II - DELIMITATION DU SUJET
Pour mieux cerner notre sujet, nous avons jugé utile de
le délimiter dans l'espace et dans le temps.
1 - DANS L'ESPACE.
Géographiquement, notre sujet d'étude couvre une
aire bien précise : le département de la Mifi
(actuel). Il est situé entre 5°25' et 5°35' de
latitude Nord et entre 10° 20' et 10°35' de longitude Est sur le
plateau Bamiléké, lui-même incrusté dans le vaste
ensemble des Hautes Terres de l'Ouest-Cameroun (TSALEFAC, 1999). En effet,
ladite région est limitée au Nord par le fleuve Noun,
frontière naturelle entre les plateaux Bamiléké et Bamoun,
sinon qu'ailleurs les limites de ce département sont plus
administratives que physique (Voir carte de localisation).
Ainsi au Sud, le département de la Mifi est
limité par le département des Hauts Plateaux (chef-lieu : Baham),
au Sud-Ouest par le département de la Menoua (chef-lieu : Dschang),
à l'Est par le département du Koung-Khi (chef-lieu : Bandjoun) et
à l'Ouest par le département des Bamboutos (chef-lieu :
Mbouda).
La création du département de l'actuel Mifi date
du Décret présidentiel N° 92/206 du 05 septembre 1992
portant réorganisation administrative du Cameroun. A la faveur de ce
décret, le département de la Mifi d'alors (grand Mifi) est
éclaté en trois départements : Koung-Khi, Hauts plateaux
et Mifi actuel. Son chef-lieu demeure Bafoussam.
2 - DANS LE TEMPS.
Notre sujet a comme point de départ, la déprise
caféière (1985) et les premières mutations agraires
(1990). Cette situation ouvre une ère nouvelle pour les paysanneries de
la région et nos travaux d'études vont couvrir toute la
décennie 90 (1990 - 2000). Cette période est
marquée par un temps fort : La dévaluation du franc CFA (Janvier
1994).
En revanche, la rareté des données sur le
haricot entre 1990 - 1995 (période de tensions socio-politiques et de
désordre administratif) nous a emmené à couvrir
statistiquement toute la décennie 80 afin de mieux appréhender
les mutations actuelles.
.
Le secteur agricole au Cameroun occupe près de 68% de
la population active, assure la sécurité alimentaire,
génère environ 1/3 des recettes en devises, 15% des ressources
budgétaire et participe pour 30% au PIB depuis
III - CHOIX ET INTERÊT DU SUJET
7
1993. (Politique Agricole du Cameroun, mars 1998). A
partir de là ; la place de l'agriculture dans l'économie
camerounaise n'est plus à démontrer.
Cependant cette agriculture traverse une double crise
fonctionnelle que certains (S. ARLAUD et M. PERIGORD, 1997) expliquent ainsi :
crise de surproduction des cultures de rente et crise de sous-production
alimentaire. Cette crise pourrait également s'expliquer par la chute
drastique des cours des matières premières agricoles à
l'exportation et les habitudes alimentaires extraverties.
Cette crise (conjoncturelle et/ou structurelle) a
déclenché des mutations agraires tous azimuts au Cameroun et
ailleurs dans le tiers monde. Dans ce contexte de bouleversements, il est
intéressant d'étudier les ajustements et les adaptations que les
paysanneries s'efforcent de mettre en place suivant leur propre logique.
Avec le désengagement de l'Etat des secteurs clé
de l'économie et la libéralisation dite `'sauvage», du fait
de la privatisation mal préparée qui a débouché sur
un bradage économique selon certains, on assiste à une
désorganisation des structures économiques. Tout ceci rend
très disparate les flux commerciaux des vivriers marchands que nous
tenterons d'analyser ici avec le cas du haricot.
