Conclusion
La position d'abris caractérisée par un
déficit pluviométrique de l'ordre de 100 à 200 mm par
rapport au reste de la zone de mosaïque forêt-savane a souvent
été évoquée pour justifier la présence des
savanes. Mais force est de constater que les études récentes ont
révélé une transgression de la forêt sur la savane,
ce qui semble dire que malgré le déficit, le climat reste humide
compte tenu de la moyenne annuelle des pluies (1400 mm) et de la leur
répartition sur 9 à 10 mois. D'autre part, certains bosquets et
îlots forestier implantés en savane semblent s'être
fixés dans le passé non seulement à la faveur de ce climat
humide, mais aussi à cause d'un contexte de guerres entre tribus rivaux
et de boisements à base d'espèces pionnières de la
forêt dense. En déplaçant régulièrement les
champs et l'habitat dans le contexte passé d'agriculture extensive sur
brûlis, les populations ont aussi contribué à une
implantation des
50
espèces pionnières de la forêt en
interrompant les pratiques de feux de brousse dans les parcelles de savanes
occupées temporairement.
Comme les autres peuples Bantou du sud Cameroun, la
société Yambassa fait partie de celles qui, dépourvues
d'Etat, veulent aussi ignorer le commandement politique d'un chef autre que
51
CHAPITRE II : LE CONTEXTE HISTORIQUE DE L'IMPLANTATION
DES HAIES
VIVES DEFENSIVES
Introduction
Les haies vives sont traditionnellement une
caractéristique des paysages agraires de bocage. En effet, dans les
paysages de bocage, comme c'est par exemples les cas en Grande-Bretagne, en
France ou sur les hautes terres de l'ouest Cameroun, les haies vives sont
implantées pour matérialiser les limites des champs et/ou des
concessions, mais aussi pour servir de brise vent et canaliser la circulation
du bétail hors des champs (Dongmo, 1981 ; Youta Happi, 2013). L'objectif
premier de la construction des haies vives du « pays » yambassa est
tout autre. Il s'agissait, entre la fin du 19e siècle et le
début du 20e siècle, de constituer un système
défensif végétal. Celui-ci permettait à la fois de
bloquer l'avancée des ennemis et de les combattre en s'abritant
derrière un « bouclier végétal» haut de
plusieurs dizaines de mètres. Ce souci défensif a
été néanmoins partagé par des populations de
l'extrême nord du Cameroun. Dans cette zone, les populations se sont en
quelque sorte barricadées derrière des murs constitués
d'arbustes à épineux pour se défendre des attaques des
Peuls qui se livraient alors à des campagnes d'islamisation
forcée.
II.1. L'origine du nom yambassa
Lorsque les colonisateurs allemands arrivent dans la zone du
confluent Mbam et Sanaga au début du 20e siècle, ils
trouvent en place un ensemble de populations hétéroclites qui
vivent dans une situation de conflits incessants. Pour simplifier les
identifications, ils les regroupent en affinités linguistiques. Partant
de la localité de Yambassa, ils désignent toutes celles qui ont
un vocable assimilable sous ce nom. Après la pacification de la zone en
1911, ils ont ainsi généralisé le nom du village Yambassa
à toute la région. Avant cette date, les populations de la
localité de Yambassa en particulier étaient
désignées sous le nom de Nigodua, d'Ambassa ou
encore de Bo Ambassa, c'est-à-dire « les descendants
d'Ambassa ». Car en effet, Ambassa fut l'ancêtre
commun du village. Le terme Yambassa serait la contraction de Ya
Ambassa qui signifie de Ambassa ou fils d~Ambassa
(Mekinde, 2004).
II.2. L'organisation politique
précoloniale
52
celui de la communauté familiale. Les
différentes unités de la société correspondent
à des groupes de parenté égalitaire, coiffés par
des chefs de famille. Nous sommes en présence d'une
société composée de grands lignages patrilinéaires.
Le chef de famille détient un pouvoir « restreint et mal
défini ». A sa mort, le fils qu'il avait préalablement
choisi lui succède dans ses droits et prérogatives. La famille
représente l'unité sociale la plus importante et porte
généralement le nom de son fondateur.
