4. Un nouveau mode de fonctionnement
Les causes de la mutation du secteur a pour
conséquences la recherche de nouveaux financements et le
repositionnement du live au centre de l'économie. Un
phénomène de concentration des activités s'observe
notamment au travers le rapprochement des labels et des producteurs avec des
salles de spectacles. Deux modèles sont à l'origine de ces
stratégies : le 360° artiste qui consiste à
développer un maximum de contenus autour de l'artiste, et le 360°
consommateur qui vise à exploiter l'ensemble des activités en
relation avec le fait de se rendre à un concert. Une
enquête37 sur la situation des labels en 2011 prouve la
multi-activité des entreprises : 6% des labels ne sont que producteurs,
23% ont une activité complémentaire et 44% accumulent au moins
quatre activités. Les plus courantes sont l'édition (66%), le
spectacle (46%), le management (36%), l'enregistrement (31%), la distribution
(24%) et le pressage (8%).
36 Conférence MaMa, « Quand les labels se
font prestataires », 2014.
37 Mila, « Enquête Mila sur les labels
», mars à juin 2011.
23
C'est en 2008 que les tours supports ont disparu totalement,
traduisant l'impact des changements. Les maisons de disques apportaient une
aide financière aux tournées et à présent, la
relation s'est inversée : les producteurs de spectacles sont devenus les
principaux découvreurs de talents et les investissements en
matière de promotion se sont renforcés. La scène est
devenue la principale source de revenus des artistes. En 2006, on comptait
35.238 représentations contre 55.608 en 2012 soit une augmentation de
58% en seulement cinq ans.38 Les billetteries ont pris encore plus
de valeur et attirent d'autres acteurs de la filière, ce qui accentue la
concentration des activités. Ticketnet en 2010 a été
racheté par Live Nation, et Vivendi qui possède Universal Music,
devient actionnaire majoritaire en 2010 de Digitick puis, partenaire d'Havas en
2014 pour faire du placement de produit dans les clips.
Un autre phénomène constaté dans cette
mutation du secteur est l'externalisation de valeurs vers de nouveaux
prestataires. Les enjeux de la musique sur le numérique sont forts et
cette opportunité d'exploiter un nouveau terrain économique est
développée par les startups. En effet, elles offrent aux
professionnels de la musique des outils numériques pour répondre
à leurs besoins en matière de découverte de talents, de
production, de promotion, de relation entre public et artiste etc.
Néanmoins, la majorité des entreprises du secteur sont de petites
et moyennes entreprises et disposent de moyens financiers limités pour
investir dans ces services. La capacité d'autofinancement est faible et
ne représente que 2% du chiffre d'affaires ce qui traduit la
fragilité de ces entreprises. Sur 9 millions de résultats nets
annoncés par le CNV39, 120% de ce chiffre est
réalisé par un faible nombre de producteurs et quelques salles
générant plus de 5 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui
signifie que la moitié des structures sont en perte.40
Dans ce contexte qui a tendance à perdre les artistes
par rapport aux maisons de disques, l'obtention d'un contrat et dégager
des revenus sont de plus en plus difficiles. Il apparait que les labels
deviennent des prestataires marketing au service des artistes : Play It Again
propose depuis 5 ans des services à la carte mais aussi Kobalt Music aux
Etats-Unis ou encore Your Label. Le but est de développer des
méthodes afin d'accompagner au mieux les
38 PRODISS, « Rapport d'activité janvier
2013 - 2014 - Activité et enjeux du spectacle musical et de
variété en France », 2014.
39 CNV : Centre National de la chanson des
Variété et du jazz.
40 BIGAY, Romain, « Les entreprises de spectacle
face à la mutation - opportunités et reconfiguration », in
IRMA, mercredi 14 janvier 2015.
24
artistes dans leur carrière tout en étant
transparent dans les pratiques, et faire en sorte que l'artiste soit le
gestionnaire de ses droits. En d'autres termes, il s'agit de proposer aux
artistes l'inverse de ce qui est souvent reproché aux
majors.41
D) Les enjeux politiques et
législatifs
1. Le plafonnement de la taxe
L'industrie de la musique au même titre que n'importe
quel autre secteur d'activité, est encadrée par des textes de
loi. Les syndicats représentatifs de la filière ont un rôle
primordial dans les négociations avec les institutions publiques. La
mission essentielle du PRODISS42 est de représenter,
promouvoir et défendre l'intérêt des entrepreneurs du
spectacle musical et de variété en France. Plusieurs «
chantiers » sont en cours de discussion entre les professionnels du
secteur, leurs représentants et le gouvernement afin de créer
dans ce contexte, des conditions fiscales nécessaires à
l'évolution du secteur. Il apparait que les seules solutions de
financement qui existent sont celles du CNV, dont le produit de la taxe est
généré par les entrepreneurs du spectacle et que cet outil
arrive à ses limites. Cette taxe permet notamment de soutenir la
scène musicale française. Le niveau du plafonnement de la taxe
par le ministère de l'Économie met en péril l'existence et
les missions du CNV. Le PRODISS en partenariat avec le ministère de la
Culture et de la Communication lutte contre l'abaissement de 10% de ce
plafond.43
2. Un crédit d'impôt
Un crédit d'impôt pour le producteur de
spectacles devient une nécessité car il joue un rôle
central dans la découverte et l'accompagnement de nouveaux talents. Il
soutient économiquement des tournées d'artistes en
développement, ce qui se traduit par des pertes financières dans
un contexte de plus en plus difficile.
