Master II - Droit des affaires, parcours Droit fondamental de
l'entreprise Année Universitaire 2017-
2018
La blockchain et l'offre au public de titres
financiers
1
Par Lise Wantier
Sous la direction du Professeur Arnaud Reygrobellet
2
L'université n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les mémoires. Ces opinions
doivent etre considérées comme propres à leurs auteurs.
3
Abréviations utilisées
AEMF/ESMA Autorité Européenne des Marchés
Financiers
AFG Association Française de la Gestion
financière
AMAFI Association Française des Marchés
financiers
AML (Anti-Money-Laudering) Anti-blanchiment
BCE Banque Centrale Européenne
C. mon. fin Code monétaire et financier
CNIL Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés
DEEP Dispositif d'Enregistrement Electronique Partagé
Dir. Directive
DLT (Distributed Ledger Technologie) Technologie de
Registres distribués
FINMA Autorité des Marchés financiers Suisse
FMI Fonds Monétaire International
ICO (Initial Coin Offering) Levée de fonds en
crypto-monaies
IOSCO Organisation internationale des commissions de valeurs
IPO (Initial Public Offering) Offre au public
initiale
ISDA Association internationale des Swaps et
dérivés
JORF Journal Officiel de la République Française
KYC (Know Your Customer) Connaître son client
Ord. Ordonnance
PACTE Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des
Entreprises
Règl. Règlement
RG AMF Règlement général de l'AMF
RGPD Règlement Européen relatif à la
protection des personnes physiques à
l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données
RTD Com Revue Trimestrielle de Droit commercial
SEC (Security Exchange Commission), Organisme
fédéral américain de
réglementation et de contrôle des marchés
financiers
STAD Systèmes de traitement automatisé de
données
UE Union Européenne
4
Sommaire
Partie I. Un cadre juridique actuellement insuffisant pour
permettre une utilisation sécurisée de la
technologie blockchain au profit de l'offre au public de titres
financiers 10
Titre I.Une avancée législative incomplète
pour les titres financiers, et inadaptée pour les ICOs 10
Chapitre 1. L'intervention du législateur concernant les
titres financiers non cotés 10
Chapitre 2. La difficile qualification juridique des jetons et du
régime juridique applicable aux
ICOs 13
Titre II. Face à l'insécurité juridique, une
régulation nécessaire 17
Chapitre 1. Une réglementation spécifique des ICOs
inéluctable 17
Chapitre 2. L'hypothèse d'une application à droit
constant des règles concernant l'offre au public
de titres financiers 20
Partie II. Une régulation difficile à
appréhender 25
Titre I. Comment réguler 7 25
Chapitre 1. Les conditions d'une régulation à droit
constant 25
Chapitre 2. En cas d'utilisation de la technologie blockchain
dans toutes ses potentialités : une
révolution juridique nécessaire 32
Titre II. La conciliation entre la chaîne de blocs et les
réglementations extrinsèques aux marchés
financiers 37
Chapitre 1. Une compatibilité voire même atout 37
Chapitre 2. La conciliation avec les législation
internationales 41
5
Introduction
« Il n'est pas toujours nécessaire de faire des
lois, mais il l'est toujours de faire exécuter celles qui ont
été faites » John Locke.
On nous présente la blockchain comme
révolutionnaire, comme une innovation disruptive capable de bousculer
les institutions financières et bancaires. Mais cette «
révolution blockchain » peut-elle concerner l'offre au
public de titres financiers ? Si, oui, le droit français est-il
suffisamment souple pour connaitre des problématiques qui pourraient se
poser par l'utilisation de la technologie blockchain dans le domaine
de l'offre au public de titres financiers ? Ou doit-elle s'accompagner d'une
révolution juridique ?
Il convient dans un premier temps de s'interroger sur ce
qu'est la blockchain, pour comprendre ensuite, dans quelle mesure elle
peut être, ou non, utilisée au profit de l'offre au public de
titres financiers.
La chaîne de blocs (blockchain) ou technique de
registre partagé (Distributed Ledger Technology,
DLT) est une base de données, distribuée, partagée et
cryptée sous une infrastructure pair à pair.
La première blockchain est née en 2008
en tant que support au bitcoin. Son développeur se présente sous
le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, mais son identité reste inconnue. Il
explique ce réseau comme un système pair à pair qui «
horodate les transactions en les hachant en une chaîne continue de
preuves-de-travail, formant un enregistrement de données qui ne peut pas
être changé sans avoir à refaire la
preuve-de-travail1.» Concrètement, la blockchain
contient donc l'historique, infalsifiable, de toutes les transactions
réalisées entre ses utilisateurs. Ces transactions sont
réunies dans des blocs, validées par les noeuds de la chaine
à l'aide d'algorithmes de cryptage qui vont rendre les informations non
modifiables. Une fois le bloc validé il est horodaté et inscrit
à la suite des autres par son empreinte (hash) qui permet
d'établir la continuité de la blockchain, d'où le
nom de chaîne de blocs. Tous les utilisateurs du réseau disposent
d'une clef publique (un pseudonyme) et d'une clef privée (qui permet de
signer électroniquement la transaction), leur permettant d'avoir
accès à la chaîne, et de vérifier sa
validité. Deux systèmes majeurs existent pour la validation des
blocs : le recours à une preuve du travail « proof of work
» et la preuve d'enjeu « proof of stake ».
Il convient dans un second temps de rappeler ce qu'est une
offre au public de titres financiers, et la législation qui lui est
applicable. Elle est en France définie par l'article L.411-1 du Code
monétaire et financier reprenant la directive Prospectus2.
Cet article dispose que :
L'offre au public de titres financiers est constituée par
l'une des opérations suivantes :
1. Une communication adressée sous quelque forme et
par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une
information suffisante sur les conditions de l'offre et sur les titres à
offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de
décider d'acheter ou de souscrire ces titres financiers ;
2. Un placement de titres financiers par des
intermédiaires financiers.
L'offre au public ne concerne que les titres financiers, c'est
à dire les titres de capital émis par les sociétés
par actions, les titres de créances et les parts ou actions des
organismes de placement collectif3.
Les intermédiaires financiers, sont classés par
l'article L.321-1 du Code monétaire et
1 SATOSHI NAKAMOTO « Bitcoin : un système de paiement
électronique pair-à-pair », p.1
2 Dir. qui sera remplacée par Règl. du 14 juin 2017
2017/1129 qui devrait entrer en vigueur le 21 juillet 2019 (art. 46, §
1).
3 C. mon. fin., art. L. 211-1 I
financier dans la catégorie des services
d'investissements et leur action est définie par l'article
D. 321-1 1 du code monétaire et financier comme «
le fait de rechercher des souscripteurs ou des acquéreurs pour le compte
d'un émetteur ou d'un cédant d'instruments financiers ».
Concernant l'auteur de l'offre au public, aucune
définition expresse n'est donnée par l'article L.411-1 du Code
monétaire et financier. Mais il s'agit par voie de conséquence
d'émetteurs de titres financiers, et donc des sociétés
commerciales autorisées à émettre des titres dans le
public4.
Certaines offres sont exclues du champ réglementaire de
l'offre au public de titres, soit en raison de leur montant5, leur
volume, de la qualité de l'émetteur6, de
l'investisseur7 ou par la nature du titre (durée
inférieure ou égale à 1 an).
Lorsqu'une offre est qualifiée d'offre au public de
titres, les émetteurs sont soumis à des obligations, notamment en
terme d'information. L'article L.412-1 du Code monétaire et financier
dispose que ces émetteurs doivent, au préalable, publier et tenir
à la disposition de toute personne intéressée, un document
destiné à l'information du public, portant sur le contenu et les
modalités de l'opération qui en fait l'objet ainsi que sur
l'organisation, la situation financière et l'évolution de
l'activité de la société.
Aucune distinction n'est faite selon que l'émetteur est
admis sur un marché réglementé ou non, c'est bien l'offre
au public de titres qui fait naître l'obligation d'information qui se
matérialise par le prospectus. L'exécution de cette obligation
d'information est à la charge de la société qui
émet des titres, sous la surveillance de l'Autorité des
marchés financiers (AMF).
Sur les marchés de financement, l'introduction en
bourse postule, sauf exceptions, une offre au public de titres. Mais une offre
au public de titres peut être effectuée sans admission des titres
sur un marché d'instruments financiers notamment lorsqu'elle est
diffusée hors marché8.
Une offre au public de titres mène donc dans la plupart
des cas à une cotation sur le marché réglementé, ce
pourquoi nous étudierons le marché secondaire. L'admission de
titres aux négociations est une décision prise en
conformité avec les règles du marché
concerné9. Une fois admis, l'instrument peut circuler, c'est
à dire faire l'objet de négociations, sur le marché
secondaire. A ce stade interviennent donc en plus de l'entreprise de
marché, la chambre de compensation et le dépositaire central.
Ainsi les règles régissant l'offre au public de
titres financiers sont aussi nombreuses que les acteurs qui veillent à
leur application, ce qui peut trancher avec l'idéal libertarien
inhérent à la technologie blockchain.
L a blockchain est effectivement née d'une
démarche libertarienne fondée autour de la défense de la
vie privée et de la méfiance vis-à-vis de l'Etat et des
grandes firmes. Cette démarche envisage la technologie comme une aire de
liberté. On peut l'illustrer par la déclaration
d'indépendance du cyberespace de John Perry Barlow où il clame
que « Vous (les gouvernements) n'avez aucun droit moral de dicter chez
nous votre loi et vous ne possédez aucun moyen de nous contraindre que
nous ayons à redouter10. » Ainsi, il y a une certaine
résistance dans la culture du cyberespace aux lois étatiques, qui
se retrouve dans la technologie blockchain, « les libertaires de
la chaîne de blocs considèrent que le code informatique fait loi
(« je ne fais pas de politique, j'écris du code
informatique11.») L'expression souvent reprise « code
is law » signifie que le langage
4 C. mon. fin., art. L.412-2 ;
C. com art. L223-11, L227-2, L228-39 et
L252-10
5 RG AMF, art. 211-2
6 C. mon. fin., art. L. 411-3
7 C. mon. fin., art. L411-2, D411-1 et D. 411-4
8 T. BONNEAU, P. PAILLER, Droit financier, LGDJ,
Lextenso éditions, p.621
9 art 6.2 des règles harmonisées de marché
d'Euronext
10 J.P. BARLOW, « Déclaration d'indépendance
du Cyberespace », février 1996, Davos
11 N. DEVILLIER, « Jouer dans le « bac à sable
» réglementaire pour réguler l'innovation disruptive : le
cas de la technologie de la chaîne de blocs », RTD Com
2017, p.1037
6
7
informatique se suffit à lui même, qu'une
gouvernance spécifique n'est pas utile puisqu'il en existe
déjà une via le code informatique qui, par le consensus de la
communauté acquiert force de loi. Mais par son fonctionnement
même, de nature décentralisé la technologie blockchain
a pour but d'évincer un contrôle supérieur et
centralisé12.
On voit déjà apparaître la
difficulté de conciliation entre la chaîne de blocs assez
libertaire et l'offre au public de titres financiers, très
régulée. Pourtant, les apports de la blockchain aux
marchés financiers sont très prometteurs.
L'utilisation de la technologie blockchain peut
être analysée au stade du marché primaire,
c'est-à-dire lorsque les investisseurs cherchent à lever des
fonds en ayant recours au public. Une analyse des Initial Coin
offerings'3 (ICOs) semble ici intéressante du fait de
leurs similitudes avec les Initial public
Offerings'4(IPOs). Ces deux mécanismes
permettent des levées de fonds (en crypto-monnaie pour les ICOs et en
monnaie fiat pour les IPOs) via des investisseurs en échange d'actifs
afin de financer un projet. La différence réside surtout dans cet
actif, qui prend la forme d'actions pour les IPOs et de jetons
(tokens) pour les ICOs pouvant être de nature très
variable mais, potentiellement représenter les mêmes
caractéristiques qu'un titre financier.
La technologie blockchain peut également
être appliquée au stade du marché secondaire, où
interviennent les systèmes multilatéraux de négociation
afin de permettre aux investisseurs d'acquérir ou céder les
instruments financiers émis par les sociétés par une offre
au public. Cette application aurait de nombreux bénéfices.
L'utilisation de la technologie blockchain permettrait notamment de
baisser le coût des transactions qui est actuellement
élevé15 par la suppression des tiers de confiance et
par une réduction des délais de traitement. Les transactions
seraient en effet plus rapides, par exemple une opération complexe sur
un marché à terme peut prendre jusqu'à deux jours pour
assurer une compensation complète, avec une blockchain, ce
délai pourrait être d'une dizaine de minutes16. Les
transactions seraient également plus sécurisées, non
seulement par la cryptographie, parce qu'il n'y a plus un seul point d'attaque
dans un registre distribué, mais une multitude17, mais aussi
par la disparition du risque qui pourrait relever d'une erreur du tiers de
confiance. Un autre atout résulte de la nature partagée du
registre, signifiant que chaque participant a une copie du registre, ce qui
évite les informations contradictoires18. La preuve de la
propriété et la conservation des actifs pourraient
également être facilitées. Ces idées sont
partagées par Euroclear, prévoyant dans un rapport que
l'utilisation de la DLT aurait l'avantage de réduire la latence des
règlements, le risque de conservation, l'intermédiation de la
tenue des registres et permettrait d'augmenter la transparence et la
sécurité des données19.
Mais concrètement, quels changements peuvent mener
à ces différents avantages ? Une étude a été
réalisée par la bourse de Tokyo afin d'analyser dans quelles
activités la technologie blockchain pourrait modifier le
processus actuel. Il en résulte qu'elle pourrait remplacer le
système de compensation. Les inscriptions étant inscrites les
unes à la suite des autres, négociées,
réglées et livrées, la compensation ne serait plus
nécessaire. Grâce à la traçabilité de la
technologie blockchain l'identification des propriétaires de
titres serait immédiate et complète. Egalement les
événements sur titres comme le paiement de dividendes ou
l'attribution de droits pourrait être
12 A. ANTONOPOULOS, Webserie Blockckain Revolution
13 levées de fonds en crypto-monaies
14 offres publiques initiales
15 M. MAINELLI et A. MILNE, « The impact and potential of
blockchain on securities transaction lifecycle », 9 mai 2016
16 PARIS EUROPLACE, « Les impacts des reseaux
distribués et de la technologie blockchain dans les activités de
marché rapport groupe fintech », 23 oct 2017, p°48
17 ESMA, « The Distributed Ledger Technology applied to
securities markets, European Securities and Markets Authority »
02/06/2016, p.12
18 Ibid, p.10
19 EUROCLEAR, «Blockchain Settlement: Regulation, innovation
and application», Nov 2016
8
automatique. Ainsi la Place de Paris avance qu'« une DLT
pourrait tout à la fois tenir le rôle d'une bourse, d'une chambre
de compensation et d'un dépositaire central, voire même d'un
système de règlement-livraison20.»
Cependant l'étude de la bourse de Tokyo relève
que pour rendre possible cette utilisation de la technologie
blockchain, la capacité de débit, notamment la
rapidité du consensus devrait être augmentée. C'est
pourquoi, pour la Banque centrale Européenne (BCE), l'évolution
se fera graduellement. C'est également l'avis d'Euroclear, qui
prévoit une utilisation massive de la technologie d'ici plus de dix ans
sous réserve de plusieurs éléments21.
Certaines institutions comme le Nasdaq avec Linq, ou
la Caisse des dépôts avec le LaBChain ou encore plusieurs
acteurs privés soutenus par la Place de Paris avec
Liquidshare22, ont déjà
expérimenté cette technologie au service des titres financiers.
Des entreprises du CAC 40 entendent également lancer leurs ICOs, y
voyant une nouvelle méthode d'interaction avec les clients23.
L'évolution est donc en marche. Pour le vice président du
pôle Blockchain Innovation au Nasdaq, le développement de
l'utilisation de la chaîne de blocs pourrait passer par trois phases. La
première rendrait les mécanismes actuels plus efficaces et
rentables. Dans la seconde phase la blockchain permettrait de
solutionner des besoins que l'on ne peut résoudre avec la technologie
existante, et la dernière consisterait à résoudre des
besoins que l'on ne connait pas encore24.
Certains auteurs ne partagent toutefois pas cette vision et
estiment que « ces technologies doivent encore démontrer leur
fiabilité, leur résilience et leur résistance face aux
cyberattaques25.» Il est donc important, même si les
perspectives d'utilisation de la technologie blockchain sont
très prometteuses, de rester vigilant.
Ainsi les potentialités qu'offre la technologie
blockchain aux marchés financiers ne sont plus à
démontrer. Mais une question se pose. Les normes en vigueur
permettent-elles le développement et l'utilisation d'une telle
technologie dans le domaine de l'offre au public de titres financiers ?
Plusieurs incompatibilités entre les règles
d'une offre au public et les propriétés inhérentes
à la technologie blockchain s'entrechoquent. Comment concilier
la centralisation relative aux marchés réglementés et la
décentralisation de la chaîne de blocs? La sécurité
nécessaire des investisseurs et la liberté prônée
par la communauté blockchain ? Comment résoudre la
question de la responsabilité, sur laquelle la législation se
base, avec la décentralisation et donc l'absence d'entité
responsable de la blockchain ? La technologie est-elle assez robuste
et mature pour être utilisée dans ce secteur où la
sécurité est fondamentale ? Comment concilier le droit à
l'oubli et les données inscrites dans la chaîne de blocs, et donc
réputées ineffaçables ?
Dès lors, si la législation actuelle ne permet
pas l'utilisation de la technologie blockchain concernant l'offre au
public de titres financier, quelles modifications pourraient être
effectuées afin de rendre possible cette utilisation ? Une simple
reconnaissance de la technologie dans la législation est-elle
envisageable pour rendre possible son utilisation ou une véritable
révolution juridique doit-elle avoir lieu ?
20 PARIS EUROPLACE, p°31
21 EUROCLEAR et O. WYMAN, « Blockchain in Capital Markets,
The Prize and the Journey », Fév 2016, p.20
22 EURONEXT « LiquidShare, la Fintech blockchain
Européenne pour le post-marché des PME, est lancée »,
11 juillet 2017; « 7 grandes institutions financières s'unissent
pour développer une infrastructure blockchain pour le post-marché
des PME », 21 juin 2016
23 E. TRUJILO, « Plusieurs géants du CAC 40
songent à lever des fonds en cryptomonnaies », BFM
business, 17/05/2018
24 "Building on the blockchain, Nasdaq vision of innovation
», Business Nasqaq
25 C. BONDARD, G. CHENU, « Quelques utilisations actuelles
de cet outil en droit des affaires» La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires n° 36, 7 Sept 2017, 1471
9
A la question de savoir si le cadre juridique actuel est
suffisant pour permettre une application sécurisée de la
technologie blockchain nous comprendrons dans un premier temps qu'il
ne l'est pas (Partie I) c'est pourquoi nous analyserons comment la
législation peut offrir un cadre sécurisé et adapté
à la technologie blockchain (Partie II).
