Stratégies géoéconomiques des multinationales du pétrole au Gabon. Les cas de shell, total et sinopec.( Télécharger le fichier original )par Jean de dieu MINYEM Université Omar Bongo de Libreville - Master 2 Géographie 2015 |
SECONDE PARTIE.LE « GRAND JEU »147(*) STRATEGIQUE SUR L'ECHIQUIER148(*) PETROLIER GABONAISL'analyse des stratégies des multinationales au Gabon sera faite ici sur plusieurs échelles (périodes et espaces différents) faisant ainsi une part belle à la synchronie et à la diachronie étudiées à l'introduction, afin de suivre la pensée de M. Foucher cité par M. P. Makanga Bala (1997) et rapportée par J. Ndoutoume Ngome (2007, p. 271) selon laquelle : « l'analyse géopolitique se nourrit de la multiplication d'études de cas réalisés sur divers terrains.» Les faits qui seront relayés dans cette partie, sont à écarter de toute « considération journalistique, expression dans laquelle on range l'information encore sous forme de suppositions ou de simples hypothèses.»149(*) Pour ainsi dire, les groupes Shell, Total et Sinopec développent au Gabon, des stratégies à la fois similaires pour certaines d'entre elles et différentes pour d'autres. Ces stratégies peuvent avoir diverses conséquences sur ces multinationales elles-mêmes et sur l'Etat gabonais, principaux acteurs du secteur pétrolier gabonais. CHAPITRE III. DES STRATEGIES SIMILAIRES POUR LES TROIS MULTINATIONALESLa similitude dans les stratégies de Shell, de Total et de Sinopec réside dans l'établissement, par les trois multinationales, des stratégies conventionnelles d'une part et des stratégies non conventionnelles d'autre part. 1.1. LES STRATEGIES SIMILAIRES CONVENTIONNELLESLes stratégies conventionnelles sont un ensemble de politiques et de méthodes légales, établi par les multinationales pour la conquête et le contrôle du marché gabonais du pétrole. Ces stratagèmes utilisés par les trois multinationales se déclinent en cinq aspects: l'intervention directe de l'Etat d'origine de la multinationale dans la conquête et le contrôle du marché gabonais du pétrole, le principe de respect de la législation gabonaise, le développement des projets sociaux pour le Gabon, le développement des programmes de protection de l'environnement au Gabon et la sécurisation militaire des zones de production en off-shore. 1.1.1. L'INTERVENTION DE L'ETAT D'ORIGINE DE LA MULTINATIONALE DANS LA CONQUETE ET LE CONTROLE DU MARCHE PETROLIER GABONAIS« De La Guerre » est l'un des traités les plus importants sur la stratégie militaire. C'est dans ce livre que la fameuse citation de Clausewitz trouve son fondement, selon laquelle : « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. »150(*). Dans ce sens, la géoéconomie peut être prise comme la continuation de la politique économique d'un Etat au sein d'un autre Etat par le biais d'une multinationale : on peut parler d'un aspect de la guerre économique. L'idée de guerre s'arrête ici car cette comparaison nous laisse juste comprendre l'idée du rôle très important des Etats propriétaires de multinationales dans la conquête ou le contrôle des marchés des pays détenteurs des matières premières comme le pétrole. On sait qu'« Elle (la création de la Géoéconomie) découle d'un constat : dans les pays du Nord : la conflictualité est devenue essentiellement économique et non plus militaire ou territoriale. Dans ce contexte, il y a des entreprises qui mènent leur propre diplomatie et d'autres qui s'engagent dans des formes de partenariat conclus sous l'impulsion des administrations étatiques. Face au risque de perdre leur souveraineté, les Etats cherchent en effet de nouvelles causes en s'appropriant les objectifs stratégiques des grandes entreprises. Ils mettent ainsi en place des dispositifs qui assurent la promotion des intérêts des « fleurons » de l'industrie nationale ».151(*) Cette intervention étatique peut atteindre le cadre du renseignement pour la protection