Mémoire de Master 2 - Juin 2013 Sous la direction de
Pierre Wat Histoire de l'art contemporain Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
La magie
de Diaz
L'hermétisme du «
magicien de la
couleur », Virgile
Narcisse Diaz de la
Peña (1809-1876)
Mélissa Perianez
1
2
Table des matières
Avant-Propos 4
Introduction 5
Partie I. Les Fées : du conte à
l'autobiographie d'artiste 13
Chapitre 1. La mare aux Fées, reflets de l'insaisissable
14
Section 1. Les légendes bohêmes 15
Section 2. Une vie invisible dans le paysage 17
Section 3. Le jeu des apparences : 18
Chapitre 2. La Fée aux fleurs : le don bohème 20
Section 1. Une conscience de l'éphémère
21
Section 2. Une marraine de l'OEuvre 24
Section 3. Les fleurs, premiers succès et fonds de
commerce de Diaz 25
Chapitre 3. La Fée aux bijoux 26
Section 1. Les joyaux du Narcisse 27
Section 2. La Fée de 1857 et l'aventure
commerciale de Diaz 30
Section 3. La Fée de 1860, poursuite d'une
réflexion sur la valeur symbolique 34
Chapitre 4. La Fée aux joujoux 38
Section 1. La place de l'émerveillement enfantin 38
Section 2. Un conte familial déguisé 40
Section 3. La place du jeu dans l'oeuvre 42
Partie II. Le « magicien » au kaléidoscope de
La Magicienne 45
Chapitre 1. La « magie » de Diaz : un usage de la
couleur salué par l'école romantique 47
Section 1. « De l'Espagnol inspiré tout caprice est
sacré ! » 48
Section 2. Le mystère de la couleur 51
Section 3. Projection à l'oeuvre d'un art sur-naturel
55
Chapitre 2. Du charme au pouvoir de la peinture 58
Section 1. Circé et les métamorphoses de l'Eros
59
Section 2. L'intuition pulsionnelle 61
Section 3. Entre définition de l'action artistique et de
l'action occulte au XIXe siècle 65
Chapitre 3. La figure du magicien 69
Section 1. Diaz et l'identification à Faust 70
Section 2. L'art désacralisé, l'art
réinvesti d'une puissance pragmatique 72
Section 3. L'artiste, le marginal et le magicien 75
3
Partie III. Irrationalité de la condition humaine à
travers Les Maléfices 80
Chapitre 1. La suggestion contre la science 81
Section 1. Suggestives malgré elles 81
Section 2. L'effet sans l'expression : une originalité
remarquée 85
Section 3. Une impression sans « isme », vers d'autres
courants picturaux 87
Chapitre 2. L'humain à travers les cultures 90
Section 1. Des émotions universelles 90
Section 2. La magie, constante anthropologique 93
Section 3. Les mêmes histoires contre l'Histoire 95
Chapitre 3. La parole à l'oeuvre 96
Section 1. Le verbe, essence humaine de la Création 97
Section 2. La parole, agent magique 98
Section 3. Une oeuvre pour tout discours 101
Chapitre 4. Le mont maudit 103
Conclusion 107
Bibliographie 110
4
Avant-Propos
Pour trouver un angle qui puisse satisfaire aux temps impartis
- prolongés déjà sur un an de plus - et qui puisse
être traité exhaustivement, il était malaisé de se
focaliser ou sur un genre, ou sur un axe transversal. Le mémoire
était parti pour devenir « La fantaisie de Diaz », permettant
de traiter de sa désinvolture particulière et de son approche
personnelle de la Bohême, à la fois dans son oeuvre, dans ses
collections, dans sa vie intime et son personnage artistique. Le
problème a été de pouvoir circonscrire exhaustivement et
rationnellement un corpus sur la « fantaisie » de Diaz, dès
lors que le parti pris était de pouvoir étendre cette notion
à toute sa production ! Les oeuvres en tête, regardées de
façon arbitraire, s'étaient articulées en un plan
très commode, entre son excentricité au Salon, son
habileté de Bateleur pour la vente, et sa Bohême intime et
sylvestre. Le plan était bouclé avant la constitution du corpus,
la problématique était difficile à justifier, et le nombre
d'oeuvre autant que le choix entravait la rédaction. Le deuil de ce
sujet a été difficile car le plan se serait très bien
prêté à mettre en lumière la stratégie et
l'habileté de l'artiste, ainsi que sa mobilité tantôt
dynamique, tantôt flâneuse entre les salles de vente et la
forêt de Barbizon. Finalement, le choix s'est fait en renouant avec la
rencontre initiale de Diaz, au cours d'un travail taxinomique et analytique sur
La figure de la Bohémienne du romantisme au réalisme,
1830-1850, où Diaz était apparu comme le seul à avoir
investi le thème de façon personnelle, le seul aussi à
avoir étoffé l'iconographie de la diseuse de bonne aventure en
essayant des scènes d'un registre plus fantastique, et un des seuls
à ne pas avoir tenté d'établir le « type »
physionomique des tsiganes. Ce premier contact avec l'artiste permettait de
comprendre sa singularité artistique, bien avant de connaitre la
singularité de son parcours personnel et de son propre personnage.
Plutôt que de reprendre le corpus des « bohémiennes »,
ce qui aurait fait double emploi avec le sujet traité dans le cadre du
master 1, il a paru alors profitable de former un corpus sur l'évocation
du surnaturel pour traiter de cette « fantaisie » qui était la
première intention, suivant une expression consacrée à de
nombreuses reprises par la presse :
« la magie de Diaz ».
5
Introduction
Dans son Salon de 1846, Théophile Thoré
nous livre une vision de son protégé, Narcisse Virgile Diaz de la
Peña, parfaitement surprenante pour qui s'en tiendrait aux lignes
laconiques que l'on trouve aujourd'hui sur le peintre dans les ouvrages
consacrés à Barbizon :
« La peinture de M. Diaz est un songe dans les pays
enchantés. Il n'y a de ces forêts et de ces créatures
voluptueuses que dans les visions de haschisch, quand on se porte bien et qu'on
est déjà parfaitement heureux. C'est à ce charme
féérique qu'il faut attribuer le succès de Diaz ; car sa
peinture en elle-même, ou plutôt son exécution, est un peu
effrayante pour les bourgeois qui aiment en général la peinture
finie, propre et bien compréhensible1. »
À un lecteur non averti Thoré apprend que Diaz,
qui passe aujourd'hui pour un peintre d'importance secondaire à son
époque, avait connu un certain succès. En effet, Diaz est un
personnage artistique sujet dès son vivant de spéculations sur sa
biographie créant une légende. Il est fréquemment fait
allusion à lui pour décrire la vie parisienne du milieu du
XIXe siècle, comme dans les romans d'Arsène
Houssaye2, de Charles Monselet3, les vers de
Théodore de Banville4 et du chansonnier Desplaces. Les
Goncourt expliquent effectivement qu'entre 1830 et 1840 « il n'y avait
guère eu qu'un coloriste sorti des talents nouveaux5 »,
Diaz, au centre de toute l'attention.
Mais encore, Thoré signifie au lecteur que cette
peinture, qui paraît passéiste et très conformiste à
l'oeil contemporain, manque de peu d'« effrayer » le bourgeois de son
époque, et qu'elle véhicule un puissant onirisme. Il faut
rappeler que Diaz, loin de l'art « pompier6 », des «
grandes machines » lisses et finies, a fait ses première armes dans
un « phalanstère d'artistes de la rue Saint-Denis7
», avec Huet, Cabat et Daumier, à l'époque où les
Jeunes-Frances, avec lesquels il a au moins des accointances
communes8, ne s'affectent de manières passéistes que
pour mieux déclarer boire le
1 Thoré, Théophile, « Salon de 1846 »,
Salons de W. Burger. 1861-1868, Paris, 1870, p. 109.
2 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse,
histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New
York, C. Lassalle, 1866 ; et Houssaye, Arsène, Mademoiselle Mariani,
histoire parisienne, Paris, Michel-Lévy frères, 1859.
3 Véritable inconditionnel de la peinture et du
personnage de Diaz, Monselet y fait allusion dans M. de Cupidon,
Paris, V. Lecou, 1854.
4 Les vers : « Les grands yeux de Diaz / Ivres de rose
» de Théodore de Banville sont cités par Paul Mantz dans un
hommage à Diaz à sa mort. : Mantz, Paul, « Diaz »,
Le Musée Universel, octobre 1876 - mars 1877, 1er
semestre 1877, t. IX, n° 210, p. 183.
5 Goncourt, Edmond et Jules, Manette Salomon, t. 2,
Paris, Lacroix, 1868.
6 Henri Zerner les définit comme des artistes
étant en général « renommés de leur vivant,
qui se spécialisèrent dans d'importantes toiles historiques et
religieuses », alors que Diaz ne produit aucune « grande machine
». Rosen, Charles, et Zerner, Henri, Romantisme et
réalisme, Paris, Albin Michel, 1986.
7 Pomarède, Vincent, « L'infini de la nature
1830-1860) », cat. exp. L'école de Barbizon. Peintre en plein
air avant l'impressionnisme, Lyon, musée des Beaux-Arts, 22 juin-9
septembre 2002, Paris, Rmn, 2002, p. 192.
8 Célestin Nanteuil et Tony Johannot, principalement. Il
faut attendre le 3 février 1848 pour trouver trace de la présence
de l'artiste à souper chez Gautier avec Barye, Rousseau, Dupré et
Couture, voir Guégan, Stéphane, Théophile
Gautier, Paris, Gallimard, 2011, p. 305.
6
punch dans le crâne de leurs maitresses9. Un
détracteur virulent écrit en 1853 que la popularité de
Diaz a corrompu le goût du public à un tel point qu'il a
changé la nature même de l'art français10 -
l'artiste n'aurait pu rêver meilleur épitaphe, et a eu le bonheur
de se l'entendre dire de son vivant.
Enfin, la citation de Thoré met bien en lumière
comment Diaz, qui n'apparait aujourd'hui que dans l'histoire de Barbizon, n'est
pas salué par le critique uniquement pour son art du paysage mais aussi
pour les « créatures », qui peuplent ses nombreuses peintures
de genre et allégories. Dès l'envoi des Bohémiens se
rendant à une fête et du Maléfice au Salon de
1844, Théophile Thoré, Gautier, et les « rapins » de
L'Indépendant parlent en choeur de la « magie » du
peintre11. En 1846, l'agitation autour de la nouveauté et
l'audace de ce coloriste achève de fixer pour le reste de sa
carrière un personnage artistique : Diaz est le « magicien de la
couleur », dont les tableaux traduisent les « vision » d'un
homme autopropulsé dans un monde « enchanté ».
Dès le Salon de 1846 Champfleury s'en sert comme repère, en
écrivant au sujet de Jules Coignet qu'il n'a fait « qu'un
Diaz12 ».
L'approche biographique qui a toujours prévalu dans
l'analyse de ses tableaux, est due en partie à l'impossibilité
(sic) de comprendre ses sujets, selon l'aveu de plusieurs critiques,
dont Gautier13. Ce rapport forcé entre la vie et l'oeuvre du
peintre intéresse l'étude au premier chef, c'est pourquoi la vie
de l'artiste, retracée par Théophile Silvestre14 et
Pierre Miquel15, sera décrite plus en détail au
gré de l'analyse et non pas en introduction. Dans sa carrière de
peintre, c'est sous la Monarchie de Juillet, au même moment où
Gautier forme le Petit Cénacle (environs 1829-1833)16, que
Diaz quitte l'atelier de Xavier Sigalon, pour se former lui-même dans la
fraternité des arts. Accroché aux Salons de 1834 et 1835, il
essuie des critiques acerbes, puis s'en détourne après avoir
été refusé en 1836. Vers 1842, Narcisse Diaz fait parler
de lui et les commandes affluent, mais il n'ose pas envoyer au Salon
après le tollé au Salon de 1835 de son sujet d'Histoire La
Bataille de Médina Coeli. La même année, il se marie
avec Marie Brichart, et, lié d'amitié avec les peintres de
Barbizon et avec des noms de la bohême galante, comme Célestin
Nanteuil, il fait vivre un foyer de commandes qui vont
9 Seigel, Jerrold, Paris bohème. 1830-1930,
trad. Odette Guitard, Paris, Gallimard, 1991, p. 35. Sur les Jeunes-Frances,
voir Bénichou, Paul, Le sacre de l'écrivain : 1750-1830 :
essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France
moderne, Paris, Gallimard, 1996, p. 420-462.
10 Du Pays, « Visite aux ateliers : Diaz »,
L'Illustration, 19 mars 1853, p. 185.
11 H. L. S., « Salon de 1844. Huitième article
», L'indépendant, 28 avril 1844, p. 1-2.
12 Champfleury, « Salon de 1846 », OEuvres
posthumes de Champfleury : salons de 1846-1851, préf. Jules
Troubat, Paris, Lemerre, 1894, p. 75.
13 Voir notamment le catalogue du Salon de 1846 ; Silvestre,
Théophile, Histoire des artistes français, p. 153 ;
Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, Hetzel, 1847, p.
97-98.
14 Silvestre, Théophile, « Diaz », Les
artistes français, p. 142-153.
15 Pierre Miquel a enrichi la biographie de Silvestre d'une
documentation riche, voir son volume monographique, Miquel, Pierre et Rolande,
Narcisse Diaz de la Pena, vol. 1, Paris, ACR éd., 2006.
16 Sur la vie et l'évolution des batailles de Gautier,
voir Guégan, Stéphane, Théophile Gautier, Paris,
Gallimard, 2011. À propos du Petit Cénacle, voir p. 47-53.
7
croissantes17. Entre 1844 et 1854, on peut situer
toute la formation de son personnage et sa réussite. La critique ne
tarira plus d'éloges, Thoré18 le premier, mais aussi
Gautier19, Baudelaire20 qui voit en lui un bon peintre de
genre, critiques renommés qui parrainent l'oeuvre de jeunesse de
l'artiste. Le Second Empire est prompt à reconnaitre sa peinture
aimée du public. En l'espace de quelques envois, il est
décoré de la Légion d'Honneur le 2 mai 185121
pour ses scènes de genre, mais mourra avant de se voir fait
chevalier22. Bien plus habile encore sur le marché qu'au
Salon, la fortune de Diaz culmine en 1856 quand il loge sa famille dans un
hôtel particulier réalisé selon son
goût23. 1855 est une date charnière qui entame pourtant
déjà la perte d'audience de l'artiste, suite à
l'Exposition Universelle. En 1859 il déserte définitivement le
Salon qui lui fait mauvaise presse. Durant les années 1860 des
aléas financiers s'ajoutent aux deuils de son fils Émile et de sa
femme Marie. Vers 1865 le succès lui sourit de nouveau, en
conséquence peut-être de la nostalgie d'un public outragé
par les peintures de Manet. À partir de 1871 il est lui-même
malade, puis meurt le 18 novembre 1876.
Diaz commence à être exposé au Salon alors
que la bataille romantique hugolienne se prolonge dans l'art pour l'art, en se
défiant cependant de la politique24. Gautier, Sand et Musset
se rendent alors comme Théodore Rousseau, Paul Huet et Diaz en
forêt de Fontainebleau25. La féérie
caractéristique de sa manière à partir du milieu des
années 1840 fait écho à l'esthétique rococo promue
par les frères Goncourt et ressuscitée dans L'Omphale
(1834) par Théophile Gautier sous un clair-obscur
fantastique26. L'opposition au classicisme davidien puise en effet
en ce milieu de XIXe siècle ses esthétiques dans des
formes passées, alternant registre troubadour, renaissant, rocaille, et
prise l'irrégularité et la fantaisie du rococo. La peinture de
Diaz reflète cette veine, qu'il était important d'introduire pour
ce sujet, mais il a réalisé sa propre synthèse
esthétique, en marchant sur les pas de Delacroix, qu'il finira par
rencontrer, et s'engouffrant avec Decamps dans l'orientalisme qui se
développe après la conquête de l'Algérie. Mais si
ses accointances avec la jeunesse artistique et leurs
17 Sur l'évolution chronologique de la carrière
du peintre et sa biographie, voir Miquel, Pierre et Rolande, Narcisse Diaz
de la Peña, vol. 1, Paris, ACR éd., 2006.
18 Thoré, Promenade au Salon de 1844
19 Gautier soutient l'oeuvre féérique de Diaz le
long de sa vie, mais regrette avec l'ensemble de la critique les
répétitions de ses tableaux.
20 Après l'avoir encouragé pour ses
scènes de genre au Salon de 1845, Baudelaire réitère ses
incitations à poursuivre dans ses « kaléidoscopes » au
Salon de 1846.
21 Miquel, Pierre et Roldane, op. cit., p. 14.
22 Gérôme, « Courrier de Paris »,
L'Univers illustré, n°1132, 2 décembre 1876, p.
770.
23 Kelly, Simon, « `This dangerous game' : Rousseau, Diaz
and the uses of the auction in the marketing of landscapes », Fowle
Francis et Thomson Richard (dir.), Soil and Stone : impressionism,
urbanism, environment, Edinburg, Varie, 2003, p. 33-48.
24 Gautier, Théophile, Mademoiselle de Maupin
(1835), Paris, Charpentier, 1876.
25 Voir Asselineau, Charles, Luchet, Auguste, et al.,
Fontainebleau, paysages, légendes, souvenirs, fantaisies, Paris,
Hachette, 1855. Le recueil est composé d'articles de noms aussi divers
que Murger, Janin, Baudelaire, Houssaye, de Nerval, Hugo, de Banville, Sand,
etc., qui connaissent la forêt comme les peintres de Barbizon.
26 Guégan, Stéphane, op. cit., p. 80.
Sur l'esthétique rococo et les Petits romantiques, voir Thomas,
Catherine, « Les Petits romantiques et le rococo : éloge du mauvais
goût », Romantisme, 2004, n°123. Formes et savoirs, p.
21-40. À propos de L'Omphale, voir par exemple l'introduction
de Eigeldinger, Marc, aux Récits fantastiques, Paris,
Flammarion, 1981, p. 17-42.
8
différentes esthétiques sont nombreuses, Diaz se
lie surtout avec la première génération d'artistes
voyageant régulièrement à Barbizon, les « peint'
à Ganne27 ».
Le véritable contexte de l'oeuvre de Diaz est donc la
forêt, lieu dont la mémoire séculaire permet un voyage dans
le temps au « bohémien ». L'auberge de Ganne est
créé en 1824, d'après Sensier, et vers 1835 y
résident périodiquement les peintres paysagistes, mais aussi
Nanteuil et Daumier28. Fidèle ami de Rousseau, capable des
pires esclandres pour la défense du Grand Refusé29,
Diaz participe à la bataille du paysage, qui doit achever de renverser
la hiérarchie des genres en peinture, de triompher de
l'Académisme et plus largement d'un système de
valeur30. Le salon de 1824, suite à la reprise des contacts
avec l'Angleterre, dans les années 1820-1830, expose Bonington, ami de
Delacroix, Turner et Constable, dont l'interprétation faite à
Barbizon encourage une peinture débarrassée de prétexte
historique. Les peintres partent sur le motif, avec l'invention nouvelle des
tubes de couleur31. Théophile Thoré, grand
défenseur de l'art du paysage qui pour lui peut prétendre
à un art véritablement progressiste et universel, parle
également de « magie » des paysages chez Rousseau. La fuite
dans l'onirisme d'un lieu réunit ce dernier et Diaz à la
sensibilité du Doyenné et de la bohème sandienne.
Hormis ses tableaux, peu de choses sont parvenues de
l'artiste, si ce n'est sa sensibilité littéraire. Diaz se fournit
en livres, et se montre très amateur des fééries et des
pièces de théâtre où il se rend en compagnie de
Cabat et Huet dans sa jeunesse. Il se passionne petit à petit pour la
mythologie, en même temps qu'il se forme lui-même en peinture.
L'onirisme et la magie sont très présents dans la
littérature romantique, depuis le Grand Cénacle hugolien.
D'après Céline Bricault, Gautier, Nerval, Barbey d'Aurevilly,
Villier de l'Isle Adam, admettent l'existence du surnaturel32.
Cependant si l'identification du poète romantique au magicien est
courante33, le titre de « magicien » attribué de
façon hégémonique à Diaz sans qu'il se
présente comme tel est très particulier.
27 Voir Caille, Marie-Thérèse, L'auberge
Ganne, Moisenay, éditions Gaud, 1994. À propos de Barbizon,
voir cat. exp. L'école de Barbizon. Peintre en plein air avant
l'impressionnisme, Lyon, musée des Beaux-Arts, 22 juin-9 septembre
2002 ; et Chantal Georgel (dir.), La Forêt de Fontainebleau, un
atelier grandeur nature, cat. exp. Paris, Musée d'Orsay, 6 mars -
13 mai 2007, Paris, Rmn, 2007.
28 Sur Daumier à l'auberge de Ganne, voir Sensier, Alfred,
Souvenirs de Théodore Rousseau, Paris, Techner, 1872.
29 Chennevière, Souvenirs d'un Directeur des Beaux-arts,
t. III, p. 80.
30 Voir entre autres Rosen, Charles, et Zerner, Henri, op.
cit.
31 Caille, Marie-Thérèse, op. cit., p.
6.
32 Bricault Céline, « Préface. Savoirs et
croyances au XIXe siècle : entre magie et magies »,
Bernard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline (dir.), Magie et
magies dans la littérature et les arts du 19e siècle
français, Centre de recherches révolutionnaires et
romantiques de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, Presses universitaires
Blaise Pascal, 2012, p. 1415.
33 Voir par exemple Baron, Anne Marie, « Mage, magie,
magique, magicien(ne), chez les poètes romantiques »,
Bernard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline (dir.), op. cit.,
p. 51-69.
9
Pourtant une douzaine d'oeuvres seulement sur environ quatre
mille tableaux figurant au catalogue raisonné ont trait à un
sujet surnaturel. La magie de Diaz transpire en réalité d'un
univers tour à tour mythologique ou anecdotique. Le paradoxe qu'on
aurait pu voir, si l'on s'attendait à voir le « magicien »
dont parle la presse artistique déployer un univers fantastique et
chimérique à la suite de Füssli ou à l'instar de von
Holst, est donc facilement dépassé. Mais pourquoi Diaz se voit-il
justement mieux attribuer ce titre qu'un peintre fantastique ? C'est une
question qui, une fois soulevée, appelle une réflexion sur
l'utilisation du lexique magique à propos des artistes, et incidemment,
sur la polysémie du mot « magie » après le triomphe de
la Raison sur la superstition au siècle des Lumières. Mieux
encore, soulever ce paradoxe permet de voir comment les quelques oeuvres
fantastiques, marginales dans l'oeuvre, entrent effectivement en
résonnance avec la « magie » relayée par la critique
dans un propos général sur l'oeuvre.
La plus grande part de la documentation sur Diaz est
éparpillée dans des coupures de presse et des catalogues de
vente, dont celle de la dispersion de ses biens en 1877, accompagné
d'une notice signée de plusieurs mains. Présent dans les
dictionnaires, le Grand Larousse, chez Bénézit, il fait
encore l'objet d'un numéro datant de 1913 d'une série de
vulgarisation de grands peintres34. Le petit opus illustré
des oeuvres du Louvre fait de Diaz un maître passé de la
scène de genre sous le Second Empire, et trahit une déformation
totale de la compréhension de l'oeuvre en sapant toute intention
novatrice chez Diaz35. Après la Grande Guerre, l'oeuvre du
peintre toujours classée parmi les pompiers ne fut plus perçue
comme une « grande » peinture, mais un essoufflement du
répertoire de formes issues de l'Ancien régime. Diaz figure en
1891, dans l'« école de Barbizon36 » dont David
Croal Thomson crée rétrospectivement l'idée. Il ne parut
plus que pour sa participation à Barbizon, en y figurant cependant parmi
les peintres « jugés avec quelque dédain, voire
délaissés37 », avec Constant Troyon et Decamps,
tandis que Corot, Millet Rousseau sont très étudiés parce
qu'ils confirment une façon de lire l'histoire de Barbizon comme une
préfiguration de l'Impressionnisme. L'histoire par les avant-gardes ne
permet pas de comprendre la moitié de l'oeuvre de Diaz consacrée
aux scènes de genre autrement que comme une « erreur », sans
chercher à comprendre l'engouement dont il jouissait. Assez peu de
publications revinrent sur la peinture à Barbizon,
34 Rougon, Henri, Diaz de la Peña, huit reproductions
facsimilé, Paris, Lafitte, 1913.
35 L'ouvrage se concentre sur la renommée de l'artiste
en s'appuyant sur huit reproduction facsimilé couleur de tableaux des
collections Thomy-Thierry et Chauchard du Louvre, entrées respectivement
en 1902 et 1906, comportant sept scènes de genres (La fée aux
perles, Les bohémiens, Les baigneuses,
Vénus désarmant l'Amour, Nymphe endormie et
La Charité) et un paysage (Sous-bois).
36 Croal Thomson, David, The Barbizon school of painters :
Corot, Rousseau, Diaz, Millet, Daubigny, etc., London, ed. Chapman and Hall,
1891. Pomarède, p. 16.
37 Pomarède, Vincent, « L'étude de Barbizon
: une nécessaire remise en question de l'histoire de l'art », cat.
exp. Lyon, op. cit., p. 14.
10
cantonnée à un paysagisme introduisant en France
les leçons de l'Angleterre, et encore trop timide pour être
véritablement moderne. L'historiographie de Barbizon a
évolué sensiblement, sans que la place accordée à
Diaz ne se précise réellement, quoique ses décors à
l'auberge Ganne soient reproduits dans une étude du lieu de
Marie-Thérèse Caille38. Depuis 200239, puis
en 200740, l'école de Barbizon est moins regardée
comme une « école », que comme une confluence devenue
internationale de sensibilités individuelles, ce qui permet d'approcher
la différence de Diaz.
En 2006, Pierre Miquel, au terme d'un travail de longue
haleine, commence dans la monographie consacrée à l'artiste par
lui redonner une place de premier rang à Barbizon, en le situant comme
« l'un des chefs de groupe », et même un «
pilier41 ». Cela n'empêche pas que par commodité,
le volume monographique qui accompagne le travail titanesque du catalogue
raisonné, cautionne l'idée admise que Diaz est «
pré-impressionniste ». Ce n'était pas le but de cet ouvrage
de nuancer cette opinion pouvant se concevoir comme valorisante, car il
s'emploie déjà à restituer les données
biographiques, le parcours artistique du peintre dans l'ordre chronologique,
pour donner une vision d'ensemble de ce que l'on sait de lui. Depuis, Diaz a
fait l'objet d'un article de la revue du Louvre à l'occasion de la
redécouverte de sa collection. Une publication en ligne de Denis
Montebello42 creuse certaines potentialités psychanalytiques
du patronyme de Diaz en le faisant entrer avec son oeuvre, dans une approche
assez lacanienne. Simon Kelly a apporté une contribution importante dans
la réhabilitation du rôle de Diaz dans le développement du
marché de l'art, en mettant en lumière son rôle
pionnier43. Enfin, en été 2012 une parution est venue
analyser un dossier de l'Illustration de 1853
consacré aux ateliers de Diaz et Delaroche44.
L'approche quasiment unanime des commentateurs depuis les
envois au Salon jusqu'à aujourd'hui45 est de présenter
Diaz avant tout un homme qui porte une enfance douloureuse. L'aspect paradoxal
de ces commentaires est de parler d'un peintre en tant qu'orphelin,
unijambiste, et fameux amateur de balades avant d'en parler en tant qu'auteur.
Cette unanimité interpelle justement en tant qu'elle parait
incontournable et particulière à l'approche de Diaz. C'est peut
être aussi une telle condition à la compréhension de
l'oeuvre qui en réduit la portée : les tableaux de Diaz ne sont
alors que la
38 Caille, Marie-Thérèse, op.
cit.
39 Cat. exp. Lyon, op. cit.
40 Chantal Georgel (dir.), op. cit.
41 Miquel Pierre et Rolande, Diaz de la
Peña, Vol I : Monographie, Paris, ACR éd., 2006, p.
8.
42 Montebello, Denis, « La forêt intérieure
», Ardemment, en ligne : [
http://ardemment.com/thematiques/foret-diaz-pena.php],
consulté le 14 mai 2013.
43 Kelly, Simon, op. cit.
44 Esner, Rachel, « Visiting Delaroche and Diaz with
l'Illustration », Nineteenth-century Art
Worldwide, II-2 (summer 2012), revue en ligne. [
http://www.19thc-artworldwide.org/index.php/summer12/rachel-esner-visiting-delaroche-and-diaz-with-lillustration]
consulté le 14 mai 2013.
45 Le volume monographique de Pierre Miquel fait une bonne
synthèse de cette approche.
11
sublimation de sa vie, ne s'interprètent qu'à
l'aune de sa biographie. Pourtant le concept de sublimation chez Freud
s'applique à toutes les formes d'art46 et il faut
considérer que tout artiste sublime des pulsions alimentées par
son parcours personnel. Force est donc de constater que l'interprétation
plus large que l'on réserve aux autres peintres, ne s'est injustement et
curieusement pas appliquée à Diaz.
Là où le bât blesse, effectivement, tient
au peu d'informations dont on dispose sur cet artiste et à
l'hermétisme d'un artiste « impossible à
analyser47 » selon une notice pour le Salon. Sa participation
à Barbizon incite à privilégier l'oeuvre de paysagiste, et
négliger le reste de sa production, scènes de genres, sujets
mythologiques et peintures d'Histoire, sujets religieux, portraits,
autoportraits, portraits de famille, qui ne peuvent pourtant pas toutes se
comprendre comme des productions pour la vente. Les premiers mots que mettront
la critique sur sa peinture resteront fixés le long de sa
carrière, et répétés parfois à l'identique
pour qualifier sa peinture. Jamais aucun de ses sujets ne sera commenté
ou analysé plus longuement, car de nombreuses lacunes et un manque
d'idées sont reprochés à l'artiste48. Il est
vrai que l'oeuvre répétitive a une dimension fortement
hermétique. C'est comme « magicien de la couleur », que Diaz
tire une notoriété fabuleuse, en dépit de tous ses travers
; la féérie de ses scènes de genre ne lassera jamais
certains inconditionnels. En bâtissant la démonstration sur une
poignée d'oeuvres de Diaz, il sera possible de vérifier à
quel point « un Diaz » donnerait un aperçu de l'oeuvre en
entier.
Il s'agit de prendre un parti pris inverse de
l'historiographie du peintre, et de s'intéresser à un corpus
d'oeuvres restreint de quelques tableaux traitant de près ou de loin de
magie, au sens de choses surnaturelles, chez Diaz : trois fées, une
magicienne et une incantatrice, ainsi qu'une série sur le thème
de la malédiction. Réunies grâce au catalogue
raisonné, aux fonds du cabinet des Estampes et de la documentation du
Louvre, les oeuvres démontrent en premier lieu la rareté des
sujets fantastiques chez l'artiste qui a produit plus de quatre mille tableaux.
Entre allégories et scènes de genre, ces tableaux illustreront le
succès du peintre et la cohérence interne de l'oeuvre jusque dans
l'exception. Deux motifs évoquant par le topos un folklore
féérique, démontreront des points de continuité
entre paysage et scène de genre chez l'artiste. Sur ce corpus primaire,
quelques grands axes de la totalité de l'oeuvre seront
dégagés en amenant à l'analyse d'autres scènes de
genre typiques de la production du peintre, celles qui firent son
succès, mais aussi des oeuvres plus personnelles. Cette approche permet
de commenter l'oeuvre, ainsi que le personnage artistique et ses données
biographiques. Il s'agit d'analyser ce que disent les oeuvres fantastiques de
la « magie »
46 Freud, Sigmund, Introduction à la psychanalyse
(1916), Paris, Payot, 1976, p. 354-355.
47 A. H., Delaunay, Catalogue complet du Salon de 1846,
Paris, bureau du « Journal des artistes », 1846, p. 37.
48 Paul Mantz résume ces reproches dans son article de
1877, op. cit.
12
du reste de l'oeuvre, et du personnage de « magicien
». L'étude tente également d'éclaircir pourquoi
l'oeuvre de Diaz est si facilement lue comme une sorte d'oeuvre-exorcisme, si
on nous passe cette expression dans le lexique du sujet. Le choix du titre,
« La magie de Diaz », permet de jouer de la polysémie du terme
« magie » et interroger à la fois l'étiquette
apposée à son nom, le succès mirifique qu'il connut
faisant de sa vie un conte de fées, et la raison d'être du lexique
magique attribué à un artiste.
L'étude s'ouvre et se ferme sur deux motifs paysagers,
pour ancrer la démonstration au sein de l'oeuvre du paysagiste, et
démontrer de cette façon qu'au coeur de chaque paysage de Diaz
peut se trouver la poésie du « magicien ». La Mare aux
Fées (quatre sujets peints entre 1845 et 1868) ouvre de cette
façon une partie consacrée à la féérie chez
Diaz, où le conte prend une valeur autobiographique. Trois oeuvres
majeures y sont étudiées et entrent en résonnance avec le
reste de l'oeuvre et la vie de l'artiste : trois Fées
très isolées dans l'iconographie du peintre et malgré
tout emblématiques dans l'oeuvre. Ce sera, dans cette partie, l'occasion
d'entrer d'emblée dans l'univers personnel de l'artiste, et se
familiariser avec bon nombre de ses leitmotivs. Les deux parties suivantes se
partagent l'essentiel des sujets fantastiques de l'artiste : La Magicienne
(1846) du musée d'Orsay49 et la Scène
d'Incantation (1851), sur lesquelles se concentrent toute la seconde
partie, et la série des Maléfices étudiés
dans la partie finale, peints entre 1844 et 1875. Bien que les
Maléfices mettent souvent en scène de vieilles
sorcières, personnage sensiblement proche de La Magicienne, les
deux sujets sont totalement différents. Le tableau d'Orsay se
prête à approfondir l'analyse de cette figure de magicien
accolée à Diaz de façon répétée et
unanime, en consacrant un temps particulier à la manière de
l'artiste et sa démarche contextualisée. La série
étudiée dans le troisième temps permet d'avancer une
lecture de l'oeuvre entier, par l'analyse de l'expression humaine chez Diaz,
d'une façon avantageusement débarrassée de la dimension
biographique. Au terme de la démonstration, le second et dernier paysage
évoquant une idée surnaturelle dans toute l'oeuvre, Le Mont
maudit, clôt l'étude en retournant au paysage,
véritable bataille de l'artiste, et en illustrant aussi une topographie
montagneuse, rare et différente des paysages sylvestres.
49 RF 1829.
13
Partie I. Les Fées : du conte à
l'autobiographie d'artiste
La plupart des commentateurs dans la presse de l'époque
placent l'oeuvre de Diaz dans le domaine du merveilleux ; ils parlent de «
féérie », de visions hallucinatoires, lorsqu'ils
n'évoquent pas seulement le soleil, la chair, l'amour qui transpire de
son univers. En 1860 Zacharie Astruc écrit ainsi que « sa belle
vision plane toujours dans les régions
féériques50 », laissant entendre qu'il en a
été ainsi depuis que Diaz a fixé cette manière.
Théophile Gautier, partisan de l'onirisme dans l'art
pour l'art, l'avertissait cependant en 1855 contre l'obstination dans ses
chimères, prenant un tour trop hermétique,
répétitif : « M. Diaz vit dans un petit monde
enchanté (...) seulement, que M. Diaz se méfie des cercles
tracés par la danse des esprits51 ». Il consacre
également des lignes assassines52 aux Dernières
larmes, un sujet neuf et très différent de sa manière
habituelle, mais encore plus incompréhensible, tandis qu'il s'enflamme
pour les fairies de Noel Paton (ill. 1), qu'il nomme le «
Michel-Ange de la féérie53 ». Gautier est sans
doute plus facilement séduit par la narrativité onirique des
fairies victoriennes, issues de la tradition de Blake, Reynolds et
Füssli54, alors que Diaz doit à Prud'hon « le
mystérieux plaisir (...) dans la contemplation de ces scènes dont
les sujets sont sans explication » et que Delacroix avait
admiré55.
Résolument hermétiques, les fées de Diaz,
peintes entre 1858 et 1866 ont beaucoup moins à voir avec le petit
peuple et les fairies, qu'avec les marraines issues des contes de
Charles Perrault. La Fée dans son activité de marraine,
correspond à son étymologie dérivée de « fatum
», elle a une ascendance directe avec les Parques, déesses de la
Destinée56. Les êtres de contes populaires rejoignent
ceux des mythes relayés dans la culture antique. Excepté Le
lutin, Effet de clair de lune57
(c. 1861), et Ondine58 (c. 1863) figurant
à des catalogues de vente (annexe 1 et 2.b), l'oeuvre de Diaz
50 Astruc, Zacharie, « Diaz », Le salon intime :
exposition au boulevard des Italiens, Paris, Poulet-Massis et de Broise,
1860, p. 72.
51 Gautier, Théophile, Les beaux-arts en Europe,
1855, Paris, Michel Lévy, 1855, p. 33.
52 Idem., p. 31.
53 Voir Girard , Marie-Hélène, « Magie et
Peinture : le « Michel Ange de la féérie »,
Théophile Gautier et Sir Noel Paton », Bernard-Griffiths, Simone et
Bricault, Céline (dir.), op. cit., p. 285-303.
54 Pour une comparaison avec le genre dérivé de
Blake, Reynolds et Füssli, voir Wood, Christopher, Fairies in
victorian art, Woodbridge, Antique collector's club, 2000. Chez Dadd par
exemple qui propose une figure proche des nymphes, que l'on pourrait comparer
à la féérie de Diaz, l'artiste insiste sur la petitesse de
la fée.
55 Delacroix, dans la Revue des Deux Mondes, 1846,
cité par Lévis-Godechot, Nicole, La jeunesse de Pierre-Paul
Prud'hon, recherche d'iconographie et de symbolique, Paris,
Léonce Laget, 1997, p. 3.
56 La Fata est l'autre nom de la Parque, les trois
Parques étant aussi dénommées Tria Fatae. Pour
une documentation assez exhaustive sur différentes occurrences de la
figure de la fée dans le folklore et la littérature, voir Rager,
Catherine, « Fées », Dictionnaire des fées et du
peuple invisible dans l'occident païen, Turhout, Brepols, 2003, p.
309-320.
57 N° 14 de la vente du 4 avril 1861, Tableaux
études par M. Diaz, exp. Francis Petit. Il ne figure pas dans le
catalogue raisonné.
58 N° 14 de la vente du 11 avril 1863, exp. Francis Petit,
vendu 420 F.
14
est presque pour moitié occupée par la
mythologie latine, comme les Nymphes, dont sont dérivées les
Fées séductrices dans le folklore59. Diaz ne nomme
« Fée > que de rares personnages dans son oeuvre, dont trois
sont manifestement des fées protectrices dont l'activité est de
donner. Ces trois sujets, comme trois bonnes fées : la Fée
aux joujoux (1858), la Fée aux bijoux (1857 et 1860) et la
Fée aux fleurs (deux versions en 1866), ancrent la
sensibilité de l'artiste dans l'imaginaire féérique
hérité du XVIIIe siècle, lui-même puisant
dans de profondes racines. Avec ces trois fées nous pourrons aborder
dans le vif la façon dont l'artiste sait retirer du succès comme
s'il avait un « don ». C'est en fait une mise en scène de ses
propres « dons > que nous découvrons avec ces sujets. Mais avant
d'entrer précisément dans la description de la vie de Diaz
à travers ces marraines fées de l'oeuvre, un sujet du même
titre à la fois traité comme paysage dans une toile et comme
scène de genre dans une autre nous permettra de resituer la place des
scènes de genre dans l'oeuvre de l'artiste à la vocation de
paysagiste. La mare aux Fées, peuplée cette fois-ci de
ces fées qui dérivent des nymphes, dévoile
qu'au-delà des perceptions, vivent des êtres d'esprit ; ainsi
l'étude bascule du monde visible à l'occulté, du
réalisme pictural à l'imaginaire teinté de fantastique.
