Conclusion
L'artiste éclaire comme un phare les travers de notre
société. Engagé socialement car tout acte de
création est un acte de résistance, sa vocation est d'être
au service de la vérité qui révèle et de la
liberté qui émancipe. Il oeuvre à l'éveil citoyen
et à une plus grande responsabilisation de par son oeuvre qui est une
manifestation de la spiritualisation du sensible. La responsabilité
sociale de l'artiste est de rester à l'avant-garde afin d'inspirer les
autres. C'est pour cela qu'il est important de préserver la
liberté de création et de faciliter non seulement la production
d'oeuvres avec des laboratoires d'expérimentation, des résidences
artistiques et de l'accompagnement culturel mais aussi, par une diffusion des
oeuvres sur de multiples supports, de soutenir des collaborations avec d'autres
domaines. Ce qui fait la valeur de l'artiste est sa capacité
d'imagination qui est la créativité. Or, la
créativité est une source infinie de potentialités et
d'opportunités pour accroître le développement
économique et le bien-être en société. L'art comme
besoin de l'esprit, sillage de l'humanité et ordre établi
à partir du chaos est un composant vital de la société.
L'homme de l'art est un homme accompli, à la fois incarné dans la
matière et qui a conscience par l'esprit que le sens de son incarnation
est de transformer et de sublimer cette matière. En ayant la
responsabilité de cette conscience, les hommes en tant que
co-créateurs peuvent modifier et améliorer leur conditions de
vie. Soyons donc artistes !
PARTIE 2 : CONTEXTE, HYPOTHESES & METHODOLOGIE I
Contexte
De par la pluralité des acteurs de la scène
culturelle et artistique en France, afin de valider les différentes
hypothèses que j'ai soulevé au cours de mes recherches, il
convient d'interroger un panel d'acteurs qui oeuvrent chacun par
différents moyens à la promotion de la culture.
En premier lieu, le ministère de la Culture chiffrait en
2010 en France plus de 1 000 établissements culturels ayant le label de
musée.
En deuxième lieu, on compte près de 300
résidences officielles d'art
contemporain et une dizaine de lieux occupés
appelés « squats » dans Paris.
36
Source:Thomas Aguileira-Gouverner l'illégal, les
politiques urbaines face aux squats à Paris
En troisième lieu, il y a près de 50 000 artistes
enregistrés à la Maison des Artistes.
Source : Maison des Artistes
Enfin, d'après le Ministère de la Culture et de la
Communication, la seule région Île-de-France comporte 1 151
galeries d'art contemporain, soit 53% du nombre total de galeries d'art
contemporain en France.
38
II Hypothèses de recherche
En analysant la revue de littérature, j'ai pu extraire
10 hypothèses. Celles-ci portent aussi bien sur la pratique artistique
en tant que telle que sur les nouveaux rapports face à l'art induits par
la révolution numérique, les lieux innovants de création,
la collaboration pluridisciplinaire et le design.
Hypothèse 1 : L'artiste a une
responsabilité sociale vis-à-vis de son oeuvre
Hypothèse 2 : L'artiste est un acteur du
changement qui créé du lien social
Hypothèse 3 : L'artiste par ses oeuvres pousse
à l'action citoyenne
Hypothèse 4 : L'art contemporain est de plus en
plus axé sur la rencontre entre le spectateur et l'artiste
Hypothèse 5 : Le numérique est un
bouleversement sans précédent dans le
monde de l'art
Hypothèse 6 : Les médiateurs culturels ont
un rôle clé dans l'enrichissement du dialogue entre l'artiste et
son public
39
Hypothèse 7 : Les lieux innovants qui aident
à la collaboration pluridisciplinaire et à
l'expérimentation sont un socle indispensable pour la création
contemporaine
Hypothèse 8 : La création artistique est
complémentaire de la création scientifique et les ponts entre art
et science re-dessinent la manière de penser les délimitations de
l'art et par conséquent son impact économique
Hypothèse 9 : L'innovation, liée à
la recherche artistique, est un concept-clé pour la création de
richesse
Hypothèse 10 : La création artistique
inspire la société dans son ensemble et trouve son application
notamment avec le design
40
III Méthodologie
Avec une série de 15 questions identiques, j'ai
entrepris une étude qualitative de mes 10 hypothèses sur un
échantillon de six acteurs de la scène culturelle et artistique