10
Partie I. Un cadre juridique actuellement
insuffisant pour permettre une utilisation sécurisée de la
technologie blockchain au profit de l'offre au public de titres
financiers
Les récentes interventions, puisqu'elles ne concernent
que les titres financiers non cotés, la qualification des ICOs qui
s'avère inadaptée (Titre I) et l'application du droit en vigueur
du fait qu'il est ajusté à un système centralisé
régit par les tiers de confiance, ne permettent pas d'offrir un cadre
juridique sécurisé concernant l'offre au public de titres
financiers. C'est pourquoi une intervention législative semble bienvenue
(Titre II).
Titre I. Une avancée législative
incomplète pour les titres financiers, voire inadaptée pour les
ICOs
Le législateur par l'article L.211-7 du Code
monétaire et financier a reconnu la valeur légale de
l'inscription des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations
d'un dépositaire central, c'est-à-dire, aux titres financiers non
cotés, dans une blockchain (Chapitre 1). En pratique quand il y
a offre au public, les titres sont quasiment toujours admis aux
opérations d'un dépositaire central et ne sont donc pas
concernés par cette intervention législative, or il est
intéressant de l'analyser car cela nous indique la vision du
législateur français sur la technologie blockchain.
Nous analyserons également le régime applicable
aux ICOs où malgré de fortes similitudes avec l'offre au public
de titres financiers, le régime juridique relatif à ces
dernières a été écarté. Les jetons ont en
effet été considérés comme des biens divers et non
comme des titres financiers. Cette qualification et le régime juridique
qui en découle sont-ils adaptés (Chapitre 2) ?
Chapitre 1. L'intervention du législateur
concernant les titres financiers non cotés
Après une première apparition dans le cadre de
l'émission de minibons26 la technologie blockchain
s'étend peu à peu. Le législateur s'est saisi de la
question concernant les titres financiers non cotés grâce à
l'habilitation donnée par la loi Sapin II27 afin de faciliter
la transmission de certains titres financiers au moyen de la technologie de la
chaîne de blocs. Le cadre réglementaire européen ne
régit pas les titres financiers non côtés (contrairement
aux instruments financiers cotés) ce qui a laissé au
législateur français la possibilité de développer
un cadre réglementaire ad hoc28.
Suite à une première consultation publique le 24
mars 2017 sur le périmètre, les principes et le niveau de
réglementation à retenir dans le cadre de cette réforme,
une majorité des répondants concluait que le transfert de
propriété du titre devrait pouvoir se faire via la
blockchain, sans remettre en cause le cadre juridique actuel de la
transmission des titres et en assurant la neutralité de la technologie.
Cette consultation, dont les réponses émises furent suivies,
démontre une volonté du législateur de prendre en
considération l'expertise des acteurs de ce milieu, et de proposer une
régulation permettant l'essor de la technologie blockchain tout
en la sécurisant.
L'analyse de cette ordonnance, nous permet d'avoir un
aperçu de la manière dont le
26 Ord. n° 2016-520 du 28 av 2016
27 Loi n° 2016-1691 du 9 déc 2016
28 T. Bonneau et T.Verbiest, Fintech et droit, quelle
régulation pour les nouveaux entrants du secteur bancaire et financier ?
Broché, 2 mars 2017
11
législateur pourrait réguler l'utilisation de la
technologie blockchain au service de l'offre au public de titres
financiers. Même si la régulation concernant les titres
cotés se situe au niveau communautaire, cette loi fait état du
positionnement du législateur français concernant l'application
de la technologie blockchain.
Section I. Une avancée pour la technologie
blockchain concernant les titres financiers non cotés
Les modifications législatives effectuées, se
résumant à l'instauration d'une équivalence entre
inscription en compte et inscription dans un dispositif d'enregistrement
électronique partagé (DEEP) ( 1), sont prometteuses pour
l'utilisation de la technologie blockchain au service des titres
financiers (§2).
§1. L'instauration d'une
équivalence
L'ordonnance instaure une équivalence entre
inscription en compte et inscription sur un DEEP. Le choix du terme «
dispositif d'enregistrement électronique partagé »
était également celui choisi pour l'article L.233-12 du Code
monétaire et financier relatif aux minibons introduit par l'ordonnance
du 28 avril 2016. Selon le rapport sur l'ordonnance « cette
désignation demeure large et neutre à l'égard des
différents procédés afin de ne pas exclure des
développements technologiques ultérieurs. Cette
dénomination recouvre les principales caractéristiques de la
« blockchain » : sa vocation de registre et son caractère
partagé29.»
Afin de consacrer l'équivalence entre inscription en
compte et inscription dans un DEEP, l'ordonnance procède à une
modification des articles du Code monétaire et financier. Ainsi,
l'article L.211-15 du Code monétaire et financier « les titres
financiers se transmettent par virement de compte à compte » est
complété par « ou par inscription dans un dispositif
d'enregistrement électronique partagé mentionné à
l'article L. 211-3». L'article L.211-4 du même code a
également été modifié. Ainsi, c'est au moment de
l'inscription dans le dispositif d'enregistrement électronique
partagé que sera réalisé le transfert de
propriété.
L'ordonnance a également modifié l'architecture
du Code monétaire et financier afin d'être plus neutre d'un point
de vue technologique, c'est pourquoi la sous-section 2 s'intitulera
désormais «L'inscription des titres financiers30 »,
afin d'aborder toutes les formes d'inscriptions et non pas uniquement
l'inscription en compte.
Egalement, l'ordonnance prévoit à l'article
L.211-20 du Code monétaire et financier la possibilité d'un
nantissement de titres financiers inscrits dans un DEEP. Cette modification
semblait nécessaire du fait de l'assimilation de l'inscription en compte
à l'inscription dans un DEEP qui bouleversait l'assiette du
régime du nantissement dont l'assiette était limitée aux
compte-titres31.
§2. Une portée
prometteuse
La portée pratique de cette législation est
prometteuse car les titres non cotés ne font pas l'objet d'une
conservation auprès d'un intermédiaire habilité. La tenue
des registres est assurée soit par les émetteurs soit par leurs
mandataires, sur la foi notamment d'ordres de mouvement de titres «
29 JORF n°0287, texte n°23 du 9 déc 2017
30 Art.2, ord n° 2017-1674 du 8 déc 2017
31 R. VArnRES, « Ordonnance n° 2017-1674 du 8
décembre 2017 : la généralisation progressive de la
blockchain en droit financier », Droit des sociétés
n° 1, Janv 2018
12
papier » qui doivent leur être remis. Or en
pratique les sociétés, faute d'avoir tenu rigoureusement le
registre, peuvent se trouver dans l'incapacité de justifier de la
répartition de leur actionnariat ou de certains mouvements sur leurs
titres. Ainsi, l'utilisation de la technologie blockchain permettra de
fiabiliser et de simplifier la tenue des registres de titres non cotés
et éviter leur perte grâce à une inscription
définitive dans la chaîne de blocs32.
En conclusion, l'ordonnance a conféré les
mêmes effets à l'inscription dans un DEEP qu'une inscription en
compte de titres financiers. Aucune obligation nouvelle n'a été
créée, et aucun allègement des garanties n'a
été consenti. Le législateur a donc adapté le droit
actuel pour permettre l'utilisation de la technologie blockchain. Le
choix des termes de « dispositif d'enregistrement partagé »
démontre une volonté d'ouverture du législateur, qui ne
souhaite pas brider cette technologie avec un choix terminologique trop
restrictif.
Section II. Mais une avancée pour le moment
incomplète
Cette intervention, bien qu'innovante reste insuffisante car
de nombreuses questions restent en suspens. Elles doivent être
précisées par un décret prévu au plus tard pour le
1er juillet 2018, au même moment que l'entrée en vigueur de
l'ordonnance33. Reste notamment en suspens la question du choix
entre une blockchain privée ou publique (§1), même
si une chaîne de blocs privée semble s'inscrire davantage dans le
cadre de la réglementation en vigueur (§2).
§1. Le choix entre blockchain publique et
privée
Les avancées effectuées sont indéniables,
marquent même « un tournant dans les concepts fondamentaux du droit
financier34» mais un certain nombre de questions restent en
suspens.
L'article L.211-3 alinéa 3 du code monétaire et
financier précise qu'«un décret en Conseil d'Etat fixe les
conditions dans lesquelles les titres financiers peuvent être inscrits
dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé,
présentant des garanties, notamment en matière
d'authentification, au moins équivalentes à celles
présentées par une inscription en compte-titres. » A savoir
que le l'inscription des minibons dans un DEEP suppose également la
définition du DEEP dans un décret à venir35.
Cette définition devra se positionner sur le choix,
soit d'une blockchain « publique », c'est à dire
ouverte, où l'anonymat est en principe total car chaque participant
utilise un pseudonyme et où la sécurité des
échanges est assurée par les mineurs composant le réseau
qui vont valider les transactions par une technique de cryptage.
Soit d'une blockchain « privée »,
autrement dit, fermée, avec la possibilité d'établir des
règles à l'intérieur du réseau et de filtrer les
participants. Les mineurs peuvent y être limités ou même
être sous le contrôle du gestionnaire de la chaîne de blocs.
On se rapproche dès lors davantage d'un système informatique
centralisé classique, que d'une blockchain dans sa
définition originelle.
Enfin, entre les deux, il existe des blockchains
« hybrides » où certains agents peuvent par exemple disposer
d'un droit de véto.
32 X. VAJv1PARYS, « Blockchain et droit des
sociétés », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires
n° 17, 26 Av 2018
33 Ord n° 2017-1674, art.8
34 Régis VABRES, Droit des sociétés
n°1
35 C. mon. fin., art L.223-12
13
§2. Un choix potentiellement axé sur une
blockchain privée
Pour la Direction générale du Trésor, il
serait plus aisé de légiférer sur un modèle
fermé36. En effet, il est possible de donner à chaque
noeud un niveau spécifique d'autorisation à agir sur le
réseau, selon le rôle et la fonction que l'on souhaite attribuer
à ce noeud, et ainsi d'assurer un meilleur contrôle sur le
réseau distribué. Cela peut même aller jusqu'à
l'obligation de désigner un gestionnaire du DEEP, pour assurer certaines
missions comme, par exemple, la délivrance de l'autorisation
d'accès aux participants ou d'action aux noeuds du réseau.
Ce choix permettrait de résoudre bon nombre de
problème inhérent à la blockchain, comme la
question du droit applicable. Egalement, cela permettrait d'établir
à qui s'impose les obligations de lutte contre le blanchiment et le
financement du terrorisme.
Or cela reviendrait toutefois à une certaine
centralisation, alors même que la technologie des registres
distribués est par essence décentralisée. Le décret
devra donc trancher la question de la gouvernance qui divisait
déjà les différents acteurs lors de la consultation
publique, même si une tendance se dégageait déjà car
« une majorité des répondants souhaitait qu'un superviseur
ait pour unique rôle de délivrer un agrément au
gestionnaire de la blockchain pour certaines
activités37. »
Ainsi, la réponse à ces questions induira un
choix du législateur : une blockchain privée, plus
simple à réguler, ou permettre une chaîne de blocs «
publique » conservant l'essence même de la technologie: la
décentralisation, et étant plus sécurisée.
Chapitre 2. La difficile qualification juridique
des jetons et du régime juridique applicable aux ICOs
Une qualification des jetons était nécessaire
afin d'éclaircir le cadre juridique auxquels ils sont soumis. Nous
analyserons la qualification choisie en France (Section I) mais
également à l'étranger (Section II) afin de mieux cerner
les différentes possibilités envisageables.
Section I. La qualification juridique des jetons en
France
L'AMF a rejeté la qualification de titres financiers (
1) pour celle de « biens divers », mais cette qualification est-elle
satisfaisante (§2)?
§1. Le rejet de l'application de la
législation relative à l'offre au public de
titres
L'AMF définit les Initial Coin
offerings comme des « opérations de levées
de fonds effectuées à travers une technologie de registre
distribué qui donnent lieu à une émission de jetons
(« tokens »).38 » Les ICOs sont
appelées ainsi du fait de leur similitudes avec les IPOs. Cependant la
nature des droits acquis dans une ICO est variable et un jeton n'est pas
équivalent à un titre de capital.
Une ICO sert à financer un projet, originellement dans
l'orbite de la blockchain. En contrepartie de leur participation, les
investisseurs ont un ou plusieurs jetons les faisant bénéficier
de fruits, sous la forme de profits, ou du profit résultant d'une
augmentation de la valeur du jeton (puisqu'ils sont fongibles et
transférables ils peuvent être ensuite revendus dans une optique
de
36 DG TREìSOR ET FINENT, « Consultation
publique sur le projet de réformes législative et
réglementaire relatif à la Blockchain», 24 mars 2017
37 S. SCHILLER, La Semaine Juridique Edition
Générale n° 3
38 AMF, « Document de consultation sur les initial coin
offerings (icos) », 26 octobre 2017, p.1
14
spéculation). Ils peuvent également
conférer aux investisseurs des droits de vote ou de gouvernance, et/ou
un droit d'usage.
L'AMF distingue deux types de jetons : les jetons «
d'usage » qui « octroient un droit d'usage à leur
détenteur en leur permettant d'utiliser la technologie et/ou les
services distribués par le promoteur d'ICO39 » et les
jetons offrant des droits politiques ou financiers (qui pourraient donner lieu
dans certains cas à une qualification de ces titres en instruments
financiers).
Ainsi, comme le souligne l'AMF, et comme nous l'avons compris,
les ICOs et les jetons peuvent être de différentes natures et
aboutir à des droits ou prérogatives disparates.
Une clarification de la qualification applicable devenait
nécessaire compte tenu de leur rapide expansion. Le président de
l'AMF nous indique les raisons de cet engouement pour les crypto-actifs de par
ses avantages. Ce phénomène peut selon lui réduire les
coûts de certaines opérations financières (transferts,
offre au public de titres...), accélérer les temps
d'exécution de ces opérations, toucher une cible mondiale,
financer des projets à un stade très précoce, financer le
développement d'un service ou d'un produit par ses potentiels futurs
utilisateurs, sans pour autant diluer le capital social de la
société, et enfin, renforcer la sécurité des
transactions40.
La plupart des émetteurs d'ICOs élaborent un
« white paper » comprenant les informations relatives
à l'émetteur, au projet, aux fonds nécessaires, la
quantité de jetons offerte au public et les objectifs. Cependant, si des
guides de bonnes pratiques préconisent quelles informations doivent y
figurer, les émetteurs n'ont aucune obligation quant au contenu de ce
document, ce contenu est donc très disparate d'une ICO à
l'autre.
Dans sa consultation, l'AMF précise que la
réglementation applicable aux ICOs ne peut être
déterminée qu'au cas par cas du fait de leur caractère
hétéroclite. Mais l'autorité analyse dans ce document si
d'une manière globale les ICOs pourraient relever de la
législation relative à l'offre au public de titres financiers, le
financement participatif en titres, les placements collectifs ou
l'intermédiation en bien divers.
L'AMF s'interroge dans un premier temps sur la
possibilité d'appliquer la législation relative aux offres au
public de titres financiers aux ICOs, ce qui impliquerait la rédaction
d'un prospectus conforme à la législation. L'AMF reprend la
définition des titres financiers de l'article L.211-1 du code
monétaire et financier énumérant les trois types de titres
financiers que nous avons vu dans l'introduction pour répondre à
cette question.
L'AMF considère que les tokens ne peuvent être
qualifiés de titres de capital car les émetteurs, rarement
dotés de la personnalité morale ne possèdent pas de
capital social et que tous les tokens n'y donnent pas accès. Pour
être qualifié ainsi les tokens devraient conférer des
droits politiques et financiers similaires à ceux que les actions
octroient, et l'émetteur pourrait être qualifié en
société créée de fait, afin de lui octroyer la
personnalité morale. Cependant, si pour l'AMF cette qualification est
envisageable, pour Thierry Bonneau, la société
créée de fait n'a pas de personnalité morale et reste donc
un obstacle à la qualification de titres financiers41.
En l'état actuel de la définition de titres de
créance, la qualification des ICOs est rejetée par l'AMF.
Cependant, elle précise que si la définition venait à
évoluer en prenant en considération la possibilité que
l'objet de la créance puisse être autre chose qu'une somme
d'argent, la qualification des ICOs comme titres de créance pourrait
être envisageable. Cette précision a toutefois pu être
jugée inopportune42.
39 AMF, « Synthèse des réponses
à la consultation publique», p.3
40 R. OPHELE, intervention devant la Mission d'information sur
les « Monnaies virtuelles », 5 av 2018, p.3
41 T. BONNEAU, « « tokens », titres financiers ou
biens divers ? », Revue de Droit bancaire et financier n°1,
janv 2018, repère 1
42 Ibid
15
La qualification en tant que parts ou organismes de placement
collectif est également rejetée car les ICOs n'ont pas pour objet
de gérer des portefeuilles de titres financiers et de
dépôts pour le compte d'investisseurs. L'AMF analyse, en outre, si
les ICOs peuvent correspondre au financement participatif, aux placements
collectifs, et en conclut également par la négative.
Dès lors puisque les tokens ne peuvent être
qualifiés de titres financiers, la réglementation relative
à l'offre au public de titres financiers ne s'applique pas en
l'état actuel de la législation et des droits que
confèrent les ICOs aux investisseurs. Mais cette analyse est
critiquée car l'article L.211-1 du Code monétaire et financier
énumère les titres financiers mais ne les définit
pas43.
§2. La qualification en bien
divers
L'AMF analyse finalement si les ICOs pourraient être
qualifiés de bien divers. Elle définit un bien comme « toute
chose susceptible d'être appropriée et qui présente une
certaine utilité économique permettant sa
circulation44.» Ainsi, cette définition correspond aux
tokens puisqu'ils « peuvent être appréhendés par leurs
souscripteurs, lesquels les acquièrent à titre onéreux
auprès d'un émetteur et peuvent les utiliser pour accéder
à certains services ou les céder à un
tiers45.»
