Année universitaire 2014 / 2015
Mémoire pour le Master 2
« Droit privé général parcours
droit privé fondamental »
Présenté et soutenu par : Sous la direction de :
Anaïs Bodénès Monsieur Richard
Desgorces
Professeur à l'Université Rennes 1
Réformer le Code civil 2
« Il me tient à coeur d'exprimer ma
sincère reconnaissance à l'égard de mon directeur de
mémoire, le Professeur Richard Desgorces, pour son aide
précieuse, sa disponibilité et ses judicieux conseils qui ont
contribué à alimenter ma réflexion et m'ont guidée
tout au long de ce travail de recherche ».
Réformer le Code civil 3
LISTE DES ABRIEVATIONS
art. Article
Ass. plén. Assemblée plénière de la
Cour de cassation
Bull. Bulletin
C. Cass. Cour de cassation française
C.E.D.H Cour européenne des droits de l'Homme
Conv.EDH Convention Européenne des droits de l'Homme
Chron. Chronique
Cf. se reporter à
Civ. Chambre civile de la Cour de cassation française
coll. Collection
comm. Commentaire
D. Recueil Dalloz
dir. Direction
éd. Edition
Gaz. Pal Gazette du palais
in dans
infra ci-dessous
J.C.P Semaine juridique
L.G.D.J Librairie générale de droit et de
jurisprudence
obs. Observations
Ouvr. préc. Ouvrage précité
p. Page
PUF Presses universitaires de France
RTD. Civ Revue trimestrielle de droit civil
s. suivant
spéc. spécialement
supra ci-dessus
vol volume
CONCLUSION GENERALE 105
Réformer le Code civil 4
SOMMAIRE
(Une table des matières détaillée
figure à la fin du mémoire)
INTRODUCTION 5
Première partie : Pourquoi réformer le Code
civil ? 15
CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS 16
Section 1 - La complexité 16
Section 2 - Le vieillissement 27
CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE 39
Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme 39
Section 2 - A l'Europe du commerce 50
Deuxième partie : Comment réformer le Code
civil ? 62
CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME 63
Section 1 - La science de la réforme 63
Section 2 - La forme de la réforme 75
CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME 85
Section 1 - L'harmonisation du droit civil européen
86
Section 2 - L'unification du droit civil européen
93
Réformer le Code civil 5
INTRODUCTION
« Le Code civil est vivant. Il doit le demeurer !
»1
1. Voici une exclamation bien surprenante. Monument du droit,
toujours riche et vivant2, tels sont les arguments avancés
par le plus grand nombre. Aussi surprenante soit telle, cette formule de Jean
Foyer a le mérite de refléter la réalité : le Code
civil est vivant. Certes, mais seulement en ce qu'il continue d'être en
vigueur, appliqué par tous. Son prestige quant à lui, est mort.
Ainsi, le Code civil ne peut demeurer vivant, il doit renaitre.
2. Le Code civil, polysémique. Un
Code civil est avant tout un code. Ce mot « code », du latin «
codex », désigne un livre composé de feuilles de parchemins
ou de tablettes reliées entre elles3. Cette forme d'ouvrage
fut utilisée principalement pour des ouvrages de droit, plus
précisément pour des recueils de textes législatifs
émanant des empereurs. A l'origine, le « codex » est alors un
recueil qui rassemble ce qui est présent. Parmi les premiers «
codex », l'on trouve celui de Grégorius en 291, il s'agissait
d'abord de collections dues à l'initiative privée. Par la suite,
l'empereur lui-même voulu rassembler les textes dans un recueil, l'on va
alors assister à des compilations officielles comme le Code
théodosien (438) et le Code Justinien (529).
Le sens du terme « codex » va progressivement
évoluer. Les codes précités n'étaient que des
recueils de lois, autrement dit ils recueillaient l'ensemble des lois dans un
seul volume. Désormais, le terme « codex » signifie non plus
« recueils de lois » mais « recueils de droit », ces
recueils créent du droit, apportent de la nouveauté. L'objectif
de toute entreprise de codification est alors de rendre le droit plus
accessible, plus simple, puisque la création du droit nouveau se
matérialise en une seule entité. La rédaction d'un code
rend le droit plus lisible, ce dernier comprend en effet un fil directeur, des
grands principes. Cette lisibilité tient au fait que la codification
améliore la qualité des textes. Un code se veut donc
fondamentalement cohérent. Il est organisé par matières,
subdivisé en livres, en chapitres. La cohérence s'applique aussi
au plan du Code, qui a pour objectif de faciliter sa compréhension.
Rédiger un code, c'est alors souhaiter rendre le droit accessible et
intelligible.
1 J. Foyer, « Le Code civil est vivant. Il doit
le demeurer ! », JCP 2004 I. 120
2 J.-L. Halpérin, Le Code civil,
Dalloz, 2e ed. 2003, p. 2.
3 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p. 3.
Réformer le Code civil 6
3. Appliquée au Code civil, que reste t'il de cette
notion de Code ? Avant toute chose, délimiter l'étendue de notre
étude est nécessaire. Il convient en effet de se demander de quel
Code civil l'on parle. Code Napoléon, Code actuel, Code ayant subit de
nombreuses modifications depuis 1804, collections d'articles ? Le parti pris
sera le suivant : considérer le Code civil comme un livre tel qu'il est
en vigueur aujourd'hui. Ses évolutions et modifications ne seront pas
pour autant niées, cependant notre constat aura pour base le Code civil
en 2015.
Le Code civil contient, par définition, le droit
civil. Cette expression « droit civil » découle du latin
« jus civile » et désigne le droit des citoyens. Branche
fondamentale du droit privé, le droit civil comprend les règles
relatives aux personnes, aux biens, à la famille, aux obligations, aux
sûretés, aux successions etc. Le Code civil constitue alors,
vulgairement, le code des citoyens. Cette définition ne convainc pas, il
convient d'envisager celle du père du Code civil, Portalis. Un Code
civil est, selon Portalis, « un corps de lois destinés à
diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et
d'intérêt qu'ont entre eux les hommes qui appartiennent à
la même cité »4. De cette définition
découle, d'une part, l'idée d'un code pour les citoyens et
d'autre part, d'un code avec pour objectif l'organisation de la vie en
société.
Aujourd'hui, la notion de Code a été
profondément ébranlée. D'une réunion de droit l'on
était passé à une création de droit. Au XXIe l'on
assiste alors à une sévère régression de la
codification : la codification n'est plus source de création de droit.
Les codes en droit français répondent tous à ce constat.
Le législateur, lorsqu'il souhaite codifier, modifie, abroge les textes,
mais ne crée pas. Ainsi, il n'est pas inexact d'énoncer que le
Code civil n'est plus aujourd'hui source de création de droit, ne
constitue plus une oeuvre cohérente, il s'agit d'un rassemblement de
textes épars. La nécessité de réformer
s'entrevoit.
4. Réformer, entreprise monumentale.
Avant d'envisager la réforme, il convient d'en revenir à la
source, la codification, qui consiste à créer un code dans un
domaine où il n'en existait pas. Du latin « codicem facere
», qui signifie faire un code, la codification revêt deux sens.
D'une part, elle peut consister en une simple compilation. Cette forme de
codification n'est pas innovante puisqu'elle recueille des textes de nature
différente et les compile dans un seul corps. D'autre part, la
codification constitue, au sens propre du terme, une innovation : une
réformation du droit. La véritable codification suppose une
rupture avec
4 Portalis, Discours de présentation du
Code civil présenté le 3 Frimaire an X.
Réformer le Code civil 7
le droit antérieur, du moins une
discontinuité5. De cette forme de codification découle
un code empreint d'unité, de cohérence.
Créer un code dans un domaine où il n'en
existait pas, voici ce qu'est la codification. Cette définition ne doit
pas faire l'objet d'une confusion avec un terme proche, mais pourtant
fondamentalement différent, la recodification. En effet «
recodifier est nécessairement autre chose que codifier
»6. Cette recodification, à l'instar de la codification,
revêt plusieurs facettes. Elle peut prendre la forme d'une refonte d'un
code préexistant, code qui a été refondu, le titre peut
demeurer le même ou légèrement différer. La
recodification peut également résulter de l'adjonction, à
un code déjà existant, de nouvelles dispositions. Enfin, elle
peut prendre la forme d'un transfert de dispositions d'un code
préexistant vers un nouveau code.
5. Réformer est-ce autre chose que
recodifier ? En effet, avant d'envisager la réforme du Code civil, il
convient de délimiter ce terme de « réforme » et de
rapprocher, ou d'exclure, les termes voisins. Communément, le terme
réformer signifie « faire subir à quelque chose des
modifications importantes destinées à l'améliorer
»7. Ainsi, il apparaît qu'une réforme n'est pas
fondamentalement un changement de forme, alors même que
l'étymologie du terme pourrait le laisser penser. Envisager «
recodifier » et « réformer » comme des termes synonymes
ne semblent pas incohérents. En effet, la réforme peut prendre la
forme d'une recodification visant à refondre un code préexistant.
Pour cette raison, « refonte du Code » constitue également une
expression synonyme à celle de « réforme du code ». Les
termes voisins foisonnent.
D'une part, réformer le Code civil peut consister en
une réhabilitation. Réhabiliter c'est reconnaître « la
valeur, l'utilité de quelqu'un, de quelque chose, après une
période d'oubli, de discrédit »8.
Appliquée au Code civil, nous verrons que cette définition est
riche de vérité. D'autre part, il convient cependant
d'écarter un terme voisin, celui de « révision ». En
effet, réviser le Code civil n'est pas le réformer.
Réviser c'est « examiner quelque chose à nouveau,
étudier à nouveau, vérifier »9. N'apparait
pas là, la dimension fondamentale de changements profonds, de
modernisation. Ainsi, tout au long de notre étude, les termes tels que
« réhabilitation », « refonte », «
recodification » seront employés au sens de « réformer
».
5 B. Belloir-Caux, Code civil Mode d'emploi
Ellipses, 2011, p. 9.
6 Ph. Rémy, La recodification civile,
Droits, 26, 1997, p. 4.
7 Dictionnaire de français Larousse, voir
« réformer ».
8 Dictionnaire de français Larousse, voir
« réhabiliter ».
9 Dictionnaire de français Larousse, voir
« réviser ».
Réformer le Code civil 8
6. Réformer le Code civil, tenter de démontrer
sa nécessité, sera le but de notre étude. Aujourd'hui, la
situation en France est figée. Les tentatives de Codes nouveaux se
soldent par des échecs. Réformer le Code civil c'est
élaborer quelque chose de nouveau, cependant cette idée de
nouveauté se heurte à un obstacle propre au droit français
: le conservatisme. Si l'on retient la parole du doyen Carbonnier, le Code
civil est la « Constitution civile des français
»10. Par définition, une constitution est stable.
Cependant, l'addition des termes « Code » et « Constitution
» a un résultat néfaste : on ne change pas le Code civil :
« quand un code a vaincu l'usure de l'évolution par une
résistance séculaire, il acquiert peut-être statut de livre
canonique, une sorte de noblesse qui le place hors de l'écoulement du
temps »11.
7. De cette affirmation découlent trois idées :
plus de deux siècles ont passé et la postérité du
Code civil, oeuvre historique (1) est avérée. En
effet, nier l'importance considérable qu'a constitué le Code
civil dans le rayonnement de notre pays n'est pas le but de notre étude.
Cependant, si le Code civil a été, il n'est plus
(2). Au regard de ces affirmations, la finalité de
notre étude coule de source : le Code civil doit être
réformé, au delà des difficultés
(3).
§1 - Sens de l'étude : le Code civil oeuvre
historique
8. La codification civile est la réalisation en
France, d'un vieux projet, celui d'unifier le droit civil. Cette ambition a
été principalement celle d'un seul homme, Napoléon
Bonaparte. Au sein de la constitution de 1791 figurait déjà ce
souhait de codification : « il sera fait un code de lois civiles communes
à tout le royaume ». Cambacérès, un juriste de
l'époque, va s'atteler à la tâche. Le 9 aout 1793, il
présente à la Convention un projet de code, projet qui reprend le
plan du Code Justinien. Dénoncé comme
profondément révolutionnaire, et inapproprié en temps de
guerre, le texte ne sera pas voté. Ainsi, un deuxième projet sera
soumis à la Convention, que cette dernière laissera une nouvelle
fois de côté12. Le Directoire, en 1795, va nommer une
commission de clarification des lois et, persévérant,
Cambacérès présidera ce troisième projet. Celui-ci
connaîtra le même sort que les précédents en raison
du renversement du Directoire. « Conçus par des juristes
influencés par le virage post-thermidorien, ces projets font figure de
transition entre les ambitions révolutionnaires et les
10 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation,
p. 293 et s
11 J. Carbonnier, V° Codification, in
dictionnaire de philosophie juridique, sous la dir. de P. Raynaud et S. Rials,
PUF, 2003.
12 Pour plus de détails voir J.-L.
Halpérin, ouvr. préc., p. 12 et s.
Réformer le Code civil 9
réalisations consulaires »13, autrement
dit ces projets ne constituent pas des échecs mais une inspiration pour
les rédacteurs de 1804.
Sans forte volonté politique, la rédaction du
Code civil n'était pas envisageable. Dès son arrivée au
pouvoir, grâce au coup d'état du 18 Brumaire an VIII,
Napoléon va préparer cette codification, priorité selon
lui de son passage au pouvoir. Ainsi, il va profiter d'une conjoncture pour
favoriser la réunion des facteurs de nature à faciliter
l'adoption d'un Code civil : stabilisation monétaire,
rétablissement du culte, pacification intérieure, autant
d'éléments propices à la réalisation du Code civil.
Le 24 Thermidor an VIII (12 août 1800), Napoléon va
désigner une commission de quatre membres chargée de fixer les
bases de la législation civile. L'importance décisive de ce choix
est telle que ces quatre membres sont considérés comme les
rédacteurs du Code civil. Portalis, Tronchet, Bigot de Préameneu
et Maleville vont être chargés de rédiger, en 3 mois, le
Code civil. Après 5 mois de travail, un premier projet voit le jour, le
« projet de l'an VII ». Précédé du fameux «
Discours préliminaire » dû à la plume de Portalis, ce
projet va donner lieu à un vaste débat, dont le premier consul
chercha à contrôler toutes les étapes. Les tribunaux vont
émettre, dans l'ensemble, des avis défavorables, notamment
à propos de l'extension du divorce. Pour autant, l'ensemble du projet
sera transmis au Conseil d'Etat. Présidées par Napoléon
lui même, les discussions au Conseil d'Etat seront très vives et
aboutirons à de profondes modifications. Le livre préliminaire
envisagé par Portalis sera réduit à un titre
préliminaire. Un compromis sera trouvé avec l'introduction du
divorce par consentement mutuel, si cher à Napoléon. Enfin, le
projet sera voté, projet divisé en trente-six lois
ajoutées à une trente-septième qui réunissait
l'ensemble des lois dans un Code, le Code civil.
9. Le 21 mars 1804, les trente-six lois
votées vont donc être réunies en un seul corps de lois,
sous le titre de Code civil des Français, par la loi du 30 Ventôse
an XII. La promulgation du Code civil met alors un terme à un processus
d'unification du droit privé français amorcé depuis
plusieurs dizaines d'années. Voulu comme un « recueil pratique sans
ambition spécifique »14, le Code civil et ses 2281
articles auront une destinée considérable. Après la
rénovation des institutions, la fondation d'un Etat fort,
centralisé et efficace15, Napoléon Bonaparte a alors
doté la France d'un outil fixant l'état des personnes, le
régime
13 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p.
15.
14 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p.
23.
15 Message de Jean-Louis Debré,
Président de l'Assemblée nationale, in Le Code civil
1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz Litec, 2004, p. 11.
Réformer le Code civil 10
juridique des biens, la portée des obligations. Le Code
civil de 1804 se limitait exclusivement au droit civil, organisé pour
une nation donnée et en fonction d'une société
particulière. Il s'agit là d'une définition stricte de la
matière du Code, définition qui avait pour objectif
l'unité de l'ouvrage. L'article 7 de la loi du 21 mars 1804 atteste
ainsi de la volonté de Bonaparte, de donner aux Français, un code
applicable à tout le pays : « à compter du jour où
ces lois sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les
coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements
cessent d'avoir force de loi générale ou particulière dans
les matières qui sont l'objet des dites lois composant le présent
code ».
10. Le Code civil, l'ambition d'un homme. La
codification, en tant qu'objectif politique, est l'expression du pouvoir
politique et d'une manifestation de souveraineté. Bonaparte se devait
ainsi, à l'instar de grands souverains à l'origine de codes,
d'attacher son nom au sien. En 1807, le Code civil sera rebaptisé «
Code Napoléon ». Ce dernier, alors exilé à
Sainte-Hélène énoncera en 1815 ces propos
prophétiques : « Ma vraie gloire, ce n'est pas d'avoir gagné
quarante batailles... Ce que rien n'effacera, ce qui vivra
éternellement, c'est mon Code civil... J'ai semé la
liberté à pleine main partout où j'ai implanté mon
Code civil »16. Véritable instrument et symbole de la
gloire immortelle de Bonaparte, le Code civil a prospéré. Plus de
deux siècles après, cette postérité est
avérée. Cependant « Les Codes des peuples se font avec le
temps ». Cette formule de Portalis est incomplète : les codes des
peuples se défont également avec le temps. Le Code civil,
modèle pour de nombreux peuples, n'a pas été
épargné.
§2 Ð Objet de l'étude : le Code civil,
oeuvre dépassée
11. La postérité du Code civil est ainsi
avérée, mais non son éternité. Il subit depuis de
nombreuses années déjà, l'érosion du temps.
Pensé, préparé et conçu comme la «
constitution civile de la France » selon la formule du doyen Carbonnier,
le Code civil des français en aura le destin. Il a remplit cette mission
« d'organisation et de définition de la société
civile avec une continuité et une stabilité »17,
et pas seulement pour la France. Aujourd'hui, il ne s'agit pourtant plus que
d'une façade.
12. La fonction d'organisation sociale qu'a remplit le Code
civil n'est pas contestable :
16 Pour un regard historique voir J. Carbonnier,
« Le Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 17 et s.
17 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution
civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 297 et s. spéc. p.
299.
Réformer le Code civil 11
l'oeuvre a reconstruit un ordre social fragilisé, qui
venait d'être violemment ébranlé. Le Code civil a mit fin
à la diversité, aux incertitudes. L'objectif de donner une
constitution civile à la France a été
réalisé, il n'a pas seulement ordonné et clarifié
le droit Le titre préliminaire constitue l'exemple même de cette
nature constitutionnelle. En effet, son titre « De la publication, des
effets et de l'application des lois en général » est
explicite : il expose les principes de la loi. Ainsi, «
préparé pour être une constitution civile, conçu et
établi comme tel, le Code civil des français n'a pas trahi les
espérances placées en lui »18.
13. En deux siècles le code civil a vu déferler
plus de dix constitutions politiques. La constitution civile que semble
être le Code civil a alors duré, tandis que les constitutions
politiques de la France se succédaient. Cette fonction de Constitution
civile du code a été exportée, faisant de notre Code
civil, un modèle pour nos voisins étrangers. En effet, le terme
employé pour qualifier l'effet produit par le Code Napoléon
à l'étranger est celui de « rayonnement ». Semblable
à la prédiction de Bigot de Préameneu, « le Code
civil était la loi particulière des Français, elle est
devenue la loi commune des peuples d'une partie de l'Europe ». Dès
sa publication, les qualités du Code civil seront le vecteur d'une
diffusion et de propagation du modèle. Il va connaître un immense
prestige en Europe. Toutefois, ce sont les conquêtes
napoléoniennes qui expliquent principalement son rayonnement : le Code
civil sera imposé aux peuples des pays annexés (Belgique,
Luxembourg, Pays-Bas, Italie du Nord, certains cantons suisses). Au delà
de ce phénomène, le Code civil va servir de modèle
à de nombreux systèmes juridiques de pays
étrangers19.
14. Le Code civil fut un modèle, cette affirmation ne
fait pas de doute. La profonde modernité dont a su faire preuve,
à l'origine, le Code civil explique que c'est vers ce modèle que
les Etats en besoin de construction, d'affirmation de souveraineté, se
sont tournés. Le Pays de Bade, les pays d'Amérique Latine, les
pays d'Afrique francophone, la Belgique, autant d'exemples illustrent ce
phénomène20. Le Code civil va incarner, par ses
idéologies, son langage, ses traditions, une méthode remarquable
de codification, et les pays culturellement proches de la France vont s'en
inspirer. Ainsi, le Code civil du Bas-Canada de 1866 illustre ce propos.
Modèle de codification d'une part, mais
également modèle de législation. Son
18 E. Gaudemet, L'interprétation du Code
civil en France depuis 1804, Ed. mémoire du droit, 2002.
19 Sur ce point voir spécifiquement Code
civil et modèles, Des modèles du Code au Code comme
Modèle, dir. Th. Revet, L.G.D.J. 2005.
20 Pour une vision plus détaillée du
phénomène voir Code civil et modèles, Des
modèles du Code au Code comme Modèle, ouvr. préc., p.
596 et s.
Réformer le Code civil 12
contenu, en raison de son caractère universel et
adaptable, sera apte à être exporté. Le Code civil a alors
été le Code de tous les français, mais aussi de bien
d'autres peuples. Il fut un modèle, mais il n'est plus. Aujourd'hui, le
Code civil est une oeuvre dépassée.
15. Un mal ronge notre Code civil, sur lequel il n'a pas
d'emprise : l'évolution. « Au temps du succès succède
aujourd'hui celui des épreuves »21 : ces épreuves
constituent l'objet même de notre étude. Le Code de 1804 a
profondément changé, mais il n'a jamais été remis
en cause dans son intégralité. Changement du contenu,
conservation de la structure, il a subi des greffes, mais ne s'est pas
adapté à notre société, il a perdu sa
cohérence initiale22. Enfin et surtout, il souffre de
l'éclatement et l'éparpillement des sources de droit. La
finalité de notre étude s'entrevoit alors : le Code civil, afin
de retrouver sa vigueur d'antan, doit être étudier sous l'angle
d'une réforme.
§3 Ð Finalité de l'étude : le
Code civil, une oeuvre à réformer
16. Le Code civil a perdu de son éclat, il n'occupe
plus un rôle de premier plan dans les principales entreprises de
codification, il ne conserve pas même son aura immense acquise par le
passé. Si le Code civil, monument historique, demeure certes intact au
niveau de son contenant, le contenu du Code est quant à lui, en
déclin.
17. Elément de culture23, façon de
penser le droit24, élément du patrimoine25,
grammaire de notre droit26, le Code civil ne peut plus être
défendu comme un code symbole d'unité et de cohérence. Il
n'est plus, selon la célèbre formule de Portalis
précédemment employée, « un corps de lois
destinées à diriger et à fixer les relations de
sociabilité, de famille et d'intérêt qu'ont entre eux les
hommes qui appartiennent à la même cité ». Envisager
sa réforme n'est pas inopportun et semble même couler de source :
faire subir à quelque chose des modifications importantes
destinées à l'améliorer, telle est la destinée
qu'il convient de réserver, aujourd'hui, à notre Code civil.
21 Y. Gaudemet, art. préc., in 1804-2004,
Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr.
préc., p. 304.
22 Message de Monsieur Christian Poncelet,
Président du Sénat, reproduit in Livre du Bicentenaire,
ouvr. préc., p. 5.
23 G. Cornu « Un Code civil n'est pas un
instrument communautaire », D. 2002, chron. p. 351.
24 P. Legrand, « Sens et non-sens d'un Code civil
européen », RIDC 1996., p. 779.
25 G. Cornu « Un Code civil n'est pas un
instrument communautaire », art. préc. spéc. p. 352.
26 Y. Lequette, « Quelques remarques à
propos du projet de Code civil européen de M. von Bar »,
D. 2002, chron. p. 2202.
Réformer le Code civil 13
18. Réformer le Code civil pourrait, à
première vue, apparaître comme un combat d'arrière
garde27. En effet lors de la célébration de son
centenaire, en 1904, les débats étaient déjà
centrés autour d'une révision. Saleilles défendait les
mérites d'une révision générale du Code
civil28, Planiol quant à lui pensait inutile toute
révision du code. Un siècle plus tard, le contenu du débat
n'a pas changé, mais il s'est déplacé : la réforme
s'est envisagée au regard du droit européen, autour de la
question suivante : l'avenir du Code est-il dans l'Europe ? Ainsi
l'étude d'une réforme du Code n'est pas dépassée.
Elle a d'ailleurs été maintes fois tentée.
19. « La réforme du Code civil (É) est un
véritable serpent de mer juridique qui, tel le monstre du Loch Ness,
nourrit les chroniques depuis 2004, date à laquelle Jacques Chirac,
alors président de la république, décida de lancer ce
projet lors de la célébration du bicentenaire du Code de 1804
»29. Ces mots du professeur Tournafond ne pouvaient pas mieux
résumer la situation : la réforme du Code civil est un combat
entreprit depuis longtemps déjà et semé d'embûches.
La réforme s'est ainsi envisagée de deux façons : d'une
part certains projets penchent pour une refonte globale du Code, à
l'inverse d'autres projets se cantonnent à un domaine du Code.
Dès la fin de l'année 1944, le président
de l'Association Henri Capitant, le bâtonnier Jacques Charpentier a
porté l'attention sur la nécessité d'une refonte du Code
civil. Quelques mois plus tard le Général de Gaulle nomma une
commission de révision du Code, par décret du 7 juin 1945. La
"Commission de réforme du Code civil" travaillera presque quinze
années sans qu'aboutisse pour autant une refonte générale
du Code.
Fut également élaboré l'avant-projet
« Catala » du nom du civiliste Pierre Catala. Il s'agissait d'un
avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la
prescription, autrement dit un projet portant sur les contrats, les
quasi-contrats, la responsabilité civile et la prescription. Une
nouvelle fois, cet avant-projet n'a pas abouti à une réforme du
Code civil, cependant il est à l'origine de la réforme de la
prescription en matière civile30.
Le projet Catala a été principalement
concurrencé par d'autres projets, notamment par celui résultant
du groupe de travail rival réuni par François
Terré31. En effet, en juillet 2008 ce
27 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S.
Patris-Godechot, Le Code civil face à son destin, La
documentation française, Ministère de la justice, 2006, p. 92.
28 Le Code civil 1804-1904, Livre du
centenaire, Paris, E. Duchemin, 1969, réed. Préfacée
par Jean-Louis Halpérin, Dalloz, 2004.
29 O. Tournafond, Le projet de la chancellerie de
réforme du droit des contrats commentaire raisonné et critique,
Droit et patrimoine, 2014, 241.
30 LOI n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant
réforme de la prescription en matière civile.
31 O. Tournafond, art. préc.
32 Issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23
mars 2006 relative aux sûretés et publiée au journal
officiel le 24 mars 2006.
Réformer le Code civil 14
groupe de travail a présenté un projet de
réforme du droit des contrats, projet qui n'a pas abouti. L'on peut
également citer l'Association Henri Capitant qui, à l'initiative
de Michel Grimaldi, a entrepris de participer à ce mouvement de
réforme. Cette association est à l'origine de la réforme
du droit des sûretés32. Enfin, en 2009, un groupe
dirigé par Monsieur Hugues Périnet-Marquet a émis des
propositions pour une réforme du droit des biens.
20. Ces projets n'ont pas abouti à une réelle
réforme du Code civil. Aujourd'hui, celle ci n'est pas formellement en
marche, cependant la réforme pourrait s'envisager à travers
l'avant-projet de réforme des obligations menée par la
Chancellerie. Il se veut une synthèse des propositions du groupe «
Catala », du groupe « Terré » et des différents
travaux menés par la Chancellerie elle même. Modifiant
profondément notre droit des contrats, ce projet a été
votée et l'article 8 de la loi n°2015-177 du 16 février 2015
relative à la modernisation et à la simplification du droit et
des procédures dans les domaines de la justice et des affaires
intérieures a habilité le gouvernement à
légiférer par voie d'ordonnance. La réforme du droit des
obligations est alors en marche. Celle du Code civil dans son ensemble se fait
attendre.
21. L'étude proposée ici s'inscrit alors dans
cette entreprise monumentale que constitue la réforme du Code civil. Il
s'agira alors d'envisager cette réforme dans son
intégralité et non cantonnée à certaines
matières du Code civil.
22. Problématique. La
problématique est largement pressentie, elle ne peut être que la
suivante : en quoi la France doit-elle aujourd'hui réunifier
l'ensemble du droit civil en un instrument accessible à tous ?
23. Annonce du plan. La réforme du
Code civil apparaît à nos yeux nécessaire, vitale. A la
question « Pourquoi réformer le Code civil ? »
(Première partie) s'en adjoint une seconde : «
Comment réformer le Code civil ? » (Deuxième
partie). Les réponses à ces questions constituent la
démonstration de la nécessité, pire, de l'urgence de la
réforme.
Réformer le Code civil 15
Première partie : Pourquoi réformer le
Code civil ?
24. Selon la célèbre formule du doyen
Carbonnier, le Code civil semble demeurer la « Constitution civile de la
France »33. L'intensité de ce message est réelle,
toutefois de nombreuses illustrations prouvent que cette formule, si bien
rédigée soit-elle, en raison notamment de la qualité de
son auteur, n'est plus vraie aujourd'hui. Si le Code civil a été,
il n'est plus. Nier le succès du Code civil n'est pas le but de notre
étude. En effet, il ne fait pas de doute que cette oeuvre a rempli de
manière honorable sa fonction de constitution civile : il a
structuré, révélé et organisé notre
société. Une constitution civile est faite pour
durer34, plus encore qu'une constitution politique, en raison de la
lente évolution de l'homme et de ses habitudes (à l'inverse des
changements réguliers de gouvernement de la société
politique). Le Code civil, constitution civile, a duré, mais
deux-cent-onze ans après sa promulgation, le temps est venu pour lui de
subir de profonds changements.
25. Pourquoi revenir sur une oeuvre vieille de plus de deux
siècles qui, en apparence, témoigne d'une autorité
suprême ? Il ne faut pas se résigner devant une telle tâche,
refuser d'agir c'est conduire à la ruine du Code, bien entamée
déjà. Après le succès, le Code civil affronte le
temps des épreuves. A la question « Pourquoi réformer le
Code civil ? » il convient d'apporter deux réponses. D'une part, la
réforme du Code civil est nécessaire afin de remédier
à ses innombrables défauts (Chapitre 1). Ces
derniers sont la source de la perte d'autorité du Code, il n'est plus
qu'un symbole, il devrait pourtant demeurer une oeuvre unificatrice et
effective. Notre Code n'est plus compris, n'est plus vécu. Il a certes
construit la France, mais il ne survit pas à l'Europe. Ainsi, la
réforme du Code civil est nécessaire afin de l'adapter à
l'avenir de notre société moderne : l'Europe (Chapitre
2).
33 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation,
p. 293 et s.
34 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution
civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 299.
Réformer le Code civil 16
CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS
26. Envisager la réforme du Code civil ne peut se
faire sans constatation de ce qui ne fonctionne plus, autrement dit, il
convient d'envisager les défauts du Code civil. Un défaut
signifie communément un manque, une insuffisance. Inévitablement,
le Code civil souffre d'insuffisance, il n'est pas complet puisqu'il ne peut
pas tout prévoir : tels étaient déjà les mots de
Portalis dans son discours préliminaire. Cependant, un Code imparfait ne
va pas de pair avec un Code faible, défectueux, vicié. Dès
lors, une réforme du Code civil doit s'envisager aux travers des deux
défauts majeurs qui touchent aujourd'hui notre Code civil : sa
complexité (Section 1) et son vieillissement
(Section 2).
Section 1 - La complexité
27. La complexité dont souffre le Code tient à
la combinaison de deux facteurs : le Code civil n'est plus symbole
d'unité (1) alors même que celle-ci devrait
constituer sa raison d'être. Le Code civil, au-delà de
n'être qu'une compilation de textes, n'est plus source de
sécurité juridique (2) : il est illisible,
incohérent. Autrement dit, il ne constitue plus le Code civil de tous
les français.
§1 - L'absence d'unité du Code civil
28. En 1804, le Code civil avait pour principale ambition de
symboliser l'unité du droit civil français. Deux cents onze plus
tard, il apparaît que le Code ne satisfait plus à cette ambition.
En effet, sa complexité constitue la cause de cette absence
d'unité. Dans quelle mesure ? L'unité d'un code postule de sa
cohérence, une oeuvre unitaire est ainsi, par nature, cohérente.
Le Code civil a certes constitué une oeuvre cohérente, mais en
2015 il ne s'agit plus que d'un recueil de droit civil (A). Au
sein même de son corpus, l'oeuvre n'a plus de raison d'être. Ce
propos est aggravé lorsque l'on envisage la deuxième facette de
cette absence d'unité : le droit civil se développe
désormais hors du Code (B). Dès lors, quelle est
l'utilité d'un Code civil si ce dernier ne contient plus l'ensemble du
droit civil français ?
29. Il y a une dizaine d'années, lors
de la célébration du Bicentenaire du Code civil, se posait la
question de savoir si l'on fêtait « le bicentenaire d'un Code
vivant, solide d'avoir
A - Un recueil de droit civil plus qu'une oeuvre
cohérente
Réformer le Code civil 17
trop longtemps vécu, ou d'un Code mort d'avoir trop
vécu, d'un fantôme de Code »35. L'interrogation se
pose encore aujourd'hui.
30. L'on se doit en effet, lorsqu'il s'agit d'envisager
l'avenir du Code civil, de se poser la question suivante : ce texte est-il
réduit à l'état de compilation dépassée ?
Compiler signifie « écrire un ouvrage, fait d'un assemblage de
textes empruntés, de morceaux puisés dans d'autres ouvrages
»36. Cette définition du terme « compiler »
est aux antipodes de celle de « codifier », laquelle signifie «
rassembler en un seul corps des textes législatifs ou
réglementaires, des coutumes, etc »37. Se cache
derrière cette définition l'idée d'une certaine
cohérence. Il s'agit aujourd'hui, pour notre Code civil, de survivre aux
épreuves.