en France. Les six interviewés ont chacun un domaine de
spécialisation mais suffisamment d'expérience pour
témoigner de l'évolution du monde de la création
contemporaine. Ci-dessous la liste des protagonistes :
-Lieu des cultures
numériques- Jérôme Delormas, Directeur
de la Gaîté Lyrique -Institution du dialogue
art&science- Michel Muckensturm, Administrateur
Général de l'IRCAM -Espace de création
libre- Beth Scaccia, Membre de l'association
Freespace -Galerie d'art contemporain- Michèle Broutta,
Galeriste & Editrice -Collectif artistique
pluridisciplinaire- Thibault Duchesne de Lamotte, Artiste
& Fondateur de Prism Collective -Résidence
artistique non ofÞciel- Alexandre Gain, Responsable
de la résidence l'Amour & Membre de CAAOU
41
PARTIE 3 : ANALYSE, DISCUSSION & RECOMMANDATIONS
I Analyse des réponses
Hypothèse 1 : L'artiste a une responsabilité
sociale vis-à-vis de son oeuvre
L'artiste doit-il conscientiser dans sa pratique
artistique la portée de son message ? Cela dépend
du type d'artiste et du message qu'il souhaite faire passer mais ce que l'on
peut dégager des réponses des interviewés est que
l'artiste ne doit pas répondre à une attente. L'artiste
créé par besoin et ne doit réfléchir que dans un
second temps sur la portée de son message. Il est important de pouvoir
créer simplement pour le processus de création et non pas
seulement pour le rendu.
« J'aime cette idée de
recherche et de mystère et peut-être que chacun peut trouver une
portée plutôt qu'un message. » Thibault
Duchesne
« En ce qui concerne l'artiste, l'oeuvre sort de lui.
Je ne pense pas que l'artiste doivent conscientiser son message. Les artistes
ont la foi mais je ne sais pas si ils ont la conscience de ce qu'ils font.
» Michèle Broutta
« Il est important que nous ayons les
opportunités de créer sans tellement se concentrer sur le
résultat. Par exemple, au Tibet, des moines construisent des mandalas en
sable fin pendant des semaines et une fois complété, ils le
détruisent. » Beth Scaccia
42
Moines tibétains réalisant un
mandala
Dans quelle mesure l'artiste aurait le droit
à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
Bien que les interviewés défendent la
liberté comme principe de création et d `expérimentation,
l'intention de l'artiste est primordiale. L'artiste ne doit pas se croire
au-dessus des lois et être sacralisé mais peut utiliser l'art
comme un outil de contestation et d'émancipation.
« Je suis pour une liberté totale. En
même temps, je souhaite que les expositions que j'organise à
l'Amour soit accessibles. L'accessibilité de la production artistique
est un point important. (É) Il y a des artistes qui sous couvert
artistique vont vouloir choquer. » Alexandre Gain
« L'artiste, si il fait ce qu'il sent qu'il doit
faire, n'est pas responsable de la réaction des autres. »
Michèle Broutta
« Si l'art doit avoir une fonction c'est celle de la
liberté totale, sinon cette fonction n'existe plus dans la
société. Liberté totale cela veut dire un imaginaire
débridé, une capacité à inventer. (É) En
tant qu'être social, l'artiste n'a pas tous les droits et cela
43
reste quelqu'un qui a des responsabilités. Une de
ses responsabilités peut être de revendiquer sa liberté
d'expression. » Jérôme Delormas
« Je ne considère par l'artiste comme un
super-citoyen où quelqu'un qui échappe à la
société. Il critique la société mais il s'expose
aux conséquences. Le meilleur moyen d'exacerber des problèmes
c'est de se confronter aux limites de la société. »
Thibault Duchesne
Hypothèse 2 : L'artiste est un acteur du changement qui
créé du lien social
L'artiste, par sa volonté de changement,
s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
Il y a deux grande similarités entre ses deux figures
qui prennent un risque et s'engagent tous les deux. Il y a un double-mouvement
: l'entrepreneur est à la fois créateur et l'artiste doit
gérer sa carrière comme au sein d'une entreprise. Là
où il y a une différence notable est que l'entrepreneur social a
pour mission d'aider autrui alors que certains artistes ne créent avant
tout que pour eux. C'est un travail plus introspectif. En revanche, ces deux
figures sont bien complémentaires l'une de l'autre et lorsqu'elles
s'associent, elles peuvent porter de fantastiques projets.
