CONCLUSION GENERALE
Depuis que l'aide internationale au développement
existe, on s'est légitimement interrogé sur ses fondements et la
mesure de son impact. Telle a été notre préoccupation tout
au long de ce travail, qui a porté sur l'Afrique subsaharienne.
Même si l'aide peut se justifier par la nécessité d'une
politique de redistribution à l'échelle planétaire, elle
vise un objectif fondamental : la lutte contre la pauvreté ou encore
l'amélioration des niveaux de vie dans les pays pauvres. L'aide semble a
priori ne devoir se justifier véritablement que par son impact à
ce niveau.
Pour atteindre cette cible, l'aide devrait permettre aux pays
pauvres où l'épargne est insuffisante, d'augmenter leur niveau
d'investissement pour favoriser la croissance économique. Le
décollage économique entraînera une amélioration du
revenu des couches défavorisées de la population, et
l'augmentation du revenu à son tour va entraîner des
progrès sur le plan social.
Malheureusement, plus de cinquante ans d'aide au
développement n'ont pas permis de faire baisser la pauvreté dans
le monde. Elle serait même en augmentation. La situation est même
inquiétante en Afrique sub-saharienne où on assiste à une
effective paupérisation de la population, avec une dégradation
constante des conditions de vie. Et pourtant, l'Afrique sub-saharienne est la
première région bénéficiaire d'aide dans le monde.
Pour élucider ce paradoxe, nous avons analysé l'impact de l'aide
internationale sur le niveau de vie des populations de la région.
Il ressort de cette étude que les pays de l'Afrique
sub-saharienne enregistrent depuis les années 1970, des
difficultés de croissance économique que l'aide au
développement n'a pas permis de résoudre. Les résultats de
notre analyse nous amènent à conclure que l'aide en Afrique
sub-saharienne n'a pas eu d'impact positif sur la croissance économique.
D'autres variables comme le niveau initial des revenus, la qualité des
politiques économiques suivies et la gouvernance en
générale paraissent plus déterminantes dans l'explication
du sentier de croissance économique de la région. L'aide
reçue n'a pas généré les effets escomptés.
Pour comprendre le phénomène de l'aide internationale en Afrique
subsaharienne, nous avons analysé les trois principales raisons qui
peuvent être à la base de son inefficacité. La raison le
plus couramment évoquée est l'insuffisance de l'aide. Nos
résultats dans ce travail, suggèrent que l'inefficacité de
l'aide en Afrique sub-saharienne ne dépend pas du volume de l'aide. Elle
serait surtout liée à deux grandes causes : d'abord la
qualité de la gouvernance dans le pays receveur, qui détermine
l'utilisation qui est faite de l'aide reçue. Ensuite l'incitation que
l'aide crée au niveau du receveur, et qui est liée à la
politique d'aide au niveau des
donateurs. L'inefficacité de l'aide internationale au
développement en Afrique subsaharienne est donc beaucoup plus un
problème de politique qu'un problème de volume.
Dans l'attribution de l'aide aux pays d'Afrique
sub-saharienne, le niveau des besoins et l'intérêt du pays
donateur sont les principaux critères déterminants. Le fait que
le niveau d'aide reçu dépende de l'étendu des besoins
semble normal. Mais lorsqu'on lui accorde trop d'importance, il est
néfaste; surtout lorsque le facteur d'efficacité n'est pas pris
en considération. Sans se préoccuper de la qualité de la
gouvernance ou de l'utilisation qui en sera faite (et donc du critère
d'efficacité), l'aide va beaucoup plus vers les pays dont la gouvernance
est moins bonne, mais qui ont des liens privilégiés avec les pays
donateurs ; et/ou qui ont un niveau de pauvreté élevé.
Ceci crée une désincitation à l'effort dans le pays
receveur et donc, n'encourage pas les gouvernements aidés à
entreprendre les réformes nécessaires pour le décollage
économique. L'aide internationale incite plutôt les gouvernements
récipiendaires à adopter des politiques appauvrissantes : «
plus ma population est pauvre, plus je reçois d'aide -- donc j'ai
intérêt à la garder pauvre ». L'aide crée ainsi
un problème d'aléa de moralité. Parce que l'aide soutient
des régimes peu favorables à un environnement
politico-économique sain, et qu'elle les encourage à adopter de
« mauvaises
politiques », elle ne peut promouvoir le
développement. Ceci expliquerait l'effet négatif de l'aide
internationale sur la croissance économique lorsqu'on a
intégré un indicateur de gouvernance dans notre analyse.
