Année universitaire 2014 / 2015
Mémoire pour le Master 2
« Droit privé général parcours
droit privé fondamental »
Présenté et soutenu par : Sous la direction de :
Anaïs Bodénès Monsieur Richard
Desgorces
Professeur à l'Université Rennes 1
Réformer le Code civil 2
« Il me tient à coeur d'exprimer ma
sincère reconnaissance à l'égard de mon directeur de
mémoire, le Professeur Richard Desgorces, pour son aide
précieuse, sa disponibilité et ses judicieux conseils qui ont
contribué à alimenter ma réflexion et m'ont guidée
tout au long de ce travail de recherche ».
Réformer le Code civil 3
LISTE DES ABRIEVATIONS
art. Article
Ass. plén. Assemblée plénière de la
Cour de cassation
Bull. Bulletin
C. Cass. Cour de cassation française
C.E.D.H Cour européenne des droits de l'Homme
Conv.EDH Convention Européenne des droits de l'Homme
Chron. Chronique
Cf. se reporter à
Civ. Chambre civile de la Cour de cassation française
coll. Collection
comm. Commentaire
D. Recueil Dalloz
dir. Direction
éd. Edition
Gaz. Pal Gazette du palais
in dans
infra ci-dessous
J.C.P Semaine juridique
L.G.D.J Librairie générale de droit et de
jurisprudence
obs. Observations
Ouvr. préc. Ouvrage précité
p. Page
PUF Presses universitaires de France
RTD. Civ Revue trimestrielle de droit civil
s. suivant
spéc. spécialement
supra ci-dessus
vol volume
CONCLUSION GENERALE 105
Réformer le Code civil 4
SOMMAIRE
(Une table des matières détaillée
figure à la fin du mémoire)
INTRODUCTION 5
Première partie : Pourquoi réformer le Code
civil ? 15
CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS 16
Section 1 - La complexité 16
Section 2 - Le vieillissement 27
CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE 39
Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme 39
Section 2 - A l'Europe du commerce 50
Deuxième partie : Comment réformer le Code
civil ? 62
CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME 63
Section 1 - La science de la réforme 63
Section 2 - La forme de la réforme 75
CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME 85
Section 1 - L'harmonisation du droit civil européen
86
Section 2 - L'unification du droit civil européen
93
Réformer le Code civil 5
INTRODUCTION
« Le Code civil est vivant. Il doit le demeurer !
»1
1. Voici une exclamation bien surprenante. Monument du droit,
toujours riche et vivant2, tels sont les arguments avancés
par le plus grand nombre. Aussi surprenante soit telle, cette formule de Jean
Foyer a le mérite de refléter la réalité : le Code
civil est vivant. Certes, mais seulement en ce qu'il continue d'être en
vigueur, appliqué par tous. Son prestige quant à lui, est mort.
Ainsi, le Code civil ne peut demeurer vivant, il doit renaitre.
2. Le Code civil, polysémique. Un
Code civil est avant tout un code. Ce mot « code », du latin «
codex », désigne un livre composé de feuilles de parchemins
ou de tablettes reliées entre elles3. Cette forme d'ouvrage
fut utilisée principalement pour des ouvrages de droit, plus
précisément pour des recueils de textes législatifs
émanant des empereurs. A l'origine, le « codex » est alors un
recueil qui rassemble ce qui est présent. Parmi les premiers «
codex », l'on trouve celui de Grégorius en 291, il s'agissait
d'abord de collections dues à l'initiative privée. Par la suite,
l'empereur lui-même voulu rassembler les textes dans un recueil, l'on va
alors assister à des compilations officielles comme le Code
théodosien (438) et le Code Justinien (529).
Le sens du terme « codex » va progressivement
évoluer. Les codes précités n'étaient que des
recueils de lois, autrement dit ils recueillaient l'ensemble des lois dans un
seul volume. Désormais, le terme « codex » signifie non plus
« recueils de lois » mais « recueils de droit », ces
recueils créent du droit, apportent de la nouveauté. L'objectif
de toute entreprise de codification est alors de rendre le droit plus
accessible, plus simple, puisque la création du droit nouveau se
matérialise en une seule entité. La rédaction d'un code
rend le droit plus lisible, ce dernier comprend en effet un fil directeur, des
grands principes. Cette lisibilité tient au fait que la codification
améliore la qualité des textes. Un code se veut donc
fondamentalement cohérent. Il est organisé par matières,
subdivisé en livres, en chapitres. La cohérence s'applique aussi
au plan du Code, qui a pour objectif de faciliter sa compréhension.