« L'entrepreneur est un
créateur. C'est aussi quelqu'un qui prend un risque absolu. Certains
artistes prennent l'entreprise comme sujet mais ce qui est vraiment
intéressant c'est la façon d'être au monde qui est
risquée et qui engage complètement la personne. »
Jérôme Delormas
44
« On a tendance à
considérer l'artiste comme quelqu'un qui échappe aux principes de
la société mais il y a tout une organisation autour de l'artiste
»
Thibault Duchesne
« Je connais certains artistes qui ne partagent pas
leur travail, leur but n'est pas de partager avec les autres. C'est simplement
de libérer leurs émotions. » Beth Scaccia
« L'entrepreneur fait un pari. Il part d'une idée pour
faire une carrière. L'artiste, lui, fait une carrière sur sa
production, sa personne. Faire une carrière artistique c'est
entreprendre. » Alexandre Gain
« Ce qui est extraordinaire est le cas où
l'artiste rencontre l'entrepreneur. Je pense ici au cas de Giacometti dont le
frère était entrepreneur. Il faut qu'il y ait quelqu'un
derrière un artiste pour sortir l'artiste qui est trop focalisé
sur le perfectionnement de son oeuvre.» Michèle
Broutta
Diego & Alberto Giacometti, 1958 (c) Fondation
Ernst Sheidegger
45
Avec l'érosion du lien social, l'artiste
a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens collectif
?
De par la nature-même de la culture comme liant social,
l'artiste a un rôle à jouer afin de susciter du dialogue et de
l'échange. Les politiques ne devraient pas oublier ce facteur
décisif. En revanche, l'art contemporain peut avoir une image suffisante
de lui-même qui érige au contraire des barrières.
« La culture, l'art et la création sont des
production sociales pour être ensemble,pour susciter du débat, de
l'expression et de l'échange. L'oeuvre est faites pour nous, et non pour
elle. En ce sens, c'est un vecteur social fondamental. »
Jérôme Delormas
« L 'art a une portée universelle et pourtant
il est sujet à alimenter cette fracture sociale car cela alimente une
certaine élite autour d'un projet artistique. »
Thibault Duchesne
« Les arts plastiques ont réussi à
faire penser qu'ils sont prédominants sur le reste des arts. »
Michel Muckensturm
« La politique ne devrait
jamais oublier la faculté de la culture à réunir les gens.
» Michèle Broutta
46
Hypothèse 3 : L'artiste par ses oeuvres pousse à
l'action citoyenne
En quoi les réflexions amenées par
l'expérience artistique sont essentiels à la construction
individuelle ?
Faire l'expérience de l'art amène l'individu
à développer son sens critique. La culture a une portée
éducative et l'on a beaucoup à apprendre de la vision de
l'artiste.
« L'artiste est en avance sur son temps.
Il donne aux autres le monde de demain.» Michèle
Broutta
« L'art en soi il y a quelque chose qui
est à prendre et pas nécessairement accessible. »
Thibault Duchesne
« L'art est une belle manière d'attirer
l'attention sur les problèmes sociaux. Nous avons besoin de l'art afin
de questionner nos croyances et être critique, afin de regarder les
choses d'une nouvelle perspective » Beth Scaccia
L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
On ne peut imposer à l'artiste de modifier en
profondeur les comportements et habitudes mais l'artiste par son travail peut
remettre en cause des paradigmes existants et proposer de nouvelles
possibilités. L'artiste pousse à un état réflexif
et méditatif sur soi ou sur son environnement.
47
« L'artiste ne peut pas
répondre à une commande. Ce que j'aime entrevoir chez l'artiste
c'est cette capacité à pousser les logiques au bout et à
les distordre » Jérôme Delormas
« L'artiste est là
pour apporter une vision personnelle. Est-ce qu'il doit montrer un
modèle ou reprogrammer ? Je ne sais pas. (É) Il amène
à une réflexion, à un état.»