L'AMF relève que les jetons sont susceptibles d'entrer
dans les deux catégories d'intermédiaires en biens divers en
prenant en compte la nature des jetons, or selon un auteur, même si cette
qualification reste la plus pertinente, « c'est moins la personne de
l'intermédiaire que les biens eux-mêmes qui doivent être
pris en considération46.» L'article L.550-1 du code
monétaire et financier ne définit pas de manière
précise les biens divers et pourtant l'AMF fait entrer les ICOs dans
cette catégorie sans démontrer la cohérence de cette
qualification. Ainsi, pour cet auteur, « rien ne sert à forcer les
catégories juridiques et à se mettre en marge de l'état de
droit alors que l'adoption d'un nouveau texte ne devrait pas faire peur au
législateur. » D'autres avis, figurant dans la synthèse des
réponses à la consultation publique considèrent
également cette qualification comme problématique ou
relèvent son caractère inadapté47.
Ce régime semble toutefois inadapté car les ICOs
se passent de tout intermédiaire en ayant recours à un smart
contract48 et à l'inscription sur une chaîne de
blocs pour émettre leurs jetons. Le régime des biens divers
comprend deux volets : l'un relatif à l'obligation d'information du
public49 et l'autre à l'encadrement de
l'intermédiaire50. Pour que le régime soit
adapté, il faudrait adapter les informations aux caractéristiques
des ICOs et appliquer ces obligations à l'émetteur et non pas
l'intermédiaire, puisque par principe il est absent lors d'une ICO. Le
délai d'examen du document d'information devrait également
être raccourci (actuellement de deux mois) afin de s'adapter au besoin de
rapidité des ICOs. Mais, qu'en est-il du jeton qui ne répond ni
à la qualification de valeur mobilière, ni à celle de bien
divers ? En l'état actuel de la législation, il relèverait
d'une qualification encore non envisagée, et si aucun régime
juridique ne permet de le qualifier, d'aucun régime.
De plus, une qualification propre à chaque type de
jeton n'est pas la meilleure solution comme le relève l'AMAFI, en effet,
une ICO peut émettre différents jetons pour une même
émission (les ICOs « multi-tokens ») et qu'un jeton peut
également changer de nature et donc de forme juridique au cours de son
existence. Nous verrons par la suite les solutions envisageables pour pallier
ce problème.
43 ibid
44 AMF, « Document de consultation sur les initial coin
offerings », p.9
45 Ibid
46 T.BONNEAU, Revue de Droit bancaire et financier
n°1
47 AMF, « synthèse des réponses à la
consultation publique», p.9-10
48 Contrat intelligent
49 C. mon. fin., art L.550-3 à L. 550-5 ; RG AMF, art
441-3 ; art 12 à 14 de l'instruction AMF (DOC- 2017-06)
50 C. mon. fin., art, L. 550-1 et L. 550-2 ; RG AMF, art 441-1 et
441-2
16
Section II. La qualification juridique des jetons
à l'étranger
Le phénomène étant mondial il est
intéressant de comprendre comment les autres états
réagissent, afin de comprendre les différents axes de
régulation possible.
Nous scinderons en deux l'agrégation des
différents comportements législatif relevés. Dans un
premier temps les états qui font preuve d'une certaine passivité
législative ( 1) puis, ceux qui à l'inverse agissent, que ce soit
en faveur, ou en défaveur des ICOs (§2).
§1. Une application de la législation de
l'offre au public de titres financiers aux ICOs remplissant les conditions,
laissant un flou juridique
Aux Etats-Unis, «The Howey Test» issu
d'une décision de la Cour suprême51 est utilisé
pour déterminer si une ICO constitue une offre de titres financiers ou
non. Cependant si ce test pose les fondations de la classification
utilisée par la Security Exchange Commission
(SEC)52, celle-ci se réserve le droit de rendre son
jugement au cas par cas53. Cette analyse, puisqu'elle est
effectuée une fois l'ICO émise, créée une
insécurité juridique pour les investisseurs qui peuvent voir
leurs ICOs annulées ou etre sanctionnés en cas de non-respect de
la réglementation qui s'applique.
En Suisse, la FINMA, constatant une hausse des ICOs sur son
territoire a publié une communication dans laquelle elle indique que les
ICOs peuvent entrer dans le champ d'application du droit prudentiel existant.
Les jetons émis peuvent etre considérés comme des valeurs
mobilières et une autorisation en tant que négociant en valeur
mobilière peut etre nécessaire pour l'émetteur. Les
émetteurs doivent donc s'assurer de respecter les obligations
découlant des lois s'appliquant à leurs cas54. Face
à l'incertitude des émetteurs sur la législation
applicable à leurs situations, de nombreuses questions furent
posées à la FINMA. Celle-ci a donc publié les principes
généraux qu'elle suit pour appliquer au cas par cas la
législation en vigueur selon la fonction économique des
jetons55. Cependant, si des précisions ont été
apportées, la FINMA relève que les ICOs,
soulèvent différentes questions juridiques pour
lesquelles il n'existe pas actuellement de jurisprudence applicable ni de
doctrine juridique uniforme. Aucune évaluation abstraite d'ordre
général et définitive concernant le droit des
marchés financiers applicable n'est possible, notamment en raison des
formes très différentes que peuvent prendre les jetons et les
ICO56.
En conclusion, en Suisse comme aux Etats-Unis, l'application
du droit en vigueur aux ICOs est source d'incertitudes.
§2. De l'interdiction à
l'invitation
En Chine, en Corée du Sud et en Egypte, les
autorités ont purement et simplement interdit les ICOs.
La Russie prépare une loi visant à
réguler les ICOs, le projet est en discussion mais parmi les
recommandations figureraient les dispositions qui suivent.
L'accréditation des organisateurs d'une ICO serait accordée pour
une période de 5 ans, elle serait volontaire et contrôlée
par le MimComSyvaz (ministère des télécoms et des
communications de masse). Parmi les dispositions obligatoires, qui devront etre
appliquées par les entreprises agrées, figurent l'obligation,
51 U.S. SUPREME COURT, « SEC v. Howey Co. », 328 U.S.
293 (1946), No. 843, 27 mai 1946
52 Organisme fédéral américain de
réglementation et de contrôle des marchés financiers
53 « ICO Law and Compliance: Is Your ICO Subject To
Regulation? » Draglet Blog
54 FINMA, « Communication FINMA sur la surveillance
04/2017», 29 sept 2017, p.3
55 FINMA, « Guide pratique pour les questions concernant les
ICO », 16 fév 2018, p.1
56 Ibid, p.2
17
d'enregistrement de l'ICO et pour les émetteurs et
d'avoir un capital social d'au moins 100 millions de roubles (1 385 150 euros).
Les organisateurs devront être titulaires d'une licence pour
développer, produire et distribuer des produits cryptographiques, avoir
un compte bancaire russe pour la transmission de l'argent collecté
auprès de l'ICO et l'émission des jetons numériques devra
être appuyée uniquement en roubles. Les organisateurs d'ICO
devront également être en mesure de racheter les parts des
investisseurs au prix de vente avec les fonds levés lors de l'ICO.
Certains experts considèrent que cette régulation pourrait
inciter les investisseurs potentiels à effectuer leurs ICOs dans un
autre pays car en plus d'être contraignante pour les émetteurs,
elle n'aborde pas, selon ces recommandations, les points les plus utiles pour
sécuriser et protéger les investisseurs au regard des
caractéristiques et dangers propres aux ICOs57.
Malte adopte une approche bien différente, le 13 avril
dernier, l'autorité de services financiers maltaise a publié un
document de consultation sur l'introduction du «Test de l'instrument
financier » (Financial Instrument Test) qui permettrait de
déterminer si les tokens d'une ICO sont soumis au régime des
valeurs mobilières et donc à la législation relative aux
offres au public de titres financiers, notamment la directive MiFID II. S'ils
ne sont pas qualifiés comme tels, ils entrent dans une catégorie
régulée par la loi sur les actifs financiers virtuels
(Virtual Financial Assets Act) dont le contenu précis n'a pas
encore été dévoilé. Malte propose donc un
régime hybride entre droit national et communautaire qui permet de
réguler toutes les ICOs, en prenant en compte les différents
types de tokens et en définissant un cadre juridique clair et novateur
pour les crypto-actifs. Malte souhaite ainsi attirer les émetteurs sur
son territoire afin de devenir « l'ile de la
blockchain58».
Les approches sont donc plurales et différentes
démontrant la difficulté pour le législateur à
réguler ce nouveau phénomène.
Titre II. Face à l'insécurité
juridique, une régulation nécessaire
Le cadre juridique des ICOs est flou, et source
d'insécurité juridique. Les investisseurs ne sont pas
suffisamment protégés, c'est pourquoi une réglementation
propre aux ICOs semble nécessaire (Chapitre 1). Tout comme concernant
les titres cotés, admis aux négociations d'un dépositaire
central où la législation n'admettant pas l'utilisation d'un DEEP
ne permet pas son utilisation dans un cadre sécurisé (Chapitre
2).
Chapitre 1. Une réglementation spécifique
des ICOs inéluctable
L'autorégulation qui a pu être mise en oeuvre est
insuffisante pour protéger les investisseurs (Section I), c'est pourquoi
les différents acteurs de la chaîne de blocs se positionnent en
faveur d'une réglementation (Section II).
Section I. Une autorégulation non
satisfaisante
Du fait de l'objectif initial d'émancipation des
autorités centrales poursuivi par la blockchain peut-on
envisager une autorégulation de celle-ci ? Il nous semble que non, de
par le besoin de sécurité des investisseurs ( 1) qui ne peut
être satisfait par une (auto)régulation insuffisamment robuste
(§2).
57 « Quand la Russie se lance dans la réglementation
des ICO », Journal du Coin, 3 avril 2018
58 « Malte définit un cadre juridique clair sur les
cryptoactifs » Journal du Coin, 23 Avril 2018
§1. 18
Une sécurité
nécessaire
Au départ, les investisseurs participant aux ICOs
étaient des experts et les émetteurs constituaient un petit
milieu de spécialistes, connus et reconnus, dont les investisseurs
pouvaient jauger la valeur. Or désormais les ICOs s'adressent
également à des investisseurs profanes, une
sécurité plus forte devient nécessaire pour les
protéger. Comprendre si une ICO a un intérêt
économique, si elle est viable et robuste nécessite des
connaissances en cryptographie qui ne sont pas communes et les conseillers
extérieurs n'offrent aucune garantie certifiée de leur
impartialité.
Le flou juridique qui entoure les ICOs n'est pas propice
à l'expansion du système car la confiance est un prérequis
nécessaire pour un investissement. La liberté amène une
insécurité et peut nuire à une compétitivité
saine et à la confiance des investisseurs.
§2. Une autorégulation insuffisante pour
garantir la protection des investisseurs
Certains arguent pour une régulation du système
par lui-même, des initiatives ont d'ailleurs vu le jour telles que
ConsenSys Diligence, Project transparency ou encore
l'élaboration d'un Code de conduite par l'association Suisse Crypto
Valley59 ou le « Security Law
Framework60». En France une autorégulation s'est
mise en place rapidement via l'AMF à titre non officiel, les
émetteurs français consultaient l'AMF avant d'émettre sur
le marché, c'est pourquoi les ICOs en France sont moins nombreuses et de
bonne qualité. Or si cela fonctionne en France, ce n'est pas le cas pour
d'autres pays, où ce type d'autorégulation ne s'est pas mis en
oeuvre. De plus, pour combien de temps cette autorégulation
fonctionnera-t-elle encore ? Toutes ces initiatives ne sont pas contraignantes,
tout émetteur d'ICO n'est pas dans l'obligation de respecter un code de
conduite, ces initiatives sont basées sur une démarche proactive
des utilisateurs. Dès lors, cela n'est pas suffisant pour
protéger les investisseurs et garantir la confiance61.
D'autant que certaines agences de notation sont
considérées comme non fiables62 et effectuent pour
certaines un travail d'analyse technique superficiel, examinant d'avantage le
potentiel économique, que les risques des projets63. De plus
en plus d'acteurs s'élèvent contre le manque de transparence des
ICOs, pourtant condition essentielle à leur bon fonctionnement. On
retrouve ce manque de transparence dans la technologie employée
où les smart contracts ne sont déployés
qu'à l'issu de l'opération et où il est impossible de
connaître en temps réel le montant des fonds levés
où d'autres qui changent le « soft cap », c'est
à dire le montant qui s'il n'est pas atteint déclenche le
remboursement des investisseurs, en pleine levée de fonds. Egalement le
rôle des conseillers, qui sont des personnalités reconnus dans le
milieu de la blockchain et qui étudient le projet est flou et
les modalités de leur participation restent très incertaines. Ces
conseillers apportent une caution aux ICOs, par exemple le projet TheDAO
en 2016 avait bénéficié de conseillers prestigieux,
apportant du crédit au projet qui a fait une levée record de
fonds et qui a été piraté du fait d'une faille dans le
code64.
Section II. Les acteurs en faveur d'une
législation
La plupart des acteurs, privés ( 1) comme
institutionnels (§2), conscients de ces enjeux souhaitent donc une
intervention législative afin de pallier ces problèmes.
59 CRYPTO VALLEY ASSOCIATION, « ICO Code of Conduct »,
8 janv 2018
60 COINBASE, COIN CENTER, « A Securities Law Framework for
Blockchain Tokens », 7 déc 2016
61 AMAFI, « Consultation AMF sur les ICOS », p.22
62 Conférence « Blockchains et cryptomonnaies :
hors-la-loi ? », Nanterre, 23 mars 2018
63 A. STACHTCHENKO, « ICO : l'impératif de la
transparence », Medium, 5 octobre 2017
64 S. POLROT, « The DAO : post mortem », 24 janvier
2017
§1. 19
Les acteurs privés
C'est le désir d'une régulation propre aux ICOs
qui ressort des réponses à la consultation lancée par
l'AMF dans laquelle elle envisageait trois alternatives pour encadrer
l'émission de jetons. Les deux tiers des répondants65
ont opté pour la mise en place d'un cadre juridique propre aux ICOs, sur
option pour les émetteurs. La législation actuelle semble en
effet mal adaptée aux jetons assimilables à des valeurs
mobilières cette option semble donc la plus pertinente.
A également été indiqué de
manière unanime qu'un document d'information était
nécessaire pour les acheteurs de jetons. Ce document devrait comporter
des informations sur le projet et son évolution, les droits
conférés par les jetons, le traitement comptable des fonds
levés, l'identification de la personne morale responsable de l'offre
ainsi que leurs dirigeants fondateurs et leurs compétences. L'AMF (ou
une institution ad hoc) pourrait accorder un visa à ce document. «
Enfin, la grande majorité des répondants est favorable à
l'instauration de règles permettant d'assurer le séquestre des
fonds levés et à la mise en place d'un dispositif de
prévention du blanchiment et du financement du terrorisme66.
»
Ainsi, les différents acteurs qui représentent
un large spectre (les réponses émanent d'acteurs de
l'économie numérique, de particuliers, de professionnels de la
finance, d'infrastructures de marchés, d'universitaires et de cabinets
d'avocats), souhaitent l'instauration d'un cadre juridique protecteur pour les
investisseurs.
§2. Les acteurs
institutionnels
Le président de l'AMF a énoncé les quatre
priorités de l'autorité concernant les crypto-actifs. Ainsi l'AMF
entend assurer qu'une information pertinente sur le produit soit
délivrée, augmenter la transparence sur les émetteurs et
les investisseurs, mettre en oeuvre un mécanisme de formation des prix
qui soit transparent, assurer l'intégrité du marché, et
garantir une sécurité de la chaîne de marché tant
d'un point de vue juridique (preuve de la détention de l'actif),
qu'opérationnel (solidité du dispositif par rapport aux cyber-
risques, par exemple)67.
Sous la qualification en bien divers, les pouvoirs de l'AMF
restent limités, en effet, l'approche actuelle ne permet pas de couvrir
l'ensemble des offres crypto-actifs et est difficilement transportable à
un niveau européen, voire mondial. Le président de l'AMF a
d'ailleurs émis la conclusion qu'il y a « urgence à
légiférer mais à légiférer dans un esprit
d'ouverture car nous sommes face à un phénomène dont on
n'a pas encore pris toute la mesure68.»
L'AMAFI et le LabEx ReFi relèvent que si une
législation au niveau européen est nécessaire,
l'utilité d'une réglementation française préalable
l'est tout autant. Non seulement parce qu'une législation
européenne prendra du temps et qu'il faut agir rapidement, mais
également pour que la France pose les principes autour desquels un cadre
européen pourrait être élaboré69.
65 AMF, « Communiqué de presse du 22 février
2018 : L'AMF publie la synthèse des réponses apportées
à sa consultation publique sur les initial coin offerings (ICO) »,
22 février 2018
66 Ibid
67 R.OPHELE, intervention devant la Mission d'information sur les
« Monnaies virtuelles », p.4
68 Ibid, p.11
69 AMAFI, « Consultation AMF sur les ICOS », p.2
20
Chapitre 2. L'hypothèse d'une application
à droit constant des règles concernant l'offre au public de
titres financiers
Les principales règles s'appliquant aux
émetteurs d'offres au public de titres financiers sont relatives au
prospectus. Nous allons donc analyser si l'utilisation de la technologie de
registre distribuée serait compatible avec la législation en
vigueur (Section I). Nous analyserons ensuite, au niveau du marché
secondaire, comment la technologie de la chaîne de blocs peut
s'insérer dans le cadre législatif actuel, et si cette insertion
est satisfaisante (Section II).
Section I. L'application du prospectus
Dès lors qu'il y a une offre au public de titres
financiers, les règles relatives au prospectus s'appliquent, ainsi les
dispositions en vigueur ( 1) pourraient-elles empêcher une
éventuelle utilisation de la chaîne de blocs (§2) ?
§1. Les règles régissant le
prospectus
Les personnes ou entités qui procèdent à
une offre au public au sens de l'article L. 411-1 du code monétaire et
financier qui souhaitent obtenir le visa de l'AMF sur un prospectus,
déposent un projet de prospectus dans les formes prévues par le
règlement délégué (UE) 2016/301 du 30 novembre
2015.
L'article 212-21 du règlement général de
l'AMF, précise que le dépôt du projet de prospectus doit
être accompagné de la remise à l'AMF de la documentation
nécessaire à l'instruction du dossier. Cette documentation
contient notamment des documents relatifs à la société et
aux procès verbaux ayant autorisés l'admission ou
l'émission des titres financiers concernés70.
