2.2. Croissance économique et réduction
de la pauvreté
Une vaste littérature s'est développée
ces dernières années sur le lien entre la croissance
économique et la réduction de la pauvreté. Même si
aucune étude n'a
montré que la croissance économique s'accompagne
de l'augmentation de la pauvreté absolue, certains auteurs soutiennent
que le fruit de la croissance économique peut être capté
par une minorité et que finalement, elle s'accompagne
d'inégalités plus marquées. Dans ce cas, la croissance du
revenu moyen va entraîner l'augmentation de la pauvreté relative
(écart entre riches et pauvres) au sein d'un même pays.
Néanmoins, les analyses de Chen et Ravallion (1997) sur
un échantillon de 42 pays et celles de Janvry et Sadoulet (1999)
ne permettent pas de mettre en évidence une influence de la
croissance économique sur le niveau des inégalités, et
donc la pauvreté relative. La célèbre étude de
Dollar et Kraay (2000) montre par contre que la croissance économique
est bénéfique pour les pauvres. Même si le lien entre la
croissance économique et les inégalités dans les pays
pauvres reste à élucider, plusieurs auteurs (Timmer 1997, Chen et
Ravallion 1997, Ravallion Bruno et Squire 1998, Foster et Szekely 2002)
soutiennent que l'augmentation du revenu par tête moyen d'un pays
grâce à la croissance économique entraîne
l'augmentation du revenu des plus démunis du pays. La croissance
économique réduit donc la pauvreté.
Dollar et Kraay (2000) définissent les plus
démunis d'une économie comme la part de la population qui occupe
le premier quintile du revenu ; c'est-à-dire 20%les plus pauvres. En
estimant la corrélation entre le revenu par tête moyen au niveau
80 national et le revenu par tête des plus pauvres du pays, ils montrent
que la croissance économique s'accompagne de l'augmentation du revenu
des plus pauvres. La croissance est donc bénéfique pour les plus
démunis. C'est ce que la figure suivante illustre.
Figure I--21 : Corrélation entre le PIB par
tête et le revenu des pauvres
L'étude couvre quarante ans, et porte sur 125 pays. La
figure fait dépendre le revenu par habitant des plus démunis (en
ordonnées) du revenu par habitant moyen au niveau national (en
abscisses). Chaque point correspond à un pays. L'Ethiopie par exemple
avec un revenu global annuel moyen par tête de 316$ et un revenu moyen de
100$ pour les pauvres est représentée sur la figure par le point
le plus à gauche. Le revenu moyen35par habitant pour
l'ensemble des pays incorporés dans l'étude varie de 316$
à 18673$. Le revenu des pauvres varie lui de 42$ à 8769$. On
remarque une corrélation très étroite entre les deux
variables (R2 élevé). La pente de la droite de
régression est statistiquement égale à 1. Cela signifie
qu'une augmentation du revenu moyen par habitant se traduit par une
augmentation du revenu des pauvres dans la même proportion.
Néanmoins, cette forte corrélation est à prendre avec
réserve dans la mesure où la manière dont le lien est
présenté ci-dessus ne permet pas d'éviter le risque de
surestimation du coefficient de corrélation entre les deux variables
lorsqu'elles ne sont pas stationnaires. La figure ci-dessous illustre cette
fois-ci, la relation entre les taux de croissance des deux variables;
c'est-à-dire le taux de croissance du revenu moyen par habitant et celui
du revenu par habitant des pauvres.
35 Les revenus utilisés ici sont en termes
réels; c'est-à-dire corrigés en fonction du pouvoir
d'achat des devises locales.
Figure I--22 : Corrélation entre les taux de
croissance
Chaque point de cette figure associe pour un pays
donné, le taux de croissance du PIB par tête (en abscisse) au taux
de croissance du revenu des plus pauvres (en ordonnée). L'idée
principale est de savoir si la croissance économique est pro--pauvre. On
remarque que la relation est moins étroite que celle de la figure
précédente. Ce résultat est tout à fait
prévisible dans la mesure où la variabilité de la variable
endogène n'est pas la même dans le premier cas (niveau
logarithmique) et dans le second cas (taux de croissance économique). La
corrélation reste cependant élevée. La croissance du
revenu des pauvres est expliquée à plus de 50% par la croissance
du revenu moyen. D'autres facteurs (dont surtout la distribution du revenu)
expliquent le reste. Une fois encore, la pente de la droite de
régression est statistiquement égale à 1. Ce qui signifie
que quand le revenu moyen croit, le revenu des pauvres croit dans la même
proportion. C'est la loi du « one to one » de Dollar et Kraay (2000).
