Le concept développement est empreint de
subtilités de langage toujours délicates à manier. Son
analyse nous plonge dans un registre où l'on ne sait pas exactement ce
que le mot veut dire. A tout le moins, il s'agit de l'une de plus veilles et de
plus puissantes idées de l'occident188. Pourtant, au vu de
l'impact du pétrole sur l'économie et le développement des
pays producteurs, notamment le plus anciens (Angola, Nigéria, Congo),
des questions se
183 Article 215 de la constitution du 18 février tel que
modifiée en ce jour
184 CREDDHO, Op.cit., p.2.
185 Idem.
186 Le terme déconstruction des discours des
évidences nous a été inspiré par les enseignants du
Professeur Ivan MINGASHANG lors de ses enseignants sur les relations
internationales africaines, UNIGOM, L2 droit, 20142015.
187 Idem
188 I. MINGASHANG, op.cit., p.
34.
51
posent : le pétrole est-il une
bénédiction, c'est-à-dire une opportunité de
développement durable et d'amélioration des conditions de vie des
populations, ou plutôt une source de malédiction, de corruption et
d'instabilité ? A ce sujet, au moment où le Ghana entrait dans le
club des pays producteurs de pétrole en Afrique, la ministre
Ghanéenne des finances posait cette problématique de
manière claire, en ces termes : « le défi majeur sera de
savoir comment faire pour que les revenus du pétrole servent à
transformer l'économie, doper la croissance sans sacrifier la
stabilité macro-économique et accentuer les
inégalité189 ».
Cette phrase condense les expériences observées
dans quelques pays producteurs de pétrole. D'une part, la rente
pétrolière peut être effectivement un atout pour le
développement durable, mais d'autre part elle peut être une source
d'instabilité politique et économique. La découverte de
l'or noir dans un pays est souvent perçue ou présentée de
façon idyllique en rapport avec ses retombées économiques
et sur la transformation des conditions de vie des populations et le
développement.190
Au mois d'août 2010, l'Honorable Célestin
VUNABANDI, accompagnant une délégation de SOCO, a invité,
à l'hôtel Ihisu des journalistes, des députés
provinciaux et des membres de la société civile dont nous
faisions partie pour leur parler de l'exploitation du pétrole au
Nord-Kivu dans le Parc national des Virunga. Selon le dire de l'Honorable :
« cette activité pourra procurer de l'emploi à plusieurs
personnes et donnera du bonheur à la population locale, permettre le
développement des entités envoisinant le PNVI et même, le
développement de la province en générale
».191
Lors de cette réunion, nous avions eu l'impression que
l'intervenant principal cherchait, avant tout, à convaincre plutôt
qu'à informer. Il ailleurs déplorable de noter que la chaine de
télévision Digital Congo n'avait pas hésiter à dire
à cette époque, que la population acceptait le projet alors
qu'elle venait juste d'être informée de celui-ci sans y avoir
été associé à aucun moment.
De son côté en 2012, SOCO intensifie une
campagne de soutien en sollicitant les faveurs de certains
députés provinciaux et nationaux originaires de la région
ainsi que certains
189 Propos de la ministre Ghanéenne des finances
KWABENA Duffuor, voir l'article : pétrole en Afrique : or noir :
misère noire, de René Dassué, Disponible sur
http://www.afrik.com/article21841.html,
consulté le 28 mai 2015.
190 J. DOMINIC, E. NDIMUBANZI,
op.cit., p. 69.
191 Extrait de la pétition des organisations de la
société civile environnementale du Nord-Kivu face à
l'exploitation du pétrole du Bloc V du PNVI, adressée au
1èr Ministre chef du gouvernement et au Ministre des
Hydrocarbures à Kinshasa, 25. Septembre. 2010.
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militaires en poste sur terrain192. Nous avons
constaté lors de notre entretien avec les notables hutu de Rutshuru le 2
mai 2012, que SOCO promet des merveilles aux populations locales, notamment une
embauche massive, alors qu'avec la technologie moderne, même la main
d'oeuvre qualifiée employée n'est pas
énorme193. Un ancien ministre de l'énergie originaire
de la région leur a dit séance tenante « qu'il a
visité les installations offshore à Matadi et qu'à sa
grande surprise pas plus de 30 Congolais qualifiés travaillaient sur la
plateforme ». Nous avons constaté lors de notre entretien, que
la campagne démagogique de SOCO bénéficie d'un
déficit d'information. Bien que plusieurs contrats portant sur les mines
et les hydrocarbures soient sur le site du ministère des mines, les
populations vivant dans le Nord-Kivu profond n'ont pas accès à
ces informations et un effort de communication serait
nécessaire194. La volonté du gouvernement de
s'enquérir des estimations exactes des réserves
pétrolières du Graben albertine est somme toute légitime
et souveraine195. Cependant, il n'a ni les moyens ni les
compétences pour le faire et compte sur le savoir-faire et les moyens
financiers des compagnies pétrolières étrangères
qui ne peuvent le faire de façon désintéressée.
