La garantie du principe de non-discrimination
à l'embauche
Sous la direction de Madame Laurence PELADEAU Consultante en
recrutement et mobilité professionnelle
Présenté par Emeline LOREK
Master 2 - Droit et Gestion des Ressources
Humaines Promotion 2016
Les opinions émises dans ce mémoire n'engagent
que leur auteur et non la Faculté Libre de Droit.
La garantie du principe de non-discrimination
à l'embauche
Sous la direction de Madame Laurence PELADEAU Consultante en
recrutement et mobilité professionnelle
Présenté par Emeline LOREK
Master 2 - Droit et Gestion des Ressources
Humaines Promotion 2016
SOMMAIRE
PARTIE I ) Une garantie établie par le respect
des lois Chapitre 1 ) La connaissance fondamentale des textes
Chapitre 2 ) La répression de l'irrespect des
textes nécessaire
PARTIE II ) Une garantie établie par la mise en
place d'actions Chapitre 1 ) La mise en place d'outils
Chapitre 2 ) Le rôle d'appui des institutions
ABREVIATIONS
Art. : Article
Ass. Plen. : Arrêt de l'assemblée
plénière de la Cour de cassation
Soc. : Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de
cassation
Crim.: Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de
cassation
Cons. Const. : Conseil constitutionnel
Cons. Prud'hommes : Décision du Conseil des
prud'hommes
CDD : Contrat de travail à durée
déterminée
CDI : Contrat de travail à durée
indéterminée
CE : Comité d'entreprise
CHSCT : Comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail
Circ. : Circulaire
CJCE : Cour de justice des Communautés
européennes
DP : Délégués du personnel
IRP : Institutions représentatives du personnel
Rapp. : Rapport
Sén. : Sénat
TGI : Tribunal de grande instance
TUE : Traité sur l'Union européenne
INTRODUCTION
D'un point de vue historique, dans un article paru dans le
journal Le Monde en date du 11 mars 1983, Françoise Giroud avait
déclaré « la femme serait vraiment l'égale de
l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait
une femme incompétente».
De nos jours, les choses ont changé et
l'égalité professionnelle évolue un peu plus chaque
année. Toutefois, bien que l'égalité des droits ne fasse
plus l'objet de débats, l'égalité réelle fait quant
à elle toujours couler beaucoup d'encre.
La mise en oeuvre de la devise de la République
Française « Liberté, Égalité,
Fraternité » semble parfois utopique. Ceci peut d'ailleurs se
ressentir au travers du contrat de travail qui marque à la fois la
suprématie mais aussi la limite du concept d'égalité. En
effet, les deux parties sont libres et égales en droit et de ce fait,
l'employeur et le salarié peuvent s'engager dans un rapport contractuel
avec la mise en oeuvre d'une relation quelque peu inégalitaire où
le salarié abandonne une partie de sa liberté en contrepartie
d'une sécurité offerte par son statut de salarié.
L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789 pose le droit à l'égalité ainsi que
les inégalités légitimes. Il existe donc deux conceptions
d'égalité qui peuvent être définies tout comme
Aristote définissait la justice. Il y aurait de ce fait une
égalité commutative selon laquelle chacun aurait les mêmes
droits que l'autre et, une égalité distributive selon laquelle
certains auraient plus de droits que les autres dans le cas où leur
situation particulière le justifierait et que l' « utilité
commune » l'exigerait.
Le Code civil est considéré comme le
prolongement de cette Déclaration de 1789 et prend en compte cette
dualité présente dans le principe d'égalité. Ceci
peut se vérifier avec le contrat de louage de service. Le
législateur traite de la même manière l'employeur et le
salarié concernant la rupture de ce contrat. D'autre part, ce même
Code civil de 1804 vient reconnaître le premier droit catégoriel
en droit du travail. L'article 1781 disposait qu'en cas de différend
portant sur le paiement du salaire, il convenait de croire sur parole
l'employeur. Ceci témoigne donc des préjugés de
l'époque ainsi que de la méfiance envers les ouvriers.