Chapitre 1. La mare aux Fées, reflets de
l'insaisissable
Un chemin bordé de quelques hautes herbes forment un
premier plan dominé par des tons ocre qui agit légèrement
comme repoussoir. Le spectateur tenu à distance du centre du tableau est
incité à prendre le chemin de la mare aux fées. Au second
plan, des arbres robustes et sombres se dressent de part et d'autre de la mare.
La lumière qui ne pénétrait pas sous les arbres,
éclaire l'étendue d'eau, et la végétation de la
rive opposée. La composition rend une perception féérique
de l'intérieur du bois, intimiste et propice à la rêverie.
Petite huile sur bois, datée d'entre 1845 et 1850, conservée au
musée des Beaux-Arts de Dijon, La Mare aux Fées (repr.
I) nous permet d'illustrer ici la production de paysages sylvestres qui
composent la plus grande part de l'oeuvre du peintre, partagée si on
suit l'analyse de Pierre Miquel, entre paysages du Bas Bréaut,
d'Apremont et abords de mares60. Il n'appartient pas à cette
étude de parler des paysages de Diaz, cependant La Mare aux
Fées permet d'aborder la « magie » dont parlent ses
commentateurs, dans son oeuvre de paysagiste, et d'esquisser une
continuité entre le paysage et la scène de genre chez l'artiste.
La Mare aux Fées est traitée quatre fois par le peintre,
dans trois paysages sans figures61 (repr. I, II) et une scène
où trois fées, rendues visibles, apparaissent sous la forme de
baigneuses drapées à l'antique, accompagnées
59 C'est une distinction proposée par Catherine Rager,
op. cit., qui établit deux origines distinctes dans la
mythologie Romaine correspondant à deux fonctions distinctes des
Fées desquelles elles dériveraient.
60 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., vol. II :
Catalogue raisonné de l'oeuvre peint.
61 La Mare aux Fées, s. d., 27 x 40,5 cm., Huile
sur toile, Cat. 622, n'a pu être reproduite.
15
d'un chien (repr. III). Diaz affectionne
particulièrement cette mare, qu'il peint à plusieurs reprises, et
dont le nom évoque un monde invisible, un terreau de culture
populaire.
Ce sujet double permet d'appuyer dès à
présent l'argument proposé, selon lequel l'oeuvre s'articule
entre paysage et scènes figuratives d'une façon plus subtile
qu'une division entre production par vocation (paysages) et production
mercantile (tous les autres genres auxquels s'est essayé l'artiste).
L'imaginaire peuple littéralement le réel, et le peintre le met
en lumière, montrant ainsi que la nature englobe une action invisible,
comme au travers des légendes.
Section 1. Les légendes bohêmes
Diaz, un des premiers à aller à Barbizon, est au
moment où il peint cette toile un habitué des lieux, tant de
l'auberge que de la forêt. Le peintre livre son rapport intime à
la « magie d'un lieu62 », pour reprendre les mots de
Vincent Pomarède, et rapporte incidemment son propre parcours. C'est
l'apogée de sa carrière, après sa révélation
au Salon de 1844, au moment où le public et les critiques lui sourient.
La féérie de ses scènes de genre louées par le
milieu de l'art parisien semble déborder sur le paysage, comme si Diaz
tentait de faire valoir le même charme merveilleux dans ce genre encore
considéré comme mineur.
Sa vocation personnelle va en effet à l'art du paysage,
comme il tient à le faire savoir lors de la remise de sa Légion
d'Honneur de peintre de genre, en portant un toast à Rousseau et au
paysage63. La singularité de Diaz parmi les peintres de
Barbizon, peut tenir à l'évocation féérique,
quoiqu'il doive à Rousseau, qui lui-même a été
salué pour l'atmosphère magique de ses forêts64
(ill. 2), les secrets de sa palette65. Présentant à la
vente du 11 avril 1863 Allée conduisant à la
Reine-Blanche, Diaz laisse encore une ambiguïté dans le titre,
glissant de l'étude topographique au merveilleux. C'est un thème
que Diaz affectionne (repr. 1)66 ; la présence du tableau de
Rousseau, Les rochers de la Reine-Blanche (1861), dans sa collection
personnelle67 en atteste. Cette Reine-Blanche peut n'être au
demeurant que le nom d'un lieu68 qu'aucune tradition n'explique, la
forêt de Fontainebleau étant
62 Pomarède, Vincent, « Portraits d'arbres »,
cat. exp. Lyon, op. cit., p. 9.
63 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., vol. I, p.
62.
64 Thoré, Théophile, « Salon de 1846
», op. cit., p. 98. Thoré était voisin de palier de
Théodore Rousseau, voir Miquel, Pierre et Rolande, Théodore
Rousseau, Paris, Somogy, 2010, p. 54. Le même ouvrage mentionne
également le « mystère » de la peinture de Rousseau
salué par Jean de La Rochenoire, p. 91.
65 Silvestre, Théophile, Histoire des artistes
vivants, Paris, Blanchard, 1856, p. 229.
66 Dans plusieurs ventes il des séries de vues des
alentours de la « Reine-Blanche » : le 4 avril 1863 (annexe 2.c. et
2.d.), il vend quatre études : Étude de hêtre à
la Reine-Blanche (n°28), Étude de terrain à la
Reine-Blanche (n°35), et deux Études de grès
à la Reine-Blanche (n°38 et 43) ; puis le 11 avril 1863, il
présente un Grès à la Reine-Blanche (n°25),
La Sablière à la Reine-Blanche (n°26), Une
allée à la Reine-Blanche (n°29), une Étude
de hêtre à la Reine-Blanche (n°34).
67 Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du
décès de N. Diaz de la Peña, Hôtel Drouot
commissaire-priseur Charles Pillet, experts Francis Petit et Ch. Mannheim,
22-27 janvier 1877, Paris, chez Labitte, 1877, p. 52.
68 Le « chêne de la Reine-Blanche » est
mentionné parmi les points de repère de la forêt dans
Denecourt F., Guide du voyageur dans le Palais et la Forêt de
Fontainebleau, Fontainebleau, chez l'auteur, F. Lhuillier, Paris, ed. des
guides Richard, 1840, p. 102.
16
l'une des moins pourvues de légendes69. Le
nom du lieu évoque à la bohême de 1830 un charme
mystérieux. Le fruit défendu, ouvrage écrit en
1858 par la comtesse Dash et signé également par Édouard
Ourliac, Roger de Beauvoir, Alphonse Esquiros et Théophile Gautier, dont
l'action se déroule dans la forêt de Fontainebleau, entre en
résonnance avec les lieux dits de la mare aux Fées et la
Reine-Blanche. Dans ce conte, une certaine Blanche de Montmédy
découvre avec stupeur une assemblée de fées s'occupant
d'un nourrisson. C'est peut-être ce conte qui est
représenté dans Le Rêve (1847), scène
hermétique, où une jeune femme en costume du XVIe
siècle veille sur un nourrisson et l'entoure d'un lange transparent
(repr. 2).
Dans La Mare aux Fées, sans figures, la
féérie est en effet déjà présente : à
travers le nom et les chatoiements de la couleur, ainsi que le folklore de la
localité, remplis d'histoires légendaires et
anecdotiques de la forêt de Fontainebleau que le peintre
préfère à l'Histoire officielle. Le paysage n'a en effet
aucun prétexte historique à sa représentation, mais
seulement folklorique et subjectif. En cela il applique les leçons de
Bonington70. Mais chez Diaz la « magie » du paysage
évoque au public une forêt de conte de fées, empli de la
mémoire des « sacrifices des druides71 »,
prolongeant ses aspirations à l'illustration des contes de Charles
Perrault72. Des croquis conservés au Musée des
Beaux-Arts du Canada attestent de son intérêt pour le dessin
d'illustration, en particulier pour l'univers des contes (repr. 3). La mare aux
fées, appelée aussi Grande Mare, ou Mare du
Rocher-des-Fées comme dans le guide de Denecourt, résidant
à Barbizon à côté de l'auberge de
Ganne73, tient son nom des couleurs féériques que fait
la lumière sur l'eau. Une « roche aux Fées, dont le
grès est encore stigmatisé par les ongles de sorcières qui
ne dansent plus sous le chêne vert », est aussi mentionnée
dans Le Fruit défendu. Ce rocher marqué de traits que
les archéologues interrogent comme une écriture
mésolithique74, est suffisamment insolite pour devenir un
griffoir pour les dragons75. Décrite par Henri
Murger76, elle attire la bohême romantique vers ses jeux de
lumière. Le phrasé du nom évoque le mystère d'un
lieu, ressort fantastique que Sand utilise avec La mare au Diable
(1846). Il est possible d'attester que Diaz était un lecteur de
Sand, car le lieu qu'il décrit en peinture, La Mare au Diable,
est autrement absent des plans de la forêt ; puis, reprenant le
69 Plusieurs chercheurs ont assemblé le peu de
légendes Bellifontaines ; voir Paul Domet, Henri Froment, Louis
Ferrand.
70 Diaz détient un album de lithographies de Bonington,
qui figure au n°422 du Catalogue de la vente qui aura lieu par suite
du décès, op. cit., p. 76 ; ainsi qu'un album de
gravures de Constable, n° 417, idem., p. 74.
71 Silvestre, Théophile, « Diaz », Histoire
des artistes français, op. cit., p. 151.
72 Voir Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 44.
73 Denecourt, F., Guide du voyageur dans le Palais et la
Forêt de Fontainebleau, Fontainebleau, chez l'auteur, F. Lhuillier,
Paris, ed. des guides Richard, 1840, p. 62.
74 Plusieurs inscriptions, aspects des minéraux de la
forêt laissent les archéologues songeurs, ne sachant pas quelle
part attribuer à l'érosion naturelle et si l'on peut
déduire une activité humaine cultuelle ou artistique d'importance
qui ferait de Fontainebleau le « Stonehenge » d'Île de
France.
75 Les dragons « avaient coutume de venir à cet
endroit pour affuter leurs griffes sur cette roche », Fanica,
Pierre-Olivier, Bestiaire Bellifontain, Etrépilly, Presses du
Village, 2002, p. 60-64.
76 Murger, Henri, « La mare aux fées »,
Asselineau, Charles, Luchet, Auguste, et al., Fontainebleau, paysages,
légendes, souvenirs, fantaisies, Paris, Hachette, 1855, p.
97-102.
17
phrasé seulement, il peint La mare aux
Vipères, La mare aux grenouilles. Diaz ne s'attèle
pas à la narration des légendes attachées au lieu. Pour le
peintre, la mare aux fées réputée pour les jeux de
lumière et les couleurs resplendissantes qui en font la
féérie, peut bien être un défi en plus de le
fasciner. En tant que coloriste, il trouve un exercice parfaitement
adapté à son propre talent.
Section 2. Une vie invisible dans le paysage
La version « réaliste » oppose au nom
merveilleux un lieu dénué de figures fantastiques, et fait
naître l'idée d'une vie invisible. Beaucoup de paysages de Diaz
sont aussi de parfaits décors de contes de fées, où seules
semblent manquer les intrigues. Cependant, ce n'est pas le fait de Diaz mais
bien le folklore même qui attribue à la lumière
l'évocation des « fées », une lumière
insaisissable dont Diaz sait rendre les effets visibles. L'artiste traque la
vie intime de la forêt, pour suggérer l'invisible, la part de vie
cachée, occultée par une branche d'arbre ou par un éclat
de lumière. Il choisit donc ce lieu en tant que point de repère
de la forêt, qui participe de cette vie intime, et non pas un lieu
où s'est déroulé une bataille. En s'attachant à des
lieux de prédilection, le peintre crée un folklore personnel, et
dit également à travers la nature son propre sentiment
insaisissable. C'est son parcours qu'il retrace comme dans un vaste
témoignage, ce qui peut abonder dans la dimension autobiographique de
son oeuvre.
Au second plan, les branches se rejoignent au-dessus de la
mare et créent une voûte, comme une architecture naturelle ou un
décor de théâtre. Le motif des arbres se rejoignant et
refermant le bois sur lui-même, créant un espace naturel clos, se
retrouve dans différents tableaux de sous-bois de Diaz. Comme si la
nature était organisée d'une façon qui lui suffit à
se mettre en valeur, le papillotement de la couleur rend « vivant »
l'ordre même de la nature. Plus qu'un animisme, il s'agit de la
présence de Dieu, créateur d'une oeuvre dont l'organisation est
harmonieuse. Le papillotement que le peintre obtient par la touche apparente et
les contrastes de simultanées, donne l'impression d'une nature dont
toutes les parties communiquent : les tons se répondent et font circuler
l'oeil de chaque recoin des branches des arbres à chaque brin d'herbe.
La présence d'une vie invisible se fait sentir, de façon d'autant
plus appuyée dans ce tableau que le titre se prête à la
rêverie.
L'idée de représenter le divin par la nature est
développée à la Renaissance, à qui Diaz a pu
emprunter certaines affinités, issues en partie de la mémoire du
lieu77. Léonard de Vinci, appelé par François
Ier à la cour de Fontainebleau, utilise le paysage non pas
seulement comme décorum imaginaire, mais détaille avec un certain
réalisme la façon dont s'est formée la nature, image de la
Création, dans La Vierge aux rochers (v. 1483). La
démarche du peintre renaissant est d'avoir observé la nature puis
de l'avoir restituée dans le but de montrer la Création. Dans une
démarche un peu
77 Le guide de Denecourt, résidant à Barbizon,
contribue à faire connaître la mémoire des lieux.
Denecourt, F., op. cit.
18
différente, Corrège peint un Jupiter
atmosphérique, nuage ou brume épaisse, confondu dans les
éléments naturels, dans Jupiter et Io (1531) (ill. 3),
qui marquera peut être Füssli lorsqu'il représente Le
Pêché poursuivi par la Mort (1794-1796) (ill. 4). Diaz
partage avec ceux-ci l'incursion du merveilleux dans le paysage, ou
plutôt un regard porté sur la nature qui en scrute les forces
organisatrices. Plutôt que de mettre en scène des
éléments naturels comme la brume de façon fantastique, le
peintre préfère ici accentuer les effets de la lumière et
le scintillement des couleurs qu'elle produit. La lumière,
phénomène privilégié pour Diaz en tant que peintre,
peut se comprendre comme un élément divin pour notre artiste en
tant que catholique. Avec ce tableau, les fées, dérivées
des Nymphes antiques, sont partie intégrante du vaste Vivant.
Section 3. Le jeu des apparences :
Dans la lignée de Bonnigton, et Constable, dont le
peintre collectionne les gravures, Diaz se saisit d'un lieu parce qu'il lui
plait subjectivement, et il prend les leçons des maîtres anglais
dans un certain sens. La perception du peintre est rendue évidente en
même temps que le lieu est décrit avec réalisme et
honnêteté. Cette peinture de la perception devant le paysage se
suffit à elle-même, elle s'attache déjà à
décrire la relation étroite de l'apparence du lieu avec le regard
subjectif du peintre. Elle rejoint des préoccupations philosophiques
liées aux apparences. Comme ses prédécesseurs, il y a une
volonté de participer au renouvellement de la peinture de paysage, et
d'approcher la Nature dans ce qu'elle contient elle-même de divin et
d'historique : Diaz cherche dans la mare le féérique
évoqué par le topos.
La Mare aux Fées est le produit d'un regard
porté sur les choses, qui harmonise et unifie la composition dans l'oeil
du peintre. Diaz tend à harmoniser les différentes teintes en les
juxtaposant « de proche en proche78 », c'est-à-dire
que son spectre de couleur est déployé, à la façon
d'un « kaléidoscope » comme le remarquait
Baudelaire79. Le caractère « hallucinatoire » dont
celui-ci parlait volontiers au sujet de ses scènes de genre, s'applique
plus largement à une façon d'utiliser la vision, et la
lumière, que l'on retrouve assez bien dans La Mare aux Fées
sous ses deux formes : la couleur elle-même suffisant à
donner un caractère hypnotique au paysage, et l'apparition proprement
hallucinatoire des fées en baigneuses antiques. Diaz doit
peut-être à Turner, influencé par Cozens, comme
Constable80, l'utilisation des propriétés hypnotiques
de la couleur dans le paysage, la façon de mêler vision imaginaire
et naturelle. Le dessin a disparu sous la touche qui
78 Silvestre, Théophile, « Diaz », op.
cit., p. 151.
79 Baudelaire, Charles, « Salon de 1845 », dans
Écrits sur l'art, Paris, Le livre de poche, 1999, p. 90.
Théophile Gautier reprendra cette expression heureuse en parlant de
« petits fouillis plus ou moins compréhensibles mais scintillants
comme les fanfreluches du kaléidoscope », Gautier, Salon de
1847, Hetzel, 1847, p. 97-98. Beaucoup d'expressions trouvées par
des critiques entre 1844 et 1846 pour qualifier l'art de Diaz, sont reprises
systématiquement à l'identique pour vulgariser le travail de
l'artiste, comme si la peinture hermétique de Diaz ne s'expliquait pas
mieux que par images équivalentes : kaléidoscope, monceaux de
pierres précieuses, etc.
80 Rosen, Charles et Zerner, Henri, Romantisme et
réalisme, Paris, Albin Michel, 1986, p. 39.
19
recrée l'effet optique broussailleux de la
végétation. Celle-ci se déploie en continu, quasiment
indistinctement entre l'herbe, les buissons et le feuillage des arbres, comme
une masse de couleur dont le spectre englobe toute la composition. Diaz, qui
avait beaucoup étudié Corrège81, lui doit sans
doute le tonalisme82 de sa propre peinture, qu'il a pu observer dans
le paysage vénitien et dans celui du XVIIIe siècle de
Fragonard, par exemple. C'est dans l'unicité d'un oeil que la
composition s'est fixée. On pourrait voir cet oeil dans la composition
où la forme indistincte d'un arbuste fait une tache sombre au centre du
tableau et de l'espace ensoleillé qui transparait derrière les
arbres, comme une pupille. Cette vision du spectateur achève de
démontrer que l'imagination, conditionnée par une volonté
de voir, donne un sens aux signes.
Comme souvent dans les paysages de Diaz, la perspective n'est
pas évidente dans la version sans figures. On ne peut pas voir plus loin
qu'un rideau de nature, que l'on devine épais. La perception est
arrêtée par la nature, une matrice qui est aussi en nous : nous ne
pouvons voir au-delà de ce que la perception naturelle, organique, nous
permet, ni au-delà de ce que la psychologie humaine le permet. Un monde
est occulté par ses limites perceptives. Le spectateur est ramené
à l'espace plan du tableau par la touche très apparente, qui lui
rappelle que ce n'est qu'une image, un morceau de peinture rapporté
après observation. Dans la deuxième version (repr. III), le ciel
est apparent, la nature est un espace ouvert sur une perspective, mais ce sont
les fées qui se découpent de façon assez plate sur les
arbres, révélant la part d'intemporel, d' «
immémorial », ancré dans l'Inconscient ou le monde des
Idées. Nous sommes d'ailleurs peut-être de l'autre
côté de la mare, du côté du rideau verdoyant et
ensoleillé que l'on aperçoit dans le premier tableau. Le paysage
est difficilement reconnaissable d'un tableau à l'autre, c'est
peut-être donc un paysage reconstitué d'après souvenir, une
fantaisie du peintre qui désire donner corps aux fées
évoquées par le nom du lieu. Les personnages sont répartis
autour de la mare en suivant les lignes des arbres, comme si leurs silhouettes
en émanaient. Elles sont dans les feuillages, comme la lumière.
Autour des bustes qui se découpent sur des arbres, Diaz a assombri la
palette, à la façon dont Botticelli suggère dans le
Printemps (1478-1482) des émanations Idéales (ill. 5),
qui proviennent d'un au-delà des perceptions, au creux de la nature, et
de l'esprit qui perçoit la nature. Il utilise à plusieurs
reprises ce procédé, qui
81 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 24. La
critique souligne du vivant de l'artiste très souvent les similitudes
entre les sujets de Diaz et ceux du Corrège et Prud'hon, à tel
point que pour la postérité l'oeuvre allégorique est
souvent réduite à une imitation de ces maîtres. Diaz
collectionne effectivement des tableaux d'après Corrège, que l'on
trouve au Catalogue de la vente qui aura lieu situe au
décès, op. cit..
82 Dans la peinture vénitienne du XVIIe siècle :
« Subordination des teintes locales à une tonalité dominante
qui renforce l'union des couleurs entre elles par clair-obscur et multiplie les
tons-reflets », Duby Georges et Laclotte Michel (dir.), Cornette
Joëlle et Mérot Alain, Le XVIIe siècle, Paris,
Seuil, 1999, p. 335. Par extension, la notion renvoie à l'effet
d'unité des teintes du tableau, et sera utilisée à propos
des peintres de Barbizon et du paysagisme américain issu des
expériences barbizoniennes.
20
coïncide assez bien avec une affinité
récurrente entre les thématiques de son oeuvre et des
théories platoniciennes83.
Le paysage n'est cependant pas là pour servir de
décor ou de matrice aux personnages, c'est bien un morceau de Nature qui
est représenté avec fidélité, où le peintre
propose de rendre apparente une rêverie. Diaz imagine les fées
comme des nymphes locales, accompagnées d'un chien comme La Nymphe
de Fontainebleau (v. 1553) peinte par Rosso Fiorentino (ill. 6 et 7), et
installée sur le linteau de bronze du château de Fontainebleau.
Diaz prend la tournure de sa vie de bohême, entre le petit cénacle
parisien et l'auberge de Ganne, comme une réinterprétation de
l'art de cour de l'école de Fontainebleau, qu'il n'oublie pas dans sa
collection. La modernité romantique de Diaz se traduit par un effet
proche du « collage » surréaliste, qu'il est pertinent
d'attribuer à une relecture des thématiques du jeu des apparences
à la Renaissance. La part d'imaginaire à l'oeuvre
prêchée dans la « New Method » d'Alexander Cozens
(1785), provient en effet des lectures que fait ce dernier de Vinci, comme le
fera également André Breton84.
La féérie est bien dans la nature pour Diaz, qui
peint des scènes de genre sur fond de nature parce qu'elles
émanent d'elle, et sont en réalité des
représentations de l'invisible à l'oeuvre dans la nature. Sous
cet angle, il n'y a pas de dichotomie entre le paysage et la scène de
genre, pas nécessairement de différence entre un paysage en
sous-bois de Diaz, souvent construit à la façon d'un décor
de conte de fées, et une scène mythologique ou orientalisante
où le peintre dévoile des idées qui traversent l'air du
temps. Le temps s'arrête, l'image se fixe, la peinture dévoile ce
que la photographie ne parviendra jamais à imprimer sur la surface
photosensible.
Chapitre 2. La Fée aux fleurs : le don
bohème
La fée aux fleurs (repr. IV) est un tableau
peint en 1866, qui fait écho dans le catalogue à un autre
nommé Flore ou la fée aux fleurs (allégorie du
printemps) (repr. V), peint à la même date. Dans ce cas il
faudrait la rapprocher de toutes les représentations de Flore, et qui
plus est considérer que c'est uniquement une allégorie du
printemps. Pourtant la passation de collections en collections des tableaux de
Diaz permet sur un certain nombre de tableaux de douter du titre original. Il
faut donc affranchir l'analyse de l'iconologie de Flore, sans négliger
les liens que peut entretenir la fée avec elle, puisque la nymphe et la
fée sont étroitement liées.
83 Diaz peut partager en effet avec l'art renaissant,
l'idée de « montrer une beauté incomplètement
réalisée dans ce qui existe », selon les mots d'Erwin
Panofsky. Panofsky, Erwin, Idea, Paris, Gallimard, 1989, p. 65.
84 Gille Vincent, « Au hasard des taches : l'encre du
rêve », Gille Vincent (dir.), cat. exp. Trajectoires du
rêve, du romantisme au surréalisme, Paris, Pavillon des arts
7 mars - 7 juin 2003, Paris, Paris musées, 2003, p. 82-83.
21
L'intérêt d'une « Fée »
comparée à une nymphe, est son pouvoir de faire un don,
d'être marraine85. Comme figure remplaçant la
mère, son invention de toutes pièces par Diaz peut incliner
à y chercher un rapport direct avec la mort de la mère du
peintre. L'omniprésence écrasante de la femme et de la jeune
fille dans son oeuvre est interprétée par Pierre et Rolande
Miquel sous ce jour psychologique86, qui donne à l'oeuvre un
aspect résilient ou exorciste. Sans refuser cette analyse, il est
possible d'approfondir l'interprétation de ce sujet original et
personnel, pour éclairer la volonté artistique de Diaz.
Section 1. Une conscience de
l'éphémère
L'intérêt particulier et insistant attaché
aux fleurs, est mis en évidence par l'invention par le peintre de cette
« Fée aux fleurs ». L'insistance du motif floral
dévoile une sensibilité attachée à
l'éphémère et aux plaisirs que procurent les sens. Un
certain hédonisme vient précisément « colorer »
l'oeuvre entière, dans l'harmonie des tons éclatants, comparables
aux teintes que peuvent prendre des fleurs.
Cet hédonisme particulier au temps de Diaz, sera
baptisé « bohémianisme, culte de la sensation
multipliée » par Baudelaire87. Le bohême s'enivre
des choses, et parcourt les états d'âmes et les situations que
peut proposer un contexte social dominé par une philosophie du libre
arbitre88. Le papillon qui peut évoquer une âme
défunte comme dans La Famille Oberkampf (v. 1803) de
Boilly89, renvoie plus largement au caractère
éphémère du plaisir. Il pourrait symboliser
l'hédonisme bohème chez Diaz, mais sous le Second Empire, c'est
la bourgeoise qui a tôt fait d'être symbolisée par
l'inconstance et la liberté du papillon. À la lecture des propos
de Seigel, on pourrait tenter une analyse passant outre l'antagonisme du
bourgeois et du bohême pour la métaphore, d'autant que Diaz est
tout à la fois bohème et rupin, et que son hédonisme est
opulent. Pour Jerrold Seigel, c'est un pendant nécessaire à la
sociabilité bourgeoise de donner un temps d'expérimentation dans
la formation du jeune adulte, qui se réunit ainsi au corps social alors
que son être nait dans un contexte individualiste qui ne lui donne
nécessairement aucune place définie90. Autrement dit
la bohème est un avatar de la culture bourgeoise. Ce pourrait être
une image de la formation de l'individu, pendant une phase de chrysalide, avant
de pouvoir déployer des ailes qui lui sont propres.
85 Rager, Catherine, op. cit.
86 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 27.
87 Baudelaire, Mon coeur mis à nu, préf.
Antoinette Weil, Paris, La Cause des Livres, 2008, p. 68.
88 Seigel, Jerrold, Paris bohème. 1830-1930,
trad. Odette Guitard, Paris, Gallimard, 1991. Sur les relations entre
bourgeoisie et bohême, pour nuancer leur antagonisme, voir son
introduction « Les frontières de la bohême », p. 14-38,
notamment les pages 15 à 20.
89 Selon l'analyse de Sébastien Allard, dans Pernoud,
Emmanuel, Allard, Stéphane et Laneyrie-Dagen, Nadège (dir.),
L'enfant dans la peinture, Paris, Citadelles & Mazenod, 2011, p.
203.
90 Seigel, Jerrold, op. cit., p. 15-20.
22
Dès ses années de formation non loin de la
bohème du Doyenné, Diaz peint des fleurs sur les murs de
l'auberge de Ganne (repr. 4), s'appropriant le privilège d'une peinture
décorative et galante, en même temps qu'il retrouve
l'hédonisme enfui que l'on prête à l'aristocratie, à
qui appartenait le raffinement de ces décorations. Les fleurs sont un
apanage bohème, à la fois bucolique, et inextricablement
lié à la mort car elle se fane, et doit être
appréciée dans l'instant. La même confrontation à la
guerre et à la misère a focalisé l'attention d'une
peinture romantique politisée et noire, tels Goya, Delacroix,
Géricault, dont les leçons sont très présentes et
marquantes pour la génération de 1830. Gautier, en faisant le
manifeste d'un « art pour l'art », ne fait que continuer une forme de
réaction à la violence, dans la fuite et la délectation de
l'instant démultiplié dans l'imaginaire, le « fantastique
». Plutôt qu'une imitation de l'art aristocratique, c'est une
réquisition de celui-ci que tente l' « artistisme91
» des Jeunes-Frances sous la monarchie de Juillet, forte de son sentiment
de pouvoir mieux comprendre l'art que ne le faisait la tradition, par un retour
aux sources, un rapport primordial et neuf au monde92.
Diaz avait peut-être remarqué que la fleur
colorée, créée par la plante, s'apparente à une
oeuvre d'art. A la lecture de certains commentateurs qui soulignent la
vivacité des couleurs de Diaz, on peut comprendre une analogie entre les
fleurs et les tableaux de Diaz, que la Fée aux Fleurs semble
conscientiser, revendiquer. Plusieurs commentateurs nous rapportent que
l'éblouissement des tableaux de l'artiste, que l'on nomme «
pétard » ou « pétarade93 » (voir annexe
4) est éphémère ; nous pouvons ajouter que ce
caractère a pu être assumé par le peintre, qui
identifierait alors sa production à une floraison, après que les
mots de son maitre Xavier Sigalon soient passés de bouche en bouche :
« Il fait des tableaux comme un pommier des pommes94 ».
La Fée aux Fleurs, tableau qui s'est manifestement beaucoup
assombri, fait partie de ceux qui ont perdu leur éclat à cause de
la technique du peintre, qui privilégiait l'effet immédiat sur la
durée. À propos de ses sujets copiés de Prud'hon,
Champfleury exprime ainsi cet aspect éphémère en en
faisant la singularité de Diaz : « Cependant M. Diaz a quelque
chose qui manquait à Prud'hon : il a inventé le pétard.
Prud'hon est calme, M. Diaz est éblouissant ; malheureusement le
pétard ne laisse que de la fumée95. » Comme la
fleur éphémère et séduisante, les tableaux de Diaz
ont quelque chose de « pop » avant la lettre : leur
déliquescence n'intervient qu'après en avoir tiré un bon
prix. Seulement quelques années après avoir été
peints, les tableaux perdent leurs couleurs, comme le rapporte Monet :
91 Le mot est de Félix Pyat, dans, « Paris
Moderne. Les artistes », Nouveau Tableau de Paris au XIXe
siècle, Paris, Charles Béchet, t.4, 1838, p. 18.
92 Voir Jones Shirley, « Vue sur Cythère. Watteau
et la critique romantique au XIXe siècle », Revue des sciences
sociales, janvier-mars 1975
93 Le terme apparait dans la Complainte de Barbizon,
chanson improvisée et collective, voir la page reproduite en annexe 4,
de Ménard, René, « Barbizon », Le Musée
Universel, avril 1876 - septembre 1876, t. VIII, 2e semestre
1876, p. 291.
94 Rapporté par Silvestre, Théophile, Les
artistes français. 1. Les romantiques, (1852), Paris, Crès,
1926, p. 144.
95 Champfleury, « Salon de 1846 », op. cit.,
p. 40.
23
« On ne peut s'imaginer comme les Diaz de la Peña
étaient beaux quand ils venaient d'être peints ; c'étaient
de véritables joyaux... Évidemment, sa technique l'a trahi ;
aujourd'hui tout est embué ; ils ont perdu leur
qualité96. »
La fée aux Fleurs dans son état actuel
symbolise d'autant mieux tout cet aspect transversal de
l'OEuvre.
En effet, plus qu'un simple écho à la technique
picturale du peintre, c'est une attitude face au marché qu'il impose,
déterminant le premier une valeur à la chose
déliquescente. L'esthétique de la ruine et de l'esquisse
chère au romantisme trouve une continuation. Se rappelant peut
être comment les tableaux de Constable passaient pour des
esquisses97, Diaz impose la valeur poétique de cette forme
(repr. 5). Tout d'abord, il est le premier, en 1849, à organiser une
vente aux enchères d'oeuvres inachevées, esquisses et pochades
exécutées sur le motif en forêt98. D'autres
profiteront après lui de cette rupture de tradition qui fait
autorité par la mode et le succès commercial ; autrement dit, il
a été le pionnier99 d'une nouvelle brèche dans
l'offre et la demande sur le marché. Comme pour la bataille d'Hernani,
les amis de Diaz viennent soutenir les enchères. En 1853, le charme
opère, les amateurs contournent la liste d'attente de plus d'un an pour
lui acheter une toile, en lui demandant une ébauche. Diaz fait commerce
prolifique d'oeuvres inachevées. À partir d'un tournant où
la mode fait produire à Diaz des sujets anecdotiques en série, la
critique commence à regretter ses paysages. En 1865, alors que ses
toiles ne lui permettent plus de rembourser des dettes accumulées, il
vend des dessins à l'essence qui atteignent presque le prix des tableaux
(voir les peintures à l'essence sur le thème de Faust, (repr.
28), la presse y voit un exploit : « C'est la troisième
manière et la troisième fortune de Diaz100 ».
Après ses tableaux, ses esquisses de tableaux, il renoue avec une
technique apprise de l'atelier de porcelaine, dont la rapidité
d'exécution et l'innovation peut multiplier les chances de satisfaire la
demande. Les deux versions de la Fée aux Fleurs, datées
de 1866, ont été peintes après le succès que
rencontrent ses ventes de dessins à l'essence, confirmation pour le
peintre de la validité d'un art évoquant la nature par une
technique relâchée. Le primat de l'effet de l'oeuvre sur la
technique permet à Diaz de penser des oeuvres qui évoquent dans
l'inachèvement son rapport sensualiste au monde, le même type de
plaisir que l'on peut trouver à cueillir une fleur ; de la même
façon, c'est cette envie qu'il essaie de susciter chez ses acheteurs.
96 Monet cité par Miquel, Pierre et Rolande, op.
cit., p. 128.
97 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 242.
Sur l'esquisse voir p. 241-248.
98 Catalogue d'une jolie collection d'esquisses peintes,
sujets de figures et études d'après nature, par M. Diaz,
Paris, 3 mars 1849.
99 Voir Kelly, Simon, op. cit., p. 33-47.
100 Chronique dans L'Artiste, 1865, cité par
Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 132.
24
Isolée dans l'oeuvre du peintre, comme la plupart des
tableaux que nous étudions, les fleurs et le papillon que portent notre
première Fée peuvent symboliser une idée que Diaz
se fait du reste de son oeuvre : la confirmation d'une identité de
peintre dont la technique autant que les sujets sont inspirés de la
nature. Ainsi, la Fée aux Fleurs est bien une marraine, qui
fait don à l'artiste d'attributs symbolisés par les fleurs.
Section 2. Une marraine de l'OEuvre
La Fée aux Fleurs peut donc être
envisagée comme allégorie que fait Diaz de sa propre oeuvre, dont
le sens reste hermétique à l'acheteur. Ceci expliquerait pourquoi
la figure n'est pas nommée après une nymphe, comme pour d'autres
représentations de Flore ou Ophélie, laissant le genre du tableau
incertain à mi-chemin entre le fantastique, le folklorique et la
mythologie. En réalité, si l'indéfinition du genre
permettait d'ancrer la scène dans la continuité de la destruction
de la hiérarchie des genres et du renouvellement romantique de la
peinture, elle aurait aussi un sens intime.
Le don que fait la Fée à Diaz peut
être celui d'une « grâce » perçue dans son oeuvre,
que Paul Mantz associe lui-même à de la féérie :
« Il sut conter des historiettes connues avec une bonne humeur qui
ressemblait à de la grâce, avec un accent qui leur donnait de la
nouveauté... On disait de Diaz qu'il était un peintre de
fééries et il acceptait le compliment101 ». La
féérie perçue par ses contemporains dans l'oeuvre de Diaz
dépasse largement le corpus des fées et êtres fantastiques
regroupé ici, pour recouvrir toute l'oeuvre. La Fée aux
Fleurs peut donc bien être une réflexion que se fait Diaz
à lui-même, en retour de cette étiquette qu'on lui appose.
Si d'ordinaire le peintre laisse une atmosphère féérique
dans son oeuvre, ici il donne corps à la féérie de sa
propre peinture. Se détachant sur un fond unifié, la figure
échappe au milieu naturel, elle n'émane pas de la nature comme
les nymphes, mais de l'oeuvre-même du peintre.
Gautier, dans ses images synthétiques, attribue un
charme identique à tous les tableaux de Diaz : pour lui chacun est une
« gerbe de couleurs102 ». La métaphore
évoque bien un tableau-fleur, dont la couleur serait vivante. Diaz peut
reprendre à son compte cette image, qui correspond à la
désinvolture et au principe de plaisir de sa peinture. Focillon rapporte
que Diaz parlait du « bouquet de fleurs dans l'eau sale103
» pour désigner son usage des tons. Théophile Gautier classe
Narcisse Diaz dans son Salon de 1847 parmi les « Peintres de Grâce
et de Fantaisie104 », avec Winterhalter,
101 Mantz, Paul, op. cit.
102 Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, J.
Hetzel, 1847, p. 92.
103 Focillon, Henri, La peinture au XIXe
siècle, Paris, Flammarion, 1991, p. 226. Le « bouquet »
est aussi une expression de Silvestre à propos de la touche du peintre,
voir son Histoire des artistes français, op. cit., p.
151. Voir également Thoré, Théophile, Promenade au
Salon de 1844, op. cit., p. 31.
104 Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, J.
Hetzel, 1847, p. 87-108.
25
Longuet, Bosson, Baron, Isabey, Vidal et Muller. Pour le
critique, les peintres ont placé la « beauté » au
centre de leur recherche picturale.
Dans l'émulation artistique des années
1840-1850, devenir l'« exemple curieux d'une fortune facile obtenue par
une faculté unique105 » selon la formule de Baudelaire,
peut être tout aussi inattendu pour le peintre. Celui-ci
allégoriserait donc au retour de sa fortune après 1860, «
cette faculté unique dont la nature l'avait prodigalement
doué106 », le don que l'on lui attribue, par une bonne
fée.
Section 3. Les fleurs, premiers succès et fonds
de commerce de Diaz
Ses fleurs peintes, dont le succès de se
démentira jamais, sont ses premières réussites. Lorsqu'il
habite sur le faubourg Saint-Denis dans ses jeunes années, le marchand
de couleurs Desforges qui offre du matériel aux artistes contre des
tableaux et leur permet d'acquérir une visibilité, demande
régulièrement à Diaz des jetés de
fleurs107. Celui-ci a remarqué chez lui un traitement
novateur de la nature morte (repr. 6 et 7). Champfleury englobe tous les
artistes exposés par le marchand, Couture, Muller, Lépaulle,
Charpentier, Tissier, Verdier, Nanteuil et Diaz, sous le nom de «
l'école Desforges » :
« Un marchand de couleurs s'établit sur le
boulevard, il y a quelques années, faisant montre de tableaux pleins de
ragout et signés de noms inconnus. Peu de temps après, les
inconnus devenaient très connus108. »
Ce traitement original de la fleur, brossée avec une
touche très apparente et des couleurs vives, suggérant sans
détailler avec minutie le sujet, est inhabituelle pour l'époque.
La fleur se prête moins à une fougue romantique que des
scènes historiques, et pourtant c'est bien le même mouvement qui
anime ses petites natures mortes. C'est avec une certaine obstination et un
sentiment esthétique très arrêté que Diaz,
dès ses premières années de peintre décorateur sur
porcelaine, a fait éclore ces fleurs « qui font tache » sur la
céramique, et qui lui ont valu d'être renvoyé de son
premier emploi de décorateur109.
Diaz jette des fleurs brossées de façon vive, un
peu partout, sur les murs de l'auberge de Ganne, sur des petites toiles pour
finir sa palette110. L'analogie avec son expérience de
décorateur sur porcelaine est déjà remarquée du
temps de l'artiste, par Roger Ballu111. La féérie est
peut-être là, d'avoir pu
105 Baudelaire Charles, « Salon de 1859 », dans
Écrits sur l'art, Paris, Le livre de poche, 1999, p. 401.
106 Ibidem.
107 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p.
108 Champfleury, « Salon de 1846 », op. cit.,
p. 33.
109 Voir la biographie faite par Silvestre, Théophile,
« Diaz », Les artistes français, op. cit.,
p. 143.
110 Sur les fins de palette des « Peint' à Ganne
», voir Caille, Marie-Thérèse, op. cit.
111 Ballu Roger, « Diaz. Les artistes contemporains »,
Gazette des Beaux-Arts, 1er mars 1877, 1, p. 290-304.
