Stratégies géoéconomiques des multinationales du pétrole au Gabon. Les cas de shell, total et sinopec.( Télécharger le fichier original )par Jean de dieu MINYEM Université Omar Bongo de Libreville - Master 2 Géographie 2015 |
1.2. LES STRATEGIES SIMILAIRES NON CONVENTIONNELLESLes stratégies non conventionnelles sont des politiques et méthodes mises en place par les multinationales, en marge de ce qui est prévu par la législation pour conquérir ou contrôler le marché gabonais du pétrole. Il est nécessaire tout de même de préciser que ces stratégies restent très difficiles à analyser, car non officielles, non reconnues par les auteurs et souvent inconnues du grand public. Il faut sans doute se rappeler de l'opération Ajax178(*) pour comprendre qu'il faut parfois du temps pour que les multinationales et les Etats auteurs de tels actes commis contre les intérêts d'autres nations les reconnaissent comme tel. Ces stratégies, élaborées par toutes ces multinationales, peuvent être non militaires ou militaires. 1.2.1. CONQUETE ET CONTROLE ILLEGAUX MAIS NON MILITAIRES DU MARCHE PETROLIER GABONAISIl s'agit des stratégies qui ne prennent pas en considération l'option militaire dans le but de conquérir et/ou de contrôler le marché pétrolier gabonais. Les stratégies ici peuvent être politiques, administratives, juridiques, économiques etc. Ce sont des cas par exemple de corruption, de pressions politiques à l'endroit du pouvoir étatique en place ou des cas d'entente entre multinationales. C'est dans ce sillage que « l'ensemble des firmes multinationales n'hésitent pas à développer une sorte de soft law, une mercatoria, un corps de règles n'appartenant à aucun des ordres juridiques consacrés179(*), en sollicitant les Etats pour qu'ils n'imposent pas des principes d'ordre public trop contraignants »180(*). Dans ce contexte, « les multinationales sont à l'origine de la mise en place ou du cautionnement des régimes responsables de violations massives des droits humains ou l'alimentation et l'encouragement des circuits de corruption »181(*) auxquels n'échappe pas Sinopec. Par exemple «Lorsque FU CHENGYU prend les rênes de SINOPEC en 2011, l'entreprise sort d'une série de scandales qui a culminé en 2006 avec l'arrestation de son président. Intercepté à l'aéroport de Pékin, CHEN TONGHAI s'apprêtait à fuir à l'étranger avec 30 millions de $. Il a été condamné à mort avec sursis.»182(*). Au Gabon, Addax Gabon, filiale gabonaise de Sinopec, sera mis en cause dans l'affaire Addax relevée plus haut pour « des cas de corruption, le non-respect des normes environnementales et des fraudes fiscales dans l'exportation de l'or noir, affirme-t-on au ministère du Pétrole » 183(*). L'affaire Total quant à elle verra l'entreprise française mise en redressement fiscal. (Voir infra). Mais la plus grosse affaire de corruption, mêlée de pressions politiques, de trucages d'élections, de clientélisme, d'espionnage et autres ignominies politiques insoupçonnées et insoupçonnables, qui a fait la part belle au Gabon reste l'affaire Elf, bien rapportée par l'espion français Pierre Lethier184(*). « Les affaires judiciaires de la société Elf ont révélé une partie de l'ampleur de la corruption pour la course à l'or noir : constitution de caisses noires pour impliquer certains hauts fonctionnaires (à travers la Banque française intercontinentale), faux-monnayage ("emprunt Joséphine" de 2 milliards de francs via le Tchad en 1998), contribution aux partis politiques de gouvernement (8OO millions de francs par an), utilisation de prostituées de luxe (comme pour l'ex-président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas) [...] Généralisées chez tous les pétroliers, ces manipulations se sont institutionnalisées en France avec la création en 1965 de la société nationale Elf-Aquitaine (privatisée en 1994), conçue comme une véritable annexe des services secrets en Afrique.» 