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Le régime de l'immigration irrégulière par voie maritime en droit international public


par Mariette Amandine Fleur GNAMBA
Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d'Ivoire) - Master 2 Spécialité Droit public 2017
  

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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Cette première partie a exploré les différentes règles de droit international s'appliquant aux États sur leurs obligations envers les migrants clandestins en matière de sauvetage et de droits de l'Homme. Elles sont nombreuses mais chacune d'elle doit être respectée, à défaut l'État engage sa responsabilité internationale.

Cependant, devant ces règles bien établies, force est de constater que leur application est très difficile dans les faits en raison notamment des pratiques étatiques qui ne respectent pas les instruments précédemment développés auxquels pourtant ils sont parties.

Ces insuffisances mettent à mal l'efficacité du droit international public en la matière.

DEUXIÈME PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE INSUFFISANT

Le droit international en vigueur précédemment évoqué supra fait face malheureusement à plusieurs insuffisances externes et même internes. Les États sensés remplir les obligations par eux-mêmes souscrites essaient par tous les moyens de s'en libérer à travers des politiques sécuritaires qui mettent les droits de l'Homme au second plan. La mise en oeuvre du droit en est donc compromise (Chapitre 1). Mais le droit lui-même n'est pas exempt de plusieurs tares qui rendent difficile son application concrète. Mais ce droit est perfectible (Chapitre 2).

CHAPITRE 1. UNE MISE EN oeUVRE COMPROMISE EN PRATIQUE

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le monde est ébranlé par la menace terroriste. Cette menace invisible a servi, pour rassurer les populations, à ériger l'étranger en menace et servi à justifier un régime juridique répressif à l'égard de l'immigration. Ces manipulations politiques ont des conséquences directes sur les droits des migrants y compris le droit universel garanti de quitter tout pays y compris le sien. À cet égard, les pratiques étatiques sont variées et multiples mais tendent au même but : celui de combattre l'immigration irrégulière (Section 1). Mais le phénomène récent le plus inquiétant pour les libertés est l'externalisation des politiques migratoires en particulier, pour notre étude, au Maghreb (Section 2).

SECTION 1. DES PRATIQUES ÉTATIQUES CRIMINALISANT LA MIGRATION

L'immigration irrégulière est devenue dans le discours politique une menace à l'ordre public214(*). Cette vision a entraîné l'adoption de mesures de sécurisation. Les exemples étudiés dans cette partie sont l'Union Européenne, un exemple flagrant de coopération multilatérale (Paragraphe 1) et l'Australie qui a adopté une politique unique de refoulement systématique : la « solution du Pacifique » (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Une coopération multilatérale pour la régulation de l'immigration : l'exemple de l'Union Européenne

L'Union européenne est un organe continental a mis sur pied tout une organisation juridique normative et institutionnelle pour lutter contre l'immigration irrégulière. La gestion intégrée des frontières est un pilier de la construction européenne (A). Frontex est l'un des visages institutionnels marquants de cette politique (B).

A. Lapolitique communautaire sur l'immigration irrégulière : de la libre circulation à la gestion intégrée des frontières extérieures215(*)

L'histoire de la gestion intégrée des frontières extérieures fait suite aux institutions de Schengen et de leur principale nouveauté, c'est-à-dire, la suppression des frontières entre les États de la zone Schengen, créant ainsi un espace de circulation unique au monde sans frontières. La frontière s'est alors déplacée de l'État vers l'extérieur de l'Union pour créer une frontière européenne commune216(*).

Cette idée s'est développée à partir du Conseil européen de Tampere de 1999. Mais le concept est véritablement introduit avec le Conseil de Laeken de 2001. Le Conseil de Séville de 2002 adopte un plan d'action pour des objectifs législatifs et opérationnels. Il contient plusieurs thèmes relatifs à l'immigration irrégulière.

Le Sommet de la Haye de 2004 met l'accent sur la coopération policière217(*). Cette vision sécuritaire de la migration fait suite aux évènements du 11 septembre 2001 et tendent au« renforcement de la coopération contre l'immigration clandestine »218(*).