26
transposer son faire de miniaturiste sur porcelaine à
une peinture de chevalet, elle aussi souvent de très petites dimensions,
et décorative, pour en tirer une telle renommée.
Si on peut concevoir qu'une plante crée «
stratégiquement » une fleur pour procréer, attirer par ses
couleurs les insectes, on peut voir de même Diaz déployer des
couleurs vives, qui attirent l'oeil du marchand Desforges, de ses clients, du
public au Salon... et qui restera sa marque de fabrique. Ce qui s'applique aux
tableaux de fleurs, s'applique à l'ensemble de ses tableaux, dont la
couleur excite le milieu de l'art parisien, ce que dit exactement Deschanel
:
« peinture séduisante, mais molle et
lâchée, qui paraît faite uniquement pour charmer les sens,
comme les parfums et les fleurs112. »
La deuxième version était d'ailleurs produite
pour la galerie George Petit, organisateur de ventes innovantes de Diaz. La
Fée aux fleurs, mise en abîme du faire de l'artiste,
allégorise l'origine du don qu'on lui prête. Il « se vend
» lui-même, fait effectivement « un Diaz » pour George
Petit, et arrive avec ce tableau à une auto-figuration de sa
manière.
Chapitre 3. La Fée aux bijoux
Il existe deux versions de la Fée aux bijoux,
la première de 1857 (repr. VI) similaire aux sujets
dérivés du motif corrégien L'Amour
désarmé (ill. 7), et conservée en dépôt
au Sénat dans les collections du Louvre113, et la seconde
peinte en 1860 (repr. VII), très similaire à la Fée
aux joujoux de 1858 qui fut imaginée entre temps (repr. VIII).
La Fée du Louvre, accoudée à une
fontaine baroque sur une terrasse pavée dans un style qui évoque
le palais peint par Tintoret dans Mars et Vénus surpris par Vulcain
(v. 1550) (ill. 8), rappelle beaucoup plus Vénus qu'une nymphe, par
la majesté de son drapé et de son geste. Ce n'est pourtant pas
une scène des relations conflictuelles entre Vénus et son fils
Cupidon, qui chez Diaz sont habituellement données pour telles et se
jouent dans les bois. Pour cet envoi au Salon de 1857, il renouvelle son
répertoire avec une scène où plusieurs putti
ramassent avec avidité les bijoux que la déesse laisse
choir. La miraculeuse fée qui produit 4000 F à sa vente la
même année, titille un petit amour en lui présentant une
bague hors de sa portée, dans une attitude que Diaz prête souvent
à Cupidon voulant récupérer ses flèches
confisquées par la déesse de la beauté.
112 Deschanel, Émile, Physiologie des écrivains
et des artistes ou Essai de critique naturelle, Paris, Hachette, 1864, p.
256.
113 Inv. RF 2316, dépôt Sénat.
27
La version de 1860, non documentée, reprend une
idée que Diaz a eu entre temps avec la Fée aux joujoux.
Le personnage se tient sur la scène d'un théâtre, où
des fleurs ont été jetées comme pour féliciter la
troupe. Mais sur scène, les acteurs ne saluent pas le public. Au milieu
de la scène, une dame en bleu offre un bracelet de perles à une
petite fille accompagnée de deux autres curieuses et admiratives, qui
sont montées avec elle. À droite de la fée aux bijoux, une
femme dénudée en drapé antique, de profil, tourne la
tête vers le spectateur.
Section 1. Les joyaux du Narcisse
Dès que Diaz couvre de bijoux des figures d'enfants en
forêt, ceux-ci sont propulsés dans un ailleurs hédoniste.
Nous pouvons établir avec certitude que le bijou a une dimension
merveilleuse et fantastique pour l'artiste : il propose en tête de liste
L'anneau enchanté lors de sa vente de 1861 (annexe 2.a). Cela
veut dire qu'une féérie attachée au bijou, permettant de
voyager dans le temps, qui rejoint en grande partie la même
féérie de l'Orient, d'un « âge d'or »
préindustriel, ne laisse pour lui pas de doute sur le succès que
doit avoir la vente, et doit être mise au premier plan de son intention
artistique. Parmi les scènes de genre qui font partie à la fois
du fonds de commerce et de la « magie » ou la «
féérie » dont parle les commentateurs à propos de
l'univers du peintre, les scènes orientalisantes sont chez Diaz des plus
révélatrices. L'ailleurs hédoniste, le monde
enchanté est aussi pays de cocagne, où les femmes abondent,
croulant sous des parures mirifiques. On peut donc commenter incidemment un pan
de la production de Diaz, où les scènes Orientales comme Le
coffret de bijoux sont toujours très traitées avec faste
(repr. 8). Le tableau féérique renvoie donc à une forte
présence des bijoux dans l'oeuvre.
Les bijoux pour Diaz, renvoient aussi à sa propre
peinture, qui laisse à la bouche de tous les commentateurs le souvenir
d'un travail d'orfèvre : « Rien de plus scintillant, de plus
diamanté que ce bouquet de couleurs114», disait
Véron, élève de l'artiste. Thoré aura aussi un mot
resté célèbre et repris très souvent pour
résumer l'intérêt des peintures de Diaz : « Ses
tableaux ressemblent à un monceau de pierreries115 ».
Charles Blanc reprendra ce lexique à propos des Bohémiens
pour son Histoire des peintres au XIXe siècle :
« c'est un mélange admirable des plus vagues indications, avec des
morceaux perlés, achevés avec amour, précieux comme l'or,
étincelants comme des rubis116 ». L'Histoire de l'art
retenait au départ plus volontiers de Diaz une singularité
faisant de lui un peintre-orfèvre. D'une part, l'historien retrace avec
fidélité ce que l'oeil contemporain de Diaz perçoit, et
d'autre part il peut encore admirer
114 Véron, cité par Miquel, Pierre et Rolande, op.
cit., p. 178.
115 Thoré, Théophile, Promenade au Salon de
1844, précédé d'une lettre à Théodore
Rousseau, Paris, Alliance des arts, 1844, p. 31.
116 Charles, Blanc, Histoire des peintres au XIXe
siècle, t.1, Paris, Cauville frères, 1845, p. 47.
28
ce que le temps enlèvera à la peinture de Diaz.
Claretie à propos de miséreux trouvant refuge dans le Louvre
déplore :
« Je crois bien que les hôtes attitrés de
l'asile de jour qu'est devenu le Louvre ne se rendent pas un compte très
exact de tout ce que contient de poésie une toile de Corot, de couleur
un tableau de Delacroix, de charme et de richesse une joaillerie de
Diaz117 ».
Reprenant au moins ce que pense la critique, s'il ne le
conçoit pas lui-même, Diaz peut attacher aux bijoux jonchant le
sol dans La Fée de 1857, un symbole renvoyant à son
propre travail d'artiste. L'artiste conçoit ses tableaux comme des
objets d'appropriation, puisque même les personnages qui y figurent ont
une valeur intrinsèque, comme des objets de valeur en eux-mêmes :
il fixe en effet le prix de vente en fonction du nombre de personnages
représentés118.
Pour Narcisse Diaz, il semble qu'il n'en va pas de sa peinture
comme de la poésie, mais comme de la joaillerie. Signe extérieur
de richesse pour l'acheteur, façon de s'enrichir pour l'artisan. Comme
un développement de produits en toc, une multitude de copieurs vendent
de faux Diaz déjà de son vivant. Il saurait lui-même
où se trouve « une fabrique Diaz119 », et est
appelé lors d'expertises judiciaires à certifier
l'authenticité de tableaux vendus sous son nom120.
Dans le titre de nombreuses scènes à
l'effeuillage des catalogues de vente, comme Les présents de
l'Amour, le don est une avance. Dans les tableaux de Diaz, le travail
orfévré peut agir symboliquement comme une façon d'induire
une valeur soutenue de ses tableaux, en jouant de la fiction picturale. Ce ne
sont pas des joyaux, mais ils valent autant que des joyaux.
La Fée aux bijoux semble donc illustrer, comme
La Fée aux Fleurs, une dimension de la carrière du
peintre, ou du moins une réflexion qu'a pu lui inspirer sa propre
expérience de la richesse. Sur le tableau du Louvre, plusieurs putti
ramassent avec avidité des bijoux que laisse mollement tomber la
fée, tandis qu'un autre sautille en espérant attraper l'objet qui
stimule son envie. Le bijou attise la convoitise, stimule et démultiplie
le désir, comme les putti, avatars d'Eros, se multiplient.
L'art de stimuler l'envie tient aussi pour beaucoup dans le geste de la
fée, qui tient l'objet du désir hors de portée. La bague
tenue hors de portée devient d'autant plus un enjeu, car une part
narcissique est investie. Autrement dit, la valeur d'un objet est
démultipliée symboliquement par son inaccessibilité.
117 Claretie, Jules, « Tableaux de Paris. Asiles de Jour
», Le Figaro, 9e année, 3e
série, n°30, vendredi 30 janvier 1903, p. 1.
118 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 72.
119 Idem., p. 196.
120 Un exemple est relayé par la presse, où en
l'occurrence Diaz certifie qu'il n'a pas peint le tableau vendu. Deschamps Th.,
« Jurisprudence dramatique. Tableaux de Diaz - Fausse signature -
Nullité de la vente », Le monde dramatique, 6 juillet
1859, p. 4.
29
Peut-être est-ce une leçon que Diaz a retenue de
son approche empirique du marché : un tableau que l'on met aux
enchères reste hors de portée des acheteurs, qui doivent entrer
en compétition pour l'obtenir. Tout se passe comme si l'objet paraissait
d'autant plus beau à l'acquéreur en suggérant sa valeur
élevée. En parallèle, le narcisse de l'acheteur est lui
aussi soigné par la valeur monétaire de son bien.
La féérie séduit sur le marché,
ainsi que l'atteste la diffusion d'images de contes de fées et de petits
théâtres de contes que fait le Bon Marché pour sa
publicité auprès des enfants de ses clientes, vers
1870121 (ill. 9). Bien que cette technique atteste d'un
développement du marché propre au troisième tiers du
XIXe siècle, elle nous montre l'affinité qu'auront la
féérie et le conte de fées avec les objets de
consommation. Les tableaux de Diaz sont eux-mêmes des objets
féériques, des « joailleries ». La féérie
contenue dans l'impression du faste est la même qui s'attache au bien de
consommation : celui-ci est conçu pour satisfaire l'envie de luxe. En
plus de cela, l'objet de consommation, inévitable, devient le mode de
construction de l'individu : le choix de l'objet devient habitus
social122, qui construit une identité123 sociale
et contribue à l'insertion de l'individu dans la société.
C'est bien son narcissisme que chacun consolide à travers l'acquisition
d'un bien de consommation. En cela il partage avec le féérique
une dimension psychologique de construction individuelle. C'est le propos qui
s'esquisse dans le tableau de 1860 : le bijou participe à la
construction individuelle de l'enfant, et la féérie réside
dans cet acte à portée psychologique qui va jalonner sa vie.
L'artiste revisite le thème de L'amour
désarmé, emprunté à Corrège comme
l'avait fait Prud'hon, en exportant le motif de l'objet d'un désir que
l'on garde hors de portée du désirant. L'action se déroule
autour de ce geste immobile, mettant en exergue son sens symbolique et
intemporel. Le geste appartenant à Vénus, qui retire à
Cupidon ses flèches, invite à méditer sur l'envie
réelle d'Eros : aime-t-il plus ses flèches, son pouvoir, ou
Vénus, la beauté ? La déesse le désarme-t-il par sa
beauté, qui le dépossède de ses moyens, comme cela arrive
dans des situations d'emprise ? Ou s'agit-il d'illustrer une prérogative
féminine, de pouvoir arrêter un jeu du désir lorsque
celui-ci devient fatiguant, comme une mère excédée
confisquerait un jouet à son enfant ? Le thème est traité
par l'artiste comme pour répondre à l'ensemble de ces questions,
dans des tableaux différents, dont une partie est tournée vers la
question de l'objet du désir. Dans La Bague, anneau
d'améthyste, et encore, La bague d'améthyste (repr.
9), le geste est repris à l'identique, et donne un bon exemple de
121 Piffault, Olivier (dir.), Les contes de fées :
« Il était une fois », cat. exp., Paris, Bnf, Richelieu,
20 mars-17 juin 2001, Paris, Bnf, 2001, p. 63.
122 Au sens de Bourdieu, « un ensemble de dispositions
qui portent les agents à agir et à réagir d'une certaine
manière », selon Thompson, John B., préfacier de Langage
et pouvoir symbolique (textes de Ce que parler veut dire (1982)
revus et augmentés par l'auteur), Paris, Seuil, 2001, cit. p. 24.
123 Sur la fonction de l'objet de valeur ou l'objet
sacré dans la formation de l'identité, voir Godelier, Maurice,
Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend
l'anthropologie, Paris, Flammarion, 2007, p. 93.
30
l'hermétisme de Diaz. Si il est évident pour le
public qui suit la production de Diaz années après années
que le peintre développe un vocabulaire symbolique propre, et qu'il
mène ainsi une bataille contre la lisibilité et la
hiérarchisation des genres chère au néo-classicisme, le
sens de cette symbolique reste équivoque. Suivant l'analyse qui vient
d'être faite de la Fée aux bijoux du Louvre,
l'améthyste, pierre semi-précieuse en vogue auprès de
l'aristocratie désargentée de retour en France à partir de
la Restauration124, pourrait symboliser l'art de Diaz en ce qu'il
fait miroiter aux acheteurs des airs d'art de cour.
Dans sa version de 1860, l'artiste semble creuser la question
du narcissisme plus que celle de l'avidité en abandonnant la forme
tirée de L'Amour désarmé. Les trois fillettes
répondent en symétrie aux trois jeunes femmes, illustrant un
moment de construction narcissique de l'enfant. Mais dans cette scène,
les enfants reçoivent d'adultes ce qui les satisfait, et confère
au moment une dimension d'autant plus féérique, en redonnant
à la fée son onirisme des contes : une marraine veillant au bon
développement de l'enfant, à son passage à l'âge
adulte en société, sur la « scène » de la
sociabilité.
Dans les scènes de genre, son usage du symbole autant
que ses thèmes et motifs les plus fréquents, comme le bijou,
annoncent l'onirisme symboliste, particulièrement présent dans le
motif des trois femmes, blonde, rousse et brune, disposées en miroir
avec les fillettes. Cet aspect symbolique, impropre au
romantisme125, apparait peut être dans cette version parce
qu'il est précisément question d'une réflexion sur le
pouvoir de bijoux en tant que symboles.
Section 2. La Fée de 1857 et l'aventure
commerciale de Diaz
Avant de développer plus avant ce qui dans ce tableau
illustre chez Diaz une réflexion sur la sociabilité et la
transmission, la première Fée aux bijoux nous incite
à creuser plus avant la relation de Diaz à l'argent pour
démontrer comment cet aspect de sa carrière peut acquérir
la profondeur d'une allégorie dans sa propre oeuvre.
« Quand on est dans la misère, on est rien du
tout126 », mots qui renvoient à l'expérience de
mort, impasse de la précarité dans une modernité où
l'argent conditionne les moyens de survie, sont souvent prêtés
à Diaz. En parallèle, celui-ci est connu pour aimer le
luxe127, et l'on peut penser qu'il souscrit à l'incitation de
Louis-Philippe « enrichissez-vous ». Glissé comme une
évidence, Arsène
124 Malaguzzi, Silvia, Bijoux, pierres et objets
précieux, trad. Claire Mulkai, Paris, Hazan, 2008, p. 339-341.
125 Voir l'argumentation d'Henri Zerner à propos de
l'analyse iconologique des tableaux de Füssli : l'auteur récuse les
spéculations sur le signifiant d'un symbole représenté,
parce que le peintre romantique ne procède pas d'une telle façon.
À contrario, l'oeuvre de Diaz semble justement développer un
vocabulaire propre et limité de symboles. Rosen, Charles et Zerner,
Henri, op. cit., p. 52 s.
126 Parole rapportée par de nombreux commentateurs,
voir notamment Silvestre, Théophile, Les artistes
français, op. cit., p. 145.
127 Voir notamment Silvestre, Théophile, op.
cit., p. 147.
31
Houssaye fait dire à son personnage, Mademoiselle de
Montducaton : « Je vous en supplie, faites mon portrait! La question
d'argent n'est pas une question pour moi; je ne thésaurise pas, Dieu
merci. Voulez-vous mille francs? Voulez-vous un louis chaque fois que la
pendule sonnera, comme M. Diaz de la Peña128? »
À propos de la vente du 11 avril 1863, Philippe Burty
dépeint un Diaz provocateur : « Chaque année à
peu près, M. Diaz, avec une audace que son talent seul
rend triomphante, provoque le public blasé de l'hôtel
Drouot129. »
Fritz Lugt répertorie douze ventes avant celle de 1877,
mais seulement celle de 1861 met en vente des oeuvres de sa collection.
Lhinares le compare incidemment à Damien Hirst pour souligner la
modernité du procédé. En 1861 il parvient à
produire 41 100 francs de trois ventes130.
Véritable bateleur, Diaz est un des premiers avec son
ami Rousseau à organiser lui-même des ventes aux enchères :
Simon Kelly les tient pour des « pionniers » de la stratégie
adoptée plus tard par des Eugène Boudin, les Impressionnistes et
Paul Gauguin131. Diaz organise onze ventes entre 1849 et 1868, la
vente aux enchères devient pendant ces années sa principale
source de revenus132. Pour Kelly, cette fibre commerciale en fait un
personnage plus important que Rousseau du point de vue de l'Histoire
économique de l'art133. En 1857, il établit un
catalogue illustré des oeuvres qu'il met aux enchères,
s'illustrant ici comme le premier artiste à copier la technique
jusqu'alors usitée par les collectionneurs et les marchands. Diaz
s'autoproduit, comme Courbet en un sens, mais là où le
défenseur du Réalisme cherche à s'émanciper de tout
intermédiaire mercantile pour contrer une logique capitaliste, Diaz
pousse plus avant et explore les possibilités du libéralisme
naissant. Sa stratégie empirique donne un premier exemple du
mécanisme clé qui créera par la suite toutes les
avant-gardes : la circulation artiste-marchand-critique134
créant une véritable synergie pour l'augmentation de la valeur
des oeuvres. Du côté de la critique, Desplaces improvise des vers
au Salon de 1846, que Champfleury commente135 : le
phénomène artistique prend de l'ampleur. L'artiste est par
ailleurs amicalement encouragé par des connaissances des cénacles
auxquels il appartient, comme Théophile Gautier. Diaz, connaissant
l'intérêt d'être relayé par un marchand dès sa
collaboration avec Desforges, sera toujours bien entouré. Alfred Sensier
qui communique avec le comte Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-arts, lui
tient d'ami et d'appui ; la Galerie Georges Petit
128 Houssaye, Arsène, Mademoiselle Mariani, histoire
parisienne, Paris, Michel-Lévy frères, 1859, p. 91.
129 Burty, Philippe, extrait d'une coupure de journal
collée sur l'exemplaire du catalogue conservé au Kunsthistorische
Rijksbureau voor Documentatie de La Haye, cité par Lhinares Laurens, p.
83.
130 Lettre de Alfred Sensier à Jean-François
Millet, 9 avril 1861.
131 Kelly, Simon, op. cit., p. 32.
132 « For nearly twenty years, the auction provided with him
the principal means of marketing his work », ibidem.
133Idem., p. 39.
134 Voir White, Cynthia et Harrison, La carrière des
peintres au XIXe siècle, préf. Jean-Paul Bouillon, Paris,
Flammarion, 2009.
135 Champfleury, " Salon de 1846 ", op. cit., p. 40.
32
sera son expert pour les ventes aux enchères ; beaucoup
de noms différents de marchands, enfin, comme Tedesco, Martinet,
Couteaux et Goupil, jalonnent son parcours. Incontournable tenant explicatif de
son succès, le rapport que Diaz entretient avec le marché et son
caractère extraordinaire pour l'époque, justifie que l'artiste
s'exprime de façon allégorique sur cette découverte. La
valeur de l'objet d'art, créée ex-nihilo, fait pleuvoir
de la richesse, telle la Fée laissant choir ses bijoux, par un
mécanisme de collaboration professionnelle paraissant tout à fait
naturel, et par ailleurs pensé comme une circulation naturelle de la
richesse par les penseurs libéraux. La fée du tableau de 1854, si
elle n'est pas Vénus, peut bien être une force naturelle comme les
putti, avatars du désir, qui produit cette valeur, comme par
magie.
Comme le rappelle Kelly, sa première vente aux
enchères se tient le 3 avril 1849, probablement suite à
l'effondrement du marché en 1848136. Cette vente aux
enchères est immédiatement commentée comme un acte
très audacieux (« Diaz a osé une innovation et tous les
artistes lui sauront gré137 »), et un pari mal
aisé : alors que le marché s'effondre, Diaz présente
quatre-vingt-deux « études et esquisses »
réalisées durant les dernières années. Vente
soldée par une double réussite, financière et artistique :
elle atteint 15 000F et fait parler du peintre comme un maître de
l'ébauche, ainsi que le présente un rédacteur de
L'Artiste : « La science de l'ébauche ne peut être
menée au-delà ... Corrège et Reynolds, Ruysdael et
Rousseau étaient venus sourire à toutes ces jolies
merveilles138 ». Succès mirifique, qu'une bonne
fée a couronné. Cependant la chance ne sourit pas toujours
à Diaz, dont les ventes de 1850 et 1851, 1858 et 1860 eurent moins de
succès. En 1864, avec une vente atteignant 21 245F, il entame une fin de
carrière rayonnante où la commande affluera toujours, se
déplaçant en Belgique, en Allemagne, puis en
Amérique139 au fur et à mesure que sa peinture
s'exporte. Quinze ans se seront tout de même écoulés
où les ventes de Diaz n'atteignent pas le même succès.
L'artiste peint justement les différentes versions de ses trois
Fées sur cette période : peut-être qu'au terme
d'une réflexion sur les aléas de son succès, est venue
à Diaz l'idée de donner cette forme allégorique aux
ressources qu'il utilise dans son art.
Il faut noter que la richesse de Diaz est entièrement
tournée vers l'art. En 1834, Narcisse Diaz acquiert deux
Delacroix140, et continue de s'approvisionner en gravures et
reproductions qui lui permettent d'étudier ses maîtres. Sa
collection se constitue donc en même temps qu'il prend l'habitude de
fréquenter les salles de ventes, où il s'épanouit aussi
bien comme vendeur que comme
136 Kelly, Simon, op. cit., p. 39
137 Lord Pilgrim, « La vente des Diaz »,
L'Artiste, 5e série, vol. 2, t. 1, 15 mars 1849, p.
217.
138 Ibidem.
139 Claretie date l'exportation et la « vogue commerciale
» de Diaz en Amérique après 1870. Claretie, Jules,
Peintres et sculpteurs contemporains, Paris, 1882, p. 231.
140 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 18.
33
acheteur. Il troque aussi ses toiles contre des objets
exotiques ou anciens141. Les catalogues de vente de ses biens
donnent une idée de son intérieur (annexe 5 a et b), dont on
pourrait dire à l'instar de l'hôtel Rambouillet qui abritait la
bohême du Doyenné, qu'il est conçu pour transporter dans le
temps. Gerard de Nerval qui chinait une copie de L'Escarpolette de
Fragonard, et Gautier un tableau de Boucher au temps du Doyenné vers
1835142, montrent l'exemple à Diaz. Il enrichit ses biens
d'objets exotiques et raffinés des siècles
précédents qui font l'écho exact de son univers en
peinture. En comparant la collection de Diaz et son oeuvre, on peut trouver de
quelles sources d'inspirations directes il tient, mais aussi comprendre que le
marché lui donne l'opportunité d'opérer une
synthèse des époques passées (annexes 5 a et b).
Il n'y a plus de doute à avoir sur le caractère
poétique que donnait Diaz à ses scènes de genre autant
qu'à ses paysages malgré sa vocation de paysagiste. Sans une
réelle affinité avec ces formes héritées du
passé, il n'aurait pas élevé dans le jardin de sa
propriété à Barbizon deux statues représentant
respectivement une nymphe et un berger (annexe 6. a et b). Il fait en effet
construire des propriétés suivant sa fantaisie, dont celle de
Barbizon est toujours située au n° 28 de la Grand Rue, en face de
celle de Millet (annexe 7). Le mur d'enceinte qu'il imagine et fait
réaliser est fortifié de petits moellons dans le ciment,
évoquant l'architecture des demeures italiennes du XVIe
siècle conçues pour prévenir des conspirations (annexe
6.b), tandis que les charpentes des toits pointus donnent à la demeure
un air de décor pour un conte d'Hoffmann. C'est le parachèvement
d'une vie de conte de fées, de pouvoir habiter des maisons de contes de
fées. La presse parle déjà de la décoration
à venir de l'hôtel particulier style Louis XIII qui doit
s'élever 1, place Pigalle, à l'angle de la rue Frochot, alors que
cette maison n'est pas encore construite143.
La fortune de Diaz, son accès à la
propriété foncière, met en lumière un aspect
justement très « terre à terre » dans sa
personnalité artistique. Cependant, en regardant la façon dont
l'artiste a disposé de son argent, on s'aperçoit que l'ensemble a
été investi et tourné vers la consolidation d'un univers
féérique, et la construction d'une réelle vie de conte de
fées.
Les rapports étroits que Diaz a lui-même
tissé entre sa vie et son oeuvre forment un réel univers dans
lequel il évolue et qu'il parachève. Ce n'est pas seulement une
tendance prise par les historiens d'art, mais l'art-même de Diaz que
d'avoir façonné sa vie comme une oeuvre. Prenant des risques,
s'entourant des plus belles choses, la vie de Diaz qui avait commencé
dans le dénuement suite à la
141 Idem., p. 98.
142 Guégan, Stéphane, op. cit., p. 88.
143 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 98.
34
perte de ses parents et la fièvre de dessiner
annonçant une fibre artistique prometteuse144, comme
commencent certaines légendes d'artiste racontées par Vasari,
colle au conte de fées par la suite comme si Diaz y avait trouvé
un accomplissement personnel et esthétique. Réunissant la vie et
l'art en vivant sa vie comme un roman, Diaz explore les modalités
d'être de l'individualité moderne. La forme particulière
que prend cette aspiration bohême pouvant rappeler des pratiques
d'avant-garde du XXe siècle145, peut-être
interprétée comme la tentative d'un détournement critique
du marché de l'art, en même temps qu'une façon d'assumer un
besoin de confort.
Si attentif à la construction de sa vie de famille et
l'accumulation des biens qui la mettent à l'abri du besoin, il n'est pas
étonnant de trouver dans l'oeuvre peint une réflexion sur le don
et la transmission, propre à la construction familiale, qui la jalonne
exactement comme un conte déploie son image de la construction
familiale146.
Section 3. La Fée de 1860, poursuite d'une
réflexion sur la valeur symbolique
En regardant plus précisément, les trois
fillettes et les trois femmes de la version de 1860 sont en symétrie. La
dame blonde qui offre un bracelet à la petite fille blonde, est
secondée par une rousse en arrière-plan qui échange un
regard avec la petite rousse elle-même campée en arrière,
et enfin la fillette brune semble regarder avec curiosité la brune
drapée à l'antique. Le don d'un bracelet peut se comprendre alors
comme un symbole de transmission de femme à petite fille. Dans le bijou
a priori superflu, une valeur psychologique entre en compte. L'acte de
transmission revêt une importance incontournable pour la formation de
l'enfant et la construction familiale.
Pour comprendre la sensibilité aiguë de Diaz de la
valeur des choses, on peut revenir à son expérience très
précoce de la précarité. Dans la situation où il
s'était trouvé, ce sont les dons d'adultes bienveillants qui ont
donné seulement une chance au garçon qu'il était de se
sortir de la misère. C'est aussi la chance de provenir d'une famille
dont les relations ne l'abandonneraient pas totalement à son sort.
L'entourage fortuné de sa famille, offre du matériel au jeune
garçon et s'engage à faire « toutes les démarches
nécessaires147 », laissant imaginer que l'on investit
déjà l'enfant d'une qualité d'artiste. Or, si le jeune
Diaz est investi d'un potentiel artistique par ceux dont il reçoit son
premier matériel de peinture, et qu'il en a d'autant plus conscience
qu'il connait la
144 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 10.
145 Voir Seigel, pour qui « La fusion de l'art et de la
vie proclamée par les artistes d'avant-garde au début du XXe
siècle avait des racines profondes dans la bohème », Seigel,
Jerrold, Paris bohème. 1830-1930, trad. Odette Guitard, Paris,
Gallimard, 1991, p.346-374, cit. p. 366.
146 Voir Piffault, Olivier, dir., op. cit. Sur la
lecture oedipienne des contes de fées, voir Bettelheim, Bruno,
Psychanalyse des contes de fées, trad. Théo Carlier,
Paris, Robert Laffont, 1976.
147 Lettre de Monsieur Moreau fils à Madame Diaz, 28
novembre 1818, citée par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 10.
35
différence entre sa condition première et celle
qu'avaient eu ses amis artistes, on peut relier cet épisode du don dans
son enfance à une réflexion plus large sur la transmission dans
son oeuvre. Le thème est exploré en mettant en scène des
nobles, donnant aux bohémiens, ou encore dans l'allégorie La
Charité. Mais surtout, le geste du bracelet offert du bout des
doigts et tombant verticalement dans la main d'une enfant est redondant,
à l'image de la succession de personnages présentant les
mêmes détails dans leurs attitudes. On trouve ce même motif
dans des sujets orientaux, notamment, comme Le Bracelet (repr. 10).
Les présents d'une Nymphe aux bois de Lislé
(repr. 11) se rapprochent de très près de notre corpus. Diaz
fait de cette nymphe une apparition diaphane qui correspondrait de nos jours,
après la vogue victorienne des fairies, à l'image que
nous nous faisons d'une fée. Diaz fait manifestement le lien entre la
fée apparaissant dans les légendes arthuriennes et la nymphe
antique dont elle est dérivée. Cette nymphe, vêtue
pudiquement et se tenant dans une posture évoquant le gothique
international, se comporte comme une fée en offrant un bijou à la
famille cheminant en forêt. D'ordinaire, les nymphes ne sont pas connues
pour faire des présents aux mortels, il est donc possible que le titre
originel représente une fée. Cependant il faut insister sur
l'interchangeabilité des deux figures sous le pinceau du peintre, qui
baptise La Fée (s. d.) une femme nue en forêt, dans la
même posture que la déesse peinte par Prud'hon dans
Vénus et Adonis, assise sur une draperie et offrant un bracelet
à un amour, à moins que ce ne soit une déformation du
titre passant de mains en mains. Comme dans toute l'oeuvre, excepté
quelques tableaux dont font partie nos trois « Fées aux », ces
dernières nymphes et fées évoluent dans un milieu naturel,
tandis que la Fée aux bijoux n'a pour fond naturel qu'un
décor de carton sur une scène de théâtre.
La transmission symbolisée dans la deuxième
version de la Fée aux bijoux peut se lire comme la conformation
de la petite fille à son devenir de femme. Le bijou représente
l'art du paraitre et des manières desquelles l'être en
société tire sa plus-value. Que serait Diaz, avec sa jambe de
bois, et son absence de bagage, qui aurait voulu de lui s'il n'avait pas
allié le charme jovial rapporté par tous ceux qui l'ont
décrit, à une conscience et une maitrise parfaite des
différents niveaux de langue, des usages en différents milieux
sociaux ? Le tableau, représentant spécifiquement une
transmission de femmes à petites filles, peut se comprendre comme un
renouvellement iconographique radical du thème de l'éducation de
l'amour, ce qui expliquerait le passage de l'iconographie de Vénus et
Cupidon à cette composition originale dont la narration est
décousue. Les scènes de genre passant en revue les états
amoureux de jeunes filles jalonnent l'oeuvre peint de Diaz, confirmant son
intérêt particulier pour la sensibilité féminine,
l'apprentissage nécessaire de la femme aux prises avec l'amour et la
sociabilité. Vulnérable physiologiquement et privée d'une
partie des droits civils, la jeune fille du XIXe siècle ne
peut pas vivre indépendamment d'un mari ; du statut d'enfant elle
passe
36
donc rapidement à celui d'épouse, dans le
meilleur des cas. La Fée aux bijoux pourrait mettre en
scène la transmission d'une image narcissique solide et d'un patrimoine
servant de dot, assurant la viabilité sociale de la femme en devenir.
« Quand on est riche, on ouvre les possibles », pourrait-être
la réciproque toute trouvée à la tirade attribuée
à Diaz.
Cependant le don d'un bijou est aussi une façon de
séduire, puisque le don induit un contre-don148. C'est ainsi
que se parachève l'importance de donner symboliquement une
peinture-bijou, afin d'en tirer le prix d'un objet d'art. Diaz, en plus de
soigner les références picturales et sa propre esthétique,
joue d'une carte qui séduira tout public, en faisant en sorte que sa
peinture vaille en tant qu'objet décoratif autant que comme peinture.
C'est l'effet saisissant sur le spectateur que relaye Gautier dans sa critique
amicale du Salon de 1846 :
« Avant de savoir ce qu'ils représentent vous
êtes déjà charmé par la délicieuse bigarrure
de cette gerbe de couleurs. Qu'importe le nom dont on les appelle, les
Délaissées, le Jardin des amours,
l'Orientale, la Magicienne, Léda,
l'Abandon, la Sagesse, ce sont toujours des feuillages de
topazes et d'émeraudes criblé de soleil ou de lune (...) tout ce
que peut rêver la fantaisie la plus orientalement
poétique149. »
La générosité symbolique de l'oeuvre charme
par-delà le sujet.
C'est en effet ce qui se vérifie puisque sa
montée en cote contribue à alimenter la valeur supposée de
son travail, et retentit sur le travail de ses amis paysagistes. Il contribue
en effet grandement à asseoir l'autorité de la nouvelle
école de paysage.
L'importance du don en général que traduit tout
particulièrement cette Fée aux bijoux, est à la
fois un don matériel qui permet de sortir de la misère, un acte
spirituel pour un fidèle catholique, et un acte éminemment
social. Diaz donne régulièrement ses tableaux à des
oeuvres de charité, comme par exemple une loterie en faveur des marins
perdus en mer vers Étretat en 1840150. Le don et le
contre-don fonde l'existence d'une société et structure sa
cohérence. Il est le signe d'une interdépendance, qui se traduit
autant par la circulation de l'argent que par la circulation d'intentions,
comme un maléfice lancé ou des bijoux donnés par une
fée. C'est un élément clé sur lequel repose
l'éthique personnelle de Diaz, pour maintenir de bons rapports avec son
entourage. A Barbizon, il passe un jour pour « le cid victorieux »,
d'après Sensier qui met ainsi l'accent sur l'aspect
148 Voir Mauss, Marcel, « Essai sur le don »,
L'Année sociologique, seconde série, t. I, 1923-1924,
rééd dans Sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 2009,
p. 146-279. Pour une introduction à Mauss et un point de vue
contradictoire récent, consulter Godelier, Maurice, L'énigme
du don, Paris, Flammarion, 1996.
149 Gautier, Théophile, « Diaz », La
Presse, 3 avril 1846.
150 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 46.
37
héroïque et improbable de l'artiste dont il
n'oublie jamais l'origine espagnole, auprès de son ami Millet, quand il
lui donne 600 francs « trouvés » le matin
même151.
La scène de théâtre
représentée dans la toile peut évoquer le spectacle visuel
qu'est la féérie, dont le modèle fondateur du genre,
Le Pied de Mouton, fut joué le 6 décembre 1806, et qui
perdura jusqu'à sa supplantation par le cinéma. Diaz
lui-même un amateur de théâtre, avec Paul
Huet152, depuis ses jeunes années, trouve sans doute dans cet
élément de décorum un affinité personnelle, qui
sied au remaniement subjectif de son iconographie. La scène de
théâtre peut être à la fois la sociabilité
codifiée où l'individu porte son masque social et les parures en
accord avec sa condition, et la « féérie » de sa propre
oeuvre, si l'on suit encore une fois une lecture « méta-picturale
» pour ces Fées si insolites. « [F]orce est de
constater que la première moitié du XIXe siècle
a été gagnée par une frénésie illusionniste
des liens complexes d'échanges.... », remarque Isabelle Michelot,
« Artisans de l'illusion, décorateurs et machinistes ont
été promus au rang d'artistes magiciens153 ».
Diaz partage donc avec les fééries des scènes de
spectacle, un engouement spécifique qui fait de lui comme des artistes
machinistes, un magicien. « On doit accepter la féérie comme
une hallucination de haschisch avec ses déformations (...) qu'on ne
discute jamais154 », écrit en 1879 un chroniqueur du
monde dramatique, en utilisant exactement le même lexique que
Théophile Thoré à propos de Diaz en 1846155. La
scène de La Fée aux bijoux de 1860 a donc des raisons
d'entretenir un sens symbolique avec le spectacle qu'est devenu la
carrière de Diaz pour le milieu de l'art. Les fleurs jetées sur
la scène peuvent renvoyer aux Jetés de fleurs de Diaz,
qui firent son succès, et jalonnent donc les marches de la scène,
marches que Diaz a pu se sentir gravir pas à pas, gagnant sa vie
grâce à l'art. Arrivé au sommet des marches, il y a un
devoir de transmission pour l'artiste, qui allie la connaissance de la valeur
de l'argent, à celle de la valeur de la sensibilité et du
narcissisme. Disposées en miroir, les fillettes attendent de recevoir
d'une femme en qui elles se reconnaissent. La scène peut aussi
être lue, en évacuant la question de la transmission à ses
enfants, comme l'arrivée à une connaissance de cette scène
de théâtre, où se joue un jeu de correspondance entre offre
et demande. Il faut savoir s'accommoder à l'image de ce que l'on attend,
a pu se dire Diaz, qui toute sa vie n'a réussi que conformément
à une attente du public, et en composant avec son goût.
151 Sensier, Alfred, et Mantz, Paul, La vie et l'oeuvre de
Jean-François Millet, intr. Geneviève Lacambre, Paris,
Éditions des Champs, 2005, p. 185.
152 Idem., p. 13.
153 Michelot, Isabelle, « Magies et machines : l'atelier
de l'illusion de la scène à la salle », Bernard-Griffiths,
Simone, et Bricault, Céline, dir., op. cit., p. 246.
154 Stoullig, Edmond, « Chronique théâtrale.
Porte Saint Martin. Cendrillon. La féérie au
XIXe siècle », septembre 1879, cité par Giret,
Noëlle, « Paris est plein du sourire des fées... » dans
Piffault Olivier (dir.), op. cit., p. 259.
155 Thoré, Théophile, « Salon de 1846 »,
op. cit., p. 109, voir citation introductive à l'étude,
p. 2 de ce volume.
38
Chapitre 4. La Fée aux joujoux
Apparaissant sous une arcade, et entourée d'un
cortège d'enfants, la Fée aux joujoux (1858) (repr.
VIII) a la prestance d'une noble faisant son entrée seigneuriale dans
une ville. Diaz parsème son oeuvre de références
passéistes à la féodalité. La fée est telle
qu'on la représente au Moyen Age, parée de beaux atours. La
silhouette générale décrit un arc de cercle, qui rappelle
une attitude nonchalante et sinueuse des Dames dans le style gothique
international, tel qu'on les voit dans les Très Riches Heures du Duc
de Berry par exemple. Une jeune demoiselle accompagne la fée avec
une corbeille remplie de jouets, dans laquelle la Dame pioche une toupie,
tandis qu'elle offre un jouet à une petite fille vive qui se jette
à ses pieds comme à ceux du prophète. Au premier plan, au
bas des marches, une enfant joue à même le sol avec un pantin.
Le décorum plante la scène dans un des rares
paysages architecturés de l'artiste. L'arcade soutenue par trois
colonnes corinthiennes visibles à droite et immédiatement
accolée à un bâtiment percé d'une fenêtre,
parait assez improbable. D'autant que le côté gauche de l'arcade
est masqué par un bout de mur qui avance vers le premier plan et
disparait derrière la cohorte de bambins pressés autour de la
fée. Des marches descendent vers le premier plan, mais sont de longueurs
croissantes, à la façon d'un petit podium. L'architecture tient
donc beaucoup plus du décor de théâtre. Il rejoint d'une
certaine façon les incohérences architecturales que se permettent
les peintres de la Renaissance, armés de la perspective
illusionniste156.