185(*) C'est dans ce sens, comme souligné plus haut, qu'une multinationale peut être « un Etat dans un Etat, avec son service secret, ses réseaux de renseignements, ses sociétés de sécurité... »186(*) « Ancien patron de cette multinationale aux activités subversives, Loick le Floch-Prigent n'a pas sa langue dans sa poche quand il affirme dans un numéro de l'hebdomadaire français L'Express que c'est son groupe qui a installé Bongo, Sassou 2 et Biya au pouvoir. »187(*). L'entente entre multinationales fait aussi partie des stratégies non militaires et illégales de conquête et de contrôle du marché pétrolier. Il s'agit ici d'une entente entre deux ou plusieurs multinationales dans l'objectif de profiter plus de l'or noir que le pays producteur. Yves Lacoste décrit clairement le cas des « sept soeurs » : « trois grandes compagnies, deux britanniques, l'Anglo-Iranian (aujourd'hui British Petroleum) et la Shell et une française Total, ont constitué en 1927 avec quatre compagnies américaines, le cartel international de pétrole, qui fixait au pétrole un même prix dans le monde entier (sauf aux USA). Ce système organisé par les « sept soeurs » pour leur grand profit s'est maintenu jusqu'à ce qu'un nombre croissant de pays qui leurs avaient accordé des concessions décident de la nationalisation et de l'exploitation pétrolière. »188(*) Il devient alors légitime de se poser la question sur cette cohabitation cinquantenaire en toute quiétude entre la France (SPAEF, Elf et Total) et la Grande-Bretagne (Shell et Tullow oil) au Gabon. La question se pose aussi concernant l'absence de société majeure américaine dans la production pétrolière au Gabon, pourtant présente dans tous les autres pays limitrophes du Gabon jusqu'au Tchad. Y aurait-il une entente entre la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ? L'absence de preuve matérielle tangible d'entente signifie-t-il inexistence d'une telle entente ?189(*) * 178 https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Ajax consulté le 02 12 14. L'opération Ajax (officiellement TP-AJAX) était une opération secrète menée par le Royaume-Uni et les États-Unis en 1953, exécutée par la CIA, pour mettre un terme à la politique nationaliste du Premier ministre d'Iran, Mohammad Mossadegh, et consolider le pouvoir du Chah, Mohammed Reza Pahlavi, ceci afin de préserver les intérêts occidentaux dans l'exploitation des gisements pétrolifères iraniens. Durant l'administration du président américain Bill Clinton en 2000, la secrétaire d'État Madeleine Albright a reconnu officiellement le rôle des États-Unis dans l'organisation et le soutien financier du coup d'État de 1953. Barack Obama est le premier président à reconnaître l'implication de son gouvernement et à s'en excuser dans un discours adressé à la communauté musulmane le 4 juin 2009. « En pleine guerre froide, les États-Unis ont joué un rôle dans le renversement d'un gouvernement iranien démocratiquement élu. » * 179 Sébastien BALZIC, « Rien n'arrête SINOPEC » sur http://economie.jeuneafrique.com op cit. * 180 Robert CHARVIN, 2000, cité par Guy MVELE (op cit). * 181 http://www.alterinfo.net/L-Afrique-entre-multinationales-et-privatisations-ce-que-pense-le-MLAN_a8393.html consulté le 12 06 14. * 182BELZIC S. « Hydrocarbures, rien n'arrête Sinopec », op cit. * 183 BALLONG S. (2013), « le Gabon reprend en main le secteur pétrolier », www. Jeune Afrique-Economie, consulté le 04 07 14. * 184 AfriqueEducation, no 81, du 16 au 31 mars 2001, Affaire Elf Aquitaine ou l'art de détrousser l'Afrique. « Ancien haut placé dans les services secrets français, Pierre LETHIER a étroitement traité avec plusieurs patrons d'Elf ». * 185 http://ec.europa.eu/development/body/publications/courier/courier190/fr/fr_070.pdf. consulté 16 06 15. * 186 Guy MVELE op cit * 187 Ibid.le * 188LACOSTE Y. (2013), Atlas géopolitique, Larousse p178. * 189 Sous anonymat, une autorité administrative a affirmé dans un entretien qu'il nous a accordé en off, que la présence de Shell et de Total au Gabon est régie par un accord de partenariat sous forme de « motus vivendi ». |
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