La distribution des dividendes en droit des sociétés commerciales ohada( Télécharger le fichier original )par Marc Rostel KANA KENGNI Université de Dschang - Master en droit des affaires et de l'entreprise 2013 |
B- L'existence des zones d'ombre pour la déterminationde l'ayant droit aux dividendesIl existe des hypothèses où la détermination de l'ayant droit aux dividendes n'est pas évidente. Ceci est consolidé par le fait que le législateur OHADA a organisé certains mécanismes sans pour autant être explicite. C'est le cas des démembrementsdes droits sociaux où l'Acte l'uniforme ne règle pas directement la répartition des prérogatives pécuniaires entre co-titulaires d'actions démembrées203(*). La question de la détermination des ayants droit aux dividendes se pose ainsi en cas d'opérations sur les titres (1) et de propriété partagée (2). 1- Les hypothèses d'opérations sur les titres sociaux L'incertitude vient du fait que le législateur a été très limité dans l'aménagement des cas d'opérations sur les titres sociaux. Du coup, il faut se référer à la doctrine et parfois au droit étrangerpour déterminerles ayants droits aux dividendes lorsque les hypothèses non prévues se présenteront.La question ne se pose plus avec la cession204(*). Le cessionnaire acquiert tous les droits du cédant lorsqu'il est agréépar la société. En revanche, il faut s'appesantir sur le nantissement, l'hypothèse d'un séquestre des titres sociaux et la location des titres sociaux même si cette dernière hypothèse n'est pas envisagée par le législateur OHADA. S'agissant du nantissement, c'est la mise en gage des titres sociaux.L'article 239 de l'AUPSRVE205(*)précise à cet effet que «l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ». Dès lors, avant la réalisation du nantissement, c'est le débiteur qui a la propriété. C'est donc lui qui bénéficie des dividendes. Mais le créancier peut définir les conditions dans lesquelles l'associé peut disposer des dividendes reçus. En cas de réalisation, celui qui acquiert les titres qui sont mis en vente percevra les dividendes. Ceux-ci peuvent être versés au créancier après avoir demandé en justice que les parts lui soient attribuées en paiement206(*) de sa créance.Néanmoins, le constituant percevra les dividendes s'il consigne une somme suffisante pour désintéresser le créancier. En ce qui concerne la location des titres207(*), elle permet aux titulaires d'actions ou de parts sociales des SARL de les mettre en location ou en crédit bail. Ces opérations permettent la reprise des petites sociétés. Ici, le bailleur demeure associé. Il est assimilé au nu-propriétaire. Le locataire quant à lui est assimiléà l'usufruitier. C'est donc à ce dernier que reviendra le dividende. Le législateur OHADA étant motivé par un souci de modernisme, il n'est pas exclu que cette hypothèse soit réglementée. En outre, lorsque les titres font l'objet d'un séquestre208(*) à la suite d'une contestation sur la propriété ou en cas d'incidents graves, l'on se demande si les titres en cause conservent leur droit aux dividendes. Il faut dire qu'en cas de décision de distribution, les titres séquestrés doivent conserver leur droit aux dividendes. Ceux-ci pourront être remis au tiers dépositaire des titres qui les restituera à qui de droit.Avant la décision de distribution, c'est au juge qu'il revient de statuer sur le droit de vote209(*).Qu'en est-il de la propriété partagée ? 2- Les hypothèses de la propriété partagéeLa propriété est partagée lorsque les titres sociaux appartiennent à plusieurs personnes. Il peut s'agir de l'indivision ou de l'usufruit. L'indivision est la situation juridique née de la concurrence des droits de même nature exercés sur un même bien ou sur une masse de biens par des personnes différentes sans qu'il y-ait division matérielle de leurs parts210(*). En droit des sociétés, il y a indivision lorsque plusieurs associés exercent concurremment des droits sur les titres sociaux. Cette situation peut résulter d'une succession ou d'une dissolution de la communauté. Chacun des indivisaires a la qualité d'associé211(*). L'exercice de leur droit se fera néanmoins de manière collective par la désignation d'une personne chargée de les représenter.