4. L'INCIDENCE DE LA PERCEPTION ET LA
GESTION DE LA TOXICITÉ DES PESTICIDES
Notre corpus de données montre que la totalité
des maraichers est consciente de la toxicité des produits. Cependant,
les règles de sécurité recommandées ne sont pas
respectées. En effet, une observation des séances de
préparations des mélanges de produits et d'épandages, nous
ont permis de constater que le port d'équipement de protection n'est pas
une pratique courante sur le site (voir photo 15).
Photo 15 : Epandage de pesticide par un maraicher
sur le site de VIMAS
Source : ABDOULAYE
La maîtrise de la direction du vent est
évoquée comme moyen d'éviter l'inhalation du produit. Lors
de l'épandage, le maraicher fait dos à la direction du vent,
déterminée par le mouvement des feuilles. Tous déclarent
également boire beaucoup d'eau pour réduire les risques
d'intoxications pouvant engendrer des problèmes respiratoire et autres.
Il y en a qui prennent systématiquement une douche après
épandage ; d'autres passent de l'huile de palme sur les mains.
Alors, pour gérer ou mettre à distance le risque, ils bricolent
des manières de faire qui deviennent des normes modulées selon
les situations (Nicourt et al., 2009). La thèse de certains
auteurs (Ahouangninou, 2011 ; Cissé, 2003 ; Dülmler,
1993 ; Kanda, 2006 ; Mawois, 2009) selon laquelle les maraichers ne
prennent aucune disposition face aux risques sanitaires auxquels ils s'exposent
lors de l'épandage semble limitée. Car une telle position ignore
les pratiques culturelles et les connaissances traditionnelles en
matière de protection de la santé (Memel-Fotê, 1998).
On constate à travers les discours que la
totalité des maraichers ressent le caractère néfaste des
produits dans leurs pratiques quotidiennes. 15 des maraichers ont
déjà eu au moins une fois des brûlures, des nausées
ou des démangeaisons liées aux produits de traitement. Parmi ces
15 maraichers, 5 ont dès lors, cessé de faire
l'épandage ; ils ne se chargent que de faire le mélange des
produits et confient l'activité d'épandage aux ouvriers. On
observe une sorte d'épandage délégué (voir photo 16
et 17). Les autres continuent et ne se plaignent apparemment pas des maux
ressentis. Les maux s'inscrivent dans une normalité du travail qui
affecte le corps, au même titre qu'il l'est par la
pénibilité physique de certains travaux (Nicourt et al.,
2009).
Photo 16 :
Préparation de mélange de pesticides par un propriétaire
d'une parcelle à VIMAS
Source : ABDOULAYE
Photo 17 : Epandage du
mélange de la photo 16 par un ouvrier de VIMAS
Source : ABDOULAYE
Pour les autres, bien que ces produits soient la source d'une
certaine crainte, ils ne connaissent pas précisément les risques
exacts qu'ils encourent. «...il parait que les produits
phytosanitaires blessent, s'accumulent dans l'organisme. Moi je n'ai pas encore
eu de problème avec ces produits... » [Salomé,
36 ans maraicher à Vimas]. Par ailleurs, 12 des maraichers
affirment que l'odeur associée aux pesticides, les rend plus vigilants,
« on fait plus attention si le produit sent mauvais »
[Orou, 25 ans, maraicher à Vimas]. Pour ceux qui travaillent
dans des secteurs où le risque toxique existe (chimie, agriculture...),
les variations d'odeurs sont des indicateurs potentiels de risques (Nicourt
et al., 2000). L'odeur est un marqueur social des situations
dégradées (Corbin, 1982). Dans les situations de travail, une
variation d'odeur est un indicateur de risque. Mais l'existence et la
qualification du danger révélé demeurent incertaines.
Malgré tout, c'est un signe qui invite à la prudence, même
si son absence n'est pas dénuée de risques (Nicourt et
al., 2009). Cependant, la mise en marché de pesticides inodores
pourrait rendre inefficace cette connaissance issue de l'expérience.
En outre, pour répondre aux tenants de la thèse
selon laquelle l'utilisation des produits coton en maraichage est dangereux
pour la santé, les maraichers déclarent tous consommer
également leurs cultures de production et qu'un arrosage régulier
des cultures seraient un bon détoxiquant. « Ça fait
10 ans que je suis dans le maraichage et que je consomme moi aussi mes
cultures... mais je suis rarement malade et je ne suis pas encore mort... si
c'était aussi dangereux que ça ! Tous les béninois
serait déjà mort... » [Baké, 38 ans
maraichère à VIMAS]. « ...les premières
sensibilisations, que les maraichers ont eu, ont diabolisé les produits
pesticides, et donc je comprends leur attitude parce que les premières
sensibilisations qui ont été faites dans ce sens là, ont
consisté à leur dire, les pesticides sont dangereux, sont
nuisibles, il ne faut pas les utiliser. Il aurait fallu mieux dire aux
maraichers, les pesticides sont dangereux, il faut savoir les utiliser, donc
c'est ce que les gens au début, n'ont pas bien compris ; et bien,
quand vous dites à un maraicher que le produit est dangereux, il ne faut
pas l'utiliser, ça fait si, ça fait ça et qu'il ne voit
pas automatiquement les retombés, effectivement, il peut se dire que,
ah !, tel a menti... » [Animateur ONG APRETECTRA sur le site de
VIMAS]. Ainsi, certains maraichers associent la toxicité à
des problèmes de santé discernables, à la mort. En
réalité les malaises sont ressentis mais seulement que le lien
n'est pas bien fait. Les malaises tels que la toux, la fatigue, les
céphalées sont imputés à d'autres facteurs comme
l'activité physique du métier, l'exposition au froid et au soleil
etc. Cette représentation de la toxicité explique
également le fait que certains maraichers ne respectent pas le temps de
rémanence après le traitement. « Il arrive souvent
que les gens sur le site ici, ne respectent pas le temps de rémanence
des produits... mais moi je ne fais jamais ça ! Celui qui est
à coté de moi, c'est sa spécialité... ».
[Bona, 25 ans, maraichers à VIMAS]. Aucun des maraichers n'a
avoué directement faire cette pratique mais par contre, tous avouent que
c'est le voisin qui le fait. Et donc on peut comprendre par cette attitude des
maraichers, qu'ils sont conscients du danger de l'acte posé et de ce
fait refuse de l'avouer. Ce qui intéresse le maraicher, c'est de vendre
ces cultures.
Photo 18 : Boutique de
vente de pesticide à Cotonou
Source : ABDOULAYE
Notons aussi que les vendeurs de pesticides sont conscients
des risques et prennent des dispositions de protections. « Cette
activité a trop de risque mais on a pas le choix. Il faut qu'on mange.
Les produits sentent mauvais. Et le plus difficile à faire, c'est
déconditionné pour vendre en détail. J'ai
été obligé de faire appel à mon cousin du village
pour m'aider. La femme d'un autre vendeur a failli mourir dans cette affaire
là. Elle est restée malade pendant des années. Toute sa
peau a changé de couleur... le médecin a dit que ce sont les
pesticides » [Vendeur de pesticides à Cotonou]. Comme on
peut le remarquer sur la photo précédente, (photo 18) ce vendeur
à pris certaines dispositions pour réduire les risques
d'intoxication en mettant par exemple un brasseur et en faisant des trous dans
les murs pour aérer la boutique.
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