Le sujet est traité une fois, en 1858, peut-être
se remémore-t-il l'incitation de Gautier en 1855 à varier son
répertoire : « avec une semblable palette, on peut peindre les
décors de Comme il vous plaira ou du Songe d'une nuit
d'été, pour un théâtre de fées157
». Cependant il n'envoie pas le sujet au Salon, et le fait figurer au
catalogue illustré pour une vente à l'Hôtel Drouot, tenue
le 6 avril 1858158 (voir annexe 10). Diaz réitère
l'expérience de mai 1857, où il s'était illustré -
pour ainsi dire - en étant le premier artiste à faire imprimer un
catalogue de vente accompagné de gravures159, sur le
modèle des marchands et collectionneurs160.
Section 1. La place de l'émerveillement
enfantin
La Fée aux joujoux donne des jouets, elle
offre aux enfants des instants d'émerveillement. On peut lire l'enfance
tragique de Diaz comme un déclencheur d'une telle sensibilité
à l'aspect merveilleux de
156 Voir par exemple l'analyse de la Vénus
d'Urbin dans Arasse, Daniel, On n'y voit rien, Paris,
Denoël, 2000.
157 Gautier, Théophile, Les beaux-arts en Europe,
op. cit., p. 33.
158 Catalogue de onze tableaux peints par M. Diaz, 28
avril 1858.
159 Catalogue de douze tableaux peints par M. Diaz,
Paris, 1857.
160 Sur les ventes et innovations mercantiles de Diaz et
Rousseau, voir Kelly, Simon, op. cit. Sur ces catalogues
illustrés et leur caractère inédit, voir p. 41-42.
39
se voir offrir un jouet et de pouvoir jouer. Plusieurs
scènes d'enfants en train de jouer jalonnent l'oeuvre du peintre. Il
réhabilite encore des scènes du XVIIIe siècle,
comme Colin Maillard (repr. 12), et consacre souvent des tableaux à la
représentation d'enfants dans les bois. La charge féérique
est alors transmise au spectateur par l'idée du regard enfantin. Cet
aspect encore une fois très présent dans l'oeuvre à
travers des scènes en sous-bois se traduit dans une allégorie
avec une fée, dont Diaz a eu l'idée peu après la
Fée aux bijoux du Louvre.
L'allégorisation du jeu d'enfant parait tout à
fait particulière à Diaz en peinture. On trouve sous la plume de
Baudelaire un personnage, réel, très similaire : Madame
Panckoucke, tenancière d'un magasin de jouets dont Baudelaire se
souvient avec l'émerveillement de ses yeux d'enfants : « *...+ elle
ouvrit une chambre où s'offrait un spectacle extraordinaire et vraiment
féérique. Les murs ne se voyaient pas, tellement ils
étaient revêtus de joujoux. Le plafond disparaissait sous une
floraison de joujoux qui pendaient comme des stalactites merveilleuses. Le
plancher offrait un étroit sentier où poser les
pieds161 ». Cette dame aurait donc eu l'habitude de donner un
jouet aux enfants « pour qu'ils se souviennent d'elle ». Baudelaire
écrit alors qu'adulte, lorsqu'il passe devant un magasin de jouets pour
admirer les couleurs et les formes « bizarres » (ce qui sous sa plume
traduit un sentiment esthétique) il ne peut s'empêcher de penser
à « la dame habillée de velours et fourrure, qui m'apparait
comme la Fée du joujou ». Le témoignage de Baudelaire donne
une bonne idée de ce que l'univers du jouet entretient de
proximité avec le merveilleux et nous confirme dans l'idée que la
Fée aux joujoux est une allégorie du fait de pouvoir jouer,
notamment de recevoir un jouet, pour un enfant. Le Diaz adulte autant que le
Baudelaire adulte continue d'accorder une place particulière à ce
qui provoque le même émerveillement que dans l'enfance.
Porter un regard neuf sur les choses, et pouvoir s'en amuser,
peut apparaitre comme une force de l'enfance au peintre. Là où le
peintre choisira deux ans plus tard de mettre une scène de
théâtre, replaçant l'action dans une mise en abîme de
son art, la Fée aux joujoux distribue ses bienfaits dans la
rue. Si la Fée aux bijoux évolue bien dans un espace
social, invisible et omniprésent, entre les personnes dans leurs
échanges, la « scène », la Fée aux joujoux
semble parler plus concrètement du cadre de vie matériel et
des perspectives offertes aux enfants. Ils ne sont pas en haut des marches,
mais en contre-bas, ce qui permet au peintre d'appuyer leur attitude avide et
empressée là où les fillettes de La Fée aux
bijoux semblaient s'être préparées à une remise
traditionnelle du bijou. Après avoir reçu leur jouet, les enfants
redescendent en bas des marches pour profiter de leur présent. La
perspective ouverte sous l'arcade d'où est entrée la fée
nous place dans un espace réel. Toujours allégorie de moeurs,
cette fée-reine offre des deux mains, et se trouve accompagnée
d'un page pour
161 Baudelaire, Charles, « Morale du joujou », dans
Le Monde littéraire, 17 avril 1853 ; rééd. Dans
Écrits sur l'art, Paris, Le Livre de Poche, p. 243-250.
40
l'aider dans sa tâche. Son attitude proche de certaines
bohémiennes, confirme son activité à portée sociale
: elle modifie un mode de vie, un rapport au loisir et au jeu dont doivent
profiter les enfants. Forte de sa noblesse et sa richesse, elle est suivie par
une cohorte qui participe à son oeuvre. La nouveauté pour les
enfants de telles attentions à leur égard est soulignée
par leur empressement.
Diaz approfondit la place de l'enfance, en faisant sien le
regard de l'enfant. Là où Boilly narre la façon dont
l'enfant s'émeut d'un conte dans Et l'ogre l'a mangé
(1824) (ill. 10), Diaz cherche à susciter dans son oeuvre le
même effet qu'un conte. Il donne aux jeux d'enfants une place
singulière, vraisemblablement apprise de Rembrandt, dans
l'Espiègle (ill. 11), si on se réfère à la
documentation que Charles Blanc a réunie sur le maitre flamand. Le jeu
d'enfant est une chose sérieuse, que le peintre traite dans de grandes
dimensions, appliquant au sein d'une scène transposée dans une
Renaissance de conte de fées un principe de la peinture renaissante,
serio ludere162.
Section 2. Un conte familial déguisé
La fenêtre du bâtiment à droite du tableau,
surmontée d'un ornement en ronde bosse, rappelle à s'y
méprendre les fenêtres de la maison Diaz à Barbizon (annexe
6.b). Cette véritable maison de conte de fées servirait alors de
modèle pour l'oeuvre. Il se trouve que c'est avec ses propres enfants
que Diaz produit une très large partie de son oeuvre, en les
déguisant tour à tour, alliant vie de famille et vie d'artiste.
Aspect méconnu de ses contemporains et qui n'a été
évoqué que par Pierre et Rolande Miquel, un très grand
nombre de scènes orientales, de bohémiens, et de scènes
mythologiques décrivent littéralement une vie de famille et un
attachement lié à sa femme et ses enfants. La vie de famille de
Diaz et sa découverte des rapports entre sa femme et ses enfants, semble
lui inspirer des réflexions dont se nourrit sa production.
Réciproquement, la famille de Diaz s'accommode de l'univers
esthétique du peintre et mène avec lui une vie de bohèmes
riches, ainsi qu'il en a lui-même l'aveu dans le double portrait de sa
femme et sa fille en Bohémiennes riches. Il prend exemple sur
Rembrandt, qui peint sa femme en Grande mariée juive
(1635)163.
Cet aspect de l'oeuvre de Diaz nous encourage à dire
encore quelques mots de l'analyse qui s'est développé le mieux
sur l'oeuvre de Diaz, selon laquelle son travail de peintre est le fruit d'une
résilience traumatique des évènements de son enfance. Diaz
pourrait prendre une revanche sur la privation, en offrant à ses enfants
un monde merveilleux, et aussi témoigner de la gratitude à
ceux
162 Voir Arasse, Daniel, On n'y voit rien, Paris,
Denoël, 2000, p. 15 ; et également Couliano, I. P., Eros et
Magie à la Renaissance, p. 65 s. Ce dernier cite la formule :
« giocare serio et studiosissime ludere », à propos
de l'esprit ludique du platonisme florentin, qui attribue au jeu d'enfant la
quintessence de l'opération « fantasmatique »,
c'est-à-dire magique, cf. infra.
163 Charles Blanc en publiera la photographie dans L'oeuvre
de Rembrandt, Paris, Gide et J. Brandy, 1857, p. 192.
41
qui ont pu lui donner dans son enfance. Mais la question du
conte de fées pose en elle-même celle de la mise en scène
de la famille. Lorsque que Diaz met en scène sa famille, il crée
un conte de fées. Sans que l'une et l'autre des propositions ne
s'excluent, le travail de résilience étant nécessairement
réalisé en grande partie dans l'Inconscient selon les
présupposés de la psychanalyse, pouvoir attribuer à Diaz
l'envie de construire une vie de conte de fées, ou son propre roman,
paraît plus probable qu'une méthode proprement analytique de sa
part. Efforts de résilience intuitive peut-être, guidée par
une ferme intention d'aller là où son désir le
mène, de laisser parler le fantasme et lui donner une forme, comme le
préconisera le père de la psychanalyse.
Les enfants de Diaz occupent une part importante de son
oeuvre, car ils sont les modèles, déguisés, avec ou sans
leur mère, de beaucoup de tableaux. Dans sa collection d'objets, Diaz a
des coffres de déguisements (annexe 5.a), avec lesquels il
déguise sa femme et ses enfants pour faire des portraits de famille
« Turques », comme dans Famille turque (la famille Diaz au
complet), 1840, ou encore « orientales », «
bohémiennes ». C'est Ziem qui le pourvoit en déguisements,
« matière orientale ». Il semble commencer très
tôt, dès la prime enfance de sa fille Marie, pour ne plus
s'arrêter ensuite.
Déjà avant l'arrivée de ses enfants, Diaz
avait scellé ses voeux de jeune marié dans un portrait de lui et
de sa femme, sous les traits d'amants médiévaux. Diaz et sa
belle épouse (repr. 13) dépeint une dame portée par
un jeune homme, comme un chevalier enlevant une princesse, en appui sur ses
deux jambes. Sans doute lésé par son handicap, le peintre
témoigne à sa femme une grande fierté retirée du
mariage qu'il conclut avec elle, et lui dit qu'il la soutiendra et fera preuve
d'autant de forces qu'un homme totalement valide. Enfin, il lui démontre
un bénéfice de la vie d'artiste en lui offrant un portrait
poétique et touchant, où dans l'image comme dans la vie
réelle, il l'emmène.
Dès le début de sa vie maritale, Diaz introduit
une part de rêve qui scelle sa propre intention de lier vie d'artiste et
vie de famille. Il crée par la suite un roman familial où il est
Faust et sa femme Marguerite, dans un double-portrait (repr. 28). Puis, sa
femme et ses enfants sont des bohémiens164, la petite Marie
ayant une chèvre comme Esméralda. Les jours qui suivent la
naissance de Marie, Diaz peint une Maternité bohémienne (Mme
Diaz portant Marie) (1850) (repr. 14), où sa femme parée
d'un costume d'intérieur alors en vogue porte sa fille dans ses bras. La
famille de Diaz n'est jamais dépeinte sous des traits aristocratiques,
peut-être trop proches d'un modèle de sociabilité existant
à son époque et qui ne lui correspond pas en
réalité. Sa famille et lui sont toujours transportés dans
un ailleurs qui autorise une part onirique, un retour à la nature qui
remplace les codes de la sociabilité
164 À propos du regard porté par les artistes
sur les tsiganes, voir Moussa, Sarga, dir., Le Mythe des Bohémiens
dans la littérature et les arts en Europe, L'Harmattan, 2008,
notamment l'introduction p. 7-18.
42
par un pur plaisir du paraître. Ils sont la plupart du
temps orientaux, et parfois seigneurs médiévaux, en accord avec
leur propriété de Barbizon.
La construction familiale de Diaz est visible dans son oeuvre,
car il produit aussi beaucoup pour lui, pour sa femme puis pour ses enfants.
Fier de sa femme et si attaché à l'amour, on peut supposer qu'il
s'agit d'un moteur qui le pousse à étendre des richesses et
offrir à sa famille une vie de conte de fées. Cet aspect de son
interprétation de la vie de bohême l'éloigne de
l'idée de la vocation artistique que peut se faire le noyau dur de la
bohême artistique. Courbet qui, plus manifestement que Diaz s'identifie
au bohémien, aurait eu l'habitude de dire « un homme marié
est un réactionnaire en art165 ».
Sa femme est tour à tour Vénus, ou une nymphe,
ses enfants les petits amours. Diaz a également fait un sujet où
sa famille sert de modèle à une scène pieuse, Marie
étant la vierge Marie, et l'un de ses enfants le petit Jésus,
mais il explore surtout certains thèmes de la peinture à l'aune
de ce qu'il observe dans le quotidien de sa vie familiale. Diaz ne peint jamais
d'amours virevoltant passivement, ils sont toujours associés à
une envie déterminée, et le peintre s'efforce de mettre en
évidence un aspect insatiable, avide et potentiellement harcelant,
fatiguant chez ses amours. En étudiant les attitudes de ses enfants en
demande avec leur mère, Diaz tire des motifs pour des scènes
mythologiques, où par exemple un amour tire Callisto par sa toge, pour
réclamer son attention (repr. 15). Véritable intuition de
l'érotisme chez les enfants pour leur mère, Diaz n'hésite
pas à transposer directement la réalité quotidienne au
mythe, accordant à des situations communes aux familles humaines la
force mythologique. C'est ainsi sans doute que certaines versions de
L'Amour désarmé ont pris une forme pouvant
suggérer l'agacement prosaïque de la déesse de la
beauté, dépeinte dans la même attitude qu'une mère
excédée par l'hyperactivité de son enfant, sur le point de
le gifler (repr. 16). La lecture de Vasari lui a peut-être laissé
le souvenir de la façon dont Duccio avait animé ses icônes
des gestes désordonnés du petit Jésus, et qu'il se place
ainsi dans la lignée à laquelle a aussi appartenu Lippi, le
maître de Botticelli, dont un épisode de la vie de Sainte Anne
(ill. 12) rappelle exactement les attitudes des personnages de sa
Callisto.
Section 3. La place du jeu dans l'oeuvre
Le déguisement apparait comme une notion assez
prégnante de son oeuvre, qui introduit le merveilleux dans la
réalité, ainsi il peint sa seule scène de rue (que l'on
sait être une rue seulement par le titre) pour immortaliser deux gais
lurons déguisés lors du carnaval le plus populaire du Paris de
165 Heinich, Nathalie, L'Élite artiste, Paris,
Gallimard, 2005, p. 92.
43
son époque : Descente de la Courtille, deux
personnages costumés. La Courtille apparait en 1822 et disparait
vers 1860, sous un Second Empire asseyant plus de contrôle sur la
capitale.
Lorsqu'il s'endette, Diaz doit à Alfred Sensier «
un Tableau de l'Importance de la Fée aux Joujoux, de la vente de 1858
vendu 4500 francs par procès-verbal de Mr Pillet, commissaire-priseur,
d'une dimension de 72 1/2 centimètres sur 59 centimètres, que
Diaz transforme en une Halte de Bohémiens dans un paysage
166». De cette inscription un peu obscure, on peut retenir
plusieurs choses : tout d'abord la Fée aux Joujoux est une
pièce importante, dont le prix mémorable a marqué Sensier,
et qu'il entend peut-être décupler en demandant une halte de
bohémiens, autre succès important, dans un tableau de mêmes
dimensions que l'allégorie de la Fée. Ensuite Diaz peut
transformer un sujet en un autre, ce que nous développerons plus avant,
et qui caractérise le jeu qu'il installe dans son faire. Le
métier de peintre est aussi un jeu pour Diaz, qui lui permet de
retrouver constamment l'émerveillement et de le susciter chez autrui.
Le caractère ludique de son oeuvre parait
particulièrement éclairant pour expliquer à la fois la
résurgence du thème de l'enfance et le traitement inégal
de ses oeuvres. La Fée aux joujoux peut alors se lire comme une
troisième marraine fée ayant veillé sur l'oeuvre et la
carrière du peintre, assurant la réussite de l'alliance du jeu et
de la profession.
Consoeur de la Fée aux bijoux, la
Fée aux joujoux est aussi placée en haut de marches qui
lui donnent symboliquement la prestance d'un personnage arrivé au
succès. Le jeu a partie liée au succès social de Diaz, et
s'apparente à son rapport à l'argent, notamment dans son
innovation des ventes aux enchères de ses propres oeuvres qui comme l'a
souligné un chroniqueur de son temps s'apparente à une «
partie » que l'on joue. Cependant la teneur est différente puisque
le jeu évoque dans le tableau est une faculté de jouer de
façon désintéressée et indépendante de tout
enjeu. La force de l'amusement, et du plaisir, semblent caractériser la
teneur symbolique du tableau.
Le ludisme est propice à expliquer le titre de l'oeuvre
et des deux autres sujets, dont le phrasé est très particulier et
dénote du ludisme chez l'artiste. Dans ces inventions, accolant un
attribut symbolique aux marraines Fées de son oeuvre, Diaz prolonge
très certainement la démarche qu'avait eue Charles Nodier dans
son récit onirique La Fée aux Miettes (1832). Non
seulement le même phrasé, unique et sans lien avec aucune
tradition à notre connaissance, est partagé dans le titre, mais
certains aspects du conte de Nodier peuvent se retrouver dans la relation de
ces trois Fées de Diaz avec son oeuvre. Dans La Fée aux
Miettes, Charles Nodier met en scène un personnage principal,
166 Compte arrêté entre Diaz et Sensier, l.a.s.
signée « approuvé N. Diaz », avec inscription en marge
au crayon de papier « Fait et fini en Mai 1864 », conservée
à Paris, Bnf, cabinet des Estampes et de la Photographie, voir
annexe.
44
Michel, qui par trois fois le jour de la Saint-Michel
rencontre la fée aux miettes qui le propulse dans une intrigue
décousue. Le nom de la fée n'est pas explicité dans le
roman de Nodier, tandis que Diaz semble y placer toute la teneur symbolique de
ses oeuvres. La proximité avec la démarche de la bohème
littéraire de 1830-1840 est encore relayée par la façon
dont George Sand se plait également à créer des variantes
personnelles sur le thème de la Dame blanche, en inventant une «
dame verte » par exemple167. Les fées de Diaz signalent
donc une proximité de l'artiste avec les cercles littéraires de
Nodier et Sand. La sensibilité de cette dernière est
peut-être tout particulièrement importante pour Diaz. Non
seulement il produit La mare au diable, mais dans son obsession du
déguisement et du jeu des apparences, on peut sentir une
réflexion parallèle aux bousculements du genre menés par
Sand, qui font d'elle aux yeux des contemporains une « bohémienne
». L'histoire sentimentale qu'a eue Théodore Rousseau en 1846-1847
avec la filleule de George Sand, Augustine168, atteste de la
proximité de Sand et des Barbizonniens.
Le déguisement, l'incongruité, renvoient
à la même notion d'un écart entre ce qui est
présenté et ce que cela cache. Cet écart est
lui-même un jeu, petit vide équivoque, qui donne de la souplesse
au sens des tableaux. Le jeu ludique induit un interstice laissé vacant,
qui laisse libre court à l'imaginaire. Dans sa manière, Diaz joue
avec les tons et la touche, en la disposant de façon divisée. Il
laisse un jeu entre les formes.
La Fée aux joujoux évoque certainement,
après le succès qu'a rencontré son catalogue
illustré à sa vente de 1857, la façon dont le public suit
ce qui lui procure une joie enfantine. Les tableaux que les uns ne pouvaient
acheter leur ont été offerts en images, pour leur simple plaisir.
La fée du tableau est pareille à Diaz, satisfaisant aux joies les
plus simples et suivi par une petite foule d'heureux admirateurs.
Ces trois fées, qui donnent d'elles-mêmes des
clés interprétatives à la peinture de Diaz, close sur
elle-même, ouvrent maintenant à réfléchir sur la
démarche artistique de Diaz, et le sens qu'il faut attribuer à
son titre de « magicien ».
167 Voir Auraix-Jonchière, Pascale, « Rhapsodie
sandienne sur la Dame blanche », Bernard-Griffiths, Simone et Bricault,
Céline, dir., op. cip., p. 171-187.
168 Miquel, Pierre et Rolande, Théodore Rousseau,
Paris, Somogy, 2010, p. 140.
45
Partie II. Le « magicien » au
kaléidoscope de La Magicienne
Accoudée au noeud d'un arbre centenaire, dont le tronc
se tord comme une colonne d'église baroque ou un serpent énorme,
la silhouette diaphane se tient nonchalamment en face du spectateur qui ne sait
si elle est ange ou démon. Débraillée comme les survivants
des Massacres de Scio (ill. 13), dont Diaz a une huile d'après
Delacroix169, la magicienne que l'on reconnait à sa longue
baguette plonge le spectateur dans un « Orient » lascif et
merveilleux. Le regard de la créature se pose hors champ, dans le sens
des rayons du soleil qui tombent en diagonale. La forêt enchantée
de couleurs extraordinaires, turquoise, rubis, émeraude et or, exerce
une fascination sur l'oeil que le spectateur pourrait attribuer à la
magicienne.
Isolée dans l'OEuvre, La Magicienne du
musée d'Orsay (repr. IX) est la seule figure de sorcière qui aie
un accessoire fantastique. Avec la Scène d'Incantation (repr.
X), c'est également la seule jeune fille à détenir des
pouvoirs surnaturels chez Diaz. Le catalogue raisonné et le musée
d'Orsay divergent sur la datation : n° 2075 au catalogue, le tableau non
daté aurait appartenu au comte de Narbonne, qui s'en serait
séparé lors d'une vente en 1851 (n°15), tandis que le
musée d'Orsay date l'oeuvre d'environs 1860 et ne trace l'historique
qu'à partir de 1909 dans la collection d'Alfred Chauchard170.
La description des tableaux dans les comptes rendus de Salons confortent
l'idée que La Magicienne d'Orsay, seule à détenir
une baguette, est l'envoi de Diaz au Salon de 1846171. Thoré
ne laisse pas de doute à se faire : « La Magicienne, avec sa
baguette, n'a rien à faire pour évoquer les prodiges. N'est-elle
pas déjà en plein monde enchanté172 ? ».
La Scène d'Incantation, quant à elle, connue par la
gravure, daterait de 1852. Les deux figures renvoient à l'iconographie
romantique de la magie, quasiment
169 Les Massacres de Scio, d'après Delacroix, 53
x 63 cm., figure au Catalogue des tableaux et objets d'art provenant de
l'atelier de M. Diaz, Francis Petit expert, Paris, Hôtel Drouot, 4
et 5 avril 1861, p. 1.
170 Le catalogue raisonné consacre encore un numéro
à une Magicienne, elle aussi vendue à la vente du comte
de Narbonne de 1851, sous le même numéro 15, et sans autre
précisions. Dans le catalogue monumental se serait donc glissé
quelques erreurs, ce qui ne peut être blâmé. Figure encore
au n° 2080 La Diseuse de bonne aventure, datée d'environs
1845-1846, version à l'huile sur toile d'une huile sur carton connue
sous le nom de L'Horoscope dans la gravure. Cette notice mentionne
« peut-être Une Magicienne au Salon de 1846 ». Mais pourquoi ne
pas faire la même supposition pour la toile que l'on dénomme
précisément « La » Magicienne, et qui
daterait justement d'avant 1851 ? Qui plus est, le comte de Narbonne
détenait aussi une version du Maléfice, sujet
exposé en 1844 et qui ouvre la fortune du motif de la magicienne chez
Diaz. Le Maléfice du Salon de 1844 pose aussi un
problème d'identification, ce qui sera développé à
son sujet. Il parait cependant fort probable que le comte de Narbonne ait voulu
se procurer les deux originaux des Salons de 1844 et 1846.
171 Voir le Journal des artistes, 5 avril 1846, p.
114 ; Thoré, Théophile, « M. Diaz », Le Salon de
1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 105-118 ; Champfleury, Salon
de 1846, op. cit., p. 39 s.
172 Thoré, Théophile, « M. Diaz », Le
Salon de 1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 116.
46
exclusivement réservée à l'initiative des
femmes, qui s'explique par la nature de ce pouvoir, qui est lié au
désir173.
L'émergence de types de genres comme le savant,
l'astrologue, ou l'Oriental, dans l'école hollandaise du
XVIIe siècle, exprimant une forme de
vanité174, est repris par l'artiste qui s'éloigne
cependant radicalement de l'iconographie générale des
sorcières175 : sabbat, préparations magiques, attirail
ésotérique sont évacués. Abandonnant les
accessoires qu'utilisaient Jan de Velde (ill. 14) ou David
Teniers176 (ill. 15) dont l'oeuvre est très répandue
en France depuis le XVIIIe siècle, les enchanteresses de Diaz
évoquent le pouvoir du charme. Chez Gillis Congent (ill.16) on trouve
une posture comparable à celle de l'incantatrice et son cercle de feu,
mais la puissance de cette dernière est attestée par la
réaction des observateurs alentour et non par l'apparition de
fantasmagories. Comme dans la littérature romantique, la figure de la
sorcière se superpose à celle de la princesse orientale ou de la
fée177, et son pouvoir est avant tout d'asseoir une emprise
sur le spectateur masculin178. Au sein de son oeuvre, La
Magicienne et l'incantatrice, débraillées, renvoient
à la façon dont il décrit ses bohémiennes, qu'il
est le premier artiste à investir avec tant de passion179.
Les deux sujets renvoient à l'iconographie de
Circé, et incitent à mesurer l'importance des lectures d'Ovide
chez Diaz. Sa collection comporte des exemplaires des Métamorphoses
d'Ovide, de Roland furieux de l'Arioste et d'une version
vulgarisée et illustrée d'Ovide par Desmoulin180,
où Circé apparait dans un cercle de feu, motif rare en peinture,
qui rappelle la Scène d'Incantation. Les deux sujets,
rapprochés par le charme évocateur du protagoniste central, sont
donc effectivement liés par l'iconographie de Circé. La
Magicienne renvoie plus à la version qu'a pu en faire Paulus
Bor (ill. 17) que celle de Corrège (ill. 18), que Diaz avait pourtant pu
voir dans un Album de David Téniers au Cabinet des Estampes.
173 Giné-Janer, Marta, « Villiers : de la femme
magicienne à la magie féminine », dans Brenard-Griffiths
Simone et Guichardet, Images de la magie, fées, enchanteurs et
merveilleux dans imaginaire du XIXe siècle, colloque 1990, p.
80.
174 Duby Georges et Laclotte Michel (dir.), Cornette Joëlle
et Mérot Alain, Le XVIIe siècle, Paris,
Seuil, 1999, p. 362.
175 Sur l'iconographie des sorcières, voir le catalogue
d'exposition de la BNF, Les Sorcières, Paris, Bnf, 1973.
176 David Teniers II, Witche's Scene, 1640s. h/p, 64,2 x
48,5 cm. Kunsthalle Hamburg.
Incantation Scene, early 1650s. oil on cooper, 36,8 x
50,8 cm. Collection of the New York Historical Society.
177 Dubost, Francis, « La magicienne amoureuse dans le
récit médiéval », dans Moreau, Alain, et Turpin,
Jean-Claude, La magie, actes du colloque international de Montpellier,
25-27 mars 2000, t. 3, Du monde latin au monde contemporain,
Montpellier, Université Montpellier 3, 2000, p., p. 151.
178 Durand-Le Guern, Isabelle, « sorcières
médiévales romantiques », dans Brenard-Griffiths, Simone et
Bricault, Céline, op. cit., p. 134.
179 Cette certitude repose sur une étude taxinomique des
figures de bohémiennes peintes et gravées en France entre 1830 et
1855 effectuée dans le cadre d'un Master 1, soutenu en septembre 2011
à l'Université de Paris 1. Tant l'effeuillage des livrets de
Salons que l'analyse des peintures comparées aux productions sur le
même thème révèle la singularité de Narcisse
Diaz.
180 Dans le Catalogue des livres composant la
bibliothèque de feu Diaz de la Pena, vente le vendredi 26 janvier
1877, Hôtel des commissaires-priseurs, rue Drouot, Charles Pillet
commissaire-priseur, Paris, Labitte, 1877 figurent : Arioste, Roland
furieux, avec fig. ; trad. nouv. Par le comte de Tressan, Paris, Laporte,
s.d., 4. Vol, in-8, dem.-rel. mar. Exemplaire en grand papier in-4° avec
figures de Cochin ; Demoustier, Lettres à Émilie sur la
Mythologie, 1817, fig. de Désenne ; Ovide, Les
Métamorphoses, trad. Abbé Barnier, Paris, 1767, 4 vol.
Figures d'Eisen, Boucher, Gravelot et Monnet.
47
La Magicienne donne un bon exemple de la « couleur
magique » que chaque commentateur a tour à tour
évoqué. Elle met en abîme avec sa baguette, la magie du
pinceau. Les Goncourt évoqueront « la baguette magique de
Diaz181 », et Houssaye « une palette magique
préparée pour des pinceaux de fées182 ».
Le motif met en équivalence charme et pouvoir surnaturel, ce qui incite
à chercher si l'axiome se vérifie chez Diaz, et à la
réflexion sur les liens tissés entre l'art et la magie au
XIXe siècle. Faisant écho au « magicien »
que le milieu de l'art a désigné en la personne de Diaz,
l'analyse continuera autour des regards portés sur l'artiste, dont celui
de Diaz sur lui-même.
Chapitre 1. La « magie » de Diaz : un usage
de la couleur salué par l'école romantique
« Il est des noms d'artistes qui, à peine
prononcés, éveillent dans l'esprit des images et font entrevoir
en une vision soudaine, des magnificences de couleur. Le nom de Diaz est un de
ceux-là. Ces quatre lettres sonores ont un pouvoir magique. (...) Comme
tous les maîtres, Diaz se reconnaît au premier coup d'oeil : son
signe particulier est le rayon de soleil qui traverse son oeuvre183.
»
C'est ainsi que Roger Ballu s'est exprimé dans une
notice accompagnant le catalogue de la dispersion des biens de 1877, pour faire
à Diaz un épitaphe digne de l'émotion que le peintre avait
suscité le long de sa carrière. Le « pouvoir magique »
de son nom évoque sa couleur. Ballu résume intuitivement un des
tenants du succès de Diaz : son origine évocatrice qui rejaillit
sur la valeur d'une couleur éclatante.
Si la peinture de Diaz évoque une féérie
de conte de fées aux spectateurs, c'est donc tout de même moins
par les sujets que traite le peintre que par son usage de la couleur. La
Magicienne, tableau unique et non daté dans le catalogue
raisonné, n'est pas un thème favori de l'artiste, qui n'a pas
besoin de donner forme à des êtres surnaturels pour
dépeindre un monde enchanté. Ce tableau du musée d'Orsay
nous renseigne par contre particulièrement bien sur la matière
picturale de l'artiste et met en abîme le charme du
coloriste.
La Magicienne dans sa pose suggestive, se contente
d'avoir l'attribut d'une magicienne : une baguette ; sans quoi on pourrait la
confondre avec une des bohémiennes débraillées du peintre.
Mais la magie qui se dégage du tableau est bien celle de la couleur, et
d'un empâtement qui suggère un
181 Goncourt, Edmond et Jules, Manette Salomon, t. 2,
Paris, Lacroix, 1868.
182 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse,
histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New
York, C. Lassalle, 1866, p. 84.
183 Ballu, Roger, « Diaz. Les artistes contemporains »,
Gazette des Beaux-Arts, 1er mars 1877, 1, p. 290.
48
mystère propre à la matière et à
l'illusion. La baguette pourrait être la mise en abîme du pinceau
de l'artiste, utilisé par le peintre pour donner corps à ses
projections mentales, et en tirer profit comme par magie.
Section 1. « De l'Espagnol inspiré tout
caprice est sacré ! »
La Magicienne du musée d'Orsay,
vraisemblablement l'envoi intitulé Une Magicienne, n° 541
au Salon de 1846, évoque le négligé nonchalant des
bohémiennes de la Descente envoyée deux ans plus
tôt, en 1844, qui figurent parmi ses sujets les plus originaux pour
l'époque et ancrent sa propre esthétique dans une
sensibilité non sans rapport avec l'Espagne. C'est lors du Salon de 1846
que le peintre se fait connaître sous son nom complet « de la
Peña184 ». Le tableau est caractéristique de la
façon dont Diaz décline ce que l'oeil français retient de
la peinture espagnole : la couleur qui magnifie le noir, la sensualité,
en abandonnant les références directes à l'Espagne. Ses
premiers envois, ignorés, sont en effet bien plus en lien avec l'Espagne
que ne le sont ceux qui feront son succès en tant que peintre espagnol !
En 1834, parmi ses cinq envois figure une Vue prise aux environ de
Saragosse (n° 549), et en 1835 sur trois envois il a produit
Médina Coeli (n° 612), un sujet de l'Histoire espagnole,
et des Baigneuses espagnoles sur le bord d'une rivière (n°
613). Peut-être encouragé amicalement à développer
un talent artistique en accord avec sa nationalité d'origine, le peintre
essaye sans succès185 d'insister sur les espagnolades, puis
change de tactique. Ce n'est pas le sujet espagnol, mais le «
tempérament » de coloriste accolé à un nom espagnol,
« Diaz de la Peña », qui déclenche la reconnaissance
d'un peintre espagnol en France.
Au même Salon, un critique voit d'un mauvais oeil la
façon dont Charpentier fait le portrait de Diaz « trop
espagnol-posada », comme s'il se méfiait de l'effet de mode
espagnole qui laisse tout passer au peintre :
« M. Charpentier pouvait jeter un peu de poésie
(...) sur ce harnachement de peintre chez soi qui est d'un prosaïque, non
pas vulgaire, mais trop espagnol-posada. Après tout, comme le disait le
poète Desplaces :
C'est qu'ainsi l'a voulu l'Espagnol inspiré !
Mauvaise inspiration !
...Du peintre Diaz tout caprice est
sacré186. »
184 Thoré, Théophile, Salon de 1846,
Paris, Alliance des arts, 1846, p. 116.
185 Il n'y a guère que les rapins de
L'Indépendant qui félicitent le peintre pour ses sujets
espagnols dans sa première manière, voir Anonyme, «
Beaux-arts. Salon de 1835. Douzième article »,
L'Indépendant, 19 avril 1835, p. 1.
186 Champfleury, « Salon de 1846 », OEuvres
posthumes de Champfleury : salons de 1846-1851, préf. Jules
Troubat, Paris, Lemerre, 1894, p. 39.
49
Si Diaz n'avait pas eu son nom espagnol, c'est-à-dire
un nom de coloriste qui l'autorisait à rompre avec une manière
« française », on ne l'aurait pas reconnu ; tout comme la
Magicienne qu'il peint a besoin d'un attribut attaché à
son nom pour être reconnue. Sans sa baguette, la magicienne n'est pas
reconnaissable dans ce tableau par la narration de la scène, comme si
Diaz renonçait à celle qu'il avait essayée au Salon de
1835. Diaz semble avoir conscience de l'impact de simples pensées,
relayant dans le quotidien la force de mythes, sur un parcours individuel.
Dans l'esprit du milieu du XIXe siècle, les
nations ont des caractères tant physiques pour les individus que
plastiques ou techniques pour les arts qui en ressortent. L'Espagne
étant connue pour ses coloristes, il existerait une « couleur
espagnole187 », et selon Paul Mantz, Diaz en devenant coloriste
« obéissait à la fatalité de ses origines
espagnoles188 ». Émile Deschanel prend Diaz pour exemple
dans sa Physiologie des écrivains et des artistes, pour
illustrer l'influence d'un caractère national189. Ceux qui le
connaissent relèvent toujours son origine espagnole pour expliquer d'un
bloc le tempérament de l'artiste et de sa peinture, ce que Diaz reprend
à son compte, peut-être parce qu'il s'est senti lui-même
sans équivoque appartenir à une large famille de coloristes
dès ses premières années de formation. De Velázquez
et de Goya Diaz retient surtout la tradition picaresque,
antihéroïque190 que lui passeront tous les
commentateurs.
Mais il est spectaculaire et très instructif du point
de vue de l'analyse de constater qu'en son temps, la même peinture aurait
été reçue différemment et n'aurait pas atteint le
même succès si le peintre n'avait pas porté un nom
espagnol. Lorsqu'il décide d'envoyer au Salon avec son nom complet, Diaz
de la Peña au lieu de Diaz, le succès frappe à sa
porte191. L'impression sur le public et les commentateurs est bien
plus saisissante, comme s'il avait donné une clé de
compréhension de son travail de coloriste qui en assurerait la
qualité. Pourtant, ce n'est pas l'imitation de la peinture espagnole qui
donne les clés de la réussite : Édouard Manet sera au
contraire descendu en flèche par la critique, parce qu'il emprunte
à Goya notamment une manière, qu'il y puise au lieu d'affiner son
propre caractère, qui ne peut être que
français192. C'est ainsi que raisonne la scène
artistique, qui scrute le caractère de la peinture. Mais Diaz, en tant
qu'Espagnol, a raison d'abuser de la couleur espagnole de son
tempérament, c'est une des raisons pour lesquelles sa peinture plait, en
tant qu'objet authentique.
187 Joyeux, Béatrice, « Art moderne et
cosmopolitisme à la fin du XIXe siècle. Un art sans
frontières ? », Hypothèses, 2002/1, p.195.
188 Mantz, Paul, « Diaz », Le Musée
Universel, octobre 1876 - mars 1877, 1er semestre 1877, t. IX,
n° 210, p. 134.
189 Deschanel, Émile, Physiologie des
écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle, Paris,
Hachette, 1864, p. 255256.
190 Duby, Georges, et Laclotte, Michel, op. cit., p.
370.
191 Thoré , Théophile, Salon de 1846,
Paris, Alliance des arts, 146, p. 116.
192 Idem, p. 194.
50
C'est ainsi que présente V. Fournel le peintre Narcisse
Diaz, « ou plutôt Don Virgilio-Narcisso Diaz de la Peña
», ajoutant après sa mort un titre de noblesse, « (...) sa
peinture, vraie, peinture d'hidalgo, lumineuse et ronflante, était en
harmonie avec son origine et avec son nom193. » Gautier aussi,
auteur du Voyage en Espagne, et promoteur du charme sensuel et
féérique de la bohémienne, se souviendra de « Ruy
Narciso Diaz de la Peña, ce magicien de la palette194 ».
Sensier, plutôt que de comparer son faire avec celui de Goya, lui trouve
les mêmes caprices lorsqu'il se remémore comment «
Diaz excitait le bon rire de Rousseau par ses caprices inattendus, comme les
explosions humoristiques de Goya195 » ; Houssaye se contente de
dire de lui qu'il est le « petit-fils de Murillo196 ».
Les excès de tempérament tant dans la peinture
de Diaz que dans son attitude sont attribués à son origine
espagnole tant par les commentateurs que par l'artiste lui-même, qui
aurait eu l'habitude de dire : « Ma brutalité d'expression c'est
mon Espagne197 ! ». Diaz est pourtant natif de Bordeaux et ne
connait l'Espagne que par ses lectures et dans son sentiment intime sur lequel
il est difficile de spéculer. Élevé en France, il connait
sans doute d'autant mieux les clichés français au sujet de
l'Espagne et peut jouer des attentes de son public. Les plus récents
historiens d'art qui se sont penchés sur Diaz ont cherché du
côté de la psychologie de l'homme, en posant la question des
facteurs culturels, pour expliquer ce que la peinture en elle-même laisse
d'équivoque. « Faut-il imputer à ses origines hispaniques sa
fierté naturelle, son besoin d'être admiré et son
inépuisable ardeur ? Quoi qu'il en soit ce caractère naturel est
renforcé par l'adversité qui frappe si tôt le jeune
garçon198 », écrit Pierre Miquel. Il parait
pourtant possible de voir chez Diaz un jeu de ces codes et même de sa
propre biographie.