Rédiger un code, c'est alors souhaiter rendre le droit accessible et
intelligible.
1 J. Foyer, « Le Code civil est vivant. Il doit
le demeurer ! », JCP 2004 I. 120
2 J.-L. Halpérin, Le Code civil,
Dalloz, 2e ed. 2003, p. 2.
3 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p. 3.
Réformer le Code civil 6
3. Appliquée au Code civil, que reste t'il de cette
notion de Code ? Avant toute chose, délimiter l'étendue de notre
étude est nécessaire. Il convient en effet de se demander de quel
Code civil l'on parle. Code Napoléon, Code actuel, Code ayant subit de
nombreuses modifications depuis 1804, collections d'articles ? Le parti pris
sera le suivant : considérer le Code civil comme un livre tel qu'il est
en vigueur aujourd'hui. Ses évolutions et modifications ne seront pas
pour autant niées, cependant notre constat aura pour base le Code civil
en 2015.
Le Code civil contient, par définition, le droit
civil. Cette expression « droit civil » découle du latin
« jus civile » et désigne le droit des citoyens. Branche
fondamentale du droit privé, le droit civil comprend les règles
relatives aux personnes, aux biens, à la famille, aux obligations, aux
sûretés, aux successions etc. Le Code civil constitue alors,
vulgairement, le code des citoyens. Cette définition ne convainc pas, il
convient d'envisager celle du père du Code civil, Portalis. Un Code
civil est, selon Portalis, « un corps de lois destinés à
diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et
d'intérêt qu'ont entre eux les hommes qui appartiennent à
la même cité »4. De cette définition
découle, d'une part, l'idée d'un code pour les citoyens et
d'autre part, d'un code avec pour objectif l'organisation de la vie en
société.
Aujourd'hui, la notion de Code a été
profondément ébranlée. D'une réunion de droit l'on
était passé à une création de droit. Au XXIe l'on
assiste alors à une sévère régression de la
codification : la codification n'est plus source de création de droit.
Les codes en droit français répondent tous à ce constat.
Le législateur, lorsqu'il souhaite codifier, modifie, abroge les textes,
mais ne crée pas. Ainsi, il n'est pas inexact d'énoncer que le
Code civil n'est plus aujourd'hui source de création de droit, ne
constitue plus une oeuvre cohérente, il s'agit d'un rassemblement de
textes épars. La nécessité de réformer
s'entrevoit.
4. Réformer, entreprise monumentale.
Avant d'envisager la réforme, il convient d'en revenir à la
source, la codification, qui consiste à créer un code dans un
domaine où il n'en existait pas. Du latin « codicem facere
», qui signifie faire un code, la codification revêt deux sens.
D'une part, elle peut consister en une simple compilation. Cette forme de
codification n'est pas innovante puisqu'elle recueille des textes de nature
différente et les compile dans un seul corps. D'autre part, la
codification constitue, au sens propre du terme, une innovation : une
réformation du droit. La véritable codification suppose une
rupture avec
4 Portalis, Discours de présentation du
Code civil présenté le 3 Frimaire an X.
Réformer le Code civil 7
le droit antérieur, du moins une
discontinuité5. De cette forme de codification découle
un code empreint d'unité, de cohérence.
Créer un code dans un domaine où il n'en
existait pas, voici ce qu'est la codification. Cette définition ne doit
pas faire l'objet d'une confusion avec un terme proche, mais pourtant
fondamentalement différent, la recodification. En effet «
recodifier est nécessairement autre chose que codifier
»6. Cette recodification, à l'instar de la codification,
revêt plusieurs facettes. Elle peut prendre la forme d'une refonte d'un
code préexistant, code qui a été refondu, le titre peut
demeurer le même ou légèrement différer. La
recodification peut également résulter de l'adjonction, à
un code déjà existant, de nouvelles dispositions. Enfin, elle
peut prendre la forme d'un transfert de dispositions d'un code
préexistant vers un nouveau code.
5. Réformer est-ce autre chose que
recodifier ? En effet, avant d'envisager la réforme du Code civil, il
convient de délimiter ce terme de « réforme » et de
rapprocher, ou d'exclure, les termes voisins. Communément, le terme
réformer signifie « faire subir à quelque chose des
modifications importantes destinées à l'améliorer
»7. Ainsi, il apparaît qu'une réforme n'est pas
fondamentalement un changement de forme, alors même que
l'étymologie du terme pourrait le laisser penser. Envisager «
recodifier » et « réformer » comme des termes synonymes
ne semblent pas incohérents. En effet, la réforme peut prendre la
forme d'une recodification visant à refondre un code préexistant.