31. Depuis 1804, le Code civil n'est pas, fort heureusement,
resté inchangé. Un code ne peut rester immuable. Selon Portalis
lui-même, le Code civil ne pouvait « enchaîner le temps
»38. Depuis les années 1980 un mouvement de
réforme a été engendré, mettant à jour une
moitié du Code. Cette mise à jour a réduit le Code civil
à l'état de compilation de textes
hétérogènes39. Ces nouveaux textes ne sont que
juxtaposés et non intégrés, ordonnés, et cela en
raison de leur date, leur portée ou bien leur esprit qui
diffèrent. « Le Code civil a parfois les allures d'un monstre
»40, voilà qui résume bien l'état de notre
Code civil actuel. En effet, au-delà d'un certain seuil, les lois
particulières, les réformes successives, les créations
prétoriennes (voir infra §77 et s.) ont eu pour seule et
malheureuse conséquence une défiguration du Code civil
français.
32. La problématique n'est pas celle du contenant mais
du contenu. N'est pas remise en cause l'idée selon laquelle le Code
civil constitue un monument historique dont le prestige du contenant est
intact41, l'on peut même, sans s'y risquer, assimiler le Code
civil français à une relique, un code devenu « lieu de
mémoire »42. Mais est-ce la destinée, la fonction
d'un Code, que de n'être qu'un lieu de mémoire, un symbole ?
Surtout, le Code civil français
35 Ph. Rémy, « Regards sur le Code
», in Le Code civil 1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz,
Litec, 2004, p. 99 et s., spéc. p. 102.
36 Dictionnaire Larousse, voir « compiler
».
37 Dictionnaire Larousse, voir « codifier
».
38 Discours préliminaire sur le projet de
Code civil, présenté le 1er pluviose an IX, in
J.-E.-M. Portalis, Ecrits et discours juridiques et politiques.
39 En ce sens voir J.-L. Halpérin, Le Code
civil, 2ème édition, Dalloz, 2003, p. 126.
40 J.-L. Halpérin, ibidem.
41 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, Le
Code civil face à son destin, La documentation française,
Ministère de la justice, 2006.
42 L'expression « lieu de mémoire
» est employée par J. Carbonnier, voir notamment « Le Code
civil », in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 19. Sur
ce point , voir les parallèles effectués par R. Cabrillac, «
Le symbolisme des codes », in Mélanges Fr. Terré,
Dalloz, 1999, p. 211 et s., spéc. p. 216.
Réformer le Code civil 18
constitue-t-il encore aujourd'hui le reflet de notre droit
commun ? Rien n'en est moins certain.
33. Demeurer le droit commun c'est l'objet même du Code
civil43, celui-ci ne doit pas se distiller en une
réglementation pointue, spéciale. Un éclatement entre
normes communes et normes spéciales est nécessaire et ces deux
types de normes doivent pouvoir réussir à cohabiter
harmonieusement. Malheureusement, toute nouvelle loi, nouvelle forme, affecte
de facto l'autorité du Code. Lors de l'élaboration de nouveaux
codes par exemple, les grands principes du Code civil peuvent être
atteints, et la multiplication des Codes entraine de surcroît une
dilution du droit commun44. Ces nouveaux codes énoncent des
règles générales45, à l'instar du Code
civil. Des règles générales ne doivent-elles pas trouver
leur place dans un Code civil, porteur du droit commun ? La réponse
devrait être positive, mais ces nouveaux codes spéciaux et les
principes généraux qu'ils énoncent n'offrent plus, au Code
civil, qu'une place de figurant46.
34. Le constat est alors le suivant : le Code civil
français n'offre aujourd'hui qu'une vision trompeuse mais surtout
incomplète du droit civil français, surtout il ne reflète
pas le droit commun. S'agit-il alors encore de « la constitution civile de
la France47 » ? La réponse est sans conteste
négative, le Code civil français perd haleine, suffoque, il a
été, mais n'est plus. Le Code civil a pu revêtir, à
l'origine, la forme d'une Constitution civile des français, la
volonté de ses auteurs ayant été d'organiser l'ensemble
des aspects de la société civile. Cependant, il faut se rendre
à l'évidence : aujourd'hui, le Code civil n'est qu'un recueil de
lois civiles, à l'instar des nouveaux codes qui ne constituent pas des
oeuvres législatives raisonnées48. Pourquoi une telle
chute vertigineuse depuis une cinquantaine d'années ? D'abord parce que
l'esprit même du Code civil, à savoir son unité, s'est
transformé en raison de modifications profondes, de réformes
particulières49. Le Code civil est alors « rabattu au
43 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 95.
44 N. Molfessis, « Le Code civil et le
pullulement des codes », in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 334.
45 Exemple du Code de la consommation, voir sur ce
point F. Beauchard, « Remarques sur le Code de la consommation »,
in Mélanges Cornu, p. 14 ; D. Bureau, « Remarques sur la
codification du droit de la consommation », D. 1994. p. 297.
46 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 96.
47 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation,
p. 293 et s.
48 Par exemple le Code de procédure civile
(1806), le Code de commerce (2007), voir sur ce point Y. Gaudemet, « Le
Code civil, Constitution civile de la France », in 1804-2004, Le Code
civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc.,
spéc. p. 305
49 Voir sur ces réformes et modifications D.
Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil français
», in Mélanges M.Fontaine, Editions Larcier, 2003, p.
279.
Réformer le Code civil 19
rang de recueil de législation civile
»50, Code civil qui est voué à n'être plus
qu'« une collection de lois chaque jour moins complète
»51. Cette nature de recueil de lois civiles lui fait
évidemment perdre sa légitimité, qu'il s'agisse d'une
légitimé politique ou sociale, ce qu'il conviendra d'envisager
ultérieurement.
35. Au-delà de l'incohérence au sein même
du Code civil, ce dernier souffre d'un autre mal, plus grave encore. Le droit
civil bien qu'il se situe dans le Code civil, de manière éparse
certes, se situe aujourd'hui également hors du Code. La base commune du
droit français que constitue le Code civil tend à
disparaître en raison d'un phénomène inquiétant :
l'éclatement du droit civil hors du Code civil.
B Ð L'éclatement du droit civil hors du
droit civil
36. Le Code civil peut-il toujours être
apparenté au code de droit commun si le droit civil est
éclaté hors de lui ? La question semble surprendre tant la
réponse est évidente. Aujourd'hui, il n'est pas pessimiste de
dire que le droit civil est éclaté. Ce phénomène
d'éclatement du droit civil hors du Code civil peut être
apparenté à une « décodification »52
de celui-ci. Un droit civil qui se situe hors de son livre d'accueil affaibli
inévitablement la substance même du Code civil et nuit à
son rayonnement53.
37. Avant toute démonstration d'un éclatement
du droit civil hors du Code civil il convient de définir ce qu'est le
droit civil. Il s'agit de « l'ensemble de règles qui fixent le
statut et les droits fondamentaux des personnes ainsi que celles qui organisent
leurs relations dans la vie privée, hors l'activité
commerciale54. Doit-être également définie la
notion d'éclatement. Communément, il s'agit du fait de se diviser
brutalement en plusieurs parties55. L'éclatement du droit
civil hors du Code civil consisterait ainsi en une dispersion de ce droit,
dispersion qu'il faut envisager comme un changement profond et non comme un
simple phénomène. L'on comprend alors la gravité du propos
: un Code civil ne peut pas survivre si
50 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution
civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 299.
51 Ph. Rémy, « La recodification civile
», Droits, 26, 1997, p. 3 et s.
52 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., p. 3, spéc. p. 10.
53 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 93
54 Telle est la définition donnée par
J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil
hors le Code civil », in Livre du bicentenaire, ouvr.
préc., p. 124. Sur ce point, il propose d'autres définitions qui
ne convainquent pas.
55 Dictionnaire Larousse, voir «
éclatement ».
Réformer le Code civil 20
le droit civil n'est pas codifié en son sein. Les
règles de droit civil se détachent ainsi du Code, jusqu'à
constituer des droits autonomes.
38. Le droit civil se développe donc en marge du Code
civil, de cette façon il ne peut plus constituer le tronc commun du
droit français56. Cet éclatement du droit civil hors
du Code civil n'est pas nouveau. En effet en 1898 déjà une loi
relative aux accidents du travail57 est venue consacrer la
théorie du risque professionnel. Depuis, l'on a pu assister à une
multiplication des dispositions législatives dans divers domaines. Le
droit des personnes et de la famille a en effet fait l'objet de dispositions
nouvelles au regard de l'action sociale et de la santé publique,
dispositions qui sont référencées hors du Code
civil58. Cependant, ce domaine est celui où les
manifestations de l'éclatement est le moins flagrant.
39. Lorsque l'on s'intéresse au droit des obligations,
la gravité de l'éclatement du droit civil hors du Code civil
apparaît : les manifestations d'éclatement fourmillent. Une
étude exhaustive est impossible ici, il s'agira alors d'apporter une
vision globale du phénomène. L'exemple le plus criant concerne la
législation sur les clauses abusives qui n'a pas été
incorporée au Code civil59. S'agissant des contrats
spéciaux, ces derniers se retrouvent hors du Code civil, le principal
exemple est la législation relative au contrat de travail, cette
dernière a ainsi abouti à un Code du travail60. La
responsabilité civile n'est pas en reste, elle est également
touchée par l'éclatement. En effet, le régime des
accidents de la circulation institué par la loi du 5 juillet 1985 n'a
pas fait l'objet d'une insertion dans le Code civil61. De même
l'affirmation du principe selon lequel le fait de la naissance ne peut
constituer un préjudice a sa place dans le Code civil et non en
dehors62. Enfin, au moyen d'une vision plus générale,
l'on constate que le droit des biens, de la propriété et de la
propriété intellectuelle sont également touchés par
ce syndrome d'éclatement du droit civil. Le régime de
servitudes
56 J.-L. Halpérin, Le Code civil,
Dalloz, 2003, spéc. p. 129.
57 Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités
des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail (Bulletin de
l'Inspection du travail, n°2, 1898).
58 Code de la santé publique, droits et
dignité des malades (art. L. 1101-1 et s.), assistance médicale
à la procréation (art. L. 2141-4) ; Code de l'action sociale et
des familles, accès aux origines personnes (art. L. 1471), accouchement
sous X (art. L 222-6), la liste n'est pas exhaustive.
59 Le projet de réforme de la Chancellerie
votée par ordonnance le 16 février 2015 remédie à
cela avec un article 1169 « Une clause qui crée un
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des
parties peut être supprimée par le juge à la demande du
contractant au détriment duquel elle est stipulée ».
60 Pour une vision plus complète des
contrats spéciaux hors du Code civil voir J.-L. Aubert, « La
recodification et l'éclatement du droit civil hors le Code civil »,
in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 128.
61 A l'inverse, la responsabilité du fait
des produits défectueux instituée par la loi du 19 mai 1998 a
fait l'objet d'une insertion dans le Code civil (art. 1386-1 et s.).
62 Loi du 4 mars 2002, art. 1er.
Réformer le Code civil 21
par exemple n'a pas été substantiellement
modifié dans le Code civil mais a fait l'objet d'intenses
développements dans d'autres Codes63.
40. Cet éclatement du droit civil hors du Code civil a
ainsi pour corollaire le « pullulement des Codes »64. Le
Code civil ne serait-il, en ce qu'il ne contient plus les matières qui
devraient être intégrées en son sein, qu'un Code parmi tant
d'autres ? La codification se désintéresse du Code civil.
Cependant, en codifiant autour du Code civil, l'on peut déjà
parler de réforme du Code civil puisqu'on l'affecte, on atteint la
fiabilité même du Code civil. Cette idée de
fiabilité du Code civil, à l'instar du phénomène
d'éclatement du droit civil hors du Code civil, n'est pas nouvelle.
C'est le fondement de ce que l'on a nommé la «
décodification » du Code civil. Les lois nouvelles échappent
au Code, « le Code civil n'est plus, en vérité, le corps des
lois civiles »65. Si le Code est périmé lorsqu'il
s'agit de constituer le code du droit commun, il l'est d'autant plus lorsqu'il
s'agit de demeurer le Code du droit civil.
41. Il convient, avant de conclure à la gravité
du phénomène, de s'interroger sur la portée de ce dernier.
Cet éclatement ne serait-il pas naturel au regard de la
spécialisation du droit ? La réponse est positive si cet
éclatement conduit à l'avènement de règles de droit
autonomes66, le droit social en est l'exemple ultime : il s'est
détaché du droit civil et a conduit à
l'établissement de branches autonomes du droit. Il en est de même
s'agissant des droits de propriétés intellectuelles, le recours
à un code était justifié par la matière
elle-même et l'attraction sur celle-ci du droit commercial. Cette
affirmation n'est pas exacte appliquée au droit de la
responsabilité ou au domaine immobilier, matières dans lesquelles
l'éclatement consiste en une dispersion de la règle de droit et
non d'une véritable autonomie. Or, les matières qui
intéressent le Code civil ne devraient pas avoir à être
dispersées. Cette dispersion remet alors en cause leur application et
leur rayonnement.
42. L'éclatement du droit civil affecte ce dernier, et
influe sur la qualité même du Code civil. Il convient alors d'y
remédier tant l'accessibilité au droit s'en trouve atteinte. En
effet, comment assurer la connaissance du droit applicable, la
sécurité juridique alors même
63 Code rural (art. L. 152-14 et s.) ; Code de
l'urbanisme (art. L. 45 1-1 et s. et R. 45 1-1 et s.) ; Code de l'environnement
(art. 515-8 et s.).
64 Voir l'article de N. Molfessis, « Le Code
civil et le pullulement des codes », in 1804-2004, Le Code civil un
passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 309.
65 G. Cornu, « La lettre du Code à
l'épreuve du temps », in Mélanges R. Savatier,
Dalloz, 1965, p. 157, spéc. 165.
66 Voir sur ce point les développements de
J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil
hors le Code civil », in Livre du bicentenaire, ouvr.
préc., p. 130 et s.
67 N. Molfessis, « Le Code civil et le
pullulement des Codes », in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 338.
Réformer le Code civil 22
que le droit civil est éparpillé ? Il ne permet
plus d'appréhender l'ensemble des règles civiles. La solution est
sans doute à rechercher chez l'un des pionniers, malheureux, du Code
civil : Cambacérès. Malgré l'impossibilité d'une
règle parfaite il convenait selon lui, de ne jamais détacher
d'une matière, une disposition ou des lois qui la compléteraient,
ne jamais non plus diviser afin de conserver une régularité
effective des dispositions qui s'éclairent par leur
rapprochement67. La violation, par le législateur
français, de ces deux affirmations ont conduit à la
complexité et à la décodification du droit civil
français. La valeur du Code civil était à rechercher dans
le respect de ces principes. Aujourd'hui leur méconnaissance conduit
à dévaluer notre Code, pire, à le rendre inaccessible.
43. Cette inaccessibilité au droit et l'absence de
sécurité juridique est également le reflet de l'inflation
législative que le droit français a connu, inflation qu'il faut
combiner à l'immobilisme et dont l'addition rend le droit civil
français précaire et complexe.
§2 - L'absence de sécurité juridique
conférée par le Code
44. Le Code civil peut être regardé aujourd'hui
comme une compilation et non comme un Code, compilation qui ne contient plus
aujourd'hui l'ensemble du droit civil, cette affirmation est le résultat
de nos développements précédents : le Code civil est un
recueil et le droit civil se fait en dehors de celui-ci. Cependant, le constat
d'échec se fait également lorsqu'il s'agit d'envisager le droit
civil dans le Code. En effet, ce droit est aujourd'hui si complexe qu'il ne
confère plus une sécurité juridique. Cette
complexité est le fruit de deux mouvements paradoxaux : des domaines du
Code civil ont connu de tels changements législatifs qu'une
instabilité est née (A). A côté de
celle-ci, des pans entiers du Code sont restés quasiment
inchangés : un véritable immobilisme est alors à constater
(B).
A Ð Une inflation législative source
d'instabilité
45. De l'esprit de tous, une loi idéale est une loi de
qualité, qui reflète la réalité. Si les lois
deviennent de plus en plus nombreuses, définition même d'une
inflation législative, elles sont méconnues et la
sécurité juridique n'est pas effective. L'adage « nul n'est
censé ignorer la loi » est alors aujourd'hui dépassé,
et le problème semble insoluble. En effet, un cercle vicieux
apparaît : lorsque la loi est mal faite, lorsqu'elle est faite de
façon quantitativement abusive, un problème de stabilité
se forme, la loi est inaccessible, incompréhensible, des
Réformer le Code civil 23
contestations apparaissent, on la modifie, et cela
indéfiniment. L'instabilité a alors pour pendant la
complexité, le Code civil souffre donc aujourd'hui d'une grande
précarité.
46. Selon Montesquieu « Il ne faut point de lois
inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires » : le
résumé de la position du Code civil est parfait, l'inflation
législative a alors eu pour conséquence dommageable
l'inefficacité législative. Parmi les trois piliers de la
société civile française que sont la famille, la
propriété et le contrat, la première matière a
été fondamentalement ébranlée68 en
raison de l'excès de réforme, autrement dit en raison d'une
inflation législative sans précédent. Bien sûr, les
idées de Portalis sur la famille semblent
dépassées69, mais cette désuétude ne
méritait pas que le Code civil ne cesse de demeurer un « objet
juridique et historique cohérent »70. La matière
familiale du Code civil a connu des transformations saccadées, une
avalanche de réformes, ce qui a pu faire dire à certains qu'il
s'agissait d'une « politique de Gribouille »71.
47. Cette inflation législative qui a touché le
Code civil s'explique par la volonté d'égalité entre
l'homme et la femme. Jusqu'en 193872, la femme devait
obéissance à son mari73. Cependant, ce remaniement du
Code civil avait commencé dès la fin du XIXème
siècle, pour exemple l'on peut énoncer qu'entre 1880 et 1914 ce
sont plus de 250 articles qui ont été
modifiés74. La cinquième république constitue
le point d'orgue de l'idéal d'égalité au sein de la
famille75 : égalité du mari et la femme par les lois
de 1965 et 1985 sur les régimes matrimoniaux, égalité de
l'enfant légitime et de l'enfant naturel par les lois de 1964 relatives
à la tutelle, de 1972 sur la filiation et de 2001 sur les successions,
égalité du père et de la mère par les lois de 1970,
de 1987 et de 2002 (sur le nom et sur l'autorité parentale). Un tel
catalogue était nécessaire afin d'appréhender le
problème : un nouveau droit de la famille a vu
68 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., p. 3.
69 Dans son discours préliminaire, Portalis
prônait par exemple l'idée d'une autorité, du père
sur ses enfants, du mari sur sa femme.
70 J.-L. Halpérin, « Le regard de
l'historien », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
57.
71 Terme utilisé par Marco Sabbioneti,
« Di alcune modificazioni del modello napoleonico di diritto »,
Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 30, 2001/II,
pp. 857-867. Cité par J.-L. Halpérin, « Le regard de
l'historien », ibidem.
72 Loi du 18 février 1938 supprimant
l'incapacité de la femme mariée
73 Article 213 du Code civil supprimé par la
loi du 18 février 1938.
74 A propos du rétablissement du divorce, la
réforme des droits successoraux des enfants adultérins et
incestueux, des droits du mariage, etc. Voir sur ce point J.-L.
Halpérin, « Le regard de l'historien », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 56-57.
75 Pour plus de détails voir Y. Lequette,
« D'une célébration à l'autre à l'autre
(1904-2004), in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 9 et s.,
spéc. p. 20.
Réformer le Code civil 24
le jour, « les grandes lignes du modèle familial
s'imposent aux juges comme aux justiciables »76.
48. La quête d'égalité du
législateur s'est alors soldée par une instabilité,
faisant perdre au Code son « effet instituant »77. En
effet, cette avalanche de réformes est le signe même d'une perte
de crédibilité, de l'échec de l'entreprise
législative, d'un incessant « ravaudage législatif
»78. Pire encore, ce courant législatif a fait perdre
à la famille sa dimension collective au détriment d'une nature
individualiste, normalement antinomique avec la notion même de
famille79. Dans l'optique de réformer le Code civil, cette
dimension devra alors être prise en compte : proposer un modèle
institutionnel bénéfique à l'avenir de la
société.
49. Cette inflation législative revêt une
seconde facette, agrémentant l'argument selon lequel le Code civil n'est
plus source de sécurité juridique. Ces réformes
incessantes ont réduit à néant le style, la clarté
et l'élégance du Code de 1804, ruinant par la même son
accessibilité ainsi que son intelligibilité80. Si
l'empreinte du Doyen Carbonnier sur le Code civil n'a pas
dénaturé ce dernier (un style classique a été
adopté, se fondant dans l'esprit initial du Code, les qualités du
texte ont alors été conservées), il n'en est pas de
même lorsque l'on envisage l'empreinte du législateur moderne sur
le Code. L'idée selon laquelle le style d'une loi est l'objet même
de sa clarté, de son intelligibilité et de son
accessibilité81 est fondamentale ici : les lois nouvelles
sont imprécises 82 , cette imprécision participe
à l'insécurité juridique et à l'illisibilité
du droit. La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de
solidarité (PACS) constitue l'exemple le plus frappant. D'une part, sa
place au sein même du Code civil a été de nombreuses fois
décriée83, d'autre part cette loi se lit au regard des
décisions du Conseil constitutionnel tant sa rédaction est
maladroite.
76 P. Catala, « La métamorphose du droit
de la famille », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
341 et s., spéc.
p. 343.
77 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., p. 14 et s.
78 Ph. Rémy, « Regard sur le code »,
in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 108.
79 Voir sur ce point Y. Lequette, « D'une
célébration à l'autre (1904-2004) », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 21.
80 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 101
81 N. Molfessis, « Le contrôle de la
réforme par le Conseil constitutionnel », Petites affiches,
28 octobre 2004, n°216, p. 59 et s., spéc. n°8.
82 Par exemple la loi du 3 décembre 2001
relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins.
Celle-ci comporte des coquilles, des défauts, des paradoxes.
83 P. Catala, « Le pacte civil de
solidarité. Critique de la raison médiatique », in
Famille et Patrimoine, PUF, 2000, p. 249 et s., spéc. p.
250.
Réformer le Code civil 25
50. L'inégalité entre les réformes
menées par le Doyen Carbonnier et celles menées par le
législateur moderne se constate également lorsqu'il s'agit
d'envisager leur contenu. L'innovation constituait le maître-mot de la
plume de Carbonnier, innovation s'accompagnant d'une cohérence certaine
et appréciable84. Aujourd'hui, les réformes partielles
en droit de la famille sont-elles aussi opportunes ? Les lois en matière
successorale ou celles relatives à la dévolution du nom de
famille invitent à se poser la question tant elles sont complexes.
51. Au regard de cette inflation législative, le Code
civil n'a plus « de valeur ou de vigueur propre qui le mette à
l'abri des turbulences »85. Cette affirmation se
révèle d'autant plus évidente lorsqu'il s'agit
d'étudier le pendant de l'instabilité : l'immobilisme.
B - Un immobilisme source de complexité
52. La famille, en tant que grand pilier de la
société civile a connu un excès de réforme. A
l'inverse, les piliers qui l'accompagnent, à savoir la
propriété et le contrat souffrent d'une absence de
réforme.
53. L'inertie du Code civil est caractérisée
lorsque l'on découpe ses matières, mais également
lorsqu'il s'agit de l'envisager dans sa globalité : en 2015, environ la
moitié du Code civil n'a jamais été modifié, il est
donc resté inchangé. Cette situation pourrait ainsi être
envisagée, par les plus optimistes, comme un gage de
pérennité, de qualité du Code. Il n'en est rien :
excepté le droit patrimonial de la famille, le Code civil a «
sombré dans une douce torpeur »86.
54. Après l'analyse de l'inflation législative,
l'argument premier consisterait à énoncer que l'immobilisme est
gage de qualité, puisque par définition il s'opposerait au
phénomène qui ruine la cohérence du Code civil. Pour
autant, la nature inerte, quasi morte de certaines parties du Code participe
à cette incohérence : au sein d'un même Code n'est pas
acceptable de telles disparités, notamment au regard des
conséquences que cela engendre : instabilité,
inaccessibilité, illisibilité, complexité surtout.
55. La difficulté, à l'instar de l'inflation
législative, n'est pas nouvelle. En effet, lors de la
célébration du centenaire du Code civil, la question se posait
déjà. Plus d'un siècle plus
84 L'on peut citer pour exemples les lois de 1965
et 1985 qui ont modernisé le droit des régimes matrimoniaux,
phénomène déjà socialement enclenché.
85 Ph. Rémy, « Regard sur le code »,
in Livre du Bicentenaire, spéc. p. 117.
86 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre » in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc.,
p. 15.
Réformer le Code civil 26
tard, le législateur semble avoir abandonné
l'idée d'un véritable livre de référence au profit
d'une codification parcellaire, des réformes émiettées.
L'affrontement entre capitalisme et socialisme au sein même du Code civil
(voir infra §61 et s.), en est la cause : des réformes civiles
concernant le droit des obligations ou encore le droit des biens
nécessitent un consensus. En 1904 une révision du droit de la
propriété et des contrats ne semblait pas envisageable pour le
législateur, en raison de cette absence de consensus
politique87.
Grâce à la souplesse du droit des contrats, les
citoyens peuvent répondre avec le maximum d'efficacité à
l'infinie variété des situations et des besoins mais là
n'est pas le rôle d'un Code d'être aussi souple. La souplesse
n'incite pas le législateur à agir, de ce fait l'immobilisme du
Code civil s'ancre dans les moeurs. Le domaine contractuel est ainsi largement
touché par une politisation forte et l'idée selon laquelle le
citoyen doit s'adapter doit être remise en cause : « comme il est
des propriétés d'une telle nature que l'intérêt
particulier peut se trouver facilement et fréquemment en opposition avec
l'intérêt général dans la manière d'user de
ces propriétés, on fait des lois et des règlements pour en
diriger l'usage »88. Autrement dit, transposée au
contrat, cette affirmation reflète la cohabitation entre la
liberté contractuelle et les exigences (consentement exempt de tout
vice, objet, cause) qui permettent de donner au législateur les moyens
de contrôler l'intérêt général. Le
législateur français est alors frileux lorsqu'il s'agit
d'effectuer un choix politique. C'est pour cette raison fondamentale que le
droit des contrats est inerte dans notre Code civil.
56. Pour autant, l'exagération n'est pas
justifiée au regard du projet de réforme du droit des contrats,
votée par la loi du 16 février 2015 dont l'article 8 habilite le
gouvernement à réformer par ordonnance. En effet, le
législateur a pris parti en faveur d'une place grandissante
accordée au jeu de volontés unilatérales. Il faut saluer
la réforme, sans même analyser son contenu, car son besoin est
inéluctable. Le législateur, en sortant de sa réserve, se
place sur une route semée d'embûches, pour deux raisons : le droit
des contrats est le droit le plus figé au sein du Code civil, de ce fait
un consensus sera difficile à trouver.
57. Les textes du Code civil qui régissent le droit
des obligations sont, pour l'essentiel, ceux issus de la codification de 1804.
Depuis 211 ans maintenant, le Code est demeuré immobile. Le Code civil,
et plus spécifiquement le droit des contrats est ainsi, certes
resté
87 J. Carbonnier, « La codification dans les
états de droit : le cas français », Année
canonique, 1996, p. 95.
88 J.-F. Niort, « Droit, économie et
libéralisme dans l'esprit du Code civil », Archives de
philosophie du droit, 1992, p. 101, spéc. p. 107.
Réformer le Code civil 27
figé, mais il ne s'est pas
fossilisé89. Le changement s'est fait ailleurs90,
en raison de la doctrine et de la jurisprudence. Ce rôle normatif de la
jurisprudence fera l'objet d'une étude approfondie (voir infra §78
et suivants). Un droit des contrats sous la coupe de deux sources de droit
inférieures à la loi, à savoir la doctrine et la
jurisprudence doit faire l'objet d'une virulente critique. Certes la lettre du
Code civil n'a, pour ainsi dire, pas changé depuis 1804, d'où
l'inertie, mais ce code, symbole en théorie du droit commun, ne rend
plus compte de l'état du droit positif. La stabilité qui
trouverait sa nature dans l'immobilisme est un leurre et n'inspire pas le
respect.
58. Le Code civil a sûrement, grâce aux renforts
précités, évité un vieillissement précoce,
mais ce vieillissement était inévitable. Le temps est ainsi venu
de repenser notre Code civil, à défaut ce décalage entre
« droit écrit » et « droit vécu» engendrera
la perte définitive du rayonnement du droit français au travers
du Code civil. Ce dernier n'est pas lisible car trop complexe. Il faut alors le
rajeunir car celui souffre d'un vieillissement considérable.
Section 2 - Le vieillissement
59. Le Code souffre d'un mal terrible, un des pires qui
puisse toucher une oeuvre codificatrice : il a vieilli. Certes, un Code qui
survit aux épreuves du temps peut être gage de réussite, de
sécurité, de stabilité. Notre Code civil en ce qu'il est
instable et complexe cumule les défauts. Ce vieillissement est la
conséquence des défauts précédemment
étudiés, un code vieilli est un code qui n'est plus conforme
à la réalité juridique. Ainsi, une désuétude
est inévitablement perceptible (1),
désuétude qui a conduit le juge à outrepasser ses devoirs
et pouvoirs afin de remédier au vieillissement. Notre Code civil est
désormais remplit de créations prétoriennes, et l'on doit
s'interroger sur l'intégration de ces créations au sein d'un Code
: est-ce un remède au vieillissement ou un danger supplémentaire
(2) ?
§1 - La constatation d'une
désuétude
60. Cette désuétude, une fois constatée,
appelle à deux énonciations : d'une part, notre Code civil est
désuet car il s'agit d'une oeuvre de compromis entre capitalisme et
socialisme. En effet, l'impossibilité du législateur de trancher
entre ces deux axes politiques conduit à la désuétude de
l'oeuvre (A). D'autre part, notre Code civil souffre d'un
vieillissement au regard
89 Voir les développements sur ce point de B.
Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 97.
90 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., in Droit, 1997, n°26, spéc. p.
10.
Réformer le Code civil 28
de son corpus : le fond et la forme souffrent tous deux d'une
désuétude capitale : les notions contenues dans le Code civil et
la forme de celui-ci ne sont plus adaptées à la
réalité (B).
A - Une oeuvre de compromis entre capitalisme et
socialisme
61. En 1804, le Code civil apparaît comme un acte de
volonté, il s'insère en effet dans le cadre d'un gouvernement
autoritaire91, c'est un instrument politique. A l'origine, il
s'agissait d'une oeuvre moderne : il tendait à systématiser les
règles de droit, réformer le système juridique, faciliter
l'accès au citoyen, autant d'innovations qui rendaient, à
l'époque, le Code civil empreint d'une modernité
incontestée. Cette modernité était également
reflétée par la consécration de grands principes tels que
la liberté et l'égalité, principes qui sont devenus le
socle de notre ordre juridique.
62. Pour certains, « l'écoulement du temps n'a
pas altéré ses qualités. Il est désormais inscrit
dans l'intemporalité »92. Tant d'optimisme paraît
irréel tant le Code a vieilli. Il ne constitue plus qu'un « lieu de
mémoire », et ne reflète plus, outre le droit positif
français, la réalité sociale. En effet, bien qu'ayant
survécu à deux siècles et plus de dix constitutions
politiques, le Code civil est inévitablement une oeuvre de compromis.
« Des coups venant de droite, autant venant de gauche, c'est ainsi que,
bien souvent, on caractérise le juste milieu »93, cette
affirmation du doyen Carbonnier illustre parfaitement le compromis entre
socialisme et capitalisme.
63. Le Code civil n'est pas parfait, la perfection est
utopique. Le compromis est ainsi le contraire de la perfection, avec la
nocivité que cela implique : la Révolution et ses maximes rodent
sur le Code civil. L'article 544 qui dispose que « La
propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la
manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage
prohibé par les lois ou par les règlements » en est la
représentation ultime. Il en va de même pour l'article 1134 qui
consacre la liberté individuelle. A l'inverse, l'on peut illustrer le
compromis aux moyens d'un contre-exemple : l'ordre public à l'instar des
maximes révolutionnaires, rode sur le Code : « On ne peut
déroger par des conventions particulières aux lois qui
intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs »94.
Ainsi, ordre public et liberté individuelle constituent deux
idéologies antagonistes, ces deux notions constituant pourtant le
91 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 21.
92 D'après le message du Garde des Sceaux,
ministre de la Justice, Monsieur Dominique Perben lors de la
célébration du bicentenaire du Code civil. Message retranscrit
in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 13 et s.
93 J. Carbonnier, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 26.
94 Art. 6 C.civ.
Réformer le Code civil 29
socle du droit civil français. Le Code civil est alors
largement dominé par l'esprit de compromis.
64. Un Code civil qui revêt avant tout une dimension
politique ne peut être impartial. L'impartialité du droit
était la ratio legis du compromis choisi en 1804. Il s'agit
pourtant d'une utopie : le Code civil n'est pas le Code de tous les
français, l'on peut ainsi parler du « mythe du caractère
populaire du droit95 » et plus spécifiquement du
caractère populaire du Code civil. L'on a pu parler de « code
taillé pour les notables »96 et cette affirmation est
fondée : la toute-puissance des propriétaires y règne, la
lettre de l'article 544 constitue l'affirmation du capitalisme.
65. Selon un regard contemporain, cette oeuvre de compromis
est désuète aujourd'hui : notre société a connu de
nombreux bouleversements, des changements sociaux et politiques. Cet ensemble
ne peut pas avoir laissé intact le « monument juridique »
qu'est le Code civil. Notre société a évolué, le
Code civil a vieilli. L'impossible consensus entre capitalisme et socialisme au
moment de l'élaboration du Code civil semble ainsi hors de propos
désormais. En effet, il n'est pas prétentieux de dire que la
partie a été remportée par l'individualisme. La mutation
du droit de la famille en est un exemple frappant. L'esprit du Code civil en
est alors modifié.
66. L'importance des changements économiques a
été méconnue, laissant l'esprit du Code civil vieillir
chaque jour un peu plus. Malheureusement notre démocratie moderne
délaisse ce sujet brulant du vieillissement, de l'absence de
modernité et semble ce contenter d'un code symbole, d'un consensus qui
ne reflète plus l'état actuel de cette démocratie moderne.