Thibault Duchesne
« Si l'on regarde le
festival Burning Man, c'est définitivement une critique de la
société consuméristes. Les artistes croient en la
dé-codification. (É) C'est une manière de trouver des
alternatives ». Beth Scaccia
« Si on prend l'exemple de Jeff Koons au Centre
Pompidou, c'est intéressant car c'est tout à fait dans un cadre
et un public qui sera touché par le message. Tandis qu'exposer Jeff
Koons en banlieue, eu égard la consommation des gens, cela n'aurait pas
de sens. La puissance de l'art contemporain est que les installations et les
performances sont un langage direct et peuvent changer des vies. »
Alexandre Gain
Vue de l'exposition Jeff Koons au Centre Pompidou du
26.11.14 au 27.04.15
48
Hypothèse 4 : L'art contemporain est de plus en plus
axé sur la rencontre entre le spectateur et l'artiste
En quoi l'art contemporain fait du spectateur non
plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de l'oeuvre
?
Par rupture avec les formes académiques et l'envie
d'interagir avec le public, notamment grâce aux outils que permettent la
technologie, l'art contemporain implique désormais plus le spectateur
comme sujet. Cette immersion initiée par des artistes recherchant une
Esthétique Relationnelle au début des années 90 se fait
souvent seulement au sein du milieu de l'art et il y a ici encore un
défi d'accès.
« J'envisage l'oeuvre comme un questionnement.
J'invite le spectateur à une promenade intellectuelle qui de fait le
rend acteur mais non sujet. Le spectateur donne sens à l'oeuvre. C'est
faire l'expérience de l'art qui importe. On peut amener à une
forme de contemplation. La passivité face à l'art, c'est un des
axes majeure de l'artiste contemporain. » Thibault
Duchesne
« L'Esthétique Relationnelle a principalement
mise en relation des artistes et des gens du milieu de l'art entre eux. C'est
là que je trouve qu'il y a une limite qui ne vient pas de la
théorie mais d'un milieu en auto-reproduction, d'un fonctionnement
social. » Jérôme Delormas
« Pour l'immersion, tout dépend du propos de
l'artiste. » Michel Muckensturm
49
« Cette immersion est
récente dans l'histoire de l'art. On arrive sur la fin du format
académique, du White Cube. » Alexandre
Gain
White Cube Galery à Londres (vers la fin de ce
modèle ?)
Hypothèse 5 : Le numérique est un bouleversement
sans précédent dans le monde de l'art
Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
La révolution numérique bouleverse non seulement
la pratique artistique avec l'émergence de l'art numérique mais
aussi la diffusion de l'art. C'est aussi une opportunité de
décloisonner un milieu de l'art trop hiérarchisé. L'IRCAM
et la Gaîté Lyrique sont des lieux à la pointe du
numérique pour faire de cet outil un pont entre artiste et scientifique
et élargir l'art à de nouvelles pratiques (fab labs, jeux
50
vidéos etcÉ). Le numérique est aussi un
moyen d'accès à la pratique artistique et à de nouvelles
techniques pour les créateurs.
« C'est potentiellement la notion d'art contemporain
avec toute son histoire qui est remise en cause avec les usages
numériques d'aujourd'hui qui sont en tout cas l'opportunité de
rebattre les cartes. C'est aussi la position de la Gaîté Lyrique
de travailler à la déhiérarchisation : détricoter
des systèmes hiérarchiques que l'on a créés dans
l'histoire de l'art jusqu'à aujourd'hui. (É) De plus en plus,
notamment les plus jeunes cousent plein de choses, croisent l'espace
réel, le rapport physique aux choses et le virtuel, le numérique.
C'est aussi le cas avec le phénomène des fab labs qui renvoient
à des pratiques ancestrales de fabrication. »
Jérôme Delormas
« Le numérique
change la donne. L'art sort de la galerie. Il y a un écueil en revanche
avec les installations photos : on peut avoir vu quelque chose sans l'avoir
vécu. L'action derrière un écran va aplatir. Dans la
pratique artistique, on tend à sortir du cadre du tableau et on retombe
derrière un cadre : celui de l'ordinateur. (É) Cela laisse un
champ assez vaste pour l'artiste pour envisager le rapport au public.