Les accords de réadmission constituent l'un des plus anciens instruments de la politique migratoire de l'UE. Ils peuvent se définir comme « des actes par lesquels les États signataires s'engagent à réadmettre sur leur territoire leurs ressortissants qui sont interpellés alors qu'ils se trouvent en situation irrégulière sur le territoire d'un autre État, mais aussi d'autres étrangers qui ne sont pas leurs ressortissants mais qui ont transité par leur sol avant d'être interpellés dans l'autre État »219(*).

Les accords de réadmission ont évolués d'accords bilatéraux à des accords communautaires qui sont donc intégrés à l'UE. Ces accords étaient initialement signés dans les années 1960 entre deux États de manière bilatérale. Le traité de Maastricht instituant l'Union européenne, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993, a introduit les « trois piliers » de l'UE : les Communautés européennes, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (JAI). Les questions d'immigration sont alors au centre de la politique européenne. L'article 63.3 (b) du Traité instituant la Communauté européenne (TCE) donne compétence au Conseil Européen pour prendre des décisions concernant l'« immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ».

Ces accords n'offrent cependant aucune garantie aux personnes concernées de voir leurs droits respectés. Les accords de réadmission signés avec les pays-tiers posent le problème de la protection des droits de l'Homme220(*). Les partenariats avec les pays africains en particulier sont basés sur une « conditionnalité à sens unique »221(*) qui consiste à réadmettre les migrants dans les États contractants. Il a ainsi été mis en place un Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique en échange de cette coopération au Sommet de La Valette en 2015.

Cette politique d'accords de réadmission a évolué ensuite vers une « politique d'externalisation » ce qui signifie que l'UE sous-traite le contrôle de ses frontières à des pays tiers et leur impose une responsabilité dans la gestion de la migration en contrepartie d'aides222(*). L'externalisation est un terme emprunté aux économistes qui la définissent comme « le recours à un prestataire ou à un fournisseur externe, pour une activité qui était jusqu'alors réalisée au sein de l'entreprise », celle-ci étant généralement assortie d'un « transfert de ressources matérielles ou humaines vers le prestataire choisi »223(*). Ce terme économique créé dans les années 1990 désigne une organisation du travail où chaque prestataire se concentre sur ses compétences propres et qui se base sur la sous-traitance224(*). Elle a pour but latent de neutraliser les salariés organisés, brouiller la chaîne hiérarchique et les responsabilités qui en découlent.

La logique de l'externalisation dans les politiques d'asile consiste en 4 points selon Emmanuel Blanchard. En premier lieu, la délocalisation qui consiste à contrôler les frontières dans les pays de départ. Ensuite sous-traiter aux États la responsabilité de la surveillance desfrontières. En troisième lieu, privatiser la surveillance des frontières en imposant des sanctions aux transporteurs par qui les migrants irréguliers atteignent les États européens. Enfin, toutes ces étapes mènent à une déresponsabilisation qui rend impossible la détermination des normes applicables et des instances responsables225(*). Les normes les plus élémentaires en matière de droits fondamentaux sont remises en cause par ces politiques.

La politique d'externalisation de la politique migratoire européenne a atteint le summum de sa consécration avec l'accord de 2016 avec la Turquie. Cet accord consiste à déléguer le contrôle des frontières européennes à la Turquie. Il peut être résumé ainsi : toutes les personnes qui traversent illégalement la Turquie vers la Grèce après mars 2016 et qui n'ont pas besoin de protection internationale seront refoulées vers la Turquie qui est un pays sûr. En échange, l'UE fournit 6 milliards d'euros à la Turquie226(*). C'est le mécanisme du « un contre un » : pour un migrant renvoyé en Turquie, un migrant de Turquie est réinstallé en Europe227(*). Cet accord vient de la volonté d'éviter que les migrants et réfugiés venant de Syrie et des pays voisins qui se sont installés en Turquie aspirent à franchir les frontières de l'UE.

Un pays est dit sûr s'il remplit les conditions suivantes :

· La vie et la liberté du concerné n'est pas en danger ;

· Le pays en question respecte le principe de non refoulement ;

· Le concerné n'a pas de risques d'être en danger ;

· Les droits de l'Homme sont respectés par le pays ;

· Il y a possibilité d'obtenir le statut de réfugiés ;

· Le concerné a un lien avec le pays en question228(*).