Il aurait dû s'agir d'un compromis provisoire, au contraire il s'agit
désormais d'un compromis historique que l'on peine à remettre en
cause. Un optimiste trop prononcé serait malvenu ici : la
société français rencontrera toujours des
problèmes97, la question sociale sera toujours à
l'ordre du jour, on évoquera ainsi à défaut d'une lutte
des classes, une exclusion sociale. Certes, mais une réforme du droit
civil est nécessaire, même si celle-ci engendrera
inévitablement un conflit idéologique qu'il conviendra de
transcender. Cette transcendance aura pour source la mondialisation mais
également l'Européanisation (voir infra §92 et suivants).
95 P. Malaurie, « L'utopie et le Bicentenaire du
Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
4.
96 J.-L. Halpérin, Le Code civil,
ouvr. préc., p. 111 et s.
97 J. Carbonnier, « Le Code civil des
français dans la mémoire collective », in 1804-2004, Le
Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr.
préc., p. 1052.
Réformer le Code civil 30
67. L'acceptation d'un tel défaut que constitue le
vieillissement revêt une gravité certaine. Pour autant, un second
défaut majeur induit chaque jour un peu plus le vieillissement de notre
soi-disant « Constitution civile ». En effet, le contenu et le
contenant du Code civil ont vieilli avec lui. L'oeuvre de compromis est ainsi
désuète, d'une part au regard des principes qu'elle
véhicule, d'autre part au regard de sa forme.
B - Une oeuvre désuète par ses notions
et sa forme
68. Désuet, le Code civil ne l'est pas seulement en
raison de sa complexité. En effet, sa substance intrinsèque,
ainsi que sa forme, font de cette « oeuvre » une oeuvre
démodée. Evidemment, le Code n'est pas parfait, Portalis
soulignait déjà, lors de son célèbre Discours
préliminaire qu'il était impossible de tout prévoir.
Soit, mais ce qui a été prévu en 1804 n'est plus le reflet
de notre société aujourd'hui. On ne peut pas tout prévoir
mais l'on peut réformer. Sans réforme, la substance même du
Code civil est caduque, et cette affirmation peut être sans conteste
étendue de la façon suivante : le contenu mais plus
également le contenant persistent dans l'obsolescence.
69. Cette désuétude n'est que la prolongation
des défauts précédemment évoqués :
instabilité, oeuvre de compromis, complexité,
insécurité, immobilisme. En effet si l'on envisage l'exemple de
l'immobilisme du Code civil, celui-ci a pour conséquence directe et
néfaste le maintien d'un Code aux notions désuètes. A
l'origine, le Code n'était pas parfait, cependant les dispositions
imparfaites d'hier sont les mêmes aujourd'hui98 : l'obligation
de donner de l'article 1103, la formule amputée de l'article 2276,
l'imprécision concernant l'article 1165 posant l'effet relatif du
contrat, ou encore l'article 1142 du Code civil qui exprime un droit de
Common Law et non un droit français. La liste est non exhaustive et
il s'agit là du coeur du problème : le Code civil est
rongé par ses défauts.
70. Le Code est également obsolète au regard
des notions, des textes qu'il contient, non pas en raison de leur
imprécision, incertitude, mais au regard de leur lettre même. Le
maintien de ces textes dans le Code fait d'eux des textes applicables,
vivants99. Or, ils sont morts depuis longtemps déjà.
L'article 1333 dispose que « Les tailles corrélatives à
leurs échantillons font foi entre les personnes qui sont dans l'usage de
constater ainsi les
98 Pour plus de détails voir D. Tallon,
« Grandeur et décadence du Code civil français», in
Mélanges M. Fontaine, Larcier, 2003, p. 279 et s., spéc. p.
286.
99 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc.
Réformer le Code civil 31
fournitures qu'elles font ou reçoivent en
détail ». Que signifient ces tailles ? Il s'agit là
d'un texte, à l'instar de nombreux autres, qui s'applique à des
biens disparus soit totalement, soit partiellement, de notre
société. L'on peut citer également l'article 519 relatif
aux moulins à eau ou à vent, ou bien la liste des immeubles par
destination posée par l'article 524. Celui-ci envisage les ustensiles
aratoires, les ruches à miels, les pressoirs, etc. Enfin, la position du
meuble au sein du Code civil est largement dépassée,
répondant encore à l'image d'une société
préindustrielle. Cette suprématie de l'immeuble sur le meuble est
aujourd'hui contredite par la réalité économique. Pire
encore : la suma divisio instituée par l'article 516 du Code
civil est emprunte d'une désuétude : tous les biens ne sont pas
réductibles à ces deux catégories. Ainsi, ces exemples
font de la réforme du droit des biens100 et plus globalement
du Code civil une nécessité tant les textes sont artificiels.
71. Le contenu du Code civil ne donne plus
une image parfaite de l'état actuel du droit civil et
l'homogénéité est freinée, pire, rendue impossible
par la coexistence de textes désuets et de nouveaux textes chaque jour
plus nombreux qui rendent la réforme du Code civil quotidienne mais
qualitativement insatisfaisante. En 2015, l'on peut affirmer que les lacunes
sont nombreuses mais comblées par des législations nationales et
européennes florissantes. Le contenu des dispositions est repris article
après article de façon à ce que la réforme du Code
civil soit quotidienne : en réalité, la réforme du Code
civil est entreprise, cependant ce n'est pas par ce biais qu'elle sera
effective et novatrice.
72. La désuétude touche aussi les textes
anciens, cela n'est qu'une conséquence logique. Cependant elle touche
également les textes rénovés tels que ceux du droit de la
famille. Une réforme globale est ainsi nécessaire et il
n'apparait pas superflu de le répéter. Le contenu, la substance,
le fond du Code civil est périmé. Qu'en est-il de la forme ?
73. Le corps du texte est également désuet si
on l'apprécie quantitativement « en deux siècles, le corps
du Code a été tailladé, recousu, étendu,
retranché et démultiplié101 ». Bien que sa
dénomination « le Code civil des Français » soit
restée intacte102, sa grandeur, son symbole au regard de sa
forme sont autant d'indices qui conduisent à parler de «
décadence » du Code103. La vision optimiste serait
d'affirmer que le Code en tant que contenant a résisté à
l'épreuve du temps. Cela étant, cette affirmation constitue le
reflet de la problématique : une
100 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens
», in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 297 et s.
101 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in
Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 103.
102 En France il n'est pas intitulé « Code
Napoléon », cette appellation est utilisée à
l'étranger.
103 Terme de D. Tallon, « Grandeur et décadence du
Code civil français », art. préc., p. 279 et s.
Réformer le Code civil 32
forme inchangée est nécessairement
obsolète. L'impossible homogénéité envisagée
ci-dessus impacte alors l'unité de forme et de présentation du
Code civil.
74. La numérotation, le style, le plan, le
vocabulaire, autant d'éléments sur lesquels le temps a une
emprise néfaste. Un exemple criant est celui des réformes
successives qui conduisent à former des « trous » dans le
tissu des textes104. Cela renvoie par ricochet au problème de
la numérotation. L'article 5 de la loi du 30 ventôse an X relative
aux travaux préparatoires du Code civil disposait qu' « il n'y aura
pour tous les articles du Code civil qu'une seule série de
numéros ». La numérotation primitive du Code civil a ainsi
été conservée, mais surtout on a souhaité garder
les « grands articles » à leur place. En effet, l'on ne peut
s'attaquer aux numéros symboliques : les articles 544, 1134 ou bien 1382
sont intouchables. Ainsi, Philippe Rémy se demande : « qu'importent
les doubles, les triples et les vides, si l'on conserve à leur place ces
sentinelles du droit civil français ? »105. Ce
phénomène d'articles « maximes » a conduit à des
tours de force, à ajouter, là où la place était
libre, des textes supplémentaires. Des vides, des excroissances sont le
résultat d'une telle volonté conservatrice. Le Code civil est de
ce fait dépouillé dans sa forme même, et le plan n'y
échappe pas.
75. Le plan du Code demeure son point faible depuis son
origine. Pour certains, ce plan est certes défectueux, mais il
présente un mérite : la flexibilité. Celle-ci permet alors
l'adjonction ou l'insertion de nouveaux titres, sans qu'en souffre la
numérotation106. La flexibilité se fait au
détriment de la simplicité mais surtout de la modernité.
Un exemple affligeant : le titre 1er du livre I ne comporte pas de
chapitre premier. Cette absence de rigueur est inadmissible au sein de notre
« Constitution civile ». Pire encore, le titre sur la
responsabilité en fait des produits défectueux est le titre IV
bis, ainsi est-il accolé en fin de titre IV relatif aux engagements qui
se forment sans convention. Or, n'y a-t-il pas en général une
convention qui se forme ? En résumé, un plan difforme, une
structure vieillissante, font du Code civil un recueil complexe dans lequel un
profane ne pourrait s'y retrouver. « Qui penserait à chercher les
règles des quasi-contrats dans un livre consacré aux
différentes manières dont on acquiert la propriété
? » se demande D. Tallon107.
104 Pour une vision détaillée voir Ph. Rémy,
« Regards sur le Code », art. préc., p. 104 et s.
105 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », art.
préc., p. 105.
106 C. Witz, « L'influence des codifications nouvelles
sur le Code civil de demain », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 705.
107 D. Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil
français », art. préc., p. 279 et s.
108 F. Ewald, « Rapport philosophique : une politique du
droit », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 77 et
s., spéc. p. 79.
Réformer le Code civil 33
76. Le corps du Code est toujours là, mais
l'étude de ces défauts amène à penser qu'il ne
s'agit plus d'un Code. Cette affirmation revêt une véritable
importance lorsqu'il s'agit d'envisager le Code comme tributaire de la
jurisprudence.
§2 - L'intégration des créations
prétoriennes : remède ou danger ?
77. Le Code civil n'est désormais plus un code.
Cependant afin de le maintenir en vie, le juge tient un rôle capital. En
effet, pour pallier le vieillissement, la jurisprudence oeuvre activement par
le biais de créations prétoriennes. Un code aux mains du juge
constitue un défaut en lui-même, pour autant il ne convient pas de
nier la réalité. A cet effet, l'on peut sans conteste
énoncer qu'aujourd'hui l'on est en présence d'une jurisprudence
normative, autrement dit le juge civil est maître du Code civil
(A). Cet argument doit inexorablement amener à
s'interroger sur les solutions que l'on peut apporter à ce
phénomène qui dénature substantiellement le Code civil :
la solution au vieillissement demeure inévitablement dans sa
modernisation (B).
A - Un droit civil aux mains du juge : une
jurisprudence normative
78. « Un Code, quelque complet qu'il puisse
paraître, n'est pas plutôt achevé, que mille questions
inattendues viennent s'offrir au magistrat. Car les lois, une fois
rédigées, demeurent telles qu'elles ont été
écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent
toujours », en ces termes, Portalis dans son Discours préliminaire
énonce le principe selon lequel la loi ne peut pas tout prévoir.
Cette locution viendrait alors contredire l'idée d'un Code vieillissant
puisque par nature les lois seraient obsolètes, désuètes
dès lors formulation108. Portalis laissait ainsi,
après la construction de la loi, la place au travail des juges, au
travail du droit : « De là, chez toutes les nations
policées, on voit toujours se former à côté du
sanctuaire des lois, et sous la surveillance du législateur, un
dépôt de maximes, de décisions et de doctrine qui
s'épure journellement par la pratique et par le choc des débats
judiciaires, qui s'accroit sans cesse de toutes les connaissances acquises, et
qui a constamment été regardé comme le vrai
supplément de la législation ». Autrement dit, la loi,
plus spécifiquement le Code civil, peut rester le même, tant que
le droit vie sous l'impulsion du juge. Est-ce réellement au juge de
faire le droit, plus précisément est-ce au juge de faire et
refaire le Code civil ?
Réformer le Code civil 34
79. Dès la fin du XIXème siècle, la
société française a connu de profondes mutations, en
raison du développement de l'industrie, de l'évolution de la
bourgeoisie ou encore de l'accroissement de la population
ouvrière109. Il est alors revenu à la jurisprudence
d'intervenir avant que le législateur ne se saisisse du problème.
Malheureusement, le législateur a parfois tardé à agir, si
bien qu'en 2015, le Code civil français doit beaucoup aux juges de la
Cour de cassation. Le juge a su s'adapter aux évolutions
économiques et sociales ; à tous les changements qu'il s'agisse
de changements de besoin ou de moeurs. Par le biais du juge, le Code civil
s'est enrichi, complété, renouvelé et parfois
modifié. Le juge a ainsi évité un vieillissement
prématuré du Code. Pourtant, le vieillissement est bien
réel.
80. C'est en raison de la fonction première du juge
que la jurisprudence a pu jouer un rôle si important au sein du Code
civil. En effet, c'est la fonction d'interprétation du juge, reconnue
par l'article 4 du Code qui lui confère une place centrale. Cet article
dispose que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du
silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra
être poursuivi comme coupable de déni de justice ».
Autrement dit, le juge a une obligation de dire le droit, en contrepartie lui
est conféré la possibilité de l'interpréter. Cela
étant, l'interprétation est à distinguer de la
création. Or le juge du XXIème siècle devient un juge
créateur, en raison de l'immobilisme du législateur. L'on a ainsi
pu parler de « jurisprudence législative »110, les
exemples foisonnent.
81. Dans le domaine de la responsabilité civile, cette
« jurisprudence législative » a donné toute sa
mesure111. Au moyen d'un texte prétexte, l'article 1384, la
jurisprudence a érigé une clause générale de
responsabilité du fait des choses, anéanti le numerus clausus des
responsabilités du fait d'autrui, fabriqué un nouveau
régime de responsabilité des commettants ou encore modifié
la responsabilité parentale. Toujours s'agissant de la
responsabilité civile, l'article 1382 a fait l'objet d'une
interprétation si extensive qu'elle ne peut être infinie. C'est
pour cette raison que Geneviève Viney, que l'on rejoint, appelle
à la suppression de ce fossé entre loi civile et droit
positif112 : la suppression ne s'envisage qu'au moyen d'une
réforme du Code civil.
82. A l'instar de la responsabilité civile, le droit
des contrats n'est plus l'apanage du
109 Pour une vision détaillée de ce propos voir
J. Hilaire, « Le Code civil et la Cour de cassation », in Livre
du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 155 et s.
110 V.F Zenati, La jurisprudence, coll. «
Méthode du droit », Paris, Dalloz, 1991, p. 177 et s.
111 Sur la question, voir G. Viney, « Les
difficultés de la recodification du droit de la responsabilité
civile », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 255 et
s.
112 G. Viney, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
ouvr. préc., p. 255 et s.
Réformer le Code civil 35
Code civil, il s'est enrichit sous l'impulsion de la
jurisprudence : la réticence dolosive déduite de l'article 1116
par exemple ou bien les articles relatifs à l'objet du contrat qui ne
permettent pas de prendre pas en compte les évolutions en ce domaine. La
jurisprudence conduit parfois à dénaturer la lettre même
d'un article, ainsi l'article 1142 n'est plus aujourd'hui de droit positif : la
lettre du Code est trompeuse au regard de l'interprétation faite par la
Cour de cassation113. De façon plus générale,
c'est l'ensemble du droit des contrats qui a été
complété voire crée par la jurisprudence : les
pourparlers, le régime de l'offre, le moment de la conclusion du
contrat, autant de principes silencieux au sein du Code civil et résolus
par le juge. Enfin, le Code ne nous dit rien sur le déséquilibre
contractuel entre les parties alors même qu'aujourd'hui la liberté
contractuelle est nuancée.
83. La jurisprudence dans sa fonction d'interprète
peut sembler assez légitime. Or elle sort parfois de son rôle et
crée de nouveaux principes, sans base législative. L'exemple
fondamental est celui de l'enrichissement sans cause : par le biais d'un grand
principe, l'équité, elle a interdit à chacun de s'enrichir
au détriment d'autrui114. Un principe comme celui-ci a alors
intégré naturellement le droit civil sans que le
législateur vienne le consacrer. Son absence au sein du Code civil
nourrit inévitablement le constat selon lequel le Code souffre d'un
vieillissement accéléré. Le constat est identique
s'agissant des troubles anormaux de voisinage115.
84. Le juge, selon Montesquieu, ne devrait être que la
bouche de la loi, ici la loi est la bouche du juge, la jurisprudence en tant
que source de droit deviendrait supérieure à la loi, au contenu
même du Code civil. L'apport du juge est alors aussi important voire plus
important que celui du législateur. Cependant, l'article 4 du Code civil
lui confère un pouvoir d'interprétation. Les décisions des
juges de la Cour de cassation devraient ainsi être plus que des
décisions de justice mais revêtir moins d'autorité que la
loi. Or le principe de jurisprudence législative contredit cette
idée et de nombreux principes ont alors été
créés en dépit de l'article 5 du Code civil, lequel
interdit les arrêts de règlement. Portalis, dans le discours
préliminaire, avait insisté sur la complémentarité
des articles 4 et 5 « mais en laissant à l'exercice du juge, toute
latitude convenable, nous lui rappelons les bornes qui dérivent de la
113 Voir sur la question, Th. Revet « Recodification,
entre tentation et illusions », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 458.
114 Principe consacré par la Chambre des requêtes
de la Cour de cassation le 15 juin 1892 dans un arrêt Boudier c/
Patureau-Mirand.
115 La formulation du principe selon lequel « nul ne
doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » a
été posée dans un arrêt de la Cour de cassation du
19 novembre 1986, Bulletin 1986 II N 172 p. 116.
Réformer le Code civil 36
nature même de son pouvoir, un juge est associé
à l'esprit de législation mais il ne saurait partager le pouvoir
législatif. La loi est un acte de souveraineté ; une
décision n'est qu'un acte de juridiction ou du magistrature. Or, le juge
deviendrait législateur s'il pouvait, par son règlement, statuer
sur des questions qui s'offrent à son tribunal ». En 2015, en
dépit des recommandations de Portalis, le juge est devenu
législateur.
85. Malgré leur interdiction, les arrêts de
règlements sont malheureusement nécessaires : le vieillissement
de la loi oblige les juges de la Cour de cassation à prendre de tels
arrêts. En effet, une loi ancienne ne correspond plus à
l'évolution de la société. Le législateur est alors
passif, une réforme est pourtant nécessaire afin
d'intégrer ces créations prétoriennes : il faut moderniser
le Code civil.
B - Les solutions au vieillissement : la
modernisation
86. Le vieillissement du symbole d'unité que constitue
le Code civil n'est plus à démontrer, il est effectif et conduit
ce dernier à une mort annoncée. Il est voué à
disparaître en tant que forme du droit commun français et
expression d'une civilisation juridique. Le Code civil est aujourd'hui en
décalage par rapport à la réalité
économique, sociale et même à la réalité
juridique, il ne peut plus servir de cadre, de modèle. Pour que notre
Code retrouve sa nature de « monument du droit»116, de
« ciment de la société »117 une
cohérence doit être retrouvée.
87. La modernisation du Code civil, remède au
vieillissement doit s'envisager à travers la sécurité
juridique : il s'agit là d'une fin principale à laquelle tend
toute codification118. La nature même d'un Code demeure la
réunion de l'ensemble des dispositions législatives en vigueur.
Si le Code est sans lacune, c'est à dire complet et exhaustif, le droit
le devient également et la sécurité juridique est
retrouvée. En effet, un Code complet est ainsi lisible,
prévisible, à l'inverse il échappe à l'arbitraire
du juge et au phénomène de jurisprudence législative. Un
droit complet interdit donc le recours à des principes subjectifs,
incertains tels que l'équité. La modernisation induit ainsi la
cohérence, celle-ci ayant pour conséquence la
sécurité juridique. Cependant, ce cercle vertueux participe sans
doute d'une utopie, celle d'une confiance illimitée en la loi.
116 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », D. 2002, chron., p. 351.
117 Y. Lequette, « Quelques remarques à propos du
projet de Code civil européen de Monsieur Von Bar », D.
2002, chron., p. 2202.
118 P. Malaurie, « L'utopie et le Bicentenaire du Code civil
», in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 5
119 Il s'agit la d'une idée de R. Libchaber reprise par
Th. Revet, « La recodification, entre tentation et illusions »,
in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 461.
Réformer le Code civil 37
88. La modernisation peut-elle ainsi se passer d'un objectif
concret mais impossible telle que la sécurité juridique ? En
effet, la modernisation du droit civil est nécessaire. Réformer
le Code civil c'est ainsi le moderniser. Sans envisager, pour le moment, une
technique particulière et précise de réforme (voir infra
§151 et suivants), il convient d'éluder la question d'une
réactualisation du Code civil. D'une part, les dispositions
désuètes doivent être éradiquées : le
vieillissement du droit des biens est considérable, cette matière
n'est plus aujourd'hui du droit commun : les notions dépassées
mais pourtant nécessaires devraient ainsi rejoindre d'autres codes,
comme celui du Code rural119. Un toilettage systématique
s'impose également s'agissant de la responsabilité civile.
89. La modernisation du Code doit être
réalisée à travers une réécriture de
certaines dispositions. Ainsi, à la différence d'une
éviction des dispositions désuètes, il s'agit ici d'une
simple modification. Certaines règles ont été
partiellement modifiées, précisées par la jurisprudence,
cependant il s'agit d'une source d'imperfections et de grands
dérèglements. L'article 1129 en est la preuve, celui-ci dispose :
« Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins
déterminée quant à son espèce. La quotité de
la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être
déterminée ». Ne pourrait-on pas, comme le suggère
Thierry Revet, inscrire l'exigence d'objectivité autrement dit
d'extériorité à la volonté unilatérale de
l'un des contractants ? Ce n'est malheureusement pas la voie choisie par le
législateur. En effet, le projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations prévoit un article 1162 selon lequel « L'obligation a
pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être
possible et déterminée ou déterminable. La prestation est
déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou
par référence aux usages ou aux relations antérieures des
parties ». Aucune trace d'objectivité ici.
90. Enfin, la modernisation doit s'analyser au regard de
l'adjonction de dispositions c'est à dire d'ajouts. Il s'agirait ainsi
d'intégrer les créations prétoriennes, intégration
qui peut s'apparenter à un remède au vieillissement. Mais
adjoindre la jurisprudence au Code, ce n'est pas réformer, le Code
deviendrait alors saturé, peut-être l'est-il même
déjà. La recodification passe ainsi par l'innovation afin de
remettre le droit civil en paix avec son temps. La survie du Code civil postule
donc d'une recodification.
Réformer le Code civil 38
91. En résumé, le Code civil
est « à bout de souffle »120 et la valeur
sentimentale qu'il peut revêtir pour le plus grand nombre ne suffit plus
à le maintenir en tant qu'oeuvre symbole d'unité. Il n'est plus
homogène, a perdu de sa cohérence, ne contient plus l'ensemble du
droit civil. Pire, il est source d'insécurité juridique,
inaccessible pour tous, obsolète. A l'aide du Code, il est impossible
d'appréhender le droit civil français à moins de se
plonger dans une abondante jurisprudence. La réforme est
nécessaire, vitale, ses défauts en témoignent. La
nécessité de la réforme revêt cependant une autre
facette, plus importante encore. Certes le Code est défectueux au plan
interne, il est impératif de remédier à ses
défauts, mais l'adaptation à l'Europe apparaît aujourd'hui
primordiale : le débat se situe désormais au niveau
européen.
120 D. Tallon, « L'avenir du Code civil en
présence des projets d'unification européenne du droit civil
», in 18042004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., spéc. p. 1001
Réformer le Code civil 39
CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE
92. Le Code civil n'est plus un code, il est devenu,
malgré lui, un recueil de lois civiles. Si ce constat revêt une
certaine gravité, celle-ci se démultiplie si l'on envisage
l'esprit du Code au-delà de son corps. A l'origine, l'unité du
droit civil français, la réduction de l'ordre civil à la
loi et enfin la rationalité de cet ordre constituaient les piliers du
Code civil. Aujourd'hui, sous l'effet d'une « post modernité
»121, ces trois piliers ne sont plus les « raisons
d'être » du Code civil. Ainsi, il faut adapter le Code civil, du
fait d'une dénationalisation du droit civil, plus
précisément en raison de l'Européanisation de ce droit.
93. Adapter le Code civil à l'Europe postule d'une
double épreuve. D'une part, l'adaptation à l'Europe des droits de
l'homme (Section 1), aujourd'hui l'on assiste en effet
à une expansion des droits individuels sous la forme radicale des droits
de l'homme. D'autre part, à l'Europe du commerce (Section
2). Cette prolifération de sources européennes est un
des obstacles, surmontable, qui se place sur la route d'une réforme du
droit civil. Il faut redonner au Code civil son statut de « livre de
référence »122, cependant ces deux pôles,
que sont l'Europe du commerce et l'Europe des droits de l'homme, exercent une
domination sur les sources internes. Il convient ainsi d'envisager la
façon de concilier sources internes et sources communautaires.
Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme
94. La Convention européenne des droits de l'homme
exerce une influence sur le devenir du texte fondateur, le Code civil. Ainsi,
les droits de l'homme constituent-t-il l'avenir du droit civil
(1) ? En raison de la réponse nuancée, l'avenir
du Code civil, sans adaptation autrement dit sans réforme, est sombre :
sa légitimité est atteinte du fait de la toute puissante du juge
européen des droits de l'homme (2).
§1 - L'avenir du droit civil : les droits de l'homme
?
95. Si l'avenir du droit civil repose entre les mains des
droits de l'homme, la théorie voudrait qu'existe entre droits
fondamentaux et droits civils, deux pôles originellement distincts, une
frontière bien étanche (A). En pratique, la
réalité est bien différente : notre droit civil
français, droit positif, est aujourd'hui subjectivisé
(B).
121 Terme employé par Ph. Rémy, « Regards sur
le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
113.
122 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, t. 1, 1997 p. 1345.
Réformer le Code civil 40
A - Une frontière théorique
étanche entre droits civils et droits fondamentaux
96. En théorie, droits de l'homme et Code civil
constituent deux réalités auxiliaires, additionnelles. En effet,
la spécificité d'une Europe et notamment d'une idéologie
juridique européenne est le fruit d'une corrélation entre
codifications des droits nationaux et déclarations des droits
subjectifs123. Une définition du terme « droits
fondamentaux » est nécessaire. Il s'agit en effet d'une formule
floue, difficile à définir et, ni la Cour européenne des
droits de l'homme, ni la Cour de justice, ne donnent une définition de
ce terme. Il s'agirait des droits « essentiels tant à l'ordre
juridique qui les porte qu'à l'humanité même de leurs
titulaires »124. Une exhaustivité d'une liste des droits
fondamentaux est alors impossible. L'emploi ici du terme « droits
fondamentaux » consistera à designer des droits
protégés et surtout proclamés par une juridiction.
97. La coexistence entre droits civils (ici le Code civil) et
droits fondamentaux devraient ainsi être naturelle et se passer sans
heurts. Cette coexistence tranquille tirerait sa source de la nature même
des droits fondamentaux : les droits de l'homme sont des déclarations de
principe, leur portée est ainsi limitée à des
considérations morales ou philosophiques. Historiquement, ces
affirmations sont exactes. En 1804, droits de l'homme et droit civil
évoluaient sans contact, dans des univers opposés. En effet
à l'origine, les droits fondamentaux étaient définis de
sorte que le droit civil soit laissé hors de leur emprise : notre Code
civil avait ainsi toute sa raison d'être, les normes qu'il
édictait n'étaient pas sous l'emprise d'autres droits, d'une
nature différente de la sienne. Ces droits fondamentaux avaient pour
objectif de prévenir une possible réitération des horreurs
perpétrées par les régimes totalitaires125,
à protéger le citoyen contre l'action de l'Etat qui aurait pu
apparaitre arbitraire. Des exemples appuient ce propos, notamment les articles
8 et de 12 de la Convention européenne des droits de l'homme (la
Convention), relatifs respectivement au droit au respect de la vie
privée ou de la vie familiale et au droit au mariage. Ces articles, en
raison de leur contenu, auraient pu apparaître contraires, en opposition
ou bien superflus à nos articles du Code civil, par exemple à
l'article 9 du Code également relatif au droit au respect de la vie
privée. Pourtant, tel n'était pas le cas, puisque ces articles 8
et 12 n'avaient pour seul objectif la prévention des risques
précités.
123 A.-J. Arnaud, « Ces âpres particularismes...
», Droits, 1991, p. 17 et s., spéc. p. 20.
124 E. Picard, « Droits fondamentaux », in
Dictionnaire de la culture juridique.
125 Y. Lequette, « Le Code civil est la
prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 186.
Réformer le Code civil 41
98. Le constat est le suivant : à l'origine et en
théorie, droits subjectifs et droits civils ne souffraient d'aucune
hiérarchie, ils reposaient sur la base d'une
complémentarité. Une telle affirmation, si elle était
encore exacte aujourd'hui, ne menacerait en rien la légitimité de
l'ensemble de nos règles de droits civils, autrement dit notre Code
civil. A présent, il en va autrement : l'ensemble des pays qui
adhèrent à la Convention européenne des droits de l'homme
ont, par leur acceptation, accepté le droit de recours individuel devant
la Cour de Strasbourg. Ainsi, les droits de l'homme ne sont plus seulement des
données gouvernées par des considérations morales et
philosophiques, mais ils regroupent des données positives d'une
importance considérable. Ce droit de recours individuel devant la Cour
de Strasbourg, autrement dit le contrôle de conventionalité,
constitue un contrôle a posteriori, exercé à l'initiative
de tout intéressé. Cette Cour a ainsi, au fil des années,
dépassé le but premier des droits de l'homme à savoir
prévenir de l'arbitraire126. Désormais, tous les
droits subjectifs doivent être protégés, il s'agit ainsi de
défendre l'individu contre l'Etat mais également de garantir
« l'exercice effectif par l'Etat »127 de ces droits. La
Convention européenne des droits de l'homme peut ainsi
réglementer le comportement des personnes privées : tel est
l'effet horizontal de la Convention. Cette considération fait
inévitablement naître des conséquences directes sur notre
droit civil et sur son contenant, le Code civil. Les droits civils des Etats
membres de l'Union européenne, ici la France, doivent ainsi se soumettre
aux droits fondamentaux. Si le droit civil français ne vaut plus rien,
s'il n'est pas conforme aux droits de l'homme, quelle place tient-il
désormais aux côtés d'un droit de tous les droits ?
99. Cette question peut être reformulée de la
façon suivante : « L'idéologie des droits de l'homme
est-elle compatible avec l'existence d'un véritable ordre civil ?
»128. La montée en puissance de tels droits que
constituent les droits de l'homme, des droits plus fondamentaux encore que
l'ensemble des droits civils dont le Code civil en est la
représentation, doit en effet pousser à la réflexion.
Aujourd'hui, la régulation sociale prend la forme d'une affirmation de
droits subjectifs, ces droits subjectifs ayant la caractéristique
supplémentaire d'être des droits subjectifs fondamentaux. Ainsi
n'y a-t-il pas une incompatibilité avec notre Code civil ?
126 A. Debet, L'influence de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le droit civil, thèse
Paris-II, 2001.
127 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des
droits de l'homme et le droit civil français », JCP 2002.
I.143, n°6.
128 Question posée par Y. Lequette, « Le Code civil
est la prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 185.
Réformer le Code civil 42
B - Une incompatibilité en pratique : la
subjectivisation du droit positif
100. Au nom des droits de l'homme, droits subjectifs, la
Convention européenne des droits de l'homme accompagnée de la
Cour de Strasbourg établissent un nouveau corps de droit. Celui-ci n'est
pas sans poser de problème avec l'ancien corps de droit : notre Code
civil. Ce nouveau corps de droits fait ainsi éclater le droit positif
actuel129. Cet éclatement doit être la source d'une
adaptation afin de régler l'incompatibilité, à savoir la
subjectivisation du droit positif et ainsi laisser place à une
cohérence nouvelle.
101. Les droits de l'homme sont incontestablement l'avenir du
droit, bien que certains soient très nuancés sur la
question130. La véritable question se situe sur un autre
plan, les droits de l'homme sont-ils l'avenir du Code civil ? L'influence que
la Convention exerce sur notre oeuvre symbolique est incontestable. Cette
influence peut être appréciée d'un regard optimiste, c'est
notre cas, ou plus tristement, d'un regard pessimiste, regard qui conduit
à énoncer que la Convention déstabilise notre Code,
représente un obstacle à sa cohérence. Il n'est pas
ironique d'énoncer que sa cohérence n'a pas attendu
l'avènement des droits fondamentaux pour être
ébranlée. Pourtant, la complémentarité
théorique du Code civil et de la Convention européenne des droits
de l'homme est réduite aujourd'hui à néant tant les
relations entre ces deux types de normes sont houleuses, sources d'une
incompatibilité : le droit positif se subjectivise. L'antinomie des
termes est évident, c'est pour cette raison qu'une adaptation du Code
est nécessaire, vitale.
102. Cette subjectivisation du droit positif trouve sa source
par l'intégration, dans l'ordre juridique française, de la
Convention européenne des droits de l'homme en 1974 mais, surtout, de
l'acceptation précitée du droit de recours individuel offert
à toute personne. Aujourd'hui, sous l'influence des droits fondamentaux,
l'importance moindre que revêt le droit positif français doit
être étudiée. Cette influence est telle que le contenu du
Code en est affecté, le législateur intervient en effet dans
l'hypothèse où ce contenu apparaît incompatible avec les
droits garantis par la Convention. Cette intervention est, de prime abord, une
réelle avancée et paraît nécessaire. Certes, mais la
subjectivisation du droit positif rend notre Code civil incohérent.
129 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des
droits de l'homme et le droit civil français », art.
préc.
130 D. Gutmann, « Les droits de l'homme sont-ils l'avenir
du droit ? », in L'avenir du droit, Mélanges en hommage
à François Terré, Dalloz, PUF, Editions du
Juris-Classeur, 1999, p. 330 et s.
