Chapitre Premier
LES INSTITITIONS DE L'AIDE AU DEVELOPPEMENT
« Aider les autres n'est jamais aussi gratifiant que
lorsque tu le fais dans ton propre intérêt ».
David E. Kelley
Depuis les années 1950, les pays pauvres
bénéficient d'aides extérieures dont l'objectif principal
est de promouvoir le développement. Cette aide, bien que reconnue dans
l'ordre économique des accords de Bretton-Woods6,
répond à de multiples considérations
géostratégiques souvent dictées par l'atmosphère
politico-socio-économique. En effet, les motivations qui fondent les
programmes de l'aide internationale sont complexes, et vont de
l'égoïsme à la générosité. Selon la
période, le type de donateur et les idéologies, les aides aux
pays en développement ont servi différentes ambitions, et pris
des formes diverses. Il est donc nécessaire de préciser ce que
recouvre le concept de « aide au développement ».
Que qualifie-t-on réellement d'« aide au
développement » ? D'où provient-elle?
Que finance-t-elle ? Quel est son budget ? Quels sont les
principaux donateurs de l'aide, en volume?, En pourcentage du revenu?, Quels
sont les principaux facteurs permettant d'expliquer son attribution? Quels en
sont les principaux pays bénéficiaires?
Dans la section 1, on examine les principales
caractéristiques de l'aide au développement et on présente
ses principaux bénéficiaires. On montre dans cette section que
l'Afrique sub-saharienne est la principale région
bénéficiaire de l'aide, un financement à des conditions
avantageuses dont on étudie les origines institutionnelles dans la
section 2. Dans la section 3, on examine les principaux
critères institutionnellement affichés (ou
déterminants) dans l'attribution de l'aide internationale.
Section 1 : LES PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DE L'AIDE
AU DEVELOPPEMENT
Sous l'expression plus ou moins ambiguë « aide au
développement », se présentent des opérations et
mécanismes financiers, allant du don pur et simple au prêt;
accordé à un tarif préférentiel,
négocié entre pays donateurs « développés
» ou Riches et des Etats bénéficiaires «
sous-développés » ou « en voie de
développement». Le Comité d'Aide au Développement
(CAD-7) créé au sein de l'OCDE dans le but de
coordonner et de comptabiliser l'aide des pays développés au
Tiers-monde, distingue « l'aide publique » des autres apports. Il
réserve l'appellation « aide » à la seule « aide
publique » ou « aide publique au développement » (APD).
Celle*ci comprend les prêts et les dons (financements sans contrepartie)
du secteur public lorsque les prêts sont assortis de conditions
préférentielles par rapport au marché. Les conditions
avantageuses portent habituellement sur le taux d'intérêt, la
durée du remboursement et les conditions d'amortissement.
L'élément de libéralité et de don contenu dans de
tels prêts est ainsi déterminant. Ces transferts de capital
à des conditions privilégiées sont exclusivement
destinés aux pays en développement. Ils poursuivent l'objectif
premier d'améliorer les conditions de vie des pays receveurs
(pauvres).
6 La conférence de Bretton Woods s'est tenue du
1erau 22 juillet 1944 dans le New Hampshire (Etats--Unis), dans
le cadre de la résolution des différends de la
deuxième guerre mondiale. Ses accords ont jeté les bases de la
coopération pour le développement international.
7 Le Comité d'Aide au Développement
(CAD) regroupe depuis 1960, sur la base du volontariat, les principaux
donateurs occidentaux, tous membres de l'Organisation de Coopération et
de Développement Economique (OCDE). Leur nombre est passé en 2004
de 22 à 23 avec l'adhésion de l'Island.
En 1960, l'Association Internationale pour le
développement (AID) a été créée. Elle a pour
objectif, l'aide au développement économique des pays du
Tiers-monde. Elle prête à ces pays des ressources
financières, obtenues grâce à la contribution des pays
développés, à des conditions plus avantageuses que celle
du marché financier international : durée de prêt
très longue (50 ans), taux d'intérêt très bas
(jusqu'à 0,5%), commission faible. Les autres apports, souvent
qualifiés « d'aide privée », sont constitués des
dons des organisations non gouvernementales, mais principalement des
crédits à l'exportation, des investissements de portefeuille, des
souscriptions privées à des emprunts émis par les
organisations internationales. Ces apports ne sont néanmoins pas
comptabilisés dans l'aide publique au développement.
L'aide prend des formes diverses. On distingue:
> L'aide multilatérale:
qui transite par des organisations internationales
Spécialisées (BIRD, FMI, AID, ONU, PNUD, FAO, Unicef, etc.).
> L'aide bilatérale:
qui va directement d'un Etat a un autre. Elle est dite:
· Liée: lorsque le pays donateur
impose au pays bénéficiaire des conditions d'achat de biens ou de
fourniture de service en retour. Les motivations de l'aide liée sont
essentiellement de deux ordres : économique et politique. Du point de
vue économique, le donateur impose au receveur de consacrer tout ou
partie de l'aide reçue à l'achat de ses biens et services.