Pour cette raison, « refonte du Code » constitue également une
expression synonyme à celle de « réforme du code ». Les
termes voisins foisonnent.
D'une part, réformer le Code civil peut consister en
une réhabilitation. Réhabiliter c'est reconnaître « la
valeur, l'utilité de quelqu'un, de quelque chose, après une
période d'oubli, de discrédit »8.
Appliquée au Code civil, nous verrons que cette définition est
riche de vérité. D'autre part, il convient cependant
d'écarter un terme voisin, celui de « révision ». En
effet, réviser le Code civil n'est pas le réformer.
Réviser c'est « examiner quelque chose à nouveau,
étudier à nouveau, vérifier »9. N'apparait
pas là, la dimension fondamentale de changements profonds, de
modernisation. Ainsi, tout au long de notre étude, les termes tels que
« réhabilitation », « refonte », «
recodification » seront employés au sens de « réformer
».
5 B. Belloir-Caux, Code civil Mode d'emploi
Ellipses, 2011, p. 9.
6 Ph. Rémy, La recodification civile,
Droits, 26, 1997, p. 4.
7 Dictionnaire de français Larousse, voir
« réformer ».
8 Dictionnaire de français Larousse, voir
« réhabiliter ».
9 Dictionnaire de français Larousse, voir
« réviser ».
Réformer le Code civil 8
6. Réformer le Code civil, tenter de démontrer
sa nécessité, sera le but de notre étude. Aujourd'hui, la
situation en France est figée. Les tentatives de Codes nouveaux se
soldent par des échecs. Réformer le Code civil c'est
élaborer quelque chose de nouveau, cependant cette idée de
nouveauté se heurte à un obstacle propre au droit français
: le conservatisme. Si l'on retient la parole du doyen Carbonnier, le Code
civil est la « Constitution civile des français
»10. Par définition, une constitution est stable.
Cependant, l'addition des termes « Code » et « Constitution
» a un résultat néfaste : on ne change pas le Code civil :
« quand un code a vaincu l'usure de l'évolution par une
résistance séculaire, il acquiert peut-être statut de livre
canonique, une sorte de noblesse qui le place hors de l'écoulement du
temps »11.
7. De cette affirmation découlent trois idées :
plus de deux siècles ont passé et la postérité du
Code civil, oeuvre historique (1) est avérée. En
effet, nier l'importance considérable qu'a constitué le Code
civil dans le rayonnement de notre pays n'est pas le but de notre étude.
Cependant, si le Code civil a été, il n'est plus
(2). Au regard de ces affirmations, la finalité de
notre étude coule de source : le Code civil doit être
réformé, au delà des difficultés
(3).
§1 - Sens de l'étude : le Code civil oeuvre
historique
8. La codification civile est la réalisation en
France, d'un vieux projet, celui d'unifier le droit civil. Cette ambition a
été principalement celle d'un seul homme, Napoléon
Bonaparte. Au sein de la constitution de 1791 figurait déjà ce
souhait de codification : « il sera fait un code de lois civiles communes
à tout le royaume ». Cambacérès, un juriste de
l'époque, va s'atteler à la tâche. Le 9 aout 1793, il
présente à la Convention un projet de code, projet qui reprend le
plan du Code Justinien. Dénoncé comme
profondément révolutionnaire, et inapproprié en temps de
guerre, le texte ne sera pas voté. Ainsi, un deuxième projet sera
soumis à la Convention, que cette dernière laissera une nouvelle
fois de côté12. Le Directoire, en 1795, va nommer une
commission de clarification des lois et, persévérant,
Cambacérès présidera ce troisième projet. Celui-ci
connaîtra le même sort que les précédents en raison
du renversement du Directoire. « Conçus par des juristes
influencés par le virage post-thermidorien, ces projets font figure de
transition entre les ambitions révolutionnaires et les
10 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation,
p. 293 et s
11 J. Carbonnier, V° Codification, in
dictionnaire de philosophie juridique, sous la dir. de P. Raynaud et S. Rials,
PUF, 2003.
12 Pour plus de détails voir J.-L.
Halpérin, ouvr. préc., p. 12 et s.
Réformer le Code civil 9
réalisations consulaires »13, autrement
dit ces projets ne constituent pas des échecs mais une inspiration pour
les rédacteurs de 1804.