Réformer le Code civil 43
103. Le Code civil est vieillissant, nos droits civils
nationaux sont alors remaniés par des droits fondamentaux par nature
plus humains, compatibles avec la réalité sociale car attentifs
aux personnes. Cependant cette idéalisation doit être
nuancée : la « fondamentalisation » du droit civil a pour
corolaire une subjectivisation de celui-ci131. Cette
subjectivisation n'est pas compatible avec l'esprit du Code civil, celui de
définir un ordre civil. La réforme civile en est alors l'objet.
Le droit civil matérialisé dans notre Code est le socle de
l'organisation de la société : son attention est portée
sur les relations des membres de cette société, le modèle
qu'il édicte permet à chacun de prévoir la portée
de ses actes, d'agir en conséquence. A l'inverse, les droits
fondamentaux s'intéressent à l'individu lui-même et non
à ses relations : la personne prime, c'est la représentation
même du droit subjectif. Ainsi la subjectivisation du droit civil conduit
à envisager notre système juridique comme définit autour
de l'individu, comme un « droit civil entièrement revisité
par les droits fondamentaux132 ». Ce n'est pas la nature du
Code civil que d'être une compilation de droits subjectifs. Celui-ci doit
refléter la vision d'une société. De fait, si n'importe
quel droit fondamental peut remettre en cause le modèle qu'incarne le
Code civil, il n'y a plus de Code civil. Ce Code, pour être effectif,
doit être stable et la « fondamentalisation » de ses droits ne
le permet pas. Aujourd'hui, les règles civiles contenues dans notre Code
ont pour mission de coordonner les intérêts de tous au regard
d'une certaine vision de la société, cependant elles sont
dépourvues de vigueur propre puisque les droits fondamentaux peuvent les
remettre en cause.
104. Les droits fondamentaux constituent certes l'avenir du
Code civil, seulement et seulement si le législateur intervient pour
remettre de l'ordre dans cette incohérence. La nature de ces droits
subjectifs appuie cet argument. Le Code civil est un texte à valeur
législative et non à valeur constitutionnelle (à
l'exception de quelques textes). Sa valeur législative fait de lui un
texte inférieur aux traités internationaux133. Ainsi,
le contenu même du Code civil doit être modifié lorsqu'il
est contraire à ce qu'édicte la Convention européenne des
droits de l'homme. Pourtant, cette Convention est ignorée des
réformes entreprises du droit civil. L'on peut citer la loi du 29
juillet 1994 sur le respect du corps humain134 ou bien la
131 Y. Lequette, « Le Code civil est la
prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 187.
132 Y. Lequette, ibidem.
133 Art. 55 de la Constitution de 1958.
134 Loi n° 94-653 sur le respect du corps humain.
Réformer le Code civil 44
loi du 8 janvier 1993135 relative à
l'autorité parentale sont des réformes qui n'ont pas
été influencées par la Convention européenne des
droits de l'homme : « les instruments juridiques internes et
l'évolution de la société française suffisaient
à eux seuls à justifier les changements du Code civil
adoptés »136. Fort heureusement, la menace de
l'éventualité d'une condamnation par la Cour européenne
des droits de l'homme a poussé le législateur à agir :
c'est l'exemple de la loi du 22 janvier 2002 concernant l'accès aux
origines137.
105. Pour certains, il s'agirait d'une instrumentalisation de
la Convention européenne des droits de l'homme afin de justifier une
modification du Code civil138. En réalité, il s'agit
de modifications nécessaires, sur lesquelles le législateur
actuel devrait prendre exemple afin de réformer l'ensemble du Code
civil. Ainsi, sans tomber dans un Code civil rempli de droits subjectifs, il
s'agirait de le réformer en tenant compte, sans les ignorer, des droits
fondamentaux. En effet, leur importance nous empêche de les laisser de
côté. Aujourd'hui notre Code civil est instable, incohérent
et vieillissant : autant d'arguments qui pourraient engendrer une condamnation
de la France en raison de l'exigence européenne relative à la
stabilité et à la clarté des normes : les lois doivent,
selon la Cour européenne des droits de l'homme, être
accessibles139. Au regard de l'accessibilité au droit, ce que
ne garantit plus notre Code civil, la Cour européenne a malheureusement
toujours considéré que les dispositions de notre Code
étaient accessibles. Cependant, s'agissant de l'instabilité, la
prévisibilité des normes civiles n'est plus assurée, en
raison des multiplications des lois, des modifications constantes. Une
réforme d'envergure est ainsi nécessaire afin de mettre le droit
français en conformité avec la Convention européenne des
droits de l'homme. Cette réforme semble difficile à mettre en
oeuvre puisque l'influence de la Convention sur le contenu du Code civil est
faible : peu de modifications interviennent à ce propos. A l'inverse,
notre droit positif se subjectivise, le paradoxe est considérable.
106. En réalité, il apparait que la
réelle influence des droits de l'homme, des droits fondamentaux est
exercée, non pas de manière indirecte par le législateur,
mais de manière directe et cela par le juge. En effet, l'influence de la
Convention européenne est phénoménale s'agissant de
l'interprétation du Code civil. Le contenu du Code est ainsi directement
modifié,
135 Loi n°93-22 du 8 janvier 1993 relative à
l'état civil, à la famille, aux droits de l'enfant et au juge des
affaires familiales.
136 A. Debet, « Le Code civil et la convention
européenne des droits de l'homme », in 1804-2004, Le Code civil
un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 953
et s. spéc. p. 960.
137 Loi n°2002-93 du 22 janvier 2002 relative à
l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de
l'Etat.
138 A. Debet, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil
un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p.
961.
139 CEDH, 26 avril 1976, Sunday Times c/ Royaume-Uni,
série A, n° 30, Rec. p. 31, § 49.
Réformer le Code civil 45
celui-ci souffrant d'une perte de légitimité
considérable, entraînant dans sa perte le juge français.
§2 - La perte de légitimité du Code
civil du fait de la prédominance du juge européen
107. Cette perte de légitimité du Code civil
s'explique par la toute puissante du juge européen. En effet, la
jurisprudence de la Cour européenne des droits l'homme induit une
subordination du Code civil (A) lequel est aujourd'hui interprété
au regard de droits subjectifs par le juge des droits fondamentaux (B).
A Ð Une subordination du Code civil à la
jurisprudence de la Cour européenne
108. L'incompatibilité entre Code civil et Convention
européenne des droits de l'homme est évidente lorsqu'elle
résulte d'une condamnation de la Cour européenne des droits de
l'homme (la Cour). L'article 46 de la Convention dispose que « les Hautes
Parties contractantes s'engagent à se conformer aux décisions de
la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ». Un arrêt de
la Cour peut venir profondément modifier notre droit interne. Pour
certains, une dénonciation évidente doit être faite du
caractère envahissant de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme140. En réalité, cet argument
doit être nuancé, en effet, peu de dispositions du Code civil ont
été soumises au contrôle de la Cour.
109. Surtout, lorsqu'elle a eu à connaître de la
conventionalité de certaines dispositions du Code civil, la Cour n'a pas
condamné la France. Un exemple, dans l'arrêt Odièvre
contre France141, la Cour a constaté une
conformité du droit interne au regard des exigences européennes,
à l'instar de l'arrêt Gnahoré contre
France142 dans lequel elle a reconnu la conventionalité
de l'article 375 du Code. Une certaine lâcheté de la Cour peut
alors lui être reprochée, mais cela semble s'expliquer au regard
de la nature des droits en cause, à savoir des droits civils : ils
régissent les relations entre particuliers, le législateur et les
juges
140 Par exemple Y. Lequette, « D'une
célébration à l'autre (1904-2004) », in
1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir,
ouvr. préc., p. 9 et s. ; Ph. Rémy, « La recodification
civile », art. préc.
141 Arrêt Odièvre contre France, 13
févr. 2003, RTD Civ. 2003. 375, obs. Marguénaud.
142 Arrêt Gnahoré contre France, 19
septembre 2000, Recueil des arrêtés et décisions 2000-IX/
407 ; D. 2001. 725, note Rolin.
Réformer le Code civil 46
internes sont ainsi plus aptes à envisager la
réalité sociale du pays143. Pour autant, le Code civil
a été inéluctablement atteint par le pouvoir de la Cour,
remettant en cause sa cohérence.
110. La subordination du droit civil français à
la Cour européenne des droits de l'homme s'envisage à travers
l'exemple le plus criant, l'arrêt Mazurek144 rendu le
1er février 2000 dans lequel elle a considéré
que les dispositions du Code, limitant la vocation successorale de l'enfant
adultérin en présence d'enfants légitimes, étaient
contraires à la Convention. Un an après cette décision, le
législateur français est enfin intervenu, par le biais de la loi
du 3 décembre 2001145 : le Code civil a ainsi
été modifié en raison d'une condamnation
européenne. La portée des arrêts de la Cour peut alors
être considérable, cependant un problème survient : la
condamnation ne vient que confirmer une évolution existante ou remettre
en cause des dispositions internes très contestées. Ainsi la Cour
ne ferait qu'un acte de constatation et non d'évolution et ses
décisions n'apporteraient pas de révolution dans l'ordre
juridique interne.
111. Affirmer que la Cour ne met qu'à l'ordre du jour
des problèmes réels peut s'avérer véridique, mais
si cela permet une réforme, comme cela a pu être le cas avec
l'arrêt Mazurek, il ne faut pas s'en priver. Sans cette
condamnation, qui sait combien de temps aurait pu prendre cette modification du
Code civil ? Aucune réponse ne peut être apportée à
cette question, cependant là n'est pas le coeur du problème. En
effet, par l'arrêt Mazurek, c'est toute la marge
d'appréciation laissée aux Etats qui est remise en cause. Les
lois et la jurisprudence civile de chaque Etat membre de l'Union
européenne n'échappent plus à la censure de la Cour, et la
jurisprudence de la celle-ci va très loin : elle estime146,
à l'inverse de la jurisprudence française, que la Convention a
une autorité supérieure non seulement à celles des lois
ordinaires, mais encore à celle de la Constitution147. Une
telle autonomie de la jurisprudence de la Cour n'est pas acceptable : le
législateur national n'est rien si une seule voix peut le bloquer.
143 Explication de A. Debet, art. préc., in 1804-2004,
Le Code civil un passé, un présent, un avenir, p. 958.
144 Arrêt Mazureck c. France, 1er
févr. 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-II/ 1 ;
JCP 2000. II. 10286, note Gouttenoire-Cornut et Sudre ; RTD Civ.
2000. 311, obs. Hauser ; RTD Civ. 2000. 429, obs.
Marguénaud ; RTD Civ. 2000. 601, obs. Patarin.
145 Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative
aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et
modernisant diverses dispositions du droit successoral.
146 CEDH, 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de
Turquie c/Turquie, Rec. 1998-1/1.
147 J. Foyer, « Le Code civil de 1945 à nos jours
», in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., p. 275 et s. spéc. p. 291
Réformer le Code civil 47
112. Le Code civil n'est ainsi plus la « charte positive
de nos droits fondamentaux dans les rapports privés
»148, aujourd'hui c'est tout le Code civil qui est ouvert au
contrôle de conventionalité, en raison d'une Cour
européenne très active qui contraint les Etats membres à
des mesures de nature à assurer le respect des droits de l'homme dans
les relations entre individus. La situation peut être
résumée de la manière suivante149 : le livre
1er du Code est sous l'emprise des articles 8 et 14 de la
Convention. Si l'on adjoint à cette emprise le principe de
proportionnalité, le contrôle du Code est assuré par le
juge des droits de l'homme. Le Code civil n'a plus de vigueur propre, puisque
le juge européen peut vérifier une proportionnalité entre
un droit fondamental et les intérêts de la société :
il s'estime investi du pouvoir de procéder à une
interprétation évolutive et progressiste du Code. Les droits
fondamentaux proclamés par cette Convention sont pragmatiques,
évolutifs, dynamiques, l'Europe est ainsi « maitresse des valeurs
auxquelles elle est subordonnée et c'est une maîtresse inconstante
»150.
113. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est ainsi
très évolutive et permet de remettre en cause, en moins de temps
qu'il ne faut pour le dire, des principes bien établis au sein des
législations des Etats membres. Le juge européen ne statue pas
à partir d'une réalité objective, mais au regard d'un
droit fondamental : notre Code civil ne peut ainsi plus établir un
véritable ordre civil, « la fondamentalisation du droit civil
conduit à la volatilité de solutions et à l'exaltation des
intérêts particuliers »151 : les droits
fondamentaux conduisent à la confrontation entre individus et non
à l'unité. Cependant, en raison de la hiérarchie des
normes, ces principes sont imposés par la Cour malgré les
tentatives de l'ordre civil français : emmaillotée entre
l'intérêt national et la domination strasbourgeoise, l'entreprise
de réforme du Code civil sera bien difficile à mettre en
oeuvre.
114. Cette difficile mise en oeuvre, qui s'explique par la
toute puissante du juge européen, demeure plus flagrante encore lorsque
l'on se place au niveau de l'interprétation qu'exerce ce juge sur notre
Code civil.
148 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 116.
149 Pour plus de détails voir J.-P. Marguénaud,
« L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur
le droit français des obligations », in Le renouvellement des
sources du droit des obligations, L.G.D.J, 1997. 45.
150 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des
droits de l'homme et le droit civil français », art.
préc., n°9.
151 Y. Lequette, « Le Code civil est la
prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 187.
Réformer le Code civil 48
B - L'interprétation du Code civil aux mains du
juge européen
115. Lorsque les règles du Code civil sont
inchangées, l'idée première consiste à imaginer que
la Convention européenne des droits de l'homme et la Cour
européenne des droits de l'homme n'ont pas d'influence sur celles-ci. En
réalité, il s'agit de l'influence fondamentale de la Convention
européenne des droits de l'homme en tant qu'elle semble constituer une
solution d'avenir. Ainsi, le Code civil et notamment son interprétation
est entre les mains du juge européen, En effet la jurisprudence de la
Cour, sans condamner la France, est susceptible de présenter une plus
grande importance lorsqu'elle touche aux structures intellectuelles du
pays152.
116. Afin d'envisager ce propos, il convient de commencer par
l'étude de ce qui constitue le commencement du Code civil, son titre
préliminaire. Sous l'influence de la Convention européenne des
droits de l'homme, le juge national pourrait modifier ce qui ne l'a jamais
été depuis 1804. Ainsi, certains auteurs 153
considèrent que le contrôle de conventionalité modifie par
sa nature le sens des articles 4 et 5 du titre préliminaire du Code
civil relatifs aux pouvoirs du juge national. Ces articles disposent
respectivement que « Le juge qui refusera de juger, sous
prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la
loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice
» et « Il est défendu aux juges de prononcer par voie
de disposition générale et réglementaire sur les causes
qui leur sont soumises ». Ce contrôle de conventionalité
modifierait alors le sens de ces articles puisqu'il permet au juge
d'écarter la loi incompatible avec le traité.
117. Aujourd'hui, ce titre préliminaire est si
désuet qu'il n'assure plus, à l'instar de l'ensemble du contenu
du Code, la sécurité juridique. Or, la Cour européenne des
droits de l'homme est très sensible à ce principe qui implique
l'accessibilité, la stabilité et la clarté des normes. En
effet, la prééminence du droit est un des principes inspirateurs
de la Convention, la jurisprudence de la Cour y attache une importance
fondamentale. Il convient ainsi d'espérer que les règles du titre
préliminaire du Code civil soient un jour revues par le juge au regard
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'on
peut envisager l'exemple de l'article 2 du Code civil « la loi ne
dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif
». L'interprétation de cet article évolue sous
l'influence de la jurisprudence
152 Ph. Malaurie, art. préc., n°12.
153 C. Willmann, « L'influence de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le titre préliminaire du
Code civil », in Le titre préliminaire du Code civil,
coll. « Etudes juridiques », Economica, 2003, p. 19 et s.
spéc. p. 19.
Réformer le Code civil 49
européenne. En droit interne, cet article établi
un principe d'interprétation qui s'impose au juge en l'absence de
manifestation d'une volonté législative154. A
l'inverse, la Cour européenne considère que l'on peut adopter des
lois rétroactives, dans des domaines non
répressifs155. Aujourd'hui, il est inexact d'énoncer
que l'article 2 du titre préliminaire du Code civil ne s'adresse qu'au
juge156 et cette évolution de l'interprétation de cet
article est un des apports le plus fondamental de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le Code civil.
118. Les articles 4 et 5 du Code, déjà
cités, doivent être étudiés plus en détails :
sous l'effet d'une lecture européenne, le sens de ces articles
pourraient évoluer. Ce n'est pas le cas de l'article 4, qui est conforme
à l'article 6 de la Convention selon lequel tout justiciable a droit
à un procès équitable, ce qui implique l'accès au
juge. Cependant, Rémy Libchaber considère que l'article 4 a
« masqué tous les risques réels de défaillance de la
justice française »157 et ne répond pas aux
exigences de l'article 6 de la Convention. L'exemple de l'article 5 et plus
significatif : la lettre de cet article est lapidaire, il implique que le juge
interne ne peut pas rendre un arrêt de règlement, celui-ci ne peut
pas lier les autres juges. Pour la Cour Européenne des droits de
l'homme, la règle jurisprudentielle doit être prévisible,
elle doit également être cohérente et constante lorsque les
droits fondamentaux sont en jeu : le juge français n'est pas tenu par
les précédents mais ne peut s'en écarter sans prudence.
Une relecture de l'article 5, sous l'angle européen, permet
d'énoncer que le juge ne doit changer de jurisprudence qu'avec
modération. L'influence de la Convention européenne des droits de
l'homme frappe ainsi le titre préliminaire, cependant il sera
irréel de réduire cette influence au seul titre
préliminaire. En effet, c'est l'ensemble du Code qui est
interprétée sous l'angle européen.
119. Dans un arrêt du 11 décembre
1992158, la Cour de cassation s'est fondée sur l'article 8 de
la Convention qui garantit le secret et la liberté de la vie
privée, ainsi que sur l'article 9 du Code civil qui n'avait vocation
qu'à protéger le secret. Par cet arrêt, la Cour de
154 Civ., 7 juin 1901, S. 1902. 1. 513, note Wahl. C'est une
règle d'ordre public, cette jurisprudence est appliquée
strictement par la Cour de cassation.
155 Arrêt Zielinski, Pradal, Gonzales et autres c.
France, 28 octobre 1999.
156 Sur cette question voir les explications de A. Debet, art.
préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., p. 967.
157 R. Libchaber, « Les articles 4 et 5 du Code civil ou
les devoirs contradictoires du juge civil », in Le titre
préliminaire du Code civil, coll. « Etudes juridiques »,
Economica, 2003, p. 143 et s. spéc. p. 157.
158 Ass. Plén., 11 déc. 1992, JCP 1993.
II. 21991, concl. Jéol, note Mémeteau.
Réformer le Code civil 50
cassation a donné à cet article 9 une nouvelle
valeur, imprévue certes, mais supplémentaire159. Cette
influence de la Convention européenne des droits de l'homme touche alors
tous les domaines : les articles 1382 et 1134 sont deux articles fondamentaux
du Code civil qui prennent un autre sens lorsqu'ils sont
interprétés à la lumière des droits
fondamentaux160.
120. La relation entre Code civil et droits de l'homme est
certes difficile à envisager, mais bien réelle, ce ne sont plus
deux pôles qui évoluent indépendamment. Le Code civil
évolue peu, mais lorsqu'il doit évoluer, la Convention
européenne des droits de l'homme joue un rôle importante et la
jurisprudence de la Cour Européenne implique des modifications du Code :
les droits fondamentaux exercent une influence non négligeable sur
l'avenir du Code. Les droits fondamentaux pénètrent ainsi chaque
jour un peu plus dans le Code civil, sans qu'une réelle réforme
n'ait lieu. La complexité est alors amplifiée,
l'incohérence grandit. Il ne faut pas que la Convention devienne un
instrument de réécriture complète du Code civil, or en
raison de l'interprétation évolutive de la jurisprudence de la
Cour, l'on assiste à une réécriture permanente. Où
est alors la fonction stabilisatrice du droit, inhérente, en principe,
au Code civil ? La loi française, plus précisément le Code
civil, cède devant le juge européen. La solution à
proposer appartient à notre législateur français : il
convient soit de revenir à une conception stricte du droit, sans
envisager les moeurs, soit que la Cour interprète elle aussi strictement
les droits fondamentaux. En effet, la jurisprudence européenne devrait
être une source d'enrichissement de notre droit
national161.
121. Si les droits fondamentaux et leur influence nous ont
conduit à nous interroger sur l'existence même d'une vigueur
encore certaine du Code civil, il convient d'envisager l'émergence de
l'ordre communautaire, plus important encore : le caractère national de
notre Code civil est aujourd'hui profondément remis en cause.
L'adaptation du Code civil à l'Europe est rendue nécessaire par
cette communautarisation du droit. Un Code civil franco-français est
dépassé à l'heure de la construction européenne :
l'Europe du commerce constitue l'avenir du droit civil français,
cependant, sans réforme, le Code civil réceptacle du droit civil,
est « désharmonisé ».
159 J. Hauser, RTD Civ. 1993. 97.
160 Voir A. Debet, art. préc., p. 970 et s.
161 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc.,
p. 112.
162 Notamment depuis l'arrêt Jacques-Vabre,
Cass. Ch. Mixte 24 mai 1975, D. 1975. 497, concl. Touffait, G.A.
n°2, p.15, obs. F. Terré et Y. Lequette.
Réformer le Code civil 51
Section 2 Ð A l'Europe du commerce
122. Première puissance commerciale de la
planète, l'Union européenne est une économie ouverte : son
commerce de marchandises et de services avec le reste du monde
représente plus d'un tiers de son économie. L'Europe
évolue, son droit aussi, cependant cette évolution semble absente
si l'on se place du point de vue du Code civil français : sans
adaptation, il est « désharmonisé »
(1). Ainsi, le souverain n'est plus législateur
national mais bel et bien le législateur européen. La solution,
si un seul ordre subsiste, pourrait être celle de changer de Code, en
réalité l'adaptation du Code civil à l'Europe du commerce
apparaît plus complexe (2).
§1 - Un Code civil « désharmonisé
» par son Européanisation
123. Pendant bien longtemps, aucune contrainte
extérieure, qu'elle soit internationale ou supranationale, ne s'est
s'exercée sur le Code civil français : le législateur
français en était maître. Aujourd'hui, l'on peut parler
d'une dénationalisation du droit civil français, plus
précisément d'une européanisation : la masse communautaire
pénètre, depuis une cinquantaine d'années162,
notre législation nationale. Le droit communautaire s'impose ainsi aux
juridictions civiles et il prime sur les lois internes françaises. Notre
Code s'en trouve profondément, mais non harmonieusement, modifié
(A). Cela, additionné à la fondamentalisation du
droit civil français évoqué précédemment,
atteint gravement notre Code civil, notamment sa propre souveraineté
(B).
A Ð La législation européenne cause
de modification du Code civil
124. La souveraineté du législateur national
n'est plus totale, il apparaît aujourd'hui évident que le contenu
même du Code est susceptible de substantiellement modifié sous
l'effet de contraintes ou du moins de règles européennes à
savoir le droit de l'Union européenne. Le droit qui nous
intéresse ici est celui de la Communauté économique
européenne instituée par le traité de Rome en date du 25
mars 1957. Ce droit revêt la principale caractéristique d'une
primauté sur notre droit interne, qu'il n'est pas nécessaire
de
Réformer le Code civil 52
réexpliquer. Aussi, ce droit est perpétuellement
source de créations normatives163, ces nouvelles
règles forment le droit communautaire « dérivé
».
125. Cette imbrication du droit européen issu de
directives, de traités, de règlements, dans notre Code civil est
assez récente. Ainsi, au début des années 1990, alors que
plus de 20000 textes européens étaient en vigueur dans la
Communauté économique européenne, aucun prolongement
n'était visible dans le Code civil164. L'influence du droit
communautaire sur le Code est alors récente. Cette prolifération
des sources européennes semble constituer un obstacle bien difficile
à surmonter, en raison de la nature du Code civil : ces nouvelles normes
viennent perturber notre ordre civil national. En 1804, à défaut
de sources internationales, une dimension européenne pouvait
apparaître car existait « une tradition partagée par tous les
peuples policés de l'Europe »165, cependant cette
tradition a été, par les rédacteurs du Code,
nationalisée. En 2015, la réalité est autre : plus de 80%
de notre législation nationale est d'origine communautaire : comment
cette masse affecte-t-elle le Code civil ? Entrave-t-elle une entreprise de
réforme166 ?
126. Le droit civil a longtemps paru insensible à la
construction européenne : si le Doyen Carbonnier n'a souhaité
s'attaquer qu'au domaine du droit de la famille, c'est qu'il pensait que
l'impulsion viendrait de l'Europe s'agissant du droit des
obligations167. Ainsi, l'Europe a fait bouger les choses : une
oeuvre d'harmonisation européenne des législations a
été entreprise afin de supprimer les entraves aux échanges
intracommunautaires (l'objectif étant de permettre la libre circulation
dans le marché commun). De plus, des nouvelles politiques ont
été élaborées par les institutions communautaires.
L'addition de ces deux entreprises a eu pour résultat l'insertion de
textes, de nature européenne, dans le Code civil : l'Europe a
contribué à faire évoluer notre droit. Pourtant, notre
droit civil ne s'adapte pas, ou mal. Des exemples peuvent nous en
convaincre.
127. Ce droit « venu d'ailleurs ou de nulle part
»168 constitue aujourd'hui le contenu d'une partie de notre
Code, en effet des directives communautaires ont été
transposées, directives qui « lient tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en
163 Voir sur ce point L. Leveneur, « Le Code civil et le
droit communautaire », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., p. 929 et s. spéc.
p. 931.
164 Voir sur ce point B. Oppetit, « L'eurocratie ou le mythe
du législateur suprême », D. 1990, chron. p. 73.
165 Portalis, Discours de présentation du Code civil
prononcé le 3 frimaire an X.
166 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc.,
p. 106.
167 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 109.
168 J. Carbonier, Droit et Passion du droit sous la
Ve République, Flammarion, 1996, p. 47.
Réformer le Code civil 53
laissant aux instances nationales la compétence quant
à la forme et aux moyens »169. Les mesures de
transposition de directives, dans l'ordre juridique interne, consistent alors
à ajouter des dispositions dans notre Code. Le premier exemple tient
à la directive relative au rapprochement des législations des
Etats membres en matière de responsabilité du producteur pour les
dommages causés par le caractère défectueux de ses
produits, autrement dit la directive sur la responsabilité du fait des
produits défectueux adoptée le 25 juillet 1985. Sur cette
question, le Code civil n'était pas muet : il contenait des textes
relatifs à la garantie des vices cachés, et l'on assistait
à jurisprudence protectrice de la victime. Cette directive a
été transposée en France dix ans après son adoption
et a conduit à l'adjonction d'un titre IV bis du livre III du
Code civil. Ce dernier a ainsi été enrichit de dix-neuf nouveaux
articles. Cependant, l'harmonisation européenne s'est faite par une
superposition de couches de dispositions identiques dans toute l'Europe sur des
règles éventuellement différentes d'un Etat à
l'autre170. Les nouveaux articles ont ainsi peu d'apports, à
part celui peut être, de rendre incohérent le contenu du Code
civil.
128. Un second exemple peut être
envisagé, celui de la directive relative à la signature
électronique, bien que le constat soit différent. Adoptée
le 13 décembre 1999, son objectif était de contribuer à la
reconnaissance de ces signatures mais aussi au développement des
communications et du commerce électronique. A l'inverse de la directive
antérieure, la Frace l'a transposé rapidement. Par une loi du 13
mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologiques de
l'information et relative à la signature électroniques, plusieurs
articles du Code civil ont subi des modifications et l'on a assisté
à des adjonctions. En effet, cette transposition de la directive a
conduit à l'adjonction d'un nouveau chapitre au sein du titre III du
livre III du Code civil « des contrats sous forme électronique
». Le choix de cet emplacement a été fort critiqué et
justifié par certains : il s'agit de dispositions techniques visant des
relations entre un professionnel et ses clients171. Certes, alors
pourquoi avoir transposé cette directive au sein même du Code
civil ? De plus, les dispositions qui en découlent sont maladroites, la
directive ne brille ni par sa clarté ni par ses qualités :
l'incohérence du Code est atteinte en raison de la toute puissante de la
politique de Bruxelles. Si pour certains auteurs, un Etat membre conserve une
importante marge de manoeuvre lors de
169 Art. 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne.
170 Pour plus de détails voir L. Leveneur, art.
préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., p. 934.
171 J. Huet, « Le Code civil et les contrats
électroniques » , in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 539 et s.
spéc. p. 554.
Réformer le Code civil 54
la transposition d'une directive172, la
réalité est tout autre : le rayonnement du Code demeure
altéré par ces maladroites transpositions. La perte de
souveraineté de notre oeuvre civile est évidente.
B - L'harmonisation européenne cause de
l'atteinte à la souveraineté du Code civil
129. Cette intégration de la législation
européenne au sein de notre législation interne se veut
fragmentaire, ainsi c'est la cohérence même du Code civil qui est
atteinte, quel que soit le procédé d'intégration
utilisé : « l'harmonisation européenne désharmonise
le Code »173. Cette législation
européenne a pour objectif la réalisation d'un marché
intérieure unique, à l'inverse le Code civil, réceptacle
de notre législation civile, exprime, ou devrait exprimer,
l'unité. L'incohérence est saisissante. Sans réforme de
notre Code civil celui-ci va perdre la partie face à l'Europe du
commerce.
130. La subordination de la France à la politique
juridique de l'Union européenne apparaît à travers
l'exemple de la transposition de la directive relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux. La volonté
de préserver certains principes fondamentaux a conduit la France a
transposer cette directive à sa façon174 et ces
libertés prises ont fait valoir à la France une condamnation. En
effet, reprochant à la France d'avoir mal transposé cette
directive du 25 juillet 1985, la Cour de justice a été saisie par
la Commission européenne d'une action en manquement : pour avoir accru
le seuil de protection des victimes, la France a ainsi été
condamnée175. Sur trois points176, la Cour de
justice a reconnu que la République française avait manqué
à ses obligations communautaires lors de la transposition. La France a
ainsi été tenue de prendre acte de cette condamnation et a
procédé à la modification des dispositions du Code civil
par une loi du 9 décembre 2004. Depuis cette loi, les dispositions du
Code civil qui coexistent sont contradictoires : l'harmonisation des
législations européennes désharmonise notre
législation. Cette incohérence est source d'un recul de la
souveraineté du législateur français.
172 Voir sur ce point l'argumentation détaillée
de L. Leveneur, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un
passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 936 et
s.
173 Ph. Rémy, art préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 115.
174 Pour plus de détails voir B. Fauvarque-Cosson ; S.
Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 107.
175 CJCE, 25 avril 2002, D. 2002. 2462, note Ch.
Larroumet.
176 Voir le détail de L. Leveneur, art. préc.,
in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., p. 937.
Réformer le Code civil 55
131. En raison des exigences européennes, le
législateur français n'est plus souverain sur le contenu
même du Code. Si l'on en n'était pas déjà convaincu,
la suprématie du droit communautaire est ainsi bien réelle. Ce
propos revêt une certaine gravité si l'on envisage la raison de
notre condamnation, à savoir avoir été plus favorable aux
victimes de dommages causés par des produits défectueux par
rapport à ce que proposait la directive européenne.
Au-delà d'être grave, ce propos peut choquer177, mais
il est justifié : la Cour de justice interprète strictement les
lois de transposition, et ne tient compte que du droit communautaire en vigueur
au moment de l'adoption de la directive. L'arrêt par lequel la France a
été condamnée marque ainsi la véritable perte de
souveraineté de notre législateur national. En effet, le
libellé des directives doit être strictement respecté par
les lois de transposition, telle est la requête de la Cour de justice.
Cette volonté de tout contrôler est aujourd'hui grandissante, pour
certains il s'agit d'une dérive « très sensible Ð dans
l'usage des directives : les directives communautaires sont parvenues à
un tel degré de précision qu'elles ne laissent souvent
guère de marge de liberté aux Parlements nationaux chargés
de les transposer dans l'ordre interne »178. Certes, recopier
mot à mot une directive dans l'ordre interne paraît assez peu
louable, mais le droit français doit satisfaire aux impératifs de
l'harmonisation européenne.
132. Cette perte de souveraineté semble logique en
l'absence de réforme, d'adaptation du droit civil français
à la réalité : la mondialisation et notamment
l'européanisation du droit supplantent le Code civil. Ainsi, en raison
de la nature même du droit communautaire à savoir un droit
puissant, il revient au Code civil de s'adapter et non l'inverse : ce n'est pas
à l'Europe de s'adapter à chaque législation nationale. La
construction européenne se fait non sans perte de liberté pour
les autorités nationales : le législateur français ne peut
maintenir une souveraineté totale et il conviendrait aujourd'hui qu'il
s'y résigne car il ne peut que s'incliner devant le droit communautaire.
Cependant, un juste milieu peut être envisagé : une certaine marge
de manoeuvre doit être laissée au législateur national afin
que la transposition respecte l'harmonie et l'équilibre du droit
interne, notamment du Code civil. Cette proposition n'est réalisable
qu'en présence d'une bonne foi de la part du législateur
français mais également d'une certaine soumission, du moins une
souplesse, de la part législateur européen.
133. Introduire des textes communautaires au sein de notre
Code civil conduit inévitablement à une perte de
souveraineté de ce dernier : le droit européen limite la marge
de
177 Voir G. Viney, « L'interprétation par la CJCE
de la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des
produits défectueux », JCP 2002, I, 177.
178 B. Oppetit, « L'eurocratie ou le mythe du
législateur suprême », chron. préc., D. 1990,
chron. p. 73.
Réformer le Code civil 56
manoeuvre des Etats, l'impact se ressent sur le rayonnement du
Code. Surtout, le législateur européen et le législateur
national ne sont pas animés par la même logique. En effet,
l'Europe du commerce et son droit sont dominés par des valeurs
marchandes, à mille lieux des valeurs qui dominent le Code civil
à savoir la liberté et la responsabilité. Yves Lequette
résumait cette affirmation de la façon suivante : « ainsi le
droit communautaire qui réduit ici l'homme à sa seule dimension
économique l'emporte sur le droit civil, alors même que celui-ci
s'efforce d'appréhender le civis, le citoyen dans toute sa
complexité et sa diversité »179.