L'argent reçu est dans ce cas dépensé dans le pays
donateur et sert ainsi à promouvoir les exportations du donateur.
· Du point de vue politique, l'aide liée sert
à se créer ou à protéger des intérêts
géopolitiques, stratégiques, historiques ou
culturels8
· Non liée : lorsque le donateur
n'impose au bénéficiaire aucune condition d'achat ou de
services en retour9. , seulement 41,7% du total de
l'aide publique au développement est non lié. Au départ,
l'aide était envisagée sous forme de transferts de fonds. Mais
les premiers programmes d'aide ont vite reconnu que des catégories
données de compétences et de connaissances techniques faisaient
défaut dans les pays pauvres. Dans le souci d'augmenter les
compétences nationales, une autre forme d'aide:
« Les programmes d'assistance technique » ou «
coopérations techniques »,
détachant des experts étrangers dans des
domaines allant de la planification économique à
l'ingénierie et à la construction ont alors été
proposés et mis en oeuvre. Avec la crise d'endettement des années
1980, naît une nouvelle forme d'aide: les allègements ou
annulation pure et simple de dettes, comptabilisés dans l'aide publique
au développement. L'aide peut aussi être en nature : envoi de
céréales, de matériels médicaux, attribution de
bourses d'études ... L'aide est dite hors projet si elle n'est pas
affectée à un projet précis, mais sert à financer
le déficit budgétaire ou le déficit extérieur. A
l'inverse, l'aide-projet ou programme est celle affectée à une
fin précise: construction d'un barrage, de routes, promotion du secteur
cotonnier, etc. Enfin, l'aide est qualifié de « aide d'urgence
» lorsqu'elle est destinée à secourir des populations en
situation de cataclysmes (séisme, conflits armés,
sécheresse, inondation, raz-de-marée, ...). Sur la période
1950-1955, les apports totaux d'aide au développement valaient 1,953
milliards de dollars. Elle a peu à peu progressé dans les
années 1970 et surtout dans les années 1980. La très forte
croissance des pays de l'Occident durant les Trente Glorieuses a permis de
libérer des ressources supplémentaires pour l'aide. Mais il y a
aussi l'influence des enjeux politiques d'alors. Dans un contexte de guerre
froide, la compétition pour les amitiés
géostratégiques explique largement cet accroissement de l'aide
internationale. La fin de la guerre froide a
8 (Jepma Catrinus J. 1991 ; OCDE 2006b)
9 Normes Selon OCDE (2006b)
entraîné un recul sensible de l'aide mondiale
dans la première moitié des années 1990 (voir figure
ci-dessous).
En effet, les enjeux politiques étant l'une des
principales motivations de l'aide internationale (comme on le verra plus loin),
l'effondrement du bloc soviétique en 1991 a atténué la
motivation politique des principaux donateurs. Depuis 2001, on assiste à
une nouvelle phase d'ascension de l'aide en volume. D'environ 55 milliards de
dollars en moyenne jusqu'en 2000, l'aide a atteint les 80 milliards en 2004. Ce
regain d'importance est attribuable aux graves crises financières et
d'endettement des pays les plus pauvres qui ont conduit à des
annulations successives de dettes, consenties en 2003 et 2004 ; et surtout
à la lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre
2001. Cette nouvelle motivation de l'aide internationale explique largement cet
accroissement. L'année 2005 a été une année
spéciale pour l'aide internationale. On a assisté à une
forte augmentation de l'aide extérieure, qui a dépassé les
cents milliards de dollars US. Cette augmentation spectaculaire est surtout
imputable au raz-de-marée(le tsunami) survenu le 26 décembre
2004; qui a entraîné un geste de générosité
sans précédent dans le monde entier.
Figure I-1 : Aide au
développement nette (prix constant, milliards de $ US 2003)
Près des trois quarts de l'aide publique au
développement accordée entre 1970 et 2005 a été
fourni dans le cadre de programmes bilatéraux. L'aide a
été essentiellement bilatérale dans les années
1970. La bipolarisation du monde et la course aux alliances ont
révélé au cours de cette décennie,
l'égoïsme des plus nantis. Dans le climat politique
passionné d'alors, les intérêts individuels des principaux
donateurs ont été manifestes dans la coopération
internationale. Depuis les années 1980, on note cependant un
accroissement de la proportion d'aide acheminée par les organisations
multilatérales, bien que faiblement. L'aide privée a elle aussi
une tendance à la hausse depuis les années 1990, comme l'illustre
la figure I-2 ci-dessous. La proportion de l'aide privée dans
l'enveloppe totale de l'aide internationale au développement se chiffre
à près de 11% ces dernières années.
