2.2.3 La promotion de nouveaux secteurs d'activité :
les épices et les bois
La monarchie se soucie en effet du développement des
plantes commerciales, mais également de la recherche qui permette de les
cultiver avec un meilleur rendement, d'acclimater des espèces
exogènes. Cette attention portée à l'Histoire
Naturelle pousse l'administration coloniale à devoir prendre en
compte la gestion du transfert de plantes et aux savoirs indispensables
à leur adaptation au climat colonial988. Ainsi, dès le
21 août 1776, Malouet propose de profiter de son passage au large de
Madère pour se procurer un arbre à pain et tenter son
acclimatation en Guyane989. Mais les principaux efforts de
l'ordonnateur montrent un intérêt particulier pour l'exploitation
des bois. Celui-ci se manifeste dans deux directions. La première
s'intéresse à son exploitation. La seconde concerne la
création d'une pépinière.
L'exploitation des bois
L'exploitation du bois pour la construction navale est une des
préoccupations majeures de l'administration coloniale, nous l'avons vu.
Toutefois, avant de se lancer dans la production, Malouet a besoin d'un
état des lieux, de savoir si l'entreprise peut être
réellement rentable, et quelles sont les conditions de sa mise en place.
Le rapport que lui fournit M. Bagot laisse entrevoir des possibilités
réelles, bien que nécessitant beaucoup de travail et un
investissement conséquent. Bagot dresse un inventaire de ses besoins en
cas de mise en route de ce projet : il lui faut des ouvriers
spécialisés, comme « des charpentiers, des
constructeurs, des scieurs de long, un ou plusieurs taillandiers avec leurs
outils, un ou même deux chirurgiens, [...] quelque remèdes
nécessaires, la quantité de nègres que l'on voudra y
emploler », au moins soixante d'une « bonne nation »,
affectés à la scie, au charroi et au transport990.
Bagot a également besoin d'outillage et de fournitures diverses. Il
demande « des scies, haches, serpes, sabres ou machettes, pics,
arminettes, palettes, limes, meules, fusil, poudre, plomb, balle, criq, [...]
barre de justice, menottes, cordages, poulies, cabestans, clous, marteaux,
vrilles, tarrières, etc. » Il ajoute les vivres indispensables, la
boisson, le vin. Il sollicite le recours « d'Indiens qui serviront
à transporter les vivres, à la chasse et à la pêche
», ainsi que « quatre charpentiers pour construire des embarquations
(sic) propres aux
988 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane
(1720-1848), op. cit., p. 26 ; François REGOURD,
Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op.
cit., p. 253.
989 ANOM C14/43 F° 210
990 ANOM C14/45 F° 394
230
transports des bois sur les dessins [qu'il] leur
[donnera]991. » Si ces conditions sont réunies, Bagot
avance une production de 30 à 35 milles pièces la première
année, puis 90 000 à 100 000 la seconde, toujours avec la
même équipe992. Sur ces travaux, Malouet informe le
ministre en juin 1777 que le projet promet d'être rentable. Il assure que
Bagot est capable, avec une équipe de cinquante esclaves scieurs de long
de fournir 100 000 pieds cube de bois à 50 sous le pied. « En y
ajoutant cinq sous de fret, le bois de Guyane reviendra à Brest à
55 sous : ce qui ne seroit pas cher »,
précise-t-il993.
Le développement de ce secteur laisse donc entrevoir
des perspectives intéressantes pour la colonie. Dans un but
d'exploitation raisonnée, Malouet couple l'exploitation du bois avec la
mise en place d'une pépinière.
La création d'une
pépinière
Très rapidement, l'ordonnateur engage des recherches et
des travaux dans le but de mettre en place une pépinière. Il
s'agit de rassembler en un même endroit les espèces de bois
exploitables, répondant à la fois au problème de
dispersement des différentes essences dans la forêt, à la
difficulté de les exploiter, et favoriser le reboisement des zones
défrichées laissées à l'abandon. Malouet informe le
ministre le 1er février 1777 qu'il a fait délimiter et
défricher un terrain sur 300 arpents autour de Cayenne, où il
fait venir des plants et des graines994. Toutefois, comme le fait
remarquer Julien Touchet, ce projet trouve ses origines chez le baron de
Bessner qui, en 1775, propose la création d'une pépinière
en Guyane. Il faut d'abord inventorier les différentes espèces
utiles, tâche pour laquelle le baron propose son frère, et ensuite
les multiplier dans une pépinière. Son entretien ne sera pas
dispendieux : Bessner estime qu'un petit nombre d'esclaves, sous la supervision
d'un jardinier et d'un élève fera l'affaire. Le gouverneur
Fiedmond s'oppose en partie à l'emploie du chevalier de Bessner car il
estime que ses compétences en botanique sont trop succinctes. En
revanche il donne son aval pour qu'il dirige la pépinière et
s'occupe du dessin des plantes995.