134. La principale difficulté à laquelle se
heurte l'entreprise de réforme civile tient à cette
mésentente moins qu'à la domination du droit européen sur
le droit national. Pourtant cette prolifération de normes
européennes induit nécessairement une réforme du Code
civil. Paradoxalement, la domination précitée fait d'une
entreprise de réforme un objectif quasiment irréalisable. Ainsi,
sans consensus et sans compromis de la part du législateur
français, l'entreprise de réforme est-elle compromise ?
Condamnée ? Cette vision pessimiste doit être envisagée
afin de la combattre : des solutions pour l'avenir sont à
suggérer afin que le droit communautaire ne constitue plus une
concurrence, une entrave, une contrainte au droit national. Le Code civil doit
s'adapter à la réalité européenne afin que le droit
européen devienne pour lui une force, un allié, un soutien qui
lui est vital actuellement au regard de sa piètre posture.
§2 - Les solutions à la
désharmonisation du droit civil français
135. L'absence d'harmonisation du droit civil français
aujourd'hui, qui a pour conséquence l'absence d'harmonisation du Code
civil, résulte de la volonté du législateur
français de ne pas s'adapter au droit européen. Vouloir conserver
une certaine souveraineté, une mainmise sur le contenu du Code, conduit
à le désharmoniser. Quelle solution alors à la
désharmonisation du Code civil français sous l'effet du droit
européen ? La solution première serait de se
désintéresser du Code civil comme réceptacle du droit
européen (A), solution qui convainc partiellement. La seconde solution
serait, quant à elle, à rechercher dans d'autres formes de
codifications (B).
179 Y. Lequette, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
spéc. p. 179.
Réformer le Code civil 57
A - Le Code civil, entre intérêt et
indifférence pour le droit européen
136. L'incohérence, l'incompréhension qui
règne dans le Code civil, en raison des transpositions maladroites des
directives européennes, doit être l'argument moteur d'une
recodification de notre législation civile. Si notre Code a vieilli,
comme l'on a pu maintes fois le constater, c'est en partie en raison de «
la multiplication des textes régissant une matière en dehors de
la structure de celui-ci »180. La recodification civile devrait
alors avoir pour objectif l'intégration, dans le Code civil, de
l'intégralité des textes qui le concernent. Les textes
européens sont alors directement concernés. Le législateur
français doit saisir l'opportunité qui lui est donnée
à travers une transposition des directives afin de restaurer la
cohérence de son propre corps de règles, le Code civil. Cette
idée est séduisante, mais « réharmoniser » le
droit civil français au regard de l'Europe du commerce apparaît
constituer une tâche complexe.
137. La solution la plus fréquemment
proposée181 est celle d'intégrer les textes relatifs
à la protection des consommateurs, non pas au sein du Code civil, mais
dans le Code de la consommation qui constituerait le « réceptacle
naturel » de ce genre de dispositions. La question est alors la suivante :
« Code civil ou Code de la consommation pour la transposition des
directives consuméristes ? »182. Le choix du « code
réceptacle » revêt une importance particulière puisque
la solution aura pour conséquence une influence différente des
règles nouvelles. Ce choix, dans la plupart des interventions du
législateur européen, ne pose pas de difficulté : la
directive trouve son prolongement dans le Code relatif à son contenu.
Cependant, lorsqu'il s'agit d'envisager les directives relatives au droit de la
consommation, la question semble insoluble.
138. La transposition de la directive du 25 mai 1999 «
sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation
» a été pour certains souhaité dans le Code civil,
afin d'étendre le domaine des nouvelles règles qui seraient
édictées183. Pour d'autres, il fallait la transposer
dans le Code de la consommation184. Le législateur a
donné raison à cette seconde proposition. Cette directive a effet
été transposée en droit français par une
180 R. Cabrillac, Les codifications, coll. Droit,
Ethique, Société. PUF. 2002
181 G. Plaisant et L. Leveneur, « Quelle transposition
par la directive du 25 mai 1999 sur la garantie de la vente des biens de
consommation ? », JCP 2002.I.135.
182 L. Leveneur, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
ouvr. préc. spéc., p. 941.
183 Voir sur ce point G. Viney, « Quel domaine assigner
à la loi de transposition de la directive européenne sur la vente
? », JCP 2002, I, 158.
184 G. Plaisant et L. Leveneur, chron. préc.
Réformer le Code civil 58
ordonnance du 17 février 2005185,
introduisant de nouvelles règles au sein du Code de la consommation.
Cette transposition au sein de ce code pouvait paraître logique car la
directive avait pour principal objet, selon son article 1, « d'assurer une
protection uniforme minimale des consommateurs dans le cadre du marché
intérieur » : il s'agit-là de règles spéciales
et non de règles générales applicables quelle que soit la
qualité des parties.
139. Cette suggestion pour l'avenir du Code civil revient
à vouloir préserver les règles du Code civil et
l'unité de son corpus : cela est vain, le Code civil n'est plus symbole
d'unité. Si la place d'une transposition d'une directive n'est pas dans
le Code civil, celui-ci voit sa sphère d'influence limitée : il
va s'effacer devant ces législations spéciales. Sur ce point, il
convient d'approuver la vision de Philippe Rémy : « l'ultime
tentation est de préserver le Code civil en accueillant les
règles communautaires dans des codes réceptacles, comme le Code
de la consommation ; mais en préservant la pureté du symbole, on
le réduirait précisément à n'être qu'un
symbole, ou une coquille vide »186. Ainsi, le Code civil ne
peut pas être réduit au statut de relique, cependant cet argument
doit être nuancé : notre Code représente le droit commun
fondamental et pose les principes généraux. Ces derniers peuvent
être modifiés par des lois spéciales dans des cas
particuliers187. Un juste milieu doit être trouvé, par
le biais d'une réforme, afin que le Code civil reste le
réceptacle du droit commun tout en s'adaptant au droit européen,
droit d'une importance considérable aujourd'hui. Une réforme ne
pourrait ignorer sa portée. Aussi, l'on doit impérativement
réfléchir sur l'articulation entre droit commun et droit
spécial, sur l'objectif du Code civil, sur la portée du Code de
la consommation. Sans clarification du législateur français, sans
réforme, la question « Code civil ou Code de la consommation ?
» ne cessera de se poser.
140. En réalité, c'est aussi le Code de la
consommation qu'il faudrait refondre : compilation à droit constant,
textes disparates, l'ensemble de ces éléments prouve la
nécessité : pour autant, « ce qui paraît envisageable
pour le Code de la consommation l'est-il pour le Code civil
»188 ? Le Code civil doit-il redevenir l'alpha et
l'Omega du droit civil ? De prime abord, la réponse
apparaît incontestablement positive. Certes, mais pour cela, la
supériorité du Code doit être reconnue : le
législateur doit alors s'attarder sur les principes
185 Ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005
relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due
par le vendeur au consommateur. (J.O n° 41 du 18 février 2005 page
2778).
186 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., spéc., p. 115.
187 L. Vogel, « Recodification civile et renouvellement
des sources internes », in Livre du Bicentenaire, spéc.
n°29.
188 L. Leveneur, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 944.
Réformer le Code civil 59
généraux et spéciaux, ceux qui ont subi
l'usure du temps. Un code brouillé par des règles
particulières s'exporte en effet moins facilement qu'un code vecteur de
principes généraux.
140. En réalité, quelle que soit la solution
que l'on envisage, le parti pris, c'est l'annonce de la défaite du Code
dont il s'agit ici : il ne s'adapte plus aux évolutions, « ce n'est
plus notre arche, notre forteresse, ni l'autel de nos lois
»189. Pire encore, si le Code civil n'a pas su s'adapter
à la codification européenne, comment réagira-t'il face
aux codifications encore plus innovantes et surtout, à
l'internationalisation du droit au-delà de son européanisation ?
Doit-on se résigner à la décodification ? L'avenir du Code
civil est bien sombre, mais doit toutefois être envisagé, il
s'agit là d'une preuve ultime pour une nécessité de la
réforme.
B - L'avenir du Code civil face à
l'internationalisation du droit
141. La communautarisation du droit est réelle et
celle-ci, au-delà des conséquences négatives qu'elle a
provoquées sur notre Code civil, a eu pour but de rapprocher les
législations internes. La communautarisation a ainsi pu unifier ou
harmoniser les législations nationales. Cependant, cette dernière
doit être relativisée. Le droit communautaire est certes
prédominant s'agissant du domaine du droit des contrats, mais il est
parcellaire : il est axé sur le consommateur et notamment sur sa
protection ; ce dernier étant ainsi envisagé comme partie faible.
Les objectifs de la communautarisation, à savoir cette protection du
consommateur mais également la réalisation du marché
intérieur, freinent une véritable toute-puissance des normes
européennes.
142. Ainsi, l'avenir du Code civil, sous l'angle
européen, est sûrement à rechercher par une
européanisation indirecte : le droit européen
pénètre les domaines tels que le droit de la famille ou des
personnes, mais de manière moins invasive et surtout, sans créer
d'incohérence190. Cette communautarisation n'a pas alors pour
seul but de contredire le droit national, le juge européen peut
conforter la règle nationale, mais elle va s'accentuer : le droit
communautaire dispose d'un large champ d'application, notamment depuis
l'arrêt Garcia Avello191, ainsi le droit
européen en ce qu'il pénètre notre droit civil n'a plus
vocation à se limiter qu'aux situations purement économiques
inhérentes au marché intérieur. Le droit civil
189 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., spéc., p. 117.
190 Voir sur ce point les exemples de S. Nadaud, Codifier
le droit civil européen, Europe(s), Larcier, 2008, préface
d'Eric Garaud,
191 Cour de justice de l'Union européenne, C-148/02
Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I16613
Réformer le Code civil 60
peut apparaître instrumentalisé au regard du
droit des traités, comment alors remédier à ce
phénomène ? Assurément, par l'adoption d'un Code civil
européen.
143. Ce Code civil européen constitue une technique
moderne de réforme du Code civil (voir infra §214 et suivants).
Avant son étude, il convient d'envisager l'avenir de notre Code civil au
regard des nouvelles codifications, effectives, à l'inverse du Code
civil européen qui ne constitue, encore, qu'une hypothèse. La
codification s'enrichit perpétuellement grâce aux
opérations internationales, par exemples les règles
matérielles régissant la vente internationale de marchandises
issues de la convention de Vienne192. Auparavant, ces
opérations relevaient des droits nationaux compétents, selon les
règles de conflits de lois. Le Code civil a inévitablement
été influencé par ce type de codifications, mais la
principale source d'influence sur le Code civil se situe au niveau des
conventions internationales qui, sans se placer sur le terrain de la
hiérarchie des normes à l'inverse du droit communautaire,
bénéficient d'une place confortable en tant que règles de
droits.
144. La France n'a pas su maintenir l'unité du Code
civil, telle est la conclusion que nous pouvons apporter après ces
développements : codification hors du Code, évolution du Code de
la consommation, mais surtout l'apparition et le développement des
sources internationales en témoignent. Ce dernier argument est
intéressant ici : la France, en adhérant à des conventions
internationales qui priment le droit interne, a pris le risque de
déstabiliser son Code civil. En effet, au nom de principes posés
par ces conventions, des normes de notre relique peuvent être
sacrifiées : les normes du Code civil nécessitent alors une
réforme afin qu'elles soient conformes à ces principes
transcendants. Cette perte d'autorité du Code civil s'accompagne
d'autres maux : le Code civil est concurrencé par des codifications
nouvelles avec pour objectif l'uniformisation du droit. A l'échelle
mondiale, l'uniformisation du droit est en route et le droit civil
français ne suit pas. Grâce aux diverses conventions
internationales, le droit de la vente tend à être unifié,
cette unification implique l'amputation, parfois, d'articles du Code civil ou
de la compétence française193. Pour autant,
l'unification du droit de la vente est nécessaire en raison de
l'internationalité croissante des opérations contractuelles. Sans
réforme, le déclin du Code civil apparaît
évident.
192 Convention des Nations unies sur les contrats de vente
internationale de marchandises, reproduite dans le Code de commerce, Dalloz.
193 Voir les exemples de C. Witz, « L'influence des
codifications nouvelles sur le code civil de demain », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., spéc. 694.
Réformer le Code civil 61
145. Ce même code doit également redouter
d'autres formes de codifications, qui revêtent, à l'instar des
conventions précitées, une nature internationale. L'on peut citer
l'exemple des Principes du droit européen du contrat ou les principes
Unidroit relatifs aux contrats du commerce international. Pareils principes
n'ont la possibilité de revêtir leur application maximale qu'aux
travers deux conditions : un choix de loi opéré par les
cocontractants à l'un de ces instruments normatifs et la
résolution du conflit par voie d'arbitrage. Le Code civil doit ainsi
s'inquiéter de ces nouvelles formes de codifications, de ces nouveaux
instruments. En effet, ils offrent une réglementation si moderne et
équilibrée du droit commun des contrats qu'ils ne peuvent que
concurrencer notre Code dont on connaît la réglementation
désuète et complexe.
146. Pour certains194, il ne faut pas
s'inquiéter de l'influence de ces nouvelles codifications. Ainsi, un
Code civil dont le rôle est diminué ne serait pas, par nature,
synonyme de perte d'influence des institutions et techniques du droit
français. Pareille position ne convainc pas : le Code civil en tant que
« constitution civile » doit jouer un rôle central et non
être dominé par des codifications à portée normative
molle. Un coup d'assaut est alors, une nouvelle fois, porté au Code
civil. La solution à cela consiste, une fois encore, en un Code civil
européen, par lequel notre code retrouverait toute sa vigueur.
147. A la question « Pourquoi faut-il réformer le
Code civil ? » la réponse est désormais claire : il s'agit
d'une oeuvre complexe, vieillissante, politisée et sous l'égide
du juge. Surtout, il s'agit d'une oeuvre incohérente au regard de
l'ordre communautaire : la fondamentalisation et l'européanisation du
droit sont deux phénomènes auxquels le Code civil n'a pas su
s'adapter. Une véritable recodification civile est nécessaire,
cependant il faut la concilier avec les contraintes extérieures
imposées. Ainsi, à la question « Pourquoi faut-il
réformer le Code civil », l'on peut répondre qu'il est
défectueux et inadapté à l'évolution du droit.
Ainsi, une seconde question s'entrevoit : s'il faut réformer le Code
civil, il convient de savoir par quel(s) moyen(s).
194 C. Witz, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
ouvr. préc., spéc. 695 et s.
Réformer le Code civil 62
Deuxième partie : Comment réformer le
Code civil ?
148. « S'il advenait que la France fût quelque
jour dotée d'un législateur soucieux de droit, un nouveau code
civil pourrait et devrait être préparé
»195. Une crise grave et profonde a atteint notre Code civil
actuel : il est urgent de le réformer. Cette urgence n'est plus à
démontrer tant elle est flagrante. La question « comment
réformer le Code civil » est alors essentielle et il faut tenter
d'y répondre. Autrement dit, il faut s'intéresser à la
question sous-jacente « comment dire le droit ? ».
149. « Quelle tâche que la rédaction d'une
législation pour un grand peuple ! »196, en effet
réformer c'est toucher à l'acquis, appliquer cela au Code civil
paraît pour grand nombre de citoyens français, impensable. Bien
plus qu'un symbole, le Code civil constitue pour beaucoup, d'après les
termes du doyen Carbonnier, la véritable Constitution civile de la
France. Pire encore, certains considèrent qu'il faut laisser le Code tel
qu'il est puisqu'à « l'atomisation de notre société
doit correspondre une multiplicité de sources »197,
sources qui seraient conformes à notre société. Nous
sommes pourtant convaincus du contraire : nous avons besoin d'un Code civil
nouveau : il faut le reconstruire.
150. L'oeuvre de recodification civile est délicate et
semée d'embûches. Deux techniques de réforme sont
possibles. D'une part, une réforme du Code civil peut s'envisager sous
l'égide des techniques classiques (Chapitre 1),
autrement dit au regard des techniques que nous offre le droit interne.
Cependant, l'Européanisation du droit semble nous oblige à
emprunter la voie d'une technique moderne de réforme. En effet, la
réforme du Code civil doit s'envisager aujourd'hui au regard du droit
européen : un Code civil européen est rendu nécessaire
(Chapitre 2). Savoir comment réformer le Code civil
c'est répondre à la question suivante : « révision
nationale ou codification européenne ? »198.
195 C. Atias, « Le Code civil nouveau », D.
1999. p. 200.
196 Termes de Portalis lors des travaux préparatoires
du Code civil. Voir sur ce point F. Ewald, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 84.
197 L.Vogel, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 163.
198 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre (1904-2004), in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 27.
Réformer le Code civil 63
CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME
151. Légiférer est un art, réformer
l'est aussi. Reconstruire, refondre notre Code civil sera un travail de longue
haleine, difficile, complexe, pour lequel beaucoup ont déjà
abandonné avant de commencer. Devant l'ampleur de la tâche, le
comportement à adopter doit nécessairement être optimiste,
le résultat en dépend.
152. Réformer est un art, un art technique. Envisager
d'un point de vue interne, la réforme du Code civil est possible aux
moyens de techniques classiques. Ces techniques sont diverses et peuvent
être découpées en deux volets complémentaires. La
science de la réforme doit être étudiée
(Section 1) afin d'élaborer par la suite la meilleure
forme possible de réforme (Section 2).
Section 1 - La science de la réforme
153. La science de la réforme consiste à
envisager cette dernière non pas au regard de sa forme, mais aux regards
des moyens à mettre en oeuvre : comment créer une loi nouvelle,
plus précisément comment réformer le Code civil, surtout
comment bien le réformer ? La réponse à ces nombreuses
questions se cherche en analysant l'ampleur que prendrait une réforme du
Code civil. Réformer c'est légiférer à nouveau, et
l'art de légiférer prend désormais un nom, bien que
celui-ci ne soit pas définit par une quelconque dictionnaire : il s'agit
de la légistique. Discipline mystérieuse, la légistique
c'est « l'art d'écrire, d'élaborer » 199 la loi. En
tant que nouvelle loi, la réforme du Code civil constitue inexorablement
une question de légistique (1). Réformer, c'est
légiférer
et légiférer, c'est faire de la politique : la
réforme du Code civil, au-delà de demeurer une question de
légistique est ainsi principalement, voire exclusivement, une question
politique (2).
§1 - La réforme du Code civil : une question
de légistique
154. Produire une loi, réformer un code constitue une
tâche monumentale au regard du travail à fournir. La loi doit
procurer sécurité et certitude au justiciable, il faut donc
entrer dans les détails : une loi réussie est une loi technique
(A). Une loi réussie est également une
199 Entretien avec Karine Gilberg, « L'art de la
légistique », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n°7, p.
8.
Réformer le Code civil 64
loi qui s'inspire des droits étrangers influents et qui
s'adapte et s'empreint de cultures juridiques étrangères. Ainsi,
la réforme du Code civil, pour qu'elle soit effective, devra
nécessairement s'élaborer à travers un processus
d'acculturation (B).
A - Les détails techniques d'une codification
réussie
155. Plus de deux siècles après, le Code civil ne
rayonne plus, à l'instar de ce qui a
fait son succès : son pragmatisme. Il a subi des
retouches, des ajouts, des embellissements si bien qu'aujourd'hui le code est
en ruine, incohérent. Il faut retrouver une modernité et une
cohérence, cela s'envisage au regard d'une réforme à la
légistique parfaite.
156. Tout nouveau code constitue nécessairement une
rupture avec le droit antérieur. En effet, par son entrée en
vigueur il efface « délibérément d'un trait de plume
»200 le monde juridique qui l'a précédé.
Pour autant, réformer le Code civil n'est pas synonyme de rupture
brutale avec le droit antérieur : si l'on envisage la réforme au
moyen d'une recodification, celle-ci aura un effet de continuité. Ainsi,
« un code n'est pas un filtre à huile : on ne jette pas l'ancien
pour mettre le nouveau à la place »201. Une
recodification, plus généralement une réforme, suppose
sans conteste la prévision d'une panoplie complète et
précise de détails techniques afin de faciliter le passage de
l'ancien au nouveau code. Cette panoplie précise et complète
c'est précisément l'art de la légistique et une partie de
la réponse à la question brûlante « comment
réformer le Code civil ? ».
157. La principale vocation de la loi est d'assurer la
sécurité juridique, cela participe de la qualité de la
justice. Une loi doit donc être de qualité. Il ne s'agit pas
seulement de légiférer, il faut bien légiférer ou
du moins « mieux légiférer »202 : la
qualité rédactionnelle et l'encadrement du processus
d'élaboration des textes doivent prévaloir sur une vision du
droit qui repose sur l'activité économique.
Légiférer demeure alors un art complexe : droit en vigueur,
insuffisances dans sa mise en oeuvre, destinataire de la règle, autant
de difficultés qui sont rencontrées lors de la production d'une
norme. Cette complexité décuple lorsque l'on envisage de
réformer une relique telle que le Code civil. En effet, nombreux
détails techniques doivent être étudiés
précisément, rien ne doit être laissé au hasard, un
nouveau
200 R. Cabrillac, « Recodifier », RTD Civ.
2001. p. 833.
201 M. Tancellin, Les exigences du code civil du Québec,
Revue de droit de MCGill, 1994, vol. 39, p. 748.
202 Voir sur ce point Entretien avec Karine Gilberg, «
L'art de la légistique », Gaz. Pal., 07 janvier 2010
n°7, p. 8.
Réformer le Code civil 65
Code civil devrait nécessairement revêtir une
nature qualitative au risque de subir un sort pire encore que celui qui lui est
réservé actuellement, à savoir être dépourvu
d'autorité.
158. Une démarche méthodique doit ici retenir
notre attention afin d'envisager techniquement la réforme du Code civil.
La production de toute nouvelle norme est alors soumise au respect de
règles juridiques de fond et de procédure, le respect de ces
règles constitue ainsi le vecteur de la qualité de la loi.
159. L'application dans le temps d'une réforme du Code
civil doit être envisagée en premier lieu, tant elle
apparaît demeurer l'élément le plus controversé. Les
règles relatives à l'entrée en vigueur des lois et des
règlements publiés au Journal officiel sont fixées par
ordonnance203. Aujourd'hui la très grande majorité des
lois prévoient elles mêmes quand elles vont entrer en vigueur,
cette date est généralement très éloignée de
sa date de publication. Si jamais, et nous l'espérons, un nouveau Code
civil voit le jour, il est évident qu'il ne rentrera pas en vigueur le
lendemain de sa publication, mais des années plus tard : « patience
et longueur de temps204 » tel est le résumé qu'il
convient d'énoncer. Une loi de bonne qualité, précise et
complète, passe alors par une entrée en vigueur
différée mais surtout par un arsenal solide de dispositions
transitoires : ces dispositions s'imposent obligatoirement et ce pour des
motifs de sécurité juridique. Les règles sur l'application
dans le temps d'une nouvelle loi, tel que le serait un nouveau Code civil, sont
ainsi un objectif primordial. A cette application dans le temps s'ajoute
l'application dans l'espace.
160. Une nouvelle loi est en principe applicable de plein
droit sur l'ensemble du territoire de la République. Dans certains cas,
il peut apparaître utile, voire nécessaire, d'aménager le
champ d'application territorial d'un texte. Cette question doit être
systématiquement examinée lors de la conception de celui-ci,
spécialement en ce qui concerne son application à
l'outre-mer205. Concevoir une réforme du Code devra ainsi
amener à s'interroger sur son applicabilité territoriale, et
surtout éviter les erreurs du passé. En effet, le souci de
lisibilité de la loi implique que celle-ci soit la même pour tous.
Que penser alors de l'ordonnance du 19 décembre 2002206 qui a
incorporé un nouveau livre au Code civil (devenu le livre V
désormais) et comportant des articles propres à Mayotte ? Pour
certains, il s'agit
203 Ordonnance n°2004-164T du 20 février 2004 dont
les dispositions ont remplacé notamment celles du décret du 5
novembre 1870T et figurent désormais à l'article 1er
du code civil.
204 Voir sur ce point C. Kleitz, « Patience et longueur de
temps... », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n° 7, p. 3
205 Guide de légistique, Légifrance, 2007.
206 Ordonnance n° 2002-1476 du 19 décembre 2002
portant extension et adaptation de dispositions de droit civil à Mayotte
et modifiant son organisation judiciaire
Réformer le Code civil 66
« d'énumérations sans âme, plates
litanies de « sont applicables à Mayotte sous réserve de...
» ou « les articles...sont applicables à Mayotte dans leur
rédaction issue de la loi ... » sombrant dans un verbiage
bureaucratique le plus souvent illisible »207. Nous partageons
ce propos et il convient d'ajouter qu'un Code civil nouveau, comme toute
entreprise de recodification, devra posséder une dimension unificatrice
très forte. Il ne s'agit pas d'intégrer dans un nouveau code des
dispositions applicables à une minorité. Cela est en effet
incompatible avec la dimension précitée.
161. Après l'énoncée des règles
générales et applicables à toute loi nouvelle, il faut les
envisager au regard de la codification : celle-ci tend à faciliter la
connaissance et la communication des règles de droit208. Un
nouveau Code civil devra ainsi être un code qui rassemble des normes mais
également qui clarifie le droit et l'actualise. Les méthodes de
la codification sont complexes209 : la sélection et
l'organisation des dispositions regroupées dans un code devront reposer
sur des choix cohérents et aboutir à un instrument utile et
maniable. Aussi, le plan du code devra traduire une organisation du droit
adaptée, à l'inverse de ce qu'il traduit actuellement. Enfin, la
division du Code en livres, titres et chapitres, devra être
étudiée en ce qu'elle commande la numérotation des
articles auxquels il conviendra de peu toucher au regard de la dimension
symbolique de certains articles (l'on pense ici notamment aux articles 544
1134, 1382). La pratique dite de la «
dénumérotation210 » qui consiste à changer
le numéro d'un article pour lui en attribuer un autre est à
bannir, autant que possible, car elle déstabilise les justiciables. Ces
derniers le seront déjà assez, au regard du changement monumental
que constituerait un Code civil nouveau.
162. Ces techniques devront être scrupuleusement
respectées car leur méconnaissance peut mettre en péril la
cohérence du code, alors même que cet objectif constitue le coeur
de la réforme. Une codification réussie passe ainsi
obligatoirement par le respect de l'ensemble de ces détails qui peuvent
apparaître complexes, techniques. Il est vrai qu'une entreprise de
réforme est par essence difficile, mais s'y résigner serait trop
simple. A ces détails techniques, qui doivent être scrupuleusement
suivis si l'on veut aboutir à une loi de bonne qualité s'ajoute
un autre aspect de légistique : légiférer ce n'est pas
seulement rester « franco-français ».
207 R. Cabrillac et J.-B. Seube, « Pitié pour le
Code civil (à propos de l'ordonnance n°2002-1476 du 19
décembre 2002), D. 2003. 1058, spéc. n°6.
208 Le Conseil constitutionnel a rappelé en 1999 que la
codification du droit répondait à l'objectif de valeur
constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.
209 Voir sur ce point le Guide de légistique,
Légifrance, 2007.
210 Terme employé dans le Guide de légistique,
Légifrance, 2007.
Réformer le Code civil 67
Ainsi, une codification réussie ne peut s'envisager
qu'au moyen du phénomène d'acculturation.
B - Une codification réussie au moyen d'une
acculturation
163. Au-delà d'une codification aux détails
techniques comme gage de réussite, il convient de centrer notre
étude sur un phénomène, tout aussi complexe, celui de
l'acculturation juridique. Une réforme du Code doit ainsi
nécessairement s'envisager à travers une acculturation.
164. Le rayonnement qu'a connu le Code civil hors de France
est sans conteste. Du moins, l'on peut énoncer que le Code civil a
perduré en raison du rayonnement de la France. Progressivement, le Code
Napoléon s'est nationalisé dans un certain nombre de pays, il
s'est acclimaté et a parfois acquis une autonomie par rapport à
la version française211. Il s'agit-là d'une
acculturation. Avant d'envisager son effet sur une réforme du Code
civil, il convient de définir ce terme. Par acculturation « il faut
entendre toute greffe d'une culture sur une autre » et par «
acculturation globale » celle de la greffe d'un code tout entier,
phénomène que l'on désigne aussi par la notion de
réception212. A la suite d'une acculturation apparaît
un phénomène de nationalisation d'un Code : c'est le fait du
législateur national qui apporte, au fil du temps, des modifications
à un Code afin de le mettre en adéquation avec l'évolution
de la société.
165. N'est-ce pas de cela dont notre code a besoin
aujourd'hui ? L'influence du Code civil est désormais nulle dans le
reste du monde213, un meilleur code permettrait alors un meilleur
rayonnement de la France. Malheureusement, notre vieux code perdure. S'il peut
témoigner d'une rare capacité d'adaptation aux évolutions
de la société contemporaine, le résultat laisse les
juristes que nous sommes en attente de mieux, à savoir une
véritable réforme. Il ne faut cependant pas, selon le Doyen
Carbonnier, « se représenter l'acculturation comme un
mécanisme irrésistible »214, autrement dit n'est
pas une donnée naturelle que celle d'intégrer du droit
étranger. Ainsi, même si l'on envisage la réforme du Code
civil à travers une acculturation, des résistances
naîtront. Ce n'est pas sans conséquence que deux systèmes
juridiques se rencontrent, les effets affectent aussi bien les individus que
les institutions. La
211 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot,
ouvr. préc., p. 24.
212 J. Carbonnier, Sociologie juridique, Quadrige, 1994,
p. 377.
213 Le Code civil une leçon de légistique
?, sous la direction de Bernard Saintourens, Economica, Etudes juridiques,
24, 2006.
214 J. Carbonnier, Sociologie juridique, ouvr.
préc., p. 377.
Réformer le Code civil 68
tâche semble ardue, il nous faut pourtant l'envisager
tant elle apparaît bénéfique et pourrait guérir le
Code civil de ses maux.
166. Le vieillissement du Code, le recul de la France sur la
scène international ainsi que le fossé juridique et culturel
entre les pays expliquent la perte de l'influence française. Pour y
remédier, il s'agirait désormais d'intégrer ce processus
d'acculturation : ce n'est plus aux codes des autres pays de s'acculturer au
nôtre, mais l'inverse : le nouveau Code civil serait ainsi le fruit d'une
acculturation juridique. Si l'on envisage l'origine du déclin de notre
code cela revient à étudier l'adoption d'un nouveau
modèle, plus récent, le BGB, qui constitue aujourd'hui un
concurrent redoutable215. L'Allemagne n'est pas le seul pays
à avoir recodifié son droit civil. Ainsi, les Pays-Bas ont,
après une longue gestation, remplacé leur Code civil de 1838 par
un nouveau code, le NBW, entré en vigueur le 1er janvier
1992216. Le Québec a suivi cette voie et a remplacé
son code de 1866 par un nouveau Code civil entré en vigueur le
1er janvier 1994217. Si ces pays ont réussi
à réformer le Code civil pourquoi ne le pourrait t'on pas ?
167. Réformer le Code civil, à travers un
processus d'acculturation, reviendrait à une réforme
appuyée sur des droits étrangers, sur un exemple hors de nos
frontières, une inspiration de ce qui fonctionne déjà.
Surtout, cela reviendrait à mettre en cohérence le droit
français avec le droit d'une grande partie du reste du monde, avec, pour
conséquence directe, un regain de l'influence du Code civil et de la
France sur la scène juridique internationale. Le législateur doit
à la fois rationaliser le système juridique et le moderniser : il
lui faut rechercher un équilibre entre respect de la tradition et
adjonction d'éléments modernes. De façon
inespérée, ce processus d'acculturation semble avoir gagné
la confiance de notre législateur moderne français.
168. Aujourd'hui, la réforme du code est partiellement
en marche à travers la réforme du droit des
obligations218. Ce projet est limité au droit des contrats et
il ne s'agit pas pour l'instant de critiquer cela, mais d'analyser sa ratio
legis, sa raison d'être. Ce projet contient des véritables
révolutions qui constituent pour certains une « régression
de notre inestimable
215 R. Cabrillac, « L'avenir du Code civil », JCP
G, n°13, 24 Mars 2004, I 121.
216 D. Tallon, Le nouveau code civil des Pays-Bas, in
B. Beignier (dir.), La codification, Dalloz, 1996.
p. 181 et s. spéc. p. 182.
217 R. Cabrillac, « Le nouveau code civil du Québec
», D. 1993. p. 267 et s.
218 Habilitée par l'article 8 de la loi n°2015-177
du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la
simplification du droit et des procédures dans les domaines de la
justice et des affaires intérieures, publiée au JO du 17
février 2015
Réformer le Code civil 69
Code civil »219. Parmi elles, l'apparente
suppression de la cause, et l'introduction de la clause abusive220.
Ces deux phénomènes, véritables révolutions, sont
liés et ont trait au processus d'acculturation du Code civil
français. D'une part, l'on supprime ce qui est « trop
français »221 à savoir la cause. D'autre part, on
introduit pour tous les contrats un concept qui ne concerne pas directement le
droit civil, à savoir les clauses abusives. Pour certains, « c'est
la culture même du droit civil français qui est en jeu
»222. Pour nous, il s'agit d'une réelle volonté
du législateur d'évoluer, de s'adapter aux droits
étrangers et de redonner au Code civil sa position d'antan. Sur le fond,
nous n'envisagerons pas la pertinence de l'introduction de ces deux
phénomènes. Il suffit de se contenter du moyen utilisé par
le législateur français : l'acculturation. L'optimiste
renaît alors à propos d'une réforme du Code civil dans son
ensemble, si un jour celle-ci avait lieu, puisque le législateur moderne
français n'ignore pas les moyens techniques étrangers, gages de
réussite.
169. Détails techniques à respecter, processus
d'acculturation, autant d'éléments qui seraient à prendre
en compte dans le cadre d'une réforme du Code civil. En effet, une bonne
loi, un code de qualité ne peut s'élaborer sans rigueur et sans
vision extérieure. Cependant, la légistique ne suffit pas, un
code ne sera pas investi d'une souveraineté particulière s'il
n'est pas politiquement souhaité. Au-delà de demeurer une
véritable question de légistique, la réforme du Code civil
constitue principalement une question politique.
