7.1.2. 6.2. Analyse
et discussion des résultats
Les résultats issus de la régression logistique
portant sur les déterminants de l'adoption du décorticage
mécanique et de la fortification en fer du sorgho dans le village Thian,
révèlent l'existence de cinq variables significatives que nous
nous devons d'analyser et discuter.
· Le revenu de
l'enquêtée
Il s'agit du revenu des femmes à charge de la
préparation de la pâte du sorgho dans les ménages
enquêtés. Dans le modèle, le signe du coefficient de cette
variable est le signe plus (+) ; il correspond au signe attendu. Il
indique que la décision d'adopter le décorticage mécanique
et la fortification en fer du sorgho est positivement influencée par le
revenu de l'enquêtée. En d'autres termes, plus le revenu de
l'enquêtée est élevé, plus grande est sa
probabilité de décider d'adopter l'innovation. Ce résultat
s'explique par le fait que les `'chefs cuisine'' qui ont un revenu
élevé se sentent en mesure de faire face aux coûts
liés à l'adoption de l'innovation. En effet, avant l'obtention du
sorgho décortiqué et fortifié, diverses opérations
sont effectuées par le minotier et l'agent qui assure la fortification.
Il s'agit dans cet ordre de :
ü la pesée du sorgho à l'aide d'une balance
mécanique
ü l'humidification du sorgho ;
ü le décorticage proprement dit du sorgho à
l'aide d'un décortiqueur ;
ü la pesée du sorgho décortiqué
à l'aide de la même balance mécanique ;
ü la pesée de la quantité de fer
nécessaire à la fortification du sorgho décortiqué
à l'aide d'une balance électrique ;
ü la fortification proprement dite du sorgho
décortiqué.
L'enquêtée ayant pris conscience de ce que toutes
ces opérations ont un coût, fait référence à
son niveau de revenu et se prononce sur sa décision d'adopter ou de
rejeter l'innovation.
Ce résultat est conforme à celui obtenu par
Agbahey (2007). Dans sa recherche sur la prédisposition des
ménages du département du Couffo (Sud-Bénin)
affectés par le VIH/SIDA à adopter les systèmes de
production basés sur les variétés
améliorées, cet auteur trouve que le niveau de revenu influence
positivement la décision d'adopter ou de rejeter les
variétés améliorées. Il montre ainsi que les
producteurs à haut niveau de revenu sont plus prédisposés
à adopter les variétés améliorées que ceux
à faible niveau de revenu.
· L'appartenance de l'enquêtée
à la phase pilote du projet
Cette variable désigne l'appartenance ou non de
l'enquêtée à la phase pilote du projet qui a conduit
à l'installation de l'unité de décorticage et de
fortification. Les résultats obtenus à partir de la
régression logistique montrent que cette variable influence
négativement la décision d'adopter le décorticage
mécanique et la fortification en fer du sorgho. L'appartenance à
la phase pilote du projet est donc négativement corrélée
à la disposition de l'enquêtée à adopter le
décorticage mécanique et la fortification en fer du sorgho.
Autrement dit, lorsqu'on va des `'chefs cuisines'' n'ayant pas appartenu
à la phase pilote du projet à celles ayant appartenu à la
phase pilote, nous avons une diminution du nombre des
prédisposées. Cet effet négatif de cette variable sur la
prédisposition de l'enquêtée à adopter l'innovation
est contraire à celui que nous avions prédit. Selon Evenson
(1992) et Ogunlana (2003), le contact de l'enquêté avec la
`'vulgarisation'' devrait faciliter l'accès à l'information et
favoriserait l'adoption des innovations. Mais, l'effet contraire observé
au cours de notre étude pourrait s'expliquer par les multiples plaintes
de ces femmes qui ont appartenu à la phase pilote du projet, et donc
expérimentées la technologie. En effet, pendant les huit mois
d'expérimentation de la technologie par les femmes
sélectionnées, elles ont relevé plusieurs insuffisances.
Il s'agit de :
ü la non-permanence de l'agent qui effectue la
fortification : en fait, pour le compte du projet, un agent a
été recruté pour assurer la fortification du sorgho,
après le décorticage par le minotier. Cet agent, dans une
journée, n'arrive dans le village pour faire son travail, qu'en fin
d'après-midi (17 heures). A son arrivée, dès qu'il finit
de fortifier le sorgho déjà décortiqué, il
rebrousse chemin. Alors, les femmes qui amènent du sorgho dans
l'unité avant 17 heures ou après son départ et qui sont
dans un besoin pressant de farine pour préparer la pâte ne peuvent
pas voir leur sorgho fortifié. Cette situation n'est pas du goût
des `'chefs cuisines'' qui ont déjà expérimenté la
technologie.