Une solution au « comportement » du receveur
(aléa de moralité) serait de conditionner l'aide à
l'adoption de politiques appropriées. Dans ce cas, le système de
l'aide fonctionnerait comme un marché où les pays receveurs
(considérés comme producteurs d'un bien qui est la
réduction de la pauvreté) feraient constamment des efforts pour
attirer les clients (les donateurs qui aimeraient avoir accès à
un maximum de biens (nombre de personnes tirées de la pauvreté)
pour chaque dollar de ressource (ou aide). Puisque l'aide irait alors vers le
pays qui l'utilise efficacement, elle va créer cette fois-ci une
incitation à l'effort. Les pays receveurs feront d'effort pour se
qualifier à l'aide ; ce qui va accroître la productivité de
l'aide internationale. On aurait ainsi des meilleurs résultats en terme
de développement global.
Malheureusement, de telles politiques ont souvent
échoué parce que les principaux donateurs ont du mal à
harmoniser leurs pratiques. Ils accordent trop souvent, plus d'importance
à leurs propres intérêts, et utilisent l'aide comme un
instrument de politique étrangère. L'aide sert souvent
d'élément de compétition entre les différents
donateurs dans les pays pauvres. Ce fut par exemple le cas de la RDC, l'ex
Zaïre où Mobutu Sésé Séko était
vaillamment soutenu par les grandes puissances et bénéficiait de
sommes importantes d'aide malgré le fait que les donateurs fussent
conscients qu'il utilisait cette aide non pas pour lutter contre la
pauvreté, mais pour s'armer contre son peuple de plus en plus
révolté. Lorsque la qualité de la gouvernance est faible
dans un pays pauvre donné, une bonne coordination au niveau des
donateurs est indispensable et permettrait non seulement aux populations
pauvres de bénéficier des ressources d'aide, mais aussi aux
donateurs d'amener le gouvernement aidé à entreprendre les
réformes nécessaires.
Burnside et Dollar (1997) dans une analyse sur un
échantillon mondial des pays en développement trouvaient un
coefficient « Aide-politique économique » positif et
significatif; ils concluaient que l'aide favorise la croissance quand elle est
associée à de bonnes politiques économiques.
Easterly, Levine et Roodman (2003) dans une analyse sur un
autre échantillon mondial, plus grand, avec une période plus
longue trouvaient un coefficient « Aide-politique économique »
négatif et non significatif. Ils remettaient en cause
l'efficacité de l'aide à favoriser la croissance, même
lorsqu'elle est associée à de bonnes politiques
économiques.
Dans notre régression sur l'Afrique sub-saharienne,
nous trouvons un coefficient « Aide-politique économique »
négatif et significatif. Cela voudrait dire que non seulement l'aide est
inefficace en Afrique sub-saharienne, mais elle est contre productive.
Alors que la politique économique a un effet positif et
significatif sur la croissance, l'aide vient curieusement détruire cet
effet. Ce qu'on peut suggérer ici est en référence avec
les trois positions exposées dans le chapitre 2 de la première
partie de ce travail ; la philosophie de la Banque Mondiale pour laquelle
l'aide est efficace, la position marxiste pour laquelle l'aide est une forme
d'exploitation, la position actuelle selon laquelle l'aide est inefficace. Nous
venons de voir qu'il est insuffisant de prétendre que l'aide est
inefficace. L'aide est perverse. Faut-il pour autant adopter la position
marxiste ? Doit-on condamner l'aide internationale ? Doit-on cesser d'aider les
pays pauvres?
Une alternative serait sans doute de tenir compte de la raison
que nous avons suggérée comme étant à la base de
cet effet pervers de l'aide sur la croissance économique. Nos
suggestions concernant le fait que l'aide favorise avant tout, la consommation
présente, et la consommation présente d'une classe de «
privilégiés » méritent un peu d'intérêt.
L'aide crée un cercle vicieux dans lequel, les dirigeants
«prédateurs» rassurés du soutien de leurs alliés
occidentaux, n'ont aucune incitation à assainir le climat de la vie
politique et économique de leur pays.