A priori, cet angle d'approche des mutations agraires à
partir du haricot n'est pas très évident. Car en observant de
près la situation agricole, on se rend compte que le maïs est parmi
les céréales les plus répandues au monde et au Cameroun de
par son écologie très élastique à toutes les
latitudes et est le deuxième produit agricole de consommation courante
au monde après le riz. Au Cameroun, les hautes terres de l'Ouest avec
une production de 300.000 tonnes par an sont l'une des principales zones
maïscicoles (500.000 tonnes par an pour tout le Cameroun, AGROCOM, 1999).
Ses formes de consommation sont diverses et variées en Afrique de
l'Ouest (Bénin, Sénégal surtout) et en Amérique
centrale (BRICAS et SAUVINET, 1989).
Le haricot possède des valeurs intrinsèques
nettement supérieures aux autres cultures comme le maïs, la pomme
de terre entre autres ; c'est une légumineuse qui au niveau des racines
possède des nodules contenant des bactéries (Rhizobium) ayant la
capacité de prélever les 78% d'azote atmosphérique sous
forme de NO2, de la fixer et de la transformer en NO-3 ou
NH+4. Seules ces formes d'azotes nitrique et ammoniacal sont
consommables par la plante. Son cycle végétatif est court et
varie de 60 à 90 jours suivants les variétés, ce qui
permet de pratiquer plusieurs campagnes dans l'année (2 voire 3
campagnes de 3 mois).
Il bénéficie en cela des conditions
écologiques très favorables, avec un climat de montagne frais et
humide (9 mois de pluie), des températures basses (20°c) et des
sols volcaniques fertiles.
Outre ces atouts, le choix du haricot ne relève donc
pas du hasard dans la mesure où, c'est également une plante que
les paysans intègrent de plus en plus dans leur calendrier agricole ; ce
qui expliquent son omniprésence à chaque campagne agricole. C'est
donc une culture en pleine extension et qui inonde davantage les circuits
commerciaux à longue distance.
A cet égard, le haricot s'avère être une
des réponses aux nombreuses difficultés auxquelles les
populations font face de façon récurrente. Ainsi, le haricot
fournit à l'homme une double alimentation qualitative et quantitative,
pour ses feuilles comme légumes et ses graines qui ont une haute valeur
nutritive en protéine végétale. Ne dit-on pas que c'est
`'la viande des pauvres». Et avec le haricot, l'allogamie est
très réduite, ce qui permet d'assurer aux paysans la production
prolongée de ses propres semences (CIAT 1996).
Tableau 1 : Teneur en protéine des
graines de quelques céréales
et légumineuses.
CÉRÉALES
|
PROTÉINES
%
|
- Blé
|
12,3
|
- Riz
|
8,3
|
- Orge
|
8,6
|
- Maïs
|
8,9
|
- Seigle
|
12,1
|
- Avoine
|
11,0
|
- Sorgho
|
11,0
|
- Millet
|
10,0
|
LÉGUMINEUSES
|
PROTÉINES
%
|
- Haricot sec
|
22,3
|
- Fèves
|
25,1
|
- Pois
|
24,1
|
- Pois chiche
|
24,0
|
- Niébé
|
24
|
- Pois cajan
|
25
|
- Lentille
|
28
|
- Soja
|
38
|
8
Source : Debouck (1989)
9
Il serait intéressant d'étudier cette plante
dans une région où les intrants agricoles (engrais chimiques
surtout) sont presque hors de prix pour les paysans et où la pression
sur les sols réduit de plus les possibilités d'élevage des
animaux de pâturage. Ce d'autant plus que la consommation de viande
n'entre pas dans les moeurs.
Un autre fait et non des moindres est qu'il y a moins d'une
décade, le haricot ne figurait pas parmi les cultures vivrières
de premier ordre à savoir, le maïs, l'arachide, les tubercules et
la banane plantain. Or depuis peu, il prend de l'ascendance dans cette
hiérarchie et possède des arguments économiques non
négligeables ; sa valeur marchande est élevée et
supérieure aux autres vivriers marchands pris individuellement. A la
lecture du journal `'La Voix du Paysan» n°
92 de septembre 1999, était porté en grand titre : « Le
haricot : une denrée qui se vend bien » et en page 9 du
même journal un tableau intitulé « Prix de denrées
sur nos marchés », met le haricot dans une position bien
enviable.