(É) On va peut-être trouver la vraie utilisation par des pratiques
expérimentales. »
Thibault Duchesne
«A l'IRCAM, on invente des
paradigmes de programmation informatique. (É) Pour l'IRCAM, le dialogue
entre artistes et scientifiques s'incarne véritablement dans l'outil
technologique et en particulier dans les logiciels. Les chercheurs
scientifiques vont développer des algorithmes particuliers et vont
essayer de répondre aux sollicitations à la fois des artistes
mais aussi aux problématiques générales de leur
51
secteur qui concernent différents champs
scientifiques : de l'accoustique instrumental à la spatialisation de
l'espace. C'est la manière par laquelle l'innovation pourra s'incarner
dans quelque chose de plus générique qui va dépasser
l'oeuvre artistique du créateur. » Michel
Muckensturm
« Internet a donné
un élan à beaucoup de choses, notamment au street-art. Le
numérique a aussi permis le développement des logiciels de
musique comme Ableton et les logiciels de retouche de photos. Cela oblige
l'artiste à aller plus loin dans sa technique pour se
différencier. » Alexandre Gain
« Le numérique est
un outil qui permet d'aller plus loin, de découvrir des langages et de
faire des calculs. Je serais très curieuse de voir des calculs sur le
nombre d'or dans l'art contemporain faites par un ordinateur. »
Michèle Broutta
Exemple d'un « fab lab » en région
parisienne : Ici Montreuil
52
Hypothèse 6 : Les médiateurs culturels ont un
rôle clé dans l'enrichissement du dialogue entre l'artiste et son
public
Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des lieux de vie
fédérateurs pour la communauté ?
Les établissements culturels sont des lieux où
des savoirs sont partagés et transmis. Ce sont aussi des lieux de
rencontre et d'échange qui dynamisent le territoire sur lequel ils sont
implantés. Elargir le public est une manière de faire en sorte
que ces lieux ne soient pas réservés au seul milieu
artistique.
« C'est la rencontre, la
mise en commun d'une même sensibilité sur une oeuvre. C'est un
moyen d'échange, que cela soit dans l'accord ou dans la guerre. La
Cité Radieuse du Corbusier à Marseille n'a été
comprise que par la suite. » Michèle
Broutta
« Il y a une
nécessité absolue de lieux de vie culturelle comme la
Gaîté Lyrique : des lieux de vie sociale à l'ère
numérique. » Jérôme Delormas
« Il y a aussi des lieux qui créent du lien
entre les artistes. Le problème est encore une fois
l'accessibilité du contenu. Il y a des inégalités de
capital culturel et social. » Alexandre Gain
« Ce qui rend un lieu spécial
est la culture. Lorsque les gens partagent une part d'eux-mêmes, c'est le
type de monnaie qui forme la communauté. » Beth
Scaccia
53
La Cité Radieuse à Marseille
designée par Le Corbusier
Pourquoi la diversification des formes de dialogue
via le développement de festivals & des expositions hors-les-murs
sont nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes
et des territoires investis ?
Le développement des festivals et des expositions
hors-les-murs participent à la démocratisation de la culture. Le
problème est de savoir à quelle culture se réfère
ces initiatives. Il faut savoir mettre en valeur les territoires investis et
promouvoir une culture locale qui possède aussi une
créativité qui lui est propre.
« On retrouve ici la
question de la démocratisation culturelle. Question qu'un Thomas
Hischorn a plutôt bien géré mais ils sont rares les
professionnels du monde de l'art qui réussissent cela. Qui dit
démocratisation de la culture, cela présuppose qu'il y a quelque
chose à rendre accessible. Or, ce quelque chose, qui décide de
cette valeur-là symbolique ? Ce sont toujours les mêmes. Par
exemple, le Centre
54
Pompidou Mobile amène les oeuvres d'art dans des
territoires : c'est un bon sentiment mais quel message veut-on faire passer ?
Est-ce que cela veut dire que ces gens-là n'ont pas de culture ? Or, ils
ont une culture. Tout le monde a une culture : simplement certaines sont
valorisées et d'autres non. » Jérôme
Delormas
« Le rayonnement culturel
dépend de la classe créative qui a un rôle
prédominant dans notre société. »
Thibault Duchesne
Vue du Centre Pompidou Mobile
55
Hypothèse 7 : Les lieux innovants qui aident à
la collaboration pluridisciplinaire et à l'expérimentation sont
un socle indispensable pour la création contemporaine
En quoi une programmation pluridisciplinaire
autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une
opportunité d'élargir les possibles ?
En croisant les disciplines artistiques, comme se donne pour
mission l'association Prism Collective, on enrichit le travail de l'artiste qui
voit son oeuvre dialoguer et renaître sous d'autres formats. C'est aussi
en favorisant les interactions entre les représentants de
différentes disciplines qu'on se rend compte de la transversalité
de certains domaines et de la possibilité par analogie de
déboucher sur de grandes découvertes. L'innovation provient
souvent de la confrontation de champs différents. A l'IRCAM collaborent
des musiciens et des médecins dans le traitement des
acouphènes.