Selon l'article 212-7 du règlement de l'AMF, le
prospectus contient toutes les informations qui sont nécessaires pour
permettre aux investisseurs d'évaluer en connaissance de cause le
patrimoine, la situation financière, les résultats, et les
perspectives de l'émetteur et des garants éventuels des titres
financiers qui font l'objet de l'offre au public. Doivent également
être indiqués les droits attachés à ces titres
financiers et les conditions d'émission de ces derniers. «
L'information donnée au public par l'émetteur doit être
exacte, précise et sincère71. » Un contrôle
des informations délivrées est effectué et les comptes
annuels, consolidés ou intermédiaires sont vérifiés
par les contrôleurs légaux72.
Le prospectus doit permettre une identification des personnes
responsables de celui-ci73. C'est cette personne qui dépose
le projet de prospectus auprès de l'AMF et le signe. Cette signature est
source de responsabilité, d'autant qu'elle est
précédée d'une attestation certifiant qu'à sa
connaissance, les données du prospectus sont conformes à la
réalité et ne comportent aucune omission74.
L'AMF peut suspendre voire interdire l'offre au public ou
l'admission aux négociations sur un marché
réglementé dès lors qu'elle a des motifs raisonnables de
soupçonner que le projet ou que l'offre au public est contraire aux
dispositions législatives et réglementaires qui lui sont
applicables75.
70 Art 2, Instruction AMF du 21 Octobre 2016, (DOC-2016-04)
71 RG AMF, art 223-1
72 Sur les modalités de contrôle : RG AMF, art
212-15
73 RG AMF, art 212-14
74 T. BONNEAU, F. DRUMMONT, Droit des marchés
financiers, Broché, 22 mars 2010, p. 809
75 RG AMF, art 213-1 et 213-2
21
§2. Ne remettent pas en cause l'utilisation de
la technologie de la chaîne de blocs
Rien dans la législation applicable au prospectus ne
dispenserait un émetteur utilisant la technologie blockchain
qui procède à une offre au public de titres financiers
d'outrepasser ces règles. Ces règles s'appliquent à toute
offre au public, indépendamment de la technologie employée pour y
procéder. Ces obligations sont en effet d'ordre informatives et
l'utilisation d'une technologie ou d'une autre ne modifie pas la
nécessité d'obligation d'information qui pèse sur les
acteurs. Les émetteurs utilisant la technologie blockchain se
doivent de remplir les exigences vues ci-dessus, notamment celles
d'identification d'un responsable ou encore la nécessité de
constitution d'une société. Des problèmes peuvent ainsi se
poser en cas d'utilisation d'une blockchain publique pour ces
informations, mais il est difficilement concevable de réaliser une offre
au public de titres financiers sans être une société et
sans responsable, sans profondément remanier la législation
applicable aux offres au public et tout en proposant un cadre
sécurisé pour les investisseurs.
Les émetteurs d'ICOs ne sont pas soumis à cette
obligation de prospectus attendu que les ICOs ne répondent pas aux
caractéristiques d'une offre au public de titres financiers, puisqu'un
jeton ne constitue juridiquement pas un titre financier selon l'AMF. Cependant,
un règlement prospectus entrera en vigueur à compter du 21
juillet 2019 remplaçant la directive actuelle. Ce règlement
s'appliquera aux offres au public « de valeurs mobilières »
à comprendre dans le sens de la directive MiFID 2. Or, comme le fait
remarquer le président de l'AMF, cette définition est plus large
que celle de titres financiers figurant dans le Code monétaire et
financier. En effet, les « valeurs mobilières » sont
définies en droit européen comme « les catégories de
titres négociables sur le marché des capitaux76.
»
Dès lors les jetons compris dans une ICO pourraient-ils
entrer dans cette catégorie ? Pour répondre à cette
question, il convient de savoir si un titre peut comprendre un droit qui ne
représente pas de manière intrinsèque un droit
financier77. C'est l'Autorité Européenne des
Marchés Financiers (AEMF) qui devra répondre à cette
question, même si le président de l'AMF s'est déjà
positionné par la négative afin de respecter l'orientation des
avis reçus dans le cadre de la consultation publique. Il relève
que malgré les avantages (prendre en considération les risques de
ces opérations, leur montant élevé et appliquer aux ICOs
les règles relatives au marché secondaire de la directive MIF)
cette solution présente de nombreux inconvénients car cela
segmenterait le périmètre entre jetons ayant vocation à
être des instruments de paiement et ceux qui disposent d'une valeur
d'usage. De plus, imposer une réglementation prospectus semble
inopportune, cela aboutirait à traiter ces offres dans un processus
inadapté qui ne permettrait pas d'établir des garanties
adéquates en fonction des risques spécifiques, puisque le
prospectus ne garantit que la qualité de l'information.
Si un jeton entre dans la catégorie de valeur
mobilière, dès lors il devrait se voir appliquer la
réglementation relative au prospectus. L'AMAFI et le LabEx ReFi
considèrent que cette législation serait inadaptée, c'est
pourquoi ils proposent, si un régime spécifique n'est pas mis en
oeuvre, de prendre en considération la particularité des ICOs
lors de la modification de la directive prospectus.
Section II. Les règles relatives au marché
secondaire
Il convient ensuite d'analyser les règles applicables
au marché secondaire où l'utilisation de la technologie de la
chaîne de blocs pourrait connaître de nombreuses applications et
analyser si les règles en vigueur sont suffisamment larges pour
sécuriser cette utilisation ( 1) ou si un nouveau cadre
législatif doit voir le jour pour prendre en compte les
spécificités qui découleraient de l'utilisation de cette
technologie (§2).
76 Robert OPHELE, intervention devant la Mission d'information
sur les « Monnaies virtuelles », p.5
77 Ibid
§1. 22
Une mise en lumière du flou
juridique
L'AEMF s'est interrogée sur l'application potentielle
de la technologie de registre distribués aux marchés
financiers78. Après avoir démontré les
potentialités de son utilisation, l'autorité a envisagé la
possibilité de son utilisation d'un point de vue
réglementaire.
L'AEMF prévient dans un premier temps les utilisateurs
que la législation actuelle peut s'appliquer à la technologie des
registres distribués. Elle analyse les principales législations
en vigueur. A savoir, le règlement du 4 juillet 2012 sur les produits
dérivés de gré à gré, les contreparties
centrales et les référentiels centraux79, la directive
du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du
règlement dans les systèmes de paiement et de règlement
des opérations sur titres80, le règlement du 23
juillet 2014, concernant l'amélioration du règlement de titres
dans l'Union européenne et les dépositaires centraux de
titres81, ainsi que la directive du 21 avril 2004 concernant les
marchés d'instruments financiers82.
Concernant les activités de compensation, elles sont
régulées par le règlement du 4 juillet 2012 et la
directive du 21 avril 2004, modifiée depuis83 sans changer
les règles étudiées ci-dessous. L'article 29 1) de la
directive de 2004 pose une obligation de compensation concernant les
marchés réglementés pour les produits
dérivés négociés en bourse. Ces entités sont
soumises à des autorisations et ont des obligations. Ainsi une
contrepartie centrale est nécessaire mais différentes solutions
sont envisageables pour remplir cette condition.
Ensuite, concernant les activités de règlement,
elles sont régulées par le règlement du 23 juillet 2014 et
la directive du 19 mai 1998. L'AEMF rappelle les exigences du règlement,
notamment que « tout émetteur établi dans l'Union qui
émet ou a émis des valeurs mobilières admises à la
négociation ou négociées sur des plates-formes de
négociation veille à ce que ces valeurs mobilières soient
inscrites en compte en tant qu'immobilisation ou après l'émission
directe sous forme dématérialisée84. » Et
pose ensuite deux hypothèses.
Soit le réseau DLT n'est pas désigné
comme système de règlement-livraison : la directive de 1998 n'est
alors pas applicable et dès lors le réseau DLT ne peut pas etre
qualifié dépositaire central de titres.
Soit, au contraire, le réseau DLT est
désigné comme système de règlement-livraison, la
directive de 1998 est alors applicable et le réseau a besoin d'un
dépositaire central soumis aux exigences du règlement de 2014.
L'article 18.2 dudit règlement précise que « les
systèmes de règlement de titres ne peuvent etre exploités
que par des DCT agréés ». Les exigences et conditions
relatives à un dépositaire central devront dès lors etre
remplies. Cette hypothèse est partagée par le rapport de la Place
de Paris, « dans la mesure où le CSDR est d'application directe,
l'utilisation de DLT pour les activités de post-marché et de
tenue de compte sur titres cotés requiert donc pour l'opérateur
de la DLT, dans l'état actuel de la réglementation, l'obtention
d'une licence de Central Securities Depository85.»
§2. Une législation adaptée
nécessaire
Comme nous venons de le voir l'utilisation de cette
technologie est soumise à la législation actuelle, or selon
l'AEMF, « la capacité de la DLT à s'ajuster à la
législation actuelle peut limiter
78 ESMA, « The Distributed Ledger Technology applied to
securities markets »
79 Règl. (UE) 648/2012 du 4 juil 2012
80 Dir. 98/26/CE du 19 mai 1998
81 Règl. (UE) 909/2014 du 23 juil 2014, modifiant les dir.
98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règl. (UE) 236/2012
82 Dir. 2004/39/CE du 21 av 2004
83 Dir. 2014/65 /UE du 15 mai 2014 modifiant la dir. 2002/92/CE
et la dir. 2011/61/UE.
84 Art. 3(2) Règl. du 23 juillet 2014, 909/2014
85 PARIS EUROPLACE, p°35
23
son déploiement86.» La
législation n'est en effet pas adaptée à la technologie
blockchain, elle est ajustée à un système
centralisé. À travers cette analyse, on comprend également
que l'application des directives et règlements en matière de
règlement-livraison est floue, c'est pourquoi une intervention semble
bienvenue, ne serait-ce que pour éclaircir l'application ou non de la
législation actuelle à la technologie de la chaîne de
blocs.
Mais la régulation apparaît nécessaire
également pour des questions de sécurité. En effet, selon
l'AEMF en l'absence de contrôle adéquat, la technologie de
registre distribuée est notamment exposée au risque de
blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes.
L'usage de clefs publiques et privées rendent plus simple la
dissimulation d'identité et l'historique des transactions. Le
problème est que les entités responsables de la mise en oeuvre
des procédures de précaution sont listées, nous y
reviendrons plus tard. La technologie blockchain peut également
contribuer à augmenter l'interconnexion entre les acteurs du
marché, ce qui pourrait augmenter la diffusion d'une crise
financière en augmentant les risques de propagation dû à la
forte interconnexion des marchés. De plus, le fait d'avoir un unique
système de référence, plus automatisé et plus
harmonisé contribue à unifier les comportements et donc augmenter
la volatilité des marchés en temps de tension. Des règles
propres à ce type de risque devraient donc être mises en oeuvre
selon l'AEMF. Il faudrait également mettre en place des contrôles
pour que certains participants du réseau n'utilisent pas de
manière indue les informations enregistrées dans le réseau
(par exemple, les transactions récentes faites par des
concurrents87).
Il existe des zones d'insécurité dans le
déploiement de cette technologie à droit constant. Une
intervention semble donc nécessaire, notamment, comme l'indique l'AFG,
pour reconnaître les effets juridiques, en termes de transfert de
propriété et d'inscription d'une transaction dans une
chaîne de blocs. Une intervention semble également
nécessaire en termes de partage de responsabilité et enfin des
processus de back up et de remédiation seraient à prévoir
en cas de défaillance systémique, de fonctionnement contraire
à l'intention des parties ou de cybercriminalité88.
La France a déjà montré son interêt
à figurer parmi les pays leaders de la technologie blockchain,
et cela passe par une régulation. Le ministre de l'économie et
des finances, Bruno Lemaire, a en effet expliqué dans une tribune
vouloir « clarifier le droit pour attirer l'innovation, identifier les
risques sans entraver notre écosystème ».89 C'est
également l'avis de Guy Canivet « un cadre juridique pourrait
d'ailleurs être un important facteur d'attractivité, dans un
contexte où la maîtrise des règles du jeu, un niveau
européen et international, est intimement liée à la
capacité à accueillir des projets concrets de DLT90.
»
Concernant les ICOs le ministre a précisé dans
cette même tribune que « la France a tout intérêt
à devenir le premier grand centre financier à proposer un cadre
législatif ad hoc qui permettra aux entreprises initiant une ICO de
démontrer leur sérieux aux investisseurs potentiels ». C'est
dans cette visée que le projet de loi PACTE fut rédigée,
la réglementation qui devrait être mise en oeuvre concernant les
ICOs, que nous analyserons par la suite « permettrait de
développer
86 ESMA « The Distributed Ledger Technology applied to
securities markets, European Securities and Markets Authority », p.42
87 Ibid, p.17
88 AFG, « Réponse de l'AFG à la consultation
publique sur le projet de réformes législative et
réglementaire relatif à la Blockchain », 19 mai 2017, p.3
89 B. LE MAIRE, « Tribune : Cryptoactifs, blockchain &
ICO : comment la France veut rester à la pointe», 19 mars 2018
90 G.Canivet, premier président honoraire de la Cour de
cassation, ancien membre du Conseil constitutionnel, président du Haut
Comité juridique de la place financière de Paris «
Blockchain et régulation », La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires n° 367, sept 2017
24
en France les projets les plus sérieux91
» selon l'AMF. Une mission d'information a également
été constituée à l'assemblée
nationale92 démontrant encore une fois l'interêt que
représente la question blockchain.
Comme nous l'avons vu une intervention est nécessaire
sur le marché primaire, afin de conférer aux ICOs un cadre
juridique plus adapté et résoudre les problèmes
posés par la qualification des jetons en biens divers, mais l'est tout
autant concernant le marché secondaire. Sans aucune intervention
législative, ne serait-ce que pour reconnaître l'utilisation de la
technologie de la chaîne de blocs, cette technologie risque d'être
étouffée par la législation ou par
l'insécurité juridique. En effet, les différentes normes
et agréments ont été mis en place pour réguler un
système centralisé, l'introduction de la technologie de registre
décentralisée pose donc de nombreux problèmes. Dès
lors dans quelle mesure intervenir ? Que réguler exactement et comment
?
91 Robert OPHELE, intervention devant la Mission d'information
sur les « Monnaies virtuelles », p. 9
92 ASSEMBLÉE NATIONALE, Mission d'information commune sur
les usages des bloc-chaînes (blockchains) et autres technologies de
certification de registres
25
Partie II. Une régulation difficile à
appréhender
Nous avons compris que des règles spécifiques
sont nécessaires afin d'assurer la mise en oeuvre effective de la
technologie blockchain. Toutefois, il convient de savoir comment
réguler. Savoir s'il est nécessaire d'élaborer une
réglementation propre à la technologie blockchain ou si
le droit commun peut s'adapter à celle ci en intégrant la
technologie au cadre législatif déjà existant, comme l'a
fait l'ordonnance du 8 décembre 2017 (Titre I). Il convient
également de s'interroger sur la compatibilité de cette
technologie avec les droits existants ne concernant pas directement le droit
des marchés financiers (Titre II).
Titre I. Comment réguler ?
Il existe trois types de facteurs clefs pour une application
effective de la technologie blockchain aux marchés
financiers93. Premièrement, des facteurs environnementaux
incluant l'acceptation institutionnelle de la technologie, notamment par la
régulation, et le facteur de marché qui comprend la taille, la
structure, les pratiques, les conditions législatives et le niveau de
coordination des différents acteurs. Deuxièmement des facteurs
technologiques qui comprennent la maturité de la technologie et son
interopérabilité avec les systèmes existants.
Troisièmement, des facteurs financiers, à savoir si le projet
offre un retour sur investissement suffisant.
De ces facteurs va dépendre l'application plus ou moins
large de la technologie blockchain aux marchés financiers. En
l'espèce, le premier facteur intéresse grandement l'objet de ce
mémoire. C'est pourquoi nous analyserons comment la régulation
peut permettre, soutenir, voire étouffer le développement de
cette technologie selon la régulation choisie, voire selon les
impératifs qui relèvent de la matière.
Nous allons dans un premier temps analyser dans quelles
conditions une régulation peut avoir lieu à droit constant,
faisant de l'utilisation de la technologie blockchain non pas une
révolution, mais une évolution au service des acteurs
déjà en place sur le marché (Chapitre 1). Puis dans un
second temps nous comprendrons que pour permettre une utilisation massive du
registre distribué dans les marchés financiers, « une
révolution blockchain », la réglementation actuelle
concernant l'offre au public de titres doit être bouleversée
(Chapitre 2).
Chapitre 1. Les conditions d'une régulation
à droit constant
Actuellement il semble que l'approche consiste davantage
à ajouter des règles complémentaires à la
législation existante pour reconnaître l'utilisation de la
technologie, comme le confirme l'ordonnance du 8 décembre 2017,
plutôt que de créer un système juridique nouveau propre
à la blockchain. Cela semble opportun car les services
financiers qui font usage de la technologie de la chaîne de blocs font
déjà l'objet d'une réglementation. Ces activités
sont en effet réglementées de par leur nature même, ce que
l'usage de la technologie blockchain ne change pas.
Ainsi Thierry Bonneau et Thibault Verbiest94 ne
voient aucune raison de soustraire les Fintechs95 de la
supervision des autorités bancaires et financières existantes. Le
seul usage d'une
93 COMITEE ON PAYMENTS AND MARKET INFRASTRUCTURES, «
Distributed ledger technology in payment, clearing and settlement »,
p.11
94 T. Bonneau et T. Verbiest, Fintech et droit
95 Start-ups proposant des initiatives dans le domaine bancaire
et de la finance
26
technologie innovante ne justifie pas une supervision
particulière, même si elles poussent le régulateur a faire
preuve de souplesse afin de ne pas étouffer les innovations.
Section I. La régulation à droit constant
concernant le marché secondaire
Il convient de s'interroger sur les conséquences
juridiques possibles de l'utilisation de la technologie blockchain sur
l'offre au public de titres financiers (§1), voire sur les
conséquences de la réglementation sur cette technologie. En
effet, une régulation à droit constant semble favoriser la mise
en oeuvre de blockchains privées permettant aux tiers de
confiance de garder une place centrale, mais remodelant donc l'idée de
la chaîne de blocs originaire (§2).
§1. La blockchain au service des tiers de
confiance
Il faut peut-être voir dans la blockchain une nouvelle
technologie qui, appropriée par les institutions en place pourra
apporter des progrès importants. Elle ne remplacera alors pas le tiers
de confiance mais sera au service de ce dernier. La technologie pourra
remplacer toutes les opérations ou institutions qui ne sont que
matérielles, pour lesquelles il n'y a aucune valeur intellectuelle
ajoutée. Les registres classiques pourraient ainsi
disparaître96.