Après la révolution industrielle, le
législateur va oeuvrer vers la protection des personnes les plus
vulnérables dans le monde du travail : les femmes et les enfants. La
loi
D' après une étude de 2010, entre 2005 et 2009,
le taux d'emploi des individus âgés de 16 à 65 ans
était de 86% pour les hommes et de 74% pour les femmes. Pour les
français
du 21 mars 1841 concernant le travail dans les manufactures
vient traiter ces personnes comme des incapables dont l'embauche est interdite,
sous conditions peu exigeantes. Il s'agissait d'une des premières
conceptions de l'inégalité de traitement, fondée alors sur
des limitations dans la jouissance des droits communs.
Cette logique de restriction des droits a ensuite
été écartée au profit d'une protection des droits
par le biai d'une extension avec la discrimination positive.
Ceci apparut après la première Guerre Mondiale
à travers des déclarations internationales puis nationales afin
de favoriser l'insertion de minorités raciales.
Les déclarations de droits consacrèrent donc de
nouveaux droits catégoriels afin de répondre à
l'évolution des droits sociaux. Le préambule de la Constitution
de 1946 consacre un bon tiers de ses dispositions aux droits fondamentaux des
travailleurs et admet l'existence de droits spécifiques pour certaines
catégories de travailleurs telles que les femmes qui ont
désormais un droit à l'égalité vis-à-vis des
hommes ou les travailleurs plus âgés qui ont droit à des
moyens convenables d'existence.
Cette égalité a donc connu trois évolutions
majeures.
Dans un premier temps, la Nation a affirmé
l'égalité des droits pour tous les citoyens avec la
Déclaration de 1789.
Puis, ce droit est devenu plus concret et a été
prolongé avec un droit à la non-discrimination tel un droit
à l'indifférence avec le préambule de la Constitution de
1946.
Et enfin, la notion même d'égalité a
été modifiée avec un passage vers une approche
concrète de l'égalité réelle. En quelque sorte, le
droit à l'indifférence a laissé place à un droit
à la différence qui devra faire l'objet de règles
d'encadrement. Le législateur accorde des droits à ceux qui en
ont besoin.
Cependant, il apparaît un décalage
conséquent entre le droit et la réalité de la situation
dans les entreprises.
dont au moins l'un des deux parents était
immigré et d'origine maghrébine, le taux d'emploi tombait
à 65 % pour les hommes et à 56 % pour les femmes1.
Cette analyse reflète le marché du travail en France : contraste
fortement visible selon le groupe d'appartenance des personnes que ce soit,
selon le genre et selon l'origine ethnique.
Les différences d'intégration sur le
marché du travail français peut s'expliquer par de nombreux
facteurs.
En effet, une première série de facteurs
concerne des différences objectives entre les candidats issus de
l'immigration ou de genre féminin et le reste de la population.
Toutefois, les différences de traitement lors de
l'embauche peuvent aussi résulter de comportements discriminatoires
à l'embauche.
La définition la plus consensuelle en sciences sociales
prévoit qu'une procédure d'embauche donne lieu à un
comportement de nature discriminatoire si deux individus font l'objet d'un
traitement inégal sur la base de différences en termes de
caractéristiques non-productives (origine, genre, orientation sexuelle,
opinions politiques...) alors qu'ils possèdent des
caractéristiques productives observables identiques en tout
point2. La discrimination à l'embauche va exclure toutes les
inégalités de traitement entre candidats qui sont imputables
à des différences d'aptitude à occuper un emploi.
Cependant, les raisons pour lesquelles la discrimination
à l'embauche est présente font
l'objet de véhéments débats.