Sur le plan politique, les Yambassa font partie des
sociétés dites à « autorité souple ». La
société reposait sur une « assemblée » ou «
conseil » (Kiloumen) de patriarches (Bakon) avant
l'arrivée de la colonisation. Le Kiloumen (ou conseil)
était une institution souple doté d'un pouvoir collégial,
détenu par l'assemblée des Bakon. Il n'y avait pas de
siège des institutions à proprement parler, mais le conseil
pouvait se tenir dans la maison de l'un des notables. Par contre, l'un de ses
notables était reconnu comme le guide ou « chef sans
trône» qu'on qualifiait de chef notable. C'est lui qui convoquait le
conseil. Il devait néanmoins être charismatique, puissant et riche
autant par ses biens matériels (nombres de champs, d'animaux
domestiques, quantité des récoltes) que par le nombre de femmes
et d'enfants. Le Kiloumen était en charge d'assurer le bien
être, la protection et la sécurité des populations à
l'intérieur comme à l'extérieur des frontières.
Cependant, les pouvoirs des notables étaient limités par les
interdits.
II.3. L'organisation économique
A l'origine, les populations du site vivent de l'agriculture
de subsistance. Les enquêtes montrent que même si certains
habitants s'exerçaient à la chasse, c'était une
activité de subsistance puisque la capture du gibier se faisait
uniquement par piégeage. Les témoignages concordants
établissent que seuls les « haoussahs » venus du nord du pays
détenaient des armes à feu et pouvaient donc opérer des
captures de masses de gibiers (Mekinde, 2004). En revanche, les populations ont
très tôt compris l'importance calorifique de la matière
grasse végétale. Selon les enquêtes, des palmeraies
occupaient de grandes surfaces bien avant la colonisation. En 1905, le Major
allemand Dominik signale leur présence sur de vastes étendus
derrière les haies défensives. En réalité, les
habitants associaient généralement plusieurs activités en
même temps. Il était courant que des individus s'exercent à
la fois comme cultivateur et artisan, ou agriculteur et guerriers. Les
échanges étaient en plus basés sur un système de
troc de produits. Parfois, on assistait aussi au troc de services contre un
produit : le travail manuel en échange de produits vivriers par
exemple.
Un rapport du Major Dominik du 5 mars 1905 («
Expédition Bapéa », Deutsches Kolonialbltt, 1905 cité
par Beauvilain et al. Op. cit.) décrit le contexte des haies à
son arrivée dans la région
53
Photo Lemoupa, 2013
Photo 6: Champs de patate douce (sur buttes) à
proximité d'une palmeraie
Notes : deux techniques de laboure existent sur le site : les
buttes pour la culture de la patate douce et des ignames et les parterres pour
l'arachide, le taro et le maïs.
II.4. Les guerres tribales et l'origine des murs enceints
défensifs végétaux
La carte de l'institut géographique national (IGN)
français au 1/200 000 de Bafia (feuille NB-32-VI) de 1959, ainsi que les
coupures au 1/50 000 3a et 3b de la même feuille de Bafia, signalent des
« vestiges d'enceintes» et par deux fois des « anciennes
fortifications indigènes» (Beauvilain et al., 1985). Ces vestiges
sont matérialisés sur ces cartes au nord-ouest et au nord de
Bakoa, entre Yorro et Bégni, au sud de Bokito, au nord de Bokaga, entre
Gébora et Assala I, au nord-ouest d'Ombessa, à Bombang, à
Goufan, au nord-est de Bogondo et autour de Yambassa. Ces fortifications
végétales sont réparties dans tout le pays yambassa,
incluant les arrondissements de Bokito et d'Ombessa à environ 110 km au
nord de Yaoundé (figure 15).
54
en des termes qui font état des caractères
physiques et des conditions d'aménagements du milieu:
« Malgré les contacts avec les
Européens pendant de longues années, les Yambassa, dès
leur retour au pays, retombent à tout point de vue à leur bas
niveau de civilisation, dans lequel ils vivent sans doute depuis des
siècles, retranchés dans leurs palmeraies. Pour renforcer ces
palmeraies à la périphérie ils y ont planté des
arbres. Cette clôture d'arbres, qui n'a que quelques rares passages,
aménagé sans aucun doute par la main d'homme, entoure tout le
pays sur des kilomètres comme un mur vivant impénétrable.
Les dimensions énormes des arbres, plantés entre les palmiers et
dont les troncs se touchent, permettent d'évaluer l'âge des
établissements Yambassa. Cependant cette enceinte de forêt,
efficace et étrange, est la cause pour laquelle les Yambassa ont un
esprit si peu guerrier, comme on ne le retrouve au protectorat que chez les
Douala, que la civilisation progressive a tellement influencé qu'ils ont
perdu leur ancien caractère combatif. Le Yambassa, quoiqu'il vit en
pleine brousse, ne possède même pas d'armes de protection&
».