Nous allons donc analyser les deux acteurs qui interviennent
afin de comprendre ce que la blockchain pourrait leur apporter, et
dans quelle mesure la technologie pourrait être utilisée au sein
de la réglementation actuelle. Comme nous l'avons compris les
principales innovations peuvent avoir lieu au stade du marché
secondaire. Ainsi, interviennent à ce stade, la chambre de compensation
qui va garantir le règlement-livraison des transactions et absorber le
risque de contrepartie et également, un dépositaire central qui
tient des comptes-titres où s'opère le transfert effectif des
titres du vendeur à l'acheteur97. Analysons donc le
rôle spécifique de ces acteurs, afin de comprendre dans quelle
mesure la blockchain peut les soutenir, voire les remplacer.
Le mécanisme de compensation est défini par les
règles de compensation de LCH.Clearnet.SA98. Selon
l'étude réalisée par la bourse de Tokyo, étant
donné que les transactions sont inscrites les unes à la suite des
autres, il ne serait plus utile de recourir au mécanisme de compensation
car ce sont les mêmes transactions qui sont négociées,
réglées puis livrées. Le risque de marché et de
contrepartie serait nul du fait de la réduction des délais,
d'où la possibilité de supprimer la chambre de
compensation99. C'est également l'avis de la Place de
Paris100.
Les chambres de compensation ne sont plus obligatoires sur les
marchés réglementés depuis la transposition de la
première directive MIF101. Toutefois, le règlement de
l'AMF exige pour ces marchés un mécanisme de dénouement
des transactions102 et en contrôle les règles de
fonctionnement103. La compensation par une contrepartie centrale a
été rendue de nouveau obligatoire par les instruments
dérivés négociés sur un marché
réglementé104. En pratique, les règles de
marché d'Euronext prévoient le recours à une chambre de
compensation sur les marchés réglementés par LCH.Clearnet
SA105. Ainsi, le registre distribué pourrait remplacer la
chambre de
96 D. LEGEAIS, Jurisclasseur commercial
97 Ibid
98 Règles de compensation de LCH.Clearnet.SA, art.
1.3.1.5
99 D. LEGEAIS, Jurisclasseur commercial
100 PARIS EUROPLACE, p.48
101 Dir. 2004/39/CE du 21 avril 2004 transposée par l'ord.
n°2007-544 du 12 avril 2007
102RG AMF, art. 511-3, 2° et 511-8 4°
103RG AMF, art. 541-1
104Art 29 §1, Règl.(UE) 600/2014, du 15 mai 2014
105 Règles de marché harmonisées d'Euronext,
art 2502/2
27
compensation. Les règles à modifier se situent
au niveau de l'AMF et de l'entreprise de marché mais pas au niveau
Européen, en tout cas pour les instruments non dérivés
négociés sur un marché réglementé. De plus
lorsqu'elles sont obligatoires, les règles européennes sont
souples puisque le règlement EMIR n'exige que la personnalité
morale et permet aux états d'imposer des exigences
supplémentaires. Cependant comme nous le verrons dans le Chapitre 2,
pour supprimer complètement la chambre de compensation, une
reconnaissance des smart contracts est nécessaire.
Egalement, intervient le dépositaire central qui a une
place majeure dans l'organisation, la sécurité et la
stabilité des marchés financiers. Sa fonction première est
de faire le lien entre les sociétés émettrices de titres
financiers et celles qui conservent les titres des investisseurs. Il a
également une mission de gestionnaire de système de
règlement-livraison, puisqu'il assure la bonne circulation entre les
intermédiaires bancaires, des titres financiers, et des espèces
à échanger à la suite des
négociations106. Parmi ses obligations, le dépositaire
central enregistre les titres financiers composant chaque émission
admise à ses opérations dans des comptes et il ouvre des comptes
aux sociétés qui ont en conservation les titres financiers. Avec
cette double comptabilité, il garantit qu'il n'y a pas de
création ou de disparition de titres financiers au fur et à
mesure des échanges. Dès lors la technologie blockchain
peut remplir les fonctions technique d'un dépositaire central et
les simplifier. L'inscription en compte dans une chaîne de blocs peut en
effet garantir qu'aucun titre n'a été crée ou n'a disparu
par son registre infalsifiable et l'historique qu'elle propose.
Le dépositaire central est obligatoire concernant les
titres cotés et doit être agrée par l'AMF107. Il
est soumis à des règles prudentielles et organisationnelles. Les
règles prudentielles reposent notamment sur des exigences de capital,
sur une identification des risques auxquels ils sont exposés
(économiques, juridiques et opérationnels, notamment concernant
la sécurité des outils informatiques mis en oeuvre) et une
obligation de se doter de contrôles et procédures
appropriées pour les gérer. Concernant les règles
d'organisation, le dépositaire central doit mettre en oeuvre une
procédure de contrôle sur la gouvernance et la gestion des risques
de blanchiment afin d'assurer ses obligations en la matière. Ainsi un
dépositaire central qui utilise la technologie blockchain devra
s'assurer de respecter ces exigences.
Si le dépositaire central peut utiliser la technologie
blockchain, il semble difficile que la technologie blockchain
remplace le dépositaire central à droit constant. Comme nous
l'avons vu, un agrément sera en effet nécessaire et une
chaîne de blocs publique ne pourrait se voir octroyer le visa de l'AMF
aux vues des conditions à remplir. Par contre, le dépositaire
central pourrait utiliser en revanche une blockchain privée,
voire déléguer certaines de ses activités à une
legaltech utilisant une blockchain. La chaîne de blocs
semble donc pouvoir être davantage propice à être un outil
au service du dépositaire central que le remplacer, notamment à
droit constant.
Mais partant d'une vision plus globale, les tiers de confiance
ont un rôle plus large que leurs seuls apports techniques. Par exemple,
le processus de règlement-livraison qui a pour finalité le
transfert de propriété contre paiement, a également
d'autres tâches : établir la confiance avant le règlement
de la transaction, assurer la validité juridique des échanges, et
enfin, traiter des exceptions lorsque la confiance et la validité
juridique ne sont pas automatiquement établies. Ce rôle ne peut
pas être délégué aux sociétés
émettrices ou aux gouvernements en raison du désalignement des
motivations économiques que cela créerait. La confiance en les
droits que les titres portent est nécessaire pour permettre le
financement des entreprises sur le marché primaire ainsi que la
transformation des échéances, le stockage de la valeur, et la
couverture, sur les marchés secondaires. De plus, les tiers de confiance
permettent non seulement d'appliquer et faire appliquer la législation
en vigueur mais endossent également le rôle de responsable en cas
de problème.
Selon la BCE la possibilité que, à un moment
donné, les émissions de titres en circulation
106 AMF, «Les infrastructures de marché & de
post-marché »
Amf-france.org
107 C. mon. fin., art L.441-1 issu de l'art. 6 de l'ord.
n°2015-1686 du 17 déc 2015
28
puissent migrer en masse vers un grand livre distribué
est irréaliste, mais un système dual provisoire avec des
transactions réglées dans les systèmes traditionnels et
dans le DEEP, par leurs opérateurs actuels, est techniquement
réalisable.
§2. L'utilisation d'une blockchain
privée
Selon l'AFG, l'ordonnance du 8 décembre 2017 devait
être « axiologiquement neutre sur la technologie retenue par le DLT
et laisser aux opérateurs et émetteurs le choix de la
technologie108 » afin de ne pas brider ab initio le
développement et le mode de fonctionnement des DEEP. L'AFG
reconnaît toutefois qu'une blockchain publique serait plus
difficile à réguler malgré ses avantages en termes de
sécurité et de transparence. Le législateur ne s'est pas
encore positionné entre les différents types de blockchain
concernant les minibons et les titres financiers non cotés.
Concernant les titres financiers non cotés la réglementation et
le rôle des tiers de confiance sont moins prégnants, la question
d'une blockchain publique se pose donc à plus forte raison pour les
titres cotés, où l'intervention des tiers de confiance est
obligatoire.
Si une blockchain ouverte, publique, pourrait remplir
toutes les fonctionnalités techniques des tiers de confiance concernant
l'admission aux négociations, elle ne pourrait être compatible
avec la législation existante concernant la responsabilité comme
nous l'avons vu plus tôt. A contrario, une blockchain
privée, utilisée par les tiers de confiance actuels,
permettrait une application des DEEP aux marchés financiers, sans
modification profonde de la réglementation. En effet, les teneurs de
comptes-conservateurs peuvent faire appel à des tiers afin
d'exécuter leurs obligations mais la responsabilité repose
toujours sur eux109. Ainsi, les modalités techniques
pourraient même être transférées à une
legaltech utilisant la chaîne de blocs (à charge pour le
tiers de confiance de s'assurer du respect de ses obligations). Ainsi, les
modalités de conseil (qui constituent une plus-value non
remplaçable par la technologie) et de vérification resteraient
mis en oeuvre par les tiers de confiance traditionnels. Une reconnaissance
juridique de l'inscription en compte pour les titres cotés, dans une
blockchain privée serait donc un atout pour les
marchés.
De plus d'autres variables convergent vers l'utilisation d'une
chaîne de blocs privée. Dans une blockchain publique, la
localisation des serveurs n'est pas contrôlable. Ils peuvent en effet
être partout, et dès lors, l'application des règles d'un
état est difficile. Personne ne contrôle la qualité et la
sécurité du code de la blockchain, or une chaîne
de blocs qui ne subirait aucun contrôle de son code par un acteur de
confiance en vertu de règles définissant sa responsabilité
et ses pouvoirs, est potentiellement très vulnérable, comme a pu
l'illustrer le cas The DAO. Egalement, l'identité des
participants étant inconnue, toute responsabilité n'est pas
envisageable en cas de comportement frauduleux à l'intérieur de
la blockchain et il ne semble pas possible d'imposer des normes
législatives. Or la question de la sécurité est majeure
pour les marchés réglementés, et une absence de
contrôle sur les différents acteurs est difficilement
envisageable.
Le comité des paiements et des infrastructures de
marchés de la Banque des règlements internationaux a
publié, en février 2017, un rapport analytique indiquant qu'une
blockchain privée pourrait être inclue dans le
système juridique actuel110. Les créateurs et les
premiers acteurs de la blockchain voulaient en faire une technologie
disruptive utilisant le consensus pour se passer des tiers de confiance, or
finalement, ce sont ces tiers de confiance qui utilisent cette technologie, en
la modulant. Le choix d'une blockchain privée est
considéré par de nombreux auteurs111 comme
108 AFG, « Réponse de l'AFG à la consultation
publique »
109 RG AMF, art 322-35
110 CPMI, « Distributed ledger technology in payment,
clearing and settlement », p.9
111F. G'SELL, « Projet d'ordonnance relative à
l'utilisation de la technologie blockchain pour la transmission de certains
titres financiers - Une avancée réelle, des précisions
attendues », JCPG n° 41, 9 oct 2017, 1046 ; Dominique
LEGEAIS, Jurisclasseur commercial
29
s'éloignant de l'idéal de la blockchain
qui n'est pas utilisée dans sa forme initiale112. Elle
semble également contraire à l'idée de Satoshi Nakamoto
qui indiquait que « les principaux bénéfices sont perdus si
un tiers de confiance est encore nécessaire113. »
Ce qui fait la différence entre une chaîne de
blocs et une base de donnée conventionnelle est la structure
distribuée, c'est-à-dire l'inscription des données dans
des locations multiples. Cela les rend plus robustes car elles ne sont pas
vulnérables en cas de défaillance du serveur central. De plus,
une blockchain privée est moins sécurisée. En
effet, la fiabilité d'une blockchain repose en grande partie
sur un nombre élevé de noeuds. Plus une blockchain
comprend un nombre important de noeuds, moins elle sera
falsifiable114. Pour falsifier la blockchain, un usager
devrait pouvoir valider les nouvelles transactions plus rapidement que le tout
le reste du réseau. Dès lors plus un réseau est grand,
plus il devient difficile voire impossible d'atteindre la capacité
nécessaire à ces fins. D'autant que comme le relève la
BCE, puisque la validation d'une transaction est
rémunérée, il serait même non rentable de falsifier
la blockchain si cette capacité de calcul était atteinte, il
serait en effet plus rentable de recevoir la rémunération
liée à la bonne validation d'une transaction115.
Section II. Une réglementation ad hoc pour les
ICOs
Face aux insuffisances relevées par la qualification
des ICOs et par conséquence du régime qui leur est applicable, un
projet de loi sera proposé afin d'établir une
réglementation ad hoc (§1). Nous analyserons ainsi les
modifications législatives qui pourraient en découler
(§2).
§1. Le projet de loi PACTE
Le projet de loi PACTE devrait être
présenté durant la seconde quinzaine de mai116 devant
le conseil des ministres et devrait contenir des dispositions
réglementant les ICOs.
L'AMF préconisait une approche souple, et c'est cette
approche qui fut reprise dans le projet de loi. Est notamment envisagé
la délivrance d'un label ou d'un visa par l'AMF qui serait optionnel. Ce
visa serait octroyé si certaines conditions sont remplies. Ces
conditions sont exprimées par le président de l'AMF durant son
intervention lors de la Mission d'information sur les « Monnaies
virtuelles ».
Le premier pôle de conditions relève de
l'identification des émetteurs et des souscripteurs. Cela comprend
l'obligation pour l'émetteur d'être une personne morale
identifiée (société voire association), enregistré
au minimum dans un pays hors « liste noire » de l'UE.
Également, les souscripteurs doivent être identifiés
au-delà du numéro IP de leur ordinateur ou de leur clef
personnelle, les diligences de connaissance du client (KYC) doivent pouvoir
être conduites par l'émetteur ou son mandataire. À noter
qu'un répondant à la consultation lancée par l'AMF avait
plutôt préconisé que l'identification du responsable de
l'offre devrait être fortement recommandée sans constituer pour
autant une obligation, afin de ne pas empêcher les créations open
source complètement décentralisées117.
Le second pôle de conditions concerne l'information qui
devra être suffisamment pertinente sur l'actif émis et le projet
financé. Cela comprend une taxonomie indicative entre les jetons dont la
vocation est d'être de simples moyens de paiement et ceux ouvrant des
droits d'usage avec une
112 T. BONNEAU, «Revue de Droit bancaire et financier
n° 1, Janvier 2017, dossier 5
113SATOSHI NAIAMOTO « Bitcoin : un système de
paiement électronique pair-à-pair », p.1
114Ibid, p.3
115A. PINNA, W. RUTTENBERG , « Occasional Paper Series,
Distributed ledger technologies in securities post-trading,
Revolution or evolution? » European Central Bank, paper
series, n° 172 Av 2016
116A. TONNELIER, « La loi Pacte portée par Bruno Le
Maire peine à s'imposer à l'agenda politique », Le
Monde,
6.04.2018
117AMF, « synthèse des réponses à la
consultation publique», p.13
30
catégorisation à construire concernant ces
droits (les jetons ouvrant des droits financiers ont vocation à
être traités dans le cadre déjà existant des offres
au public de titres financiers). Le white paper devra décrire
de façon précise les droits ouverts, l'éventuel plan
d'affaires, la technologie employée (avec éventuellement l'avis
sur cette dernière d'un expert indépendant, par exemple l'Agence
Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information).
Le troisième pôle de conditions oeuvre pour une
procédure d'émission transparente et sécurisée.
Pour remplir cet objectif, le prix d'émission doit être fixe (ou
son mode de détermination doit être fixé ex ante), la
durée et le montant de l'émission doivent être fixés
ex ante, un traitement des souscriptions excédentaires doit être
mis en oeuvre, une information exhaustive doit être donnée sur le
rôle de l'émetteur et des parties liées dans
l'émission : jetons réservés, jetons déjà
acquis, jetons créés dans le cadre de « minage ».
Enfin, des souscriptions sous séquestre doivent être mises en
oeuvre jusqu'à la clôture de l'ICO.
L'AMF préconise également d'organiser un
marché secondaire pour les jetons dont la négociabilité
est une caractéristique importante. L'AMF souhaite privilégier
les similitudes avec les entreprises d'investissement et leurs plateformes de
négociation de titres dans le but d'apporter plus de
sécurité aux investisseurs. Pour le moment elle juge le
marché secondaire des crypto-actifs opaque et donc propice aux abus de
marché du fait de la forte volatilité qui y règne. Elle
préconise donc une application des dispositions inspirées de la
directive MIFID118. Et est également en faveur de la mise en
place d'un cadre légal à la détention et au transfert de
propriété des crypto-actifs qui ne sont pas couverts par
l'ordonnance du 8 décembre 2017.
Ainsi le régime serait optionnel, sur la base d'un visa
relevant de l'autorité de l'AMF. Ce visa permettrait, aux
émetteurs sérieux d'obtenir un gage de qualité, de
protéger les investisseurs et d'appréhender tous les types
d'offres. Les offres réalisées sans visa devront comporter un
avertissement à l'attention des investisseurs potentiels, à
défaut, l'ICO pourrait être sanctionnée119. Ce
cadre législatif semble donc adapté à la
particularité des ICOs et permet la conciliation entre
sécurité des investisseurs et liberté des
émetteurs.
Concernant les ICOs qui entrent dans la catégorie des
offres au public de titres financiers, elles sont actuellement
régulées par la directive prospectus or cette législation
est inadaptée. C'est pourquoi l'Amafi et le LabEx ReFiLe
préconisent d'intégrer aux réflexions portant sur la
révision de la directive prospectus, des considérations relatives
aux ICOs dans une optique de simplification du régime, lorsque les
jetons d'une ICO sont considérés comme des titres financiers.
Ainsi ils proposent d'intégrer dans la révision, une
définition de la blockchain afin de limiter la portée du
régime mis en oeuvre. À ce titre la définition de
l'article L.223-12 du Code monétaire et financier semble opportune. Dans
un second temps, il apparaît nécessaire d'établir la liste
des informations indispensables envers le souscripteur. Enfin, prendre en
considération les spécificités des émetteurs, comme
l'absence de personnalité morale. A ce sujet est préconisé
un aménagement du droit existant car il est craint que la charge
administrative liée à la création d'une personne morale
sur l'émetteur le pousse à lancer son ICO dans un autre
pays120. Notons cependant, que suivre cette dernière
recommandation semble problématique si le projet de loi PACTE est
adopté. En effet, le projet de loi prévoit la création
d'une personne morale pour les ICOs, il serait dès lors inadapté
de ne pas l'exiger pour les les ICOs dont les jetons correspondent à des
titres financiers et de l'exiger pour les autres. Cependant, si le projet de
loi englobe toutes les ICOs, en écartant le régime relatif au
prospectus à celles qui octroieraient des jetons assimilables à
des titres financiers, par les modifications que nous allons voir, cette
modification du prospectus n'est de toute façon pas pertinente.