ü l'impossibilité de conserver la farine pendant
un bon moment. Selon les enquêtées, la farine qu'elles obtenaient
avec le sorgho non décortiqué se conservait pendant plus de deux
semaines, alors que celle améliorée (issus de sorgho
décortiqué et fortifié) ne se conserve pas pendant plus de
3 ou 5 jours. Ceci est certainement dû, selon ces `'chefs cuisine''
à l'humidification que subit le sorgho avant son décorticage.
Cette humidification augmente le taux d'humidité de la farine favorisant
ainsi l'activité des micro-organismes, et conduisant à son
altération précoce. Cette situation n'avantage guère les
enquêtées.
ü la diminution de la quantité de farine
après décorticage : même si les enquêtées
ont reconnu qu'il ne peut en être autrement, elles ont tout de même
mentionné cet état de chose, lors des discussions que nous avons
menées avec elles. Cela pourrait les amener à
préférer moudre leur sorgho sans forcément passer par le
décorticage.
Cette influence négative de la variable `'appartenance
ou non à la phase pilote du projet'', bien que les
enquêtées sélectionnées aient reconnu la
supériorité des qualités organoleptiques et
nutritionnelles du dibou issue de sorgho décortiqué et
fortifié, s'explique par le fait que tout individu opère un choix
en fonction des coûts et des avantages qu'il en tire ou qu'il
espère en tirer. C'est d'ailleurs ce qui a justifié le choix du
modèle des choix rationnels pour servir de fil conducteur de notre
recherche.
La prévision d'une phase pilote ou
d'expérimentation de l'innovation n'est donc pas une mauvaise
idée. Elle permet de relever les insuffisances liées au
fonctionnement de la technologie, afin de proposer des solutions
adéquates pour une meilleure adoption par toute la population.
· La complexité perçue de la
procédure de décorticage mécanique et de la fortification
en fer du sorgho
Il s'agit de la perception de l'enquêtée sur la
complexité ou non de la procédure de décorticage et de
fortification. Cette perception était évaluée à
l'aide de deux critères : le niveau de facilité de
compréhension de la procédure de décorticage et de
fortification et l'idée que l'enquêtée se fait du temps que
prendra ces opérations. Ainsi, la procédure est qualifiée
de complexe lorsque l'enquêtée affirme qu'elle est difficile
à comprendre, ou lorsque l'enquêtée juge la
procédure trop longue.
A travers le modèle, nous voyons que cette variable
influence négativement la prédisposition des `'chefs cuisine''
à adopter l'innovation. Cette influence négative, conforme
à nos prévisions, indique que la probabilité de rejet de
l'innovation augmente lorsque l'enquêtée juge la procédure
de décorticage et de fortification complexe.
Un résultat semblable a été obtenu par
Ogunlana (2003) lorsqu'elle conduisait son étude sur les comportements
d'adoption de la culture en couloir par les agricultrices du Nigéria.
Cet auteur a montré que la complexité, définie dans le
cadre de son étude comme le degré auquel une innovation est
perçue comme étant difficile à comprendre et à
utiliser, influençait négativement l'adoption de la culture en
couloir. Par ailleurs, Bendana et Sadok (2005) ont aboutit à cette
même conclusion dans leur étude sur les facteurs explicatifs des
intentions d'adoption du gouvernement électronique par les petites et
moyennes entreprises tunisiennes.
· Compatibilité de la technologie avec les
normes et valeurs du ménage de l'enquêtée
Cette variable a été introduite dans le
modèle de régression logistique pour voir l'influence des normes
et valeurs du groupe social qu'est le ménage auquel
l'enquêtée appartient, sur la prédisposition à
adopter l'innovation. Ces normes et valeurs peuvent être liées
à la tradition, à la religion, etc.
Les résultats du modèle révèlent
un effet positif de cette variable sur la prédisposition des `'chefs
cuisine'' à adopter le décorticage mécanique et la
fortification en fer du sorgho. Cette variable est donc positivement
corrélée avec la prédisposition à adopter
l'innovation. Cet effet positif est celui qui est attendu. Il indique que la
probabilité d'acceptation de l'innovation augmente lorsqu'elle est
compatible avec les normes et valeurs de l'enquêtée.