D'autres études (Ravallion et Chen 1997, Ravallion et Squire 1998)
aboutissent à une élasticité supérieure à 1
entre ces deux variables ; suggérant ainsi qu'une augmentation de 1% du
revenu moyen par habitant entraîne une augmentation supérieure
à 1% du revenu des pauvres.
En somme, la croissance économique en augmentant le
revenu moyen par habitant au niveau national, augmente aussi le revenu des plus
pauvres. L'augmentation du revenu entraîne à son tour le
progrès sur le plan social. C'est ce qu'illustrent les figures
suivantes:
Figure I--23 : Corrélation entre le PIB par
tête et les indicateurs « objectifs » de
pauvreté
Ces figures présentent la corrélation entre le
niveau du revenu par habitant et le niveau de bien-- être sur le plan
social, repéré ici par un ensemble de quatre indicateurs sociaux.
Il s'agit notamment de : la malnutrition au sein de la population
repérée par la disponibilité énergétique
alimentaire (en calories par habitant), l'espérance de vie à la
naissance (en années), le taux de mortalité des moins de 5 ans
(pour mille) et l'accès aux connaissances repéré par le
nombre moyen d'années d'étude de la population.
L'espérance de vie à la naissance, le niveau
d'éducation et le niveau de revenu sont les trois indicateurs principaux
souvent considérés comme reflétant le niveau de
développement d'une population. Le PNUD par exemple agrège ces
trois variables en un indice synthétique appelé Indicateur de
Développement Humain (IDH). C'est de ce dernier qu'il se sert pour
jauger le niveau de développement atteint à travers le temps et
l'espace. La disponibilité calorifique alimentaire et le taux de
mortalité infantile sont souvent considérés comme
indicateurs reflétant le niveau de bien*être des plus
vulnérables au sein de la population. C'est pourquoi nous retenons ces
quatre indicateurs (espérance de vie, niveau d'instruction,
disponibilité alimentaire et mortalité des enfants) pour
apprécier le niveau de développement sur le plan social.
On remarque que le revenu par habitant présente en
général une bonne corrélation avec tous ces indicateurs.
Les coefficients sur ces figures indiquent que, lorsque le revenu par habitant
augmente de 1%, la disponibilité énergétique alimentaire
augmente de 17%. Dans le même temps, l'espérance de vie à
la naissance augmente de 0,14% ; le taux de mortalité des moins de 5 ans
baisse de 0,87% et le nombre moyen d'années d'étude augmente de
0,44%. La croissance économique entraînerait bien le
progrès social. C'est la raison pour laquelle certaines institutions
comme la Banque mondiale et le FMI utilisent principalement le revenu par
habitant comme indicateur du niveau de développement. Il en sera de
même pour le reste de notre analyse.
En conclusion la philosophie de la Banque mondiale peut se
résumer ainsi : l'aide aux pays pauvres est la politique à mener
pour combattre la pauvreté dans le monde. En finançant les
investissements dans les pays pauvres grâce à l'aide
internationale, on promeut leur croissance économique. On augmente ainsi
le revenu par tête moyen au niveau national, et
par-là, celui des pauvres. Quand le revenu augmente,
à cause des effets bénéfiques de l'augmentation du revenu
sur les indicateurs sociaux, on améliore le bien-être global des
pays en développement. C'est ainsi qu'on pourra aider les pays du
Tiers-monde à se développer. A terme, la pauvreté absolue
qui est la principale caractéristique du sous-développement
pourra disparaître. C'est l'objectif que poursuit la Banque mondiale dans
les ODM.
Se pose alors une question : après plus d'un
demi-siècle de politique d'aide au développement, la
pauvreté a-t-elle baissé dans le monde?
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