118Dir. 2014/65/UE
119 AMF, « synthèse des réponses à la
consultation publique», p.20
120 AMAFI, « Consultation AMF sur les ICOS », p. 7 et
8
31
§2. Les modifications législatives qui en
découlent
Concrètement, quelles sont les modifications qui
devrait être opérées pour rendre possible ce projet de loi
? L'AMAFI et le LabEx ReFi préconisent deux interventions, l'une au
niveau législatif et l'autre au niveau
réglementaire121.
Il est intéressant d'analyser les recommandations de
l'AMAFI et LabeEx ReFi car le régime « bien divers 3
»122 qu'ils proposaient présente de fortes similitudes
avec le projet de loi PACTE. De plus leurs recommandations sont
écoutées voire souvent reprises par l'AMF.
Au niveau législatif, concernant l'architecture
même du Code monétaire et financier, ils recommandent d'ajouter
« et émetteurs de jetons » à l'intitulé du Titre
V du livre V « Intermédiaires en biens divers ». Ils proposent
ensuite que les dispositions des articles L.550-1 à L.550-5 soient
rassemblées dans un Chapitre premier intitulé «
Intermédiaires en biens divers ». Serait également
créé un Chapitre 2 intitulé « Émetteurs de
jetons » composé de trois nouveaux articles.
Un article L. 550-6 disposant que « Nonobstant les
dispositions des articles L.211-1 et L. 550-1 à 550-5, constitue un
jeton tout droit émis dans un dispositif d'enregistrement
électronique partagé permettant l'authentification de ces
opérations, dans les conditions définies par décret en
Conseil d'État.» Cet article a pour objectif d'écarter les
règles applicables aux intermédiaires en bien divers et en
matière d'offre au public de titres financiers.
Puis, un article L.550-7 prévoyant que :
Le règlement général de l'AMF
détermine les conditions dans lesquelles les communications à
caractère promotionnel portant sur des jetons :
1° Doivent être clairement identifiables en tant que
telles ; 2° Présentent un contenu exact, clair et non trompeur ;
3° Comportent un avertissement indiquant notamment que
l'acquisition de tels jetons fait courir le risque de perte de la
totalité du capital ayant servi à cette acquisition.
Enfin, un article L.550-8 qui disposerait que « Le
règlement général de l'AMF détermine les conditions
dans lesquelles les porteurs de projet d'émission de jetons peuvent
recevoir un visa de l'Autorité attestant que l'information minimale qui
est mise à disposition des investisseurs a vu son exhaustivité
contrôlée. »
Au niveau réglementaire, l'AMAFI et le LabEx ReFi
préconisent l'introduction d'un seul article codifié « 441-4
(nouveau) » au règlement général de l'AMF
énonçant les informations devant être
délivrées à l'AMF en vue de l'octroie du visa. Ces
informations portent sur l'identité des porteurs du projet (personne
physique ou morale). Sur le projet en lui même avec une description
générale du projet, son calendrier de mise en oeuvre, le nombre
de jetons proposés au public et les droits qu'ils confèrent.
Devront également être indiqués les risques encourus par
les acheteurs de jetons. Devront aussi être transmises, des informations
sur les modalités du projet, les cyber-monnaies acceptées par
l'émetteur, les modalités précises de la collecte de
ressources, l'existence et les modalités de toutes les procédures
éventuelles de vente antérieures et postérieures, l'usage
prévu des produits de la vente, en particulier au cas où le
montant escompté ne serait pas atteint ou serait dépassé,
également une description des sources de financement du projet si
l'émission de jetons n'est pas le seul mode de financement et la
hiérarchie des créanciers. Enfin, des informations à titre
de garantie, comprenant la juridiction compétente en cas de litige, un
engagement à ne pas utiliser de moyens informatiques permettant la
dissimulation d'identité, et à ne pas effectuer de versements
à destination des pays considérés comme des juridictions
non coopératives, et finalement, les
121 Ibid, p.17 122Ibid, p.10
32
mesures de cybersécurité prévues.
Ces mesures ne sont pas exactement identiques au projet de loi
PACTE, notamment, la proposition de l'AMAFI et du LabEx ReFi prévoit que
l'émetteur puisse être une personne physique alors que l'AMF a
indiqué qu'une personne morale devrait être crée
(société ou association). Les mesures proposées par
l'AMAFI sont d'une manière générale moins contraignantes
et proposent moins de garanties. Cependant, le volet législatif
correspond à ce qui pourrait entrer en vigueur aux vues de ce qui a
été annoncé pour la loi PACTE.
Chapitre 2. En cas d'utilisation de la technologie
blockchain dans toutes ses potentialités : une révolution
juridique nécessaire
Sont actuellement développées des applications
permettant d'améliorer les processus existants, au service des tiers de
confiance. Or la technologie blockchain avait pour
ambition de faire disparaître ces tiers de confiance. Nous analyserons
les potentialités et les problèmes que posent cette ambition
(Section I) pour ensuite essayer de comprendre, comment ils pourraient
être résolus (Section II).
Section I. La disparition des tiers de confiance
L'utilisation d'une blockchain
privée ne remet pas en cause le cadre juridique
déjà existant, puisqu'elle peut s'y conformer sans le
bouleverser, cependant, une application de la blockchain
publique semble plus révolutionnaire en terme d'innovation
mais son application (§1) ne va pas sans poser des difficultés
(§2).
§1. La technologie blockchain comme substitut
aux tiers de confiance
Comme nous l'avons vu selon la Place de Paris un DEEP pourrait
tout à la fois tenir le rôle d'une bourse, d'une chambre de
compensation et d'un dépositaire central, voire même d'un
système de règlement-livraison. Le registre distribué
pourrait avoir un impact sur la structure globale des marchés
financiers. Il pourrait mener à une désintermédiation de
certaines fonctions, voire de certaines entités.
Il convient dès lors d'analyser comment la technologie
blockchain pourrait effectivement se présenter
comme un substitut aux activités de post marché, et comment la
législation l'envisagerait, car cela introduirait des acteurs qui ne
sont couverts ou régulés par aucun régime
législatif existant123 et supprimerait des acteurs qui sont
aujourd'hui obligatoires.
Le premier bouleversement pourrait être la suppression
des chambres de compensation. Cette hypothèse est envisagée par
la place de Paris et la BCE.
La BCE a analysé l'impact de la technologie de la
chaîne de blocs sur les chambres de compensation124. La
technologie blockchain peut permettre que la
négociation et le règlement de titres aient lieu presque en
même temps, pas seulement le même jour (dans le cycle T + 0), mais
instantanément. Lorsque les plates-formes de négociation sont
reliées à un registre distribué, il est possible
d'effectuer l'affichage des ordres sur le lieu de négociation par les
acheteurs et les vendeurs dépendant du système de registre
distribué intégré, ayant vérifié la
disponibilité des titres sur le
123 CPMI, « Distributed ledger technology in payment,
clearing and settlement », p.19
124A.PINNA, W. RUTTENBERG, « Occasional Paper Series,
Distributed ledger technologies in securities post-trading, Revolution or
evolution? » p.27
33
compte du vendeur. Si ces deux systèmes étaient
séparés, l'impact des DLT se limiterait à une
simplification des procédures de compensation et de gestion des risques,
comme nous l'avons vu ci-dessus.
En encodant les contrats intelligents dans le registre, une
contrepartie centrale peut rendre les appels de marge automatiquement
exécutables dans les comptes de ses membres compensateurs. Pour la Place
de Paris, le smart contract serait donc le point de
référence central, il certifierait chaque étape,
garantirait les droits d'accès pour chaque partie prenante, supprimerait
par essence le besoin de réconciliation et, permettrait un audit en
temps réel par les régulateurs. La compensation serait donc
inutile.
L'impact de la DLT sur les chambres de compensation
dépend néanmoins de la volonté des régulateurs de
déléguer le processus de compensation à des smart
contracts. Pour rendre cela possible, il faudrait conférer à
l'inscription au registre dans un DEEP la valeur d'une représentation ou
la valeur juridique d'une inscription, reconnaître la valeur
légale d'un smart contract et modifier la législation
relative aux chambres de compensation, afin de permettre la
délégation du processus à un DEEP. Selon la BCE et la
Place de Paris une harmonisation globale des outils blockchain et des
normes relatives à son usage sur les marchés financiers est
également nécessaire. Pour avoir des gains en termes de
sécurité et d'efficacité à l'échelle globale
du marché, chaque système pourrait devoir être en mesure de
communiquer avec tous les différents registres distribués
adoptés125. Il faudrait également prévoir des
clés d'identification afin de réattribuer l'historique des
événements aux entités juridiques concernées.
Ainsi cette hypothèse serait une révolution,
dans le sens où un tiers de confiance actuel serait remplacé par
une blockchain à l'aide des smart contracts et semble
l'hypothèse disruptive la plus probable et réalisable à
court voire moyen terme. Mais la BCE est allée encore plus loin et a
étudié trois scénarios d'application des DLT aux
marchés secondaires. Dans le troisième elle envisage
l'hypothèse où les sociétés émettrices, les
gouvernements ou les legalTechs prennent l'initiative de
mettre en place des systèmes de pair à pair pour les transactions
sur titres, faisant ainsi du secteur du marché secondaire un «
nouveau monde ».
Dans ce scénario tous les processus postérieurs
à la transaction seraient remplacés par un système
automatisé de compensation et de règlement, se déroulant
au sein d'un réseau d'entités émettrices et
d'investisseurs finaux. Les entreprises et les gouvernements pourraient
émettre leurs instruments financiers directement sur le grand livre.
Dans ce scénario, la découverte des prix se fait sur une
plate-forme de négociation ouverte et le règlement s'effectue
automatiquement sur le registre distribué. Les règles KYC et AML
constituent toutefois un obstacle pour la BCE à la réalisation de
ce scénario. Mais des innovations dans le domaine de l'identité
électronique sont déjà en marche et pourraient faciliter
les changements majeurs qui seraient nécessaires afin de lever cet
obstacle126. Egalement, pour la mise en oeuvre de ce scénario
des preuves à connaissance zéro devront être
utilisées afin de garder un niveau de confidentialité
nécessaire.
Une application de la technologie blockchain à
tous les niveaux devra donc susciter un bouleversement législatif pour
être possible. Une révolution est possible, mais qu'en serait-il
du « nouveau monde » ? En faisant table rase de la
réglementation existante, et en postulant l'utilisation d'une
blockchain publique, comment réguler ce nouveau grand registre
? Pourrait-on réellement proposer des solutions pour encadrer cette
utilisation généralisée ? Plusieurs problèmes
juridiques se posent à une application globale de la
blockchain.
125Ibid, p.28
126Ibid, p.31 et 32
34
§2. Les problèmes relatifs à une
application généralisée de la blockchain dans sa forme
originelle
La première difficulté à résoudre
pour une utilisation de la blockchain publique au service de l'offre
au public de titres financiers est relative à la gouvernance. La
chaîne de blocs fonctionne selon un mode décentralisé,
c'est la communauté propre à une blockchain qui valide
les transactions sur celle-ci, selon des règles
prédéfinies. La transaction est donc validée par
consensus. Or qui définit ces règles ? Les utilisateurs, les
développeurs, les mineurs ?
En terme de responsabilité, il semble nécessaire
pour la confiance envers le système d'avoir un sujet de droit vers qui
se tourner en cas de dommage. En effet,
Une Blockchain qui prétendrait échapper à
l'application d'un droit permettant de déterminer une
responsabilité ne saurait subsister de façon pérenne. Les
applications Blockchain du secteur financier devront nécessairement
intégrer, au travers de la régulation, une gestion de la
responsabilité des différents acteurs impliqués dans
celle-ci127.
Alors qui pourrait être responsable dans une
blockchain publique ? La responsabilité de l'éditeur du
logiciel est-elle envisageable ? Selon un article d'Eric A.
Caprioli128 non, car la plupart des blockchains se sont
développées sur des logiciels libres, et les développeurs
restent souvent anonymes. Il envisage plutôt la création d'une
organisation disposant de la personnalité morale. Cela permettrait de
fixer un cadre, d'établir les règles de fonctionnement de
l'entité et les droits et obligations de chaque intervenant dans la
blockchain, et également de prévoir le droit applicable
et la juridiction compétente. Ainsi, l'utilisation d'une
blockchain, se ferait sous l'égide d'une personne morale qui
respecterait la réglementation en vigueur et la ferait appliquer. Mais
finalement, cela ne revient-il pas à rétablir un tiers de
confiance ?
Dans le cadre de l'offre au public de titres financiers et de
leur négociation sur les marchés réglementés la
gouvernance ne semble donc pas pouvoir être résolue sans
l'intervention d'un tiers de confiance. Cependant les modalités de son
rôle peuvent être redéfinies. Il y a plusieurs degrés
possibles dans la décentralisation. Ainsi sur une ligne allant d'un
système totalement centralisé à totalement
décentralisé, on placerait au départ le système
actuel, puis des systèmes soumis à autorisation, privés et
partagés. Ensuite, des systèmes soumis à autorisation,
public et partagés . Enfin, au bout de la ligne comme système
complètement décentralisé, les systèmes sans
autorisations, publics et partagés (le cas de la blockchain
bitcoin). Ainsi face à l'impossibilité d'utiliser une
chaîne de blocs complètement décentralisée, il
serait envisageable d'adopter un système intermédiaire.
Une autre question relative à l'identité des
différents acteurs doit également être résolue,
notamment, l'identification de l'auteur de la transaction. Elle pourrait
résulter d'un processus extérieur à la
blockchain, via notamment des fournisseurs
d'e-identité129. Dans cette optique plusieurs start'ups
proposent des solutions comme UniquID130, Sho
card131, ou Onename132. Ces start'ups
proposent des solutions diverses d'authentification des membres d'une
chaîne de blocs. Nous verrons par la suite que la signature
électronique pourrait également être une solution
envisageable.
Un autre problème doit également être
considéré. La validation des transactions dans une blockchain
publique serait en principe déléguée à des
noeuds exploités par un éventail de
127I. RENARD, « Fonctionnement de la Blockchain»,
Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janv 2017, dossier
3
128E. A. CAPRIOLI, « Les enjeux juridiques et
sécurité des blockchains », Cahiers de droit de
l'entreprise n° 3, Mai
2017, dossier 19
129D. LEGEAIS, Jurisclasseur commercial
130Pour plus d'informations:
http://uniquid.com
131Pour plus d'informations: https://shocard.com/
132F. REYNAUD, « Onename, un curieux projet de carte
d'identité numérique », Le Monde.fr, 04.02.2016
35
participants au marché. Ceci, soulève des
questions liées à la confidentialité. La difficulté
résulte du fait que la validation efficace des transactions dans un
registre distribué nécessite actuellement que ceux qui les
valident accèdent aux détails de la transaction (même
indirectement) afin de vérifier sa validité. Les acteurs du
marché, cependant, ont un intérêt inhérent à
maintenir leurs stratégies de négociation confidentielles. Pour y
pallier, de nouvelles fonctionnalités sont en cours de
développement afin de permettre le maintien de la confidentialité
pendant le processus de validation133. Parmi ces solutions figurent
la preuve par zéro connaissance, notamment développée par
la start'up QED-it qui permet de donner des preuves à un
écosystèmes sans dévoiler les données sous
jacentes134.
Section II. Les solutions pour pallier le
problème de gouvernance
L'un des problèmes qui reste donc insoluble dans le
cadre d'une chaîne de blocs décentralisée est la question
de gouvernance, analysons donc si le recours aux smart contracts
pourrait être une solution (§1) voire, si la blockchain
pourrait intégrer une régulation en son sein (§2).
§1. Les smart contracts
Comment faire respecter la législation dans une
blockchain ouverte, si la question de la gouvernance ne peut
être résolue, sans la ré-instauration d'un tiers de
confiance ? Le recours aux smart contracts pourrait-il être une
solution envisageable ?
Pour cela un smart contract doit être reconnu
juridiquement. Pour être reconnu, il doit être capable d'identifier
les parties de manière fiable. Cependant la blockchain publique
repose sur un principe d'anonymat sur la base de clefs publiques, comment
concilier cet anonymat avec ce besoin d'identification ? L'identification
pourrait-elle se faire par une signature électronique légale ?
Cette signature suppose l'existence d'un tiers de confiance afin de
l'authentifier. Il est donc possible de passer par ce cadre, mais la
technologie blockchain pourrait peut-être elle-même
permettre d'établir une signature électronique.
La blockchain est selon Satoshi Nakamoto une chaine
de signatures électroniques. Les deux technologies reposent en effet sur
la cryptographie asymétrique. Ainsi on pourrait s'interroger sur la
possibilité de créer une chaîne de blocs permettant de
signer électroniquement des documents et des contrats afin de se passer
d'un tiers.
La Place de Paris a analysé la possibilité
d'utilisation de la technologie blockchain au service de la signature
électronique, notamment au travers de la législation applicable
et a conclu à la possibilité de cette utilisation, et même
aux avantages que cela pourrait avoir en terme de coût et de
sécurité. Elle a également analysé les
difficultés en terme de confidentialité qui se posaient et a
démontré que ces difficultés pouvaient être
résolues, en intégrant dans le bloc signé par les parties
un hash du contrat et non le contrat en entier, et en utilisant des
signatures multiples, ou des ring signatures afin d'identifier les
signataires les uns envers les autres tout en cachant leur identité aux
tiers. Ces difficultés ne constituent donc pas un obstacle. La Place de
Paris conclue que « la solution blockchain, pour les signatures
électroniques semble donc être une solution moderne bien plus
pragmatique, efficace, économe et sécurisée135.
»
Ainsi, rien ne semble s'opposer à la reconnaissance
juridique d'un smart contract tant que les parties puissent être
identifiées. Mais en pratique, l'instauration des smart
contracts est-elle
133A. PINNA, W. RUTTENBERG , « Occasional Paper Series,
Distributed ledger technologies in securities post-trading, Revolution or
evolution? », p.24,25
134 ISRAELVALLEY DESK, « Née en Israël, QED-it
est une start-up en Blockchain « BtoB » », Site officiel de
la chambre de commerce France-Israel, 7 oct 2017
135 PARIS EUROPLACE, p.89-90
36
réellement souhaitable ? La publication d'un livre
blanc questionnant l'apport de la DLT et des smart contracts aux
produits dérivés, publié par l'association internationale
des Swaps et dérivés (International Swap and Derivatives
Association, ISDA) peut nous apporter une réponse. Un smart
contract code pourrait remplacer certaines clauses opérationnelles
d'un contrat (comme la date d'un paiement en fonction de certains
paramètres) ou automatiser des clauses déjà existantes
d'un contrat mais les clauses non opérationnelles comme la juridiction
ou la loi applicable en cas de litige ne pourraient être
intégrées dans le smart contract selon l'ISDA. La
difficulté de l'automatisation ressort également de la
possibilité qu'ont les parties de faire des choix au cours de la
transaction. Les parties peuvent ne pas souhaiter que certaines clauses
s'appliquent de manière automatique. L'ISDA considère donc qu'il
n'est pas possible pour un contrat juridique d'être intégralement
reflété dans un code informatique s'exécutant
automatiquement sur une blockchain. Dès lors une blockchain
autonome, entièrement régie par des smart contracts
semble difficilement viable pour l'ISDA. Cependant, selon certains auteurs, le
manque de flexibilité n'est pas
irrémédiable136.