Fort de ce tempérament espagnol, il coïncide
parfaitement avec ce que l'on attend d'un artiste. Il est même artiste
à l'excès ; ainsi à propos de l'amour-propre des artistes,
Horace de Viel-Castel rapporte une anecdote au sujet de Diaz qui occupe toute
une page :
« Ainsi Diaz commençant un tableau, s'enthousiasme,
s'enflamme et se livre au monologue suivant : "Allez donc, Mossieu Ingres,
allez donc voir si vous êtes fichu pour cirer mes bottes !..."
Il donne un coup de pinceau.
"Enfoncé le père du gris, jamais vous ne
trouverez une figure comme celle-là !"
193 Fournel, V., « Narcisse Diaz », Les Artistes
français contemporains, Tours, Alfred Mame et fils, 1884, p.
239-240.
194 Gautier, Théophile, Souvenirs de
théâtre, d'art et de critique, Paris, E. Fasquelle, 1904, p.
298.
195 Alfred Sensier, cité par André Billy, Les beaux
jours de Barbizon, p. 67.
196 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse,
histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New
York, C. Lassalle, 1866, p. 86.
197 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 13
198 Idem., p. 11.
51
Second coup de pinceau.
"Hein, quels contours ! quelle suavité ! quelle
harmonie ! allez donc, vieux cornichon au vert de gris, allez donc prendre des
leçons chez Diaz !199 " »
Section 2. Le mystère de la couleur
« La couleur de Diaz, dans ses ébauches, est le
chef-d'oeuvre de l'éclat dans l'harmonie. Jamais pinceau n'eut de plus
savants artifices, ne rapprocha des tons plus heureux ; il y a dans les
Bohémiens de M. Diaz, des jeux de lumière et de couleur
jusqu'ici inconnus de l'école française, et dont il n'y a point
d'exemples, si ce n'est peut-être dans certaines fantaisies de
Watteau200. »
Ces mots flatteurs de Charles Blanc disent implicitement le
travail empirique de Diaz pour arriver à produire un effet nouveau.
Avant d'arriver à la disposition de couleurs vives et progressivement
dispersées sur la surface du tableau que peut illustrer La
Magicienne, Diaz passe par une multiplicité d'essais picturaux. Sa
démarche artistique n'est pas spécialement dans le prolongement
des maîtres espagnols, la critique de l'époque évoque
d'ailleurs bien plus souvent à son propos l'inspiration de
Corrège et de Prud'hon.
Diaz est en effet plutôt autodidacte et choisit ses
maîtres en fonction d'un principe de plaisir, comme Stendhal avait pu le
préconiser201. Dans sa collection on trouve trace d'un
exemplaire de manuel de dessin, qui prouve en tout cas l'importance à
ses yeux d'avoir un dialogue direct avec les maîtres en s'affranchissant
de l'atelier des aînés202. Mais plutôt que de se
livrer à une étude systématique, le peintre cherche
à explorer la nature, et obéit d'abord à la sienne. Dans
ses lectures, Lady Morgan écrit à propos de Salvator Rosa «
comme Vasari l'a dit du Corrège, "lui aussi était un peintre"
formé par la nature plutôt que par aucun maître en
particulier203 ». Diaz a sans doute suivi ce principe de
plaisir et a d'abord cherché à établir un lien direct avec
la nature et donc la matière picturale comme élément du
monde sensible.
Les tons disposés de façon harmonieuse mais
chaotique, la posture du personnage, désinvolte et équivoque,
renvoient à l'attitude de Diaz lui-même désinvolte et
hermétique dans ses procédés.
199 Viel-Castel, Horace de, Mémoires du comte
Horace de Viel Castel : sur le règne de Napoléon III, Paris,
chez tous les libraires, 1883-1884, p. 184.
200 Blanc, Charles, Histoire des peintres au XIXe
siècle, t. I, Paris, Curville, 1845, p. 47.
201 Stendhal, Histoire de la peinture en Italie (1817),
préf. Henri Martineau, t. 1, Paris, Le Divan, 1929.
202 Le Catalogue des livres composant la
bibliothèque de feu Diaz de la Pena, op. cit., mentionne :
« Jombert, Nouvelle méthode pour appendre à dessiner
sans maître, 1740. 91 planches. Une série de 30 planches
intitulée Diverses figures d'amour est ajoutée à
l'exemplaire. ».
203 Morgan (Lady), Mémoires sur la vie et le
siècle de Salvator Rosa, Paris, 1824, p. 134. L'ouvrage figure
également dans le catalogue des livres vendus.
52
Claretie n'essaie pas de détailler son idée
lorsqu'il dit « Tout ce bonheur ressemble à du hasard204
». Derrière le hasard apparent, il y a effectivement une
méthode empirique. Les croquis datés d'avant 1832 (repr. 3)
attestent de l'affinité de Diaz avec le dessin
d'illustration205 ; l'artiste pouvait dessiner mais
préférait la matière picturale. Abandonnant le trait,
l'idée avant l'oeuvre, Diaz plonge dans la couleur « à
l'état vierge206 » et la matière pour en tirer
une science personnelle. Mêlant les tons, donnant à voir sur la
surface peinte ses propres essais, superpositions, le peintre exhibe un travail
qui ressemble à celui d'un alchimiste cherchant à changer le
plomb en or... De fait, sa matière se change sous les yeux des
spectateurs en « joyaux ». Silvestre dira qu'il avait «
trouvé la pierre philosophale de sa palette207 »,
empruntant l'expression à Rubens. À travers la matière
picturale c'est la matière au sens large, l'incarnation, dont Diaz
semble explorer le mystère. Dans une scène de bonne aventure,
L'Horoscope (repr. 17 a et b), Diaz emprunte à Jean
Broc208 (ill. 19) le regard désabusé vers le
spectateur de la cliente, les yeux mi-clos, mais change la posture de sa main :
se laissant dérober par l'escroc, elle pointe du doigt un coin du
tableau où il n'y a rien. Rien sinon un tronc d'arbre dont la gravure
laisse deviner un traitement riche et coloré comme dans La
Magicienne d'Orsay. La cliente sait que tout le mystère est dans la
nature-même, et l'illusion des sens qui conditionne parfois
jusqu'à la destinée des individus.
Relativement vite l'art de Diaz aboutit à un usage de
la couleur facilement reconnaissable. La Magicienne nous renseigne
bien sur la manière « orfévrée » des tableaux de
Diaz. La matière permet de créer de légers effets d'ombres
d'où la peinture brillante pouvait mieux ressortir et scintiller.
Charles Baudelaire appelait ce type de scènes de genre qu'il affectionne
chez Diaz, un « kaléidoscope209 », pour lequel il
pardonne à Diaz l'absence du « mouvement du coloriste », alors
qu'il ne peut cautionner le même immobilisme des figures dans une
allégorie. Mais si les personnages sont dépourvus de mouvement,
la couleur de Diaz n'est pas hiératique, elle renvoie au contraire
à un sentiment de vitalité, comme le souligne Champfleury, pour
qui Diaz est à Ingres ce que le coq fait d'après nature est aux
jeunes grecs néo-classique du Combat de coq de
Gérôme (1846)210. Sans doute à travers cette
existence propre de la matière, Diaz obtient d'une manière
élégamment simple l'« authenticité » du
sentiment.
204 Claretie, Jules, cité par Miquel, Pierre et Rolande,
op. cit. p.162 ; voir aussi Silvestre, Théophile, op.
cit., cit. p. 153.
205 Diaz, proche de Nanteuil, collectionne les ouvrages
illustrés par Tony Johannot. Le catalogue de la vente des livres
mentionne également un ouvrage de Doré.
206 Silvestre, Théophile, Les artistes français, p.
150.
207 Idem., p. 146.
208 Le tableau exposé au Salon de 1819 et exposé au
musée du Luxembourg a pu de ce fait plusieurs fois croiser le chemin de
Narcisse Diaz.
209 Baudelaire, Charles, « Salon de 1845 », dans
Écrits sur l'art, Paris, Le livre de poche, 1999, p. 90. Il
réutilise l'expression dans son « Salon de 1846 »,
idem., p. 185.
210 Champfleury, OEuvres posthumes, op. cit.,
p. 92.
53
Le seul genre que Diaz abandonne complètement est la
peinture d'Histoire, dès le tollé de La Bataille de
Médina Coeli (1835). D'autres tableaux, aussi peu marqués de
succès, comme le Supplicié pendu la tête en bas
(c. 1835-1840), du musée des Beaux-arts de Reims, dénotent
de l'influence du romantisme noir, et de l'orientalisme. Durant les
années 1830-1835, la formation du style parait passer par l'empirisme,
son oeuvre présentant des différences de styles
diamétralement opposées, passant d'une finition
léchée à une touche apparente et énergique,
diversité qu'on trouve par exemple chez son ami de longue date Ary
Scheffer. Ainsi il considérera l'orientalisme léché d'un
de ses tableaux, Le Vieux Ben Emeck comme une « erreur de
jeunesse », pour y préférer l'opposé complet de ses
Femmes orientales au repos (repr. 18). Vers 1840, Henri Zerner
décrit une situation « figée », où l'antagonisme
des manières d'Ingres et Delacroix s'essouffle211. Couture
impressionne alors le public, et de la même manière les
procédés picturaux de Diaz et de Decamps tranchent avec la
tournure qu'a prise la bataille romantique.
Plutôt que de tenter en si peu d'espace de tenir un
propos général sur l'ensemble des peintres que Diaz a pu
étudier pour sortir de cet essoufflement, il est intéressant
à propos de la « magie » de sa couleur d'évoquer la
façon dont il a pu lui-même être amené à
multiplier ses intérêts pour les maîtres suivant sa propre
quête du mystère de la couleur.
En premier lieu, comme s'il était d'abord frappé
par la description du mystère dans la nature chez les coloristes, Diaz
semble privilégier les maîtres qui usent du paysage,
c'est-à-dire se faire en quelque sorte sa propre histoire du paysage,
où il a tôt fait de rencontrer le mythe. Chez Rubens, il peut
admirer des nus féminins en forêt, des allégories
mythologiques, et des motifs floraux. Il prise encore des scènes
où l'allégorie est placée sur fond de nature, comme dans
La Tempête de Giorgione (c. 1510), et L'Antiope de
Corrège (1524-1527) ; puis dans la peinture anglaise du
XVIIIe siècle avec Reynolds et Gainsborough. Si Diaz
privilégie la couleur sur le trait, c'est que lui aussi la trouve
magique, il se voit dans la lignée « magiciens » que seraient
Corrège, Rembrandt, Rubens et de Hooch : « Les lumineux, les
magiciens ; il me semble que tous ces cocos-là sont mes
parents212 ».
Là où de Vinci préconisait la
primauté au dessin, puis le rétablissement de l'effet optique
avec le sfumato, Diaz reprend à Corrège son
interprétation sensualiste de la technique léonardienne pour
finalement s'éloigner du dessin et donner à voir la
matière-même. Le peintre romantique montre à la suite de
Delacroix le sentiment dans la couleur, le mystère propre à une
matière tangible, en contournant le pouvoir illusionniste de la
peinture.
211 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p.
134.
212 Diaz, rapporté par Silvestre, Théophile, «
Diaz », Les artistes français, op. cit., p.
140.
54
C'est aussi de Corrège que se sont inspirés les
maîtres de Fontainebleau, puis plus tard Watteau et encore Prud'hon.
Revisiter la Renaissance fonde pour lui comme pour beaucoup, la validité
d'une démarche révolutionnaire en art, dans la lignée des
multiples réhabilitations de styles passés213.
Corrège, adulé par Stendhal, est en 1832 à l'honneur en
même temps que Watteau chez Théophile Gautier214.
Corrège rend un sentiment merveilleux et étrange, propice
à la légende ovidienne, par la tonalité et
l'éclairage, ainsi que le hiératisme des figures215,
ce que Diaz a réussi à imiter tout en déployant des
couleurs qui trompent l'immobilisme des personnages et en maintenant leur
suspension dans le temps. Diaz est un « Corrège à Barbizon
», pour Jules Claretie, car il en revisite la sensibilité ; mais
comme La Magicienne le met en abîme son art est
également, comme celui du Corrège, un mystère d'apparente
facilité. Castiglione en 1528 attribue à Corrège
« (...) une certaine désinvolture (...) qui montre que ce qu'on a
fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser216 »,
ce qui préfigure exactement la même impression que fera Diaz,
depuis son apprentissage chez Sigalon jusqu'à la fin de sa
carrière.
La désinvolture du peintre est à l'origine de la
diversité de sa manière. Lorsque Diaz fait resurgir Diane (repr.
19) de la mémoire de Fontainebleau, comme il le faisait avec la
Nymphe de Fiorentino accompagnée de chiens dans La Mare aux
Fées, la déesse et effigie de Diane de
Poitiers217 apparaît dans le halo de la mémoire du
lieu, avec la couleur de Nicola dell'Albate, Rosso Fiorentino, Primatice et du
Maître de Flore. En comparant le colorisme de l'École de
Fontainebleau et celui de Diaz, le parallèle est frappant. Comme si les
décorations du château s'étaient enfuies dans les bois,
retournant à la nature originelle, les « kaléidoscopes
» de Diaz en reprennent la couleur surprenante. Les tons violacés,
oranges, bleus roses et jaunes de La Charité du Maître de
Flore (c. 1550) (ill. 20) ne sont pas sans rappeler « la vision de
haschisch » qu'est La Magicienne. C'est peut-être de ces
maîtres qu'il tire l'idée d'abandonner la couleur locale, pour
peindre des arbres orange ou bleus dont la disposition en contraste de
complémentaire recrée empiriquement une intelligibilité
(repr. 20). Le mystère de la couleur est mystère du monde
sensible ; la préoccupation du peintre rejoint celle qu'avaient eu les
artistes de la Renaissance218 tel Altdorfer qui fait resurgir de la
forêt la légende de Saint George et le dragon (1510),
crypté dans la nature.
213Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit.,
p. 195.
214 Maurouard, Elvire, Les beautés noires de
Baudelaire, Paris, Karthala, 2005, p. 150.
215 Riccomini, Eugenio, Corrège, Gallimard, 2005,
p. 151.
216 Castiglione, Le Courtisan, 1528, cité par
Riccomini, Eugenio, Corrège, Gallimard, 2005, p. 25.
217 Pour des renseignements généraux sur Diane
de Poitiers et l'art à Fontainebleau, voir Lévêque,
Jean-Jacques, L'École de Fontainebleau, Neuchâtel, Ides
et Calendes, 1984, p. 97.
218 Pour un propos général sur l'attitude
Renaissante vis-à-vis de la relation entre art du paysage et imaginaire,
voir Aston Margaret, (dir.), Panorama de la Renaissance, Thames and
Hudson, p. 190-168.
55
La Renaissance italienne revisitée, depuis
l'École de Fontainebleau jusqu'à Corrège, apporte à
l'artiste un répertoire de formes picturales issu de la relecture
d'Ovide aux XVe et XVIe siècles219.
Sous le règne de François Ier, la magicienne
était un personnage énormément représenté,
surtout au théâtre florentin ; La Magicienne et la
Scène d'Incantation dans le répertoire d'un artiste
s'étant formé à Fontainebleau dans les années de la
bohème galante, amènent ainsi irrésistiblement sur les
traces de l'art de cour renaissant. Tant chez Ovide que chez Pic de la
Mirandole ou Marsile Ficin220, l'Eros et la magie sont des
préoccupations centrales, permettant de canaliser des forces
pulsionnelles dans un but mystique.
Section 3. Projection à l'oeuvre d'un art
sur-naturel
L'exploration de Diaz dans la matière implique une
exploration psychologique, qui pousse à un autre degré la
continuation des mots de Botticelli rapportés par Vinci221,
qu'avait déjà entamée Alexander Cozens. Comme la
Magicienne tenant une longue baguette, Diaz projette du bout de son
pinceau ce qui émane de sa psyché. Il dit lui-même à
propos de son orientalisme qu'il n'est « allé en Orient qu'en
imagination222 » (annexe 11).
Lieu envahi par une génération de peintres pour
la création, dortoirs saturés de décorations, Barbizon est
l'école buissonnière où on fuit la réalité
de la vie citadine, en vivant de l'art, un lieu magique. Loin de
l'Académie, la peinture se fait sur la palette même, sur les
murs223 ; de cette désinvolture sans doute nait l'idée
de Diaz de parier sur un motif brossé à l'avance et de partir le
trouver en forêt, comme le rapporte Gassies :
« Quelque fois aussi Diaz posait sur un panneau, au
hasard avec le couteau à palette, des tons brillants sans aucune forme
qui lui servaient de maquette. Il emportait cela en forêt, dans les
sous-bois, en
219 Pour un propos général sur la
redécouverte de la philosophie classique à la Renaissance, le
néoplatonisme et et l'usage du mythe païen en peinture, voir Aston
Margaret (dir.), Panorama de la Renaissance, Paris, Thames and Hudson,
2003, p. 42-52.
220 La relecture des textes néoplatoniciens antiques
chez Pic et Ficin fait passer le démon déchu de la
théologie chrétienne à un esprit intermédiaire, en
réhabilitant le paganisme. Voir Morel, Philippe, Mélissa,
Démons et Magie à la Renaissance, Paris, Hazan, 2008, p. 28.
Chez Ficin en particulier la pulsion érotique doit pouvoir servir une
cause mystique, voir Couliano, I. P., Eros et Magie à la
Renaissance. 1484, Flammarion, Idées et Recherches, 1984, ainsi que
Chastel, André, Marsile Ficin et l'art, Genève, Droz,
1954.
221 Cozens, Alexander, A New Method of Assisting the
Invention in Drawing Original Compositions of Landscapes, Londres,
Dixwell, 1795, reed. avec une postface de Danielle Orhan, trad. Patrice
Oliete-Loscos, Paris, Allia, 2005.
222 L.A.S. de Diaz reproduite pour Paul Mantz, « Diaz
», Le Musée Universel, t. IX, n° 210, octobre 1876 -
mars 1877, 1er semestre 1877, p. 134.
223 Caille, Marie-Thérèse, op. cit, p.
40-46.
56
disant : c'est bien le diable si je ne trouve pas ce
motif-là !... La nature aidant, cette tartouillade, comme il l'appelait,
devenait un tableau et souvent un des meilleurs224. »
Diaz retranscrit sa vision par taches de couleurs, et
recompose aussi d'après souvenir à l'atelier. Il laisse sur la
toile quelques indications au crayon blanc pour le guider, puis travaille au
couteau à palette de façon intuitive225. Son
imagination est beaucoup sollicitée dans le travail de création,
même pour les peintures de paysages. La nature est un espace sur lequel
on rêve, et ne peut parfaitement s'imiter, ainsi que Leonard de Vinci le
pense en suivant Botticelli, dans son Traité de Peinture dont
Diaz possède un exemplaire qui ne sera vendu qu'à sa
mort226 :
« [Botticelli] a raison : dans une telle mâchure on
doit voir de bizarres inventions ; je veux dire que celui qui voudra regarder
attentivement cette tache y verra des têtes humaines, divers animaux, une
bataille, des rochers, la mer, des nuages (...) et si tu les considères
attentivement, tu y découvriras des inventions très admirables,
dont le génie du peintre peut tirer parti, pour composer des batailles
d'animaux et d'hommes, des paysages ou des monstres, des diables et autres
choses fantastiques qui
te feront honneur227. »
Dans son attitude projective face à ce qu'évoque
le bois, Diaz fait plus qu'imiter la nature dans une oeuvre de paysagiste
réaliste, il agit selon un procédé naturel qui l'unit
à la nature. En laissant surgir l'image, ne sacrifiant à la
technique que le nécessaire et laissant à l'esquisse le fruit de
ses hallucinations dès qu'il le peut, c'est une peinture à
l'état naturel que produit Diaz. Il nous semble judicieux de dire : un
art sur/naturel, car pour nous, Diaz montre la part occulte du monde sensible,
la part d'invisible qu'il laisse tour à tour suggérée dans
la lumière du paysage ou incarnée dans un corps de Nymphe ou
même d'Orientale. Paysage ou scène de genre, ce que peint Diaz est
un être-là du peintre en forêt, où son imagination
est active : qu'il en montre le fruit ou laisse scintiller ce que son esprit
interprète comme un scintillement, Diaz colle au près à sa
propre perception. Diaz semble plutôt se concevoir comme l'homme de la
caverne, à qui ne peut parvenir que ce qu'autorise sa propre
psyché.
Au plus près de sa nature, laissant ses taches guider
le résultat, l'empirisme et la désinvolture de Diaz ne peuvent
échapper à ses contemporains, au point de dire, que sa peinture
n'est pas de l'art228.
224 D'après Gassies, Jean-Baptiste-Georges, Le
Vieux Barbizon : Souvenirs de jeunesse d'un paysagiste (1852-1875), Paris,
Hachette, 1907 ; cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit..,
p. 27.
225 Silvestre, Théophile, « Diaz », Les
artistes français, op. cit., p. 150.
226 Le catalogue des livres mentionne : « Vinci,
Léonard de, Traité de peinture, Paris, Deterville, 1796.
Avec Figures. » Il acquiert ce traité à la vente Marcille du
4 mars 1857 (voir Lhinares, Laurence, op. cit., p. 86.).
227 Vinci, Léonard de, Traité de
peinture, cité par Max Ernst dans « Au-delà de la
peinture » (1936), repris dans Écritures, Paris,
Gallimard, 1971, p. 241-242.
228 Du Pays utilise cette assertion pour dresser un
réquisitoire dans sa « Visite aux ateliers : Diaz », op.
cit., p. 186.
57
Même son admirateur et ami Zacharie Astruc voit ainsi
déjà la façon dont Diaz colle au naturel dans sa
technique-même, et déplore :
« Il n'a manqué qu'une cellule à ce fou qui
courait les champs dans l'ivresse de son caprice, en compagnie des Grâces
ses maîtresses vagabondes. (...) Éternels regrets ! Diaz pouvait
être un grand peintre, il n'est qu'une précieuse
nature229. »
Le chroniqueur du Salon Intime semble noter déjà
la façon dont les personnages qui peuplent ses scènes de genre
sont des émanations de « l'ivresse de son caprice », lorsqu'il
retourne à la nature.
Cherchant dans la tache un correspondant naturel, Diaz
étaye le travail d'Alexander Cozens en lui trouvant une variante
originale. Dans sa continuité, il cherche dans l'informe de la
tâche et de la nature une correspondance. Les « hallucinations
» que décrit Thoré230dans les scènes de
genre, sont une intuition juste de la démarche du peintre. Il
procède à la façon dont Stendhal prodiguait des conseils
aux jeunes artistes, en leur expliquant la façon dont Corrège et
Giorgione étaient devenus de grands peintres « à force
d'être eux-mêmes » :
« Travailler, pour un artiste, dans ces circonstances, ce
n'est presque que se souvenir avec ordre des idées chères et
cruelles qui l'attristent sans cesse. (...) Peu à peu les sensations de
l'art viennent se mêler à celles que donne la nature. Dès
lors le peintre est sur la bonne route231. »
L'artiste n'a en effet de cesse de répéter les
mêmes scènes sur les mêmes fonds, comme une vision
personnelle revenant lui tenir compagnie lors des balades en forêt. Cela
explique la récurrence de détails et de thèmes, dans une
diversité de tableaux qui émanent tous d'un même exercice.
La peinture de Diaz met donc « en lumière » un monde intime,
onirique, qu'il imagine prendre corps dans les lieux qu'il parcourt. Sa vision
de lettré le pousserait à se demander si les arbres sont
habités par les dryades et les demi-dieux punis ? La
réalité est transformée au gré de son imagination.
Ainsi la bucheronne, dont on dit qu'il décrit la silhouette gracile,
devient bohémienne, portant des corbeilles de fruit avec le même
geste. En effet si La Magicienne en est bien une par son attribut,
c'est une silhouette similaire, féminine et gracile, qui s'impose
continuellement au peintre.
Si sa production fait une grande place aux scènes de
genre, genre pour lequel il accède à la reconnaissance, ce n'est
pas une erreur de le « classer » inlassablement parmi les peintres de
paysage aujourd'hui. Le peintre défend le paysage, mais en plus, le
paysage est omniprésent dans ses
229 Astruc, Zacharie, « Diaz », Le salon intime
: exposition au boulevard des Italiens, Paris, Poulet-Massis et de Broise,
1860, p. 72.
230 Thoré, Théophile, Le Salon de 1846,
op. cit., p. 109.
231 Stendhal, op. cit., p. 204-205.
58
tableaux. Pas un tableau sans arbre, sauf rares exceptions. La
notion de décorum convient mal à ces arrières plans
boisés. Art sur fond de nature, art sur-naturel, où le bois est
le support qui conditionne la « vision » de l'artiste, la peinture de
Diaz est unifiée dans sa démarche artistique. La Fantaisie
orientale, ou les Baigneuses du Louvre (repr. 21), donnent un bon
exemple de cet effet « collé » dû à la projection
d'une rêverie « brute » sur l'écran naturel, suivant un
procédé imaginé à la Renaissance dont se
réclameront tout aussi bien les surréalistes. La Fantaisie
orientale (1840-1845), conservée au Museum of Art de
Philadelphie, donne à voir une réunion d'hommes du désert
dans une forêt luxuriante, et un couple très « troubadour
», qui brouille l'unicité de temps et d'espace,
synthétisée dans la vision du peintre. Chaque clairière
parait être empreinte d'une mémoire ancestrale, où les
hommes antiques, ceux du moyen-âge, ceux du siècle qui
précédait, renouvelaient la même histoire. Diaz visite la
mémoire du lieu, qui peut avoir partie liée avec
différentes époques. Il s'attache à réactualiser
l'image de La Nymphe de Fontainebleau accompagnée de ses chiens et de
putti, et perpétue incidemment le paganisme, hérétique, de
la famille de Diane de Poitiers232. Les Sylvains en particulier et
Diane dont le nom signifie « fée », jouent un rôle
important en sorcellerie233. Mais la force de l'Eros, universelle,
est la même qui préside aux réunions en forêt de tous
les groupes, avec leurs lots de rumeurs, la même qui fait croître
les arbres et qui anime les pulsions imaginatives du peintre.
Chapitre 2. Du charme au pouvoir de la peinture
Circé, qui change les marins d'Ulysse en pourceaux dans
l'Odyssée, est représentée avec une baguette.
Narcisse Diaz rencontre Jules Michelet en 1842, auteur de La
Sorcière, qui propose une relecture historique des procès en
sorcellerie comme une volonté d'écraser l'insurrection populaire.
La magie, « tentative d'affirmation de l'individu234 »,
d'après l'exposition de la Bibliothèque Nationale en 1973,
renvoie au déploiement des capacités humaines. Le sujet de Diaz
renvoie ainsi plus largement au « pouvoir nocturne » des
femmes235, dont l'omniprésence dans l'oeuvre laisse peu de
place aux personnages masculins.
Non pas terrifiante comme dans la version de Circé que
donne George Romney (ill. 21), portraitiste anglais de la
génération de Reynolds et Gainsborough, la Magicienne de
Diaz hérite de la nymphe ovidienne son appartenance aux forces
naturelles. Le geste du bras levé, déployant une puissance
menaçante sera repris à la fin du siècle par John William
Waterhouse, tandis que Diaz ellipse cet
232 Cat. Exp., Les Sorcières, Paris, Bnf, 1973,
p. 15.
233 Dominique Lesourd, cité dans Ibidem. Sur Diane voir
également Couliano, I. P., Eros et Magie à la
Renaissance. 234Préaud, Maxime (dir.), cat. exp.,
Les Sorcières, Paris, Bibliothèque nationale, 16
janvier-20 avril, 1973, préf. Étienne Dennery, Paris, Bnf, 1973,
p. II.
235 Voir Kant, Emmanuel, Observations sur le sentiment du
Beau et du Sublime, Paris, Vrin, 1997, p. 53-55.
59
aspect du personnage. On retrouve le motif de l'épaule
et du sein quasiment dévoilés, la main droite tenant
gracieusement une longue baguette abaissée vers le sol. Cependant La
Magicienne se rapprocherait mieux d'une esquisse pour une attitude de Lady
Hamilton (c. 1782, Tate Britain), où la narration est
évacuée au profit de l'image sensuelle. L'« état de
nature », par opposition à une sociabilité extrêmement
codifiée, coïncide dans les deux tableaux avec un principe de
plaisir. Le plaisir comme condition créatrice : Diaz envoie ce qu'il lui
plait, et s'entête dans une production de petits tableaux de
scènes de genre qui créent un monde de Diaz. La pulsion
désirante vers ce qui plait et permet de créer une oeuvre, parait
être souvent le sujet même déguisé sous de multiples
anecdotes, que présente l'artiste. Son oeuvre parle de création,
en montrant inlassablement des conditions au geste créateur : plaisir,
beauté, manière.
La Magicienne semble tirer son pouvoir des forces
naturelles, et contrairement à la terrifiante Circé elle parait
en tirer un plaisir serein. Figure projetée par l'imagination du
peintre, elle aussi projette. Si elle n'est pas forcément Circé,
la lecture que fait Diaz des Métamorphoses semble influer
beaucoup son oeuvre, tant dans ses métamorphoses incessantes soumises au
principe de plaisir du peintre que dans la place primordiale qu'il accorde
à Eros. Ces deux aspects font du tableau La Magicienne un
miroir idéal de la démarche artistique de Diaz, que l'on nommait
« magicien ».
Section 1. Circé et les métamorphoses de
l'Eros
Comme si de l'être diaphane au centre du tableau
émanait une force fantastique, les arbres qui l'entourent prennent des
teintes extravagantes : jaune de Naples, vermillon, vert émeraude et
turquoise surgissent de la masse brune des troncs et feuillages. La couleur
pulse sur la forêt épaisse comme la rétine fait des taches
sur les paupières fermées. De la même façon, Diaz
opère une série de métamorphoses en exerçant son
principe de plaisir.
L'attitude projective de Diaz, puisqu'elle est l'origine de
toute sa production, suppose un maniement de la pulsion, du moins d'un
laisser-aller au plaisir. Diaz et la chair sont inextricablement liés,
dans l'esprit de Millet qui s'écrie « Vive Diaz ! vive la
chair236 ! », lorsque son ami lui prête six cent francs.
Son talent de coloriste s'applique à décrire le corps, la
matière dans des évocations charnelles qui suivent les
leçons de Delacroix, avec l'ambition secrète de ruiner la
renommée d'Ingres et de la manière lisse et finie. Le maniement
du fantasme ne peut manquer de nous donner un éclairage nouveau de cette
dimension charnelle de l'oeuvre, en y expliquant l'omniprésence des
amours et de
236 Sensier, Alfred et Mantz, Paul, La vie et l'oeuvre de
Jean-François Millet, intr. Geneviève Lacambre, Paris,
Edition des champs, 2005, p. 185.
60
Cupidon. Là où le dieu du désir n'est
pas, l'amour est sans doute le thème qui se décline dans l'oeuvre
à travers tous les genres auxquels il s'est essayé, dont les
lascives protagonistes de La Magicienne et de la Scène
d'Incantation. Le paysage peut se prêter à la contemplation
de la force aimante du vivant, pour un artiste catholique dont le Dieu «
est amour », mais surtout, tout nous incite à penser que Diaz
souscrit, au moins poétiquement, à la place primordiale d'Eros
accordée par la cosmologie orphique237.
Lorsqu'il laisse son imagination oeuvrer, la forêt et
les légendes qui s'y rattachent s'allient à une recherche du
vivant, de l'âme dans la nature. Il en ressort immédiatement le
répertoire mythologique des Métamorphoses d'Ovide : les
nymphes qui peuplent le répertoire de l'artiste, et présentement
La Magicienne qui ne saurait trouver iconographie plus pertinente que
celle de Circé. Chez le poète qui inspirait Corrège, les
métamorphoses sont celles que provoquent l'amour et sont à la
fois le sujet et la forme de l'épopée238. Diaz semble
puiser profondément dans Ovide une intuition artistique, en laissant
libre cours aux métamorphoses des personnages tirés de son
onirisme. L'artiste parait clairement souscrire à la vision
poétique d'Eros animant la vie, agglomérant les atomes pour
construire l'ensemble du monde, dans Amours s'allaitant, 1847 (repr.
22).
Circé « fille du Soleil », apparait dans les
Métamorphoses d'Ovide, et peut ainsi doublement se lire comme
une mise en abîme du charme du peintre : la manière de Diaz
lumineuse fait écho à l'ascendance de Circé, et
l'importance d'Eros dans la cosmologie ovidienne est la même qui se
dégage de l'oeuvre de l'artiste. La place qu'occupe Eros tant chez Ovide
que chez Diaz est celle d'une force primordiale de laquelle découle le
monde sensible. C'est aussi là que se rejoignent sa démarche de
peintre de paysage et celle qui le conduit au genre et à
l'allégorie : dans la nature se trouve le divin, Eros, force
d'attraction et d'impulsion, qui est aussi l'évocation d'un mythe tirant
sa force de situations réelles incontournables.
Eros est en effet à l'oeuvre dans la vie de tout un
chacun. La force surnaturelle de La Magicienne est en
réalité l'amour, et elle-même n'est que l'image
poétique de la femme amoureuse. C'est un parallèle qu'approfondit
Jules Michelet dans La Sorcière. Partant, l'omniprésence
de la jeune fille en sous-bois dans l'oeuvre de Diaz, bûcheronne ou
déesse, « Dianes ou Parisiennes239 », peut se lire
comme une rhétorique dont le but est de démontrer l'origine du
mythe dans la réalité.
237 Voir Néraudau, Jean-Pierre, préface, dans
Ovide, Les Métamorphoses, préf. Jean-Pierre
Néraudau, trad. Georges Lafaye, Paris, Gallimard, 1992, p. 9-36,
notamment p. 15 s.
238 Pour une approche synthétique de la construction de
l'épopée d'Ovide, voir la préface de Jean-Pierre
Néraudau, op.cit., p. 9-36, et notamment p. 22-26 et 31-36.
239 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 65.
61
Pour comprendre la mythologie d'Eros et Vénus, Diaz
tire de sa vie de famille une intuition du sens authentique du mythe. Du moins
sa peinture nous montre un raisonnement partant d'éléments
incontournables de la vie humaine, en l'occurrence la relation
mère/enfant, pour en tirer une scène mythologique, comme
l'illustre Callisto (repr. 15). L'Amour désarmé (repr.
23) se métamorphose en Bohémienne jouant avec enfant
(repr. 24) : Diaz transpose une scène classique en un sujet
personnel, faisant à la fois descendre le genre allégorique
à l'anecdote, et du même coup l'abstraction de l'Idée
à son incarnation dans des protagonistes imaginaires plus vivants,
souples. La flèche devient une fleur, la Vénus statique et digne
devient une bohémienne vive et riante.
Quoique le poème antique dépeigne une figure
fatale et enragée là où le personnage de Diaz semble
léger et riant, La Magicienne apparait aussi au sein d'une
oeuvre de métamorphoses incessantes. Diaz, en plus d'être «
son propre plagiaire240 » par l'effet de la surproduction,
multiplie les variantes par intérêt pour ses thèmes. Son
oeuvre est comme un rêve où la même idée se
déguise en de multiples formes.
Le plaisir du peintre, jouant des fantasmes comme la
Bohémienne avec l'enfant, mu par une certaine désinvolture, lui
fait privilégier l'esquisse et lui permet aussi de changer à son
gré de style et de ton. Il peut traiter une allégorie de
façon solide et grave, marquant l'intérêt qu'il porte
à la prégnance millénaire du mythe. Mais il peut donner
plus de légèreté, rappelant avec une veine picaresque,
qu'Eros nous donne des aspirations infantiles, grivoises, dont on peut sourire.
Dans Quel vacarme fait l'Amour ! (c. 1840-1848) une nymphe se bouche
les oreilles, assaillie par les petits amours qui ne lui laissent pas de
répit (repr. 25). Obsession du désir, qui ne laisse pas d'espace
à l'esprit, la métaphore pourrait aussi, pourquoi pas, être
une allusion prosaïque. Ces instants de grâce perçus dans le
vacarme ont la portée du mythe parce qu'ils s'adressent à
chacun.
Section 2. L'intuition pulsionnelle
Les couleurs que prennent les arbres rappellent une
hallucination, un phénomène optique et psychologique. Ce tableau
illustre bien la veine dans laquelle Diaz envoyait ses tableautins aux Salons
entre 1844 et 1850 environ. Le sujet anecdotique traité de cette
façon gagnait les faveurs de Baudelaire241, comme cela a
été dit précédemment, sans doute parce que le
tableau pouvait alors se comprendre comme un genre à part
entière, où le peintre rend compte d'une sensibilité
hallucinatoire, d'un moment lui aussi anecdotique de psychédélie
imaginaire. L'intérêt de Diaz pour le fonctionnement psychologique
se vérifie dans tout son oeuvre, ce que le critique ne perçoit
pas.
240 Marx, Claude-Roger, « Narcisse Diaz de la Peña
», Le Figaro Littéraire, 14-29 juin 1968, p.1.
241 Baudelaire, Charles, « Salon de 1846 », dans
Écrits sur l'art, op. cit., p. 185.
62
Le personnage mythologique, souvent découpé sur
un fond naturel très resserré sur lui, est un arrêt du
peintre sur un petit morceau de nature, où il fait apparaitre
au-delà du microscopique, l'invisible. Corot aussi produira des tableaux
similaires, où la forêt réunit l'artiste avec le monde
mythologique, qu'il choisit alors de représenter dans son
intimité, son quotidien, et non par des épisodes particuliers.
S'élevant contre une peinture mythologique qui éloigne de la
teneur originelle du mythe, l'« artisse » du Second Empire,
détenteur d'une culture et d'un gout authentiques242, renoue
avec la vie pour comprendre le mythe : la joie d'une nature paisible, à
l'origine de l'allégorie de la naïade ou de la dryade ; l'ivresse
du vin pour renouer avec l'esprit de la bacchanale (annexe 8). Cependant Diaz
en resserrant le plan sur la figure, ne montre jamais de nymphes vivant dans la
nature, en nous transportant dans un ailleurs mythologique, que l'on pourrait
interpréter comme un temps passé et très lointain. Il n'y
a pas de temporalité, ni d'action, ou de « quotidien » de la
nymphe décrit par le peintre. Celui-ci démontre au contraire
l'atemporalité, l'interpénétration entre la nature
actuelle, celle de toujours, et le mythe. Celui-ci est à l'oeuvre dans
le vivant, comme une dynamique insaisissable, qui préfigure la notion de
« pulsion ».
Du tableau inquiétant de Romney, où le charme
d'une femme devient plus manifestement une force à part entière,
une fois maitrisée et utilisée, qui menace la liberté du
spectateur masculin du XVIIIe siècle, Diaz peut retenir
l'idée d'une force exercée par la Magicienne mais
contourne la théâtralité expressive du geste. Cette force
décrite par Ovide est bien, déjà dans l'antiquité,
l'intuition de ce que la science empirique a établi en
psychologie243.
Attentif au rôle maternel dans la formation psychique,
Diaz dans La Bohémienne jouant rejoue encore L'Amour
désarmé, faisant de la mère aux yeux de l'enfant une
déesse. Il induit ce faisant que l'enfant, comme Cupidon, a une force
désirante pour sa mère. Le peintre emprunte à la
scène de Romney, Les Enfants Leveson-Gower (1776-1777), la
posture de la femme déguisée à l'antique, peut-être
suivant une mode d'intérieur, un tambourin à la main, figurant
une bacchanale et la mettant en scène pour les enfants (ill. 22).
Ceux-ci, pris dans le rythme d'une ronde et enivrés par la sensation
d'ivresse de ce tourbillonnement, et par le jeu, lèvent les yeux vers la
belle jeune adulte et leur expression traduit l'admiration, la fascination que
porte un jeune esprit dans sa découverte du monde pour la beauté
qui émane d'un corps formé et en pleine possession de ses moyens.