· Statut social de l'enquêtée
après adoption de l'innovation
Il s'agit ici de l'idée que l'enquêtée se
fait de son statut social, une fois qu'elle aura adopté l'innovation.
Dans le modèle, le signe du coefficient de cette variable est le signe
plus (+) ; il correspond au signe attendu. Il qui indique que la
décision d'adopter le décorticage mécanique et la
fortification en fer du sorgho est positivement influencée par le statut
social de l'enquêtée. Autrement dit, la probabilité
d'acceptation de l'innovation augmente lorsque l'enquêtée est
convaincue qu'elle améliorera son statut dans le village. Le statut
social de l'enquêtée est amélioré, lorsque celle-ci
est mieux `'regardée'' que par le passé. En effet, l'adoption du
décorticage mécanique et de la fortification en fer du sorgho est
source de prestige car, d'une manière ou d'une autre, implique des
charges financières supplémentaires. Une femme qui adopte cette
innovation est une femme qui est en mesure de dépenser plus d'argent que
par le passé. Etre capable de sortir de son portefeuille plus d'argent
que par le passé, fait de cette femme et de son époux, des
personnes qu'on peut qualifier d'aisées. En dehors de cela, un
ménage qui accepte décortiquer et fortifier chaque fois le sorgho
avant de le moudre, pourra être vu comme un ménage exemplaire, car
ayant le souci de contribuer à l'éradication d'une maladie. Tout
ceci contribuerait à l'amélioration du statut social des `'chefs
cuisine'' qui adopteraient l'innovation. Celles qui sont convaincues de cela
ont une grande probabilité d'adoption du décorticage et de la
fortification.
Un résultat similaire a été trouvé
par Ogunlana (2003) lorsqu'elle conduisait son étude sur les
comportements d'adoption de la culture en couloir par les agricultrices
nigérianes. Cet auteur a, en fait, montré qu'il existait une
corrélation positive entre le niveau d'adoption de la culture en couloir
et le prestige social qui en dérive.
De tout ce qui précède, nous pouvons dire que le
revenu de l'enquêtée, son appartenance à la phase pilote du
projet, sa perception de la complexité de la procédure de
décorticage mécanique et de la fortification en fer du sorgho, la
compatibilité de l'innovation avec les normes et valeurs de son
ménage et la perception qu'elle a de son statut social après
l'adoption de l'innovation influencent sa décision de décortiquer
de façon mécanique et de fortifier en fer son sorgho. Les
variables telles que le niveau de revenu, la compatibilité de
l'innovation avec les normes et les valeurs des ménages des
enquêtées et le statut social des enquêtées
après l'adoption de l'innovation ont une influence positive sur la
décision des `'chefs cuisine'' à décortiquer de
façon mécanique et fortifier en fer leur sorgho. Ainsi, la
probabilité de répondre « oui » à la
question de savoir si l'enquêtée acceptera décortiquer,
fortifier et payer un montant pour ces opérations augmente lorsque
l'enquêtée à un niveau de revenu élevé, juge
compatible le décorticage et la fortification avec les normes et les
valeurs de son ménage, et perçoit ces opérations comme
capables d'améliorer son statut social. Par contre, les variables telles
que l'appartenance de l'enquêtée à la phase pilote du
projet et la complexité perçue de la procédure de
décorticage mécanique et de la fortification en fer du sorgho
influencent négativement la décision des `'chefs cuisine''
à adopter l'innovation. Autrement dit, la probabilité de
répondre « non » à la question de savoir si
l'enquêtée acceptera décortiquer, fortifier et payer un
montant pour ces opérations augmente lorsque l'enquêtée a
appartenu à la phase pilote du projet qui a conduit à
l'installation de la plate-forme de décorticage et de fortification et
lorsque l'enquêtée juge la procédure de décorticage
mécanique et de la fortification en fer du sorgho complexe.
A partir de ce moment, nous acceptons la première
hypothèse de notre étude, et concluons que les facteurs d'ordre
socio-économique que sont le niveau de revenu, l'appartenance à
la phase pilote du projet, la complexité perçue de la
procédure de décorticage et de fortification, la
compatibilité de l'innovation avec les normes et valeurs du
ménage de l'enquêtée et le statut social de
l'enquêtée après l'adoption de l'innovation
déterminent la décision des `'chefs cuisine'' du village Thian
à décortiquer de façon mécanique et fortifier en
fer le sorgho.
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