§2 - La réforme du Code civil : une question
politique
170. La réforme du Code civil ne peut s'étudier
sans envisager la dimension politique qu'elle revêt.
Légiférer c'est faire de la politique. Seulement, l'apport
politique ne suffit pas à faire une bonne loi. Avant tout, une
réforme du Code civil de qualité est nécessairement une
réforme démocratique (A). Malheureusement, sans
forte volonté politique, la démocratie n'a pas de
postérité. Ainsi, une forte volonté politique est
nécessaire mais conduit à certaines dérives qu'il convient
de dénoncer (B).
219 R. Boffa, « Juste cause (et injuste cause).
Brèves remarques sur le projet de réforme du droit des contrats
», D. 2015. p. 335.
220 Art. 1169 du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats.
221 R. Boffa, ibidem.
222 R. Boffa, ibidem.
Réformer le Code civil 70
A - Nécessité d'une loi
démocratique
171. Notre société moderne est complexe et
technique, à l'image de notre Code civil. La mise à disposition
des citoyens des normes juridiques sous forme d'ensembles organisés
permet alors un accès au droit simple et sûr. Surtout, cette mise
à disposition est un impératif
démocratique223.
172. Pour que notre droit civil soit recodifié,
réformé, il faut qu'il devienne une véritable «
réalité vivante, respectée et respectable
»224. Pour cela il est indispensable qu'un code remplisse des
qualités techniques au-delà de celles évoquées : il
doit avant tout être populaire, le caractère populaire d'un code
assure ainsi la sécurité juridique. Par définition, le
droit est, dans une société démocratique, fait par le
peuple et pour le peuple225. Un Code civil nouveau devra alors
respecter cette formule : le code doit traduire les valeurs dont le peuple a
besoin, doit conduire à la rationalisation et à la simplification
des règles. Une fois encore, il s'agira de ne pas réitérer
les erreurs du passé à savoir un code ouvert aux « bourgeois
», aux « propriétaires ». Le langage devra être
clair, simple, concis, sans ambiguïté. La réforme du Code
civil s'envisage à travers les citoyens, par le biais de la
démocratie, et tous les moyens mis à disposition doivent
être utilisés.
173. « Une loi de bonne qualité est avant tout
une loi démocratiquement fabriquée »226, nous
n'aurions pas pu résumer de meilleure façon la
nécessité d'une loi profondément démocratique. La
démocratie, « système politique, forme de gouvernement dans
lequel la souveraineté émane du peuple »227, est
le vecteur d'une bonne loi. L'obstacle à la qualité de la loi
tient principalement à l'urgence : elle nuit au dialogue avec les
acteurs sociaux, à la démocratie. Pour cette raison, toute
nouvelle loi doit être élaborée lentement, prudemment, de
façon à répondre à l'exigence démocratique,
fondamentale pour qu'une loi revête une certaine autorité. Ces
arguments, appliqués à l'entreprise de recodification du Code
civil, conduise à énoncer qu'une réforme du Code civil
devra obligatoirement passer par la démocratie, sous peine d'une absence
de postérité. Tout projet de réforme, présentant
une certaine ampleur ou une certaine complexité, appelle ainsi un
travail d'évaluation préalable. Celui comprend une analyse de la
nature des difficultés à résoudre, la définition de
l'objectif
223 Message de Monsieur Jean-Louis Debré, in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 12.
224 Ph. Malaurie, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, p. 3.
225 Ph. Malaurie, ibidem.
226 « Une loi de bonne qualité est avant tout une
loi démocratiquement fabriquée », JCP G, n°28,
8 juillet 2013, p. 783.
227 Dictionnaire Larousse, voir « démocratie
».
Réformer le Code civil 71
assigné à la réforme et l'examen des
différentes options envisageables dans la conduite de cette
dernière. Plusieurs procédés démocratiques sont
à notre disposition afin d'élaborer une bonne loi, il convient de
les étudier.
174. D'une part, la qualité légistique d'une
loi est exigée afin que celle-ci soit démocratique. Cela passe
principalement par le travail en commission, qui se développe
considérablement. Dans le débat parlementaire, se rencontrent
qualité de la loi, démocratie, et temps : trois
éléments nécessaires à la rédaction de bonne
loi. Cette multiplicité de structures démocratiques de
contrôle et d'amendement228 vient alors corriger bien des
erreurs. D'autre part, l'on peut recourir à des études d'impact.
Celles-ci ont pour objectif de répondre aux questions
suivantes229 : quelles sont les difficultés auxquelles la
réforme entend remédier et en quoi l'état actuel du droit
est en cause ? Quel est l'objectif de la réforme ? Quelles sont les
options envisageables pour répondre à cet objectif ? Des
réformes à fort impact, telle que le serait la réforme du
Code civil, ne doit alors pas être décidée dans la
précipitation et doit respecter l'exigence démocratique. Il ne
faut pas céder à la pression médiatique qui peut parfois
exiger des réponses immédiates à tous les
problèmes. La volonté d'une loi démocratique doit
primer.
175. Une loi démocratiquement fabriquée, un
Code civil réformé, doit également s'envisager à
travers la collaboration de l'ensemble des citoyens. C'est une approche que
l'on peut qualifier de « sociologie juridique »230. L'on
peut analyser l'intérêt d'une réforme, sa
nécessité, aux travers de types de quantification à savoir
les statistiques et les sondages. Quoi de plus démocratique que de
demander leur avis aux citoyens à propos d'une réforme ? La
qualité de la loi, de la réforme, en dépend231.
Cette démocratie peut également être trouvée dans la
consultation d'acteurs extérieurs tels que des universitaires ou des
experts de la société civile : la pluridisciplinarité est
essentielle, la qualité de la loi passe ainsi par la consultation
d'acteurs divers. L'exemple le plus criant est celui des pratiques nouvelles
d'élaboration participative : consultations ouvertes sur internet,
enquêtes de terrain. Ces techniques, couplées à celles des
études d'impacts, permettent d'apporter des réponses au besoin
de
228 Voir sur ce point « Une loi de bonne qualité est
avant tout une loi démocratiquement fabriquée », art.
préc.
229 Pour plus de détails voir le guide de
légistiqiue, 2007, Légifrance.
230 En référence à l'ouvrage de J.
Carbonnier, Sociologie juridique, ouvr. préc.
231 Sur ce point voir les développements de J.
Carbonnier, ouvr. préc. à propos des techniques de réforme
: sondages, statistiques, analyse des médias, l'observation, analyse des
données etc.
Réformer le Code civil 72
légiférer232, surtout elles mettent
en exergue les blocages et aident à faire émerger les besoins de
la société civile.
176. Enfin, il convient de ne pas oublier le rôle
créateur de la pratique dans le processus d'élaboration de la
norme juridique233 : la pratique est une source incontestable de
droit et rejoint l'idée de démocratie. En effet, il s'agit de
consulter de nombreux acteurs et domaines juridiques concernés par
l'élaboration d'une nouvelle norme, ici la réforme du Code civil.
Devraient ainsi être considérées les pratiques juridiques
des avocats, des notaires et de l'ensemble des professions du droit civil, du
droit en général afin de combler certaines défaillances et
offrir une réforme de qualité. Il y a du fait dans le droit et il
ne faut pas l'ignorer sous peine d'affecter la qualité d'une loi, d'une
réforme.
177. L'ensemble de ces méthodes vise à
vérifier la complexité et les impacts d'un projet de texte. La
réforme du Code civil ne devra pas ainsi échapper à cette
exigence démocratique : un Code civil réformé doit
nécessairement revêtir des qualités exceptionnelles, celles
justement qui font défaut aujourd'hui. La démocratie est alors
essentielle, mais non exclusive. Ce qui confère définitivement
à un code sa légitimité démocratique, c'est le
débat politique, indispensable. Un nouveau Code civil ne peut
s'élaborer sans une forte volonté politique, cependant celle-ci
doit être modérée au risque d'entraîner de graves
dérives.
B - Nécessité et dérives d'une
forte volonté politique
178. « La codification exige une volonté
politique forte »234, cette affirmation que l'on doit à
Rémy Cabrillac sonne juste : sans volonté politique forte, la
codification est impossible. Appliquée à notre étude, cela
conduit à énoncer que la réforme du Code civil doit
nécessairement être portée par une forte volonté
politique. Par le passé, l'Histoire a montré de nombreux exemples
de cette illustration : projets abandonnés par faiblesse ou
indifférence, codes imposés à l'arraché par un
pouvoir sûr de lui et déterminé. Disposons-nous aujourd'hui
d'une volonté politique assez puissante, au moins autant qu'en 1804,
afin d'aboutir à une refonte globale du Code civil ?
179. Si notre Code civil a vu le jour en 1804, c'est
précisément en raison de l'insistance de Napoléon
Bonaparte. A l'inverse, en 1946 l'échec de la révision
générale du
232 A. Outin-Adam ; A.-M. Reita-Tran, « Excès et
dérives dans l'art de légiférer », D. 2006.
p. 2919.
233 « Le rôle créateur de la pratique dans
l'élaboration de la norme juridique », Gaz. Pal., 18 avril
2013, n°108, p. 23.
234 R. Cabrillac, « Recodifier », RTD Civ.
2001. p. 833
Réformer le Code civil 73
Code civil français au lendemain de la seconde guerre
mondiale est en partie liée au manque d'audace des pouvoirs publics.
Ainsi, l'importance d'une volonté politique dans l'entreprise de
codification, en l'espèce dans l'entreprise de réforme, est une
réalité. Au-delà de rationaliser un système
juridique, de demeurer une oeuvre cohérente, un ensemble construit, un
nouveau Code civil doit être souhaité politiquement afin de faire
aboutir le processus. Echapper au débat politique est impossible, ce
dernier confère à tout code sa légitimité
démocratique. Cependant, l'on peut se demander, et certains auteurs
l'ont fait avant nous235, si la codification, mieux, la
recodification, n'est pas plutôt une ambition de despote
éclairé. Tel est le risque d'une trop forte volonté
politique, celui de réduire à néant la dimension
démocratique d'une loi, d'une réforme.
180. Il nous faut dénoncer le recours
à des procédés tels que l'ordonnance afin de
réformer le Code civil. Un nouveau code, pour continuer ou plutôt
redevenir la « Constitution civile » d'un pays, doit recevoir la
caution des représentants du peuple. Combinaison entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif, l'élaboration de la loi
est complexe. Aujourd'hui, une forme est particulièrement
appréciée et donne une part belle à l'exécutif : le
recours à l'ordonnance. Légiférer c'est ainsi faire de la
politique. Que fait-on alors de la démocratie, rabattue au second rang ?
La réforme du Code civil doit certes être le fruit d'une
volonté politique, cependant elle ne doit pas constituer un moyen de
faire de la politique. Le recours à l'ordonnance n'est pas la solution
si l'on veut une réforme de bonne qualité.
181. Prise en application de l'article 38 de
la Constitution (celui-ci permet au gouvernement de demander au Parlement
l'autorisation de prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi), une loi de 1999236 a changé la donne.
Ainsi, cette loi a habilité le gouvernement à procéder
à l'adoption de la partie législative de neufs codes
publiés au cours de l'année 2000237. L'idée est
que l'ordonnance serait l'outil approprié à des réformes
lourdes en expertise juridique et pauvres en décision
politique238. Tel n'est pas le cas de la réforme du Code
civil qui revêt incontestablement une forte dimension politique. Le
recours à l'ordonnance pour mener à bien la réforme
paraît ainsi inenvisageable. Si l'on veut que le code devienne à
nouveau « la constitution civile des français » l'on doit y
235 Notamment M. Grimaldi « A propos du bicentenaire du
Code civil », in Mélanges Blanc-Jouvan, art. préc.,
spéc. n°5.
236 Loi n°99-1071 du 16 décembre 1999 portant
habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnance, à
l'adoption de la partie Législative de certains codes.
237 Codes de l'éducation, de la santé publique,
de l'environnement, de commerce, de justice administrative, de la route, de
l'action sociale, ainsi que du Code rural et du Code monétaire et
financier.
238 P. Deumier, « Le code civil, la loi et l'ordonnance
», RTD Civ. 2014 p. 597.
Réformer le Code civil 74
toucher par la voie parlementaire : « le droit civil est
au coeur de la vie quotidienne des français, et donc relève du
Parlement ; la réforme soulève des questions de politique
juridique, et donc relève du Parlement »239.
182. Malheureusement, ce n'est pas le souhait
du législateur moderne que de faire une réforme alliant
démocratie et politique. En effet, par une loi du 28 janvier 2015, le
gouvernement a été habilité à réformer le
droit des contrats, des quasi-contrats, le régime de l'obligation et la
preuve, par voie d'ordonnance. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une réforme
de l'ensemble du Code civil (que nous souhaitons vivement), il s'agit tout de
même d'une réforme de grande ampleur en raison de son objet. Nous
regrettons alors la méthode240, le recours à
l'ordonnance, la mise à l'écart du Parlement. Cette
réforme, marquée idéologiquement, a fait le choix de
« l'économie administrée »241. Une
insécurité juridique et une incohérence ne peuvent
être que les conséquences néfastes d'un tel choix. Or, la
sécurité juridique et la cohérence sont les deux piliers
d'un nouveau Code civil, les deux caractéristiques majeures dont il ne
fait plus preuve aujourd'hui. Si une réforme accentue les défauts
actuels du Code, elle n'a pas lieu d'être.
183. A vouloir trop réformer, à
vouloir réformer rapidement, par le biais d'instruments politiques non
démocratiques, la réforme est vouée à
l'échec. Ainsi, la réforme du Code civil doit certes avoir pour
origine une volonté politique réelle, mais sans pour autant
bafouer l'exigence démocratique. Le moment est pourtant venu de
réformer : il semble en effet que notre pays, notre système
politique dispose d'une volonté assez vivace de réformer, que
l'on peut comparer à celle de 1804. Seulement, la méthode
à laquelle il convient de recourir pour réformer doit être
modifiée. Un choix plus démocratique conduira alors à
l'effectivité d'un Code civil nouveau.
184. L'alliance entre légistique et
politique, s'agissant de la réforme du Code civil, est sans conteste :
une loi de qualité ne peut s'envisager qu'à travers des
détails techniques scrupuleusement respectés, une vision du droit
étranger passant par une acculturation mais également et surtout
par une loi démocratiquement et politiquement fabriquée. Le
respect de ces éléments ne peut aboutir à autre chose
qu'à une réforme de qualité. Pour autant, il nous
239 P. Deumier, art. préc.
240 C'est également la position de N. Molfessis, «
Droit des contrats : l'heure de la réforme », JCP G,
n°7, 16 février 2015, doctr. 199.
241 N. Molfessis, ibidem.
Réformer le Code civil 75
faut envisager un second aspect de la réforme : sa
forme. En effet cette dernière postule du retentissement et du
rayonnement d'une loi nouvelle.
Section 2 - La forme de la réforme
185. Après la science de la réforme, les
méthodes à utiliser, doit être étudiée la
forme de la réforme. Alors, il faut répondre à la question
suivante : a-t-on besoin d'un code ? (1). Si la réponse
à cette question semble positive, il n'empêche qu'un nouveau Code
civil pose inévitablement des difficultés formelles
(2).
§1 - Interrogation sur le maintien d'une
codification
186. La codification en France est une vieille tradition,
« la loi parfaite, c'est le code »242 : oui, mais quelle
forme de codification ? Selon la doctrine, l'on distingue deux formes de
codification243. D'une part, la codification-compilation ou à
droit constant, d'autre part, la codification-innovation ou modification. La
première, qui se borne à remettre de l'ordre dans les
règles existantes, est totalement inefficace à l'aune d'une
réforme du Code civil (A). La seconde, qui reconstruit
le droit, est nécessaire et témoigne d'une réelle
nécessité d'un maintien d'une codification
(B).
A - Inefficacité d'une codification à
droit constant
187. Depuis de nombreuses années déjà,
la codification à droit constant tient une place considérable
dans l'élaboration de la norme juridique. Cette codification à
droit constant constitue certes une rupture dans les textes mais pas dans le
droit positif : autrement dit les textes antérieurs sont abrogés,
mais l'on assiste à une reprise de leur contenu, à l'exception
des textes obsolètes. Ainsi, le droit positif demeure. Cette
codification à droit constant constitue la pratique actuelle
française.
188. En raison de l'immobilisme du Code civil,
précédemment étudié, une législation
spéciale s'est développée244 : Code rural, Code
de commerce, Code de la consommation. S'agissant de ce dernier, la codification
du droit de la consommation a eu pour effet la transplantation de dispositions
du Code civil dans ce code spécial, comme si le Code civil ne
242 S. Guy, De la codification, Petites affiches, 12
mars 1997, n°31, p. 11.
243 L. Vogel, art préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 165.
244 Pour plus de détails voir Ph. Rémy, «
Regards sur le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 111.
Réformer le Code civil 76
pouvait conserver son statut de code commun qu'au prix de
cette redite. La codification spéciale qui s'est ainsi faite à
droit constant est alors « un aspect de la décodification civile
»245 . Il convient de dénoncer cette codification
à droit constant, dénoncer son inefficacité, bien
qu'aujourd'hui, la foi codificatrice de notre législateur s'y
réfugie.
189. Des arguments peuvent, contre toute attente, être
invoqués à l'appui d'une codification à droit constant.
Celle-ci permettrait d'élaborer des codes sans les ralentir, ou les
perdre, dans l'examen et les débats de toute réforme de fond.
C'est précisément l'intérêt d'une codification que
de débattre au fond, l'argument ne peut être entendu.
Réformer le Code civil au moyen de cette technique que constitue la
codification à droit constant n'est pas plus envisageable que la
technique de l'ordonnance. En effet, codifier à droit constant signifie
avoir la volonté d'appréhender l'ensemble du droit
régissant une matière donnée, celle-ci ne pouvant englober
que les dispositions législatives et réglementaires
émanant des autorités françaises (cette codification ne
peut seulement appréhender des textes que les autorités
françaises ont le pouvoir d'édicter, d'abroger, pour les
remplacer par des textes codifiés). Que faire alors de la masse des
sources contractuelles, jurisprudentielles, coutumières, internationales
et surtout communautaires ? Face à l'Européanisation du droit,
réformer le Code civil à droit constant est une ineptie.
190. Ineptie en raison des défauts de cette forme de
codification. Il s'agit d'une codification non créative, bureaucratique
dont découlent d'innombrables erreurs et infidélités.
L'actuel Code civil, défectueux, ne peut être remplacé par
une nouveau Code tout aussi infidèle à la réalité.
De plus, l'objectif premier d'une réforme est de faciliter la
connaissance du droit par tous, en le simplifiant et en le modernisant.
Là encore, cette forme de codification n'est pas adaptée. En
effet, est-ce améliorer l'accès au droit que d'empiler des lois,
sans remédier à leur incohérence ? La réponse est
évidemment négative. L'exemple le plus criant de l'échec
de la codification à droit constant est le Code de commerce. Ce dernier
se veut, après le Code civil, notre Code le plus général.
Aujourd'hui, l'on peut le résumer à une « collection de lois
particulières, sans rapports les unes avec les autres, dont la
cohabitation forcée, loin de faciliter l'accès au droit, le rend
en réalité plus difficile »246. Est-ce la
destinée que l'on souhaite pour un nouveau Code civil ?
245 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 112.
246 L. Vogel, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 166.
Réformer le Code civil 77
191. La recodification nécessaire ne saurait
être réalisée à droit constant247. Ainsi,
malgré les impératifs de rationalité justifiant son
recours, une recodification-compilation aboutirait à un fourre-tout
dépourvu de toute cohérence, qui supprimerait l'origine
historique, politique et factuelle de la norme codifiée, du Code
civil248. La recodification civile doit également être
pertinente, doit remplir l'objectif qui l'avait suscitée en assurant
l'adaptation d'un Code civil vieillissant à un monde nouveau. La
recodification-compilation détruit, par nature, toute entreprise de
réforme du Code civil, l'on n'accélère pas la modification
d'un code en le rationalisant, malgré l'avis des codificateurs
français contemporains249
192. La solution la plus naturelle, mais non des moindres,
est alors celle d'une véritable recodification du droit civil
français, l'inverse même d'une codification à droit
constant. L'innovation doit demeurer le maître mot de toute entreprise de
réforme. Recodifier est un art difficile, plus encore, « recodifier
est nécessairement autre chose que codifier »250. Parler
de recodification, de réforme du Code civil c'est déjà
faire le choix de la forme de la réforme : la
codification-innovation.
B Ð Nécessité d'une
codification-innovation
193. Réformer le Code civil c'est remplacer un
système existant par un autre et pour cela, seule la
codification-innovation convient. De plus, envisager une recodification par la
voie d'une codification-innovation c'est déjà conserver la forme
du code. La valeur symbolique de celui-ci demeurera, pour cette fois, un
argument positif : le Code civil a trop de valeur symbolique pour être
recodifié à droit constant. L'on touche alors, par le biais d'une
réforme, au contenu, et non au contenant. Ce phénomène
concerne les codes réussis dont on ne peut nier que le Code civil en
fasse partie. Il a été réussi, il n'est plus
adapté, une nuance doit être effectuée. Cependant, la
valeur symbolique du Code civil a conduit à sa stagnation. En stagnant,
le Code civil a perdu de son influence. Il convient aujourd'hui de se
détacher de la symbolique du contenant et de ne pas toucher à la
symbolique de contenu. La codification-innovation s'avère être la
méthode parfaite pour arriver à cette fin.
247 C'est également l'avis de C. Atias, Le code civil
nouveau, art. préc.
248 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.
249 « En fournissant aux auteurs de projets de
réforme une base de textes clairs, ordonnés et en vigueur, la
codification prépare la réforme et la simplification
ultérieure des textes », cf. Circ. du 30 mai 1996 relative à
la codification des textes législatives et réglementaires, art. 4
(JO 5 juin 1996, p. 8265).
250 Ph. Rémy, La recodification civile, art. préc.
p. 4.
Réformer le Code civil 78
194. Cette forme de recodification, par son ampleur, ne peut
s'inscrire que dans la durée. Elle peut évidemment ne jamais
aboutir, mais il s'agit d'un risque à prendre (une illustration de cela
a été précédemment évoquée : la
révision globale du Code civil à la Libération). La
contrainte « temps » n'en est pas réellement une puisqu'une
réforme entreprise lentement est gage de qualité. De plus, la
recodification-modification ou innovation favorise une élaboration plus
démocratique d'un texte. En effet, à la différence d'une
codification par ordonnance (le Code de commerce par exemple), celle-ci permet
à chaque acteur de la vie politique de pouvoir s'y associer
pleinement.
195. Notre société civile souffre aujourd'hui
d'une complexité et d'un vieillissement, elle a besoin
d'épuration et de rajeunissement. L'heure n'est plus à la
pérennisation, le droit doit aujourd'hui « créer les
conditions d'une véritable renaissance, d'un recommencement vers une
nouvelle alliance de la société, de la loi, de la jurisprudence,
de la pratique et de la doctrine »251. Le droit doit innover,
cette innovation passe par la réforme du Code civil. Le réformer
certes, mais conserver sa forme, tel est le compromis qu'il convient
d'effectuer. La codification en tant que forme de la réforme, est
nécessaire.
196. Un code reste encore le meilleur outil de travail d'un
praticien, surtout la forme compte autant voire davantage que le fond. Parfois,
la refonte d'un Code est essentielle, c'est le cas pour notre Code civil. Bien
opérée, une réforme peut se passer sans heurts, il s'agit
seulement d'utiliser les bonnes méthodes, celles que nous venons
d'évoquer. Il convient également d'éviter certains
pièges : codification à droit constant, réformer par
ordonnance, etc. De ces énonciations ressortent une idée
fondamentale : bien utilisée, la codification, la recodification, rend
la loi plus accessible.
197. Bien qu'une réforme du Code civil soit vivement
souhaitée, cette dernière ne signifie pas pour autant disparition
du Code civil252. La sécurité juridique, la
connaissance du droit applicable rendent indispensable un Code civil.
Seulement, son contenu doit être profondément modifié.
198. La méthode à adopter pour
légiférer est désormais claire : il s'agira de recodifier
notre Code civil en innovant et non en compilant. Cette innovation sera alors
gage de qualité, et de prospérité. Cependant, cette
étude sur le maintien ou non d'une codification doit être
251 C. Atias, ibidem.
252 Voir sur ce point B. Belloir-Caux, Code civil Mode
d'emploi , Ellipses, 2011.
Réformer le Code civil 79
corroborée par l'études des contraintes
intrinsèques qui s'imposent au législateur. Bien que des
difficultés formelles se rencontrent massivement lorsque l'on envisage
de réformer le Code civil, celles-ci restent en faveur d'une
recodification-modification.
§2 - Les difficultés formelles d'une
réforme du Code civil
199. L'art de légiférer est complexe lorsque
l'on s'attelle à « bien légiférer ». La
naissance d'un souci d'esthétique apparaît « dans les codes
qui portent à leur paroxysme le gout du beau droit »253.
Si le Code civil doit faire l'objet d'une réforme, celle-ci doit
revêtir des qualités exceptionnelles. En réalité, la
difficulté sur la forme n'en est pas une puisque, bien qu'il soit
tentant d'envisager une réforme partielle, autrement dit de simples
retouches, celle-ci serait gage de décodification (A).
Naturellement, la forme appropriée de la réforme est celle d'une
recodification globale (B).
A - Une réforme partielle et progressive gage
de décodification
200. Par réforme partielle nous entendrons
également réforme progressive, autrement dit une réforme
élaborée « petit à petit ». Certes, celle-ci
serait incontestablement plus rapide qu'une réforme d'ensemble, elle
favoriserait une actualisation instantanée du droit, qui permettrait de
suivre l'évolution sociale. C'est l'idée que le Code civil
pourrait se réformer par couches successives, par ajouts progressifs, au
gré des besoins. L'argument n'est pas inexact, cependant il porte en lui
l'absence de cohérence et de pertinence nécessaire à toute
réforme.
201. Il convient de déplorer la volonté
puissante de nombreux auteurs partisans d'une révision partielle et
progressive du code254. Pour certains, si la réforme
partielle du Code civil doit être privilégiée, c'est en
partie en raison de l'absence d'une volonté politique très forte
de réforme255. Cet argument ne convainc pas, aujourd'hui
notre gouvernement politique souhaite faire évoluer notre droit. Cet
argument doit toutefois être entendu, la volonté politique
actuelle envisage une réforme partielle, celle du droit des contrats. Si
réformer « petit à petit » est ainsi la
priorité, il convient d'espérer que cette entreprise se mue,
à terme, en réforme globale. D'autre part, la réforme
partielle et progressive devrait, pour ces mêmes partisans,
253 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.
254 Voir sur ce point Th. Revet, « La recodification
entre tradition et illusions », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc.
255 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot,
ouvr. préc., p. 114.
Réformer le Code civil 80
être privilégiée, en raison du symbole que
représente le Code civil256. S'en remettre à la
dimension symbolique afin de réfuter l'idée d'une réforme
globale est signe d'un défaitisme : le contenu doit être
modifié, cela n'engendre pas pour autant une modification du
contenant.
202. Cette révision partielle et progressive serait
plus sage, plus modeste, elle aurait ainsi plus de chance de succès. Si
l'on suit ce raisonnement, les vices du Code ne seront pas gommés. Or,
c'est de ça dont il s'agit : il faut remédier aux défauts
du Code civil et l'adapter à l'Europe. Une réforme partielle ne
peut être le théâtre d'une telle entreprise. En effet,
réformer et réitérer les erreurs du passé sont deux
phénomènes antinomiques. Rodent alors autour d'une recodification
partielle l'incohérence et l'impertinence, alors même que la
cohérence est inhérente au concept même de code. Une
recodification progressive menace incontestablement cette cohérence
d'ensemble d'un code, cohérence qui devra irriguer un nouveau Code
civil. Réformer partiellement c'est aussi réformer en raison de
considérations politiques : les modifications faisant l'objet d'un
consensus rapide feront l'objet d'une réforme, celles imposées
par la logique, l'urgence ou l'importance des matières
n'évolueront pas. Le propos est grave. De plus, une réforme
partielle, par petites touches, fait perdre son unité au code, le
transforme en recueil de droit civil. La recodification partielle est donc gage
de décodification.
203. Cette décodification par voie de réformes
partielles est pourtant en marche, en France, depuis de nombreuses
années déjà. En réalité, la réforme
du Code civil se fait chaque jour, sans que l'on y porte intérêt.
Le mouvement de révision du Code ne cesse de progresser257.
Réformer est ainsi un terme d'une banalité consternante,
lorsqu'il est appliqué au Code civil. Sa piètre posture actuelle
donne alors raison à notre propos : réformer progressivement et
partiellement, par petites touches, contribue à la ruine de notre «
Constitution civile ». Ici encore, certains se réjouissent de cette
méthode de réforme. En effet, à partir des années
soixante, des réformes ont vu le jour, notamment celles que l'on doit au
doyen Carbonnier. Elles ont certes ménagé l'unité du Code
civil, mais n'ont pas évité un décalage
considérable entre les différentes parties du code (cf. supra
§44 et suivants). Le doyen Carbonnier observe lui-même que « si
les réformes devaient ainsi se poursuivre sur des nouvelles
décennies, elles courraient le risque de se diluer en une espèce
de banalité législative : ce ne serait plus que des
numéros dispersés dans des bilans de sessions
256 J. Carbonnier, « Le Code civil », art.
préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 30.
257 Voir sur ce point C. Witz, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 700.
Réformer le Code civil 81
parlementaires »258. Ce qu'il redoutait
constitue aujourd'hui la réalité : la banalité d'une
réforme qui se fait chaque jour, et qui ruine la cohérence et
l'unité de notre Code civil.
204. Au plan national, réformer de cette façon
est la conséquence d'un manque d'ambition, d'un attachement au symbole,
d'un conservatisme détestable. Ce n'est pas rendre service à
notre actuel Code civil que de le réformer par petites touches. Ce n'est
pas d'une cure de jouvence dont le code a besoin259, il lui faut
repartir de zéro. Actuellement, son unité, sa cohérence,
son autorité sont affectés. En réalité, les
défauts du code et son inadaptation à l'Europe sont le fruit
vicié de cette méthode de réforme. Certes, conserver le
cadre du Code de 1804 (la forme) est une solution minimale, encore faut-il en
changer intégralement le contenu. De simples retouches apportées,
à la va-vite, par un législateur peu soucieux de sa plume, sont
alors à fuir formellement. En effet, « concevrait-on qu'on
confiât une réparation d'automobile Mors ou Mercédès
à un forgeron de village ? Voilà cependant ce que demandent les
jurisconsultes qui veulent qu'on révise le code civil à coup de
lois spéciales »260, cette allégation ne peut
mieux résumer la situation. Notre Code civil a fait son temps, il faut
désormais trouver le courage pour le réformer dans son
ensemble.
205. La recodification partielle n'est cependant pas à
évincer définitivement. En effet, bien que la réforme
globale constitue la méthode adéquate, une recodification globale
qui s'inscrit dans la durée ne peut éviter l'adoption de
réformes spécifiques temporaires, dans l'attente de
l'entrée en vigueur du nouveau Code civil261. C'est le prix
à payer pour éviter l'insécurité juridique
d'accroître. Malgré tout, le retour du prestige du Code civil est
incontestablement à rechercher à travers une réforme
globale.
B - Une réforme globale gage de
réussite
206. Une réforme globale présente des avantages
certains, si tant est qu'elle prenne la forme d'une recodification-innovation.
Elle maintiendrait l'unité logique de l'ensemble des dispositions du
code, voeu cher à notre étude tant l'unité actuelle du
Code civil est inexistante. Réformer, recodifier l'ensemble d'un droit
répond également au souci prédominant de cohérence.
Une recodification globale sera, sans conteste, plus soignée qu'une
recodification partielle. Il serait incongru de remettre en cause cette
idée.
258 J. Carbonnier, Essais sur les lois,
Défrénois, 2e éd. 1995, p. 17.
259 Telle était l'ambition de G. Cornu dans son
célèbre article « La lettre du Code à
l'épreuve du temps », in Mélanges offerts à R.
Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p. 174.
260 F. Larnaude, « Le Code civil et la
nécessité de sa révision », Livre du
centenaire, t. 2. p. 911.
261 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.
Réformer le Code civil 82
207. Les exemples de nouveaux codes, réformés
dans leur ensemble, ne manquent pas. D'une part, l'on peut envisager le nouveau
code civil du Québec. Préserver l'interdépendance
existant, entre les divers articles d'un code, constitue la raison qui a
conduit le gouvernement québécois à privilégier une
recodification d'ensemble. D'autre part, l'on peut citer le nouveau Code de
procédure civile français de 1975, salué unanimement par
la doctrine et par les praticiens. En effet, ce dernier conserve une
unité d'inspiration aux règles de la procédure civile
ainsi réformées dans leur ensemble. A ce propos, on a pu dire
qu'il s'agissait de l'exemple parfait de la réussite d'une codification
au sens vrai et plein du terme262. Ces exemples ne trompent pas : la
réitération du succès de ces réformes d'ensemble
doit être appliquée à la réforme du Code civil. A
l'inverse, et pour appuyer notre propos, l'on doit envisager l'exemple de la
recodification intervenue en Louisiane263. Le législateur a
préféré, plutôt qu'une réforme globale,
s'engager dans une recodification progressive. Au terme de son travail
décousu, il s'avère aujourd'hui qu'en Louisiane, toute
unité d'ensemble du code fait défaut. Ainsi, les exemples
étrangers de recodification et les tentatives de révision globale
du Code civil sont riches d'enseignements.
208. Certes, une réforme globale constituerait une
entreprise pharaonique, mais l'état actuel de notre Code la justifie.
Fort heureusement, cette refonte globale a trouvé des partisans, certes
moins nombreux que ceux favorables à une révision partielle,
pourtant gage de décodification. Ainsi, certains préconisent
l'adoption d'un nouveau Code civil, car un toilettage n'est plus
possible264, le tissu est usé. L'éclatement du droit
civil hors du Code civil rend également nécessaire la
réforme globale, alors que la recodification partielle aurait pour
conséquence néfaste l'adoption d'un « patchwork »
juridique265.