Or la Turquie n'est pas un pays sûr selon les ONG qui dénoncent régulièrement des refoulements systématiques229(*). Catherine Teule dénonce un « troc indigne »230(*). Cet accord a été reconduit en février 2020 pour une durée de trois ans supplémentaires sans aucun amendement231(*).

Le mécanisme du pays tiers sûr est un autre mécanisme juridique européen qui consiste à choisir un pays tiers considéré comme sûr par les standards de ce mécanisme juridique. Il est régi par la Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres232(*). Cette directiveidentifie trois types de pays sûrs que sont le« pays d'origine sûr », le « pays tiers sûr »et le « premier pays d'asile ».

D'abord, le « pays d'origine sûr ».L'annexe II de la directive définit la méthode pour qualifier un pays de « pays d'origine sûr ». Il convient notamment de tenir compte des lois nationales de protection contre la persécution et les mauvais traitements et de leur mise en oeuvre, de la manière dont sont respectées les normes fondamentales relatives aux droits de l'homme telles que contenues par les principales conventions internationales, ou encore de l'existence d'un système de sanctions efficaces contre les violations de ces droits.

Ensuite, le « pays tiers sûr».Au sens de l'article 27, il s'agit d'un pays tiers dans lequel les autorités compétentes ont acquis la certitude que le demandeur sera traité conformément à un certain nombre de principes définis à l'alinéa 1. L'alinéa 2 précise que l'application de la notion de pays tiers sur est subordonnée aux règles fixées dans le droit national.

Enfin, le terme « premier pays d'asile » désigne, au sens de l'art.26, un pays dans lequel le demandeur d'asile s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié et peut encore se prévaloir de cette protection, ou dans lequel il jouit à un autre titre d'une protection suffisante, y compris du bénéfice du principe de non -refoulement. Le demandeur doit en outre pouvoir être réadmis dans ce pays.

Ces pratiques instaurent, selon Samir Ben Hadid, «un traitement différencié de la demande d'asile suivant la provenance géographique des demandeurs »233(*).

Les systèmes d'informations personnelles sur les migrants en Europe sont le dernier instrument moderne de la stratégie européenne. Il s'agit duSIS (Système d'information Schengen),d'Eurodac (Système d'enregistrement dactylographique des demandeurs d'asile), du VIS (Système d'information sur les visas), du CIS (Customs Information System). Le SIS a été créé en 1990 et est l'une des plus grandes bases de données pour le contrôle de l'immigration en Europe. Le VIS contient toutes les informations sur tous les visas émis. Quant à l'Eurodac, il contient les empreintes digitales de tous les demandeurs d'asile pour faciliter l'application de la Convention de Dublin sur les demandes d'asile dans l'Union Européenne234(*). Cette convention a pour objet de déterminer l'État-membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. Elle est basée sur la présomption que chaque État de l'Union possède les mêmes instruments et les mêmes garanties pour que les demandeurs d'asile voient leur demande examinée dans les mêmes conditions235(*). Cependant, cette responsabilité pèse surtout sur les États du Sud de l'Europe, qui sont la principale porte d'entrée maritime pour les migrants236(*).Il s'agit de la politique dite du « one stop, one shop»237(*).

Le plus grand instrument concret de cette politique est toutefois Frontex, organe ambigu qui concentre le plus de critiques.

* 214  Catherine WIHTOL DE WENDEN, « Les flux migratoires légaux et illégaux », Ceriscope Frontières, Sciences Po - CERI, (2011), p.?4.

* 215 ' 'Denis DUEZ, « La sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne?: enjeux et dispositifs », Sécurité globale, (Printemps 2012), p.?65.

* 216 '  '-Idil ATAK, « La coopération policière pour la lutte contre la migration irrégulière au sein de l'Union européenne », Revue générale de droit, vol. 36. Number 3 (2006), p.?462.

* 217 ''  ''''''''''''''''''''''''''Catherine WIHTOL DE WENDEN, « L'Europe, un continent d'immigration malgré lui », Strates [En ligne], vol. 15. (2008), p.?7.