Elles travaillent pour le profit et non pour la charité. Si les
réserves importantes sont découvertes, la tentation pour les
compagnies pétrolières de jouer le tout pour le tout pour
exploiter ces gisements sera d'autant plus forte196. Et face aux
autorités congolaises qui se succèdent en signant des contrats
léonins moyennant des commissions juteuses, la bataille pour la
conservation du Parc National des Virunga s'annonce longue et difficile.
D'autant plus que certains députés originaires du Nord-Kivu
remettaient déjà en cause l'ordonnance-loi n° 69-041 du 22
août 1969 abrogée par la loi n° 14/003 du 11 février
2014 relative à la conservation de la nature, interdisant l'exploitation
minière et pétrolière dans les aires
protégées197. Ils estiment que la résolution
1514 de l'ONU autorise les peuples à disposer de leurs ressources
naturelles et proposent de trouver une façon de concilier la protection
de l'environnement et l'exploitation des ressources.198 Un combat
inégal entre les compagnies pétrolières aux ressources
financières énormes et la conservation de la nature est
déjà engagé. Il est impératif
192 Lettre de l'ONG Innovation pour le développement et
la protection de l'environnement (IDPE) au gouverneur de la province du
Nord-Kivu, Goma, 17 janvier 2012.
193 Idem
194 OVG, op.cit., 2010, p.3, inédit.
195 A. TOGERA, op.cit., p.28.
196 Idem
197 Ordonnance-loi n° 69-041 du 22 août 1969
abrogée par la loi n° 14/003 du 11 février 2014 relative
à la conservation de la nature
198 A. TOGERA, op.cit., p.28.
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d'informer les populations concernées quant aux enjeux
en compétition pour qu'elles puissent exprimer leur avis.
Dans le cas de figure des gisements pétroliers dans le
Graben albertine dans les blocs
3, 4, et 5 couvrant plus de 85 % de la
superficie du PNV, nombre d'observateurs
reconnaissent la légitimité du gouvernement
congolais d'avoir une idée exacte des
réserves pétrolières estimées du
Graben albertine. Mais le risque que les grandes
compagnies
pétrolières y mettent la main une fois les acquisitions sismiques
confirmées
est grand. Face aux autorités congolaises
réputées pour conclure de contrats léonins moyennant de
commissions juteuses, comment s'assurer qu'une expertise indépendante
fasse l'estimation199 ?
Certes, le pétrole peut être effectivement un
moteur pour le développement durable. C'est d'abord une source
importante de devises. C'est aussi un moyen de mettre fin à la
dépendance et au déficit
énergétique qui caractérise beaucoup de pays africains.
L'exploitation du pétrole peut aussi entraîner le
développement des infrastructures, de l'industrie pétrochimique,
voire de l'agriculture. Elle peut également aider au contrôle de
l'espace en stimulant le développement des villes200.
A contrario, le pétrole crée une
économie de rente et constitue par conséquent facteur de
déstabilisation économique. Dans beaucoup de situations, la manne
pétrolière conduits les
Etats à se détourner des secteurs productifs
durables et engendre ce qu'on appelle le « syndrome
Hollandais201 ». Profitant à une petite oligarchie au
pouvoir, c'est une source importante de corruption, de mauvaise gouvernance, et
par conséquent d'instabilité politique202.
Les études transversales semblent indiquer que l'impact
des ressources naturelles dépend de la situation initiale et donc que
les pays exportateurs dotés d'institutions solides et
d'un capital humain conséquent auront tendance
à moins souffrir de la « malédiction des ressources
»203. Les leçons tirées de la plupart des pays
pétroliers africains montrent que la grande faiblesse de la gouvernance
est liée à l'opacité qui caractérise la signature
des contrats.
199 Selon Transparency International dans son rapport de
2011, la RD Congo est 182ème sur 183 pays sur l'indice de
perception de la corruption.
200 J. DOMINIC, E. NDIMUBANZI, op.cit., p. 69.
201 J-P KOUTASSILA, Le syndrome Hollandais : théorie
et vérification empirique au Congo et au Cameroun, Centre
d'économie du développement Université
Montesquieu-Bordeaux IV - France, 2008, p.1-3.
202 J. DOMINIC, E. NDIMUBANZI, op.cit., p. 69.
203 G. ALAN et G. Sina, Déjouer la malédiction
pétrolière, De Boeck Supérieur, Afrique
contemporaine, 2009/1, N°229, p.87. Disponible sur
http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-1-page-87.htm
consulté le 31 mai 2015,
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