Les pratiques des anciennes puissances coloniales
créent une forme de clientélisme voire d'accaparement de l'aide
par des coalitions d'intérêts prédatrices. C'est ainsi que
l'aide devient perverse. En effet, si l'aide finance des régimes
corrompus, prédateurs, qui mènent de mauvaises politiques,
puisque ces derniers sont néfastes pour la croissance économique,
il y a de quoi comprendre la négativité de l'impact de l'aide sur
la croissance. Nos propositions pour une meilleure efficacité de l'aide
au développement sont principalement des recommandations de politiques.
Les donateurs doivent cesser de penser à leurs seuls
intérêts et de soutenir leurs alliés. Il est
nécessaire qu'on sépare l'aide au développement de la
politique étrangère. Pour cela, il est préférable
que l'aide transite par les organismes multilatéraux qui n'ont pas
d'intérêts particuliers à défendre dans tel ou tel
pays et qui, du fait du learning by doing, ont un sérieux avantage
comparatif dans la réalisation de projets de développement.
Lorsque la qualité de la gouvernance dans un pays
donné est faible, des discussions préalables pour définir
le cadre dans lequel l'aide devrait être délivrée sont
indispensables. La pratique de la conditionnalité associée
à l'aide au développement doit donc être
reconsidérée en Afrique sub-saharienne. Elle doit guider l'aide
aux pays pauvres dont la gouvernance est de faible qualité.
Les gouvernements africains doivent à leur tour
comprendre que le développement de l'Afrique ne se fera pas sans une
réelle volonté et une participation active des Africains. Des
politiques gouvernementales perverses, pour des visées politiques ont
trop souvent fait perdre à l'Afrique, de formidables opportunités
en matière de développement. Après tout, capital is
made at home.
Ce travail analytique, est le fruit de notre volonté
d'apporter notre modeste contribution à la politique d'aide au
développement en Afrique sub-saharienne. Il conclut que l'aide au
développement n'aide pas les populations africaines et serait même
perverse pour leur bien-être, et fait des propositions de politiques pour
l'avenir, afin de ne pas retomber dans les erreurs du passé.
Néanmoins, comme toute oeuvre humaine, il n'est pas
parfait. Il présente des insuffisances. D'abord, l'aide internationale
appréhendée globalement est difficile à analyser en terme
d'impact. Elle englobe des flux réels (transferts liquides, experts
internationaux, envoi de vivres, ...) et fictifs (les allègements et
rééchelonnements de dettes). Comment peut-on analyser avec
exactitude, l'effet d'un ensemble si hétéroclite de transferts
sur le bien-être d'une population ? Le fait de retenir par exemple une
période moyenne de 4 ans au bout de laquelle l'aide doit produire son
impact sur la croissance économique est une autre limite de notre
étude.
L'analyse présentée dans cette thèse
invite à considérer qu'il n'y a pas toujours une stricte
concordance entre le bien-être collectif d'un pays et les
préférences de ses dirigeants. Ainsi, l'analyse peut-elle
être prolongée en s'orientant vers une modélisation d'une
forme de jeu à double étage : à l'intérieur d'un
pays, et entre pays. Une telle analyse permettrait de mieux comprendre les
interactions stratégiques entre les différents acteurs de l'aide
: donateurs et bénéficiaires; dans un environnement pouvant
laisser la place à des asymétries d'information.
Enfin, le fait que la pauvreté augmente en Afrique
sub-saharienne malgré l'aide internationale ne veut pas dire forcement
que l'aide est inefficace. Il se peut que sans l'aide au développement,
les choses seraient pires et la croissance quasinulle des économies
africaines serait négative. Il serait alors préférable
pour apporter un jugement sur l'effet de l'aide, de passer par d'autres
méthodes pouvant permettre d'évaluer ce que serait la situation
en Afrique sub-saharienne si l'aide n'existait pas. Des recherches
supplémentaires dans ce sens pourront enrichir le débat sur
l'efficacité de l'aide au développement. Nous pouvons terminer
avec une note d'espoir pour l'Afrique libérée de la
colonisation. Si les Africains prennent les choses en main,
mènent de « bonnes politiques », peut être
décolleront un jour, les économies africaines.
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