Tableau 2 : Prix de denrées sur nos
marchés
SPÉCULATIONS
|
UNITÉ
|
YDÉ
|
B'TOA
|
D'LA
|
B'FSSM
|
N'SAMB
|
B'MNDA
|
MB'UDA
|
F'MBOT
|
N'DERE
|
Arachide
|
Seau 15 l
|
7000
|
9000
|
7800
|
8500
|
12000
|
8500
|
8300
|
8500
|
7000
|
Maïs
|
Seau 15 l
|
4000
|
5000
|
3500
|
1600
|
2700
|
1700
|
1600
|
1500
|
1800
|
Haricot rouge
|
Seau 15 l
|
7000
|
7800
|
7000
|
6000
|
6000
|
6000
|
6000
|
5500
|
8000
|
Concombre
|
Seau 15 l
|
5000
|
6500
|
4900
|
7500
|
6000
|
7500
|
7500
|
7500
|
6000
|
Gari
|
Seau 15 l
|
3200
|
3000
|
3900
|
2000
|
3000
|
1300
|
1600
|
1700
|
4000
|
Manioc
|
Cuve 30 l
|
3400
|
2000
|
3600
|
3000
|
3000
|
3000
|
3000
|
2800
|
3000
|
Pomme ter
|
Seau 15 l
|
3800
|
4000
|
4000
|
1500
|
1800
|
1400
|
1400
|
|
3500
|
Patate
|
Seau 15 l
|
3000
|
|
3000
|
1300
|
1500
|
900
|
1000
|
900
|
1000
|
Macabo
|
Seau 15 l
|
3000
|
1800
|
2700
|
|
2000
|
1200
|
1300
|
1100
|
1400
|
Plantain
|
Seau 15 l
|
2000
|
700
|
2800
|
800
|
|
900
|
800
|
700
|
1400
|
Huile palm
|
Litre
|
500
|
650
|
550
|
500
|
500
|
500
|
550
|
550
|
650
|
Boeufs
|
Kg
|
1200
|
1300
|
1400
|
1300
|
1200
|
1200
|
1300
|
1200
|
1000
|
Chèvres
|
Moyen
|
20000
|
10000
|
21000
|
16000
|
15000
|
15000
|
15000
|
14000
|
15000
|
Porcs
|
Moyen
|
23000
|
22000
|
20000
|
23000
|
16000
|
18000
|
|
|
20000
|
Poulets
|
Moyen
|
2000
|
2000
|
2000
|
2000
|
1800
|
2300
|
2200
|
2300
|
2000
|
OEufs
|
Alvéole
|
1800
|
1800
|
1700
|
1300
|
1500
|
1700
|
1300
|
1300
|
1500
|
Source : La Voix du Paysan n° 92 de septembre
1999
Tout ceci ne peut que susciter notre intérêt et
le journal sus cité de poursuivre : `'... De nos jours, il (le
haricot) est trop demandé sur les marchés intérieur et
extérieur. Actuellement sur le marché de Yaoundé, le prix
du sac avoisine 45.000 Fcfa et les pays voisins ne cessent d'en
demander».
10
L'urbanisation croissante (35%) à laquelle on assiste
au Cameroun constitue un facteur déterminant de l'évolution des
styles alimentaires. Ainsi, le haricot n'est pas seulement une denrée de
consommation courante et de soudure en milieu rural, mais aussi en milieu
urbain, où il entre dans la composition de plusieurs plats comme
complément alimentaire (sandwich).