209. Une recodification-modification d'ensemble permet alors,
plus que des révisions successives, de faire évoluer un code,
tout en le plaçant au-dessus des phénomènes de mode. Des
écueils sont toutefois à éviter, un tri est
nécessaire entre « évolutions profondes et durables et
agitations éphémères et superficielles
»266. L'on pense ici à l'exemple du nouveau Code
pénal, auquel on a pu reprocher son manque de recul et surtout le fait
d'être trop ancré
262 J. Heron, « Le nouveau Code de procédure
civile », in La codification, sous la dir. de B. Beignier,
Dalloz, 1996, p. 81 et s. spéc. p. 82.
263 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot,
ouvr. préc., p. 113.
264 Voir sur ce point D. Tallon « L'avenir du Code civil
en présence des projets d'unification européenne du droit civil
», in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., p. 1003.
265 Voir sur ce point J.-L. Aubert, « La recodification
et l'éclatement du droit civil hors le Code civil », art.
préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 123 et
s.
266 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.
Réformer le Code civil 83
dans le présent, le législateur n'a pas su
codifier pour l'avenir267. Il convient, pour l'entreprise de
réforme du Code civil, d'en tirer des leçons. La réforme
devra, au-delà d'être tournée vers l'avenir, simplifier et
unifier le droit civil.
210. D'évidence, les travaux préparatoires du
nouveau code seront longs et difficiles : ne réforme pas le Code civil,
oeuvre symbolique par excellence, qui veut. Le nouveau Code civil, Code civil
du XXIème siècle, devra être la « source d'une
recomposition des grands ensembles et des catégories juridiques
fondamentales »268 : s'entrevoit la nécessité du
rétablissement d'une cohérence perdue. Animée par la
codification, la réforme peut voir le jour.
211. Elle peut voir le jour, mais quels domaines doit-elle
concerner ? La tâche consiste à prendre parti sur le concept
même de Code civil : un nouveau Code civil devra demeurer la charte de
l'ensemble des droits et obligations civiles du citoyen et non régir
l'ensemble de l'activité sociale des citoyens. La recodification d'un
nouveau Code sera alors fondamentalement innovante. Qu'il soit le Code civil
des personnes, de la famille, des biens et des relations
économiques269 ne fait pas de doute, mais doit-on
créer des codes autonomes ? L'on pourrait envisager, à la place
d'un Code civil, le morcellement de plusieurs Codes : un Code des biens, un
Code des personnes, un Code des obligations. Cela répondrait à un
souci d'homogénéité, cependant un tel
démantèlement n'est pas souhaitable selon nous. En effet, notre
société nécessite un corpus de droit privé commun :
le nouveau Code civil répondrait à cette attente. A ce nouveau
Code, l'on pourrait cependant adjoindre des Codes
spécialisés270, car le Code civil ne doit pas devenir
le réceptacle de règles pointues trop détaillées.
Sa lisibilité et sa compréhensibilité en
dépendent.
212. Afin de constituer, mieux, de demeurer à nouveau
le code par excellence, le Code civil réformé ne devra alors pas
se laisser absorber par la codification, il devra être le fruit d'un
travail soucieux d'épuration et de précision. Il ne doit pas
avoir pour ambition de contenir l'ensemble du droit, mais seulement le droit
commun fondamental. Le Code civil,
267 M. Delmas-Marty, « Le nouveau Code pénal
», Rev. sc. crim., 1993, p. 443 et s.
268 C. Atias, Le Code civil nouveau, art. préc.
269 J.-L. Aubert, « La recodification et
l'éclatement du droit civil hors le Code civil », art.
préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 136.
270 Voir sur ce point les développements de J.-L.
Aubert, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 137 et s. Selon cet auteur s'interroge sur le partage entre
droit commun et droit spécial. Il envisage par exemple un Code des
contrats spéciaux.
Réformer le Code civil 84
réformé dans son ensemble, a un avenir, à
condition d'être nettoyé et de voir ses lacunes
comblées.
213. Quel que soit le procédé
envisagé, partielle ou globale, la réforme du Code civil des
Français sera un processus très long. Une volonté
politique exceptionnelle est nécessaire, obligatoire. Cette
réforme devra être le fruit d'un travail démocratique,
travail qui devra également revêtir des qualités techniques
de grande qualité. De cela découle inévitablement une
idée fondamentale : « l'opération demande du souffle
»271. Cette méthode classique de réforme ouvre la
voie, plus convaincante, à une seconde méthode. En effet,
celle-ci est plus surprenante mais guère plus difficile. Il s'agit de la
codification européenne : l'avenir du Code civil est à rechercher
dans un Code civil européen.
271 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 118.
Réformer le Code civil 85
CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME
214. Le Code civil français, « en piètre
position (É), plus que l'ombre de lui-même, (É) à
bout de souffle272 », doit être rénové. Ce
Code civil, apparenté à la « constitution civile de la
France273 » souffre d'un tel vieillissement que sa
réhabilitation ne passe peut être pas, exclusivement, par une
entreprise de réforme dans l'ordre interne. Alors, sans laisser de
côté l'idée d'une réforme globale du Code civil, il
convient de s'interroger sur l'élaboration d'un Code civil
européen, ces deux idées n'étant pas exclusives l'une de
l'autre.
215. A défaut de volonté politique
réelle dans l'ordre interne à propos de l'élaboration d'un
nouveau Code civil, la solution européenne s'entrevoit274 :
faut-il un Code civil européen ? Cette question ne cesse d'agiter le
monde juridique en Europe, question essentielle qui est celle d'une
codification nouvelle. Le bicentenaire du Code civil avait déjà
été l'occasion, pour les hommes politiques comme pour les
universitaires, d'envisager l'élaboration d'un Code
européen275. La France, effacée sur la scène
nationale, ne rayonne plus par sa politique, son économie. De plus,
l'entreprise de recodification du législateur français est rendue
difficile en raison de l'européanisation du droit. Cette
européanisation du Code civil et la perte de rayonnement de ce dernier
rendent alors inéluctable la nécessité d'un Code civil
européen.
216. Comment élaborer ce Code civil européen ?
Deux voies possibles : la première consiste en l'harmonisation du droit
civil européen. Au sens commun du terme, « harmonisation »
signifie « l'action d'établir des proportions heureuses entre
plusieurs choses, de les mettre en accord, de les harmoniser, fait d'être
harmonisé276 ». Appliquée à notre
étude, harmoniser le droit civil européen reviendrait à
rapprocher les législations des Etats membres autour de principes
communs et constituerait ainsi un intermédiaire au but final, à
savoir l'unification277. La seconde, c'est l'unification. Unifier
consiste, au sens courant du terme, à réunir des
éléments afin d'en faire un tout homogène,
cohérent. Contrairement à l'harmonisation, l'unification du droit
civil européen ne laisserait plus de
272 D. Tallon « L'avenir du Code civil en présence
des projets d'unification européenne du droit civil », in
18042004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir,
Dalloz, 2004, p. 1009
273 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir,
Dalloz, 2004, p. 1045
274 D. Tallon, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil
un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 1004
et s.
275 Voir sur ce point les messages du Président de la
République, du Garde des sceaux, du Président du Sénat et
du président de l'Assemblée nationale, in Livre du
bicentenaire, ouvr. préc., p. 3 et s.
276 Dictionnaire Larousse, voir « harmonisation ».
277 Voir sur ce point les développements de S. Nadaud,
Codifier le droit civil européen, ouvr. préc.
278 A. Batteur, « Célébration du
bicentenaire du Code civil : regards d'un civiliste résolument optimiste
sur l'avenir du Code des français », CRDF, n°4, 2005, p.
171-178.
Réformer le Code civil 86
place aux législations nationales de chaque Etat
membre. Là encore, des obstacles apparaissent : unifier le droit civil
européen conduirait, a priori, à l'arbitraire et à
l'appauvrissement des droits nationaux.
217. L'élaboration du Code civil européen
semble ainsi demeurer un projet réaliste lorsqu'il s'agit de l'envisager
au travers l'harmonisation du droit civil européen
(Section1). Pour autant, une oeuvre d'unification, trop
souvent décriée, n'est pas à exclure (Section
2).
Section 1 - L'harmonisation du droit civil
européen
218. L'harmonisation du droit civil européen semble
constituer le mode de rapprochement le moins compliqué à mettre
en oeuvre s'agissant d'une mise en commun des législations
européennes. Pour cette raison, l'oeuvre d'harmonisation au niveau
européen est, depuis longtemps déjà, amorcée
(1). Cependant, bien qu'amorcée, cette harmonisation
reste inachevée car entachée d'obstacles quasi insurmontables
(2).
§1 Ð Une harmonisation amorcée
219. L'harmonisation du droit civil européen a pour
qualité première qu'elle laisserait aux Etats membres, un espace
de liberté. Cette idée est avant tout une oeuvre doctrinale
(A), oeuvre doctrinale qui constitue alors le support de
l'oeuvre institutionnelle (B).
A - Le Code civil européen : une oeuvre
doctrinale
220. Longtemps, la question de l'élaboration d'un Code
civil européen n'avait été envisagée que sous un
angle historique, théorique ou comparatiste, et non pas
juridique278. Afin d'étudier sereinement l'entreprise
phénoménale que constitue l'élaboration d'un Code civil
européen, un rappel historique est ici nécessaire.
221. L'oeuvre d'harmonisation du droit civil européen
constitue avant tout une oeuvre doctrinale, avant même une oeuvre
institutionnelle. Les travaux des groupes de travail entrepris par des
universitaires ont eu pour objectif, depuis plus de quarante ans et à
travers l'élaboration des grands principes communs, l'harmonisation du
droit privé européen.
Réformer le Code civil 87
222. L'idée première d'une harmonisation du
droit civil européen nous vient, en 1974, d'un professeur à
l'Université de Copenhague, Monsieur Ole Lando. Il s'agissait d'une
harmonisation qui ne se matérialisait pas sous forme d'un code mais de
Principes de droit européen279 des contrats applicables selon
un choix des parties. Ces Principes ont alors été
élaborés par une Commission Lando280, mais ils avaient
la faiblesse ou du moins la modestie de n'envisager que le droit
européen des contrats. Le passage d'une harmonisation du droit
européen des contrats à l'harmonisation du droit civil
européen s'est fait, dans les années 2000, sous l'impulsion d'un
autre professeur, Monsieur Christian Van Bar. Cette Commission Van
Bar281 a été désignée par la Commission
mais également par le Parlement comme le groupe le plus légitime
afin d'élaborer des textes européens.
223. La prise de pouvoir doctrinal, dans l'entreprise
d'harmonisation du droit européen, ne doit pas être
négligée. Toutefois, ces travaux sont dépourvus de force
obligatoire, c'est pour cette raison qu'une combinaison est nécessaire,
celle d'une oeuvre doctrinale à une oeuvre institutionnelle.
B - Le Code civil européen : une oeuvre
institutionnelle
224. L'harmonisation du droit civil européen n'est
plus seulement une oeuvre doctrinale, aux mains d'historiens, de professeurs,
mais une oeuvre institutionnelle. De concert, le Parlement Européen et
la Commission Européenne282 ont oeuvré afin de mettre
en oeuvre cette idée de codification européenne. Des travaux
préparatoires ont été demandés par le Parlement
européen en 1989, en mars 2000 et en novembre 2001. L'entreprise
d'harmonisation européenne s'est réalisée sous
l'égide d'une doctrine déterminée avant
d'intéresser les autorités communautaires. Le lien entre oeuvre
doctrinale et oeuvre communautaire, s'agissant de l'élaboration d'un
Code civil européen, est ainsi évident.
279 Principles of European Contract Law, Parts I and II
(éd. O. Lando and H. Beale), Kluwer, 2000. L'ouvrage contient une
version française des principes. La troisième partie est
publiée sur le site : http ://
www.cbs.dk./departments/law/staff/ol/commision-on-ecl/index.html.
280 Sur le fonctionnement de la Commission Lando, cf. D.
Tallon, membre de la Commission, Vers un droit européen des contrats,
in Mélanges Colomer, Litec, 1993, p. 464.
281 Chr. von Bar, Le Groupe d'études sur un Code civil
européen, RID comp. 2001.127. Le 12 avril 2002, le professeur
von Bar a prononcé une conférence à la Cour de cassation,
intitulée Vers un Code civil européen ?, traduite et
publiée dans les Annonces de la Seine, 3 juin 2002, n° 33, p. 1.
282 Cf. la communication de la Commission au Conseil et au
Parlement concernant le droit européen des contrats, JOCE 13
sept. 2001, C 255/1 ; la résolution du Parlement, du 26 mai 1989 sur un
effort de rapprochement du droit privé des Etats membres, JOCE C 158/400
; la résolution du 6 mai 1994 sur l'harmonisation de certains secteurs
du droit privé des Etats membres, JOCE 1994, C 205/518 ; la
résolution du 15 nov. 2001 du Parlement européen concernant le
rapprochement du droit civil et commercial des Etats membres,
procès-verbal du 15 nov. 2001 [COM(2001) 398 - C5-0471/2001 -
2001/2187(COS)].
Réformer le Code civil 88
225. Le Parlement et la Commission étaient investis
d'une même mission : la codification du droit civil européen. Sous
l'impulsion du Parlement européen, les choses
s'accélèrent, la Commission européenne prenant le pas et
appelle, en juillet 2001, à une consultation des juristes sur la
nécessité d'élaborer un droit européen des
contrats. Cependant de nombreux différents ont vu le jour. Le Parlement
critique la Commission Européenne qui s'est limité au seul droit
des contrats, il déplore ce positionnement et revendique sa
volonté d'un véritable droit privé commun européen.
Pour cela, un calendrier est fixé283 : en moins de 10 ans il
convenait d'élaborer des textes en matière de droit privé
fixant des règles communes aux Etats membres, les enseigner en
faculté puis adopter des règles relatives au droit des contrats.
Le constat est sans appel : un Code civil européen ou du moins
l'harmonisation du droit européen ne peut se faire dans la
précipitation.
226. En outre, indépendamment de cette entreprise de
codification, l'harmonisation du droit civil européen trouve sa source
dans le travail des juges européens et notamment des juges de la Cour de
justice des communautés européennes. Cette dernière fait
peu à peu émerger des principes généraux qui
conduisent au rapprochement des législations nationales. L'on ne peut
parler de « juges unificateurs », mais le terme de « juges
harmonisateurs » paraît alors approprié.
227. Cette oeuvre institutionnelle que constituerait un Code
civil européen doit être envisagée au regard de ses effets
sur le droit international privé. En effet, le choix d'un Code civil
européen apparaît contradictoire avec l'idée même du
droit international privé, ils diffèrent tant au niveau de leurs
sources que de leurs buts et leurs finalités284. La
diversité est la raison d'être du droit international
privé, à l'inverse, le but du droit communautaire est d'aboutir
à un droit commun des Etats membres285. Sur le plan
européen, le remède à la méthode des conflits de
lois serait le Code civil européen, le droit international privé
serait alors réduit à une peau de chagrin286.
Cependant, ce constat est exagéré. En effet, l'adoption d'un Code
civil européen n'aurait pas inévitablement pour
conséquence d'aboutir à l'élimination du droit
international privé, en raison d'une part de la nature même de
l'ordre
283 Pour un détail de l'historique voir Y. Lequette,
« Vers un Code civil européen ? », in Pouvoirs,
n°107, Le Code civil, p. 98.
284 E. Ralser, « Pluralisme juridique et droit international
privé », R.R.J. 2003, n°4, page 2549
285 P. de Vareilles-Sommières, « Un droit
international privé européen ? », in Le droit
privé européen, Economica, 1998, p. 136.
286 Pour A. Bodénès-Constantin, si la
perspective d'un Code civil européen se concrétisait, «
on arriverait à terme à une suppression de tout ou partie des
conflits de lois en Europe », La codification du droit
international privé français, Defrénois, Coll.
Thèses Doctorat et Notariat, Tome 11, 2005, p. 16.
Réformer le Code civil 89
juridique européen, à savoir un ordre
dépourvu de règles de complétude matérielles et
d'autre part en raison de la dualité entre les règles d'un
possible Code civil européen et les règles conflictuelles
communautaires287.
228. Le conflit entre droit européen et droit
international privé n'est pas l'enjeu principal du projet d'un Code
civil européen. En effet c'est la délimitation de la codification
européenne qui apparaît comme l'enjeu majeur, enjeu qui suscite de
telles interrogations288 que l'harmonisation européenne n'a
d'autre choix que de rester une oeuvre inachevée.
§2 - Une harmonisation inachevée
229. Malgré les tentatives d'harmonisation du droit
civil européen, certains efforts restent vains. Cela s'explique par la
pluralité d'arguments juridiques qu'il convient d'apporter pour
justifier l'élaboration d'un Code civil européen, arguments qui
peuvent apparaître contradictoires. En effet, si la
nécessité d'une union économique en Europe ne fait pas de
doute (A), celle de la création d'une culture juridique
commune est hautement contestée (B).
A Ð La création d'une union
économique
230. L'absence de compétence de l'Union
européenne afin de procéder à une unification du droit
privé (cf. infra §243 et suivants), l'oblige alors à
envisager l'harmonisation du droit civil européen aux moyens d'une
justification économique. La question à poser est simple et nous
l'emprunterons à un auteur : « une unification européenne du
droit, sous couvert d'intérêts exclusivement économiques,
est-elle de nature à fonder un véritable ordre
civil289 » ?
231. Ce projet d'une harmonisation du droit européen,
par le biais d'une union économique, suscite de nombreux débats.
La logique voudrait que l'Union européenne, avec sa monnaie unique,
aille de pair avec un droit unique, idée que l'on peut résumer
par la volonté de création d'un « euro droit
civil290». L'intensification des échanges communautaires
et leur libéralisation ne sont pas anecdotiques, le rapprochement des
législations européennes incite alors à envisager les
arguments économiques pour justifier l'élaboration d'un Code
civil européen. Cette élaboration, conforme à la politique
sectorielle d'harmonisation du droit,
287 Pour une vision détaillée voir S. Nadaud, ouvr.
préc., spéc. p. 383 et s.
288 Voir sur ce point D. Tallon « Grandeur et
décadence du Code civil », in Mélanges offerts à
Marcel Fontaine, p. 292.
289 Y. Lequette, « Vers un Code civil européen
», ouvr. préc., p. 101.
290 J. Huet, « Nous faut-il un « euro » droit
civil ? » D. 2002, p. 2611.
Réformer le Code civil 90
a eu, sous l'égide de la Commission européenne,
pour but la réalisation d'un marché unique sans
frontières. C'est pour cette raison qu'elle s'est bornée, lors
d'une communication en juillet 2001, au seul droit des contrats. Pour la
Commission, la coexistence des législations civiles entrave le bon
fonctionnement du marché intérieur. La multitude de droits
nationaux mais surtout leur divergence freinent les transactions. Cet argument
constitue ainsi le fondement d'une action communautaire s'agissant du droit
européen des contrats. Pour les partisans d'un Code civil
européen, comme peuvent l'être le Parlement et la Commission,
l'argument économique semble être le plus légitime. Pour
autant, ses faiblesses ne peuvent pas être ignorées.
232. Si l'harmonisation du droit civil européen reste
inachevée c'est en partie, mais pas seulement, en raison de la
faiblesse291, du moins de l'incertitude, de cette justification
économique.
D'une part, la justification économique est aux
antipodes de notre vision franco-française. Pour les plus opposés
à la thèse d'un Code civil européen, le Code civil
constitue un « tout292 ». L'idée d'un Code civil
européen élaboré en raison d'une nécessité
d'union économique paraît ainsi appauvrir la tradition
française. Le droit civil, dans sa dimension la plus large, envisage la
complexité et la diversité du citoyen, il n'est pas réduit
à un simple produit économique. Mais n'est-ce pas cela
l'évolution, à savoir s'adapter à la réalité
sociale ?
D'autre part, les opposants à la thèse d'une
union économique justifiant l'harmonisation du droit européen
soutiennent également l'exemple des Etats-Unis. Il s'agit du
marché intérieur le plus dynamique au monde, en l'absence d'un
droit civil unifié. Certes, mais la législation civile aux
Etats-Unis est diamétralement opposée à celle de l'Europe,
et leur volonté du pluralisme de législation s'explique par leur
tradition. En effet, dans un pays de common law, la codification n'est
pas naturelle. De fait, l'harmonisation du droit européen doit se faire
au regard des caractéristiques propres de l'Union européenne.
233. Limitée au seul droit des contrats (cf. infra
§268 et suivants), l'argument économique se justifie puisqu'il
s'agit d'envisager des matières telles que le droit des contrats, de la
responsabilité, des sûretés mobilières et des quasi
contrats. De plus, l'acquis communautaire en la matière est riche
(commerce électronique, directives etc.). Recouvrir le droit des
contrats au sens large est alors nécessaire. L'harmonisation du droit
des contrats
291 Pour une vision détaillée voir B.
Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil européen ?
», RTD Civ. 2002, p. 463.
292 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », art préc.
Réformer le Code civil 91
garantirait le bon fonctionnement du commerce
intra-européen mais également la bonne exécution des
contrats. La réalisation d'un marché unique exige alors,
inévitablement, l'harmonisation du droit par les instances
européennes.
234. Cette harmonisation du droit européen peut
cependant être considérée comme inachevée puisqu'il
est difficile de justifier, d'un point de vue économique, son
étendue à l'ensemble du droit civil européen. En effet, il
peut sembler ardu de justifier l'harmonisation du droit de la famille avec
l'argument économique. Pour autant, il existe un argument contre cette
idée selon laquelle le droit du marché européen n'est pas
intéressé par le droit de la famille, il s'agit de l'argument
fondé sur la libre circulation des personnes. L'on peut citer comme
exemple l'affaire Carlos Garcia Avello contre l'Etat
belge293 relatif au nom, arrêt qui justifie un
début du droit européen de la famille.
235. Malheureusement, cet inachèvement trouve
également sa source dans un second argument, plus vigoureux encore. Une
justification d'une l'harmonisation du droit civil européen par la
création d'une culture juridique semble, de prime abord, peu
convaincante.
B Ð La création d'une culture juridique
commune
236. Au travers l'élaboration d'un Code civil
européen, une harmonisation est nécessaire, mais cette
harmonisation ne peut se faire sans la création d'une culture juridique
commune et c'est là le coeur du débat. « Alors que
l'adoption du Code civil des Français a couronné une unité
nationale qui s'était progressivement forgée au fil de plus de
dix siècles d'histoire et qui avait été
préparée par un long et minutieux travail de rapprochement des
coutumes entre elles et avec le droit écrit, ce qui avait permis une
véritable synthèse, on nous propose d'unifier le droit civil
entre des peuples dont même les plus ardents défenseurs de
l'idée européenne reconnaissent qu'ils ne constituent pas pour
l'heure une nation294 ». Le paradoxe est ainsi identifiable :
sans une Europe juridique construite, en l'absence de cohérence de
l'ordre civil européen, l'élaboration d'un Code civil
européen serait vouée à l'échec.
237. En premier lieu, il convient d'envisager le terme «
culture » au sens large, à savoir « l'ensemble des
phénomènes matériels et idéologiques qui
caractérisent un groupe
293 Cour de justice de l'Union européenne, C-148/02,
Carlos Garcia Avello contre Etat belge, Recueil 2003 p I16613
294 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre (1904-2004) », in 1804-2004, Le Code civil : un
passé un présent, un avenir, ouvr. préc., p.
31 et s.
Réformer le Code civil 92
ethnique ou une nation»295 . Relèvent
alors de cette définition les structures religieuses, sociales,
philosophiques. Le droit de chaque Etat membre résulte de sa culture
nationale, mais envisager une culture juridique comme symbole de l'unité
européenne ne revient pas à renier la culture juridique de chaque
Etat membre. La Charte des droits fondamentaux appuie ce raisonnement : «
l'Union respecte la diversité culturelle, linguistique et
religieuse296 ». Harmoniser le droit civil européen ce
serait, d'une part, rapprocher les législations nationales sans que ces
dernières ne soient contraintes d'abandonner leur propre culture
juridique et, d'autre part, créer une base commune au travers
l'élaboration d'une culture juridique européenne.
238. La diversité culturelle de l'Europe est source de
richesses, par ses traditions, ses langues, et ses droits. C'est là un
des atouts de l'Europe. En effet, le droit constitue une des composantes
fondamentales de la culture d'un Etat. Peut t'on alors respecter la culture
juridique de chaque Etat membre tout en élaborant un droit civil
européen créateur d'une culture commune ? Les détracteurs
d'une harmonisation européenne font primer l'idée d'un impossible
Code civil européen à travers cet argument culturel, notamment
d'un point de vue linguistique. En effet, il n'y aurait pas, selon eux, de
langue européenne, plus globalement de culture
européenne297. L'argument culturel apparaît alors
central dans ce débat, invoqué à tort afin de justifier
l'impossible Code civil européen à travers la préservation
du droit français, de notre culture juridique et de son inenvisageable
rapprochement avec les traditions de common law.
239. Plus modérément, certains auteurs
considèrent que cet argument culturel doit être adapté aux
différentes matières concernées par l'harmonisation voire
l'unification du droit civil européen298. Des droits tels que
le droit de la famille seraient à forte charge culturelle voire
émotionnelle à l'inverse du droit des contrats par exemple. Mais
n'est-ce pas là l'intérêt de la création d'une
culture juridique européenne ? Cette culture, symbole d'unité,
serait la solution au vieillissement de notre matière contractuelle. La
France a une codification à refaire et celle-ci, en passant par la
codification européenne et justifiée par une culture juridique
commune aux Etats membres, serait le remède adéquat.
295 La définition est empruntée au dictionnaire
Larousse
296 Art. 22, Charte des droits fondamentaux.
297 Voir sur ce point les développements pessimistes et
très critiques de G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un
instrument communautaire », D. 2002, art. préc.
298 B. Fauvarque-Cosson, « Faut-il un Code civil
européen ? », art. préc.
Réformer le Code civil 93
240. Il convient dès lors de se détacher du
défaitisme ambiant et d'envisager l'harmonisation du droit civil
européen comme facteur de paix, symbole d'une construction
européenne qui conduirait à la création de traditions
juridiques, de règles juridiques communes et qui à terme,
contribuerait à la création d'une véritable culture
juridique européenne. Bien sûr, il ne s'agit pas de tomber dans le
piège évident d'une précipitation, qui conduirait
inévitablement à l'échec d'une harmonisation, une culture
juridique européenne ne s'invente pas, elle se créée, et
il est évident que cette entreprise sera longue. Le pouvoir est aux
mains de l'enseignement : il faut revoir la façon d'enseigner le droit
civil et intégrer le droit comparé à la logique
pédagogique. Aujourd'hui, les programmes universitaires
d'échanges en Europe, tel Erasmus, sont de véritables vecteurs
d'union entre les citoyens ressortissants de chaque Etat membre de l'Union
européenne.
241. Lever l'obstacle de la naissance d'un droit commun
européen c'est alors concilier les spécificités
culturelles. Pour cela, l'Europe doit faire fructifier son remarquable
patrimoine, s'ouvrir et profiter d'apports juridiques nouveaux. Chaque Etat
membre devrait avoir pour volonté de s'enrichir des droits civils
voisins, s'inspirer des forces de chaque législation pour parvenir
à un meilleur droit, un droit civil européen. Il est une chance
d'appartenir à un système juridique tel que l'Union
européenne, les Etats membres doivent approfondir ces liens et tendre
à une culture commune au travers d'une harmonisation de leurs droits, ce
qui permettrait d'asseoir ce projet ambitieux qu'est l'élaboration d'un
Code civil européen.
242. Dès lors, accepter un droit civil européen
commun reviendrait-il, pour les Etats membres, à abandonner leur propre
droit ? Dans le cadre d'une harmonisation et au regard des
développements précédent, l'on peut répondre
négativement à cette question : harmoniser c'est concilier.
Cependant, dans le cadre d'une unification et non plus d'une harmonisation du
droit civil européen, une réponse positive à cette
même question doit être apportée. Pour cette raison et bien
d'autres, l'unification de l'ensemble du droit civil européen souffre
ainsi d'une difficile, voire impossible, mise en oeuvre.
Section 2 - L'unification du droit civil
européen
243. L'unification du droit civil européen induit la
réunification des politiques civiles des Etats membres de l'Union
européenne. Cette unification est confrontée à de tels
obstacles qu'elle rend utopique l'idée même d'un Code civil
européen (1). Pour autant, s'avouer
Réformer le Code civil 94
vaincu est inenvisageable, c'est pour cette raison qu'une
unification progressive de l'ensemble du droit civil européen
apparaît comme la solution réaliste (2).
§1 Ð L'utopique Code civil européen
244. L'utopie de l'idée selon laquelle il conviendrait
d'élaborer rapidement un Code civil européen tient à deux
éléments. D'une part, à l'absence de base juridique mise
à disposition par l'Union européenne, il s'agit alors d'obstacles
techniques (A). D'autre part, ces obstacles techniques
s'allient à un obstacle de taille : la politique. En effet, une
entreprise de codification est par nature, colorée politiquement
(B).
A Ð Les modalités techniques d'une
unification
245. L'idée selon laquelle la codification
européenne ne se fera pas en quelques années n'est plus à
démontrer : les enjeux sont tels qu'il convient d'élaborer un
travail de qualité irréprochable, afin d'asseoir la
légitimité d'un nouveau Code. C'est le propre de toute entreprise
d'unification du droit que de constituer un réel progrès, une
avancée. Actuellement, ce projet d'unification de l'ensemble du droit
européen se heurte à plusieurs obstacles, le principal
réside dans l'absence de base juridique susceptible de fonder un Code
civil européen, Code civil européen qui reste alors une
utopie.
246. La question qu'il convient inévitablement de se
poser, lorsque l'on envisage l'unification du droit civil européen, est
celle de la compétence des Etats membres. Les traités
européens actuels sont muets sur l'existence d'une base juridique pour
l'adoption d'un Code civil européen, pire, pour certains auteurs «
il n'existe aucune nécessité d'en prévoir
une299 ». Il existe des difficultés inhérentes
à la base juridique du Code civil européen, les obstacles
intrinsèques sont alors bien réels. Pour codifier, une assise
juridique doit être déterminée300, assise
juridique qui permettrait à l'entreprise de codification de
revêtir une légitimité.
247. Pourtant, la problématique de la base juridique
est très souvent ignorée. En effet, certains constatent
l'existence d'un texte fondateur d'une codification, d'autres
considèrent le débat stérile, pour les derniers « le
moment, venu, la compétence sera aisément établie au
299 B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil
européen ? », art. préc.
300 Sur cette question de la base juridique en droit
communautaire, voir B. Peter, « La base juridique des actes en droit
communautaire », R.M.C.U.E. 1994, page 324.
Réformer le Code civil 95
profit de l'Europe301 ». En
réalité, l'argument est évincé car il est complexe,
c'est cette complexité qui rend utopique l'élaboration d'un Code
civil européen. En effet, il faut composer avec le système
communautaire qui est spécifique au regard de notre système
normatif national.
248. Seule une compétence d'attribution est
dévolue au législateur communautaire, en vertu des principes de
subsidiarité302, de spécialité et de
proportionnalité303. Il ne peut ainsi exercer ses fonctions
que dans le cadre des dispositions prévues par les traités, et
ces principes proscrivent une lecture extensive des textes européens
invoqués au soutien de l'unification du droit civil européen.
Pour simplifier, le champ d'action de la compétence communautaire ne
cesse de diminuer. Sur quel fondement textuel doit-on alors asseoir
l'intervention communautaire ?
249. Les textes, les fondements, suggérés pour
appuyer l'intervention des institutions européennes pour
l'élaboration d'une unification des législations sont
principalement les articles 94 et 95 du traité des communautés
européennes (TCE). Ces textes constituent pour certains les «
pivots de la réalisation du marché intérieur304
», mais une unification du droit civil européen ne doit pas trouver
son fondement dans un seul argument économique. La base juridique
proposée est alors fragile. En effet il s'agit de textes incitant
à un rapprochement des législations, définition d'une
harmonisation et non d'une unification. L'article 94 CE ne permettrait donc
qu'une harmonisation. Il convient dès lors de l'écarter au profit
de l'article 95 qui pourrait conduire à une véritable
unification.
250. Cet article 95 octroie au Conseil la possibilité
d'arrêter, à la majorité qualifiée, « les
mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet
l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur
». Une fois de plus, l'argument est fragile : cet article revêt un
caractère subsidiaire par rapport à l'article 94 (« par
dérogation à l'article 94 CE et sauf si le présent
traité n'en dispose autrement, les dispositions suivantes s'appliquent
pour la réalisation des objectifs énoncés à
l'article 14 »). Cet article ne peut, de toute évidence,
justifier
301 B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil
européen ? », art. préc.
302 Art. 5, al 2, TCE « la Communauté agit dans
les limites des compétences qui lui sont conférées et des
objectifs qui lui sont assignés par le traité ».
303 Art. 5, al 3, TCE « l'action de la Communauté
n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs
du présent Traité ».
304 P. Malinvaud, « Réponse hors délai
à la Commission européenne : à propos d'un code
européen des contrats », D. 2002, chronique, p. 2544.
305 Pour un détail des arguments voir S. Nadeau,
Codifier le droit civil européen, ouvr. préc.
306 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », art. préc., page 351.
307 R. Cabrillac, « L'avenir du Code civil », J.CP
G. 2004, I, n°121, p. 549.
Réformer le Code civil 96
l'intervention communautaire sur l'ensemble du droit civil
européen, ce n'est ainsi pas la base juridique appropriée.
S'agissant du fondement textuel sur lequel il convient de s'appuyer,
pléthore de possibilités sont envisagées par la doctrine
et les institutions européennes305. L'on peut citer par
exemple les articles 65 et 308 CE, également les articles 11, 11A du
traité CE s'agissant d'un recours à une coopération
renforcée ou enfin les articles 17 et 18 CE à propos d'une
réelle citoyenneté européenne. Ce grand nombre d'arguments
textuels avancés constituent la preuve de la fragilité voire de
l'absence de base juridique d'une codification civile européenne. La
solution consiste alors dans la révision des traités
européens, révision qui aurait pour objectif d'étendre les
pouvoirs de la Communauté.