« Ce dont on se rend compte
à nouveau c'est que l'innovation, l'invention, la création
n'émergent pas tout à fait là où on le pense, en
tout cas pas en milieu pur. Toute l'histoire prouve en terme d'innovation que
c'est est un phénomène fortuit. C'est parce qu'il y a eu
transposition, qu'il y a eu discussion avec quelqu'un dans un champ qui n'a
rien à voir, qu'il il y a eu emprunt et analogie avec un autre secteur.
La rencontre fortuite est fondamentale et cela est aidé par des
conditions pluridisciplinaires. A la Gaîté Lyrique, en mettant
sous le même toit des entrepreneurs de start-ups, des artistes de toutes
les disciplines, des chercheurs,
56
des scientifiquesÉ c'est se dire qu'à un
moment donné il y a des connexions qui se font et que l'on avait pas
nécessairement pré-conçues ou imaginées. On sait
simplement que les conditions sont réunies. »
Jérôme Delormas
« A l'IRCAM, on travaille également avec
l'industrie pour véhiculer des informations particulières qui
permettent un rendu particulier. On travaille avec des médecins, des
neurologues par exemple pour soigner les acouphènes. Le patient peut
rééduquer son cerveau afin de diminuer la douleur. On est bien
dans la pluridisciplinarité. » Michel
Muckensturm
«. Le processus
créatif à partir du moment où il est confronté
à différentes idées a tendance à être
enrichi. » Thibault Duchesne
Que pensez-vous de la transformation et la
réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
Les interviewés réagissent positivement à
la ré-utilisation d'espaces abandonnés et soulignent l'impact
culturel positif de telles initiatives qui permettent de décentraliser
les pôles culturels. Cependant, il ne faut pas sacraliser ce processus et
les artistes transforment de tels lieux par manque de moyens financiers.
« A l'Amour à Bagnolet, on occupe un
bâtiment qui est abandonné depuis 27 ans. Si on n'occupait pas ce
bâtiment, il serait resté vide pendant longtemps avant
d'être détruit. Je trouve légitime d'en faire une galerie
d'art et un lieu de vie pour 8 personnes. Dans le fond, c'est encore
l'intention qui compte. C'est bien quand c'est un bâtiment qui n'avait
pas d'utilité sociale. » Alexandre Gain
57
« C'est toujours bien qu'une société
plutôt que de détruire systématiquement son patrimoine et
reconstruire, c'est mieux de transformer ce qu'elle a produit. (É) En
revanche, il ne faut pas le sacraliser. (É) Il faut donc savoir
ré-utiliser du patrimoine et la Gaîté Lyrique en est un
très bel exemple, mais il faut avoir aussi cette audace de
détruire pour refaire du neuf. » Jérôme
Delormas
« Un collectif d'artistes
qui prend possession d'un hangar ce sont des questions financières. Il y
a un espace de création et d'exposition potentielle à prendre,
des espaces en friche. Cela décentralise les pôles culturels. Ce
sont des lieux périphériques. De tout temps, il y a eu ça
: c'était Montparnasse avant, Montreuil aujourd'hui. »
Thibault Duchesne
« Les artistes ont la nécessité
d'emménager dans des lieux avec des loyers très bas.
» Beth Scaccia
« Lorsque les artistes investissent des lieux, ils
les transforment (É) Il ne faut en revanche pas confondre
l'événement et l'oeuvre d'art. » Michèle
Broutta
Vue de la résidence artistique l'Amour à
Bagnolet
58
Hypothèse 8 : La création artistique est
complémentaire de la création scientifique et les ponts entre art
et science re-dessinent la manière de penser les délimitations de
l'art et par conséquent son impact économique
En quoi les ponts entre approche scientifique et
artistique sont importants pour décloisonner ces domaines
?
Les figures de l'artiste et du scientifique ont subi une trop
grande dichotomie auprès du grand public alors que les actes de
création et d'innovation proviennent de mêmes modes d'inspiration
et de constructions de l'esprit. Le plus difficile est de ne pas seulement
fonctionner par analogie mais bel et bien coordonner l'action scientifique et
artistique sur un même projet alors que les attentes de chacun sont
différentes. L'artiste peut aussi avoir une démarche scientifique
en étudiant la couleur ou la coupe de cellules. Sans chercher absolument
à associer deux domaines que l'on pourrait croire opposés, on
perçoit que les interactions sont nombreuses. L'artiste a aussi une
fascination pour la recherche scientifique bien que lui soit au service de la
beauté et non de la science.