de ses intérêts selon Nicolas Mazzuchi. C'est le cas par exemple de : « l'«Office of Inteligence and Counterintelligence » (OIC)[qui] est une agence de renseignement placée sous tutelle du « département of energy », au-delà des problématiques de prolifération et de sûreté nucléaire, il est aussi chargé de tout ce qui touche à la sécurité énergétique des USA et appuie les différents acteurs américains à l'international, il appartient officiellement à la communauté de renseignement américain. » La Defense Logistics Agency (DLA) quant à elle, ou l'agence de gestion des stocks des matières minérales les plus stratégiques a pour mission d'éviter des ruptures préjudiciables aux industries américaines les plus stratégiques en particulier dans les secteurs de l'aérospatial militaire. »152(*). En France, les services de renseignement ont pendant longtemps participé à cette confusion de genre entre l'Etat français et les multinationales. C'est le cas très précisément de la défunte Elf qui a beaucoup exercée au Gabon. D'ailleurs « monsieur » Maurice Robert, barbouze hors paires des services secrets français sera recruté par Elf alors qu'il était nul autre que le responsable du département Afrique du Service de Documentation Extérieure et de contre-espionnage (SDECE). Le Sieur Robert serait resté jusque-là dans la légalité de son pays si par la suite, en 1979, sur la demande du président Omar Bongo, il n'était pas nommé ambassadeur de la France au Gabon.153(*) On comprend pourquoi on dit généralement qu'une multinationale est « un Etat dans un Etat, avec son service secret, ses réseaux de renseignements, ses sociétés de sécurité... »154(*) Mais il faut garder à l'esprit, comme le dit Pierre Pean [Rapport parlementaire, n°1859, t.l, 1999, p. 28], cité par J. Ndoutoume Ngome, qu'«Elf était la France: attaquer l'une équivalait à attaquer l'autre».155(*) Pour le cas de la Chine, selon un ingénieur156(*) de Sinopec « les contrats sont négociés au sommet de l'Etat. Il ne faut jamais oublier que Sinopec est une entreprise publique éminemment stratégique ». Pékin a mis sur place en 2007 un Fonds sino-africain pour encourager ses sociétés à investir en Afrique. « Le Fonds vise à « soutenir la coopération stratégique, économique et diplomatique » selon son président, Gao Jia. Il est doté d'un milliard de dollars de la part de la banque chinoise de développement, un capital qui devrait atteindre cinq milliards de dollars. »157(*). Michel Roussin ajoute que les entreprises chinoises bénéficient des facilités de crédit accordées par la China Exim Bank pour investir les marchés étrangers. 158(*) Mais la France n'est pas en reste. Le vendredi 6 février 2015, lors de la deuxième édition du Sommet économique Afrique-France à Paris, qui faisait suite au sommet de Paris de la fin 2013 qui lui, avait pour objectif de relancer le partenariat entre la France et l'Afrique,159(*) François Hollande a annoncé la création d'une « banque pour les exportations » (une eximBank à la chinoise et à l'américaine) entre autres pour aider les entreprises françaises dans le monde et surtout en Afrique dans leur conquête de marchés. D'autre part l'aide apportée par certaines institutions internationales comme le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, l'Oraganisation Internationale de la Francophonie, le Commonwealth ou encore l'Agence Française de Développement, n'est pas gratuite et fortuite 160(*); elles favorisent en retour l'investissement des marchés par les entreprises occidentales, seules capables de garantir cette aide ou des éventuels prêts. J. Ndoutoume Ngome (2007, p : 277) n'affirmait-il pas que « l'aide au développement du continent noir, tant vantée, nous parait être plus un saupoudrage qu'une véritable conviction occidentale pour contribuer à l'essor économique africain. » La réalité est peut-être à trouver dans cette déclaration de l'ancien Ministre de la coopération