De fait, la réalisation d'un tel projet
nécessite un personnel compétent. Le ministre Sartine
écrit donc à Malouet le 21 août 1776 qu'il engage le
jardinier Millet, et que ce dernier embarquera
991 ANOM C14/45 F° 395
992 ANOM C14/45 F° 396
993 ANOM C14/44 F° 168
994 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 328.
995 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane
(1720-1848), op. cit., p. 145-148.
231
du Havre avec lui996. Reste que les travaux
prennent du retard, du fait du problème récurrent de la
main-d'oeuvre. Malouet réclame au ministre qu'on lui alloue une
trentaine d'esclaves pour avancer les travaux, car le terrain sur lequel il
commence à installer la pépinière, qui court des remparts
et s'étend vers la mer, est inondé et couvert de
palétuviers qu'il faut abattre997.
Ce projet de rationalisation de l'exploitation
forestière en se focalisant sur des espèces « utiles »
élevées en pépinière, volonté des
Lumières d'ordonner la Nature, se prolonge par un effort dirigé
vers la culture des épices.
Les épices
En 1772, l'ordonnateur Maillard-Dumesle charge un certain
Dallemand de trouver des terrains propices à recevoir les premiers
plants de girofliers et de canneliers, expédiés depuis
l'Île de France par Pierre Poivre. Dallemand parcoure la Guyane pendant
trois mois et identifie les terres du quartier de la Côte comme les plus
propices : ce sont des terres grasses, abritées et irriguées par
de nombreux petits ruisseaux, idéales pour le giroflier. Parmi les 28
personnes visitées, Dallemand retient 4 habitants chez qui seront
distribuées les épices : Macaye (2 girofliers, 1 cannelier, 1
james rosa), Mme de Billy (1 giroflier, 1 cannelier), Courant (1 giroflier, 1
cannelier, 1 james rosa), et Boutin (1 giroflier, 1 cannelier, 1 james
rosa)998. Quand les premiers plants arrivent à Cayenne en
1773, il n'existe pas encore de lieu dédié à la culture
des épices. L'administration les confie aux habitants les plus
éclairés. Cette dispersion des plants est vraisemblablement aussi
un moyen de répondre à la menace de destruction par le premier
corsaire venu, avance Julien Touchet999.
Quand Malouet arrive à Cayenne, la culture des
épices en est encore à ses balbutiements. Dans son dernier compte
rendu d'activité pour l'année 1778, il se félicite
toutefois des premiers succès rencontrés. Il informe le ministre
de la première récolte de cannelle, ainsi que des premiers clous
de girofle. Le muscadier de M. Noyer ne produit rien pour le moment, mais il
est en fleur1000. Un second courrier daté du 14 août
1778 est plus détaillé et met en avant le besoin prégnant
de nouvelles dispositions à l'endroit de la culture des épices.
Malouet annonce au ministre que les trois girofliers sont en plein rapport.
Leur récolte est même suffisamment abondante pour envisager de
996 ANOM C14/43 F° 209
997 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane
(1720-1848), op. cit., p. 149.
998 Ibid., p. 90.
999 Ibid., p. 151-152. 1000ANOM C14/50 F° 96
232
faire des semis. Un des trois girofliers est
transplanté chez M. Courant. Il souligne également que, bien que
les succès soient encore modestes, les plants de girofliers sont
précieux et il désapprouve le fait que Courant ait refusé
une garde militaire pour le transport de son arbre. Il pense que le cadre de
l'habitation privée ne convient plus pour la culture des épices,
car il faut de la place pour accueillir les nouveaux plants issus des semis.
Ainsi, conformément à ce qu'il annonçait à M.
Maurepas avant son départ pour Cayenne, Malouet informe que
l'administration a dores et déjà « déterminé
deux emplacemens différens pour la plantation des clous qui proviendront
de cette récolte. » En outre, il lui paraît indispensable de
regrouper les épices en un seul lieu et de « prendre des mesures
efficaces pour la sûreté et le régime d'une culture aussi
intéressante1001. » Ce qui préfigure le transfert
en 1781 des cultures d'épices sur les montagnes de la Gabrielle, sous la
houlette de Guisan.
La mobilisation de Malouet en faveur de la mise en valeur du
patrimoine forestier et de son exploitation raisonnée repose sur la
volonté ministérielle de faire de la Guyane un chantier naval,
exportateur de bois de construction. L'aspect commercial est renforcé
par le développement de la très lucrative culture des
épices. En parallèle, l'ordonnateur se charge d'insuffler un
souffle nouveau à des activités peu dynamiques jusqu'à
présent, en sollicitant l'intervention de l'État.
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