champs de réponses expliquant le scepticisme et l'intolérance
française au regard de son histoire et de sa culture, points qui sont
donc déterminants dans la faisabilité du développement du
sans gluten mais aussi d'autres régimes alimentaires : la politique
d'intégration française, la peur de la restriction toutes deux
étant considérées comme des menaces identitaires,
l'ignorance et les tenants relationnels du repas. Concernant la politique
d'intégration et la peur de la restriction, la longue et difficile
histoire de l'Europe à laquelle appartient la France rend
extrêmement étroit le rapport entre l'identité et le droit
du sol. Les malheureuses expériences territoriales qui ont jonché
la France ont toujours été vécues sous l'angle de
l'étranger tortionnaire et restrictif. De tous temps, les classes
moyennes françaises ont eu ce sentiment de se battre bec et ongle pour
obtenir ce que seuls les nobles et les saints pouvaient avoir à leur
place : la satiété. Impossible dans ce contexte de penser une
restriction d'aucun ordre, compensable ou non, la France a déjà
suffisamment donné. Cet impossible deuil de l'exploitation des classes
moyennes, de la guerre et du manque matériel et financier, entrave toute
capacité au changement, dans un besoin de sécurité massif
où l'on se retrouve autour des valeurs et des produits que l'on
connaît. Sans doute est-ce la raison pour laquelle « le
bio » et le « local » au contraire du sans gluten
ou du vegan, semblent faire leur place aussi aisément dans l'offre
alimentaire française.
S'il n'apparaît pas dans nos capacités directes
d'influer sur ce deuil impossible afin de d'améliorer la
faisabilité du développement du sans gluten en France, nous
pouvons tout du moins proposer des solutions quant aux deux autres
paramètres la déterminant. L'ignorance du sans gluten et de ses
tenants est le premier point d'action et le plus facile à mettre en
place. Il ne serait pas difficile de vanter les mérites de produits
ayant déjà fait leurs preuves sur un plan sanitaire, physique et
morale. Appuyé par des célébrités aussi influentes
que Novak Djokovic, nous supposons que le développement du sans gluten
peut être largement facilité. D'ailleurs, il le serait, ne
serait-ce qu'en expliquant que le gluten est une sorte de poison naturel pour
éviter d'être mangé.
Enfin, nous avons établi que la France, au contraire
d'autres pays, utilisait le repas non seulement comme outil de
nécessité physiologique mais également comme outil
relationnel symbolisant. Par là-même, le repas permet de
rassembler et d'exclure. Aussi, il serait intéressant de penser à
un dispositif commercial permettant au sans gluten de s'intégrer
pleinement au "repas" français et de s'inscrire durablement dans ses
habitudes alimentaires sans remettre en cause ses valeurs et
spécificités. Rappelons par ailleurs que, comme l'affirme Lukas
Gamard « quand on a des restrictions, c'est beaucoup plus facile
d'être créatif [en cuisine ndlr] ». Ainsi, sans
gluten et cuisine gourmande ne sont pas du tout opposés, bien au
contraire. Des produits sans gluten conçus dans l'optique du partage
d'un repas gourmand à plusieurs seraient, par exemple, bien plus
concordants avec l'usage et les tenants du repas français. Pastabox
"sans" à partager, envoie à domicile de coffrets gourmands
familiaux, journée bien-être tous au « sans »,
les idées seront nombreuses s'il on se garde de rendre les
régimes "sans" restrictif et exclusif à un type de population.
On comprend grâce à cette étude que les
Français ont la tête bien dure, et qu'ils ne seront pas les
premiers à faire le pas vers un nouveau mode de consommation, même
si ce dernier est bien meilleur pour la santé. Mais si on fait l'effort
de connaître et comprendre ce beau pays parfois si frileux à
l'étrangeté, on se rendra compte aussi de sa
sincérité fragile. La France a peur, elle a mal mais surtout,
elle ne sait pas. Aussi, nous proposons de repenser la stratégie de
développement des produits sans gluten autour d'une intégration
aux valeurs françaises pour pouvoir supposer un essor culturel en faveur
d'une meilleure alimentation, d'un développement économique
durable, mais aussi de l'instauration d'une relation gagnant-gagnant avec le
consommateur. Peut-être qu'une fois ce grand pas fait, les
Français sauront se montrer plus tolérant envers la
nouveauté et notamment envers les autres régimes
(végétarien, sans lactose ou vegan) qui attendent encore et pour
d'autres raisons, l'aval de leurs compatriotes à l'instar du
Royaume-Uni.
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