« Le paysage du Mbam jusqu'à chez Sionde a le
caractère de la plaine ondulée, couverte d'herbes, avec quelques
parcelles de forêt. Il est curieux que dans la plaine du Mbam proprement
dite les palmiers manquent presque complètement, tandis que les palmiers
à huile caractérisent le pays à quelques km à
l'ouest. Les bâtis habitent des établissements isolés,
chaque famille à part dans plusieurs ruches rondes faites d'herbe. Le
peu de bétail qu'ils possèdent est gardé dans des cases
carrées, plus solides, faites en écorce pour protéger le
bétail contre les léopards. Comme les Bati, qui changent souvent
leurs résidences, ne veulent pas se soumettre sous l'autorité
d'un chef et se contentent de peu, il est donc difficile de les gagner pour la
civilisation. Ils sont grands, bien bâtis, avec une figure sympathique.
Le fait que partout ils portent encore l'arc et les flèches est une
preuve de leur pauvreté. En général le nègre du
Cameroun donne tout ce qu'il a pour un fusil et de la poudre et donne
même sa force de travail en échange pour en obtenir. Au centre du
Cameroun, où les gens n'ont jamais rien entendu parler de l'homme blanc,
je trouvais plus tard des fusils. Les Bapéas les ont obtenus soit par le
commerce intermédiaire, soit par les haoussahs. Dans le pays Bati les
haoussahs ont pourtant depuis longtemps chassé le dernier
éléphant et l'on n'y trouve pas de caoutchouc ».
0
10 km
· Chef lieu de département
m Chef lieu d'arrondissement
o Village
.... Limite de canton EL/P Nom de canton Route
bitumée
Piste carrossable
m Foyer de tension à l'arrivée des Allemands en
1905
Sources : Mekindé (2004) modifiée et carte
toporgraphique 1GN de Bafia N8--32-Viau 1/200000
11' Ic' I- 11
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4` 20'N
élendé
sANAGA
55
Figure 11 : Les arrondissements de Bokito et
d'Ombessa : localisation des anciens foyers de tensions
56
D'après des informations recueillies par Mekinde
(2004), les Yambassa s'implantèrent dans leur site actuel avec
l'accord des Ombessa et des Guientsing avec qui ils signèrent un pacte
de non agression. Après l'installation des Yambassa, la
coexistence pacifique, la solidarité et l'esprit d'initiative qui
régnaient dans leur territoire suscita la jalousie des voisins qui ne
songeaient plus qu'à les déstabiliser. « Il faut relever ici
que, vivant dans une région dominée par la savane et la plaine,
les Yambassa sont dépourvus d'une manière
générale, de la protection naturelle que peuvent constituer les
arbres forestiers et les montagnes. Les Yambassa, conscients du danger
qui les guettait et des insuffisances de la nature, trouvèrent une
solution. En effet, ils se réunirent et décidèrent de
planter de grands arbres autour de leur village afin de créer plus tard
une sorte de forêt galerie dans laquelle ils pouvaient se refugier en cas
d'agression de l'ennemi » (photo 7).
Photo Youta Happi, 2013
Photo 7 : Héritage des murs défensifs
végétaux autour du village Yambassa
Notes: Les haies suivent aujourd'hui un alignement discontinu.
Les individus morts ou coupés ne sont pas remplacés. Autour de ce
village, les haies forment encore une couronne bien visible sur les transects
et les photographies aériennes.
57
« Dans l'enceinte protégée par les haies
vives, on creusait de larges et profondes fosses vers lesquelles on courait
quand l'adversaire s'avérait dangereux, et l'ennemi tombait toujours
dans l'un de ces trous où il était sauvagement accueilli par des
sagaies et des lances qu'on y plantait» (Abiadina Samba, 1988). Les Assala
(actuel Bokaga) et les Balamba en particulier ont multiplié les
agressions sur les Yambassa jusqu'à l'arrivée des Allemands. Les
Yambassa ont ainsi vécu plusieurs guerres dont le but principal
était la conquête ou la défense de leur territoire. Ces
guerres mettaient aux prises des villages voisins. Parfois des jeux d'alliance
s'opéraient pour attaquer un ennemi commun.
