3. LE MANQUE DE TEMPS DU MARAICHER
Il ressort de nos entretiens et de nos observations que le
maraicher ne se donne pas de repos. Le temps de son repos est juste le temps de
faire la cuisine ou d'acheter quelque chose à manger. Le
désherbage et l'arrosage sont en effet, deux activités qui
occupent la majorité de leur temps. Plusieurs raisons peuvent expliquer
ce manque de temps : tout d'abord, le site est non loin de la mer et de ce
fait la terre sur laquelle les maraichers mènent leurs activités
est essentiellement sableux (voir photo 14).
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Photo 14 : Le sol
sableux de VIMAS
Source : ABDOULAYE
Cette caractéristique du sol qui n'est pas favorable
à la rétention d'eau, oblige les maraichers à arroser
pendant plus de temps qu'il n'en faut. Alors, ne disposant pas pour la plupart
d'un système d'irrigation automatique, cette activité leur prend
3 à 8h00 par jour en fonction de la culture et de la superficie.
« L'arrosage est obligatoire. Même quand il pleut, tu dois
parfois arroser ; ça dépend de ce que tu as planté.
Par exemple, nous utilisons la fiente pour la fertilisation. Après la
pluie, des débris de fientes se retrouvent sur les feuilles de salades
et nous nous trouvons dans l'obligation d'arroser pour nettoyer les feuilles,
sinon les feuilles vont pourrir et leurs valeurs marchandes seront en
baisse.» [Florence, 38 ans, maraichère à Vimas].
« Ma parcelle de culture est non loin de la mer et ça fait que
mes plants s'assèchent. Parfois quand vous goutez, c'est très
salé... je suis obligé d'arroser
régulièrement » [Karim, 28 ans, maraichère
à VIMAS]. L'arrosage n'a donc pas que pour fonction de rendre
humide le sol, mais également une fonction de lavage de la plante.
L'assèchement des plants pourrait s'expliquer par la différence
de concentration entre les deux milieux.
Par ailleurs, les maraichers accordent une place capitale
à la propreté. Selon eux, le champ sans mauvaise herbe met en
exergue la beauté de la culture et attire beaucoup plus le client.
« Nous sommes en concurrence ici. Même quand tes plants
sont bien développés et se retrouvent au milieu des mauvaises
herbes, ça n'attire pas le client. Mis à part cela, la mauvaise
herbe ne permet pas un développement harmonieux des plants. C'est
pourquoi nous n'aimons pas voir les mauvaises herbes dans le champ »
[Osseni, 30 ans, maraicher à VIMAS].
L'arrosage et le désherbage sont deux activités
qui occupent les maraichers. Les invitations pour les sensibilisations et
formations liées à l'usage des pesticides par certaines ONG
(APRETECTRA) et structures de recherche agronomiques (INRAB et IITA) à
l'endroit des maraichers ne sont souvent pas honorées.
« Ce qui me donne à manger c'est le maraichage ... qui
s'occupera de mes plants quand je serais aux formations. Ces gens
là ! Va voir combien ils ont pris pour nous former... moi je n'ai
pas le temps » [Donald, 29 ans, maraicher sur le site de
VIMAS]. Ceux qui arrivent à se libérer pour suivre les
formations sont ceux employant les ouvriers et les responsables du bureau de
VIMAS. Ces derniers, du retour des formations ne font pas la restitution aux
autres maraichers. « ... le problème de Sèmè
est ailleurs, ce n'est pas dans la formation ou l'information à
l'utilisation des pesticides parce qu'il y a déjà eu beaucoup de
formations qui ont été organisées, beaucoup de
séances d'informations qui ont été
organisées ; mais le maraicher de Sèmè situe son
problème ailleurs. Quand vous allez à Sèmè
aujourd'hui, ce qui préoccupe le maraicher, c'est savoir, comment
combiner les produits pour plus d'efficacité. Son souci premier, ce
n'est plus, quand il veut faire un traitement, ce n'est pas comment respecter
les dosages pour éviter de créer d'autres problèmes par la
suite, mais c'est plutôt comment faire, comment bien mélanger les
produits, comment même mal mélanger les produits pour avoir plus
d'efficacité par rapport aux ravageurs » [Agent animateur ONG
APRETECTRA sur le site de VIMAS]. « Le temps est un facteur avec
lequel il faut compter surtout par rapport à la production
maraichère de Sèmè, par rapport aux filets, c'est un
facteur avec lequel il faut compter. Le discours que vous venez de
rapporter : on n'a pas le temps ; on n'a pas le temps ; on n'a
pas le temps, ça renvoie en fait à ce que je vous disais au
départ, ça fait partir des éléments qui nous
montrent que le problème du maraicher de Sèmè, est
ailleurs ; c'est en réalité des prétextes, ce sont
des arguments souvent utilisés pour justifier le fait qu'avec un
traitement avec les pesticides, on obtient de bon résultats en
très peu de temps ; c'est sûr, un maraicher qui est
cramponné sur cette position là, ne pourra jamais adopter la
technologie ; et du moment où il tient déjà ce
discours, c'est qu'il est satisfait par l'utilisation de pesticides »
[Agent animateur de APRETECTRA]. Pour (Kanda, 2009), le manque de
formation et de conseils techniques conduit à des pratiques
risquées, comme le surdosage ou le non-respect des conditions
d'utilisation des produits phytosanitaires. Ce propos a besoin d'être
nuancé, car sur le site de Sèmè-Kpodji, les formations
sont offertes aux maraichers, mais certains n'y participent pour des raisons
subjectives.
Le rythme soutenu et sans pause de la production peut induire
une forte pénibilité mentale et physique du travail. Cela conduit
parfois certains maraichers, particulièrement lors des pics de
production, à « lâcher prise » sur leur
travail et à se voir contraints de « courir derrière
leur jardin » (Salmona, 1994).
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