Section 2 : Analyse empirique des effets
désincitatifs de l'aide en Afrique sub-saharienne
Une hypothèse fondamentale de travail des institutions
financières internationales, pour les prévisions de croissance et
le calcul du volume d'aide à octroyer à chaque pays est que la
totalité de l'aide reçue s'ajoute à l'épargne
domestique pour financer l'investissement (voir chapitre 2). Or, comme nous
venons de le montrer, les incitations perverses de l'aide internationale vont
induire chez le pays receveur une augmentation de la consommation. Le niveau de
l'investissement effectif sera alors en deçà de celui
prévu. Pire encore, l'aide charitable peut supprimer l'effort au niveau
du receveur. Il en résultera une dégradation de la qualité
de la gouvernance comme le faisait déjà remarquer Bauer
(1972, 1984). Ceci est une plausible explication des difficultés de
croissance des économies africaines malgré le fait qu'elles
bénéficient d'aide. C'est ce que nous allons tester
empiriquement.
Cette section est scindée en deux : i) l'analyse
empirique des effets désincitatifs de l'aide sur la
consommation/l'investissement ; ii) l'analyse empirique de l'efficacité
de l'aide extérieure, en intégrant cette fois--ci, la
qualité de la gouvernance dans le pays aidé.
1. Aide - consommation/investissement en Afrique
sub-saharienne
Pour analyser les effets désincitatifs de l'aide
internationale, nous analysons empiriquement dans ce paragraphe, son impact sur
l'investissement et la consommation dans le pays récipiendaire. On
montre alors que l'aide finance plus la consommation présente que
l'investissement.
1.1. Analyse empirique de l'impact de l'aide sur
l'investissement
Pour tester le lien entre « aide » et «
investissement » en Afrique subsaharienne, on a régressé
pour le même panel de pays que précédemment,
l'investissement effectivement réalisé sur l'aide reçue et
l'épargne réalisée. L'investissement56
réalisé dépend ainsi de l'épargne domestique
et de l'aide extérieure reçue. L'équation à estimer
s'écrit donc:
Iit =ái+ 1Eit + 2Ait + åit (1)
Où i désigne la constante individuelle pour le
pays i considéré (qui capte lesautres facteurs pouvant influencer
son investissement), â1 et â2 les coefficients de
l'épargne intérieure ( Eit ) et de l'aide
extérieure ( Ait ). åit le résidu. Les
résultats de l'estimation sont résumés dans le tableau
suivant:
Tableau II.4 : Aide et investissement en Afrique
sub--saharienne
Nbre : d'observation: 327
R-Carré: 0,59
R-Carré Ajusté : 0,57
F-Statistic: 21,06***
NB : *** signifie que le coefficient est significatif à
1%
** signifie que le coefficient est significatif à 5%
* signifie que le coefficient est significatif à 10%
Les coefficients sont dans l'ensemble significatifs. L'impact de
l'aide extérieure tout comme celui de
l'épargne sur le taux d'investissement est bien positif et
significatif. Mais les coefficients obtenus
semblent loin de ceux postulés. L'hypothèse forte
selon laquelle l'aide est totalement investie
implique un coefficient de l'aide ( â2 )
égal à 1.
Pour vérifier cette idée, on a
réalisé le test économétrique suivant:
56 L'investissement ici (I) prend en compte les machines et
équipements, constructions de routes, et de rails, constructions
d'industries et d'équipements commerciaux, écoles, hôpitaux
...
Le résultat obtenu par le test de Wald est le
suivant:
Les probabilités associées au Chi-carré
et au F-caculé sont inférieures à 1%.
Le test de Wald permet alors de rejeter l'hypothèse
nulle ( f32 =1) au seuil 1%. L'aide au développement ne serait
donc pas intégralement investie comme on le suppose. Le même test
permet de rejeter l'hypothèse selon laquelle toute l'épargne est
investie.
Le fait que toute l'épargne ne soit pas investie peut
s'expliquer par le faible développement financier dans la région
qui fait qu'une bonne partie de la petite épargne est simplement
thésaurisée57.
Ce qui est plus préoccupant, c'est la proportion de
l'aide qui est investie. Pour avoir une idée sur la
proportion dans laquelle l'aide est investie, on a
calibré le coefficient f32 toujours à l'aide du test
sur les coefficients de Wald. Au seuil 5%,
f32 = 0.20 qui n'est pas rejeté. La proportion
d'aide investie serait alors très faible.