251. Cependant, cette absence de socle juridique, de base
juridique pour asseoir la légitimité d'une unification du droit
civil européen constitue t'elle le véritable obstacle ? Au
premier abord, la réponse semble être positive, notamment au
regard des développements précédents. En
réalité, le véritable obstacle à l'unification
trouve sa source dans le défaut de volonté politique commune.
B - L'obstacle au Code civil européen :
l'absence d'une volonté politique commune
252. L'obstacle majeur au Code civil européen
résiderait dans l'existence même du Code civil français,
plus précisément dans le symbole de ce dernier. De fait, pour
certains auteurs il n'est pas question d'envisager un Code civil
européen car cela touche à la souveraineté du droit
français. En tant que « monument306 » le Code civil
serait alors intouchable et de par sa valeur symbolique, l'on ne pourrait
l'abroger au profit d'une unification du droit civil européen
matérialisée dans un Code.
253. Il apparaît évident qu'une codification
accompagne l'unification et non l'inverse : la création d'une
véritable nation européenne doit intervenir avant même
l'élaboration d'un Code civil européen307. Cela se
vérifie avec l'exemple français : le Code civil de 1804 est venu
achever le processus d'homogénéisation entamé depuis le
Moyen Age. Sur la codification, il apparaît également que la
coexistence des Codes des Etats membres avec le
Réformer le Code civil 97
Code civil européen ne sera pas sans poser
problème. Si l'on se place du point de vue du Code civil
français, une « ineffectivité308 » de ce
dernier est à craindre.
254. La dimension symbolique du Code civil n'est pas à
elle seule, l'obstacle à la construction d'un Code civil
européen, elle va de pair avec la dimension politique. L'unification du
droit civil européen constitue-t-elle une étape de la
construction européenne ? Si oui, quelle est la volonté des Etats
membres ? Plus spécifiquement, existe-t-il une volonté politique
des Etats membres de l'Union européenne à l'élaboration
d'un Code civil européen ? En effet, derrière cette question
d'unification du droit civil européen se cache implicitement la
destinée même de l'Union européenne, de l'Europe.
L'unification du droit de cette dernière, au travers
l'élaboration du Code civil européen serait ainsi pour la France,
un moyen de restaurer sa vigueur sur la scène juridique internationale,
du moins sur la scène juridique européenne.
255. Le constat est sans appel : codifier, c'est faire de la
politique309. Au sens du droit de l'Union européenne, l'on
voit mal comment un Code civil européen pourrait être le symbole
d'un pouvoir normateur autonome, en raison de la construction
intrinsèque de l'Union : la réunion d'Etats membres.
Politiquement, l'Union européenne est ainsi « un objet politique
non identifié310 », mais cette nature pourrait
constituer sa force.
256. La question qu'il convient de se poser est alors la
suivante : qui soutient le projet du Code civil européen ? La
réponse est unanime : ceux favorables à une Europe
fédérale c'est-à-dire une « Europe construite sur le
modèle fédéral allemand qui suppose la dissolution des
Etats nations et leur éclatement en un certain nombre de
régions311 ». Cependant, de cette définition l'on
comprend que le fédéralisme n'impose pas l'unification du droit
civil, au contraire, ce modèle laisse à chaque état le
sort de leur propres règles de droit civil. Les opposants au Code civil
européen prônent à l'inverse une fédération
d'Etats-nations, Etats-nations dans lesquels chacun des peuples constituant
l'Europe conserverait sa législation civile donc son
identité312. Dans ce contexte, il apparaît clair que
n'est pas neutre, politiquement, un projet d'un Code civil européen. La
véritable dimension de l'unification de
308 R. Cabrillac, ibidem.
309 Pour J.-F. Niort, codifier est un acte éminemment
politique, in « Le Code civil dans la mêlée politique et
sociale - Regards sur deux siècles de lecture d'un symbole national
», RTD Civ., 2005, p. 259.
310 S. Nadaud, ouvr. préc., p. 230.
311 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre (1904-2004) », in 1804-2004, Le Code civil : un
passé un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 32. Sur
cette question voir également Y. Lequette, « Vers un Code civil
européen ? », Pouvoirs n°107, Le Code civil,
p. 116.
312 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », art. préc.
Réformer le Code civil 98
droit civil européen s'explique ainsi : «
derrière l'entreprise d'unification et de rationalisation du droit que
constitue une codification peut se dissimuler une « tentative
d'hégémonie »313 ». Malheureusement, l'Union
européenne est dépourvue de base juridique pour l'unification de
son droit civil, son emprise ne peut ainsi pas passer par l'imposition d'un
Code civil européen aux Etats membres. Ce serait faire une «
politique du fait accompli314 ».
257. L'absence de volonté politique pour
l'élaboration d'un Code civil européen doit être
combiné avec l'absence de nécessité politique. Le propos
est grave, la voie de l'instrument communautaire est fermée pour
l'élaboration d'un Code civil européen c'est-à-dire pour
l'unification de ce droit.
258. Au-delà de la vigueur des justifications
invoquées, l'absence de base juridique et de volonté politique
commune pourrait conduire à exclure l'idée même d'une
unification du droit civil européen. Cependant, l'on ne peut ignorer
l'internationalisation mais surtout l'européanisation du droit, qui rend
nécessaire une unification du droit européen. Il est
légitime alors de rechercher, avec un regard objectif, la meilleure
méthode à suivre pour conduire, à terme, à
l'élaboration d'une unification réussie,
matérialisée dans un Code.
§2 - L'ambition réaliste d'une unification
progressive
259. Les obstacles politiques et juridiques à
l'élaboration d'un Code civil européen sont tels que
l'idée d'une unification du droit privé européen semble
vouer à l'échec. Malgré le pessimiste ambiant, il convient
d'envisager la véritable solution à la perte de rayonnement et au
vieillissement de notre Code civil français. Cette solution consiste en
une unification progressive de l'ensemble du droit civil européen
(A). Malgré la vigueur des arguments en faveur de cette
solution, doit être envisagée une solution médiane, plus
réaliste, à savoir l'unification du droit européen des
contrats (B).
A - L'unification progressive de l'ensemble du droit
civil européen
260. Un droit civil européen unifié est
justifié juridiquement dans la mesure où l'unification est
porteuse de nombreuses qualités substantielles. Ces arguments en faveur
d'une unification doivent être étudiés, étude qui
constitue la preuve que l'unification est la solution. En premier lieu,
l'unification est, sans conteste, source de cohérence. En effet,
à
313 R. Cabrillac, Les Codifications, ouvr. préc.,
p. 138.
314 Y. Lequette, art. préc., Pouvoirs, 2007, p.
121.
Réformer le Code civil 99
l'inverse de l'harmonisation, qui n'a pas de vision globale du
droit civil européen, l'unification serait source de modernisation.
L'unification est donc vecteur de modernité, mais surtout de
sécurité juridique : l'unification des règles de droit
permet de faire l'économie des règles de conflits de lois
autrement dit de l'application du droit international privé. Enfin et
surtout, l'unification est, comme son nom l'indique, source d'unité. Ces
arguments n'emportent pas acceptation chez de nombreux auteurs, qui remettent
chacune de ces idées en question315. Pourtant, l'unification
du droit civil européen constitue une des seules voies possibles
à l'élaboration d'un Code civil européen, autrement dit la
codification postule de l'unification et non de l'harmonisation.
261. Il est nécessaire voire obligatoire d'inventer
une dynamique propre à la codification européenne,
c'est-à-dire de créer une manière originale de codifier le
droit civil européen. Avant d'envisager ce qu'il faut faire, il convient
d'éliminer ce qu'il ne faut pas faire, à savoir une codification
nationale du droit civil européen. La raison est simple : si l'on veut
créer un ordre juridique européen, du moins en matière
civile, il ne faut pas incorporer le droit européen aux droits nationaux
puisque cela serait synonyme de nombreuses dissemblances. De plus, si cette
codification avait lieu, elle le serait sur le mode d'une codification à
droit constant, méthode de codification dont nous avons rappelé
à maintes reprises son inefficacité. En éliminant cette
codification, la voie de la réforme est ouverte : la codification
à l'échelle de l'Union européenne s'impose. Mais par quel
biais ?
262. On a pu parler d'une codification «
transfigurée » 316 c'est-à-dire d'une codification qui
serait transformée tout en étant améliorée. L'Union
européenne souffre d'un besoin codificateur, codification qui serait la
source d'un droit civil européen cohérent. Cependant, il faut
réformer et non retranscrire. Autrement dit, seule une réforme du
droit civil européen conduirait à une
rationalisation317 de celui-ci. Il faut, en effet, combler les
lacunes et les incohérences. Surtout, un droit civil européen
matérialisé dans un code serait symbole d'une
sécurité juridique et d'une accessibilité au droit. Plus
encore, un Code civil européen rapprocherait les citoyens pour qui un
code serait synonyme d'un droit civil européen
315 Voir sur ce point B. Fauvarque cosson, art. préc.
316 S. Nadeau, ouvr. préc., p. 279.
317 Sur cette idée de « rationalisation » du
droit, voir C.-A. Morand, « Elément de légistique formelle
et matérielle », in Légistique formelle et
matérielle, PUAM, 1999, p. 25 et s.
Réformer le Code civil 100
démocratique318. L'Union européenne
doit donc entreprendre une nouvelle codification, adaptée à ses
besoins. Elle dispose de nombreuses possibilités.
263. La codification est donc la solution, mais que codifier
? Cette question est celle de l'étendue de l'unification. La voie
à privilégier est celle de l'unification progressive du droit
civil européen. Le terme unification est préférée
à celui d'harmonisation car harmoniser c'est équilibrer,
concilier, coordonner, autrement dit laisser une grande marge de manoeuvre aux
Etats membres. Or, là n'est pas la perspective d'un Code civil
européen, il faut donc unifier et non harmoniser.
264. Unifier certes, mais progressivement. Il est
nécessaire d'unifier l'ensemble des matières du droit civil
européen, mais cela ne peut se faire rapidement. C'est pour cette raison
que le droit patrimonial, le droit des contrats ainsi que l'ensemble des
matières civiles doivent être englobés dans l'entreprise
d'unification. Cependant, celle-ci doit être mise en place en
priorité dans les matières qui le nécessitent, par exemple
en droit des contrats et droit des sûretés : l'unification doit
être menée en priorité « dans les domaines où
la pratique exerce déjà une puissante fonction unificatrice
(É) et où l'impact culturel n'est pas trop fort
»319.
265. Cette unification devra alors être
instrumentalisée par le biais d'un code, code qui devrait revêtir
un haut niveau de précision mais surtout une réelle force
obligatoire. D'une part, cela passe alors par de grands principes
généraux, principes qui nécessiteront une
interprétation de la part de la Cour de justice de l'Union
européenne, compétente lorsque ces principes et leur
interprétation conduira à des résultats différents
en fonction de chaque juridiction nationale. D'autre part, la force obligatoire
de ce code devra être effective, tant à l'égard des parties
que des Etats membres. Deux obstacles seront à soulever : l'ignorance et
la méfiance. L'ignorance devra être résolue par une large
diffusion du Code civil européen. La méfiance, engendrée
par la création d'un droit anational, original, dont on ne connaît
ni la portée ni l'interprétation, sera plus difficile à
combattre. La seule solution, et non des moindres, c'est le temps
d'adaptation.
318 Le code « rapproche l'homme de son droit », P.
Malaurie et P. Morvan, Introduction générale au droit,
Défrénois, 2004, n°118 et 123.
319 B. Fauvarque-Cosson, art. préc.
Réformer le Code civil 101
266. D'autres solutions ou modalités sont
envisagées par la doctrine320, mais elles ne convainquent pas
puisqu'édictées au regard d'une justification économique
et non d'une vision globale du droit civil européen. Il est
nécessaire d'envisager l'unification européenne au moyen d'un
code avec force obligatoire, code qui s'intégrerait dans l'ordre
juridique de chaque législation nationale. Ce code doit donc être
rédigé, dans ce contexte il ne peut l'être aisément.
Pour cette raison, certains préconisent la création d'un institut
européen321, institut qui serait évidemment
indépendant et composé d'une multitude de représentants,
praticiens, juges, avocats, professeurs etc. Un tel projet, qu'est celui du
Code civil européen, ne doit pas être mené dans la
précipitation.
267. L'avenir de l'Union européenne est incertain et
ne repose pas sur de solides bases. De ce constat, il convient de se
réjouir de l'oeuvre de codification déjà
entreprise322. Cette codification européenne existe
aujourd'hui, sous la forme de projets avancés, à savoir un Code
européen des contrats.
B - L'unification du droit européen des
contrats comme solution médiane
268. Il n'est plus à démontrer qu'une
unification du droit européen est nécessaire, mais cette
entreprise comporte de nombreux obstacles, difficiles à surmonter. Pour
autant, notre Code civil ne rayonne plus sur la scène internationale, il
convient alors d'envisager une solution médiane à l'unification
du droit européen, à savoir l'unification du droit
européen des contrats.
269. L'idée d'un Code européen des contrats
fait face à tous les obstacles rencontrés : il est
justifié économiquement, et la création d'une culture
juridique commune n'est pas nécessaire. Cette idée est celle de
la Commission européenne qui, au travers de communications, a
souhaité mettre en place une unification du droit européen des
contrats323. Ces communications donnent un nouvel élan au
projet. Dans sa première communication, en
320 Voir notamment J. Huet, « Nous faut-il un « euro
» droit civil ? », D, 2002, p. 2611. Sur ces
modalités envisageables, elles sont selon lui au nombre de quatre et
applicables au regard d'une unification du droit civil européen des
contrats : « offrir aux agents économiques un modèle de
droit des contrats et des suretés, reconnu au niveau européen ;
(É) que les règles uniformes adoptées soient
proposées comme modèle aux législateurs nationaux ;
(É) prévoir des règles uniformes s'incorporant aux droits
nationaux, mais applicables uniquement aux opérations
trans-européennes ; (É) réaliser une uniformisation des
droits internes des Etats membres, dans les matières
considérées, afin d'éviter à une entreprise d'avoir
affaire à deux sortes de droits. ».
321 B. Fauvarque-Cosson, art. préc.
322 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
bicentenaire, ouvr. préc., p. 119.
323 En juillet 2001, la Commission a lancé une
consultation publique sur l'opportunité de mettre en place un droit
européen des contrats, Communication de la Commission au Conseil et au
Parlement européen concernant le droit européen des contrats,
JOCE, 13 septembre 2001, C 255/1.
Réformer le Code civil 102
juillet 2001, la Commission européenne
réfléchit aux options concevables mais surtout aux
dysfonctionnements du marché intérieur dus à l'inexistence
de règles communes aux contrats.
270. Une fois encore, une unification et non une
harmonisation est envisagée, la seconde solution étant gage de
« désharmonisation »324. Le droit des obligations
des Etats membres a été affecté, à plusieurs
reprises, de politiques sectorielles d'harmonisation, qui ont montré
leurs limites et leurs effets néfastes325. Les effets d'une
harmonisation sont donc limités, il s'agit de changements en surfaces et
non d'une véritable évolution. Une unification du droit
européen des obligations est alors vitale, encore plus lorsque l'on
précise que ce droit des contrats est, en Europe, un droit
fondamentalement éclaté, entre une dizaine de systèmes.
Cette diversité est, pour certains domaines, source de richesse. En
matière de droit des contrats, ce n'est pas le cas, il n'est pas
envisageable que des éléments centraux tels que la formation du
contrat, les clauses, la bonne foi, les effets du contrat soient régis
par les droits nationaux à l'heure d'une Europe du marché et des
consommateurs.
271. L'idée même d'un Code européen des
contrats suscite, en grande partie, les mêmes critiques que celle d'un
Code civil européen. Une des principales critiques demeure l'argument
culturel, mais également la nature même des droits nationaux. En
effet, la conciliation entre Common Law et Civil Law peut
sembler impossible. Cependant, le conflit se cristallise sur l'idée
même d'une unification : pourquoi unifier, gommer les différences
? Pour les tenants de cette thèse, il conviendrait d'accepter, de se
réjouir de la diversité et d'agir en vue de mieux la
gérer326. Enfin, l'argument économique est tout de
même invoqué, bien que nous doutions ici de sa
légitimité, tant il paraît logique qu'un droit unique
conduirait pour le moins, à réduire les coûts de
transaction.
272. Les arguments en faveur d'un Code européen des
contrats semblent alors plus convaincants, d'abord parce qu'avant même de
constituer des arguments, il s'agit d'un simple constat : les échanges
en Europe sont entravés par la diversité des droits nationaux.
L'aboutissement à un véritable marché unique en Europe ne
peut se faire sans droit unifié, un Code européen des contrats
est alors la solution. Il n'est pas superflu de rappeler que cette unification
du droit européen, même limité au droit des obligations,
nécessitera du temps, mais n'est pas utopique. Un code commun des
contrats, applicable à tous les pays de l'Union
324 C. Witz, Plaidoyer pour une code européen des
obligations, D. 2000, p. 79.
325 Par exemple, la directive européenne sur la
responsabilité du fait des produits défectueux, qui nuit à
la lisibilité du droit français.
326 A.-J. Arnaud, Pour une pensée juridique
européenne, PUF, 1991, spéc. p. 241 s.
Réformer le Code civil 103
européenne, constituerait un outil de qualité
pour confectionner un contrat, les diversités culturelles et
linguistiques ne peuvent ainsi être invoquées, il s'agit ici d'un
« faux-débat », de « faux-arguments » dans le seul
but d'objecter à une unification.
273. Une fois la nécessité d'un Code
européen des contrats démontrée, il convient de
déterminer son contenu, sa forme, son application. Ce possible code
devrait-il être l'unique contenu de règles applicables au contrat
ou devrait-il coexister avec les codes nationaux ? Si l'on envisage la
cohabitation de deux types de règles, des complications évidentes
apparaitraient, et cette idée n'est pas compatible avec l'idée
d'une véritable unification. Il faut alors, et le constat est rude,
mettre à l'écart les droits nationaux. Cette mise à
l'écart serait en effet la seule à garantir l'effectivité
d'un Code européen des contrats. Enfin, le terme « contrat »
est à étudier. En effet, il n'est pas synonyme «
d'obligations ». Si l'on unifie les règles contractuelles, une
unification des règles en matière de responsabilité
délictuelle est également nécessaire. S'agissant des
contrats spéciaux, l'unification semble inévitable. Il convient
ainsi d'envisager un Code européen des obligations et non d'un Code
européen des contrats. Certes l'ambition est plus grande, mais
l'effectivité de la réforme en dépend.
274. Cette réflexion sur le droit civil
européen des obligations doit également être l'occasion de
s'interroge sur notre droit des obligations en droit interne327. En
France, cette matière est quasi inerte et ne reflète plus
l'état de notre droit positif. Pour autant, aujourd'hui le
progrès est immense au plan interne au regard de l'avant-projet de
réforme du droit des contrats. La question à poser est la
suivante : est-ce une étape vers un Code européen des
obligations328 ? L'espoir est permis.
275. La véritable solution médiane est ainsi la
suivante : un Code européen des obligations, obligatoire pour les
parties et les Etats membres, se substituant aux droits nationaux et couvrant
tant les relations intracommunautaires que les relations
internes329. La tache semble ardue, presque insurmontable. Mais
l'unification du droit européen des obligations est nécessaire.
Cette unification va de pair avec une volonté politique forte, une
adhésion des gouvernements et des citoyens. Il est limpide que
l'unité juridique en Europe se fera, du moins en ce qui concerne la
matière contractuelle, cependant elle ne pourra se réaliser
327 J. Huet, art. préc., p. 2611.
328 C. Witz, art. préc., p. 79.
329 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson, art. préc.,
note 41.
Réformer le Code civil 104
qu'avec du temps, beaucoup de temps et avec comme base une
culture juridique européenne. Cette dernière reste aujourd'hui
à construire.
Réformer le Code civil 105
CONCLUSION GENERALE
276. De cette étude qui consiste à confronter
le monument historique qu'est le Code civil, à la
nécessité de le réformer, que faut-il retenir ? Des
éléments de réponse ont pu démontrer plusieurs
aspects que revêt aujourd'hui le Code civil. Cette position inconfortable
dans laquelle il se trouve a alors conduit à envisager la façon
de le réformer. Contrairement à d'autres330, nous
pensons que le Code civil ne correspond plus à ce que l'on attend d'un
Code aujourd'hui.
277. A la question « Pourquoi réformer le Code
civil », la principale réponse ne pouvait être que la
suivante : afin de remédier à ces défauts, de combler ses
lacunes. Toute entreprise de codification a pour but premier de simplifier la
loi et de la rendre accessible à tous. Or, le code civil est devenu si
complexe, en raison d'une inflation législative, d'un immobilisme, qu'il
ne revêt plus aujourd'hui une nature de code, mais de recueils de lois
civiles. Un recueil de lois civiles complexe, qui n'a pas su être
simplifié puisque la réforme d'ensemble n'est pas l'axe d'action
principal du législateur français. Complexe, mais aussi
vieillissante, l'oeuvre n'est plus aujourd'hui qu'un lieu de mémoire.
Son idéologie, son langage, sa forme et son fond sont aujourd'hui
dépassés au regard de la réalité sociale. Le juge
civil, normalement bouche de la loi, est alors devenu en l'espace de deux
siècles, maitre du Code civil. Sans réforme, cette
complexité et cette obsolescence perdureront, à l'heure ou
apparaît vitale une simplification et modernisation de notre droit
civil.
278. Remédier aux défauts certes, mais
également l'adapter à l'Europe : un tel argument constitue
l'enjeu majeur d'une réforme. Cette réforme est rendue
nécessaire en raison de la domination des sources internationales sur
les sources internes. La prolifération et surtout la dispersion de ces
sources rendent nécessaire une réforme du Code civil. A l'heure
de la montée en puissance des droits de l'homme, l'existence même
du Code est remise en cause. En effet, les droits de l'homme, droits
fondamentaux par excellence, le sont plus encore que ceux de l'ordre civil dont
le Code en est l'expression. Notre Code civil actuel n'a plus sa place dans un
monde ou l'affirmation de tels droits subjectifs permet la régulation
sociale. Il n'a plus sa place non en raison de l'émergence d'un
véritable ordre communautaire, d'une Europe du commerce dont la
législation rend le Code civil inadapté. Un « Code civil
330 L. Vogel, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 170.
Réformer le Code civil 106
des français » puisqu'il s'agit de cela
aujourd'hui, n'a plus sa place à l'heure de la construction
européenne.
279. Ainsi, la réforme du Code civil n'a pu être
envisagée qu'à travers deux voies. D'une part, une recodification
civile conduite au plan national. Celle-ci, afin de prospérer, devra
recouvrir des qualités techniques exceptionnelles, résulter d'une
forte volonté politique et d'un consensus démocratique.
Malgré cela, la question de la « forme de la réforme »
n'est pas à négliger. Qu'elle soit partielle ou globale, la
recodification civile au plan national devra nécessairement prend la
forme d'une innovation. En effet, recodifier à droit constant serait un
mal supplémentaire pour le droit civil français,
déjà affaibli.
D'autre part, la réforme du Code civil a pu et doit
être envisagée au regard d'une codification européenne.
Cela suppose bien sûr une révision des valeurs qui animent l'ordre
européen. Les difficultés de recodification interne et
d'incohérence que cela pourrait engendrer sont telles que
l'élaboration d'un Code civil européen constitue le remède
à tous les maux : un droit unique qui supprimerait toutes les entraves.
Le développement d'une identité juridique européenne est
nécessaire et pourrait conduire à unifier le droit civil
européen. Cependant, là encore, les obstacles sont nombreux.
280. Le coeur même du débat, au delà de
s'interroger sur « pourquoi et comment » faut-il réformer le
Code civil, a alors relevé du non-dit. Le terme de « réforme
» fait peur car le Code civil est « symbole d'unité », du
moins sa représentation. En effet, derrière la question du
maintien, ou de l'abandon du Code civil, c'est la destinée de la France,
plus encore, de l'Europe qui est posée331. « Masse de
granit » jetée par le Napoléon Bonaparte sur le sol de la
France pour conforter la nation332, le Code civil en tant qu'objet
constitue alors un obstacle de taille à la réforme, un obstacle
de poids face à la nécessité d'une unification
européenne.
281. Beaucoup, à travers le débat de la
réforme du Code civil, qu'elle soit nationale ou européenne,
sentent que c'est le coeur même du système juridique
français qui est en cause. Cependant, que la réforme prenne la
forme d'une réforme nationale ou qu'elle soit édifiée au
niveau européen, l'action est entre les mains des politiques. Tout au
long de cette étude, notre volonté a été de
démontrer la nécessité de la réforme, sans nier les
obstacles. Malgré cela, le pessimisme règne en maître
à l'heure où réformer demande une union politique
incontestée et
331 Y. Lequette, art. préc., 1804-2004, Le Code civil
un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p.
31.
332 J.-L. Halpérin, L'impossible Code civil, PUF,
1992, p. 265.
Réformer le Code civil 107
touche au défaut majeur de la France, son
conservatisme. L'ambition de notre étude était pourtant de s'y
refuser.
Réformer le Code civil 108
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Réformer le Code civil 110
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IV Ð JURISPRUDENCE
A Ð Cour de cassation
Ch. Req, 15 juin 1892, D. 1892, p. 596
Civ., 7 juin 1901, S. 1902. 1. 513, note Wahl
Ch. Mixte, 24 mai 1975, D. 1975. 497, concl. Touffait,
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Lequette
Civ. 2e, 19 novembre 1986, Bull. 1986 II
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Ass. Plén., 11 déc. 1992, JCP 1993. II.
21991, concl. Jéol, note Mémeteau
B Ð Cour européenne des droits de
l'homme
CEDH, 26 avril 1976, Sunday Times c/ Royaume-Uni,
série A, n° 30, Rec. p. 31, § 49 C.E.D.H. 30 janvier 1998,
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Marguénaud ; RTD Civ. 2000. 601, obs. Patarin
C.E.D.H. 19 septembre 2000, Gnahoré c. France,
Recueil des arrêtés et décisions 2000-IX/ 407 ; D.
2001. 725, note Rolin
C.E.D.H. 13 février, 2003, Odièvre c. France,
RTD Civ. 2003. 375, obs. Marguénaud
C Ð Autres juridictions
C.J.C.E. 25 avril 2002, D. 2002. 2462, note Ch.
Larroumet
C.J.C.E. C-148/02 Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil
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V - AUTRES REFERENCES
Guide de légistique, 2007, Légifrance. Dictionnaire
Larousse.
Réformer le Code civil 113
INDEX ALPHABETIQUE
(les numéros renvoient aux paragraphes ; ceux en
gras à une série de paragraphes)
A
Avant-projet : 19, 89, 168, 274
B
Base juridique : 244, 256 BGB :
166
C
Capitalisme : 55, 60
Chartes des droits fondamentaux : 112, 237
Citoyenneté : 250
Codification : 2, 40, 55,
87, 96, 135, 140, 150, 161,
178, 186, 207, 215, 224,
232, 239, 244,
253, 261, 277
Common Law : 69, 232, 238, 271
Compétences : 127, 144, 230, 246
Constitution
- Civile : 6, 11, 24, 34, 67, 74,
146, 180, 203, 214.
- Politique : 13, 24, 62
Contenant : 16, 32, 67, 98, 193, 201
Convention européenne des droits de l'homme : 94, 97,
100, 115
Corpus : 28, 60, 139, 211
Cour de justice de l'Union européenne : 96,
130, 226, 265
Coûts : 271
Culture : 14, 17, 154, 164, 229,
235, 269
D
Décodification : 36, 40, 140, 188, 199,
202
Démocratie : 66, 170, 194, 213, 262,
279
Directives : 125, 136, 233
Diversité : 12, 133, 232,
270
Droit
- Droit civil : 22, 28, 34, 44, 63,
83, 88, 121, 132, 166, 181, 192, 202, 208,
216, 234,
243, 252
- Droit de la consommation : 137, 188
- Droit de la propriété intellectuelle : 39
- Droit de la responsabilité civile : 19,
39, 75, 81, 88, 127, 233,
273
- Droit des biens : 19, 39, 55, 70, 88
- Droit des contrats : 55, 82, 89, 141, 168,
182, 201, 225, 264, 270
- Droit des contrats spéciaux : 39, 273
- Droit des obligations : 19, 39,
55, 126, 168, 270
- Droit des personnes et de la famille : 38, 65,
126, 142, 211, 234
Réformer le Code civil 114
- Droit des suretés : 3, 19, 233, 264
Droit constant : 140, 186, 261, 279
Droit international privé : 227,
260
Droit transitoire : 159
Droits de l'homme : 93, 100,
108, 115, 120, 278
Droits spéciaux : 33,
138, 160, 188, 204
E
Economie : 66, 70, 79, 86, 122, 142, 157, 182,
211, 229, 249, 260
Européanisation : 66, 92, 123, 132, 140, 150,
189, 215
F
Fondamentalisation : 103, 113, 123, 147
H
Harmonisation : 126, 216,
229, 259, 270 Hiérarchie des normes : 113, 143,
I
Individualisme : 65
Inflation législative : 43, 277
Innovation : 4, 50, 61, 90, 186, 192, 206, 279
Internationalisation : 140, 258
L
Langues : 238
M
Mayotte : 160
Mondialisation : 66, 132
Modernisation : 5, 20, 77, 87, 261, 277
O
Ordonnance : 9, 56, 89, 138, 159, 180
Ordre public : 63
P
Parlement européen : 224, 255 Principes
Unidroit : 145
Réformer le Code civil 115
Proportionnalité : 112, 248
R
Recodification : 4, 90, 136, 147, 150, 179,
191, 202, 279 Recueils : 2,
4, 9, 28, 34, 44, 75, 92, 202, 277 Règlements
: 9, 55, 63, 84, 118, 125, 159
Réhabilitation : 5, 214
Révision : 5, 18, 55, 150, 156, 179, 194,
201, 250, 279
S
Simplification : 20, 172, 190, 209, 248, 277
Sécurité juridique : 27, 42, 117,
157, 172, 182, 197, 205,
260
Socialisme : 55, 60
Souveraineté : 10, 84,
123, 169, 173, 252
Subsidiarité : 248
T
Titre préliminaire : 8, 12, 116
Tradition juridique : 14, 125, 167, 186, 232
Transactions : 231
U
Unification : 239, 242, 251,
268, 260 Uniformisation : 144
V
Volonté politique : 8, 170, 177, 183,
201, 213, 251, 275
Réformer le Code civil 116
TABLE DES MATIERES DETAILLEE
Liste des abréviations 3
INTRODUCTION 5
§1 - Sens de l'étude : le Code civil, une oeuvre
historique 8
§2 - Objet de l'étude : le Code civil, une oeuvre
dépassée 10
§3 - Finalité de l'étude : le Code civil, une
oeuvre à réformer 12
Première partie : Pourquoi réformer le Code
civil ? 15
CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS 16
Section 1 - La complexité 16
§1 - L'absence d'unité du Code civil 16
A - Un recueil de droit civil plus qu'une oeuvre
cohérente 16
B - L'éclatement du droit civil hors du droit civil
19
§2 - L'absence de sécurité juridique
conférée par le Code 22
A - Une inflation législative source
d'instabilité 22
B - Un immobilisme source de complexité 25
Section 2 - Le vieillissement 27
§1 - La constatation d'une désuétude 27
A - Une oeuvre de compromis entre capitalisme et socialisme
28
B - Une oeuvre désuète par ses notions et sa
forme 30
§2 - L'intégration des créations
prétoriennes : remède ou danger ? 33
A - Un droit civil aux mains du juge : une jurisprudence
normative 33
B - Les solutions au vieillissement : la modernisation
36
CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE 39
Section 1 - A l'Europe des droits de l'Homme 39
§1 - L'avenir du droit civil : les droits de l'Homme 39
A - Une frontière étanche entre droits civils
et droits fondamentaux 40
B - Une incompatibilité en pratique : la
subjectivisation du droit positif 42
§2 - La perte de légitimité du Code civil du
fait de la prédominance du
juge européen 45
A - Une subordination du Code civil à la jurisprudence
de la Cour
européenne 45
B - L'interprétation du Code civil aux mains du juge
européen 47
Réformer le Code civil 117
Section 2 - A l'Europe du commerce 51
§1 - Un Code civil désharmonisé par son
Européanisation 51
A - La législation européenne cause de
modification du Code civil 51
B - L'harmonisation européenne cause de l'atteinte
à la souveraineté du
Code civil 54
§2 - Les solutions à la désharmonisation du
droit civil français 56
A - Le Code civil entre intérêt et
indifférence pour le droit européen 57
B - L'avenir du Code civil face à
l'internationalisation du droit 59
Deuxième partie : Comment réformer le Code
civil ? 62
CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME 63
Section 1 - La science de la réforme 63
§1 - La réforme du Code civil : une question de
légistique 63
A - Les détails techniques d'une codification
réussie 64
B - Une codification réussie au moyen d'une
acculturation 67
§2 - La réforme du Code civil : une question
politique 69
A - Nécessité d'une loi démocratique
70
B - Nécessité d'une volonté politique
72
Section 2 - La forme de la réforme 75
§1 - Interrogation sur le maintien d'une codification 75
A - Inefficacité d'une codification à droit
constant 75
B - Nécessité d'une codification-innovation
77
§2 - Les difficultés techniques d'une réforme
du Code civil 79
A - Une réforme partielle gage de
décodification 79
B - Une réforme globale gage de réussite
81
CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME 85
Section 1 - L'harmonisation du droit civil européen
86
§1 - Une harmonisation amorcée 86
A - Le Code civil européen : une oeuvre doctrinale
86
B - Le Code civil européen : une oeuvre
institutionnelle 87
§2 - Une harmonisation inachevée 89
A - La création d'une union économique
89
B - La création d'une culture juridique commune
91
Réformer le Code civil 118
Section 2 - L'unification du droit civil européen
93
§1 - L'utopique Code civil européen 94
A - Les modalités techniques d'une unification
94
B - L'obstacle au Code civil européen : l'absence
d'une volonté
politique commune 96
§2 - L'ambition réaliste d'une unification
progressive 98
A - L'unification progressive de l'ensemble du droit civil
européen 98
B - L'unification du droit européen des contrats
comme
solution médiane 101
CONCLUSION GENERALE 105
BIBLIOGRAPHIE 107
Index alphabétique 112
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