« L'objectif est de coordonner le
développement scientifique pour accroître le langage artistique.
C'est un mécanisme difficile à incarner. Souvent on fait des
choses par analogie, on s'inspire de l'astronomie, d'Einstein ou de je ne sais
quoi, mais il n'y a pas de vrai démarche commune qui va concourir
à créer quelque chose de nouveau dans le temps. (É)
L'artiste a une processus qui lui est propre et
59
des préoccupations : l'urgence de sa
création, la pièce à venir. Or, le chercheur scientifique
lui veut faire avancer la science. Il est dans une idée de
généricité. (É) La volonté initiale est de
gérer un événement artistique mais cela participe à
des recherches pour une communauté scientifique qui peuvent donner lieu
à de l'exploitation de logiciels. Les scientifiques se nourrissent de la
demande artistique qui a des requêtes d'usage. Ce n'est pas une demande
de "proof of concept" dans un laboratoire. Il y a un défi qui est de
faire fonctionner l'expérience devant un public. »
Michel Muckensturm
« Historiquement, le
scientifique et le philosophe sont les mêmes. Il y a un cheminement
philosophique très fort. Il y a beaucoup d'artistes qui
s'intéressent à la science. Caroline Corbasson s'intéresse
à des phénomènes géologiques et spatiaux. Il y a un
rapprochement scientifique qui est évident. Ses thèmes sont les
terres à prendre, la dimension inconnue. L'étude de la couleur
est un aspect scientifique. La pratique artistique implique une pratique de la
chimie. Le peintre est un chimiste : il y a un mélange de couleur, de
pigments.Il y a également des installations qui s'intéressent
à l'énergie, à la géométrie. Je pense ici
à l'exposition sur Takis qui s'intéresse au
magnétisme.C'est l'image tout public qui a changé. »
Thibault Duchesne
« Avant nous vivions dans
un temps où tout était spécialisation. Désormais,
nous percevons de quelles manières sont reliées toutes les
disciplines et toutes les connexions qu'il y a entre elles. Nous avons
organisé un hackaton sur la mode à Paris où un
ingénieur a collaboré avec un designer de mode.
» Beth Scaccia
« Dans la science, dans la biologie, il y aussi une
esthétique, une beauté qui est presque du domaine artistique. En
même temps, parfois il ne faut pas absolument mélanger des
domaines opposés pour dire qu'on les mélange. »
Alexandre Gain
« Il y a des artistes qui
se sont inspirés de biologie, de l'étude de cellules. Beaucoup
d'oeuvres d'artistes s'apparentent à de la science, ne serait-ce que par
l'observation. Je pense néanmoins que c'est surtout l'artiste qui puise
son inspiration auprès du scientifique et non l'inverse. »
Michèle Broutta
« Il y a un parallèle car ils sont tous dans
une spéculation et dans une passion, à corps perdu. Les grands
scientifiques ont souvent des attitudes communes aux grands artistes. »
Jérôme Delormas
Vue de l'exposition « Takis », Palais de
Tokyo 2015. Photo : André Morin. (c) ADAGP, Paris
60
61
Hypothèse 9 : L'innovation, liée à la
recherche artistique, est un concept-clé pour la création de
richesse
En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation dans les
industries créatives ?
L'artiste nourrit l'innovation des industries créatives
car il est à l'avant-garde. L'art expérimental est le laboratoire
des industries créatives qui en puisent de l'inspiration et l'applique
avec des moyens plus importants. L'art contemporain qui est souvent à la
pointe de la recherche esthétique infuse peu à peu les industries
créatives.
