L'émission d'obligations vertes: entre liberté et contraintepar Lise Wantier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Droit bancaire et financier 2018 |
Section 2: Outils juridiques additionnelsPar ailleurs, pourrait-on envisager l'utilisation du droit de la consommation ou une sanction administrative ? $1. L'utilisation du droit de la consommation Si cette promesse d'utilisation des fonds pour un projet favorable à l'environnement figure uniquement dans les documents publicitaires, ne pourrait-on pas envisager l'application 87 88 THOMAS Philippe « Nature juridique des green bonds », Revue de Droit bancaire et financier n° 6, WWF, Rapport 2016 89 Gestion d'actifs /Table ronde, ISR : de la gestion à la distribution, les défis à venir, option finance, 1 avril 2019 - N°54 - Edition Hors-Série, p°8 Page 28 sur 62 du droit de la consommation relatif aux pratiques commerciales trompeuses ? L'article L. 121-2 2° du code de la consommation dispose qu'une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur: « Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service90.» Dans ce cas, l'investisseur devra prouver que les engagements en faveur de l'environnement ne sont pas tenus. Cela n'est applicable que dans l'hypothèse où l'investisseur a la qualité de consommateur, mais également si cette promesse figure dans un document publicitaire. La Cour de Cassation91 a confirmé la prise en considération juridique des engagements pris dans le cadre des publicités. Aux Etats-Unis cette pratique est également sanctionnée, dans un arrêt rendu par la Cour Suprême des États-Unis en 2003 opposant Nike à un militant californien, cette dernière a estimé que l'entreprise de chaussures américaine pouvait être poursuivie pour ses publicités où elle affirme que ses employés asiatiques travaillent dans de bonnes conditions alors que ces conditions de travail sont très controversées. $2. Sanction administrative Une sanction administrative serait-elle envisageable ? L'AMF peut-elle sanctionner sur les principes RSE ? Pour Thierry Bonneau si les émetteurs ne remplissent pas leurs obligations en matière d'information, une sanction administrative prononcée par l'AMF est envisageable92. 90 91 Article L121-2, 2°,b du Code de la Consommation Civ. 1ère, 20 nov. 1963, Bull. civ., I, n°507, p.427 92 BONNEAU Thierry, «Réflexions sur la porosité du droit financier aux enjeux de la RSE Énergie », Environnement - Infrastructures n° 2, Février 2018, étude 4 Concernant les émissions obligataires, l'article 212-14 du règlement général de l'AMF prévoit qu'une attestation est signée par les personnes physiques ou morales qui assument la responsabilité du prospectus précisant qu'« à leur connaissance, les données de celui-ci sont conformes à la réalité et ne comportent pas d'omission de nature à en altérer la portée ». L'article 212-7 du Règlement Général de l'AMF précise les informations que doit contenir le prospectus. Y sont comprises les informations nécessaires « pour permettre aux investisseurs d'évaluer en connaissance de cause le patrimoine, la situation financière, les résultats et les perspectives de l'émetteur (É), ainsi que les droits attachés à ces titres financiers et les conditions d'émission de ces derniers. Ces informations sont présentées sous une forme facile à analyser et à comprendre». Les objectifs environnementaux du projet ne sont pas des informations à faire obligatoirement figurer dans le prospectus. L'article 212-14 du Règlement Général de l'AMF a donc une importance moindre dans ce domaine car les émetteurs évitent, en pratique, de rendre contractuel ce type d'engagement en l'incluant dans le prospectus. Par ailleurs si le caractère vert du projet est rédigé comme une aspiration, de manière vague, aucune responsabilité ne peut être engagée. Des engagements moraux sont en effet trop flous pour pouvoir engager la responsabilité civile93. Page 29 sur 62 93 BONNEAU Thierry, « Réflexions sur la porosité du droit financier aux enjeux de la RSE » Environnement et développement durable Page 30 sur 62 « L'épargne est disponible. Les épargnants souhaitent, dans une large majorité, soutenir la transition écologique. Il est temps que la finance se mette à l'écoute des besoins de notre société et y réponde94.» Si les obligations vertes ne sont régies que par du soft law, les principes établis par celui-ci ne sont toutefois pas dénués d'impacts. Mais devrait-on aller plus loin ? Pour Alain Pellet le soft law est un « processus à finalité normative » il pose des « jalons normatifs»95. Le changement climatique est une source de changements structurels dans l'économie et le système financier. Il relève dès lors du mandat des banques centrales et des autorités de surveillance96. Une régulation est en conséquence envisageable. La Place de paris , la 97 Banque de France98, la Banque centrale , l'OCDE , la doctrine , et d'une manière 99 100 101 générale, les différents acteurs102, appellent à une régulation. La Banque Centrale Européenne a appelé de ses voeux à définir clairement les paramètres politiques du financement vert et les risques liés au changement climatique pour les banquiers centraux et superviseurs. Elle regrette l'absence de définitions et de taxonomies communes, ainsi que de données et de 94 ZAOUATI Philippe, « Comment orienter l'épargne des ménages vers la transition écologique ? » Supplément Revue Banque n°833, juin 2019 95 PELLET Alain, « Le «bon droit» et l'ivraie - Plaidoyer pour l'ivraie (Remarques sur quelques problèmes de méthode en droit international du développement) », Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes - Méthodes d'analyse du droit international, Pedone, Paris, 1984, p. 482. 96 NGFS Central Banks and Supervisors, « A call for action Climate change as a source of financial risk», Avril 2019, https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2019/04/17/ ngfs first comprehensive report - 17042019 0.pdf 97 PLACE DE PARIS, Rapport green bonds, p°20 98 BANQUE DE France, Communiqué, « Le NGFS appelle à l'action les banques centrales, les superviseurs et toutes les parties concernées pour le verdissement du système financier », 17/04/2019, https://www.banque-france.fr/communique-de-presse/le-ngfs-appelle-laction-les-banques-centrales-les-superviseurs-et-toutes-les-parties-concernees-pour 99 European Central Bank, «Central Bankers, Supervisors and Climate-Related Risks», 17 avril 2019 100 OCDE, «Green Finance and Investment», OECDilibrary, https://www.oecd-ilibrary.org/ environment/green-finance-and-investment 24090344
6, 102Gestion d'actifs /Table ronde, ISR : de la gestion à la distribution, les défis à venir, option finance, 1 avril 2019 - N°54 - Edition Hors Série Page 31 sur 62 mesures103. Certaines banques ont également demandé des directives plus claires aux organismes de réglementation, ou de plus amples renseignements sur les pratiques exemplaires 104. Agir semble nécessaire, mais encore faut-il trouver comment. Autant le greenwashing est perçu comme une menace pour le marché, autant un durcissement de la règlementation l'est tout autant105. 103 European Central Bank, «Central Bankers, Supervisors and Climate-Related Risks», 17 avril 2019
105 EIFR, « Obligations vertes, environnement règlementaire et point de vue du régulateur de marché », conférence du 13 septembre 2018, compte rendu, p°8 Page 32 sur 62 Partie II : Les émetteurs, de plus en plus contraints ? Si dès l'origine ces projets se sont développés dans un environnement flexible et volontaire, nous allons analyser si ce développement pourrait connaitre un tournant plus contraignant pour les émetteurs. |
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