1.2. De Vogan à l'occupation de Vo-Koutimé
Notre travail sur l'occupation de Vo-Koutimé s'est
reposé sur le recueil des traditions orales. En effet, selon le mot du
Chef Togbui Akouété Zouméké Akakpo II9
:
Le fondateur de notre village est l'ancêtre Togbui
Kotokou qui aurait migré ensemble avec le vieux Akouma jusqu'à
Akoumapé. Plus tard, le vieux Kotokou reprit le chemin et parvint chez
ses cousins à Vogan où il résida pour un temps
indéterminé dans le quartier Bamé avant de venir
élire domicile sur le site aujourd'hui Vo-Koutimé.
André Tonou10 de son côté relate
:
Les mauvais traitements du roi Agokoli à l'encontre de
son peuple les poussèrent à quitter la cité de
Notsè. Ainsi, au cours de leur migration, le vieux Kotokou, le futur
fondateur de Vo-Koutimé, aurait fait chemin ensemble avec Akouma. Ce
dernier devint fondateur et chef d'Akoumapé, un village de son nom.
Kotokou passa quelque temps là et continua le chemin avec ses cousins de
Vogan où il résida. Mais toujours habitué au
déplacement, le vieux parvint à fonder lui aussi un futur village
du nom de Vo-Koutimé.
9 Entretien du 15 mars 2020 au palais du Chef Canton
à Vo-Koutimé, 76 ans.
10 Conseiller du parti UNIR dans la commune Vo 1.
Entretien du 22 juillet 2020 dans son domicile à Vo-Koutimé, 70
ans.
18
Les traditions ci-dessus ont été
considérablement influencées par les récits populaires des
éwé qui font d'Agokoli un tyran. Or, la migration du groupe de
migrants ouatchi de Notsè remonterait à quelques années
plus tard du grand exode et serait due au manque de terres cultivable dans la
cité de Notsè.
En dehors de ces traditions et tant d'autres, toutes sont
unanimes autour de la fondation du village par Kotokou. Quelles sont les
raisons qui l'auraient poussé à choisir ce site parmi tant
d'autres ? Et pourquoi le site se fit appeler « Vo-Koutimé »
?
1.2.1. Les raisons du choix du site et le toponyme
« Vo-Koutimé »
L'occupation du site et le nom qui lui est attribué ne
sont pas anodins. Des caractéristiques géographiques de la zone
auraient motivé le vieux Kotokou à y rester.
En effet, le site du futur village de Vo-Koutimé est
situé au bord de la rivière Boko permettant la présence
d'une forêt longeant de part et d'autre ses abords. Une zone de cette
envergure permettrait l'abondance de gibiers.
Nous comprenons, alors que la zone serait propice à la
chasse. André Tonou11 affirme en ces propos : « Le vieux
Kotokou, quelques années plus tard, à la recherche de produits de
chasse, trouve un lieu très giboyeux. Il alla à Vogan ramener ses
parents ».
Les avantages de ce cours d'eau ne sauraient se limiter
qu'à la chasse. La rivière a été pendant longtemps
la source d'approvisionnement en eau pour les Ouatchi de Vo-Koutimé
avant la creusée d'un puits, le premier dans la zone, dans le quartier
Wuikpokopé par les Allemands pendant la colonisation.
Par ailleurs, le fondateur serait sans doute à la
recherche d'un endroit où il sera libre de tous soubresauts.
Étant donné qu'après le départ des
Éwé de Notsè, les conducteurs des groupes ont pour
objectif la recherche d'une idéale liberté.
L'agriculture aurait joué un rôle important dans
la venue des prédécesseurs de Togbui Kotokou. Ainsi, selon N. L.
Gayibor (1992, p. 230), « Vo-Kutimé, Vo-Ative, Vo-Asso, etc.
étaient tous des fermes de cultures qui se sont par la suite
étendues ». Alors la volonté de rester plus proche des
champs aurait conduit les ancêtres à résider sur le site de
Vo-Koutimé.
Le toponyme « Vo-Koutimé » en dit
suffisamment sur cette dernière raison. « Vo-Koutimé »
est composé de deux vocables : « Vo » le préfixe qui
signifie « liberté » est le nom de l'ethnie Vo à
laquelle appartenait Kotokou. Le radical « Koutimé »
désigne « y mourir ». Alors, le
11 Entretien du 22 juillet 2020 à
Vo-Koutimé, 70 ans.
19
fondateur ajouta à ce radical « Vo » faisant
ainsi appeler le milieu « Vo-Koutimé » qui veut dire « y
mourir dans la liberté ». Il donna ce nom lorsqu'un jour ses
frères de Vogan, au cours d'une visite, lui ont demandé de venir
rester avec eux. Il leur répondit : « vous êtes à
Vogan (libre et sauve), moi je suis libre et je vais mourir ici12
».
Le site de Vo-Koutimé ne se résuma pas à
son lieu originel. Il connaîtra une véritable extension.
1.2.2. L'extension du village
Dès l'arrivée, le vieux Kotokou construit son
habitat auprès d'un anacardier « Atchanti » sous
lequel il se reposait lors des campagnes de chasse avant son installation. De
cet arbre, dérive le nom à ce premier quartier Atchandomé
« sous l'anacarde ». Le rejeton de l'historique arbre,
véritable lieu de mémoire, est encore de nos jours sur pied.
Comme le montre la photo ci-dessous.
Photo n°1.1 : Le rejeton de l'historique
anacardier des Ouatchi de Vo-Koutimé
Source : cliché E. E. Bodjro (24/07/2020).