La première raison, selon Monsieur Gary Stanley Becker,
serait que les employeurs et les recruteurs auraient des
préférences particulières qui les portent à
repousser les individus issus de minorités ethniques3. En
matière de recrutement, un tel comportement pourrait s'expliquer par un
a priori qui ferait que la collaboration avec le candidat discriminé
entraînerait des désagréments fondés sur le seul
motif des caractéristiques sur lesquelles la discrimination est
fondée.
Dans ce cas, la discrimination est nuisible à
l'efficacité économique. En effet, elle favorise des individus
dont les caractéristiques productives sont dominées par celles
d'autres
1 ) AEBERHARDT (R) , COUDIN (E) , RATHELOT (R) , Les
écarts de taux d'emploi selon l'origine des parents : comment
varient-ils avec l'âge et le diplôme ?, 2010
2 ) HECKMAN (J.J), Detecting discrimination, The Journal of
Economic Perspectives, Vol. 12, n° 2. 1998, pp. 101-116
3 ) BECKER (G.S), The economics oft Discrimination, 1957
candidats qui ne sont pas stigmatisés.
La seconde raison vient relier les discriminations aux
défauts d'information qui touchent les employeurs. Malgré les
renseignements contenus dans les CV des candidats, d'autres
caractéristiques productives propres à ces candidats sont
inobservables telles que la capacité à s'intégrer dans une
équipe ou l'aisance orale. Les caractéristiques non productives
des candidats comme le patronyme, le sexe ou le lieu d'habitation sont
utilisées comme des signaux de l'aptitude du candidat. Un employeur
pourrait donc refuser la candidature d'une femme au prétexte que
l'équipe est très masculine et qu'elle aurait alors des
difficultés d'intégration.
Sur le plan institutionnel, les pratiques discriminatoires
peuvent avoir des effets pervers. En effet, les choix d'éducation des
populations touchées par l'inégalité de traitement
illustrent parfaitement ceci. La poursuite d'études est longue et
coûteuse en ce qu'elle oblige ces personnes à renoncer à un
travail et aux revenus que celui-ci pourrait engendrer. Ceci sera
compensé par l'accroissement futur du revenu intimement lié
à la poursuite des études. De ce fait, si l'accès à
l'emploi est plus difficile pour une catégorie de personnes, ce
phénomène aura des répercussions sur les choix
d'éducation.
La discrimination à l'embauche est
considérée comme auto-réalisatrice. Son existence engendre
des niveaux de formation initiale différents entre les
différentes catégories de personnes 4.
La discrimination à l'embauche remet donc en cause
l'accès aux institutions du marché du travail.
Plusieurs études permettent de cerner
l'intensité de ce fléau.
Selon une étude de Monsieur Emmanuel Duguet et de
Madame Pascale Petit5, les femmes jeunes et sans enfant subissent un
handicap important au moment d'obtenir un entretien d'embauche. Ceci
disparaît avec les candidats plus âgés des deux sexes. Le
fait de devoir faire face à une interruption de carrière
liée à l'arrivée d'un enfant constitue donc un point
important pour les employeurs face aux candidatures féminines.
4 ) COATE (S) , LOURY (G.C), Will affirmative-action policies
eliminate negative stereotypes ?, 1993
5) DUGUET (E), PETIT (P) , Hiring discrimination in the
French financial sector : an econometric analysis on field experiment
data, 2005
Ensuite, la discrimination fondée sur l'origine
ethnique a aussi fait l'objet d'une étude6. Pour Monsieur
Emmanuel Duguet, l'étude a démontré l'existence d'une
forte discrimination envers les candidats dont le nom et le prénom sont
d'origine maghrébine. En effet, pour être convié à
un entretien d'embauche, un candidat ayant un nom et un prénom
français doit envoyer en moyenne dix-neuf CV. Un candidat d'origine
maghrébine doit envoyer quant à lui cinquante-quatre CV.
De plus, les résultats démontrent aussi que les
différences de traitement sont davantage marquées quand la
nationalité du candidat est étrangère et se
réduisent quand l'origine seule distingue les candidatures.