François Hollande a proposé en 2013 aux
partenaires sociaux de conclure un pacte de responsabilité pour
redresser la compétitivité française. Le PRODISS propose
un dispositif qui vise à renforcer l'emploi artistique, à
pérenniser l'emploi sur tout le territoire et à encourager la
création artistique. Ceci passerait par l'exonération des charges
patronales sur
41 Conférence MaMa, « Quand les labels se
font prestataires », 2014.
42 PRODISS : Syndicat national des producteurs,
diffuseurs et salles de spectacles.
43 PRODISS, « Rapport d'activité janvier
2013 - 2014 - Activité et enjeux du spectacle musical et de
variété en France », 2014.
25
le coût d'un plateau artistique pour les salaires
relatifs aux artistes en développement, avec les conditions suivantes :
détenir une licence de producteur de spectacles, et un engagement pour
employer ce plateau pendant au moins quarante dates sur un an.
3. Un droit de propriété pour les
producteurs
La réglementation de la profession d'entrepreneur de
spectacle engendre des contraintes et des obligations, en particulier aux
producteurs. En effet, la durée des droits exclusifs est limitée
par le Code de la propriété intellectuelle et il est obligatoire
de détenir une licence d'entrepreneur du spectacle, qui est à
durée déterminée. Les producteurs revendiquent un droit
à la propriété intellectuelle sur les enregistrements de
spectacles qu'ils créent et produisent, et qui pendant 20 ans a
été perçu comme anecdotique, notamment par les pouvoirs
publics. Le PRODISS suggère un régime juridique de
présomption de cession des droits du producteur de spectacle au profit
du producteur de la captation, qui permettrait d'éviter tout conflit
pour exploiter des contenus. L'enjeu est important car 22% des vidéos
musicales disponibles sur YouTube concernent le spectacle vivant, et seulement
0,9% de celles-ci sont de sources officielles. C'est dans ce contexte que la
ministre de la Culture et de la Communication a chargé l'Inspection
générale de la Culture d'étudier la faisabilité
technique de ce nouveau droit. En Allemagne, le même type de
système a été adopté et reconnait un droit de
propriété intellectuelle pour les producteurs de spectacles,
« cependant, notre travail ne fait que commencer, parce que maintenant
nous aurons à établir les nouveaux taux et les systèmes de
distribution ».44
4. La liberté de création
La ministre de la Culture et de la Communication a
indiqué en janvier 2014 que « pour la première fois, la
liberté de création sera inscrite dans un texte législatif
». Le projet de loi reconnaitrait la place des artistes en passant
notamment par un engagement pour la formation et la protection sociale. Un
autre aspect de cette loi traite des mesures issues du rapport Lescure sur
l'adaptation des politiques culturelles au numérique, à travers
une
44 Citation du directeur de la Gesellschaft zur
Wahrnehmung von Veranstalterrechten.
26
amélioration de l'offre légale ou encore, sur la
rémunération des artistes. Ce projet de loi devrait être
présenté devant le Parlement cette année45.
5. L'IFCIC
Un dispositif dédié au spectacle vivant est en
cours de création à l'IFCIC46 et vise à
améliorer l'accès aux banques à des structures qui en sont
souvent exclues. Le taux d'endettement des entreprises musicales est faible par
rapport aux autres secteurs car les banques sont plutôt frileuses
vis-à-vis de ce secteur.47 Le Ministère de la Culture
a souhaité depuis près de quarante ans intervenir en faveur des
industries culturelles, notamment dans le secteur cinématographique, en
dotant des fonds de garanties destinés aux banques acceptant de financer
ces projets, afin de pérenniser et développer cette politique.
6. Une réglementation européenne sur le
numérique
Le dernier principal enjeu se traduit par le souhait des
professionnels du secteur de maîtriser la valeur de la musique sur le
numérique, car un grand nombre de valeur se perd en dehors de la
filière. Lors de la conférence sur les labels lors du MaMa 2014,
un intervenant exprimait les difficultés à obtenir des
réponses car les entreprises qui contrôlent le numérique
sont aux Etats-Unis : « E...] et savoir qui est dans les mains de Google,
Apple, Facebook et Amazon qui nous dictent leurs conditions une fois qu'on a
compris ça, on sait qu'il y a quelques agrégateurs qui
concentrent les informations ». Il pense que les bases du droit doivent
être réglées pour éviter les conflits et
décrit l'urgence de la situation au travers un exemple : « les
royautés peuvent changer de format juste parce qu'Apple l'a
décidé ».
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