Les extraits du rapport du Major Hans Dominik permettent de
reconstituer plusieurs faits:
- Par tradition, les Yambassa ne supportent pas
l'autorité d'un chef. Les décisions pouvant affecter l'ensemble
du groupe comme les guerres et les alliances stratégiques avec d'autres
clans étaient prises de manière collégiale dans le cadre
d'un conseil composé des chefs de familles;
- Comme armes, ils sont équipés de lances, de
flèches, d'arcs et de sagaies. Au début du 20e
siècle, seuls les chasseurs « haoussahs » venus du nord du
pays possédaient des fusils. Ces derniers pouvaient échanger
quelques armes à feu à l'occasion contre une autorisation
d'abattage d'éléphants;
- En dehors des forêts galeries, la
végétation des villages actuels était essentiellement
constituée de savanes. Néanmoins, les habitants pour assurer leur
approvisionnement en huile de cuisson avaient aménagé des rideaux
de grands arbres utilisés alors comme pare feu pour protéger les
palmeraies de la propagation des feux de brousse ;
- Traditionnellement, les populations de la région
pratiquaient un système extensif d'agriculture itinérant sur
brûlis. Par conséquent, les champs et les habitations se
déplaçaient dans l'espace selon un système qui impose de
longues jachères;
II.5. Les implications de la colonisation allemande et du
mandat français
La colonisation allemande du début du 20e
siècle, suivie par celle de la France après la première
guerre mondiale a totalement bouleversé l'organisation socio-politique
et économique de la région (Mekindé, 2004 ; Memoli-Aubry,
2009). On retient pour l'essentiel l'exploration et la stabilisation de la
région, l'introduction d'une organisation politique centralisée
autour des chefferies, l'introduction de l'économie monétaire,
l'imposition de l'impôt, les déportations de la main d'oeuvre et
la diffusion de la culture du cacaoyer.
II.5.1. La stabilisation de la région
58
L'occupation allemande a eu pour effet l'arrêt des
guerres opposant les villages et les différents groupes ethniques. De la
sorte, les différentes tribus sont restées confinées dans
leurs territoires respectifs. Ce confinement permettait en fait d'assoir le
contrôle strict des habitants. Les administrateurs coloniaux allemands et
français de l'époque ont mis les populations sous
l'autorité directe des chefs de postes militaires qui s'occupaient de
l'ordre et du recouvrement des impôts.
II.5.2. Le bouleversement des institutions politiques
traditionnelles
Le pouvoir politique traditionnel chez les yambassa
était régi et détenu par une organisation de type
patriarcal. Il s'agissait en fait d'une société
gérontocratique fondée sur le droit d'aînesse et où
chaque patriarche (Bakon) ne commandait qu'au niveau de sa famille
élargie. Lorsqu'une situation engageait toute la communauté, ces
ainés se réunissaient dans le cadre d'une assemblée
appelée Kiloumen pour prendre les décisions. En
créant des chefferies dès leur arrivée, les allemands vont
instituer une administration centralisée qui leur a permis de soumettre
les populations. A la tête de ces chefferies, les administrateurs
nommaient un homme aux ordres. Autrement dit, les Allemands se devaient alors
de trouver des hommes acquis à leur cause soit par la persuasion, soit
par la force.
II.5.3. L'exploration et l'ouverture de la
région et l'imposition de l'impôt
La découverte et l'exploration de l'intérieur
des régions se sont traduites par des expéditions. Les
différents établissements humains ont pu être
localisés et cartographiés. Les premiers recensements de la
population ont aussi été réalisés. En 1938 par
exemple, la population totale des départements actuels du Mbam et
Inoubou et du Mbam et Kim3 était estimée à 114
200 habitants (Memoli-Aubry, 2009). Bien sûr que l'objectif principal
était d'évaluer à la fois les richesses naturelles et le
potentiel de main d'oeuvre qui sera nécessaire pour la
réalisation des travaux d'aménagement de routes, des voies
ferrées, des aéroports et d'entretien des grandes plantations
industrielles consacrées aux cultures de rente comme le cacao, le
café et l'hévéa.
II.5.4. La désorganisation de l'économie
de troc et l'introduction de la monnaie
Traditionnellement, l'économie des peuples de la
région reposait sur le troc. Les uns et les autres échangeaient
par exemple de l'huile de palme contre des produits vivriers tels que la banane
plantain, l'igname, le manioc, le taro ou le macabo ou l'inverse. On pouvait
aussi troquer des produits de la chasse contre les vivres ou des vivres contre
du tissu, des armes,
3 La région du Mbam est une
unité administrative créée en 1935. Elle comprenait trois
subdivisions : Bafia, Ndikiniméki et Yoko. Elle était
étendue sur une superficie de 32 500 kilomètres
(Mémoli-Aubry, 2009)
59
notamment les fusils etc. Mais à l'arrivée des
colonisateurs, tout pouvait s'échanger contre de l'argent, y compris une
partie de la dot.
