CHAPITRE QUATRIEME
TRAPPES A PAUVRETE ET INSUFFISANCE DE L'AIDE
L'une des principales thèses avancées pour
expliquer l'échec de l'aide au développement est l'insuffisance
du budget global de l'aide. Cette explication s'appuie théoriquement sur
les modèles de trappe à sous-développement. En effet, une
façon d'aborder la question de l'inefficacité de l'aide au
développement est de s'interroger sur l'existence d'un seuil en
deçà duquel elle serait inefficace. Nous avons vu dans le
chapitre II de la première partie que l'une des principales motivations
à la base de l'aide internationale est l'idée selon laquelle les
pays pauvres connaissent des difficultés de croissance
économiques parce qu'ils ont un déficit d'investissement,
dû à une épargne faible. L'objectif de l'aide est donc de
combler le déficit entre l'épargne intérieure et
l'investissement requis dans ces pays pour promouvoir leur développement
économique, et par là résorber la pauvreté.
La théorie économique permet de montrer que,
lorsqu'une société dispose d'un stock de capital par tête
initial trop faible, elle peut se faire piéger dans une trappe à
pauvreté, la condamnant à un revenu de bas niveau. Elle ne peut
donc connaître de croissance économique de manière durable.
Sortir de cette trappe nécessite des investissements énormes et
simultanés dans tous les secteurs (infrastructures, capital humain,
améliorer le système financier, ...). Telle est la thèse
du « big push » défendue par Rosenstein-Rodan (1943 et
1961).
On pourrait donc imaginer que si les pays d'Afrique
sub-saharienne connaissent toujours des difficultés de croissance, c'est
que l'aide qui leur est jusqu'ici accordée n'est pas suffisamment forte
pour leur permettre de réaliser ces investissements simultanés,
et donc de combler durablement le déficit entre les investissements
requis et l'épargne. L'insuffisance de l'aide serait alors la source de
son inefficacité.
C'est ce qu'on se propose d'examiner dans ce chapitre. Pour
bien comprendre les faits, on étudie dans la section 1, les handicaps
structurels qui peuvent retenir une économie initialement pauvre dans
une trappe à sous-développement. L'aide internationale est donc
nécessaire à une telle économie. Mais pour lui permettre
de briser les cercles vicieux de la pauvreté, il faut que l'aide
à lui octroyer soit suffisamment forte. On montre dans la section 2
qu'une aide faible (insuffisante) est sans effet sur une économie prise
au piège de la pauvreté; elle sera donc inefficace. Dans la
section 3 enfin, on teste l'idée selon laquelle l'inefficacité de
l'aide au développement en Afrique sub-saharienne est liée
à son insuffisance.
Section 1 : Les trappes à pauvreté
L'un des thèmes les plus usuels de la
littérature économique sur le développement concerne les
trappes à pauvreté (poverty trap en anglais). Une trappe (ou
piège54) à pauvreté (ou à
sous-développement) est définie selon Berthelemy (2005) comme
l'existence de mécanismes de cercles vicieux conduisant à un
déclin économique quand l'économie est initialement sous
un certain seuil de développement, alors que le progrès
économique est possible quand ce seuil est franchi. Une trappe à
pauvreté se réfère notamment à l'existence d'un
état régulier stable avec de faibles niveaux de production et de
capital par tête. Il s'agit d'une trappe car si les agents essaient d'en
sortir, l'économie tend alors à revenir à l'état
régulier de faible niveau.
L'origine de cette idée est lointaine. On peut citer
l'ouvrage de Myrdal « théorie économique et pays
sous-développés » (1959), qui développe l'idée
de ce qu'il nommait « le processus des
causalités circulaires et cumulatives ». Plus
récemment, on peut citer les travaux de Jeffrey Sachs (2004, 2005).
Selon ce dernier auteur, le piège à pauvreté dans lequel
sont enfermés un certain nombre de pays en développement tient
à trois caractéristiques principales qualifiées de
handicaps structurels:
-- La faiblesse de leur capital physique et humain qui
entraîne une faible productivité. Ce qui attire peu
d'investissements directs étrangers.
-- Le faible niveau de revenu par tête qui induit une
demande faible et un faible taux d'épargne. -- La croissance très
rapide de la population qui exacerbe le manque d'investissement.
Ces éléments constituent de véritables
handicaps au développement économique des pays pauvres, et
maintiennent ces économies dans le cercle vicieux de la pauvreté,
avec un équilibre stable de bas revenu. Il est impossible pour une telle
économie de décoller sans un choc exogène important, qui
ne peut provenir que de l'extérieur.
L'objectif de cette première section est d'examiner les
principales origines des trappes à sous-développement. On
analysera dans un premier temps, les handicaps structurels liés à
une dotation initiale faible en capital physique, en retenant le cadre
théorique du modèle néoclassique de Solow. On
étudiera ensuite tour à tour, les trappes à
pauvreté liées à un faible développement humain, un
système financier sous-développé et un secteur agricole
dominant. Ces handicaps structurels à l'origine des trappes peuvent
rendre difficile voir impossible toute tentative d'industrialisation.
L'économie ne peut alors décoller sans aide extérieure
très importante.
1. Dotation en capital physique et trappes à
pauvreté
Il est question d'étudier ici comment une
économie peut se faire piéger dans une trappe à
sous-développement du fait de sa pauvreté dans la dotation
initiale en capital physique. En effet, à la question de savoir pourquoi
certains pays sont-ils si pauvres, Ragnar Nurkse (1953) répondait «
c'est parce qu'ils sont pauvres ». Cette simple citation illustre le
problème. Du fait qu'ils soient initialement pauvres, certains pays
peuvent être condamnés à le rester si aucun apport
conséquent ne leur vient de l'extérieur. Le modèle
néoclassique de Solow offre un cadre idéal pour étudier un
tel phénomène.
1.1. Le modèle de Solow : convergence et
possibilité d'équilibres
Multiples Lorsque la dotation initiale d'une économie
est trop faible, elle peut entraîner un certain nombre d'obstacles
structurels qui vont engluer l'économie dans une trappe à
sous-développement, la condamnant à la pauvreté. Le
modèle de Solow, à partir de la thèse de la convergence
conditionnelle, fait apparaître trois principales sources de trappe
à pauvreté : une insuffisance d'épargne, une forte
croissance démographique et un progrès technique lent (faible).
Avec la prise en compte du progrès technologique et la
dépréciation du capital, le cadre théorique du
modèle de Solow convient parfaitement pour étudier les
trajectoires de croissance économique et analyser les trappes à
pauvreté. Dans le modèle, le niveau de richesse de
l'économie étudiée est basé sur la production et
l'accumulation du capita.
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