L'exemple de the DAO démontre les limites des
smart contracts. Toutes les décisions d'investissements
étaient décentralisées et prises par le pseudonyme DAO
« token-holders » à travers un vote digital. Les règles
de ce vote étaient encodées dans un smart contract
gouvernant the DAO. Ainsi le code remplaçait le management et
établissait un lien direct entre les investisseurs et la mise en oeuvre
de la stratégie d'investissement. Cette blockchain fut
hackée du fait d'erreurs dans le smart contract en juin 2016,
et le hacker déclara que ce transfert d'argent était légal
car ce détournement avait été possible du fait d'une
faiblesse du smart contract, et qu'ainsi, « le code fait loi
».
§2. L'utilisation de la blockchain comme outil
au service du régulateur
Comme nous l'avons compris la technologie blockchain
est difficile à réguler du fait de l'absence d'une
autorité centrale, on pourrait donc imaginer une intervention publique
par l'incorporation d'une autorité dans la technique. S'il est possible
d'incorporer un cadre réglementaire dans le code informatique qui
régit la blockchain, les objectifs de régulation
pourraient être facilement respectés. Un auteur propose même
que le secteur public développe son propre système de
blockchain137. Ainsi, par exemple dans une
blockchain, le régulateur pourrait être l'un des noeuds
du réseau et ainsi avoir accès à toutes ses
données. Cela permettrait aux régulateurs d'avoir des
données plus traçables et plus complètes138.
Même si le contre-sens de cette idée est latent, puisque la
blockchain vise en principe la suppression des tiers de
confiance139.
C'est pourquoi pour certains auteurs, l'enjeu n'est pas que la
blockchain soit saisie par le droit des états mais qu'elle
aboutisse à une création juridique autonome. La blockchain
est intrinsèquement difficilement compatible avec le droit
classique, pour dépasser ces blocages on pourrait donc utiliser la
chaîne de blocs comme support aux relations normatives140.
Ainsi les différents acteurs de la blockchain pourraient
créer des régimes d'engagements singuliers, où ils
réguleraient eux-même leurs obligations ainsi que les questions de
responsabilité, qu'ils enregistreraient sur la blockchain grâce
aux smart contracts141.
Après avoir analysé le cadre législatif
qui pourrait s'appliquer en cas d'utilisation de la blockchain lors
d'une offre au public de titres financiers, du point de vue des normes
régissant les
136 C. LIM, TJ SAW, C. SARGEANT, « Smart Contracts: Bridging
the gap between expectation and reality », Oxford University
blog
137 PJ. BENGHOZI, « Blockchain : objet à
réguler ou outil pour réguler ? », La Semaine Juridique
Entreprise et Affaires n° 36, 7 Sept 2017, 1470
138 IOSCO, « IOSCO Research Report on Financial Technologies
(Fintech) », fév 2017, p.59
139 S. DE CHARENTENAY, « Blockchain et Droit: Code is deeply
Law », 19 sept 2017, Blockchain France
140 Ibid
141 Ibid
37
marchés financiers. Il convient d'analyser comment
s'articulerait cette utilisation avec les législations existantes dans
les autres domaines du droit, qui ne concernent pas directement l'offre au
public de titres financiers mais qui pourraient avoir un impact sur celle
utilisation.
Titre II. La conciliation entre la chaîne de
blocs et les réglementations extrinsèques aux marchés
financiers
En cas d'utilisation au profit des offres au public de titres,
un DEEP peut se voir appliquer des législations extérieures aux
marchés financiers, ainsi nous analyserons la compatibilité entre
ces différentes législation et les DEEP (Chapitre 1), mais
également avec les législation internationales (Chapitre 2).
Chapitre 1. Une compatibilité voire même
atout
Nous allons analyser si la technologie blockchain est
compatible avec le règlement européen relatif à la
protection des données personnelles (Section I). Mais également
avec les différentes législations touchant à la
sécurité telles que celles relatives au blanchiment et la lutte
contre le terrorisme ainsi que la cybersécurité (Section II).
Section I. Le règlement européen
relatif à la protection des personnes physiques à l'égard
du traitement des données à caractère personnel et
à la libre circulation de ces données (RGPD)
Pour la plupart des auteurs, la technologie blockchain,
puisqu'elle a pour fonction d'enregistrer et conserver des données, est
concernée par l'application du Règlement Européen 2016/679
du 27 avril 2016 (§1).
Le règlement a été élaboré
pour des architectures centralisées avec une distribution claire des
rôles et des activités. Or comme nous l'avons vu, la
blockchain est un système de pair à pair avec une
architecture décentralisée. Dès lors l'essence même
du fonctionnement de la blockchain pose problème concernant
l'application du règlement. D'autant que les opérations
enregistrées dans une chaîne de blocs ont vocation à
être inaltérables et donc ineffaçables, on peut ainsi
annuler une opération mais pas l'effacer. Or le règlement
général pour la protection des données prévoit un
droit à l'effacement, il convient dès lors de s'interroger sur
l'application éventuelle de ce règlement à la
blockchain, et si il y a application, aux modalités de celle-ci
(§2).
§1. L'application du
règlement
Dans un premier temps analysons si le règlement peut
s'appliquer aux DLT. Il s'applique au traitement des données
personnelles, ce traitement étant défini comme «toute
opération ou tout ensemble d'opérations effectuées ou non
à l'aide de procédés automatisés et
appliquées à des données ou des ensembles de
données à caractère personnel142. » La
notion de donnée personnelle est, elle, définie comme toute
information « se rapportant à une personne physique
identifiée ou identifiable, [...] notamment par référence
à un identifiant143 ». Lorsque les données sont
anonymes ou anonymisées, le règlement ne s'applique pas.
Cependant, les données pseudonymes qui ne sont pas nominatives mais qui
permettent une identification indirecte d'un individu, sont soumises au
règlement. La pseudonymisation est définie par le
règlement au point n°5 et les clefs publiques de la blockchain
puisqu'elles correspondent à cette définition, soumettent la
chaîne de blocs au RGPD.
142RGPD, art. 4 143RGPD, art. 2
38
Son caractère international n'est également pas
problématique car concernant l'application dans l'espace du
règlement, le RGDP a une portée extraterritoriale et s'applique
à toutes les entreprises possédant ou traitant des données
de résidents de l'UE144.
Le règlement fonde quatre grands principes clefs
concernant l'utilisation des données. Premièrement, le traitement
des données doit être licite et légitime. Ensuite, les
utilisateurs doivent bénéficier d'une information
préalable au traitement et avoir des droits d'accès, de
rectification et d'opposition sur leurs données. Egalement les
données doivent être conservées pour une durée
adéquate et proportionnée au traitement pour lequel elles ont
été collectées. Enfin, les données doivent
être protégées et la confidentialité
assurée.
Dès lors que le RGPD s'applique, des formalités
déclaratives doivent être remplies auprès de la CNIL par le
responsable de traitement. Pour les blockchains privées, cela
n'est pas problématique, puisqu'au moins un acteur est responsable sur
le réseau. Cet acteur doit donc respecter le règlement et en
assurer la responsabilité juridique. Le problème se pose en cas
de blockchain publique. Les principaux acteurs sont : les mineurs qui
n'ont qu'un rôle technique, un rôle de calcul pour certifier les
transactions, les développeurs qui agissent le plus souvent de
manière anonyme dans le cadre d'une licence libre, et les utilisateurs.
Aucun ne peut dès lors être considéré comme
responsable. Or comme nous l'avons vu, la blockchain étant
décentralisée et ayant un fonctionnement horizontal, personne
n'en est à la tête ou n'en contrôle la totalité. Qui
va donc assurer cette responsabilité ? On en revient à la
question de gouvernance étudiée ci dessus. Créer une
personne morale responsable de la blockchain, peut être une
solution envisageable.
Le RGPD prévoit également un droit à
l'oubli, déjà consacré par la CJUE dans l'affaire «
Google Spain145 ». C'est un droit à
l'effacement de ses données lorsque les données personnelles ne
sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles
elles ont été collectées, lorsque la personne
concernée retire son consentement au traitement et celui-ci et qu'il ne
peut être fondé sur une autre base juridique, ou lorsque la
personne concernée s'oppose au traitement sans qu'il n'existe de motif
légitime impérieux pour justifier ce traitement146. Le
RGPD prévoit des exceptions or elles ne semblent pas applicable à
la blockchain. De plus selon l'article 5.1.e du règlement les
données doivent être conservées "pendant une durée
n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités
pour lesquelles elles sont traitées".
§2. Comment concilier la blockchain et le
règlement ?
Dès lors si le RGPD n'est pas modifié quelles
sont les solutions envisageables ? Le livre blanc de la Place de Paris envisage
deux approches afin de réconcilier la blockchain avec les
impératifs légaux du règlement.
La première repose sur l'idée d'informer
l'utilisateur qu'en cas de participation à une blockchain, ses
données ne pourront être effacées. Dès lors
l'utilisateur renoncerait à son droit à l'effacement par sa
participation à la chaîne de blocs. Ainsi selon la Place de Paris
une fois la renonciation acceptée l'indisponibilité du droit
à l'effacement serait légitime.
La seconde approche repose sur l'idée que s'il n'est
pas possible d'effacer une opération, il est possible de la masquer ou
de rendre les données inaccessibles de manière
irréversible. Une blockchain peut en effet être
modifiée par le consensus de sa communauté. Il serait donc
envisageable que les communautés organisent ce droit à
l'effacement. Cette approche reprend la finalité du droit à
l'effacement, qui est de rendre une donnée personnelle inaccessible.
Ainsi en masquant l'opération ou en rendant les données
inaccessibles, l'objectif du règlement est atteint.
144RGPD, art. 3
145CJUE, 13 mai 2014, aff. C-131/12 146 PARIS EUROPLACE,
p°83
39
La blockchain peut même apporter des solutions
techniques pour faciliter la mise en oeuvre du règlement147.
La technologie blockchain s'est créée sur une
volonté de protéger la vie privée. Cette technologie n'est
donc pas antinomique avec la protection des données personnelles, au
contraire. Les clefs publiques permettent de ne pas divulguer le lien entre une
transaction et les données personnelles d'un individu. Sur de nombreux
aspects la technologie blockchain peut donc même être un
atout pour la protection des données.
Des projets utilisant la blockchain visent d'ailleurs
à renforcer cette protection comme le projet ENIGMA dont l'objectif est
de faciliter l'échange de données, grâce à
blockchain en garantissant à ses utilisateurs un contrôle
de leurs données148. Les créateurs de ce projet ont
utilisé la blockchain pour sécuriser les données
car elle représente selon eux, l'outil le plus efficace pour garantir le
respect de la vie privée des utilisateurs. Ou encore le projet
hawk45 qui invite à recourir à la preuve par divulgation
nulle de connaissance afin d'éviter que certaines informations touchant
à la vie privée ne puissent être visibles par les autres
utilisateurs.
Section II. Les règlementations relatives
à la sécurité
De par son caractère anonyme la blockchain
peut être utilisée à des fins frauduleuses, ainsi il
convient d'analyser si les différentes obligations pour lutter contre le
blanchiment d'argent et le financement du terrorisme peuvent s'appliquer
(§1). Egalement, de par son caractère même, les questions
relatives à la cybersécurité doivent être
abordées (§2).
§1. Lutte contre le blanchiment et le
financement terrorisme
Les marchés réglementés sont soumis aux
obligations de lutte contre le blanchiment et de financement du
terrorisme149. Ils ont une obligation de vigilance. Pur la respecter
ils doivent mettre en place des dispositifs d'identification et
d'évaluation des risques auxquels ils sont exposés ainsi qu'une
politique pour les contrer150. Avant d'entrer en relation d'affaire,
le prestataire doit identifier le bénéficiaire effectif de
l'opération151, et la vigilance doit se poursuivre
également tout au long de la relation152. Si l'identification
est effectuée par un tiers, elle n'exonère pas le prestataire
d'une éventuelle responsabilité153. Précisons
qu'en vertu de l'article R.561-15 du Code monétaire et financier, n'est
pas soumise aux obligations de vigilance, sauf en cas de soupçon «
une société cotée dont les titres sont admis à la
négociation sur au moins un marché réglementé
(...)». Pour certains prestataires c'est le règlement
général de l'AMF qui précise les obligations devant
être respectées, sont ainsi concernés les
dépositaires centraux et les gestionnaires de
règlement-livraison154.
Concernant les ICOs, les émetteurs pourraient
être soumis aux exigences de lutte anti-blanchiment par l'article 4 de la
4ème directive anti-blanchiment qui permet d'étendre le champ de
l'application de cette directive aux entités qui exercent des
activités particulièrement susceptibles d'être
utilisées à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement
du terrorisme. Or cette directive parle «de fournir ou de réunir
des fonds». Le problème étant que les crypto-monnaies ne
peuvent être caractérisées comme des fonds.
Pour l'Autorité Bancaire Européenne, les
plates-formes d'échange doivent toutefois être soumises à
la directive anti-blanchiment. La Commission européenne a d'ailleurs
proposé le 2
147J. DEROULEZ , « Blockchain et données
personnelles- Quelle protection de la vie privée ? », La
Semaine Juridique
EG n° 38, 18 Sept 2017, 973
148 G. ZYSKIND, O. NATHAN, « Decentralizing Privacy: Using
Blockchain to Protect Personal Data »
149C. mon. fin., art. L.561-2 et L.421-2
150C. mon. fin., art. L.561-4-1
151C. mon. fin., art. L.561-5
152C. mon. fin., art. L.561-6
153C. mon. fin., art. L.561-7
154 T. BONNEAU, P. PAILLER, Droit financier
40
février 2016155 de les y soumettre, elle
envisage également une application de la directive concernant les
services de paiement156. Le 15 décembre 2017, un accord en ce
sens a été trouvé au niveau de l'Union Européenne
et doit encore être approuvé par les États membres.
La technologie blockchain peut même simplifier
les obligations des prestataires de services d'investissements qui se doivent
de remplir les exigences d'information (PSI) sur leur client, ces exigences
sont notamment formalisés par le Know Your Customer (KYC) et
Anti-Money-Laudering (AML). Les PSI doivent en effet acquérir,
agréger et vérifier chaque information obligatoire sur leurs
clients. Cette procédure est contraignante car chaque PSI va
requérir les mêmes informations, alors même qu'un client
peut l'avoir déjà fait pour un autre PSI. Ainsi un registre
partagé peut être utilisé afin de partager les informations
clients entre les différentes institutions financières. Cela
permet de réduire les efforts reproduits par chaque institution pour
collecter les informations, de codifier les comptes clients afin d'accroitre la
transparence de la surveillance des transactions et de garder l'historique de
toutes les transactions dans un seul registre afin de simplifier la
surveillance et l'audit157. Les PSI se sont déjà
saisis de cette opportunité et de nombreuses solutions utilisant la
blockchain au service du KYC ont déjà vues le jour.
§2. La réglementation relative à la
cybersécurité
Les marchés financiers donnent lieu à un
échange d'informations sensibles et la sécurité doit y
être garantie. Qu'en est-il lorsque la blockchain est
utilisée ? Le droit actuel protège t-il, du point de vue
informatique, les marchés qui utiliseraient cette technologie ou des
normes doivent-elles être crées afin de prendre en
considération des facteurs nouveaux que la blockchain pourrait
introduire et qui ne seraient pas encore régulés par le droit ?
Deux choix se posent donc, l'application d'un régime déjà
existant ou la création d'un régime spécifique afin
d'établir des critères de robustesse suffisants aux DLT.
L'agence nationale de la sécurité des
systèmes d'information a définit la cybersécurité
comme :
L'état recherché pour un système
d'information lui permettant de résister à des
événements issus du cyberespace susceptible de compromettre la
disponibilité, l'intégrité ou la confidentialité
des données stockées, traitées ou transmises et des
services connexes que ces systèmes offrent ou qu'ils rendent
accessibles158.
Les risques sur la blockchain sont liés aux
informations qu'elle contient. Le code pénal prévoit des
dispositions consacrées aux atteintes aux systèmes de traitement
automatisé de données (STAD)159. Si la loi ne les a
pas définis, les travaux parlementaires l'ont fait. C'est « un
ensemble composé d'une ou plusieurs unités de traitement, de
mémoires, de logiciels, de données, d'organes
d'entrées-sorties et de liaisons qui concourent à un
résultat déterminé, cet ensemble étant
protégé par des dispositifs de sécurité
»160. Ainsi, les registres distribués entrent dans cette
définition et sont donc protégés par les règles
relatives aux STAD qui répriment tout type d'intrusions ou modifications
non autorisés dans ces systèmes.
Ainsi, la réglementation en vigueur permet
déjà de réprimer les atteintes portées à une
blockchain ou à son contenu. Donc un régime
spécifique ne semble pas nécessaire car le régime
général englobe déjà la technologie
blockchain.
1552.2.2016 COM (2016) 50 final, p.6 156Dir. (UE) 2015/2366, 25
nov 2015 157 IOSCO, « IOSCO Research Report on Financial Technologies
(Fintech) », p.56 158Définition issue du site officiel de l'ANSSI
:
https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/glossaire/c/
159 C. pén. art. 323-1 à 323-8
160SENAT, « Rapport n°214 », 22 décembre
1987, page 13
41
Chapitre 2. La conciliation avec les législation
internationales
Le caractère international de la blockchain
conduit à s'interroger sur la loi applicable aux
transactions conclues en son sein (Section I), mais également sur la
possibilité d'une législation internationale (Section II).
Section I. Les questions relatives aux conflits de
loi
Doit-on retenir la loi du pays de l'émetteur permettant
de favoriser le développement des échanges, ou celle de
l'investisseur favorisant ainsi leur protection ? Nous analyserons donc le
cadre législatif général (§1) afin de comprendre
comment il pourrait s'appliquer à la blockchain
(§2).