Autrement dit, l'image d'une divinité comme la Ménade ou
Vénus, découle de la formation
242 Sur l'antagonisme de l'artiste et du bourgeois, voir Heinich,
Nathalie, L'Elite artiste, Paris, Gallimard, 2005.
243 Pour conforter l'idée que Narcisse Diaz peut avoir une
intuition de la psychologie, il faut considérer que ses sources
d'inspirations sont elles-mêmes tenues comme des réflexions sur la
psyché humaine. Pour un parallèle entre la démarche
socratique d'interrogation abyssale et la psychanalyse, ainsi que sur la
réflexion sur le désir chez Ovide, voir Néraudau,
Jean-Pierre, dans Ovide, op. cit., p. 16. Giordano Bruno,
théoricien platonicien fait reposer sa méthode de contrôle
sur les individus et les masses, dans De Magia (1589), sur « une
connaissance profonde des pulsions érotiques personnelles et collectives
», d'après Couliano, I. P. op. cit., p. 14.
63
psychique du regard enfantin sur le corps d'une femme. Ce
pouvoir féminin, pour La Magicienne ou l'incantatrice n'est pas
maternel, mais découle de la position désirante qui s'est
nécessairement formée dans l'esprit de tout spectateur.
La Magicienne est proche d'un autre tableau que nous
ne connaissons que par la gravure : Les Maléfices de la
Beauté (repr. 26). L'apparition furtive d'une femme plantureuse
furetant dans les bois, tenant une longue baguette, rappelle Circé par
ces deux attributs (la baguette et la lascivité). En cela elle fait le
lien entre la fée et les Maléfices, en s'inscrivant
comme Morgane et Circé dans la figure d'une femme dont les pouvoirs
doivent être redoutés. Dans les Métamorphoses,
Circé devient une métaphore des excès de l'orgueil
auxquels conduisent le savoir et le pouvoir : elle confond son désir et
son droit sur la réalité. Ne pouvant à trois reprises
obtenir les faveurs d'hommes dont elle s'éprend, Glaucus, Macarée
et Picus, elle use de la magie pour les retenir captifs. Quand ils la
dédaignent et expriment leur fidélité aux femmes qu'ils
aiment, elle les punit en exerçant son pouvoir de
métamorphose244. D'une part c'est son pouvoir et son savoir
accumulés qui créent le sentiment d'outrage quand les trois
hommes restent indifférents à sa nature divine. Mais c'est
surtout un sentiment propre à la femme, qui d'ordinaire séduit et
peut en être victime, que Circé exacerbe de l'immensité de
son pouvoir. Avant de changer Picus en oiseau elle s'écrie :
« Ce que peut une amante outragée, ce que peut une
femme, tu vas l'apprendre par le fait ; mais plus que jamais, car aujourd'hui
l'amante, la femme outragée, c'est Circé245. »
Autrement dit, la beauté a ses propres maléfices
sur la femme, qui dans sa vie doit tour à tour être prisée,
méprisée, puis niée de façon égale pour l'un
ou l'autre de ces sentiments. Le désir allié au pouvoir quant
à lui peut en venir à condamner l'amour.
Au sein de l'épopée ovidienne, et parmi ses
autres références littéraires, il sélectionne des
personnages qui ont plus particulièrement trait à la violence
passionnelle exercée par et contre la femme. Ainsi le romantisme noir de
son Esméralda (1835, Montpellier, musée Fabre), fille
arrachée à la Sachette et recueillie par les bohémiens,
puis niée par sa propre mère aux yeux de laquelle elle est
étrangère et déchue, trouve un écho
thématique dans l'histoire de Callisto. La nymphe, violée par
Jupiter, est répudiée par Diane puis transformée en
constellation de l'Ourse : la même violence sexuelle est doublée
d'une répudiation de la part d'une autorité féminine. Le
thème, traité par Titien et gravé par Cornelius Cort,
correspond à la relecture renaissante d'Ovide moralisé,
qui a fait le lien
244 Elle change Scylla, la nymphe aimée de Glaucus, en
monstre puis en rocher ; elle change Macarée et ses compagnons en
pourceaux et Picus en oiseau.
245 Ovide, Les Métamorphoses, XIV, vers
365-390, préf. Jean-Pierre Néraudau, trad. Georges Lafaye, Paris,
Gallimard, 1992, p. 459.
64
entre la fable antique et le monde
christianisé246. Eros, le désir, configure des
intrigues immémoriales qui font la matrice psychologique non pas
seulement des femmes, mais de tous, puisque les hommes naissent d'une
mère.
Diaz ne charme pas pour charmer mais ne fait que ce qui lui
plait. Il va à contrecourant des modes en vantant les toiles de Millet
et en apportant son soutien à des peintres peu
estimés247. Il se situe toujours dans une bohème qui
méprise le sens Académique et bourgeois au profit de ses propres
connaissances. En projetant sur la nature le fruit de son imaginaire, il
décrit de façon spontanée et novatrice, soumise au
principe de plaisir, les mouvements de ses pulsions. Ce faisant, il renoue avec
une attitude Renaissante, usant d'Eros pour approcher le divin, qui renoue
elle-même avec l'orphisme d'Ovide. La méthode introspective et
projective permet au sujet d'avoir une intuition juste de la psychologie.
Le principe de plaisir est un abandon désinvolte, un
laisser-aller qui caractérise à la fois sa peinture, et la
rêverie qu'elle doit susciter. Ce même abandon est suscité
chez ses acheteurs, qui s'offrent une peinture où pointe l'onirisme et
se manifeste un esprit cultivé et esthète. C'est la « valeur
ajoutée » de Diaz par rapport à la représentation
courante du nu, qui induit toujours un érotisme « lié au
droit de propriété du spectateur248 ».
Du Pays ne tolère pas la façon dont Diaz emploie
sa palette à séduire une clientèle249, et
transforme sa visite à l'atelier de Diaz, en une longue diatribe, que
l'on confondrait presque avec un prêche contre le Tentateur, qui menace
l'art français. Pour Kelly la réponse est toute trouvée,
Diaz joue de la transgression érotique des sujets pour commercialiser
des paysages250. L'auteur s'appuie sur l'image frappante que donnait
Thoré liant la manière de Diaz à une hallucination due au
haschisch, pour avancer l'idée que l'artiste endort la vigilance de la
classe bourgeoise, « comme si elle était
intoxiquée251 ». C'est en effet peut-être une des
raisons pour lesquelles le succès quasi immédiat de Diaz tarde
à être connu et compris par les historiens : sa manière
esquissée et hasardeuse le replace parmi les artistes qui ne peuvent
atteindre le succès, si l'on suit la logique la plus courante du
collectionneur de l'époque.
246 Weinquin, Fanny, « Les premières
représentations du mythe de Callisto dans la gravure », dans
Catherine Périer-d'Ieteren (dir.), Annales d'Histoire de l'Art et
d'Archéologie, XXXII, publication annuelle de la filière
d'Histoire de l'Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, Le Livre
Timperman, 2010, p. 57-74.
247 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit. p. 83.
248 Berger, John, cité par Nochlin, Linda, «
Érotisme et image du féminin dans l'art du XIXe », Femmes,
art et pouvoir et autres essais, Paris, J. Chambon, 1993, p. 197.
249 Du Pays, op. cit., p. 185.
250 « Diaz enhanced the commercial appeal of his
landscapes by peopling them with gypsies and scantily clad nudes »,
Kelly, Simone, op. cit.., p. 39.
251 «In 1846 indeed, Thoré noted that his
fantastical subjects had the effect of hashish on his middle-class collectors,
who bought as if in a state of intoxication, ignoring all their usual
suspicions about lack of finish», ibidem.
65
L'érotisme des nus de Diaz franchit un seuil dans la
représentation du nu qui saute aux yeux de ses contemporains. Les
Goncourt rapportent que Rachel Félix, actrice très en vogue sous
le Second Empire, renvoie "une nudité de Diaz" que lui offre son amie
Nathalie252 de la Comédie Française, en opposant
« le déshabillé charmant » qu'elle pourrait
tolérer à la nudité de la figure du tableau253.
Dans le même ordre d'idées la presse regrette souvent
l'imprécision anatomique, et les « poitrines vulgaires
»254, reprochant ad hominem à l'artiste de ne
pas savoir apprécier la beauté des formes réelles.
« Diaz a eu le malin génie de les peindre seules
dans les bois afin que vous fussiez avec elles255 », observe un
chroniqueur de L'Artiste. De même les sujets galants et
inspirés des amours de Vénus sont passés de l'art
aristocratique aux mains du néo-classicisme de la Révolution,
puis à l'époque de Diaz deviennent les motifs des «
enlumineurs de boîtes à bonbon256 ».
L'adéquation mercantile de ces motifs permet à Diaz de connaitre
l'attraction qu'ils suscitent, et d'acquérir une science empirique de la
valeur pulsionnelle de ses sujets.
Section 3. Entre définition de l'action
artistique et de l'action occulte au XIXe siècle
L'imagination de Diaz à l'oeuvre dans sa
démarche projective, la façon dont le désir est
mêlé à l'oeuvre inextricablement à la fois dans le
sujet et dans la manière, donne à l'oeuvre de Diaz une
cohérence habile. Si jusqu'ici nous avons considéré la
« magie » de Diaz comme l'évocation féérique de
son oeuvre, l'habileté financière et la séduction qu'il
peut faire du public, notre sujet nous pousse à creuser ici la
sémantique du mot « magie » pour en déterminer notre
interprétation.
Si on s'en réfère aux travaux de Marcel Mauss,
l'étymologie du mot magie dans plusieurs langues est tirée du mot
faire257. Un mot qui désignerait la création,
à la fois dans son processus et ses effets. C'est en effet à peu
près la façon dont l'emploie Diderot dans son Essai sur la
peinture258. Une occurrence à propos de La chaste
Suzanne de Carl van Loo traduit aussi l'idée d'une interaction,
d'un mouvement créatif dans lequel s'opère un équilibre
harmonieux :
252 Zaïte-Nathalie Martel, actrice à la
Comédie Française, dite Mademoiselle Nathalie.
253 Goncourt, Jules et Edmond, Journal des Goncourt :
mémoires de la vie littéraire, texte intégral,
établi et annoté par Robert Ricatte, Monaco, les Éditions
de l'Imprimerie nationale de Monaco, 1956-1958, p. 88-89.
254 Après la mort de l'artiste Paul Mantz exprimera
encore ces regrets. Mantz, Paul, « Diaz », Le Musée Universel,
1877, p. 150.
255 Sartorius, Ferdinand, « Gravure du numéro »,
L'Artiste, p. 160.
256 Mantz, Paul, « Diaz », op. cit., p.
151.
257 Mauss , Marcel, « Esquisse d'une théorie
générale de la magie », Sociologie et
anthropologie, Paris, PUF, 2009, p. 11.
258 Le terme revient plusieurs fois pour caractériser
l'effet de la lumière et des couleurs dans la composition, notamment
lorsqu'il parle de Chardin et Fragonard.
66
« Ce linge blanc qui est étendu sur les cuisses,
reflète admirablement sur les chairs ; c'est une masse de l'air qui n'en
détruit point l'effet : magie difficile, qui montre et l'habileté
du maître, et la vigueur de
son coloris259. »
Tout comme le philosophe amateur d'art s'approchait de La
Raie dépouillée envoyé par Chardin au Salon de 1763,
et ne voyait que tohu-bohu, puis s'en éloignait et constatait la magie
du colorisme et de l'oeil, faisant apparaitre le signifié à une
certaine distance de la toile : « On n'entend rien à cette magie.
(...) Approchez-vous, tout se brouille, s'aplatit et disparait ;
éloignez-vous, tout se recrée et se
reproduit260», un critique de L'Indépendant
réactualise l'éloge pour Les Bohémiens se rendant
à une fête et L'Orientale du Salon de 1844 :
« Nous dirons seulement au peintre : "Votre tableau tient
de la magie. Si nous nous approchons de vos toiles, nous n'y voyons rien que
désordre et confusion, masses presqu'informes, contours à peine
accusés. Si nous nous en éloignons, la vie naît du chaos,
la lumière resplendissante sort des ténèbres, la couleur
brille, étincelle". 261»
La magie de Diaz c'est donc aussi le faire de Diaz,
équivalent sémantique que la langue française emploie.
Le faire de Diaz, mu par un principe de plaisir, charme les
sens par son évocation de l'Eros, qu'il se plait à
représenter comme une force primordiale de la nature. Salvator Rosa,
dont le peintre a pu tirer certaines leçons, exhorte l'artiste dans
Invidia (1654), à rechercher les secrets de la nature comme le
magicien262. L'association entre l'art occulte et les beaux-arts est
en effet ancienne, on la croise à la cour des Medici, où
l'astrologue et l'alchimiste sont des figures de l'artiste263.
À la fois manière et sujet, pierre angulaire de l'oeuvre du
peintre, l'Eros dans le néo-platonisme de Marsile Ficin, directeur de
l'Académie platonicienne de Florence fondée par Cosme de
Médicis, et médecin de ce dernier, un synonyme de la magie, qui
est l'art « de rapprocher les choses par similitude
naturelle264 ». Ainsi, Diaz, lecteur d'Ovide et admirateur de
l'univers païen décrit par Corrège et l'École de
Fontainebleau dont il partage la forêt, partage au moins avec Ficin
l'importance accordée à l'Eros. Peut-être s'était-il
intéressé à l'univers ésotérique de Diane de
Poitiers et Catherine de Médicis, en même temps qu'il construisait
son univers pictural et familial autour du mode de vie
259 Diderot, Denis, Essai sur la peinture, Paris,
Buisson, 1795, p. 139.
260 Diderot, Denis, Salon de 1763, dans Salons,
Paris, Hermann, 1984, p. 219.
261 H. L. S., « Salon de 1844. Huitième article
», L'indépendant, 28 avril 1844, p. 1.
262 Hults, Linda C., The Wicth as Muse, art gender and
power in early modern Europe, Philadelphie, University of Pennsylvania
Press, 2005.
263 Bricault Céline, « Préface. Savoirs et
croyances au XIXe siècle : entre magie et magies »,
Bernard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline (dir.), op. cit.,
p. 15.
264 Couliano, I. P., op. cit., p. 125. Voir son chapitre
« Eros et Magie », p. 125-149.
67
renaissant. Chez Diaz, quoi qu'il en soit, il se pourrait que
la force aimante ait à voir avec une approche du divin, ce qui
correspondrait au moins intuitivement avec la mystique de Ficin.
La Magicienne ou la sorcière charmeuse de la
Scène d'Incantation tirent leur force de la même source
que Diaz, elles puisent dans l'érotisme une force suggestive. Au fait du
pouvoir du désir dans et sur la psyché, dont les deux tableaux ne
sont que des allégories fantastiques, le « magicien de la couleur
» ne suscite peut-être pas ce nom si insistant par pure licence
poétique. Il ne s'agit pas d'attribuer nécessairement à
Diaz une affinité avec l'ésotérisme, mais d'apporter ici
des éléments de compréhension des liens entre art et
ésotérisme, pour expliquer l'insistance de l'idée d'une
« magie » de Diaz.
Chez Machiavel, cette même force est décrite
à l'usage de l'aspirant au pouvoir, pour manipuler les masses.
L'enthousiasme du public que suscite Diaz, assez important pour que les
défenseurs de la tradition voient en lui un dangereux corrupteur,
éclaire un peu mieux pourquoi la séduction opérée
par Diaz fait de lui un « magicien ». Ce n'est pas seulement une
féérie plaisante que produit l'artiste, mais une
féérie hypnotisante, comparable à ce que dit Isabelle
Michelot des procédés manipulatoires usités dans les
spectacles de féérie :
« du point de vue des producteurs de spectacle, l'enjeu
est nettement manipulatoire. Il ne s'agit plus de créer du beau et du
sens, mais d'engourdir l'oeil et l'esprit par l'Effet de sorte qu'il devienne
presque impossible au spectateur d'exercer un jugement. (...) la pensée
du spectacle n'est plus conditionnée par le dit mais par ce qui marche
ou ne marche pas avec le public. Les frères Moynet évoquent
d'ailleurs ces "trucs" qui assurent le succès et que l'on
réemploie en les adaptant d'un spectacle à l'autre, sur de
l'effet que l'on produit265. »
Diaz procède en partie de la même façon,
en tenant compte des sujets admirés par le public, comme de « trucs
» à réutiliser. La Magicienne est ainsi une
variation sur le thème fantastique du Maléfice
exposé deux ans plus tôt. Sa peinture qui insiste sur la
représentation-même du charme, peut être comprise comme une
interprétation de Diaz des codes culturels : pour lui ils sont outils,
et créent un charme qui n'existe pas indépendamment de leur
connaissance par un public. Les orientales, les bohémiennes, les nymphes
et les amours, ainsi que la famille de l'artiste, sont autant de sujets connus
de la culture occidentale, de poncifs dont il fait son propre vocabulaire. En
maniant les codes culturels, il fait montre d'une culture et surtout use de
formes qui peuvent parler au public. La valeur symbolique des motifs s'ajoute
au faire de l'artiste, et dans La Magicienne le thème de la
jeune fille
265 Michelot, Isabelle, op. cit., p. 256.
68
s'associe à l'idée d'une insouciance
délivrée des contraintes de la sociabilité adulte moderne,
et stimule l'achat.
Les intuitions psychologiques de Ficin, Bruno et Machiavel
ayant traversé l'histoire depuis l'orphisme sont poussées par
Eliphas Levi au milieu du XIXe siècle, dont l'oeuvre est
« placée sous le signe de l'Eros » selon le mot de
Céline Bricault266. Levi est un contemporain de Diaz
également proche de la bohème artistique de 1830 dans ses jeunes
années. Il est en effet ami d'Alphonse Esquiros, lui-même ami de
Gautier et coauteur du Fruit Défendu, conte
évoqué au sujet de la Mare aux Fées. Levi, comme
Allan Kardec267 dans Le livre des esprits, adopte une
démarche rationaliste, et propose le premier d'expliquer les
phénomènes occultes qu'il a observé comme des
phénomènes psychologiques. L'axiome occulte « tout ce qui
est en haut est comme tout ce qui est en bas », lui permet de valider du
point de vue ésotérique ce que la démarche rationaliste
s'applique à décrire d'un fonctionnement intrapsychique. C'est
d'ailleurs la même idée qui filtre dans l'oeuvre de Diaz lorsque
le mythe (d'« en haut ») devient équivalent à
l'anecdote (« en bas »). Eliphas Levi décrit une
évocation d'Apollonius de Thyanes comme « le rêve volontaire
d'un homme éveillé268 », autrement dit une
hallucination désirée, maîtrisée. Les exercices
projectifs d'imagination d'un sujet pratiqués par Diaz en forêt
pourraient donc, selon les définitions de Levi, être du ressort de
la magie, qu'il faut entendre dans ce cas non pas comme une pratique
chimérique qui excèderait la réalité physique, mais
une pratique fondée dur l'introspection psychologique.
Pour l'occultiste « (...) L'intelligence et la
volonté ont pour auxiliaire et pour instrument une faculté trop
peu connue et dont la toute-puissance appartient exclusivement au domaine de la
magie : je veux parler de l'imagination (...). L'imagination, en effet, est
(...) l'appareil de la vie magique (...) parce que c'est elle qui exalte la
volonté et qui lui donne prise sur l'agent universel269.
» Autrement dit, la magie est manipulation par un individu de sa propre
imagination, avant de s'exercer sur celle des autres.
La comparaison avec un magicien, si elle est facilitée
par la teneur de l'art, est donc d'autant plus évidente pour un artiste
qui travaille avec la projection, l'imaginaire ; elle sera aussi
affirmée avec force plus tard au sujet de Jackson Pollock, un autre
explorateur de la matière picturale. Deschanel
266 Céline Bricault, op. cit., p. 14.
267 Ibidem.
268 Eliphas Levi, Dogme et Rituel de Haute Magie
(1855), vol. 1, Paris, Chacornac frères, 1930, p. 273.
269 Idem., p. 117.
69
décrit un Diaz qui a « saisi au vol ces reflets
ondoyants (...) comme on voit aux batailles de Salvator Rosa, les combattants
(...) paraître et disparaître tour à tour - Magie !
prestige270 ! ».
L'imagination de Diaz est saluée par l'ensemble des
commentateurs, et lui-même se targue d'en tirer sa plus grande force.
Dans son inépuisable véhémence à l'encontre de
Ingres, il dit à Théophile Silvestre : « Qu'on enferme M.
Ingres avec moi dans une tour, sans gravures ; il y restera avec sa
toile vierge, et j'en sortirai, moi, avec un tableau271. »
Le pouvoir que les romantiques ont conféré
à l'imagination, qu'illustre la féérie comme genre de
théâtre272, est prérogative de l'artiste
prophète, et n'est pas éloigné du pouvoir du mage. On
trouve qui plus est l'identification du magicien à l'écrivain
chez Vigny, Lamartine, Pétrus Borel, Aloysius Bertrand273,
pour qui l'artiste doit chercher un modèle à transmettre à
l`Humanité. Narcisse Diaz suit peut-être plus
particulièrement les conseils de Friedrich : « Ferme l'oeil de ton
corps afin de voir ton tableau d'abord par l'oeil de l'esprit. Puis, mets au
jour ce que tu as vu dans l'obscurité, afin que ta vision agisse sur
d'autres, de l'extérieur vers l'intérieur274.
»
Chapitre 3. La figure du magicien
Si la Magicienne relaye une sensibilité
artistique portée sur le pouvoir du charme féminin, et installe
dans l'oeuvre l'autre figure de la fée charmeuse et capable
d'infléchir la volonté des mortels sans en être les
marraines protectrices, elle est aussi le versant féminin du «
magicien » qui nous renvoie directement au personnage artistique de Diaz.
Le mot magicien n'intervient que sous la plume des critiques et historiens de
l'art au sujet de Diaz et jamais dans les titres que ce dernier donne à
ses sujets, ni dans les personnages de ses tableaux à l'exception
peut-être des deux sorciers dans les premières versions des
Maléfices (nous y reviendrons), dans les sujets tirés de
Faust, et dans une estampe non imprimée et non datée
intitulée l'Astrologue (repr. 27).
Cette dernière estampe, gravée par Louis Marvy,
considéré comme le meilleur graveur de Diaz, confirme
l'intérêt du peintre pour le personnage du savant versé
dans la science occulte. Déjà en choisissant de peindre le couple
Frollo/Esméralda lors de la tentative de viol du premier sur la
270 Deschanel, Émile, op. cit., p. 255.
271 Diaz, rapporté par Théophile Silvestre, op.
cit., p. 147 ; cité par Billy, André, Les beaux jours de
Barbizon, préf. Christian
de Bartillat, Etrépilly, Les Presses du Village, 2002, p.
72.
272 Martin, Roxane, « la féérie
théâtrale au XIXe siècle : de la magie «
mise en scène » à la magie de l'écriture »,
Bernard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline (dir.), op. cit.,
p. 266.
273 Bricault, Céline, op. cit., p. 15.
274 Friedrich, Caspar David, cité par Max Ernst dans
Gille Vincent, « Paysages imaginaires : le rêve de la nature »,
dans Gille Vincent (dir.), cat. exp. Trajectoires du rêve, du romantisme
au surréalisme, Paris, Pavillon des arts 7 mars - 7 juin 2003, Paris,
Paris musées, 2003, p. 61.
70
deuxième dans une oeuvre de jeunesse conservée
au musée Fabre de Montpellier, puis dans ses différents sujets
mettant en scène Faust. Claude Frollo et le Dr Faust sont tous deux
férus d'alchimie, quoiqu'ils soient tous les deux rentrés
initialement dans des carrières éloignées de la magie : la
religion pour l'un et la science pour l'autre. C'est au croisement des deux que
se trouve Diaz également, en tant qu'artiste, à l'époque
où l'art tente d'être compris à l'aune du raisonnement
scientifique, exaltant les sentiments à la manière de la foi,
sans jamais s'asservir ni à la Raison, ni au Dogme.
Section 1. Diaz et l'identification à Faust
Une série de sujets tirés de la légende
de Faust en 1865 attire notre attention. Diaz imite Delacroix, dont il
achète un sujet tiré de Faust275, et suit un
engouement général pour l'oeuvre de Goethe, mais il semble
investir particulièrement le thème. Faust est une « figure
légendaire de savant et de magicien, issu d'une synthèse entre un
certain Dr Jorge ou Johannes Faust de Souabe (v. 1480-v. 1539) et des mages ou
alchimistes comme Albert le Grand ou Simon Magus276. » Avant de
devenir philosophe dans ses adaptations littéraires, ce personnage
aurait été plutôt charlatan. Christophe Marlowe, dans
The Tragical History of Doctor Faustus (1589-1592)277,
Goethe avec ses deux versions de Faust en 1808 et 1833, introduites
par Gerard de Nerval dans une édition française de
1840278, puis Gounod dans un opéra de 1859 ont chacun
à leur tour interprété le thème. L'opéra de
Gounod met l'accent sur l'amour de Faust pour Marguerite, donnant au savant une
raison passionnelle à sa pactisation et à son renoncement au
Ciel. En cela, cette version rejoint le motif de la passion de Claude Frollo
pour Esmeralda, autre sujet de Diaz.
Diaz a fait son autoportrait en Faust, et investit le
thème dans plusieurs tableaux et de façon
répétée au cours de sa carrière là où
d'ordinaire il ne traite que brièvement des sujets littéraires.
Le sujet est traité à travers cinq toiles à ses tout
débuts, gravées par Tony Johannot, dont trois nous sont parvenues
; par exemple Dans les coulisses du théâtre,
effectué pour Desforges (repr. 29). Il réitère le
thème en étant cette fois le modèle. Entre temps il est
devenu ce « magicien » aux yeux de la critique. C'est au moment
où sa femme se meurt, et qu'après s'être enivré de
biens matériels il doit faire face à ses créanciers, et
à la perte d'intérêt de la critique, qu'il
réitère une série de Faust et Marguerite. Faust, dont la
talent est factice, vendait son âme au Diable pour Marguerite ; la
série mise en relation avec le contexte familial donne le sentiment d'un
parallèle fait par l'artiste. Celui-ci
275 Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du
décès, op. cit.
276 Catherine Rager, « Faust », Dictionnaire des
fées et du peuple invisible dans l'occident païen, Turnhout,
Brepols, 2003, p. 307.
277 La légende de Faust, qui met en scène la
force inquiétante de la nature, et s'illustre pour Couliano dans la
sensibilité renaissante. Couliano, I. P., op. cit., p.
282-293.
278 Voir à ce sujet Benichou, Paul, Le sacre de
l'écrivain, op. cit., p. 245-253.
71
peint au même moment un Don Quichotte, enfermé
dans un monde chimérique, qui comme Faust nourrissait des ambitions
au-delà de sa portée. Le peintre en voyant s'écrouler un
édifice construit dans le bonheur, a pu avoir le sentiment de le voir
s'évanouir comme un rêve ou un artifice.
Lors de la vente du 11 mai 1865, composée de dessins
à l'essence, les quatre premiers numéros sont consacrés
à des sujets tirés de Faust, exclusivement axés sur le
couple Faust/Marguerite. On y trouve dans l'ordre
Méphistophélès montrant Marguerite à Faust
(285 F), Marguerite effeuillant une fleur (parfois
précisé, une marguerite) (420 F), Faust et Marguerite
(525 F) (repr. 28) et Marguerite sortant de l`Église (320
F). Faust et Marguerite est un double portrait de Diaz et sa femme
Marie, peut-être peint pour l'occasion. Soit le tableau venait, comme le
premier, d'une collection de sujets faustiens que Diaz gardait chez lui et ne
mettait pas en vente, dont il espérait en temps de crise tirer un bon
prix. Dans ce cas, le double portrait nous permet déjà
d'interroger une identification de Diaz pour Faust, au-delà du simple
intérêt que l'artiste porte pour le personnage littéraire.
Cela pourrait s'interpréter comme une déclaration à sa
femme, d'un amour qui le ferait renoncer au Ciel, doublé du luxe de se
voir portraiturer à la manière des privilèges de nobles.
Soit, la pochade est réalisée pour la vente, auquel cas une
interprétation plus précise s'offre pour caractériser
l'identification à Faust : Diaz aux prises avec ses créanciers
avoue ne pas avoir un succès assuré, un prestige à la
hauteur du faire des grands maîtres, lui qui esquisse, qui jouit d'une
facilité à séduire le public. Il avoue dans un dessin
esquissé être pareil à Faust, prêt à tout pour
amasser les richesses qui combleront sa femme, et enchanteront la vie de ses
enfants, par amour prêt à user de l'artifice, de la ruse, d'un
calcul stratégique. Le Diaz que nous décrivent ses amis et
contemporains, est de nature à douter de son talent. Peut-être
a-t-il eu l'intuition le premier de la valeur marchande et intrinsèque
au marché de l'oeuvre d'art, au moment où s'essoufflaient les
batailles romantiques ?
L'étonnement de trouver une telle pratique mercantile
au milieu du XIXe siècle a déjà poussé
Lhinares à le comparer à Damien Hirst. Cependant le peintre
était sans doute étonné lui-même de repousser
à un point jusqu'alors inconnu les potentialités de l'empirisme
du goût. Léopold Robert pratique dans la scène de genre,
avant Diaz, une tactique que Pascal Griener décrit comme une «
ambigüité », permettant de s'adresser au plus large public
possible. Robert cherchait à « créer un objet de
consommation optique adapté à son investissement
initial279 », puis pratiquait comme le fait Diaz ce que
l'auteur nomme « leitmotiv », « sérialisation
différentielle », et « permutation », permettant de faire
varier un thème une fois son succès vérifié. La
pratique mercantile de Diaz pose indubitablement un cas de conscience à
double tranchant pour l'artiste et pour ses accointances : la « noblesse
» de l'artiste fixée par Vasari inclut une belle prestance, des
qualités morales, une énergie
279 Griener, Pascal, « Pour une analyse économique
du genre au 19e siècle. Le cas de Léopold Robert
», dans Elsig, Fréderic, Darbellay, Laurent, et Kiss, Imola,
Les genres picturaux, Genèse, métamorphoses et
transpositions, Paris, Métis Press, 2010, p. 161.
72
créatrice, une instruction étendue, l'aisance en
société et une absence d'activité
mercantile280. Si l'évolution du contexte artistique depuis
le XVIIe siècle a assoupli cette assertion de principe, elle
est reprise sur le dernier point par la bohême romantique, dont la
vocation artistique doit se traduire par l'ascèse281. D'un
côté Diaz défie l'idéalité de l'artiste
« classique » en bien des points, et par son succès triomphe
d'une conception traditionnelle de l'art, mais d'un autre il nie l'idée
de pouvoir reconnaitre la vocation de l'artiste par son habitus. À
côté de ses ventes aux enchères, dans une tension
paradoxale, Diaz expose exclusivement au boulevard des Italiens dans la salle
d'exposition de Louis Martinet qu'Astruc nomme le « Salon intime »,
un « projet en décalage avec le monde de plus en plus
industrialisé et médiatisé282 ». De
même, la fuite dans l'imaginaire et l'anachronisme,
Fort d'une connaissance empirique de la psychologie de ses
clients, capable de repousser les limites des convenances artistiques en
faisant aimer la lumière de ses tableaux, Diaz peut se comparer à
Faust, qui avait trouvé son maître en Lucifer, « porteur de
lumière », de connaissance283. Cette lumière
porteuse de renommée mondaine et de faste pourrait menacer la
fraternité simple de l'Arcadie barbizonienne, comme Faust dût
renoncer au Paradis.
Section 2. L'art désacralisé, l'art
réinvesti d'une puissance pragmatique
Comme un prêtre qui renoncerait à
l'idéalité du paradis, comme un savant renonçant à
la supériorité de la science, confronté aux limites
perceptives, Diaz n'est pas un artiste d'idéal. Ses allégories
floues nous montrent leur pouvoir diffus, incontestable et
vérifié par la vente elle-même : le pouvoir de La
Magicienne, d'Eros, le même charme de Vénus, et des nymphes.
Mais Diaz ne mène aucune bataille qui vise des dimensions historiques,
sauf pour les Dernières larmes, sujet mystique. L'art est un
moyen, l'art est un savoir-faire. Il n'a pas un absolu extérieur
à lui-même qui révèlerait autre chose que le pouvoir
pragmatique de l'imaginaire. Les allégories floues, sans dessin, que
déplore Baudelaire en premier ne sont pas supports de croyance, mais
sont décrites comme des forces dont la forme est incertaine. Il n'y a
pas de concept que Diaz puisse dessiner sous une forme, et qu'il puisse penser
indépendante du vouloir à l'oeuvre chez qui évoque cette
force ; ainsi elles sont rendues à l'état de taches. Les mythes
se meurent dans la peinture de Diaz, prolongeant d'une certaine façon
les mots de Runge. L'allégorie traitée de façon analogue
à La Magicienne, présente une figurine que seul peut
mettre en action l'imagination du spectateur. La projection rapide du peintre
ramène à l'espace plan,
280 Duby, Georges et Laclotte, Michel (dir.), Joëlle
Cornette et Alain Mérot, op. cit., p. 194.
281 Heinich, Nathalie, op. cit.
282 Poggi, Jérôme, « Les galeries du
boulevard des Italiens, antichambre de la modernité », 48/14,
La revue du Musée d'Orsay, automne 2008, n°27, p ?
283 Biedermann Hans, « Diable »,
Encyclopédie des Symboles, Paris, Le Livre de Poche, 1996, p.
193-195. Voir aussi dans le même ouvrage à l'article « Tarot
», le Bateleur, « créateur des mondes qui ne sont pourtant
qu'illusions et qui appellent de ce fait au processus de la vraie connaissance
», p. 662-665.
73
et donne à voir la manière du peintre, sa propre
faculté à manipuler le sens donné à des touches de
peinture et en faire émerger un signifiant.
C'est ainsi que Diaz comme Frollo et Faust renonce à la
cause idéale de sa vocation. Il n'est pas l'artiste prophète, le
succès dont il jouit est stratégique, mercantile, contextuel.
L'étiquette de magicien peut s'entendre sous la plume de certains
commentateurs qui soulignent la façon dont Diaz tire son succès
de sa seule habileté, décriant un manque patent d'idéal.
Cela expliquerait à la lecture de Mauss la persistance de
l'étiquette de « magicien » après que Diaz ait
fatigué son public, car « les mauvais prêtres, tout
particulièrement ceux qui violent leur voeu de chasteté, sont
naturellement exposés à cette accusation de magie284
».
Mais aussi à la façon dont Diaz comprend et
semble se jouer des codes culturels. Le peu de solidité des formes, le
dessin noyé sous la couleur peut être analysé sous cet
éclairage. Comprenant à quoi tient la valeur symbolique de l'art,
non pas seulement sa valeur marchande, mais aussi sa valeur esthétique,
le peintre sait qu'elle « ne tient pas » à la rigueur de
l'idée, la valeur intellectuelle ou plastique du faire. La valeur tient
à l'usage de codes, qui permettent de reconnaitre la Magicienne
même si elle tient aussi peu debout qu'une poupée de «
chiffon »285. Elle-même met en abîme cette science
de l'imaginaire, l'art de charmer. Claude-Roger Marx dans un très court
article du Figaro Littéraire à l'occasion de la seule
exposition du XXe siècle consacrée à Diaz,
organisée par le pavillon des Arts en 1968, fait allusion à la
« déception » qu'aurait rencontré Pierre Miquel dans
les recherches qu'il avait déjà commencées pour faire le
catalogue qui paraitra après sa mort, « en constatant combien chez
ce bohême généreux, véhément et versatile,
l'habileté manuelle prévaut sur la conception286
». La production de l'artiste pousse effectivement à regarder son
art comme une science de l'habileté et une conception de l'art qui
découle en premier lieu d'une désacralisation de
l'idéalité picturale. En en sens, ses toiles qui attirent
l'attention sur l'artifice de la peinture peut correspondre à
l'idée d'un réalisme devant « montrer la
médiocrité dans toute sa nudité », comme
l'écrivait Champfleury287 à Sand.
Cependant cette tendance n'est pas propre à Diaz, elle
est accusée par lui d'une façon singulière. Le mythe de
Faust occupe le romantisme allemand, Goethe, de la même façon que
Philippe Otto Runge décrit que « les allégories
périssent, tout est plus lumineux et plus immatériel
qu'auparavant, tout porte vers l'art du paysage, tout est en quête d'une
certitude au milieu de l'incertitude et ne sait
284 Mauss, Marcel, « Esquisse d'une théorie
générale de la magie », Sociologie et
anthropologie, Paris, PUF, 2009, p. 22.
285 L'image est encore de Baudelaire, « Salon de 1846
», op. cit., p. 186.
286 Marx, Claude-Roger, « Narcisse Diaz de la Pena »,
Le Figaro Littéraire, 14-29 juin 1968, p.1.
287 L.A.S. de Champfleury à George Sand. Salins, 23
août 1856, cité par Bonnenfant Luc, « « Retournons aux
bois... », Chroniques annoncées de la mort et de la renaissance de
la poésie », Romantisme, n°158, 4e
trimestre 2012, p. 122-132.
74
comment commencer288. » Diaz partage avec
Couture l'usage d'une matière qui attire l'oeil vers la surface peinte.
Boime fait de ce dernier un héraut de l'impressionnisme, et situe
Gauguin et Jackson Pollock dans sa filiation289. Mais la citation de
Runge nous incite à voir un sentiment chaque fois renouvelé par
le même contexte qui s'implante à l'époque du poète
allemand, et qui retentit sur l'art en poussant les artistes à toujours
mieux accuser cette immatérialité, et ces incertitudes. Pour
Baudelaire, Diaz est impressionnant et reflète très bien la
façon dont l'évolution technique croissante excède toute
possibilité de circonscrire une idée, d'établir un
état pérenne aux formes. Ses figures ont des membres «
dispersés par l'explosion d'une locomotive290 ».
À l'auberge de Ganne à Barbizon, le jeune Diaz
et ses compagnons logent en échange de décorations. Ils peignent
les portes et accrochent certaines de leurs toiles. Diaz agrémente de
fleurs et de femmes sur des balançoires des médaillons où
des paysages barbizoniens sont peints. Loin de l'Académie, il
ébauche des paysages et forge aussi son habitude de la peinture
décorative.
Il faut attribuer cette désacralisation au
marché de l'art, qui dès la fin du siècle impose
l'idée de la mort de la peinture :
« Proposez donc au plus dilettante de nos
marchands-experts un Diaz splendide, le plus beau de tous les Diaz, enfin un
Diaz tel que Vernon savait les faire quand il était flagellé par
son génie n°5 (...), il vous en offrira le prix du cadre. « Me
prenez-vous donc pour un musée, s'écriera l'expert, ou, qui pis
est, pour un Salon ? Je suis marchand de tableaux, je ne vends pas de peinture
! » (...) Huitième chambre, ma mie, vous fûtes plus difficile
que les amateurs et plus experte que les experts, et vous crûtes à
la peinture. La peinture n'existe pas. Ce qu'on appelle peinture n'est qu'une
association de la calligraphie avec l'ameublement. On parafe un carré de
toile et on le borde de moulures d'or. Le reste n'est que
jus et trouille 291»
Diaz qui appelait lui-même ses tableaux
préparatoires des « tartouillades », met l'art dans la
manière et le geste, dans la vie, dont la tableau est la trace. En 1853,
L'Illustration diffuse une image de lui au chevalet, où une
petite assemblée est venue observer la peinture en train de se faire.
Lorsque Claretie dit en 1871 que « tout ce bonheur ressemble à du
hasard292 », il met le doigt sur l'aspect performatif de sa
peinture. La magie de Diaz qui a réellement opéré son
charme sur les contemporains est inextricablement lié au happening
permanent que constituait son activité artistique dans son
ensemble, alors particulièrement extravagante. Lorsqu'il ne fait pas un
esclandre
288 Philippe Otto Runge, cité par Rosen, Charles et
Zerner, Henri, op. cit.p. 56.
289 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p.
139.
290 Baudelaire, Charles, « Salon de 1846 », op.
cit., p. 185.
291 Bergerat, Émile, Figarismes de Caliban,
Paris, A. Lemerre, 1888, p. 244.
