2. Aide extérieure, épargne domestique et
investissement
L'impact de l'aide extérieure sur l'épargne
domestique est un phénomène étudié dans la
littérature économique sur l'aide internationale. Plusieurs
analyses empiriques (Griffin 1970, Easterly et Dollar 1999) ont
montré que l'aide internationale encourage la consommation plus que
l'investissement. La raison le plus souvent évoquée pour
expliquer un tel phénomène est le détournement de l'aide
de son objectif initial. Les fonds d'aide n'iraient pas seulement à
l'investissement; une partie serait détournée pour d'autres fins
comme le financement des biens de consommation final, la corruption. Mais il y
a une autre raison, qui n'est pas des moindres, et qui explique valablement
l'augmentation de la consommation à la suite de l'octroi de l'aide
extérieure: c'est le caractère « fongible » (ou encore
la « fongibilité ») de l'aide internationale.
2.1. La fongibilité de l'aide
Selon Collier et Dollar (2002) tout comme
Sandefur (2006), l'aide destinée au financement de projets
(santé ou éducation par exemple) libère des ressources
locales que le gouvernement peut utiliser à sa guise. Il peut notamment
consacrer les ressources libérées à la consommation. Cette
situation est communément désignée sous le nom de «
fongibilité » de l'aide internationale. Pour comprendre un tel
phénomène, on peut se référer à la figure
ci-dessous.
Notons que le degré de fongibilité de l'aide
dépend du pays considéré. Pack et Pack (1990, 1993)
soulignent l'importance des caractéristiques des systèmes
budgétaires de chaque pays en montrant
Fulgure II.3 : Fongibilité de l'aide
On suppose que le gouvernement du pays receveur alloue son
budget à deux types de biens : un bien de consommation final
(dépenses de fonctionnement ou palais gouvernemental par exemple) et un
bien d'investissement (manuels scolaires par exemple). On suppose en outre que
le gouvernement a une préférence pour le bien de consommation.
Cependant, il doit satisfaire un niveau minimal du bien d'investissement dans
le pays pour éviter le mécontentement de la population. Dans ses
conditions, à l'équilibre, le gouvernement alloue au bien
d'investissement, exactement le montant nécessaire pour prévenir
le mécontentement de la population; et le reste du budget sera
consacré au bien de consommation final. Nous représentons cette
situation sur la figure ci-dessus par le point E1. Le gouvernement alloue [OA]
au bien d'investissement et [OG] au bien de consommation. Il se trouve ainsi
sur la courbe d'indifférence U1.
Une institution « bienfaitrice » se propose ensuite
d'aider le pays pauvre. Elle lui accorde pour cela, une aide de montant [CD],
destinée au financement du bien d'investissement (manuels scolaires). La
contrainte budgétaire du gouvernement passe alors de CB1 à CB2.
De combien augmentera alors le volume du bien d'investissement?
Comme le montre la figure, le volume du bien d'investissement
augmentera d'un montant inférieur à l'aide reçue. Cette
situation intervient même si le donateur s'assure que toute l'aide est
consacrée au bien d'investissement. On peut en effet imaginer le cas
où l'aide accordée n'est pas en argent, mais en nature (envoi de
manuels scolaires). Dans ce cas, le gouvernement du pays receveur ayant une
préférence pour le bien de consommation final, va simplement
réajuster l'allocation de ses ressources domestiques dans le but de
maximiser son utilité. Un certain montant de son budget (ici [GH]) qui
était initialement consacré au bien d'investissement va
maintenant être alloué au bien de consommation final. Il va ainsi
se retrouver au point d'équilibre E2. Bien que toute l'aide reçue
soit investie, l'augmentation du volume du bien d'investissement (ici ?I =
[AB]) sera inférieure à l'aide reçue (ici [CD]). L'aide
n'est pas dans notre exemple ci-dessus détournée de son objectif
initial (investissement), mais elle a évincé l'investissement
domestique. C'est la « fongibilité » de l'aide.
Bien évidemment, on peut envisager que l'attribution de
l'aide internationale n'influence pas seulement la contrainte budgétaire
du pays récipiendaire, mais aussi les prix relatifs entre biens. Dans ce
cas, la contrainte budgétaire va pivoter, au lieu de se déplacer
parallèlement vers la droite. L'effet final de l'aide extérieure
sur l'allocation des ressources du pays bénéficiaire sera
néanmoins semblable à celui montré ci-dessus.
que l'aide est fongible dans le cas de la République
dominicaine, alors qu'elle ne l'est pas dans celui de l'Indonésie.
Dans notre exemple ci--dessus, l'augmentation de la
consommation est liée à la préférence pour le
gouvernement du bien de consommation final. Notre modèle
présenté plus haut permet de porter un regard neuf sur le sujet,
en considérant les conséquences inter temporelles de la
fongibilité. L'idée défendue ici est que, compte tenu de
l'aide future, le gouvernement du pays receveur va réajuster son
comportement. Il va adopter une attitude qui lui permettra de
bénéficier d'un montant conséquent de l'aide
internationale. L'agent représentatif va pour atteindre un tel objectif,
adopter une attitude appauvrissante. Il va notamment baisser son niveau
d'investissement.
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