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Construction sociale des processus décisionnels en matière d'usage des pesticides par les maraichers de Sèmè-Kpodji

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par Daleb Abdoulaye Alfa
Université d'Abomey-Calavi - DEA 2014
  

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4. L'INCIDENCE DE LA PERCEPTION ET LA GESTION DE LA TOXICITÉ DES PESTICIDES

Notre corpus de données montre que la totalité des maraichers est consciente de la toxicité des produits. Cependant, les règles de sécurité recommandées ne sont pas respectées. En effet, une observation des séances de préparations des mélanges de produits et d'épandages, nous ont permis de constater que le port d'équipement de protection n'est pas une pratique courante sur le site (voir photo 15).

Photo 15 : Epandage de pesticide par un maraicher sur le site de VIMAS

Source : ABDOULAYE

La maîtrise de la direction du vent est évoquée comme moyen d'éviter l'inhalation du produit. Lors de l'épandage, le maraicher fait dos à la direction du vent, déterminée par le mouvement des feuilles. Tous déclarent également boire beaucoup d'eau pour réduire les risques d'intoxications pouvant engendrer des problèmes respiratoire et autres. Il y en a qui prennent systématiquement une douche après épandage ; d'autres passent de l'huile de palme sur les mains. Alors, pour gérer ou mettre à distance le risque, ils bricolent des manières de faire qui deviennent des normes modulées selon les situations (Nicourt et al., 2009). La thèse de certains auteurs (Ahouangninou, 2011 ; Cissé, 2003 ; Dülmler, 1993 ; Kanda, 2006 ; Mawois, 2009) selon laquelle les maraichers ne prennent aucune disposition face aux risques sanitaires auxquels ils s'exposent lors de l'épandage semble limitée. Car une telle position ignore les pratiques culturelles et les connaissances traditionnelles en matière de protection de la santé (Memel-Fotê, 1998).

On constate à travers les discours que la totalité des maraichers ressent le caractère néfaste des produits dans leurs pratiques quotidiennes. 15 des maraichers ont déjà eu au moins une fois des brûlures, des nausées ou des démangeaisons liées aux produits de traitement. Parmi ces 15 maraichers, 5 ont dès lors, cessé de faire l'épandage ; ils ne se chargent que de faire le mélange des produits et confient l'activité d'épandage aux ouvriers. On observe une sorte d'épandage délégué (voir photo 16 et 17). Les autres continuent et ne se plaignent apparemment pas des maux ressentis. Les maux s'inscrivent dans une normalité du travail qui affecte le corps, au même titre qu'il l'est par la pénibilité physique de certains travaux (Nicourt et al., 2009).

Photo 16 : Préparation de mélange de pesticides par un propriétaire d'une parcelle à VIMAS

Source : ABDOULAYE

Photo 17 : Epandage du mélange de la photo 16 par un ouvrier de VIMAS

Source : ABDOULAYE

Pour les autres, bien que ces produits soient la source d'une certaine crainte, ils ne connaissent pas précisément les risques exacts qu'ils encourent. «...il parait que les produits phytosanitaires blessent, s'accumulent dans l'organisme. Moi je n'ai pas encore eu de problème avec ces produits... » [Salomé, 36 ans maraicher à Vimas]. Par ailleurs, 12 des maraichers affirment que l'odeur associée aux pesticides, les rend plus vigilants, « on fait plus attention si le produit sent mauvais » [Orou, 25 ans, maraicher à Vimas]. Pour ceux qui travaillent dans des secteurs où le risque toxique existe (chimie, agriculture...), les variations d'odeurs sont des indicateurs potentiels de risques (Nicourt et al., 2000). L'odeur est un marqueur social des situations dégradées (Corbin, 1982). Dans les situations de travail, une variation d'odeur est un indicateur de risque. Mais l'existence et la qualification du danger révélé demeurent incertaines. Malgré tout, c'est un signe qui invite à la prudence, même si son absence n'est pas dénuée de risques (Nicourt et al., 2009). Cependant, la mise en marché de pesticides inodores pourrait rendre inefficace cette connaissance issue de l'expérience.

En outre, pour répondre aux tenants de la thèse selon laquelle l'utilisation des produits coton en maraichage est dangereux pour la santé, les maraichers déclarent tous consommer également leurs cultures de production et qu'un arrosage régulier des cultures seraient un bon détoxiquant. « Ça fait 10 ans que je suis dans le maraichage et que je consomme moi aussi mes cultures... mais je suis rarement malade et je ne suis pas encore mort... si c'était aussi dangereux que ça ! Tous les béninois serait déjà mort... » [Baké, 38 ans maraichère à VIMAS]. « ...les premières sensibilisations, que les maraichers ont eu, ont diabolisé les produits pesticides, et donc je comprends leur attitude parce que les premières sensibilisations qui ont été faites dans ce sens là, ont consisté à leur dire, les pesticides sont dangereux, sont nuisibles, il ne faut pas les utiliser. Il aurait fallu mieux dire aux maraichers, les pesticides sont dangereux, il faut savoir les utiliser, donc c'est ce que les gens au début, n'ont pas bien compris ; et bien, quand vous dites à un maraicher que le produit est dangereux, il ne faut pas l'utiliser, ça fait si, ça fait ça et qu'il ne voit pas automatiquement les retombés, effectivement, il peut se dire que, ah !, tel a menti... » [Animateur ONG APRETECTRA sur le site de VIMAS]. Ainsi, certains maraichers associent la toxicité à des problèmes de santé discernables, à la mort. En réalité les malaises sont ressentis mais seulement que le lien n'est pas bien fait. Les malaises tels que la toux, la fatigue, les céphalées sont imputés à d'autres facteurs comme l'activité physique du métier, l'exposition au froid et au soleil etc. Cette représentation de la toxicité explique également le fait que certains maraichers ne respectent pas le temps de rémanence après le traitement. « Il arrive souvent que les gens sur le site ici, ne respectent pas le temps de rémanence des produits... mais moi je ne fais jamais ça ! Celui qui est à coté de moi, c'est sa spécialité... ». [Bona, 25 ans, maraichers à VIMAS]. Aucun des maraichers n'a avoué directement faire cette pratique mais par contre, tous avouent que c'est le voisin qui le fait. Et donc on peut comprendre par cette attitude des maraichers, qu'ils sont conscients du danger de l'acte posé et de ce fait refuse de l'avouer. Ce qui intéresse le maraicher, c'est de vendre ces cultures.

Photo 18 : Boutique de vente de pesticide à Cotonou

Source : ABDOULAYE

Notons aussi que les vendeurs de pesticides sont conscients des risques et prennent des dispositions de protections. « Cette activité a trop de risque mais on a pas le choix. Il faut qu'on mange. Les produits sentent mauvais. Et le plus difficile à faire, c'est déconditionné pour vendre en détail. J'ai été obligé de faire appel à mon cousin du village pour m'aider. La femme d'un autre vendeur a failli mourir dans cette affaire là. Elle est restée malade pendant des années. Toute sa peau a changé de couleur... le médecin a dit que ce sont les pesticides » [Vendeur de pesticides à Cotonou]. Comme on peut le remarquer sur la photo précédente, (photo 18) ce vendeur à pris certaines dispositions pour réduire les risques d'intoxication en mettant par exemple un brasseur et en faisant des trous dans les murs pour aérer la boutique.

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