Il est, de plus en plus présent dans les
différentes prises de repas (petit déjeuner, déjeuner et
souper). Ceci s'explique par le fait qu'au cours de la décennie 90, il y
a eu la double réduction des salaires (70%) des fonctionnaires de l'Etat
en 1993 et 1994, la dévaluation du Fcfa et surtout l'instauration de la
journée continue (7H 30 - 15H 30) en 1993. Aussi, les populations
urbaines ont été emmenées à prendre les repas
individuellement hors du cadre familial, grâce au développement de
l'alimentation de rue et des produits de grignotage dans les gargotes
omniprésentes autour des services publics, des cantines, des
établissements scolaires et dans les restaurants. La commercialisation
du haricot est devenue très flexible et les prix s'adaptent à
toutes les bourses (à partir de 25 Fcfa).
En plus de cette demande nationale croissante, le haricot
connaît également une demande extérieure sous
régionale en hausse. Car, aux destinations traditionnelles que sont le
Gabon, la Guinée Equatoriale et le Congo - Brazzaville, s'y sont
ajoutées la République Centrafricaine, la République
Démocratique du Congo (RDC) et l'Angola.
Et pour cause, la région des grands lacs, grande
productrice et consommatrice de haricot, est devenue depuis 1994 une
véritable poudrière, ce qui a largement affecté la
production. Désormais, les hautes terres de l'Ouest Cameroun sont la
région la plus courte pour leur approvisionnement en haricot sec. Son
potentiel d'exportation selon AGROCOM en 1999 se situe autour de 6 à
10.000 tonnes l'an, alors que le maïs n'est exporté que de 3
à 4000 tonnes l'an.
Contrairement aux idées largement admises, le maïs
est loin d'être un concurrent du haricot dans la course comme principale
source de devise en milieu rural Bamiléké.
11
En revanche, la pomme de terre est à prendre au
sérieux car, elle possède sinon autant d'atouts que le haricot.
D'ailleurs une structure d'encadrement des producteurs, financée par
l'Union Européenne, est installée à Dschang depuis Mai
1999.
Tableau 3 : Fréquences du haricot par
département dans
les exploitations paysannes de la province de l'Ouest.
DÉPARTEMENTS
|
PREMIER CYCLE
|
SECOND CYCLE
|
- Bamboutos
|
37,5%
|
75,7%
|
- Noun
|
2,5%
|
64,4%
|
- Menoua
|
49,8%
|
67,1%
|
- Mifi (grand)
|
26,8%
|
85,1%
|
- Ndé + Haut-Nkam
|
35,9%
|
75%
|
Source : Tatchago 1999
Le département de la Mifi, avec Bafoussam comme le
Chef-lieu de département et de la province de l'Ouest, est le principal
carrefour et point d'échange dans la région des hautes terres. Il
est ainsi difficile de l'éluder dans les travaux de recherche sur la
région.
C'est également, le département le plus
densément peuplé de la province de l'Ouest avec 503 habitants au
km2 (Cf. tableau).
Tableau 4 : Répartition des populations
par département dans
la province de l'Ouest.
DÉPARTEMENT
|
CHEF-LIEU
|
SUPERFICIE KM2
|
HABITANTS
|
DENSITÉ
|
- Bamboutos
|
Mbouda
|
1.170
|
215.523
|
184,2
|
- Haut-Nkam
|
Bafang
|
960
|
137.389
|
143,1
|
- Hauts-plateaux
|
Baham
|
415
|
79.369
|
191,25
|
- Koung-Khi
|
Bandjoun
|
353
|
76.391
|
216,4
|
- Menoua
|
Dschang
|
1.380
|
251.626
|
182,3
|
- Mifi
|
Bafoussam
|
402
|
202.193
|
503
|
- Ndé
|
Bangangté
|
1.520
|
83.588
|
54,9
|
- Noun
|
Foumban
|
7.690
|
293.725
|
38,1
|
Source : KENGNE F. (1997)
La croissance urbaine de Bafoussam est également forte
et ce depuis sa création en 1925.
Figure 1 : Evolution quantitative de la population de
Bafoussam
118646
91266
Années
1987 2000
12
140000
120000
100000
80000
60000
40000
20000
0
11000
22400
51000
62239
72500
1958
1963
1970
1976 1982
Source : PUD de Bafoussam, SCET Cameroun, Nov.
1982
13
|