292 Claretie, Jules cité par Miquel, Pierre et Rolande,
op. cit. p.162.
75
pour Rousseau, qu'on ne fume pas sur sa pipe rituelle à
Ganne, et qu'il ne met pas d'esquisses aux enchères pour sauver les
meubles de son hôtel particulier, Diaz à son atelier reçoit
des curieux qui scrutent à la lunette optique la « magie »
en train de se faire, comme l'atteste la gravure de son atelier parue
en 1853. C'est ce qui explique le mieux la façon dont l'importance de
Diaz a été oubliée, au moment où mouraient ceux qui
avaient connu l'agitation artistique autour de son personnage. Comme le dit
Baudelaire lorsqu'il attaque l'absence du « dessin du mouvement »
pour structurer les figures, « ses tableaux ne laissent aucun
souvenir293 », car, comme dans la Magicienne, la
technique de la couleur dont il use attire l'attention sur le geste artistique
plus que sur le sujet. De même la division des touches fige la narration
dans l'instant, tout comme la carrière de Diaz à une dimension
événementielle294, et incertaine.
Section 3. L'artiste, le marginal et le magicien
Marcel Mauss dans son essai sur la magie consacre un chapitre
au magicien, dont les « vertus magiques » sont données par
« l'attitude prise par la société à l'égard de
tout leur genre ». Ce genre qu'il tente de circonscrire en tant qu'«
espèce de classe sociale », est composé de marginaux,
distingués par des « phénomènes nerveux, signes de
dons spirituels », tels qu'une manière brusque, par des dons
poétiques, des « particularités ou une
dextérité extraordinaire », une encore une infirmité
qui peut être suffisante295.
Diaz est à coup sûr décrit comme un
personnage fabuleux dans les descriptions bigarrées que font certains
commentateurs contaminés par une fièvre baroque. Lui-même,
faisant construire une maison médiévisante et imprimant son
papier à entêtes de ses initiales comme un sceau, ne laisse pas de
doute sur sa volonté de mener la vie d'un marginal anachronique. «
Magicien » au sens figuré, la description du personnage en fait un
esprit marginal trouvant son génie dans une fuite extrême de son
imagination propre, faisant de lui comme Nodier un demi-fou296.
Zacaherie Astruc déplore qu'il manque un peu de rigueur à Diaz
pour être en pleine possession de son imagination, ce qui lui fait dire
« C'est un grand magicien de moins. Quel gaspillage
d'enchantements297 ! ». « Dans ses tableaux les plus
applaudis (...) il y avait des lacunes, des imperfections qui montraient que le
magicien n'était qu'un écolier298 ». Cependant si
son esthétique trouve des détracteurs qui ne peuvent voir en lui
le magicien que
293 Baudelaire, Charles, op. cit., p. 186.
294 Caractérisant un mouvement général de
l'histoire, Diaz accuserait cette transformation de plein fouet. Hofmann,
Werner, Une époque en rupture 1750-1830, Paris, Gallimard,
1995, p. 672.
295 Mauss, Marcel, op. cit., p. 19-20.
296 Sur la folie de Charles Nodier voir Bénichou,
op. cit., p. 59 ; et Lund, Hans Peter, « Deux Bohémiens ou
l'art de la folie chez Nodier et Nerval », Romantisme, n°24,
1979, p. 108.
297 Zacharie Astruc, « Diaz », op. cit., p.
72.
298 Mantz, Paul, op. cit., p. 151.
76
d'autres voient, le don de l'habileté à produire
de la richesse, fait de lui un Bateleur, figure fixée dans le tarot de
Marseille connu chez les anglo-saxons sous le nom du Magicien
(Magician)299. Son intuition des goûts et de la
corrélation avec ses propres ressorts, lui permet de s'imposer, lui, son
histoire et son oeuvre, et de s'insérer très finement dans un
contexte plus global pour finalement tirer un succès à partir
d'un travail certes acharné mais plaisant, très adapté
à ses propres penchants, et « facile ». Du point de vue du
marché, comme nous avons pu abondement l'évoquer, Diaz a une
certaine fibre ; mais il a aussi de l'inventivité et peu de scrupules
face à la légalité. Ce point nous intéresse pour
être mis en perspective avec la figure du magicien, passant outre les
cadres connus. Une anecdote : Diaz une fois, connait un marchand peu
complaisant avec sa philosophie, avec un sens du commerce bien plus agressif.
Encore un détail qui ferait de la vie de Diaz un véritable conte,
ce marchand se nomme Couteaux300, et lui interdit de faire la
moindre vente de ses oeuvres avant d'avoir remboursé ses dettes et
produit exclusivement pour lui. Il cherche à contourner cette
interdiction en proposant à Alfred Sensier de vendre ses oeuvres comme
si elles étaient dans sa collection, ou encore organise des ventes sous
un prête-nom.
Mauss décrit encore que le magicien « tombe dans
des extases, parfois réelles, en général volontairement
provoquées. Il se croit alors, souvent, et parait toujours,
transporté hors de l'humanité301. »
Dans une histoire onirique, Charles Monselet fait discourir un
certain M. de Cupidon au sujet de la « généalogie de Diaz
», apparaissant plutôt comme la description de ses vies
passées jusqu'à sa forme contemporaine. Il énumère
d'abord : « UN RAYON DE SOLEIL. / UNE VAGUE DE LA MER. / UN HOMARD. / UNE
TULIPE. / LE DIAMANT LE REGENT302. » Sans autre explication,
ces merveilles plus ou moins prestigieuses de la nature sont de des motifs qui
font écho à la peinture de l'artiste et caractérisent la
source de son inspiration poétique, comme si Diaz avait tiré son
vocabulaire plastique de vies antérieures. Le soleil d'une couleur
lumineuse, la fleur, le diamant (aujourd'hui classé au Louvre parmi les
oeuvres rococo). De Cupidon poursuit (in extenso dans annexe 12) :
« (...) l'âme de Diaz fut trempée aux
sources les plus brillantes et plus vives de la nature ; il fut OISEAU DE
PARADIS (...) GOUTTE DE ROSEE (...) BOHEMIEN (...) et s'en alla dans un coin
allemand mourir de jalousie et d'un coup de poignard. Je le retrouve
BOSTANGI303 dans les jardins de Sa Hautesse. (...) Il vit parmi les
fleurs de la plus ardente beauté et à quelques pas des femmes du
sultan, mais il n'aime que les fleurs.
299 Voir Biedermann, Hans, Encyclopédie des
Symboles, Paris, Le Livre de Poche, 1996. « Tarot », le
Bateleur, « créateur des mondes qui ne sont pourtant qu'illusions
et qui appellent de ce fait au processus de la vraie connaissance. », p.
662-665.
300 Théodore Rousseau aura lui aussi des
démêlées avec ce marchand. Voir Miquel, Pierre et Rolande,
Théodore Rousseau, Somogy, 2010, p. 130-138.
301 Mauss, Marcel, op. cit., p. 19.
302 Diamant découvert en 1698 à Golconde (Inde),
taillé en Angleterre et acquis par Philippe d'Orléans en 1717.
Conservé au Louvre depuis 1887 (inv. MV 1017), il est toujours
considéré comme le plus beau diamant au monde.
303 Gardien des jardins du sérail.
77
C'est un homme heureux ; ce n'est pas même un
philosophe. Il sait qu'il figure bien dans le paysage, et il s'estime
heureux de voir son ombre se profiler sur le sable brûlant des
allées. Le bostangi devient un riche PATRICIEN DE VENISE, un homme du
livre d'or. Il a des robes de brocart et des palais regorgeant de
chefs-d'oeuvre. Il pourrait s'aveugler dans ses tonnes de sequins et dans les
yeux réunis de ses maîtresses. (...) C'est un des
Foscari304. (...) Le noble vénitien de tout à l'heure
s'est transformé en lord spirituel et joyeux. Il s'appelle
ROCHESTER305. Aujourd'hui, il s'appelle Narcisse Diaz.306
»
Le même auteur, pour commenter l'évolution de la
langue à son époque, prend comme exemple la phrase « Cet
enchanteur fier et lumineux, qu'on appelle Diaz307. » Ses mots
serviront d'oraison funèbre, où il explique qu'il
s'intéressait à la métempsychose. L'image doit frapper les
esprits, si bien qu'en 1888 à propos des copies signées Diaz par
un certain Vernon circulant sur le marché, Bergerat semble y faire
allusion : « Voilà un homme qui, sans s'en douter, par
phénomène de métempsychie, reçoit de la nature le
génie de Diaz et en hérite308 ! ».
L'excentricité du personnage nous pousse à
continuer plus avant l'analyse de son étiquette de « magicien
» lancée par la critique de l'époque, qui est le fondement
de notre étude sur la « magie » de Diaz. En effet, il serait
intéressant d'explorer, à l'aune du « genre »
décrit par Mauss par exemple et avec les travaux engagés sur la
notion de « bohême », les affinités entre la
façon dont un artiste se construit un personnage excentrique, où
s'exprime son propre génie, et la façon similaire dont se
construit le personnage de l'occultiste, lui aussi excentrique et «
génial ». L'excentricité de l'artiste étant, comme le
magicien, comprise comme un retrait « en dehors de l'humaine
piste309 », comme dit Tristan Corbière. Cette analyse
demande une approche du positionnement de certains individus en marge des
activités bienséantes et normales que l'on encourage. Le
génie créateur est sans doute le point de rencontre de ces deux
figures, qui appellent chacune leurs activités « Art » et
« OEuvre ». Ce « génie » ou l'activité
magique, qui recoupe celle du prophète, du guérisseur ou du
politicien, est supporté par la croyance d'un groupe. D'autre part
beaucoup d'occultistes produisent des oeuvres et sont artistes à un
moment de leur vie ou tout au long de leur vie s'ils peuvent en tirer
rémunération310. C'est le cas d'Eliphas Lévi
à l'époque de Diaz, ce sera celui d'Aleister Crowley, et enfin et
surtout d'Austin Osman Spare dont les suiveurs donneront à la production
artistique une
304 Monselet fait allusion à la famille de Francesco
Foscari, doge de Venise de 1423 à 1457. L'intrigue historique est
reprise par Byron en 1821, puis par Verdi dans Les deux Foscari en 1844.
Delacroix en tire un sujet pour l'Exposition universelle, Les Deux
Foscari, 1855, h/t, 93x132 cm, Chantilly, Musée Condé, inv.
PE 456.
305 Très certainement John Wilmot, deuxième
comte de Rochetser (1647-1680), écrivain proche de Charles II
d'Angleterre. Il s'est illustré pour ses textes libertins.
306 Charles Monselet, Monsieur de Cupidon, Paris, V.
Lecou, 1854, p. 50-53.
307 Charles Monselet, Statues et statuettes
contemporaines, Paris, Giraud et Dagneau, 1852, p. IV.
308 Bergerat, Émile, op. cit., p. 246.
309 Le quotidien sous le second empire, p. 234.
310 Jodorowsky, initialement cinéaste au sein de Panic,
aux côtés d'Arrabal, s'inspire déjà des tarots et de
diverses traditions occultes dans ses réalisations, puis associe dans sa
carrière bande-dessinée et tarologie.
78
portée elle-même ésotérique. Pour
Henri Zerner, la notion d'avant-garde, avant d'être une notion d'histoire
de l'art appliquée a posteriori aux événements,
est une attente du public, qui en 1820 comme en 1920, demande à
l'artiste avant-gardiste « les mêmes extravagances311
». Il est intéressant de noter la veine prosaïque de Crowley,
que l'on pourrait rapprocher de celle de Diaz : l'attitude anticonformiste et
prompte à choquer et éloigner des rapports convenus. La
marginalité lie les deux hommes, dans des contextes historiques certes
différents mais unifiés dans le même type de
sociabilité individualiste induit par un contexte économique.
C'est à la marge du même type de sociabilité
façonné par des impératifs industriels, que l'artiste
rejoint le fou et le magicien, tenus de s'éloigner des sentiers battus
pour saisir d'une vue d'ensemble un mécanisme social, quitte à en
perdre pied en défiant l'évidence de la sociabilité, comme
Charles Nodier312. Sensier fait cette remarque qui traduit bien
comment Diaz est perçu du moins comme un personnage vivant dans son
monde merveilleux : « Diaz cherchait si quelque Castillan
n'apparaîtrait pas avec un lingot d'or », ou encore, lorsqu'il
relate comment Diaz s'était enquis auprès de Rousseau sur sa
palette, il écrit « [Diaz] croyait presque à du
sortilège, car lui, si amoureux de la couleur, cherchait sans les
trouver la finesse et la force de ton des études de
Rousseau313. »
René Ménard, dans un reportage sur Barbizon
évoque l'imitation par les « Peint' à Ganne » d'un
rituel initiatique (annexe 4). Arrivé devant la cheminée
ornée de peintures il décrit :
« En guise de pendule ; elle porte une formidable pipe
culottée. La pipe de Diaz, et tout nouvel arrivant est invité
à la fumer. On voit par là à qui on a affaire, car si
c'est un coloriste, la fumée prend aussitôt des tons
irisés. Quand je suis venu pour la première fois à
Barbizon, j'ai dû subir mon épreuve comme tout le monde, et comme
la fumée que j'ai tirée de la pipe était tout simplement
grise, j'ai été rangé d'office parmi les partisans de
l'art classique. » 314
L'auteur nous invite à nous demander à mots
couverts, si Diaz ne bourre pas sa pipe de cannabis, en perpétuant
à Barbizon les pratiques qui ont cours au Club des Haschischins
fondé en 1844 par le docteur Moreau et dont Théophile Gautier a
relayé les expériences315, de la même
manière que la décoration des murs de l'auberge reprend les
activités de la bohème du Doyenné. Diaz apparaitrait en
effet aussi à l'île Saint-Louis où se tiennent les
séances du Club, pour goûter à la « confiture
verte316 ». En rapportant ces moeurs, pastiches d'une
communauté chamanique, le chroniqueur du Musée Universel
contribue à édifier une légende de l'artiste qui
avoisine celle du magicien et a
311 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p.
146.
312 Lund, Hans Peter, op. cit.
313 Sensier, Alfred et Mantz, Paul, La vie et l'oeuvre de
Jean-François Millet, intr. Geneviève Lacambre, Paris,
Edition des champs, 2005, p. 185.
314 Ménard, René, « Barbizon », Le
Musée Universel, avril 1876 - septembre 1876, t. VIII,
2e semestre 1876, p. 291.
315 Gautier, Théophile, « Le Club des Haschischins
», Revue des Deux Mondes, 1er février 1846.
316 Ibidem.
79
minima celle du marginal et du fou, en mettant en
évidence une pratique artistique chez lui cherchant à renouer
avec une dimension introspective propre à la transe chamanique. La
cheminée de l'auberge devenue âtre d'un autel devant lequel se
réunissent les artistes, exhibe la pipe de Diaz dont l'usage sert de
calumet et d'instrument initiatique.
La bohême, en calquant ses moeurs sur l'idée
reçue d'un rituel chamanique, assume son caractère initiatique
pour l'individu. Cet élément va dans le sens de Seigel pour qui
la bohême est un mode de vie expérimental qui permet de «
réconcilier l'individu avec l'appartenance sociale317 »,
comme dans celui d'André Chastel, qui considère ces
expériences de la jeunesse artistique du XIXe siècle
comme un phénomène comparable aux rites de magie et d'exorcisme
dans d'autres cultures318. Ces expérimentation peuvent se
lire précisément comme un passage initiatique du jeune adulte
devant trouver sa place dans la société individualiste, en
fouillant dans sa propre volonté et en expérimentant des modes de
vies différents, figurant à la manière du bohémien
un voyage symbolique.
La Magicienne traduit cette démarche
charmeuse, qui a délaissé le romantisme noir au profit d'une
balade onirique et galante au travers de la mémoire du désir des
hommes, laissant au relief de la matière lumineuse le soin de
créer une petite ombre qui la fait mieux ressortir et qui rappelle la
chair dans toutes ses implications poignantes ainsi passées sous
silence.
D'autre part, si la démarche projective de Diaz lui
fait visiter une mémoire collective et rêvée du lieu de la
forêt, c'est aussi sa propre imagination qu'il sonde et revisite sans
cesse. Eros, figure pulsionnelle, habite le bois, labyrinthe de vies
silencieuses, dans les tableaux du peintre. Cette vision du bois, support et
lieu de l'imaginaire, rejoint l'interprétation commune que l'on donne
à la symbolique du bois des contes de fées : symbole de
l'inconscient, où se déroule la quête personnelle, le roman
familial. Si Diaz parle d'inconscient, à l'inconscient de son public
charmé, peut-être le fait-il aussi en toute inconscience, ce qui
fait de lui non pas un occultiste dont la science permettrait de telles
manipulation, mais bien un artiste doué de la même habileté
que la figure du bateleur. Peinture-jeu que le peintre assume comme un
fatum dans la Fée aux joujoux, l'oeuvre est aussi une
quête de l'essence de la condition humaine, tout comme le jeu permet au
peintre de trouver un rapport au monde authentique calqué sur celui de
l'enfant.
317 Seigel, Jerrold, Paris bohème. 1830-1930,
trad. Odette Guitard, Paris, Gallimard, 1991, p. 374.
318 Chastel, André, « L'art moderne et le jeu
», conférence prononcée le 19 novembre 1955 à la
Sorbonne ; « Le jeu et l'art sacré dans l'art moderne »,
Critique, 1955, t. XI, n° 96, p. 428-446 et n° 97, p. 515-533.
80
Partie III. Irrationalité de la condition
humaine à travers Les Maléfices
La scène du Maléfice est celle qui
remporta les suffrages de la critique et du public, avec la Descente de
Bohémiens, au Salon de 1844. L'envoi de 1844 signe le début
de la renommée officielle de Diaz et son entrée définitive
dans le petit milieu de l'art parisien, les répertoires de
collectionneurs et de marchands. Un critique tient Le Maléfice
comme l'oeuvre la plus remarquable et la plus originale de l'envoi ; plus
tard elle sera tenue rétrospectivement pour un de ses meilleurs
ouvrages319. Baudelaire salue aussi sa « couleur magique
». Jusque-là habitué à vivre de commandes, il compte
parmi les fidèles de l'auberge de Ganne. Le tableau lui vaut une
médaille de 3e classe, après quoi les ventes
dépasseront les 1000 francs par toile ; il devient alors
l'élément argenté de la bohème de Barbizon.
Déjà l'année précédente, il gagnait
facilement sa vie par la réputation qu'il s'était forgée
dans le milieu de la vente et des commandes.
L'identification du tableau qui fit le succès du
peintre au Salon de 1844 pose encore problème : si le tableau du
musée de Lyon passe pour être celui du Salon de 1844 (repr. XII),
il ne correspond pas aux descriptions relayées par la critique, qui
renvoient, elles, à la composition que Diaz fixe et répète
à plusieurs reprises dans sa carrière (repr. XIII) : « (...)
deux figures, au milieu d'un paysage fantastique. Une jeune fille, fraiche et
radieuse, va droit devant elle au hasard (...). À son côté,
l'une des sorcières de Macbeth, ou Méphistophélès
grimé en vieille femme, lui souffle dans l'oreille je ne sais quels
perfides conseils320. (...) ». La version conservée
à Lyon ne comporte pas comme sur certains tableaux de l'artiste,
l'année d'exécution accolée à la signature.
L'historique321 retrace après son exposition au Salon, sa
présence dans la vente Paul Périer de 1846 : il serait alors
possible que le tableau ait été exécuté à
une toute autre date, avant ou après l'envoi de 1844, et aie
été achetée ou reçue comme cadeau par Paul
Périer, qui la vend deux ans après le succès du
thème au Salon.
Dans une série d'estampes conservées au
département des estampes de la Bibliothèque Nationale, c'est un
sorcier, à l'attitude comparable à celle de Frollo envers
Esméralda, qui se penche à l'oreille de la jeune
bohémienne aux cheveux bruns épars. Il la mène dans une
grotte, une torche à la main. L'une est imprimée avec la mention
« Salon de 1844 » : il faut donc comprendre, puisqu'il ne peut pas
s'agir de l'envoi de 1844, que l'identification de cet envoi a
été un réel enjeu. Diaz comme souvent, part d'une
réinterprétation d'un motif qu'il a observé chez un
maître, la Petite Bohémienne espagnole de
Rembrandt322 (ill.23), dont la similitude est frappante, puis s'en
éloigne. Mais, loin
319 Voir notamment Silvestre, Théophile, « Diaz
», op. cit., p. 146.
320 Thoré, Théophile, Promenade au Salon de
1844, op. cit., p. 37.
321 Jullian, René (dir.), Catalogue du musée
de Lyon, Vincent , Madeleine, t. VI, La peinture des XIXe
et XXe siècle, Lyon, 1995, p. 111-112.
322 Voir Blanc, Charles, L'oeuvre de Rembrandt, Paris,
Gide et J. Brandy, 1857.
81
d'être simple imitation du maître, la
sorcière venait utilement à l'encontre d'une réduction de
la violence subie par la jeune fille à un rapport d'opposition des
sexes, et ouvrait une multiplicité de lectures, d'où son
succès. Plusieurs compositions varient sensiblement l'impression qui se
dégage de cette confrontation (repr. XIV à XIX).
La scène représente un personnage d'un âge
mur ou âgé entretenant une jeune fille dans une forêt. Le
pouvoir du peintre, celui de la suggestion par la sollicitation des sens est
mis en abîme dans le tableau, où la jeune fille semble
suggérer malgré elle des intentions à son égard.
Diaz explore le désir, son thème de prédilection, sous une
autre facette, en même temps qu'il met le doigt sur des tenants
universels du genre humain. La pensée de La Sorcière, de
Michelet trouve un écho ici. L'auteur argumente en faveur d'une science
qui n'oublie pas qu'elle vient de l'observation de la nature et du domaine
spirituel, et qui à l'envers de la raison de l'homme, retourne aux mains
des femmes. Il déplore le reniement de « pensée sauvage
» dont la science est issue323.
Chapitre 1. La suggestion contre la science
Le motif met en évidence la singularité du
peintre parmi ses contemporains. Diaz fait des bohémiennes des
Maléfices un sujet à mi-chemin entre réalisme et
onirisme, en insistant sur la part d'insaisissable et d'irrationnel dans les
interactions humaines. Niant la validité des recherches physionomiques
auprès des bohémiens réalisées par son ami Raffet
pour le comte Demidoff, la peinture refuse de réduire la question
complexe de l'altérité à une taxinomie de faciès.
Ce refus de l'expression n'est cependant pas l'analyse, elle aussi proche d'une
démarche scientifique, de l'impression optique. Diaz incite à
considérer dans Le Maléfice, l'existence
irréductible de l'équivoque, du mensonge, et du jeu des
apparences. La suggestion maniée par le peintre recherche, à
l'image du savoir empirique de la sorcière habile, l'effet le plus
saisissant.
Section 1. Suggestives malgré elles
Si le spectateur peut prêter de mauvaises intentions au
personnage qui murmure dans l'ombre, il peut aussi se demander d'où
vient réellement le « maléfice ». Pourquoi l'attribuer
au personnage de gauche, alors que rien n'exprime chez elle un pouvoir
particulier ? Attirant toute la lumière dans l'obscurité, la
jeune femme expose son être de manière candide. L'opposition avec
son ainée aiguille la compréhension de l'oeuvre vers la
thématique de la confrontation de la jeunesse et de l'expérience.
Figurant la vieillesse, le personnage qui murmure rappelle que le pouvoir de la
beauté est démenti de plusieurs façons au cours d'une vie
de femme, jusqu'au jour où l'âge prend le pas sur
323 Petitier, Paule, « Michelet et la Sorcière
», Bernard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline (dir.), op.
cit., p. 103-117.
82
la jeunesse et la fertilité ; la femme perd alors un
statut de féminité aux yeux d'un consensus masculin, et
peut désirer se venger d'une telle négation de son être. Le
maléfice du tableau n'émane-t-il donc pas de la
beauté-même, de ce que suggère le corps de la demoiselle ?
Toute l'interprétation des passions à l'oeuvre dans l'interaction
est laissée au spectateur, qui peut apprécier la
véracité d'une situation équivoque. Les personnages sans
expression suggèrent bien le malaise, grâce à la
composition d'ensemble et la réduction des détails à une
narration archétypale. Dans cette scène, la suggestivité
qui prime sur l'expressivité rend bien compte de rapports humains
où tout ne peut résider dans la volonté de ce que l'on
exprime. La jeune fille pourrait exprimer ce qu'elle veut, elle resterait
suggestive malgré elle et susciterait une réaction
millénaire.
Le motif marginal quoique très important dans sa
carrière, ancre bien Diaz dans la continuité de son exploration
mythologique et légendaire. La scène du Maléfice
est une anecdote qui correspond à l'allégorie des
Maléfices de la beauté apparemment inspirée de
Reynolds324. La beauté personnifiée en Vénus,
ou en Circé, a dans la mythologie grecque une fierté toujours
prompte à frapper des rivales, c'est ainsi que Circé change par
jalousie le bassin et les jambes de Scylla325, initialement une
nymphe dont Glaucus est épris, en cerbère écumant, puis en
rocher provoquant la mort des marins. Le thème court la
littérature depuis l'antiquité jusque dans Blanche
Neige, écrit par les frères Grimm en 1810, où la
reine veut s'approprier le coeur de sa jeune rivale. La beauté n'est en
effet que l'apanage d'une jeunesse qui connait aussi la fraicheur de certaines
émotions. Non pas seulement victime d'une tierce personne, la jeune
fille est frappée par l'effet que déploie la beauté de sa
fraicheur.
La jeune fille du Maléfice, un peu enfantine,
et sa confrontation candide à un prédateur dans les bois,
rappelle fortement la composition que fait Gustave Doré dans sa gravure
pour le Petit chaperon rouge des contes de Perrault (ill. 25). Diaz le
premier à son époque fait de la sorcière une jeune
charmeuse, met en scène la vieille sorcière sans prétexte
littéraire, et déploie une iconographie surnaturelle encore peu
usitée (cercles de feu, baguettes magiques). Le personnage artistique de
Diaz, qui fit impression sur Renoir, van Gogh et tant d'autres en tant que
« magicien » de la couleur, put alimenter l'espace onirique du jeune
Doré. L'oeuvre entier de Diaz ayant trait aux mythes à l'oeuvre
dans les bois, il diffuse à grand succès en amont de ce que
pourra faire le jeune graveur, le
324 Une note au crayon de papier sur la gravure
conservée à la documentation du département des peintures
au Louvre, indique que le sujet est tiré de Reynolds ou inspiré
par lui. Nous n'avons pas trouvé de motif correspondant dans l'oeuvre du
peintre anglais.
325 Ovide, Les Métamorphoses, XIV, vers
365-390, préf. Jean-Pierre Néraudau, trad. Georges Lafaye, Paris,
Gallimard, 1992, p. 459.
83
bois légendaire, sa contenance mémorielle. Diaz,
attentif au travail de Tony Johannot qu'il collectionne
copieusement326, le sera tout autant au travail de
Doré327.
Le Maléfice, celui de la beauté envers
celle qui l'inspire, est intemporel, comme l'indique le léger
contrapposto des figures, leurs pieds nus et leur errance en
sous-bois. Il s'agit comme dans la Fée aux bijoux d'un aspect
de la transmission intergénérationnelle, qui confère
à l'oeuvre de Diaz sa sensibilité de conte de fées.
À la différence de Greuze, dans La Malédiction
paternelle (ill. 24), Diaz extrait sa narration du contexte
historique, économique et social, et rejoint l'immémorial, qui
tient du réflexe humain. Le peintre fait primer l'impact suggestif d'une
attitude équivoque sur la théâtralité, la
lisibilité d'une passion grave comme chez Greuze. La vieille
bohémienne provoque ce qui tôt ou tard aura lieu dans la vie de la
candide jeunesse, elle insinue ce que la jeune fille ne peut encore comprendre.
L'expérience joue de son avantage sur la jeunesse à qui sourit la
chance et les opportunités. La jeune fille pourrait se croire
invulnérable, allant ainsi dans le bois. Son ainée la
déstabilise et lui montre qu'elle ne peut pas contrôler son propre
charme ; celui-ci lui échappe et appartient en réalité aux
personnes qui la désirent, qui peuvent lui en faire payer le prix.
Le sujet réel du tableau, sur quoi porte Le
Maléfice, les moyens usités dans l'Incantation, est donc la
force d'Eros. Ces tableaux ne font donc pas exception du point de vue
où, encore une fois, Diaz use l'Eros. Dans le Maléfice
exposé à la galerie Martinet en 1860 (repr. XIV), copie
scrupuleuse du tableau vraisemblablement accroché au Salon de 1844 et
resté dans l'entourage de Diaz au moins jusqu'en 1858, les couleurs nous
donnent une idée de la suggestion érotique. Sur le cou de la
jeune fille, le souffle de la sorcière est suggéré par le
modelé évanescent et le sensualisme de la texture. De quoi la
sorcière entretient-elle la jeune fille, si ce n'est pas d'amour ? Si
c'était autre chose, par quel sentiment la tient-elle dans son sort, si
ce n'est par l'amour que l'on porte à ses proches, à ses biens,
à sa vie ?
La malédiction qui a lieu renvoie peut-être au
mythe de Lilith, étant donné que le mot « bohémienne
» se dit d'une femme « trop libre », donc une femme
déchue d'un statut circonscrit par certaines limites. Croyant à
une liberté de mouvement inconséquente, suivant son propre
chemin, la jeune fille est détrompée par son ainée qui la
met face au danger. Dans la Dame et la Mort, (repr. 30) c'est un
squelette qui se penche derrière une femme parée de ses
atours,
326 Figurent au Catalogue des livres : Cervantès,
L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, Dubochet, 1840,
vignettes Tony Johannot ; Janin, L'Âne mort, ill Tony Johannot,
Bourdin, 1842 ; Le Sage, Le Diable boiteux, Tony Johannot, Bourdin
1848 ; Thiers, Histoire de la révolution française,
Paris, Furne, 1836, portraits et figures de Raffet, Vernet, Scheffer et Tony
Johannot.
327 Au même catalogue figure un exemplaire de Balzac,
Contes drolatiques colligez ez abbayes de Tourraine, pour l'establement des
Pantagruellistes et non autres. 5e ed illustrée de 424
dessins par Gustave Doré, Paris, 1855, in-8, dem. Rel. Mar, n. rog.
1er tirage des figures.
84
reprenant l'iconographie fantastique de la Danse des Morts
de Holbein dont Diaz s'est procuré une édition allemande de
1832328. Cette esquisse de jeunesse nous montre une image qui
pourrait être à l'origine de la série des
Maléfices, qui trouve un compromis entre la manière
noire de la jeunesse, où l'influence de l'onirisme macabre de Goya est
très palpable, et la luminosité qui fait son succès.
L'idée de la mort est déclinée sous les traits d'une femme
marquée par l'âge, qui connaît
l'éphémère de la beauté. Amour et mort ont une
assonance plus lascive dans l'esquisse de Scène d'amour ou d'Orgie
dite aussi Les Mauvais Anges (c. 1830-1835) (repr. 31) qui avait
appartenu à Constant Troyon ; ici, le corps célèbre sa
mort prochaine en donnant libre cours au désir, faisant de
lui-même un charnier, une nourriture de charognards. Voilà une
dimension de l'amour qui peut effrayer la jeune fille du tableau. Les branches
de l'arbre forment des cornes au-dessus de sa tête, comme pour rappeler
son rattachement à la nature, à l'animalité, la part
démonique ou païenne de son parcours nonchalant. Ou bien lui
dit-elle seulement qu'elle est cocue ? Diaz ne manque pas de se faire
connaître en public par son humour grivois et tonitruant, et les
attitudes prosaïques de Vénus que le peintre décline dans
les scènes de L'Amour désarmé en particulier,
peuvent nous pousser à chercher une part d'iconoclasme
métaphorique dans ses tableaux.
Diaz admirerait chez la femme, à l'instar de Michelet,
une capacité prononcée à avoir une juste intuition de ce
qui n'est pas rationnellement explicable : tout ce que les rapports humains
suggèrent. Vouloir faire la lumière sur les
bénéfices de la société matriarcale
supposément originelle, redonner à la femme une place
égale à l'homme, oeuvrer à une libération des
tabous sexuels, sont autant de perspectives imaginées par la philosophie
libérale et le romantisme, que l'oeuvre de Diaz accuse de façon
très aigue. L'omniprésence de la femme dans son oeuvre pourrait
s'expliquer à l'aune de ces tenants culturels, et il faut aussi noter
que si l'artiste perpétue un art du nu en le poussant dans de nouvelles
extrémités, Diaz dans sa vie d'homme semble de façon
générale sensible à la cause féminine. À
côté des affinités avec l'univers sandien que certaines
oeuvres dénotent, Diaz ouvre un atelier pour dames329. Le
motif de la jeune fille se retrouve par ailleurs sous la forme de bustes,
camées, dans sa collection. La femme est donc traitée sous son
aspect désirant et désiré, le surnaturel intervenant
métaphoriquement pour indiquer la portée puissante de ce qui est
suggéré indépendamment de la volonté. C'est de
cette force que Diaz tire la sienne, en proposant une intention artistique
équivoque et tirant un charme esthétique de la suggestion de
certains sentiments, qui dépendront de chaque spectateur.
328 Holbein, Danse des Morts, Munich, 1832, dans
Catalogue des livres, op. cit..
329 Auger, S., « Chronique. Nouvelles des Beaux-arts
», Gazette des Beaux-Arts, vol. 1, 23 janvier 1853 - 15
décembre 1853, p. 312.
85
Section 2. L'effet sans l'expression : une
originalité remarquée
Si jusqu'ici nous avons pu relier Diaz à une vaste
tradition, le Maléfice nous donne l'occasion d'approfondir un
point de rupture de Diaz vis-à-vis de la tradition ainsi que de la
quête romantique du caractère. Un des détracteurs de Diaz
dans le Siècle du 15 février 1860 :
« L'invention, chez M. Diaz, est à peu près
nulle. Ses tableaux, en général, ne présentent qu'une ou
deux figures sans expression, et parfois d'un dessin très
négligé330. »
L' « invention » que ne perçoit pas le
critique réside justement dans l'inexpressivité qui lui
déplait, et qui pour lui traduit un manque d'imagination. En effet c'est
une tendance de l'art de rivaliser dans la description du faciès, pour
traduire un sentiment, depuis Le Brun jusqu'à Delacroix et les
recherches physionomiques dans l'Orientalisme. Diaz au contraire
s'écarte de la science pour préserver l'opacité du
mystère de la Création. Dans L'Horoscope, il oppose
précisément la chiromancie, qui repose sur des
présupposés comparables à la science physiognomique, au
mystère de la matière que pointe du doigt la cliente. Cependant
l'hermétisme de Diaz rend ses admirateurs incapables de dire où
est la pensée qui guide Diaz dans une oeuvre sans lisibilité que
les détracteurs appellent un « mensonge331 ».
Silvestre, lui, explique que « l'expression forte et vraie des
caractères et des passions » ne pouvaient aux yeux du spectateur
être rendue en un travail si rapide et fécond332.
Les quelques personnages de notre corpus ne diffèrent
pas de ceux qui peuplent l'oeuvre entier du peintre. Si le teint de la peau
varie du blanc nacré au hâle doré, si les parures et
vêtements font basculer les scènes d'un harem à un jardin
anglais, les personnages de Diaz sont invariablement des silhouettes dont le
visage n'est que la continuation du mouvement du corps. C'est par une attitude
générale et le maniement de la couleur, de la lumière, par
la composition, que Diaz suggère un sentiment. Dans le
Maléfice de la galerie Martinet (repr. XIV), la sorcière
hâlée, dans la pénombre, se courbe sur l'épaule de
la jeune fille dont la peau nacrée reflète le clair de lune. De
cet usage de la disposition des couleurs, Diaz suggère que la vieille
femme sait mieux tirer parti de l'ombre, s'y fondre et voiler même ses
intentions lorsqu'elle susurre les mots qui troublent sa proie. Plusieurs
variations (notamment repr. XVI) et une esquisse (repr. XIX) montrent comment
Diaz recherche l'effet de cette position de la sorcière dans l'ombre. Ce
n'est pas sur son visage que l'on pourrait lire sa malveillance. En laissant
ses traits équivoques, Diaz colle mieux à la
réalité que s'il avait donné un air malin ou grotesque
à la figure de son personnage malveillant. Il souligne le
caractère trompeur et
330 Astruc, Zacharie, « Extrait du feuilleton du
Siècle du 15 février 1860 », op. cit., p.
15.
331 L'expression se trouve chez Du Pays, « Visite aux
ateliers : Diaz », L'Illustration, mars, n°19, 1853, p. 185
; chez un chroniqueur anonyme, Revue de Paris, 1842, p. 212 ; et
encore dans l'épitaphe de Mantz, Paul, « Diaz », Le
Musée Universel, 1877, p. 151.
332 Silvestre, Théophile, « Diaz »", Les
artistes français. 1. Romantiques (1852), Paris, Crès, 1926,
p. 146.
86
équivoque des apparences, en s'éloignant
résolument d'une recherche physionomique. De même la jeune femme
dont le visage éclairé est impassible, est perçue par
contraste avec l'attitude de son ainée dans une attitude candide, et
dangereusement exposée. Tournant la tête du côté
opposé, refusant de regarder, elle entend d'autant mieux que son oreille
se trouve alors tout près du visage de la sorcière. De la
même façon, si sa main est libre, la vieille gitane a posé
la sienne sur son bras, l'invitant à devoir se retourner vers elle si
elle voulait fuir. Le malaise qu'on ne lit pas sur le visage est ainsi
suggéré par un ensemble de détails que parachève la
main portée au coeur, en signe de perte de contrôle.
Là où ses contemporains investissent
sporadiquement le thème de la sorcière et de la bohémienne
(ses sorcières étant souvent accoutrées à la
façon dont Diaz peint ses bohémiens), Diaz multiplie leurs
incursions dans ses scènes de genre. Cela vaut surtout pour la
bohémienne, qui lui permet de revisiter d'une façon
inédite, romantique, la fête galante de Watteau333, et
qu'il est le seul à représenter régulièrement dans
sa peinture. Ses contemporains, entre 1830 et 1850, sont peu à s'essayer
au thème, et versent pour la plupart soit dans la scène de bonne
aventure soit dans la description ethnographique334 et ne les
multiplient pas comme le fait Diaz. Lui, innove avec la Scène
d'Incantation et les Maléfices, en en renouvelant la
teneur fantastique : non pas seulement fines psychologues, elles ont pour elles
un charme dangereux. C'est seulement après Diaz que Gustave Doré
fera toutes ses gitanes lascives, que Corot, Bougereau, et d'autres,
reprendront le thème presque attitré de Diaz. Radicalement
éloigné de ses congénères orientalisants, Narcisse
Diaz refuse de chercher le type physionomique de la bohémienne, comme a
pu le faire son camarade de l'atelier de porcelaine, Auguste Raffet, pour
l'album de voyage du prince Demidoff dont Diaz se procure un
exemplaire335. Il est donc original devant tous ses contemporains,
parce qu'il est isolé à la fois dans le choix des thèmes
et dans le traitement pictural.
La tangente que prend Diaz par rapport à la tendance
physiologiste peut être lue comme un refus de l'idéalisation de la
science et de la Raison, quand celle-ci aboutit à établir des
typologies physionomiques et en tirer déraisonnablement des conclusions
morales, et également comme une intuition pragmatique. Lorsque Diaz
élabore des visions où le caractère, les traits
typés des visages sont totalement évacués, et qu'il en
tire le succès que l'on connait, l'intuition de l'artiste parait
annoncer l'émergence de l'individu lambda du panneau publicitaire. Un
tel rapprochement sous-entend que l'on se demande si le marché de l'art,
répondant à la loi de la séduction et de la consommation,
produit par nécessité stratégique l'image d'un type
d'individu lambda. En effet, la
333 Thoré, Théophile, Promenade au Salon de
1844, op. cit.
334 D'après une recherche de Master 1 effectuée sur
La figure de la bohémienne, op. cit.
335 Un exemplaire figure au Catalogue de la vente des livres,
op. cit.