II.5.5. Le prélèvement de la main
d'oeuvre forcée
Pour réaliser des grands bénéfices, les
colons avaient pour ambitions de prélever un maximum de matières
premières minières et agricoles. Pour extraire et acheminer ces
produits jusqu'en métropole, il fallait de la main d'oeuvre en abondance
et de préférence gratuite. Il s'imposait donc d'aménager
des grandes plantations et de créer des voies de
pénétration et d'acheminement vers les ports. D'où
l'idée de prélever la main d'oeuvre à travers tout le
territoire camerounais pour la regrouper dans les plantations et les chantiers
de construction des routes et des voies de chemin de fer. La région a
connu des déportations d'une partie de la population. D'abord sous
l'administration allemande, puis sous celle de la France à partir de
1922. Pourtant le Cameroun français n'était pas officiellement
une colonie mais plutôt un « mandat »4. Mais dans la
perspective de lever des fonds et des provisions pour l'effort de la 2e guerre
mondiale, la France va imposer des prélèvements en biens et en
hommes (tableau 2). Selon Memoli-Aubry (2009), en 1942, 928 personnes furent
recrutées sur l'ensemble de la Région. La subdivision de Bafia
à elle toute seule avait fourni sur cet effectif total, 628 hommes et
200 femmes. Cet auteur ajoute que « Le Mbam fut confronté à
un fort recrutement administratif de travailleurs pour la réalisation
des grands travaux publics. Ces chantiers consistaient surtout dans
l'aménagement des routes, des ponts, des bâtiments, des pistes
d'atterrissage et dans la construction de camps militaires ». Mais
l'effort de guerre allait également de paire avec l'extension de vastes
plantations de café, de cacao et de café. Une partie de la
population déportée fit envoyée vers ces sites, qu'elles
soient loin comme la Dizangué sur littoral ou proche comme Goura
situé dans la subdivision.
Tableau 2 : Nombre de manoeuvres mobilisés dans
les chantiers publics de la subdivision de Bafia de 1942 à
1944
Années
|
Routes et ponts
|
Bâtiments
|
Entretien
|
Hygiène
|
Divers
|
Total
|
1942
|
54931
|
1435
|
1695
|
7321
|
976
|
66358
|
1943
|
25772
|
6701
|
13
|
407
|
7052
|
39945
|
1944
|
37216
|
7470
|
7893
|
2754
|
36742
|
92075
|
Total
|
117919
|
15606
|
9601
|
10482
|
44770
|
198378
|
Sources APA 11626, archives de Yaoundé
4 Le Mandat institué par la
Société des Nations le 2 juin 1922 (article 22 du pacte,
paragraphe 5), préconisait de garantir, entre autres, la liberté
de conscience et de religion sans autre limitation que l'ordre public et les
bonnes moeurs. Par ailleurs, le mandat interdisait la construction de
fortifications et de bases militaires ou navales, sauf pour la police et la
défense du territoire camerounais.
60
II.5.6. La diffusion de la culture du
cacao
L'introduction du cacao au Cameroun se situe en 1886/1887, 65
ans après les îles de Sao-Tomé et principe, 8 ans
après le Ghana, en même temps que le Gabon, 3 ans avant le
Nigeria, 8 ans avant la Côte d'Ivoire sous le règne du gouverneur
allemand Julius Von Soden. Les premières semences sont importées
d'Amérique latine, des Antilles et de Sao-Tomé et Principe. Les
premières exploitations sont celles de Woerman à Bimbia et de
Jantzen et Thormohlen à Bibundi (Santoir, 1992).
Ces colons allemands mettent en place un système de
grandes plantations industrielles. Elles sont grandes aussi bien de par leur
étendue que de par les ressources mobilisées pour leur
création. Les plantations couvrent en moyenne 5 000 à 15 000 ha
à l'époque. Les ouvriers venaient principalement de Bali,
Foumban, Kribi, Lolodorf, Ebolowa et Yaoundé. Pour obliger les
indigènes à travailler dans les plantations, les colons allemands
vont instituer l'impôt de capitation dès 1903. Car ceux qui ne
pouvaient payer en argent devaient payer en travail en raison de 30 jours /an.
En 1912, on dénombre 13 161 ha cultivés avec une exportation de 4
551 tonnes (ONCC, 1912).