Sans forte volonté politique, la rédaction du
Code civil n'était pas envisageable. Dès son arrivée au
pouvoir, grâce au coup d'état du 18 Brumaire an VIII,
Napoléon va préparer cette codification, priorité selon
lui de son passage au pouvoir. Ainsi, il va profiter d'une conjoncture pour
favoriser la réunion des facteurs de nature à faciliter
l'adoption d'un Code civil : stabilisation monétaire,
rétablissement du culte, pacification intérieure, autant
d'éléments propices à la réalisation du Code civil.
Le 24 Thermidor an VIII (12 août 1800), Napoléon va
désigner une commission de quatre membres chargée de fixer les
bases de la législation civile. L'importance décisive de ce choix
est telle que ces quatre membres sont considérés comme les
rédacteurs du Code civil. Portalis, Tronchet, Bigot de Préameneu
et Maleville vont être chargés de rédiger, en 3 mois, le
Code civil. Après 5 mois de travail, un premier projet voit le jour, le
« projet de l'an VII ». Précédé du fameux «
Discours préliminaire » dû à la plume de Portalis, ce
projet va donner lieu à un vaste débat, dont le premier consul
chercha à contrôler toutes les étapes. Les tribunaux vont
émettre, dans l'ensemble, des avis défavorables, notamment
à propos de l'extension du divorce. Pour autant, l'ensemble du projet
sera transmis au Conseil d'Etat. Présidées par Napoléon
lui même, les discussions au Conseil d'Etat seront très vives et
aboutirons à de profondes modifications. Le livre préliminaire
envisagé par Portalis sera réduit à un titre
préliminaire. Un compromis sera trouvé avec l'introduction du
divorce par consentement mutuel, si cher à Napoléon. Enfin, le
projet sera voté, projet divisé en trente-six lois
ajoutées à une trente-septième qui réunissait
l'ensemble des lois dans un Code, le Code civil.
9. Le 21 mars 1804, les trente-six lois
votées vont donc être réunies en un seul corps de lois,
sous le titre de Code civil des Français, par la loi du 30 Ventôse
an XII. La promulgation du Code civil met alors un terme à un processus
d'unification du droit privé français amorcé depuis
plusieurs dizaines d'années. Voulu comme un « recueil pratique sans
ambition spécifique »14, le Code civil et ses 2281
articles auront une destinée considérable. Après la
rénovation des institutions, la fondation d'un Etat fort,
centralisé et efficace15, Napoléon Bonaparte a alors
doté la France d'un outil fixant l'état des personnes, le
régime
13 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p.
15.
14 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p.
23.
15 Message de Jean-Louis Debré,
Président de l'Assemblée nationale, in Le Code civil
1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz Litec, 2004, p. 11.
Réformer le Code civil 10
juridique des biens, la portée des obligations. Le Code
civil de 1804 se limitait exclusivement au droit civil, organisé pour
une nation donnée et en fonction d'une société
particulière. Il s'agit là d'une définition stricte de la
matière du Code, définition qui avait pour objectif
l'unité de l'ouvrage. L'article 7 de la loi du 21 mars 1804 atteste
ainsi de la volonté de Bonaparte, de donner aux Français, un code
applicable à tout le pays : « à compter du jour où
ces lois sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les
coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements
cessent d'avoir force de loi générale ou particulière dans
les matières qui sont l'objet des dites lois composant le présent
code ».
10. Le Code civil, l'ambition d'un homme. La
codification, en tant qu'objectif politique, est l'expression du pouvoir
politique et d'une manifestation de souveraineté. Bonaparte se devait
ainsi, à l'instar de grands souverains à l'origine de codes,
d'attacher son nom au sien. En 1807, le Code civil sera rebaptisé «
Code Napoléon ». Ce dernier, alors exilé à
Sainte-Hélène énoncera en 1815 ces propos
prophétiques : « Ma vraie gloire, ce n'est pas d'avoir gagné
quarante batailles... Ce que rien n'effacera, ce qui vivra
éternellement, c'est mon Code civil... J'ai semé la
liberté à pleine main partout où j'ai implanté mon
Code civil »16. Véritable instrument et symbole de la
gloire immortelle de Bonaparte, le Code civil a prospéré. Plus de
deux siècles après, cette postérité est
avérée. Cependant « Les Codes des peuples se font avec le
temps ». Cette formule de Portalis est incomplète : les codes des
peuples se défont également avec le temps. Le Code civil,
modèle pour de nombreux peuples, n'a pas été
épargné.
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