* 218 ''    '  '-P. BERTHELET, « L'impact des événements du 11 septembre sur la création de l'espace de liberté, de sécurité, et de justice », Culture et Conflits, no 46 (2002). ; cité par Idil ATAK, « La coopération policière pour la lutte contre la migration irrégulière au sein de l'Union européenne », loc. cit., p. 463.

* 219''''''''Claudia CHARLES, Accords de réadmission et respect des droits de l'Homme dans les pays tiers, Bilan et perspectives pour le Parlement européen, Sous-commission des Droits de l'Homme du Parlement européen, 2007, p.?7.

* 220''''Zoé LEJEUNE, Sécurisation, externalisation et virtualisation dans l'espace européen?: Mutations des frontières et de la sécurité. Le programme Eurosur, Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Master en Etudes européennes, Université de Liège-Faculté de Droit Département de Sciences Politiques, 2008, p.?48.

* 221 '  ''''''''Matthieu TARDIS, « L'UE est-elle prête pour les prochains défis migratoires?? », politique étrangère, no 3 (2019), p.?7.

* 222 ''' Pauline DELESTINNE, « Quel impact de l'externalisation de la politique migratoire européenne sur le respect des droits de l'Homme dans les pays-tiers?? L'exemple de la Turquie, de la Lybie et du Maroc. », EULogos Athena (en ligne), (février 2020).

* 223 ''' ''Cédric AUDEBERT et Nelly ROBIN, « L'externalisation des frontières des «?Nords?» dans les eaux des «?Suds?». L'exemple des dispositifs frontaliers américains et européens visant au contrôle de l'émigration caribéenne et subsaharienne », Cultures & Conflits, n°73 (printemps 2009), p.?36.

* 224  'Emmanuel BLANCHARD, « Externaliser pour contourner le droit », Revue Projet, n° 308 (2009), p.?63.

* 225  'Ibid., p. 64.

* 226 ''' Pauline DELESTINNE, « Quel impact de l'externalisation de la politique migratoire européenne sur le respect des droits de l'Homme dans les pays-tiers?? L'exemple de la Turquie, de la Lybie et du Maroc. », loc. cit.

* 227'''''''''''''''''Georges DALLEMAGNE, Antoine DE BORMAN et Eugenia BARDARO, Pour une refondation des politiques d'asile et de migration. Une réponse globale, une approche différenciée, Cepess, 2018, p.?53.

* 228   Mariana GKLIATI, « The EU-Turkey Deal and the Safe Third Country Concept before the Greek Asylum Appeals Committees », Journal for Critical Migration and Border Regime Studies, vol. Vol. 3. Issue 2 (2017), p.?215.

* 229  ''''''''Catherine TEULE, « «?Accord?» UE-Turquie?: le troc indigne », Plein droit, n° 114 (octobre 2017), p.?25.

* 230  ''''''''Ibid., p. 24.

* 231'''Théo BURATTI, Externalisation des frontières de l'union européenne. Enjeux et perspectives, POUR LA SOLIDARITÉ-PLS, 2020, p.?11.

* 232''Directive 2005/85/CE du Conseil Européen relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, 2005.

* 233''Samir BEN HADID, Le statut des étrangers dans le droit de l'Union européenne, Thèse en droit, Université Nice Sophia Antipolis, 2014, p.?175.

* 234''''Convention de Dublin sur la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile du 15 juin 1990, , http://www.cvce.eu/obj/convention_de_dublin_sur_la_determination_de_l_etat_responsable_de_l_examen_d_une_dema nde_d_asile_15_juin_1990-fr-8299847c-3aff-426c-a990-675774627e5a.html.

* 235   ---'Maria-Teresa GIL-BAZO, « The Safe Third Country Concept in International Agreements on Refugee Protection: Assessing State Practice », Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. Vol. 33/1. (2015), p.?66.

* 236  ' ''''''Michelle FOSTER, « Responsibility Sharing or Shifting? «Safe» Third Countries and International Law », Refuge: Canada's Periodical on Refugees, vol. 25. Number 2 (2008), p.?65.

* 237 ''  ''''''''''''''''''''''''''Catherine WIHTOL DE WENDEN, « L'Europe, un continent d'immigration malgré lui », loc. cit., p. 7.

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