« C'est peut-être par accident car ce n'est pas
la préoccupation première de l'artiste qui souhaite avant tout
sortir son oeuvre mais cela peut donner lieu à de l'innovation d'usage,
l'innovation produit dans des univers beaucoup plus larges. (É) On a
signé un contrat avec UNIVERSAL MUSIC pour améliorer leurs
recommandations d'utilisateurs en fonction de l'atmosphère et de
sonorités en élargissant les genres de musique. »
Michel Muckensturm
« L'art contemporain est la
base expérimentale pour ce qui deviendra plus commercial. Beaucoup de
campagnes publicitaires s'appuient sur des oeuvres d'art contemporain. L'art
contemporain infuse le paysage culturel et on va le retrouver dans les
industries créatives. Le cinéma d'avant-garde a totalement
inspiré le cinéma grand public. Ainsi, les films
expérimentaux de Jean-Luc Godard ont inspiré tout une
génération au cinéma. La pratique expérimentale
donne lieu à de nouvelles idées. » Thibault
Duchesne
62
Hypothèse 10 : La création artistique inspire la
société dans son ensemble et trouve son application notamment
avec le design
En quoi le design apparaît comme une
solution afin de combiner art, technique et société
?
A la croisée des disciplines, le design est une
application plus fonctionnelle de l'art mais qui prend une place de plus en
plus importante dans nos sociétés interfacées. Le design
devient un enjeu de pouvoir et il se développe sous de multiples formes,
comme le design sonore. Le designer a une démarche différente de
l'artiste car il est là pour solutionner un problème plus que
pour amener une réflexion philosophique.
« Je vois qu'on est dans
une société où la plupart des objets que nous utilisons
sont le fruit d'un double-processus : de dessein et de dessin. Nous sommes de
plus en plus dans une société interfacée et le rôle
du design est cette fonction qui fait qu'on est au monde d'une certaine
manière et pas d'une autre. Cela met le design au centre et partout.
Après, il y a des modes de production et des formes du design qui sont
très hétérogènes les unes des autres.(...) C'est un
enjeu politique phénoménale. En témoignent les Iphones qui
sont des purs produits de design dans le hardware comme dans le software.
» Jérôme Delormas
« Avec l'école des
Beaux-Arts du Mans, on a créé une filière de formation en
design sonore (É). Autant le design visuel existe, autant le design
sonore n'est pas très développé. (É) On a ainsi
travaillé avec RENAULT sur leurs véhicules
électriques.
Les véhicules émettent un signal qui
caractérisent leur marque. Le son devient alors un outil marketing pour
véhiculer un message. » Michel Muckensturm
« Le designer n'a pas les mêmes questionnement
que l'artiste. Dans le design, il y a un produit qui tend à être
multiplié et distribué. L'artiste soulève des questions
tandis que le designer solutionne. » Thibault
Duchesne
« Le design c'est de l'art
fonctionnel, au service de la personne lambda. (É) Les designers
acceptent leur côté artisan et le côté fonctionnel de
leurs produits. » Alexandre Gain
« Le designer est
influencé par l'artiste, il a le regard de ce qui a été
fait et entreprit par l'artiste. Il faut que cela soit sufÞsamment
nouveau pour étonner mais aussi que cela soit reçu. »
Michèle Broutta
63
En 2014, lÕIRCAM a collaboré avec le
compositeur Andrea Cera pour le design de la ZOE
64
II Recommandations
Suite à l'analyse des interviews, ce qui ressort est
que notre époque est marquée par la révolution
numérique qui accroît exponentiellement les possibilités de
création et de diffusion de l'art. La responsabilité sociale de
l'artiste est de préserver sa liberté et de continuer à
être un véhicule de créativité. Les
répercussions de la créativité sur l'innovation en terme
économique sont bien plus important qu'imaginé grâce au
design et à des collaborations dans des domaines regroupants art,
science et ingénierie. Afin de garantir la liberté du travail de
l'artiste, les médiateurs culturels et les établissement
culturels doivent innover dans leur rapport au public et tenter de briser
l'image d'un art contemporain trop élitiste et inaccessible. Les
possibilités infinies qu'offrent l'interdisciplinarité et la
technologie sont autant de voies à explorer. En ce qui concerne la
responsabilité, elle est donc partagée et ce également
avec les politiques qui devraient prendre conscience de l'importance de la
culture dans la construction de l'individu et de la communauté. En
effet, l'art est avant tout l'occasion d'ouvrir le dialogue sur
différents débats essentiels à l'idéal
démocratique. Il s'agit d'intégrer des espaces de création
pour développer la créativité, notamment au sein des
entreprises. Terreau de développement économique et sociale,
l'art comme capacité propre à l'Homme et manifestation de
spiritualisation doit rester accessible à tous en tant que potentiels
créateurs d'une société plus juste.
65
|