Ce résultat semble concorder avec de nombreuses
illustrations. A titre d'exemple, la Gambie en 1986 avait reçu une aide
valant 55.40% de son PIB, alors que son investissement effectivement
réalisé ne valait que 16.59%. Mais on peut imaginer que cet
exemple soit un cas isolé. A cet effet, on a réalisé une
étude par pays, en séries chronologiques, sur les valeurs
annuelles. On a estimé pour chaque pays, l'équation suivante:
It =á +â1 Et+â2At+å (2)
Certains pays (pour trop d'observations manquantes) n'ont pas
été inclus dans cette étude. L'étude a quand
même couvert plusieur pays de l'Afrique sub-saharienne (35)58.
Après avoir évacué le problème de
stationnarité59 des séries, on a évalué
l'impact de l'aide internationale sur l'investissement pour chaque pays de
l'échantillon. Les résultats obtenus sont résumés
en fonction de la valeur et du signe de f32 dans le tableau
suivant:
57 En effet, selon une étude récente de la
BCEAO, seulement 20% environ de la population totale des pays membres ont un
compte en banque. Le reste thésauriserait donc simplement son
épargne.
58
www.banquemondiale.org
59 Le test de racine unitaire de DFA (Dickey Fuller
augmenté) permet de tester la stationnarité de ces séries.
A l'issue du test, l'estimation a été faite en différence
première dans la mesure où les séries sont
intégrées d'ordre 1.
Tableau II-10 : Résultat de l'estimation par pays
du lien aide-investissement
L'ajustement pays par pays parait plus spectaculaire. Aucun
pays n'investit la totalité de l'aide qui lui est accordée.
L'aide n'exerce d'effet positif significatif sur l'investissement que dans
seulement 34% environ des cas. Dans presque la moitié des cas, l'aide
n'influence pas significativement l'investissement. En effet, pour 48,57% des
pays étudiés, l'impact de l'aide sur l'investissement est non
significatif.
Le fait qu'il existe une relation macroéconomique
comptable qui relie l'investissement, l'épargne et le solde
extérieur courant qui ne fait pourtant pas parti de l'équation
estimée60 peut soulever certaines critiques sur ces résultats.
Cependant, la significativité des coefficients amène à
admettre qu'une bonne partie de l'aide internationale est
détournée de l'objectif principal : le financement de
l'investissement.
Ces résultats corroborent ceux de Dollar et Easterly
(1999) qui tiraient la sonnette d'alarme sur le fait que l'aide semble se
détourner de son objectif principal, l'investissement. Feyzioglu et al.
(1998) dans une estimation couvrant 38 pays bénéficiaires d'aide
entre 1971 et 1990, aboutissent au résultat selon lequel 1$ d'aide ne
fait augmenter l'investissement que de 0.32$. Enfin, un résultat
contraire à toute attente (dans la philosophie de la Banque mondiale)
est que, pour 6 pays (dans environ 17% des cas étudiés), l'impact
de l'aide extérieure sur l'investissement est négatif et
significatif.
Cette négativité de l'aide internationale sur
l'investissement est une véritable interpellation des politiques de la
Banque mondiale. On peut comprendre que l'aide qui est censée
accroître l'investissement des pays pauvres, le réduise si on se
réfère aux effets d'incitation étudiés plus haut.
Ces effets de l'aide extérieure conduiraient à un accroissement
de la consommation présente. L'aide produirait ainsi un effet
d'éviction sur l'épargne domestique, effet évoqué
par Griffin (1970) et qui a
60 Le fait qu'on ne peut pas régressé
une identité comptable ne permet pas d'intégrer cette variable
dans l'équation à estimer. De plus, nous disposons de peu de
données sur cette variable (solde extérieur courant) si bien que
sa prise en compte dans nos estimations réduirait
considérablement notre période d'étude et le nombre
d'individus. La constante á est alors supposée capter le
poids de cette variable, tout comme celui de n'importe quelle autre variable
pouvant influencer l'investissement.
été retrouvé plus récemment par
Boone (1996). En effet, si l'aide n'est pas investie, l'utilisation de cette
aide est la consommation. C'est ce que nous allons montrer empiriquement.
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