À défaut d'accord entre eux, tous sont convoqués aux assemblées, mais ne seront représentés que par l'un d'entre eux également habileté à encaisser les dividendes. Si les co-indivisaires ne peuvent désigner l'un d'entre eux pour le faire, le juge saisi à l'initiative du plus diligent désignera un mandataire212(*). L'usufruit pour sa part est un droit réel d'usage et de jouissance sur la chose d'autrui. Par son existence, la propriété se trouve écornée, démembrée. Des trois pouvoirs dont elle était le faisceau, l'usus et le fructus passent à l'usufruitier et le propriétaire ne conserve que l'abusus213(*). Il devient lenu-propriétaire. En droit des sociétés, il y aura par exemple usufruit lorsqu'un conjoint survivant reçoit l'usufruit des titres appartenant au prédécédé. Sila qualité d'associé du nu-propriétaire n'est pas discutée214(*), celle de l'usufruitierest controversée. Pour certains, il est juridiquement impossible qu'un usufruitier de parts sociales ou d'actions pût se voir reconnaître la qualité d'associé215(*). Pour d'autres, la qualité d'associé doit être reconnue à la fois au nu-propriétaire et à l'usufruitier216(*). Cette seconde perception semble appropriée. En effet, étant donné que les deux parties se voient reconnaître une partie des prérogatives sociales,chacun a implicitement la qualité d'associé. Dans tous les cas, l'article 128 de l'AUSCGIE dispose que : « à défaut de stipulation contraire des statuts, si une action ou une part sociale est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices où il est réservé à l'usufruitier ».Ainsi, l'usufruitier des droits sociaux appréhende les bénéfices sociaux distribués sous forme de dividendes. Toute clause qui aurait pour effet de supprimer le droit aux dividendes de l'usufruitier sera nulle217(*). * 203 MEUKE Yves Bérenger, « Observations sur le démembrement des droits sociaux dans l'espace OHADA », Penant, n° 858, 2007, p. 97. * 204 Cette question se posait lorsque la nature juridique du dividende était controversée. L'on se demandait alors s'il s'agissait des fruits civils (réputés s'acquérir au jour le jour comme les intérêts ou les loyers) ou des fruits naturels (se détachant régulièrement des actions ou des parts sociales comme des fruits d'un arbre fruitier). Longtemps considéré comme fruit civil, le dividende est aujourd'hui assimilé par la jurisprudence comme fruit naturel car, « considérant d'une part que si les caractéristiques des fruits civils comme ceux procédant d'intérêts, loyers ou arrérages sont la périodicité et la fixité, il en est pas de même des dividendes distribués par une société civile ou une société commerciale ; qu'en effet, la distribution et le montant des dividendes sont fonction du résultat dégagé chaque année par l'exercice comptable, ce qui leur confère un caractère aléatoire et indéterminé qui s'opposent à la périodicité et à la fixité caractérisant les fruits civils (et) considérant d'autre part que si les fruits civils s'acquièrent au jour le jour, le droit des associés ne prend naissance qu'au jour où la décision est prise de leur distribution ».( CA Versailles, 23 fév. 1990, JCP, E 1991, II, 125, note GUYON) ; voir COZIAN Maurice, VIANDIER Alain et DEBOISSY Florence, Droit des sociétés, 12e éd, Litec, 1999, p. 316. * 205 Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution * 206 NGOUE Willy James, op.cit., p. 149. * 207 Elle est organisée en France par la loi du 2 Août 2005 prise en faveur des petites et moyennes entreprises * 208 Dépôt d'une chose litigieuse entre les mains d'un tiers qui s'oblige à la rendre après la contestation terminée à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir. Le séquestre peut être conventionnel ou ordonné par une juridiction saisie d'une contestation quant à la propriété d'une chose. * 209Cass. Com., 15 février 1983, Rév. Sociétés 1983, p 593, note GUILBERTEAU. * 210 GUILLIEN Raymond et VINCENT Jean, lexique des termes juridiques, 14e éd., Dalloz, 2003. * 211Cass, 1ere civ, 6 février 1980, Rév. Sociétés, 1980, p.521, note VIANDIER. * 212Cass. Com., 15 novembre 1976, Rev. Soc., 1977, p. 272, note GUYON. * 213 CARBONIER Jean, Droit civil, les biens, Tome 3, PUF, 1991, p. 158. * 214 Art. 1844 du C.Civ. * 215 VIANDIER Alain, La notion d'associé, LGDJ, 1978, n° 248 et s. * 216 COZIAN Maurice, « Du nu-propriétaire et de l'usufruitier, qui à la qualité d'associé », JCP, E 1994, I, 374 ; DONDERO Bruno, « Répartition des pouvoirs en cas de démembrement des droits sociaux et reconnaissance de la qualité d'associé à l'usufruitier », note sous com., 2 décembre 2008, Recueil Dalloz, n° 11/7372e, Mars 2009, p. 780 ; Martin Didier, « Usufruit et propriété des droits sociaux », Recueil Dalloz, n° 36/7397e, Octobre 2009, p. 2444. * 217 MEUKE Yves Bérenger, article précité, p. 3 |
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