La première guerre mondiale va causer un frein à
la cacaoyère allemande qui sera vendue aux enchères par les
alliés puis rachetée par les allemands par agent
interposé. Après la seconde guerre mondiale, les biens allemands
seront mis sous séquestre. En décembre 1946, les plantations
allemandes sont nationalisées par les administrations britanniques et
françaises.
A côté de ces grandes plantations, se trouvent
des plantations familiales de taille modeste créées depuis 1902
dans la région du Mont-Cameroun (Mbanga, Yabassi, Edea) et la
région Kribi (Batanga, Bipindi, Ebolowa, Mbalmayo). Ces plantations de
petite taille contribueront au développement de la cacaoculture au
Cameroun.
Pour la région du Mbam, l'introduction du cacao se fera
au début des années 1910 et coïncidera avec la
décision des autorités coloniales allemandes et françaises
de permettre aux individus d'implanter des plantations familiales dont une
partie des récoltes sera prélevée comme impôts
(Ngangue Latta, 2011). Toutefois, d'après les sources orales, la
création des premières plantations familiales se situe entre 1910
et 1920. De nos jours, les cacaoyers occupent plus du 1/3 des terres
cultivées dans la zone d'étude. Cette proportion passe à
la moitié aux environs de la ville de Bokito (Jagoret et al., 2011).
61
L'introduction du cacao nous apparaît
déterminante par rapport à la dynamique de l'affectation des sols
et surtout parce que sa culture qui nécessite l'ombrage des arbres va
favoriser indirectement les boisements anthropiques dans la région.
II.6. Les rôles originels des haies
D'après Beauvilain et al. (1985) et les enquêtes
de terrain, les alignements d'arbres implantés à l'origine en
savane jouaient plusieurs rôles:
- Un rôle défensif car cette espèce
adopte des contreforts arqués de 2 à 3 m de hauteur, voire
jusqu'à 6 m. Plantés en lignes suivant un écartement
serré, ces arbres constituent de véritables fortifications
infranchissables;
- Un pare feu naturel contre les feux de brousse qui permet
aux populations d'aménager d'une part, des champs de palmier à
huile dès la fin du 19e siècle et d'autre part, de
créer des plantations de cacaoyers dès le début des
années 1920 ;
- Un rôle juridique car sa matérialisation
confère la propriété des terres au groupe ethnique ou au
clan.
Les relevés botaniques et les enquêtes de
terrain montrent d'autres fonctions qui sont d'ordre écologiques.
- Une fois installés, les arbres jouent le rôle
de couloirs de circulation des animaux sauvages et de perchoirs aux oiseaux
disséminateurs des graines d'espèces pionnières de la
forêt;
- Sous leur ombrage, les arbres de la fortification
créent des conditions favorables à l'installation des
espèces sciaphiles de la forêt dont les graines sont
disséminées à la fois par les oiseaux, les animaux et le
vent;
- Une fois les enceintes constituées, les hommes
plantent des arbres fruitiers ou des espèces à bois utile
derrière le rideau défensif végétal sans courir le
risque de les voir détruits par les feux qui arrivent de la savane
proche.
II.7. L'évolution et la distribution de la
population
Au lendemain de l'indépendance en 1962, la
région occupée par les populations yambassa est
intégrée dans le seul arrondissement de Bokito qui occupe en tout
1 724 km2. Après, c'est-à-dire en peu avant 1976,
l'arrondissement est divisé en deux; le district d'Ombessa voit le jour
très exactement le 18 juillet 1966 par le décret N°
66/DF/291. Nous avons groupé les deux arrondissements, pour des besoins
de calcul de l'évolution de la population totale et des densités
rurales. La population totale passe de 35 811 habitants en 1962, puis à
55 021 en
62
1976, et enfin à 65 868 en 2005 (figure 12). Les
densités rurales on évolué au cours de la même
période entre 20,7 hbts/km2 en 1962, puis à 31,9
hbts/km2 en 1976 et enfin à 38,2 hbts/km2 en 2005.
Par rapport à la moyenne nationale du Cameroun en 2005 qui est de 36,8
hbts/km2, la région est moyennement peuplée.
Néanmoins, des disparités existent dans la région et ces
densités varient d'un canton à l'autre entre 15
hbts/km2 à Botatango et un peu plus de 60 hbts/km2
à Bakoa (figure 13).
Figure 12 : Evolution de la population et des
densités rurales dans l'ensemble Bokito et Ombessa entre 1962 et
2005
|