Figure I-2 : Aide mondiale
par catégorie (en milliards de dollars US)
L'analyse des données ventilées par
région, en volume ou en pourcentage du PIB révèle que
l'Afrique sub-saharienne occupe depuis 20 ans la place de premier
bénéficiaire d'aide sur le plan mondial (voir les deux figures
ci-dessous). L'aide reçue par l'Afrique sub-saharienne sur la
période 2000-2004 valait plus du double de celle octroyée
à l'Amérique Latine; même chose avec l'Asie du Sud et
Centrale. Plus du tiers de l'APD (en volume) est allé à cette
région entre 2000 et 2004. Nous expliquerons plus loin ses
disparités régionales de l'aide au développement.
Lorsqu'on fait l'analyse en termes de valeur par habitant
(aide par habitant), l'Afrique sub-saharienne se classe également parmi
les grands bénéficiaires d'aide dans le monde. L'Africain moyen a
bénéficié annuellement de 26,3$ US entre 2000 et 2004.
L'aide par tête en Afrique était ainsi
supérieure à la moyenne pour l'ensemble des pays les moins
avancés (24,7$); et valait plus du triple de la moyenne pour l'ensemble
des pays en développement (8,8$) comme le montre la figure
ci-dessous.
Figure I-5 : Aide nette par habitant
par région (en $ US)10
Il faut signaler que l'aide au pays de l'Europe Centrale et
Orientale a considérablement augmenté ces dernières
années. Cette augmentation provient surtout de l'Union Européenne
(UE), et s'inscrit dans la politique d'intégration de ces pays dans
l'Union.
L'analyse de la tendance en pourcentage de l'enveloppe totale
d'aide dans le monde classe également l'Afrique en première place
des bénéficiaires d'aide internationale. L'Afrique a
généralement bénéficié de plus du tiers du
budget total de l'aide. Cependant, la fin de la décennie 1990 a vu
l'aide au développement se détourner progressivement du continent
africain, au profit de l'Europe centrale et orientale. De nos jours, on note un
retour progressif de l'aide en Afrique (voir figure ci-dessus). Ce regain
d'importance de l'aide à l'Afrique est sans doute imputable aux nombreux
rapports alarmistes, concernant l'augmentation de la pauvreté en Afrique
sub-saharienne, et la nécessité d'un effort plus accru en faveur
du continent africain.
Figure I-6 : Evolution de l'APD par
région, en pourcentage de l'aide totale
10 Il faut signaler que l'aide au pays de l'Europe
Centrale et Orientale a considérablement augmenté ces
dernières années. Cette augmentation provient surtout de l'Union
Européenne (UE), et s'inscrit dans la politique d'intégration de
ces pays dans l'Union.
Une analyse par pays révèle cependant que, ce
sont les pays asiatiques en développement, à forte croissance
comme la Chine, le Vietnam, le Pakistan, l'Indonésie, l'Inde qui
reçoivent davantage d'aide. Viennent ensuite les pays qui comptent un
grand nombre de pauvres comme la Tanzanie, le Mozambique, l'Ethiopie, le
Bangladesh (voir la figure ci-dessous). On expliquera plus loin ces
disparités internationales.
Figure I-7 : Les dix premiers pays
bénéficiaires d'aide (moyenne sur 2000-2004, en milliards de $,
au prix de 2003)
Mais lorsqu'on fait l'analyse en valeur par tête, ce sont
les petites économies insulaires, qui passent en tête, avec plus
de 285 $ par habitant pour le Timor-Leste contre moins de 2$ par tête
pour la Chine, l'Inde et le Nigeria. Le tableau ci-dessous présente
quelques exemples dans ce domaine. Tableau I-1 : Aide
par habitant (moyenne sur 2000-2004)
Cette tendance n'est toutefois pas sans exception : le
Mozambique reçoit de gros apports d'aide (en moyenne 1,2 milliards de
dollars par an sur la période 2000-2004), ainsi qu'une aide par habitant
relativement élevée (67$); alors que le Turkménistan
obtient peu d'aide sur la même période, en volume (43 millions de
dollars par an en moyenne) et par habitant (9$). L'aide a financé pour
la plus grande partie, les secteurs productifs. Jusqu'aux années 1990,
environ 40% du total de l'aide ont été affectés au
développement de l'infrastructure économique et des secteurs
productifs (agriculture, industrie, énergie et commerce), comme le
montre la figure ci-dessous.
Figure I-8 : Aide par secteur dans le
monde (en milliards de $, prix de 2003)
Cependant une plus grande importance est accordée ces
dernières années aux secteurs sociaux: population et
santé, approvisionnement en eau, éducation, ... comme le montre
la figure ci-dessus. La dominance de l'infrastructure économique et des
services sociaux dans le budget total de l'aide est plus remarquable en Afrique
(voir figure ci-dessous). La création des conditions favorables au
décollage économique et la réduction de la pauvreté
sont de nos jours, les objectifs principaux de l'aide au développement
en Afrique.
Figure I-9 : Aide par secteur en 2004
en Afrique (en % du total d'aide à l'Afrique)
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