§1. Le cadre
général
La directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 et la directive MIF
II du 15 mai 2014 mettent en oeuvre un régime commun, la solution
proposée par l'UE est fondée sur l'harmonisation ou la
reconnaissance mutuelle. Mais cette solution est plus difficile à mettre
en oeuvre au niveau mondial.
Pour les matières non régulées de
manière commune c'est le règlement Rome I du 17 juin 2008 qui
s'applique aux obligations contractuelles relevant de la matière civile
et commerciale comportant un conflit de lois. Selon l'article 4, §1, h)
les contrats conclus sur des système multilatéraux de
négociation sont soumis à la loi qui régit le
système sur lequel ils sont conclus.
Au niveau international, aucun texte spécifique
relatif aux marchés financiers n'est opposable au juge français,
la Convention de La Haye du 5 juillet 2006 sur la loi applicable à
certains droits sur des titres détenus auprès d'un
intermédiaire, n'est pas en vigueur en France et ne fut ratifiée
que par un nombre très limité de pays, même si elle
constitue une référence importante dans les critères de
détermination de la loi applicable aux titres.
La Place de Paris relève que les conflits de lois aux
niveau international sont résolus par l'application du concept PRIMA,
c'est-à-dire le lieu de l'intermédiaire pertinent161.
Ce concept s'écarte des règles traditionnellement admises et se
réfère à la loi du compte de titres auquel les titres
concernés sont crédités qu'ils soient étrangers ou
nationaux.
§2. L'application au système
blockchain
Comment s'appliquerait cette règle dans un
système blockchain ? La Place de Paris
écarte l'application de cette règle dès lors que les
intermédiaires n'existeront pas tels que définis par la
règle PRIMA, dans une chaîne de blocs. Elle estime donc que cette
règle est inadaptée à la blockchain.
La place de Paris envisage dès lors trois facteurs de
connexion possibles162. Le premier, est l'application de
la lex societatis, consacrée en droit
français par l'article 210-3 du Code de commerce et l'article 1837 du
Code civil. C'est la loi de l'émetteur qui s'applique. Ce critère
semble le plus adapté même s'il crée une incertitude
juridique du fait de la multiplicité de lois potentiellement applicables
dans le cas d'un portefeuille international.
Le second facteur de connexion envisagé est le point
d'entrée de la chaîne de bloc. Ce facteur ne résout
cependant pas le problème car il y a autant de point d'entrée que
de participants de la chaîne de blocs.
161 PARIS EUROPLACE, p. 96-97
162 Ibid, p.98
42
Le troisième facteur possible est la loi de la
juridiction où le système est situé ou supervisé.
Cette option est possible et adaptée dans le cadre d'une blockchain
privée car le registre de blocs ou l'administrateur de ce registre
est régulé, mais n'est pas réalisable dans une
chaîne de blocs publique.
En conclusion, pour la Place de Paris, concernant les
activités post-marché, du fait que la blockchain
utilisée sera très probablement une blockchain
privée ou semi-privée pour les raisons que nous avons
étudiés, la solution serait d'imposer la loi de
l'administrateur163.
Section II. Une législation internationale
envisageable ?
Il serait plus simple et efficace d'avoir une
législation internationale concernant l'utilisation de la blockchain
dans le cadre des offres au public, c'est en effet le voeux émis
par certains acteurs même si sa réalisation est potentiellement
encore très longue ( 1), ainsi une législation au niveau
européen ne serait-elle pas plus rapide (§2) ?
§1. Une régulation internationale
incertaine
Les règlementations financières sont
majoritairement Européenne voire internationales et la blockchain
n'a pas de frontière, c'est pourquoi l'élaboration d'un
cadre international semble opportun.
Cependant, le conseil de stabilité financière
(FSB) a émis un avis le 18 mars 2018 dans lequel il n'envisage pas une
régulation concernant les crypto-actifs. Le président du FSB,
Mark Carney, a en effet rédigé une lettre, cet avis n'a qu'un
titre consultatif mais est particulièrement écouté. «
La première évaluation du FSB est qu'à l'heure actuelle,
ces crypto-actifs ne font pas courir de risque à la stabilité
financière mondiale164.» De plus il n'y a pas selon lui,
encore de consensus suffisant entre les états pour qu'une
régulation collective ait lieu.
Mais cet avis n'est pas partagé par le Fonds
Monétaire International (FMI), ni des états. Preuve en est que la
question de la régulation des crypto-monnaies est à l'ordre du
jour des discussions du G20 à Buenos Aires les 19 et 20 mars prochains.
La directrice du FMI a d'ailleurs publié un article exposant les
avantages que les blockchains peuvent apporter au secteur financier
(rapidité, efficacité, sûreté ou coûts de
transaction faibles)165. Le président de l'AMF rappelle
également, la nécessité de développer une approche
internationale. Toutefois ce mouvement sera long, compte tenu des
différentes positions adoptées par les états comme nous
l'avons vu plus tôt.
§2. La préparation d'un marché
unique numérique Européen pour la blockchain
Si une réglementation internationale est incertaine et
sera longue, l'AMAFI et le LabEx ReFi ont démontré l'importance
et la nécessité d'un encadrement au niveau
européen166.
La Commission européenne a lancé
l'Observatoire-forum des chaînes de blocs de l'UE, cet observatoire forum
a pour objectif de « mettre en lumière les grandes
évolutions de la technologie des chaînes de blocs» et
d'encourager les différents acteurs de la blockchain pour
renforcer l'engagement européen dans ce domaine167. La
commission est pleinement consciente des enjeux et
163 Ibid
164M. CARNEY, FSB, « To G20 Finance Ministers and Central
Bank Governors » 13 Mars 2018
165 C. LAGARDE, « An Even-handed Approach to Crypto-Assets
», 16 av 2018, IMF Blog
166 AMAFI, « Consultation AMF sur les ICOS », p. 4
167 COMMISSION EUROPÉENNE, « La Commission
européenne lance l'Observatoire-forum des chaînes de blocs de l'UE
», Communiqué de presse, 1er fév 2018
43
du potentiel de l'application de la blockchain, et
montre sa volonté de figurer parmi les leaders dans ce domaine. Cette
volonté se retrouve surtout dans le secteur financier. Ainsi, a
été évoqué l'importance d'un marché unique
numérique pour la blockchain.
La commission a montré son désir d'harmonisation
au niveau européen, et se montre très favorable à
l'expansion de cette technologie, qu'elle aide déjà
financièrement168. Cependant, le travail législatif au
sein de l'Union Européenne est long, le changement n'aura donc pas lieu
rapidement mais les objectifs sont prometteurs.
Conclusion
En conclusion, nous pouvons répondre aux
différentes questions qui se posaient. Les normes en vigueur ne
permettent pas le développement et l'utilisation d'une telle technologie
dans le domaine de l'offre au public de titres financiers, du moins à
titre complet. Concernant l'utilisation d'une blockchain dans sa forme
originelle, c'est à dire décentralisée, la question de la
gouvernance reste un obstacle. En l'absence d'une possibilité
d'établir une entité responsable, il est difficilement concevable
d'adapter les règles pour fournir un cadre juridique suffisamment
sécurisé, notamment en l'état actuel de la technologie.
Les règles relatives aux offres au public de titres, tant lors de
l'émission que sur le marché secondaire, sont établies
afin de protéger les investisseurs et garantir la viabilité et la
robustesse du marché. Ainsi la blockchain peut contribuer
à ces objectifs mais ne peut, seule, les supplanter.
Cependant les normes en vigueur peuvent permettre l'utilisation
de la technologie blockchain, lorsque que celle-ci reste au service
des tiers de confiance. Une intervention pourrait ainsi se borner à
reconnaître l'inscription des titres cotés comme l'ordonnance du 8
décembre 2017 l'a fait pour les titres non cotés et permettre la
suppression des chambres de compensation quand l'utilisation de la technologie
ne les rend plus nécessaire. Les différentes législations
extrinsèques aux marchés financiers ne sont également pas
un obstacle à cette utilisation. A moyen terme, cette utilisation ne
reprend pas l'ambition complète de la technologie blockchain
mais permet une conciliation entre une utilisation sécurisée
et les avantages que celle ci apporte. Mais cela pourrait faire parti du chemin
vers le remplacement à long terme des tiers de confiance tels que nous
les connaissons actuellement, d'une réduction de leur rôle afin
d'octroyer une plus forte place à la technologie.
168La Commission européenne finance des projets dans le
domaine des chaînes de blocs depuis 2013 dans le cadre des programmes de
recherche de l'Union européenne 7e PC et Horizon 2020. D'ici à
2020, elle financera à hauteur de 340 millions d'euros des projets qui
pourraient s'appuyer sur les technologies des chaînes de blocs.
44
Table des matières
Partie I. Un cadre juridique actuellement insuffisant pour
permettre une utilisation sécurisée de la
technologie blockchain au profit de l'offre au public de titres
financiers 10
Titre I. Une avancée législative incomplète
pour les titres financiers, et inadaptée pour les ICOs 10
Chapitre 1. L'intervention du législateur concernant les
titres financiers non cotés 10
Section I. Une avancée pour la technologie blockchain
concernant les titres financiers non
cotés 11
§1. L'instauration d'une équivalence 11
§2. Une portée prometteuse 11
Section II. Mais une avancée pour le moment
incomplète 12
§1. Le choix entre blockchain publique et privée
12
§2. Un choix potentiellement axé sur une
blockchain privée 13 Chapitre 2. La difficile qualification juridique
des jetons et du régime juridique applicable aux
ICOs 13
Section I. La qualification juridique des jetons en France 13
§1. Le rejet de l'application de la législation
relative à l'offre au public de titres 13
§2. La qualification en bien divers 15
Section II. La qualification juridique des jetons à
l'étranger 16
§1. Une application de la législation de l'offre au
public de titres financiers aux ICOs
remplissant les conditions, laissant un flou juridique 16
§2. De l'interdiction à l'invitation 16
Titre II. Face à l'insécurité juridique, une
régulation nécessaire 17
Chapitre 1. Une réglementation spécifique des ICOs
inéluctable 17
Section I. Une autorégulation non satisfaisante 17
§1. Une sécurité nécessaire 18
§2. Une autorégulation insuffisante pour garantir la
protection des investisseurs 18
Section II. Les acteurs en faveur d'une législation 18
§1. Les acteurs privés 19
§2. Les acteurs institutionnels 19 Chapitre 2.
L'hypothèse d'une application à droit constant des règles
concernant l'offre au public
de titres financiers 20
Section I. L'application du prospectus 20
§1. Les règles régissant le prospectus 20
§2. Ne remettent pas en cause l'utilisation de la
technologie de la chaîne de blocs 21
Section II. Les règles relatives au marché
secondaire 21
§1. Une mise en lumière du flou juridique 22
§2. Une législation adaptée nécessaire
22
Partie II. Une régulation difficile à
appréhender 25
Titre I. Comment réguler 7 25
Chapitre 1. Les conditions d'une régulation à droit
constant 25
Section I. La régulation à droit constant
concernant le marché secondaire 26
§1. La blockchain au service des tiers de confiance 26
§2. L'utilisation d'une blockchain privée 28
45
Section II. Une réglementation ad hoc pour les ICOs 29
§1. Le projet de loi PACTE 29
§2. Les modifications législatives qui en
découlent 31 Chapitre 2. En cas d'utilisation de la technologie
blockchain dans toutes ses potentialités : une
révolution juridique nécessaire 32
Section I. La disparition des tiers de confiance 32
§1. La technologie blockchain comme substitut aux tiers de
confiance 32
§2. Les problèmes relatifs à une application
généralisée de la blockchain dans sa forme
originelle 34
Section II. Les solutions pour pallier au problème de
gouvernance 35
§1. Les smart contracts 35
§2. L'utilisation de la blockchain comme outil au service
du régulateur 36
Titre II. La conciliation entre la chaîne de blocs et les
réglementations extrinsèques aux marchés
financiers 37
Chapitre 1. Une compatibilité voire même atout 37
Section I. Le règlement européen relatif à
la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données 37
§1. L'application du règlement 38
§2. Comment concilier la blockchain et le règlement
' 39
Section II. Les règlementations relatives à la
sécurité 39
§1. Lutte contre le blanchiment et le financement terrorisme
39
Chapitre 2. La conciliation avec les législation
internationales 41
Section I. Les questions relatives aux conflits de loi 41
§1. Le cadre général 41
§2. L'application au système blockchain 42
Section II. Une législation internationale envisageable 7
42
§1. Une régulation internationale incertaine 42
§2. La préparation d'un marché unique
numérique Européen pour la blockchain 43
46
Bibliographie
Ouvrages spéciaux et
monographies
Thierry BONNEAU, France DRUMMONT, Droit des marchés
financiers, Broché, 22 mars 2010, p. 809815
Thierry BONNEAU, Pauline PAILLER, Anne-Claire ROUAUD, Adrien
TEHRANI, Régis VABRES, Droit financier, LGDJ, Lextenso
éditions, p.621-341-342
Thierry BONNEAU et Thibaut Verbiest, Fintech et droit, quelle
régulation pour les nouveaux entrants du secteur bancaire et financier ?
Broché, 2 mars 2017, p.27
Alain COURET, Hervé LE NABASQUE, Marie Laure COQUELET,
Thierry GRANIER, Didier PORACCHIA, Arnaud RAYNOUARD, Arnaud REYGROBELLET, David
ROBINE, Droit financier, 2ème édition, Dalloz, p.166
Articles et fascicules du
jurisclasseur
AMAFI et LABEX REFILE, « Consultation AMF sur les ICOS,
Contribution de l'AMAFI et du LabEx ReFiLe », 10 janvier 2018,
p.2,4,7,8,10,17,22
AMF, « Document de consultation sur les initial coin
offerings (icos) », 26 octobre 2017, p.1 et 9
AMF, « synthèse des réponses à la
consultation publique portant sur les initial coin offerings (ico) et point
d'étape sur le programme « unicorn » , 22
février 2018, p.3-5--8-9-10-11-13-20
AMF, « communiqué de presse du 22 février 2018
: l'amf publie la synthèse des réponses apportées à
sa consultation publique sur les initial coin offerings (ico) », 22
février 2018
ASSEMBLÉE NATIONALE, Mission d'information commune sur les
usages des bloc-chaînes (blockchains) et autres technologies de
certification de registres,
http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-communes/chaines-de-blocs/
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« Réponse de l'AFG à la consultation publique sur le projet
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http://www.afg.asso.fr/wp-content/uploads/2017/05/2017_05_19_Reponse_AFG_consultation_Tresor_Blockchain.pdf
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réguler ou outil pour réguler ? », La Semaine Juridique
Entreprise et Affaires n° 36, 7 Septembre 2017, 1470
Céline BONDARD, Grégory CHENU, Sylvie DUFOURNAUD,
Franck GUIADER, Hubert DE VAUPLANE
47
« Quelques utilisations actuelles de cet outil en droit des
affaires. Monnaies virtuelles, transmission des instruments de paiement, outils
de financement, smart contracts, etc. » La Semaine Juridique
Entreprise et Affaires n° 36, 7 Septembre 2017, 1471
Thierry BONNEAU, « « tokens », titres financiers
ou biens divers ? », Revue de Droit bancaire et financier
n°1, janvier 2018, repère 1
Guy CANIVET, premier président honoraire de la Cour de
cassation, ancien membre du Conseil constitutionnel, président du Haut
Comité juridique de la place financière de Paris «
Blockchain et régulation », La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires n° 367, septembre 2017
Éric A. CAPRIOLI, « Les enjeux juridiques et
sécurité des blockchains », Cahiers de droit de
l'entreprise n° 3, Mai 2017, dossier 19
Mark CARNEY, FSB, « To G20 Finance Ministers and Central
Bank Governors » 13 Mars 2018
http://www.fsb.org/wp-content/uploads/P180318.pdf
COINBASE, COIN CENTER, UNION SQUARE VENTURES AND CONSENSYS,
« A Securities Law Framework for Blockchain Tokens », Coin Base,
7 décembre 2016,
https://www.coinbase.com/legal/securities-law-framework.pdf
Simon DE CHARENTENAY, « Blockchain et Droit: Code is deeply
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Règlement (UE) No 648/2012 du 4 juillet 2012 sur les
produits dérivés de gré à gré, les
contreparties centrales et les référentiels centraux
Règlement (UE) No 909/2014 du 23 juillet 2014, concernant
l'amélioration du règlement de titres dans l'Union
européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant
les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) no
236/2012
Règlement (UE) 910/2014, du 23 juillet 2014 sur
l'identification électronique et les services de confiance pour les
transactions électroniques au sein du marché intérieur et
abrogeant la directive 1999/93/CE.
Règlement (UE) 2016/679, du 27 avril 2016, relatif
à la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel et à
la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive
95/46/CE
Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère
définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de
règlement des opérations sur titres
Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les
marchés d'instruments financiers
Directive 2014/65 /UE du 15 mai 2014 concernant les
marchés d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et
la directive 2011/61/UE.
Directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du
Conseil du 25 novembre 2015
Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à
la transparence, à la lutte contre la corruption et à la
modernisation de la vie économique
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à l'utilisation d'un dispositif d'enregistrement électronique
partagé pour la représentation et la transmission de titres
financiers
Ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de
caisse Règles harmonisées de marché d'Euronext
Instruction Euronext N3-01, Admission aux négociations des
titres de capital
Instruction AMF « Procédure d'enregistrement et
établissement d'un document d'information devant etre
déposé auprès de l'AMF par les IBD » (DOC-
2017-06)
Instruction AMF du 21 Octobre 2016 - Information à
diffuser en cas d'offre au public ou d'admission aux négociations de
titres financiers sur un marché réglementé,
(DOC-2016-04)
JORF n°0287, « Rapport au Président de la
République relatif à l'ordonnance n° 2017-1674 du 8
décembre 2017 relative à l'utilisation d'un dispositif
d'enregistrement électronique partagé pour la
représentation et la transmission de titres financiers », texte
n°23 du 9 décembre 2017
Décisisons judiciaires
CJUE, 13 mai 2014, aff. C-131/12, Google Spain SL et Google Inc .
c/ Agencia Espaflola de Protección de Datos (AEPD) et Mario Costeja
González.
U.S. SUPREME COURT, « SEC v. Howey Co. », 328 U.S. 293
(1946), No. 843, 27 mai 1946
Conférence et Vidéo
Conférence « Blockchains et cryptomonnaies :
hors-la-loi ? », conférence co-organisée par le Master 2 de
Droit des affaires Contentieux des affaires et le Master 2 de Droit des TNSI de
Nanterre, 23 mars 2018
Andreas ANTONOPOULOS, Webserie Blockckain Revolution
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