Toutefois, aucune trace de présence ancienne d'un
quelconque groupe de population n'a été signalée. Plus
tard, Kotokou reçut d'autres migrants qui sont soit ses cousins ou soit
ses oncles auxquels il céda des parcelles. Ils créèrent de
nouveaux quartiers qui sont au nombre de cinq (5) en occurrence Mamissi
fondé par le vieux Agbodi (cousin à Kotokou), Glopé du
vieux Agahoun (oncle à Kotokou), Kpota de l'ancêtre Egun (aussi
cousin à Kotokou), Soko
12 Information recueillie auprès de Kokouvi
Amouzou, 65 ans, Géomancien à Vo-Koutimé, le 23 juillet
2020.
20
de Edoue (également cousin à Kotokou) et enfin
Agadi fondé par l'ancêtre du même nom Agadi13.
Tous ces quartiers, en plus de l'ancien, sont attenants dont
l'ensemble forme le village. Il est alors clair que le fondateur s'est
entouré de ses proches.
Par ailleurs, certains descendants de ces six (6)
ancêtres fondèrent de nouveaux quartiers du même nom que les
anciens à environ deux (2) à cinq (5) kilomètres les uns
des autres et du village mère, désignés sous le nom commun
« Agblédi » (ferme agricole). Ainsi, la recherche des
terres arables pour l'agriculture sera un facteur principal de leur
création. Au fil du temps, ces nouveaux quartiers connurent une
évolution démographique aussi remarquable que celle du village
matriciel.
En outre, l'avènement du chef Akakpo I (un yovo
fio14 ) aurait contraint d'autres populations du village
d'origine à aller rejoindre les siens dans les fermes. En effet, au
cours de la colonisation française, il fut un allié de taille
dans la circonscription d'Aného. Il obéissait à la lettre
aux ordres du chef de circonscription surtout quand il s'agit de veiller
à la collecte des impôts ou d'offrir des travailleurs
forcés. Il appliquerait une rigueur sans distinction. Ainsi, pour
riposter contre ce système, les siens quittèrent le village
mère pour s'installer définitivement dans leurs nouveaux
quartiers en créant des sous-quartiers15.
Ils devinrent ainsi de nouveaux villages au point que certains
d'entre eux comme Mamissi, Glopé, Atchandomé et Soko, eurent avec
la décentralisation, des Chefs de village. L'ensemble de tout ceci forme
le grand village des Ouatchi de Vo-Koutimé (Carte n°1).
À quand remonte alors l'occupation de cet espace ?
1.2.3. Essai de
périodisation
Les traditions des Ouatchi de Vo-Koutimé ne se
souvinrent guère de la date effective d'occupation du site, car les
détenteurs des sources orales ont rejoint leurs ancêtres. À
cet effet, nous tenterons de situer cette occupation en nous reposant, d'une
part, sur la liste généalogique des fondateurs de deux quartiers
notamment celle du vieux Kotokou d'Atchandomé et de l'ancêtre Egun
de Kpota et, d'autre part, sur les écrits reposant les Ouatchi
d'Akoumapé et de Vogan. Quand bien même que nous doutons de la
fiabilité des généalogies ci-dessous, par faute d'absence
d'un travail archéologique qui pouvait nous
13 Koulékpato Djokoto, 87 ans, doyen de la
famille Djokoto, entretien du 20/07/2020 à son domicile à
Atchandomé.
14 Nommé par les administrateurs
français en 1919.
15Abotsi Miwonunyi Hubert, 70 ans, ingénieur
retraité. Entretien du 24/07/2020 à son domicile à
Vo-Koutimé.
21
donner plus de précision, nous ne pouvons que s'en
contenter. Alors, parlant de la généalogie de Kotokou et de Egun,
elles se présentent comme suit16 :
Généalogie
|
(Atchandomé)
de Kotokou
|
|
Généalogie
de Egun (Kpota)
|
Egun
|
Kotokou
|
|
|
|
Assagba
|
Djokoto
|
|
|
|
Midonou
|
Agboglo
|
|
|
|
|
Nouwaga
|
Apetovi
|
|
|
|
|
Fovi
|
Adelan
|
|
Houindolo
|
Gatri
Amouzou
|
Sruikpè
|
Sakpo
|
|
|
Koudjodji
|
De ces deux généalogies, nous ressortons chacune
huit générations. En prenant alors la durée moyenne de 30
ans par génération à cause de la
patrilinéarité de la société et en posant le calcul
suivant : 2020- (30x8) qui donne 1780, nous pouvons dire à cet effet que
les ancêtres
16 Koulékpato Djokoto, 87 ans, doyen de la
famille Djokoto. Entretien du 07/03/2020, à Kpota, à son
domicile.
22
ouatchi de Vo-Koutimé occupaient le site actuel
probablement dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle.
Par ailleurs, Akoumapé aurait été
fondé vers la fin du XVIIe siècle ou au début
du XVIIIe siècle (E. S. N'tsoukpo, 2011, p. 14). Quant
à ce qui concerne Vogan, si leurs ancêtres fondateurs ont
quitté Akoumapé sous le chef Akouma, le premier sur la liste de
la dynastie royale, ils auraient sans doute fondé Vogan à la
même période qu'Akoumapé, c'est-à-dire au
début du XVIIIe siècle. Alors, le vieux Kotokou,
fondateur de Vo-Koutimé, aurait quitté de Vogan, dans la
première moitié du XVIIIe siècle, pour mettre
pied sur le site au cours de ses activités de chasse, puisque les
chasseurs d'autrefois faisaient des jours avant de retourner au bercail. Nous
pouvons, à cet effet, supposer que son installation définitive
à Vo-Koutimé remonterait à la seconde moitié du
XVIIIe siècle.
De son extension, le village connaîtra une organisation
sociopolitique et économique un peu particulière.
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