Section 2 : L'inefficacité de l'aide en Afrique
sub-saharienne est-elle due à son insuffisance?
L'explication la plus populaire, de l'échec de l'aide
porte sur son volume. Le faible niveau du budget global de l'aide au
développement est largement discuté ces dernières
années. Environ 55 milliards de dollars par an pour tous les pays en
développement du monde, alors que les seuls agriculteurs dans les pays
développés reçoivent une subvention annuelle de 325
milliards de dollars, soit 5 à 6 fois l'ensemble du budget alloué
à l'aide au développement de l'ensemble des pays pauvres. Il se
peut que les pays africains soient effectivement dans une trappe à
sous-développement. Dans ce cas, comme nous l'avons vu ci-dessus, si
l'aide qui leur est accordée ne leur permet pas de briser le cercle
vicieux de la pauvreté, elle sera stérile. Ceci peut expliquer la
malédiction de l'Afrique.
Dans cette section, on entreprend différents tests
empiriques sur cette question. Dans un premier temps, on s'interroge sur le
niveau à partir duquel l'aide internationale octroyée à un
pays pauvre peut être considérée comme forte ou suffisante.
On identifie ensuite la période où l'aide à l'Afrique
sub-saharienne peut être considérée comme forte. Pour
savoir si l'aide, aide le développement lorsqu'elle est forte, on
évalue sur cette période l'impact de l'aide reçue sur la
croissance économique. On terminera cette section par des tests
empiriques sur l'idée selon laquelle les économies africaines
sont prises au piège de la pauvreté.
1. Aide forte -- aide optimale pour un pays pauvre
Avant d'aborder les tests empiriques sur l'insuffisance de
l'aide internationale accordée aux pays africains en dessous du Sahara,
il est nécessaire de préciser ce qu'est une aide forte, ou mieux
le montant d'aide optimale pour un pays pauvre donné. Quand peut-on
considérer une aide comme forte ou suffisante? Quel est le niveau
optimal d'aide pour un pays receveur?
Le débat sur le « montant optimal » de l'aide
internationale à accorder à un pays pauvre donné occupe
une place de plus en plus importante dans la littérature
théorique et empirique sur l'efficacité de l'aide au
développement. L'aide internationale représente avant tout un
« coût » ou encore une « perte » pour les
contribuables dans les pays riches. Nous avons néanmoins vu dans le
deuxième chapitre de la première partie de ce travail que la
réduction de la pauvreté dans les pays du Sud est une politique
optimale au sens de Pareto. Ainsi, l'aide qui favorise la croissance
économique dans les pays pauvres est une « politique optimale
». Delà, lorsqu'un montant donné d'aide permet de favoriser
la croissance économique dans le pays receveur, on peut le
considérer comme convenable au Sud et au Nord, donc optimale. Une aide
qui est inefficace à cause de son montant est donc non optimale, une
perte pour le Nord et le Sud.
Plusieurs auteurs (Sachs 2004, Boone 1996) soutiennent
l'existence d'un seuil minimal en deçà duquel l'aide
accordée à un pays pauvre ne peut être efficace.
Ce qui suppose que l'aide doit être suffisamment forte
pour être optimale (promouvoir la croissance économique).
Néanmoins, cette thèse aussi noble qu'elle puisse paraître
ne fait pas unanimité. Elle a un courant contestataire. En effet, la
thèse du « big push » qui évoque la
nécessité d'accroître massivement et rapidement l'aide aux
pays sous-développés se confronte à celle de « la
capacité d'absorption » des pays pauvres. La thèse de «
la capacité d'absorption » évoque deux raisons principales
pour lesquelles une aide trop forte n'est pas souhaitable : la loi des
rendements marginaux décroissants et le « Dutch Disease
» (syndrome hollandais).
Rajan et Subramanian (2005) Soutiennent
qu'une aide trop forte pourrait freiner la croissance du secteur des biens
échangeables, notamment les biens manufacturiers. En effet, l'aide est
susceptible d'augmenter l'offre de devises sans qu'il y ait une augmentation
correspondante de la demande (par exemple si elle est utilisée pour
financer des biens et services non-échangeables). Cela va
entraîner une appréciation du taux de change et une perte de
compétitivité des producteurs de biens échangeables.
L'économie va ainsi déboucher sur le syndrome hollandais.
Néanmoins, des analyses empiriques de l'impact de
l'aide reçue sur le taux de change réel de plusieurs pays
notamment africains (FMI, 2005) ne révèlent pas de lien
significatif entre ces deux variables (aide et taux de change réel). La
thèse selon laquelle l'aide entraînerait une surévaluation
du taux de change réel et donc la perte de la
compétitivité de l'économie ne semble donc pas se
confirmer dans les faits. Cohen et al. (2006) fournissent une explication au
phénomène. Ils soutiennent que l'appréciation
réelle de la monnaie ne pose pas de problème de
compétitivité lorsqu'elle s'accompagne d'un accroissement de
productivité.
Pour certains auteurs (Svensson 2005, Lensink et White 2001,
FMI 2005), l'origine du syndrome hollandais que pourrait entraîné
une aide forte ne tient pas à une perte de compétitivité,
mais aux caractéristiques propres de types structurels (institutions
budgétaires, qualité des services publics, capacités
humaines et d'administration, ...) de la plupart des pays en
développement. Ces caractéristiques limitent leurs
capacités à gérer et à utiliser efficacement des
ressources énormes. Ce qui fait qu'une augmentation massive et rapide de
l'aide internationale peut facilement engendrer des problèmes semblables
au « Dutch Disease»
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