Puis, selon une autre étude, la discrimination à
l'embauche pourrait être le fruit d'une défiance de la part des
employeurs envers les candidats appartenant à la communauté
musulmane7.Alors que le nom des candidates avait une origine
similaire perçue, l'écart des taux de convocation à un
entretien d'embauche s'est avéré assez élevé en
faveur d'une candidature catholique avec un taux de succès de 21%. La
candidate musulmane a eu un taux de succès de seulement 8%.
Par ailleurs, la zone d'habitation du candidat semble jouer
aussi un rôle essentiel. Selon une nouvelle étude de Monsieur
Emmanuel Duguet8, quand la candidature se distingue par la
composition sociale de la commune de résidence, celle-ci se
répercute sur le succès des candidatures. Les lieux d'habitation
défavorisés conduisent à des taux de convocation plus
faibles. Ceci est nettement accentué lorsque le nom du candidat est
étranger.
Enfin, Madame Clémence Berson, a démontré
que ces comportements discriminatoires étaient d'autant plus intenses
lorsque le degré de concurrence entre les entreprises est
fort9. Lorsqu'une société de la grande distribution
fait face à une concurrence marquée, la discrimination à
l'encontre des candidats d'origine maghrébine diminue. Ceci confirme
donc que les comportements discriminatoires à l'embauche sont
guidés par les préférences des employeurs. Toutefois,
cette étude démontre que la discrimination de genre
6 ) DUGUET (E), Are young French jobseekers of ethnic
immigrant origin discriminated against ? A controlled experiment in the Paris
area, 2010
7 ) ADIDA (C.L), Identifying barriers to Muslim integration
in France, 2010
8 ) DUGUET (E), Les effets du lieu de résidence sur
l'accès à l'emploi : une expérience contrôlée
sur des jeunes qualifiés en Ile-de-France, 2013
9 ) BERSON (C) , Does competition induce hiring equity
?, 2012
en faveur des femmes est accentuée en cas de
concurrence forte. Madame Berson en conclue alors que les femmes sont moins
exigeantes en matière de conditions de travail et sont donc largement
favorisées par les employeurs.
Le nombre important d'études liées à la
discrimination à l'embauche démontre que la présence
récurrente de ce phénomène dans notre
société dont il convient de se préoccuper dans un souci
d'égalité et d'équité.
Les employeurs, les recruteurs ainsi que les services RH de
manière générale constituent donc des acteurs majeurs dans
le domaine de la lutte contre la discrimination à l'embauche. Leur
mobilisation et leur volonté sont déterminantes.
En effet, ayant effectué mon stage de fin
d'études au sein d'une agence d'emploi, le rôle du recruteur ne se
limite pas seulement à la sélection de candidatures. Il se doit
d'être à l'écoute constante de ses candidats et sa place
constitue un véritable pilier pour la garantie du principe de
non-discrimination au moment de l'embauche.
Toutefois, force est constater que la place de la victime est
souvent abordée en matière de discrimination mais que la place et
le rôle de l'employeur restent trop souvent flous et ne font que trop peu
l'objet d'études.
En effet, il paraît judicieux de s'interroger sur la
mission de l'employeur en tant que défenseur du principe de
non-discrimination au moment du recrutement. Car, si l'employeur se doit de
respecter ce principe de non-discrimination à l'embauche, comment
peut-il le garantir au sein de son entreprise et surtout le peut-il vraiment
?
Afin de répondre à cette interrogation, il
conviendra de voir dans un premier temps que la garantie du principe de
non-discrimination à l'embauche ne peut pas s'établir sans une
connaissance approfondie et un respect total des textes législatifs sous
peine de sanctions (Partie I).
L'employeur, une fois informé mais parfois perdu face
à tant d'abstraction, peut alors mettre en place dans son entreprise des
outils concrets de lutte contre ce phénomène quitte à
obtenir le soutien d'institutions (Partie II) afin de participer activement
à la garantie du principe de non-discrimination à l'embauche.
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