française, J. Godfrain (1998, p. 55):« Le marché africain fait vivre encore plus de Français sur notre territoire. L'ensemble francophone en Afrique est, pour notre pays, la seconde zone de commerce extérieur après l'Union européenne. Le chiffre d'affaires de nos entreprises sur le continent noir n'est pas éloigné du montant de l'aide publique au développement française à l'Afrique. En effet, par différents canaux, un retour s'opère et c'est aussi le devoir du Ministère de veiller à défendre les intérêts de nos entreprises.161(*)» Dans « Echos d'ici, échos d'ailleurs162(*) » Jean-Michel severino163(*) affirme que « le soutien des politiques des nations occidentales à leurs entreprises en Afrique n'est pas facile à prouver mais il est réel ». Il ajoute que ces « relations entre la politique et les affaires sont aux frontières de l'éthique ». La nouvelle version du sommet France-Afrique aujourd'hui Afrique-France, relevée plus haut et les cas où le président français, François Hollande devient un véritable Vendeur-Représentant-Placier (VRP) sont aussi à prendre en compte ici. le 2 juil. 2015 par exemple, c'est une tournée africaine éclair que François Hollande avaient débutée en compagnie d'une cinquantaine de chefs d'entreprises français, donc le président directeur général de Total.164(*) * 147 https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Jeu, consulté le12 12 14. Le Grand Jeu renvoie à la rivalité coloniale entre la Russie et la Grande-Bretagne en Asie au XIXe siècle, qui a amené entre autres à la création de l'actuel Afghanistan comme État tampon. L'expression apparaît dans le roman Kim, publié en 1901 par Rudyard Kipling. * 148 Terme emprunté à Zbigniew Kazimierz Brzeziñski, conseiller de Jimmy Carter, de 1977 à 1981, d'origine polonaise, il a écrit Le Grand Echiquier en 1997, pluriel. * 149 Ibid. p 271. * 150 Carl von Clausewitz, 2001, De la guerre, Fayard, p.275. * 151 Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND lors d'un entretien avec Pascal LOROT sur http://www.scienceshumaines.com/la-geoeconomie-les-enjeux-politiques-du commerce_fr_11778.html consulté le 03 07 14 * 152 Nicolas MAZZUCHI, 2012, « le défi énergétique des USA », Nouvelle Revue de Géopolitique no 6/7, oct, nov, dec, p. 60. * 153 Voir le documentaire de Patrick BANQUET, diffusé sur France 2 dans l'émission infra rouge. * 154 Guy MVELE, 2010, intérêts des puissances étrangères en Afrique centrale, Enjeux no 42, p.24 * 155 J. NDOUTOUME NGOME, 2007, op cit, pp. 303-304. * 156 Cité par Sébastien BELZIC dans son article « Hydrocarbures, rien n'arrête Sinopec » sur http://economie.jeuneafrique.com consulté le 12 07 14 * 157 Thierry BANGUI, La Chine, un nouveau partenaire de développement de l'Afrique : vers la fin des privilèges européens sur le continent noir ? L'Harmattan, Paris, 2009, p.56. * 158 Michel ROUSSIN, ex-président comité Afrique du MEDEF International dans un entretien accordé au Jeune Afrique Economique, propos recueilli par Alain FAUJAS sur http://economie.jeuneafrique.com consulté le 12 07 14 * 159. http://www.afrik.com/ouverture-ce-vendredi-du-sommet-afrique-france consulté le 12 08 15 * 160 J. NDOUTOUME NGOME, 2007, op cit, p. 277. « L'émergence de l'espace francophone maintient la sous-région dans un système politique où les Etats ont peu innové. » * 161 J. NDOUTOUME NGOME, 2007, op cit, p.276-277. * 162 4 janv. 2014 - Le grand invité de l'économie RFI-Jeune Afrique est Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l'Agence française de développement. www.rfi.fr/emission/20140104-1-eco-ici-eco-ailleurs/ consulté le 03 07 15. * 163 Jean-Michel SEVERINO est directeur d'un fond d'investissement pour les PME africaines et ancien directeur de l'agence française de développement. * 164 www.rfi.fr/afrique/20150702-video-enjeux-tournee-africaine-francois-h. Consulté le 12 08 15. |
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