Chapitre III : L'exil politique
Outre les procès expéditifs du régime
marocain à l'encontre des oppositions à l'intérieur du
pays, l'appareil répressif fonctionnait aussi à
l'extérieur du pays. Plusieurs arrestations, enlèvements et
démantèlements eurent lieu contre les cellules des oppositions
marocaines. Plusieurs militants de l'UNFP, de l'ALM, des mutins des FAR, voire
des militants marocains ne relevant pas des partis politiques marocains furent
arrêtés en Algérie, à Gibraltar, en Tunisie, en
Lybie, mais aussi en Belgique, en France et aux Pays-Bas entre 1970 et 1974.
Dans ce chapitre, nous examinerons par quelques exemples les motifs des
opposants à quitter le Maroc. Puis, nous étudierons le
phénomène des Amicales de Travailleurs et Commerçants
Marocains. Et enfin, nous survolerons les plus importants mouvements syndicaux
marocains en Europe passés dans l'opposition politique. Avec l'histoire
politique du Maroc contemporain, ce chapitre est capital dans la mesure
où ces trois points permettront la compréhension des origines et
activités des CLCRM généralement, et du CCRM de Bruxelles
particulièrement.
a. Du Maghreb vers l'Europe : fuir le despotisme
d'Hassan II.
Parmi les militants relevant essentiellement de l'UNFP, il y
avait Mohamed Ajar. Militant de l'UNFP, il fut condamné à mort
par contumace au procès de Rabat en mars 1964. Il fut
arrêté à Madrid en janvier 1970 et livré
après 15 jours à Rabat. Ahmed Benjelloun* alors lui aussi membre
de l'UNFP et arrêté à Madrid au même moment subit un
interrogatoire musclé de la part de la police politique de Franco.
111 Article 106 du Titre III de la Constitution belge. Article
29 du Titre II des Constitutions du Royaume du Maroc du 7 décembre 1962,
du 24 juillet 1970 et du 15 mars 1972.
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Présenté comme « dangereux communiste
proche des frontistes catalans » par des espions marocains auprès
de la police espagnole, il fut immédiatement pris à partie par le
commissaire lui montrant des photos compromettantes à son égard
et face au silence de l'accusé, il lui tenait ces quelques mots: «
On va t'envoyer chez Oufkir, il saura te faire parler, lui
!112 ». Le premier dossier constitué par Me Alain
Martinet pour le CLRM de Paris dresse un premier bilan des arrestations
effectuées dans les rangs de l'UNFP113.
Ce dossier cite les cas de Merzak El Yazid et de Brahim
Lachgar. Merzak El Yazid fut ouvrier ancien membre du FLN algérien, il
rentra dans l'UNFP et sera enlevé en plein territoire algérien.
Brahim Lachgar était ouvrier militant de l'UNFP. Il fut enlevé en
Lybie en août 1974 et acheminé par le Sahara jusqu'au Maroc. Comme
plusieurs victimes d'enlèvement, son sort reste inconnu... Jaaouani El
Mokhtar était paysan et militant de l'UNFP. Il fut condamné
à mort par contumace en janvier 1974. Enlevé sur le territoire
algérien aussi, il sera détenu au centre de détention de
Derb Moulay Chérif à Casablanca.
Parmi les mutins de l'armée, il y avait le
Lieutenant-Colonel Amokrane et le Sous-lieutenant Midaoui, impliqués
dans la tentative du coup d'Etat d'août 1972. Ils se sont
réfugiés à Gibraltar et ont demandé l'asile
politique à la Belgique. Ils seront livrés le jour suivant
à Rabat. Puis, nous avons Houcine El Manouzi*, mécanicien
à la SABENA en Belgique et membre de la Confédération des
Syndicats Chrétiens (CSC). Il fut militant de l'UNFP et membre de l'ALM.
Condamné à mort par contumace au procès de Marrakech du 14
juin 1971, il fut enlevé à Tunis et livré à Rabat
en 1972. Evadé du PF2 le 13 juillet 1975, il sera repris une semaine
plus tard. Le sort d'Houcine El Manouzi reste inconnu. Il y avait le cas de
Mohamed Ramsis. Commissaire de police et militant de l'UNFP, il a
demandé l'asile politique en Algérie et sera placé en
garde à vue pendant une semaine par la police algérienne. Il est
livré à Rabat suite à son inculpation au procès de
Marrakech en 1971. Condamné à 20 ans de réclusion, il sera
finalement libéré en novembre 1977.
A Paris, le président de l'Association des Marocains de
France (AMF) Arsala Idir Ben Miloud a reçu une convocation du
Ministère de l'Intérieur datée du 26 mars 1974. Le motif
invoqué était le suivant114: « Activités
politiques sur le territoire français ». La participation du
président à une manifestation organisée par l'AMF, le 9
février précédent, a fourni le prétexte de son
arrestation par la police. Déjà depuis 1971, le président
de l'AMF a été sommé par la police française, lors
de plusieurs interrogatoires, de signer des déclarations
préfabriquées soulignant qu'il portait atteinte à «
la neutralité politique en France ». Le refus d'Arsala Idir Ben
Miloud de céder à ces intimidations est suivi d'un refus de la
part de la préfecture de police du 6e arrondissement de
Paris, et ce pendant trois ans, de procurer au président une carte de
séjour, l'exposant ainsi à un risque momentané
d'expulsion.
112 M. BENNOUNA, op. cit., p. 122. Par ailleurs,
« Franco a fourni au pouvoir royal (marocain) les
éléments d'un complot contre l'opposition marocaine »,
écrit L'Humanité du 3 juin 1971.
113 A. MARTINET, Dossier adressé au CLCRM de Paris
relatif les procès et arrestations au Maroc, Paris, 1974, pp.
8-23.
114 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°345, Association des travailleurs marocains en Belgique :
Communiqué de l'AMF daté du 10 avril 1974.
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En ce qui concerne les Pays-Bas, Ikhiche Houcine ouvrier et
militant de l'UNFP, a été arrêté au Maroc en juillet
1972 et a été condamné à 30 ans de réclusion
au procès de Kénitra du 25 juin au 30 août 1973. Le motif
invoqué était son appartenance au parti115.
Enfin à Bruxelles, entre le 25 et le 26 décembre
1974, deux policiers marocains assistés d'un collaborateur du Consul
marocain à Bruxelles sont sortis d'une Renault 16 de couleur blanche et
ont tenté d'enlever un militant marocain de l'opposition au Boulevard
Maurice Lemonnier. La victime, par ses cris, a pu alerter un chauffeur de taxi
et ainsi mettre ses assaillants en fuite. Cependant, le militant,
sévèrement battu, a dû être transporté
à l'hôpital de Schaerbeek116.
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