CHAPITRE I :
ETAT DES LIEUX DES MUSIQUES DU MONDE EN
FRANCE
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Le domaine des musiques du monde reste un secteur aux contours
flous, plein d'ambiguïtés, de paradoxes, et de logique
contradictoires. Nombre
d'exemples récents témoignent bien de la grande
actualité des Musiques du Monde : le repositionnement des labels
discographiques, l'importance accordée aux rayons Musiques du Monde dans
les magasins de disques et la place de plus en plus large accordée aux
Musiques du Monde dans la programmation des festivals.
Cette vitalité du secteur ne réussit cependant
pas à masquer les nombreux motifs d'inquiétude et d'embarras qui
persistent. En particulier, celui relatif au poids réel des Musiques du
Monde dans le paysage musical hexagonal. Car en fait, pour que des
mécanismes de diffusion plus efficace soient mis en oeuvre, encore
faudra-t-il les susciter, les insuffler et les animer. Pour ce faire, il nous
paraît fondamental d'avoir une vision claire des réalités
du secteur. Cela ne se peut que si l'on réussit à évaluer
et valoriser l'importance de ces musiques.
Il s'agit de déterminer leurs poids en volume et en
valeur (si possible), puisque le poids culturel est connu et reconnu. Cette
entreprise renvoie à des approches divergentes et des
appréciations multiples, tâche pas très aisée parce
que le secteur des Musiques du Monde s'est souvent positionné aux
antipodes du système marchand et de ses dérives. Bien qu'il en
fasse inévitablement partie quoiqu'on dise.
Par conséquent, enveloppé dans une pudeur
aujourd'hui surannée, le fonctionnement de ce secteur n'aide pas
à mettre en évidence ses meilleurs atours.
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I- LA DEFINITION DU PERIMETRE DES MUSIQUES DU
MONDE
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A- LES MUSIQUES DU MONDE : UNE NOTION AMBIGUE
La question de la définition du périmètre
des Musiques du Monde continue de diviser les professionnels du secteur.
L'idée que l'on s'en fait est différente d'un pays à un
autre. Comme le note l'ethnomusicologue Laurent Aubert, il s'agit d'«
un domaine tellement large qu'on ne saurait le circonscrire ».
Il s'agit d'une véritable « auberge espagnole »
à cause des respects visiblement difficiles entre authenticité et
métissage, entre l'art et son commerce, entre visions réductrices
et « grand public », entre approche artisanales, activisme culturel
et logique industrielle des multinationales du disque.
Selon le positionnement du locuteur, le
périmètre sera plus ou moins réduit. Toujours est-il qu'en
premier lieu, quand on parle de Musiques du Monde, on pense évidemment
aux musiques ethniques issues de la tradition ou de Rythmes dits traditionnels.
On pensera aussi aux musiques de l'espace francophone (à majorité
africaine), mais aussi aux musiques des diasporas du monde présentes en
France.
Autrement dit, il s'agit de toutes les musiques d'«
ailleurs », expression d'une culture et d'une identité. Ainsi
entendu, peut-on exclure du champ la musique qui expriment une identité
régionale comme la musique bretonne, la musique basque ou les
polyphonies corses ? On se saurait non plus exclure, malgré leur
authenticité contestée, les musiques « folkloriques »,
englobées un peu malgré elle dans le périmètre
Musiques du Monde. Plus largement, la tendance primaire consiste à y
classer toutes les musiques « exotiques ». Mais là encore, la
notion d'exotisme est toute relative puisqu'elle-même diversement
appréciée selon les territoires.
Il y'a quelques années, la chanteuse française
Patricia KAAS qui tentait une percée internationale avec un album en
anglais, était parvenue à se classer dans le billboard
américain, plus précisément dans les TOPS World Music au
même titre que Mory Kanté ou les Gypsy Kings. De l'autre
côté, de l'Atlantique,
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la chanson française est aussi perçue comme
World Music. Même élargi, le champ ainsi défini est encore
réducteur. On pourrait lui adjoindre aisément les partitions de
musiques de rencontres, les musiques métissés (melting pot, world
mix) et des rythmes hybrides, « à cheval » sur plusieurs
genres, styles, esthétiques ou cultures.
La tendance au métissage n'avait jamais
été aussi évidente, et on voit apparaître le terme
de « world fusion », en passe de devenir un véritable effet de
mode. Le périmètre n'aura pas fini de s'élargir avec
toutes les musiques estampillées et présentées comme telle
par les labels discographiques ou perçues comme telles par les
médias.
Dans les rayons Musiques du Monde, de grands distributeurs que
sont les FNAC et VIRGINISTORES, on dénombre une multitude de productions
dans une « étonnante » cohabitation que d'autres trouveront
« déplacée ». Par exemple, on peut bien y trouver selon
les magasins, la chanteuse québécoise Linda LEMAY ou le
guitariste breton Dan ar Braz. Pour paraphraser Gabriel YACOUB, on est tous la
World Music de quelqu'un d'autre.
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