87
production de Diaz peut signaler en elle-même
l'émergence d'un type-lambda au sein de l'imagerie qui se vend. Deleuze
et Guattari, dans leur analyse de l'ordre libéral, parlent d'un «
devenir-jeune » visible dans l'imagerie produite par la
société. Si l'on appliquait rétrospectivement ce filtre
philosophique pour analyser les images de Diaz et leur succès, celles-ci
semblent alors emblématiques d'un idéal bourgeois et
bohème (aucun des termes ne s'excluant selon les derniers travaux de
Jerrold Seigel336), présentant une humanité
stéréotypée, à jamais jeune et mignonne.
L'imaginaire de Diaz deviendrait sous cet éclairage le fruit d'un
imaginaire collectif où la jeunesse et la séduction des corps
sont imposées par des facteurs culturels et socio-économiques.
Autrement dit, la culture romantique dans la suite des Lumières,
couplée avec le contexte de production industrielle, donne au sein du
marché de l'art, de la circulation des images, l'essor immédiat
de figures de poupées à mettre à portée du
porte-monnaie du client.
Pour autant que ces éléments nous paraissent
éclairer la singularité de Diaz et les raisons de son
succès, il ne faut pas perdre de vue une analyse de la volonté
artistique du peintre. Ce n'est ni une dénonciation de l'art
ethnographique, ni nécessairement la volonté d'aplanir
stratégiquement toutes les différences culturelles, qui devrait
primer dans l'interprétation de l'oeuvre. La portée morale de la
scène de genre peut prendre un tour philosophique, traduisant la
barrière perceptive inhérente à la condition humaine. Diaz
qui privilégie le sfumato en général pour
accentuer l'idée d'une perception naturelle, renforce le sentiment de ne
pouvoir prétendre à une compréhension parfaite, par ces
visages impassibles.
Si la narration est hermétique et s'oppose à
l'idéal romantique d'une forme d'expression immédiatement
intelligible337, Diaz propose une autre possibilité à
l'intelligibilité d'une scène qui contourne l'expression.
Section 3. Une impression sans « isme », vers
d'autres courants picturaux
Diaz, qui ouvre son compte personnel à Renoir et
défendra la cause des Impressionnistes, en est considéré
comme un des précurseurs pour ces conseils : « mélangez
très peu les tons pour ne pas les affaiblir, subdivisez à
l'infini, posez les touches de proche en proche338. »
Cependant, s'il est sûr que Diaz
336 Seigel, Jerrold, op. cit., p. 15-20. L'auteur
résume sa thèse en ces termes : « La bohême [doit]
prendre sa place en tant qu'élément de l'histoire du
développement d'une conscience et d'une expérience bourgeoises
(...) », dans une acceptation du mot « bourgeois » qui doit se
détacher de la définition marxiste et être
réévalué à l'aune de son utilisation historique
avant Marx, p. 378.
337 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p.
144.
338 Silvestre, Théophile, « Diaz », op.
cit., p. 151. Voir aussi la citation dans Parinaud, André,
Barbizon, Les origines de l'Impressionnisme, Bonfini, Adam Biro, 1994,
p. 44.
88
impressionne la jeune génération d'artistes
venant après lui, c'est justement un art de l'impression qui lui est
propre qu'il convient d'abord de comprendre.
Le maniement des couleurs, tant dans les scènes de
genre comme Le Maléfice, que dans les paysages, crée une
atmosphère féérique, qui laisse des impressions aux
commentateurs comme par associations d'idées, sans jamais que le sujet
soit analysé ou seulement mis en relief. Néanmoins l'impression
qu'à Gautier de voir sur les tableaux « le secret de ce tremblement
lumineux de l'atmosphère, de cette fraîcheur des sources
invisibles339 », ou Claretie de « la loi de la
lumière, la magie, et pour ainsi dire la folie du soleil dans les
feuilles et les sous-bois340 », les critiques relèvent
la façon dont l'artiste s'intéresse à la suggestion de
l'invisible, alors que les Impressionnistes creuseront de nouvelles
façons de rendre compte du visible. Les développements
donnés aux recherches scientifiques de Chevreul sont
diamétralement opposés à la présence du
mystère chez Diaz.
L'esthétique du peintre, niant le dessin, rend compte
d'idées comme l'atteste la profusion d'allégories, mais seulement
en tant qu'impressions subjectives par opposition aux certitudes. Chez lui tout
est empirique. Le rapport de Diaz à son oeuvre et à
l'esthétique est très distinct d'un courant émergeant
comme groupe artistique, dont le programme est établi et se place
stratégiquement sur un marché de l'art arrivé à
maturation.
La sérialité dans l'oeuvre du peintre fait une
jurisprudence dont les Impressionnistes retiendront les leçons. Diaz
envoie au Salon les mêmes sujets, dont la couleur fait des variations et
modifie l'effet. Sur le marché, la production d'une série devient
aussi un avantage économique, qui est la raison d'être de cette
sérialité pour Diaz. Là où Monet par exemple, dans
sa série de La Meule, développe une argumentation
esthétique, défendant que l'intérêt du tableau tient
dans la description atmosphérique et la mise en évidence d'une
subtile impermanence plus que dans le sujet-même, Diaz a au contraire, un
intérêt à la fois personnel et stratégique pour son
sujet. Le Maléfice nous montre aussi que les variations
d'effets de lumière dans une série peuvent se faire chez Diaz
dans une scène de genre, alors que les Meules évacuent
toute histoire.
De façon stratégique, Diaz lance le
Maléfice plusieurs fois, sur le marché, lorsqu'il veut
être assuré du succès. En 1846, avant l'effondrement du
marché du aux évènements de 1848, Le Maléfice
est exposé à une vente organisée par Paul
Périer, et remporte 1 225 francs. Sans aucun doute cette somme
conséquente est due à l'originalité et les critiques
favorables du Maléfice exposé deux ans plus tôt au
Salon, en même temps que les Bohémiens signaient sa
marque de fabrique, son
339 Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, J.
Hetzel, 1847, p. 99-100.
340 Claretie, Jules cité par Miquel, Pierre et Rolande,
op. cit., p. 74.
89
personnage artistique voyageant entre trivialité et
merveilleux. La fortune du thème peut expliquer qu'il relance
également des sujets connexes comme la Sorcière
exposée pour une vente qu'il organise lui-même en 1849
(vendue 115 F), Les Sorcières en 1852 (325 F), et enfin la
Reine des Sorcières en 1855 (221 F)341. Pour la
vente du 11 avril 1863, il récidive et retrouve le même
succès des premiers envois, avec une toile reprenant exactement le
même sujet contrairement aux sorcières, Les mauvais conseils
(n°19, vendu 1 140 F). Lors de la même vente, le n°21
était une anecdote qui nous donnerait un titre tout trouvé pour
parler de l'ensemble de l'oeuvre de Diaz : Le conte de Revenants (300
F). Enfin, une vente du 20 mai 1868 chez Durand Ruel expose au n° 7 La
Sorcière, la cote des sorcières des années 1850 ont
fait grimper les enchères pour celle-ci à 1 700 F.
Une grande partie de la raison d'être des variations sur
le thème sont donc mues par un motif financier. C'est à
l'occasion de l'idée de profiter d'un engouement pour un de ses sujets
que Diaz repense une variation sur le thème, en fouillant dans son
intérêt propre pour le sujet. Le Maléfice devient
d'abord Maléfice nocturne : c'est à la fois une occasion pour le
peintre de manier du clair-obscur et approfondir certains aspects symboliques
de la scène, et un argument de vente imparable pour l'amateur.
Dans une dernière version de 1875, on peut tout de
même se demander si l'artiste ne produit pas une dernière fois un
thème qui l'a accompagné et lui a rendu grâce le long de sa
carrière, par affection personnelle. Dans tous les cas, il est certain
que si la sérialité chez un peintre reconnu de l'école de
paysage, dont la touche s'est efforcée de rendre une perception
atmosphérique, a pu intéresser de premier chef les
Impressionnistes, cette sérialité n'est pas la même «
mort du sujet » que les historiens de l'art attribuent à
l'Impressionnisme.
L'impression dont Diaz fait usage relève plus de la
suggestion et de l'influence sur un spectateur, il fait impression.
L'usage de la tâche avec ses propriétés papillotantes,
projectives, captivantes en somme pour l'oeil, permet de placer Diaz dans le
mouvement bohème de l'exploration du psychique. Il est, avant
l'époque qui verra naitre en même temps le surréalisme et
le test de Rorschach, un artiste qui expérimente le hasard, l'informe et
la continuation de la forme dans l'imaginaire. C'est ce qui plait à
Gautier en 1847 quand il parle de « ce Diaz, incomplet, et ravissant
peut-être à cause de cela, car il fait chercher et
rêver342 », anticipant sur ce que Focillon dira de toute
forme comme « suggestion d'autres formes. Elle se continue, se propage
dans l'imaginaire343 ».
341 Les ventes décrites dans ce paragraphe sont
énumérées par Théophile Silvestre, « Diaz
», Histoire des artistes vivants, Paris, Blanchard, 1856, p.
232-240.
342 Gautier, Théophile, Salon de 1847, op.
cit., p. 97.
343 Focillon, Henri, La Vie des formes, Paris, PUF,
(1943) 1970, p. 4.
90
« ... l'idée informe l'informe de la tache. Met de
l'ordre dans l'accident - ou découvre l'ordre caché dans
l'accident »344
L'étude en plein air comme originalité n'est pas
tenable, puisqu'en 1780 les peintres « rétrogrades »
théorisent la relation directe des sens avec la nature, comme le fait
remarquer Vincent Pomarède. Ainsi lorsque l'historien pris dans une
lecture darwiniste énonce « Diaz est l'inventeur du «
Tachisme345 », il ne rend pas compte de la
spécificité de son art qui correspond mieux à une
exploration psychologique que l'on gagnerait mieux à mettre en lien avec
des avant-gardes aussi diverses que le Surréalisme ou l'Action
Painting, et qui comptait déjà des
prédécesseurs.
L'art de la suggestion mis en abîme dans Le
Maléfice est une « magie » des interactions humaines, un
principe actif qui les rend possible même dans le silence, qui
échappe à la Raison. Cette description hermétique isole
Diaz dans son temps, car il abolit de son oeuvre toute narration. Il
préfigure de ce côté plutôt certaines
sensibilités fin de siècle.
Chapitre 2. L'humain à travers les cultures
La présence de magiciennes dans l'oeuvre de Diaz
illustre et confirme sa préoccupation centrale : ce qui lie
l'humanité, en menant la même bataille contre certains tenants de
l'idéologie du Progrès que celle où s'illustra Nodier
notamment. Le Maléfice illustre bien mieux que La
Magicienne, la réalité d'une part irrationnelle
irréductible à l'humanité, et qui, en étant
niée sous couvert de superstition, devient d'autant plus
mystifiée, comme dans L'Horoscope. Le physionomiste
acharné qui ne reconnait pas sa propre superstition, est pareil à
celui qui croit aux lignes de la main ; ce dont la gitane, elle, se soucie peu.
Dans le Maléfice, les personnages renvoient le spectateur
à une condition irréductible et indépendante de toute
culture.
Section 1. Des émotions universelles
344 Lebensztejn, Jean-Claude, L'art de la tache,
introduction à la « Nouvelle Méthode » d'Alexander
Cozens, Paris, Éditions du Limon, 1990, p. 493.
345 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 46.
91
Théophile Thoré346 devint en 1844 le
principal promoteur de l'art de Diaz, ce qui du point de vue de ses propres
recherches physionomiques peut étonner. On comprend l'engouement de
Thoré pour Diaz aussi à l'aune de l'analyse que nous
présentons ici. Thoré, très intéressé comme
beaucoup de ses contemporains par la progressive découverte des peuples
étrangers, souscrit à la notion de caractère et de type,
et participe à asseoir la science des caractères dans son
Dictionnaire de phrénologie. Sa dernière phrase explique
cependant la visée particulière pour laquelle son oeuvre n'est
qu'un moyen : contribuer à l'amour entre les peuples, en leur permettant
de reconnaitre en chacun l'oeuvre de Dieu. Thoré pensait oeuvrer pour
l'harmonie et la compréhension mutuelle des individus et des «
races347 » ; suivant la même aspiration, il explique en
1855 dans La Revue universelle des Arts voir à l'Exposition
universelle la formation d'avant-gardes artistiques ne respectant pas les
frontières, comme l'annonce de l'avènement d'une «
école universelle (...) à laquelle rien d'humain ne sera
étranger348 », reprenant les mots du philosophie
Térence349. L'art peut devenir une langue universelle, se
donnant comme un autre moyen que la science phrénologique à
l'entente entre les peuples, grâce aux avant-gardes, dans l'esprit de
plusieurs théoriciens et acteurs de la scène artistique
française, dont Thoré, ou encore Baudelaire350.
Thoré voit précisément chez Diaz l'émanation du
divin commun à toute la Création. Mais Diaz s'écarte de la
recherche typologique, et en cela répond aux aspirations de Thoré
dans un sens qui peut être lui échappe.
Diaz assume que l'étrangeté et
l'altérité résistent à la science, qu'ils sont
inhérents à la perception de l'homme. En conséquence,
l'identité que l'on pourrait voir apparente est mise à mal par le
peintre. Devenant interchangeables sous leurs costumes, les personnages de Diaz
donnent matière à réfléchir sur la pratique du
déguisement en essor sous le Second Empire. Les déguisements
peuvent infléchir la perception de l'instant, et éventuellement
le déroulement des intrigues. L'identité d'un individu se «
colore » de son apparence, il n'y a pas d'individualité
indépendante de son être-là. Cette importance de l'instant
où le déguisement accorde une fuite dans un ailleurs se retrouve
chez l'Impressionniste Renoir, avec Parisiennes habillées en
Algériennes ; saisir la poésie de Diaz permettrait ainsi de
relire l'oeuvre de Renoir, particulièrement ses oeuvres parfois dites
« faibles ». De même, compte tenu du rayonnement de Diaz, la
poésie de l'anecdote qui traverse son oeuvre pourrait permettre de
reconsidérer la façon dont certains Réalistes comme Manet
s'y prêtent, qui
346 Sur la complexité de la sensibilité critique de
Thoré, voir Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p.
205-216.
347 Thoré, Théophile, Dictionnaire de
phrénologie et de physiognomonie, à l'usage des artistes, des
gens du monde, des instituteurs, des pères de famille, des jurés,
etc., Paris, La Librairie Usuelle, 1836 ; voir les phrases conclusives de
l'auteur, qui y résume son intention humanitariste.
348 Bruger, William (pseudonyme de Thoré,
Théophile), « Des tendances de l'art au XIXe
siècle », Revue universelle des Arts, t. 1, 1855, p.
83.
349 Térence, L'Héautontimoroumertos, c.
170-160 av. J.C., v. 77.
350 Voir l'article de Béatrice Joyeux, « Art
moderne et cosmopolitisme à la fin du XIXe siècle. Un
art sans frontières ? », Hypothèses, 2002/1, p.
187-199.
92
passent aussi pour des oeuvres « faibles351
», pour ne pas dire incohérentes. A la transparence
idéalisée s'oppose la réalité du jeu des
apparences, auquel la jeune fille du Maléfice peut se faire
prendre. Ce jeu d'apparences, niant l'existence absolue d'une identité
essentielle à trouver chez les personnes, explique le jeu à
l'oeuvre chez Diaz, et son intérêt particulier pour le
déguisement dans sa vie, la construction de son personnage artistique,
et l'interchangeabilité de ses personnages. En se parant d'une
façon qui évoque l'imaginaire ou l'exotique, l'individu ravive le
plaisir qu'il prend à être là en pouvant jouer avec sa
propre présence.
Le peintre unifie plutôt le genre humain sous cette
condition individuelle et commune, faisant de ses protagonistes des individus
s'accompagnant souvent sans même se parler. L'idée d'une «
langue » universelle ne correspond que de façon secondaire à
l'oeuvre de Diaz, puisqu'il s'agirait tout au plus d'expériences
partagées par le genre humain, expériences amoureuses et
familiales. Sous ses traits mythologiques, allégorisé de
façon personnelle ou narré dans des anecdotes, l'Amour s'installe
comme principe hégémonique, auquel répond les
scènes de familles et d'enfants, mais aussi les scènes de
conversation. Les mêmes assemblées en sous-bois se jouent d'un
continent à l'autre (voir repr. 34, 35, 36), car ce qui occupe les
interactions humaines est en premier lieu l'amour et toutes les histoires que
l'on se raconte. Diaz suppose que l'humain est unifié par la cellule
familiale - l'idée ethnocentrée est facilement accessible et a
une profondeur suffisante pour que la sociologie ne la réfute que
très récemment352 - et en tire la langue universelle :
l'amour, qui confirme sa foi.
Ces manières répétitives,
attribuées indifféremment à tous les protagonistes des
différents ailleurs de Diaz, renvoient à une force de
grâce, notion caractérisant un rapport individuel aux choses, que
peut partager l'ensemble de l'humanité. Cette grâce est
elle-même art de la suggestion et de l'appréhension de l'autre,
une forme de délicatesse poétique et d'intention altruiste que le
peintre décline dans un répertoire limité et
répétitif de scènes de genre. Il met ainsi en scène
le don, l'accompagnement, la sensibilité aux choses. L'insistance du
motif répété nous ferait oublier que quelque chose est
bien mis en scène et inlassablement représenté : une
manière, une « magie », art de faire, au sens qu'aurait pu
utiliser Diderot. Ce sont aussi ces échanges et
interchangeabilités qui traduisent le même sentiment d'harmonie
humaine à laquelle Thoré fait référence.
Diaz, par son succès, a expérimenté la
vanité de la recherche de l'expression juste pour satisfaire à la
prégnance d'une émotion sur un public, et la
supériorité de la suggestion, qui elle, est universellement
partagée.
351 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit.
352 Voir Godelier, Maurice, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie,
Paris, Flammarion, 2007.
93
Section 2. La magie, constante anthropologique
Le personnage de la sorcière des scènes de
Maléfice, illustre bien l'idée universalisante et
transcendantale qui parcourt toute l'oeuvre. Il illustre comment Diaz recherche
les constantes anthropologiques qui déterminent toute organisation
humaine, ce qui explique aussi pourquoi le sujet est amplement
développé tout en restant une évocation isolée du
registre fantastique. La magie apparait chez Diaz en tant que constante
humaine, expression de son fonctionnement psychique et social, à
côté du don par exemple, que Diaz met aussi en scène comme
l'expression nécessaire du fonctionnement social. Personnage intemporel
et transculturel, la sorcière est une image de ce qui lie tous les
peuples et toutes les époques.
Il est en effet propre à l'artiste de déployer
une iconographie de la sorcière où celle-ci tient un rôle
social important, et valorisé, se fait apprécier des jeunes
filles qui viennent apprendre auprès d'elle, comme dans La Bonne
Aventure, pendant ovale d'un Repos oriental (repr. XXI). Les deux
scènes illustrent le jeu harmonieux d'interactions sociales
transportées dans une Arcadie intemporelle. La sorcière des
Maléfices tire donc son emprise sur la jeune fille de la
confiance que celle-ci pourrait avoir en son ainée, et la scène
représente de façon poétique une intrigue sociale avant
tout. Le fantastique est revisité par le peintre comme pour rappeler
à ses contemporains l'incursion inévitable de la pensée
irrationnelle dans la vie de tous les jours, et la réalité du
rôle des sorcières dans la société
préindustrielle. À mi-chemin entre la peinture pittoresque de
Robert qui cherche à fixer les types menacés par
l'avènement de la société industrielle, et Goya dans
l'inquiétante persécution sociale que mènent les
sorcières des Caprices353, Diaz réhabilite la
part d'irrationnel à l'oeuvre dans la réalité. L'image
réaliste de Rembrandt put le frapper par la véracité
anodine de l'existence de croyances dans la société occidentale
du XVIIe siècle.
En faisant du contact le centre du Maléfice de
la galerie Martinet (repr. XIV), la main posée sur le bras de la jeune
fille évacue tout le répertoire fantastique de l'iconographie de
la sorcière et renoue avec une description réaliste de l'attaque
de sorcellerie pratiquée dans les campagnes, qui consiste à
asseoir une emprise par le contact avec la victime. Le « toucher »
usité dans la sorcellerie, sert à maudire ou guérir. Dans
le tableau, ce contact est aussi une intrusion dans l'espace du personnage de
droite, dont l'impression est renforcée par la composition du
décorum. L'arbre délimite un espace où se découpe
la silhouette de la jeune fille et qui englobe la tête penchée de
la sorcière.
353 Goya, The Conjurors or The Spell, 1797-98, h/t
43,5 x 30,5 cm. Museo Lazaro Galdiano, Madrid. Scala/Art Resource, NY
. Il collectionne les Désastres de la guerre et les
Caprices353.
94
En cherchant à renouer avec le rapport primordial
à la nature, Diaz se penche sur « la pensée sauvage »
décrite par Michelet. Tout comme les hommes rêvent, toutes les
sociétés connaissent des individus qui se réclament d'une
pratique magique. La question occupe assez tôt l'histoire de l'art et
l'anthropologie, qui y voient la première expression de l'art. Tout
comme l'art, le rituel se trouve aussi loin que porte le regard sur l'Histoire,
dès l'émergence de signes et de formes. La magie parait comme
l'art, un élément consécutif à l'activité
humaine du moins en société. La sorcière est donc à
l'image de l'artiste, dépositaire d'une science de l'imaginaire. L'homme
rêve, et l'homme use des rêves : Diaz en tant que peintre de son
temps, le sait puisque sa peinture se juge à l'aune de son impression
sur les esprits.
Dans l'étude de la « magie » de Diaz, se pose
incidemment la question du sens dans lequel il faut lire le mot, compte tenu de
sa polysémie. Si l'on souscrit à la notion première de
magie, où s'accordent tour à tour l'anthropologue et l'occultiste
pour attribuer au mot la science de l'imaginaire, il faut paradoxalement
écarter l'idée que cette magie soit synonyme de superstition. La
magie de Diaz au sens anthropologique caractérise la préscience
d'une psychologie du public dont il faut tirer parti, tel que le font les
sorcières de ses tableaux. En tant que sujet pictural, la magie
représentée dans des sujets fantastiques n'est que la
déclinaison polysémique de la magie sociale, au sens de Bourdieu,
décrite dans les scènes de conversations notamment. En tant que
sujet celles-ci renvoient en miroir à la science empirique que tire Diaz
d'un parcours extraordinaire pour son temps, et qui lui vaut son titre.
Cependant, la notion totalisante de magie sociale peut
être le sujet de toute anecdote, par n'importe quel peintre. Elle ne nous
aide à définir l'art de Diaz que dans la mesure où l'on
pourrait lui attribuer sa science empirique de ce qui lie l'humanité, et
une réflexion sur la portée de l'imaginaire avec laquelle il
démêle lui-même les relations de cause à effet entre
son histoire et sa carrière de peintre, créant un conte de
fées.
Le faire de Diaz, dominé par son principe de plaisir,
le jeu sérieux appris de la Renaissance, comporte en lui-même une
mise en scène rhétorique de ce qui compose la partie
irrationnelle irréductible à l'humanité. Ce qui est
superflu, comme l'art, la parure, la décoration, réductible chez
les bohémiennes du tableau à la simple coquetterie du
décolleté de la jeune fille, sont autant de constantes
anthropologiques que Diaz décrit dans ses anecdotes en déclinant
les costumes, et en les faisant primer sur l'individualité. En jouant
avec ses enfants et en conscientisant un certain usage de la parure, Diaz se
défait d'une codification stricte propre à son temps, et ouvre
son mode de vie et son être au monde à d'autres possibles. Celui
qu'il cherche est propre à la quête bohême, un rapport
95
« authentique » au monde, qu'il pense trouver dans
la valeur de l'imaginaire et du symbole véhiculés par le
superflu, comme l'aurait dit Voltaire, et les gestes anodins, comme le geste de
la sorcière.
Section 3. Les mêmes histoires contre
l'Histoire
Théophile Thoré pointait ce qui chez Diaz
réunit la beauté idéale des formes de sa peinture à
la suggestion d'une force démesurée et Sublime354. Le
critique a insisté sur la finesse de sa sensibilité, le rendant
apte à développer le genre de la fête galante là
où tant sont passés à côté de l'esprit du
genre de Watteau en copiant sa forme. Il a semblé judicieux dans cette
étude de fouiller parmi les nombreuses références
picturales de Diaz, ce qui le rapproche de la Renaissance, où s'est
illustré son grand maître à penser, Corrège, et plus
particulièrement la réflexion sur le jeu des apparences. Cela
irait donc dans le sens de Thoré, en pouvant expliquer le sens du
Sublime derrière les apparences mesurées et sages de sa peinture.
Les allégories mises en équivalence avec des tableaux
anecdotiques, par la répétition des formes et
l'interchangeabilité des figures, créent une oeuvre parcourue de
métamorphoses incessantes. Ces anecdotes répétées
et décrivant la même scène, comme le
Maléfice, installent l'idée d'une permanente
répétition d' « histoires », à la façon
dont le conte illustre dans une histoire ou une légende, celle de
l'humanité. Tenant par l'anecdote l'éternelle
répétition humaine, le macrocosme par le microcosme, Diaz confine
au Sublime.
Sans passer par le genre historique, à la
différence des peintres « pompiers355 », Diaz use
de la scène de genre dans sa vocation à être « la
petite soeur356 » de la peinture d'histoire. Comme dans le
Maléfice, où les protagonistes illustrent un rapport de
force mu par des réflexes, tels que la jalousie que peut inspirer la
beauté, le peintre se penche uniquement sur des éléments
immuables, qui dépassent la vie des hommes et transcendent la lecture de
l'Histoire des batailles et des Nations. Ainsi en va-t-il en premier lieu de la
Nature, à laquelle va la vocation artistique de Diaz, puis du Mythe
représenté en allégorie, et décliné dans les
situations psychologiquement imparables des scènes de genre. Diaz peint
l'immuabilité de l'emprise amoureuse sur l'homme, dans une
temporalité suspendue. L'intemporalité se double d'une
universalité, comme nous avons pu le mettre en lumière, dont on
peut déduire un attachement particulier à l'idée de
situations humaines qui font l'histoire de l'humanité. Le genre
historique, lui, suppose de décrire un évènement, dans une
unité d'action, de temps et de lieu, qui marquerait l'Histoire prise
dans son évolution ; Diaz y oppose
354 Voir Kant, Emmanuel, Observations sur le sentiment du
Beau et du Sublime, Paris, Vrin, 1997.
355 Zerner les définit comme étant en
général « renommés de leur vivant, qui se
spécialisèrent dans d'importantes toiles historiques et
religieuses », alors que Diaz ne produit aucune « grande machine
».
356 L'expression est de Nadeije Dagen, Lire la peinture,
Paris, Larousse, 2009.
96
une oeuvre entière consacrée à ce qu'il y
a d'immuable et d'intemporel, que ces évènements, chers au grand
genre, ne changeront pas.
Baptisée par la critique, lors de son envoi en 1835,
« bataille des pots cassés357 », La bataille de
Médina Coeli, la seule scène de bataille de Diaz reste
isolée dans son oeuvre. La solidité des formes attendue dans le
grand genre, signalant l'importance des évènements historiques et
leur permanence dans la mémoire, n'est pas dans l'idée du jeune
peintre allant à l'assaut du public. Son idée de ce qui fait
l'Histoire se trouve ailleurs, et quelques années plus tard, abandonnant
les dimensions imposantes, il revient au Salon avec une véritable
barricade de « tableautins » entachés, pour mener sa bataille
romantique. Petites taches, ses personnages contribuent à une histoire
de la trace que laisse chacun.
Dans le Maléfice, à l'image de ses
autres anecdotes, la narration est réduite à une composition
simple, dont seulement quelques détails sont décrits. L'attention
du spectateur se focalise sur l'interaction de deux personnages, puis elle est
ramenée par les éléments du décorum à
l'idée d'une force naturelle qui oeuvre entre eux. Le spectateur est
immergé dans un espace indéfini, comme celui du conte. Ce
maléfice parait d'autant plus prégnant qu'il est invisible,
contenu dans l'émotion troublée d'un personnage
prédisposé à être frappé par le sort. En
réduisant les attributs et attitudes des personnages à une
très douce pantomime, l'artiste va à l'essentiel de la situation
: un rapport de forces, un jeu de réflexes psychiques dont les
règles sont naturelles.
Les détails eux-mêmes - dans cette scène
le poignet cassé, l'index légèrement levé, un pied
avançant, la tête penchée - se répètent d'un
tableau à l'autre et composent un répertoire de composition
réduit. Cette insistance, si peu commune au milieu du XIXe
siècle, qui rappelle plutôt l'entêtement individualiste d'un
artiste d'avant-garde tel qu'on en connaitra au XXe, traduit
symboliquement un rapport au monde immuable.
La touche du peintre qui dilue la solidité des formes
en insérant un jeu entre elles, « comme explosée par une
locomotive », ainsi que la perspective souvent barrée par un
écran naturel, signalent la suprématie d'un instant où
chaque chose rejaillit l'une sur l'autre.
Chapitre 3. La parole à l'oeuvre
L'action décrite dans le Maléfice tient
dans une parole. La plupart des tableaux de l'artiste sont des scènes
sans communication entre les protagonistes, des pantomimes muettes. Les
scènes de
357 Silvestre, Théophile, Les artistes
français, op. cit., p. 141. L'expression proviendrait
selon lui des amis du peintre.
97
conversations même mettent avant tout en scène
une entente tacite et chaleureuse entre les personnages qui prime sur tout
dialogue. Le Maléfice place quant à lui peut se
réduire à une parole prononcée, mise nettement en valeur
dans chacune de ses versions. Si le genre et le nombre de personnages
malévolents varie d'un tableau à l'autre, leur attitude
penchée, murmurant à l'oreille de la jeune fille est l'essentiel
du sujet.
La parole est l'agent magique, qui suggère à la
jeune fille des idées néfastes. Dans la Scène
d'Incantation, Diaz accentue aussi la parole du personnage là
où Téniers358 par exemple se focalisait sur les
accessoires magiques pour décrire le surnaturel.
Section 1. Le verbe, essence humaine de la
Création
L'unicité humaine décrite dans les paragraphes
précédents s'observe, comme nous l'avons fait remarquer
précédemment, dans la négation de la typologie des
expressions en fonction des caractères nationaux. Ceci sous-tend qu'au
lieu de chercher l'humain dans le déploiement et la
variété de ses expressions, Diaz le ramène à
l'essentiel : la possession commune de moyens d'élocution et
d'expression. Dans le Maléfice, il insiste sur le pouvoir
créateur des mots : ils font et défont les situations, influent
sur les personnes.
Le Maléfice n'est pas exactement la seule
scène où l'usage de la parole est mis en évidence. Diaz en
fait notamment le sujet du Conteur (repr. 33) où la parole est
utilisée comme support du mythe oralement transmis. L'usage des mots est
pris comme la condition nécessaire à la vie sociale, à
même de donner un sens à l'existence du groupe, et
élément principal sur lequel repose le quotidien.
C'est grâce à la critique que Diaz est reconnu
comme artiste. De ce point de vue Diaz peut connaitre d'une façon
égale l'importance de l'association amicale, qui est à la base de
la synergie artiste-marchand-critique, et de la parole qui agit dans cet espace
virtuel pour créer de la valeur abstraite.
Les rumeurs qui créent les intrigues, les promesses,
les insinuations, les épanchements, créent des affinités,
permettent la cohésion et entretiennent la principale source de
conflits. Ce sont ces histoires qu'on raconte qui font l'histoire des
individus. La vieille femme couverte, pourrait jouer de la sensibilité
de la jeune bohémienne aux moeurs inconséquentes, en lui
rapportant ce qu'on dit d'elle, qu'elle « fait des histoires », pour
qu'à l'avenir elle n'expose plus ses charmes.
Diaz oppose à l'idéal de transparence
romantique, où l'expression peut révéler mutuellement
à deux interlocuteurs leur moi profond afin de rompre avec une
codification pesante, la vacuité d'une telle
358 David Teniers, Scène d'Incantation, 1650, oil
on cooper, 36,8 x 50,8 cm, Collection of the New York Historical Society.
98
entreprise, et revisite plus volontiers la sociabilité
du XVIIIe siècle ou d'un ailleurs oriental. Les deux sont mis
en équivalence, opposés à la modernité
individualiste, et supposent un degré de sociabilité et de
solidarité rendu mieux accessible par l'évacuation de l'enjeu
identitaire de la transparence. En soulignant l'existence de la parole et en la
faisant primer sur l'expression, Diaz nie l'idéalité de la
sociabilité de son temps. La parole d'un tiers agit quels que soient les
efforts de communication, la sorcière du Maléfice
pouvant balayer en quelques suggestions la construction d'un couple
amoureux, voire l'identité même de la jeune fille en l'atteignant
dans son narcissisme. Lorsque le peintre revisite la fête galante de
Watteau dans la Descente de Bohémiens en substituant les
aristocrates aux voyageurs, il établit une équivalence
d'élite morale. La bohême devient dépositaire d'un sens
authentique qu'il lui appartient de transmettre, formant la nouvelle tradition
romantique. Les bohémiens, comme les exilés de Coblence, voyagent
en préservant un sens moral et une culture propre, indépendante
des frontières et des nations. Par-delà la recherche rationaliste
déraisonnablement systématique d'un type, Diaz fait renouer la
bohême avec ce que peuvent partager bohémiens et aristocrates
idéalisés : un sens de l'association et de la conversation,
c'est-à-dire une sociabilité viable. Les bohémiens
deviennent une aristocratie débarrassée du luxe et des
codifications.
Contrairement à ce que suppose l'idéalité
d'une révélation mutuelle359 par le travail de
l'expressivité d'une identité, la parole ne peut se contenter
d'informer sur une personne, elle modifie sensiblement les rapports de pouvoirs
et agit d'elle-même sur les situations. Diaz peut être sensible
à l'idée du Verbe créateur, puisque c'est ce qu'enseignent
les écritures.
Diaz laisse du jeu entre ses personnages, comme s'il opposait
la contrainte de l'expression d'un moi qui traduise l'essence d'un individu
supposément indépendant de l'être-là, et
l'interdépendance de ses personnages dont l'individualité est
brouillée. Le jeu entre les personnages, le jeu entre les coups de
pinceau et entre les formes, est la technique qui n'a pu voir le jour que sous
la dominance d'un libéralisme esthétique, dont le versant social
appelle une réflexion sur l'identité. L'interchangeabilité
des personnages sous leur costume nie la possibilité d'une
révélation du moi individuel par transparence, et ramène
à un jeu d'apparences, où l'on peut mentir sur son
identité, infléchir le cours des choses et sa propre
identité par le costume.
Section 2. La parole, agent magique
359 À propos du passage des codes mondains
d'interactions de l'Ancien Régime (civilité) au code romantique
de révélation mutuelle, voir Perrot, Philippe, Le travail des
apparences. Le corps féminin, XVIII-XIXe siècle,
Paris, Seuil, 1984, notamment p. 90 s.
99
Comme dans ses autres scènes de sorcières et
devineresses, la magie évoquée renvoie à des
phénomènes naturels. La parole est utilisée par la
sorcière comme dans L'Horoscope, où la figure de la
cliente tournée de façon incrédule vers le spectateur
rappelle la composition de Jean Broc360.
Le Maléfice opéré par la parole
correspond assez bien à une attaque de sorcellerie, et
réciproquement, le pouvoir que Diaz peut prêter à la parole
correspond dans une lecture sociologique à ce qu'est la magie, art de
créer du sens, de faire.
Dans une étude anthropologique sur la sorcellerie
normande des années 1970, Jeanne Favret-Saada explique :
« Sur le terrain, je n'ai pourtant rencontré que
du langage. (...) Je soutiens aujourd'hui qu'une attaque de sorcellerie peut se
résumer à ceci : une parole prononcée dans une situation
de crise par celui qui sera plus tard désigné comme sorcier est
interprétée après coup comme ayant pris effet sur le corps
et les biens de celui à qui elle s'adressait, le quel se
dénommera de ce fait ensorcelé. (..) en sorcellerie, l'acte,
c'est le verbe. (...) la sorcellerie, c'est de la parole, mais une parole qui
est pouvoir et non savoir
ou information361. »
Pierre Bourdieu dans un travail très différent
sur les phénomènes de société courants que sont
l'économie et le pouvoir politique, fait remarquer de la même
manière que la parole ne sert pas qu'à se faire comprendre, mais
est un instrument de pouvoir.
« Les discours ne sont pas réellement (...) des
signes destinés à être compris, déchiffrés ;
ce sont aussi des signes extérieurs de richesse, destinés
à être évalués, appréciés et des
signes d'autorité, destinés à être crus et
obéis. »
Il pose cette influence de la parole comme un
procédé magique : la « prétention à agir sur
le monde social par les mots, c'est-à-dire magiquement, est
plus ou moins folle ou raisonnable selon qu'elle est plus ou moins
fondée dans l'objectivité du monde social. (...) Le principe
véritable de la magie des énoncés performatifs
réside dans le mystère du ministère362.
»
Magie ou efficience, efficacité, la définition
prend un tour totalisant duquel aucune action ne peut échapper. Ainsi la
baigneuse d'un tableau de Diaz qui entretient son amie pour lui prodiguer
conseils entend comme le décrit le sociologue agir sur le monde social
magiquement, et l'efficacité de cette
360 Jean Broc, La Magicienne consultée, 1819,
huile sur bois, 90x116 cm., Salon de 1819 (n°176), puis musée du
Luxembourg, aujourd'hui à Bayeux, musée Baron Gérard, inv.
P0055.
361 Favret-Saada, Jeanne, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, 1977, p. 25-26.
362 Bourdieu, Pierre, « La formation des prix et
l'anticipation des profits », Langage et pouvoir symbolique
(textes de Ce que parler veut dire (1982) revus et
augmentés par l'auteur), Paris, Seuil, 2001, p. 113.
100
parole, c'est-à-dire le soulagement de son amie, tient
au statut amical qu'elle tient pour l'interlocutrice. Radicalement
opposée d'une définition fantastique, la magie sociale recouvre
toute la réalité de l'efficacité d'une parole
prononcée dans un but. L'envergure devient impressionnante si comme Diaz
on veut bien attribuer tout l'édifice social à l'existence de
mots prononcés pour construire un mythe. Le but vertigineux de contenir
tout un groupe en une culture est atteint par la croyance en un discours.
Le Maléfice, où tout attribut fantastique est
évacué, montre un personnage dont l'âge avancé
l'autorise à empiéter sur le libre arbitre de la jeune fille. La
sorcière use du symbole dans un but pragmatique.
L'usage de costumes, et le développement de modes, peut
réciproquement infléchir la perception que l'on a d'un individu,
et autoriser celui-ci à certaines paroles, qui seront efficace sous
cette condition. La théâtralisation, et le jeu du paraître
et de l'être.
Diaz peut s'intéresser de premier chef à ce qui
constitue le groupe, ce qui le lie. Toujours la même scène de
conversation, que ce soit entre des nobles ou des orientales, l'entretien pour
passer le temps, paraît être un élément intemporel et
universel. La figure universalisée est assise à même le
sol, au contact de la nature, et souvent en léger contraposto
lorsqu'elle se tient debout.
Pour Bourdieu, le parti pris est sans complexe, la magie
sociale est un phénomène que la science doit comprendre
« sous peine de s'interdire de comprendre les
phénomènes sociaux les plus fondamentaux, et aussi bien dans les
sociétés précapitalistes que dans notre propre monde
(le diplôme appartient tout autant à la magie que les
amulettes) [nous soulignons], la science sociale doit prendre en compte le
fait de l'efficacité symbolique des rites d'institution ;
c'est-à-dire le pouvoir qui leur appartient d'agir sur le réel en
agissant sur la représentation du réel363. »
Les réflexions de Bourdieu nous permettent de regarder
d'une façon différente les liens étroits que l'oeuvre de
Diaz entretient avec sa propre vie, jusqu'à s'illustrer elle-même
comme partie agissante sur la vie de Diaz dans La Fée aux
Fleurs.
« "Deviens ce que tu es." Telle est la formule qui
sous-tend la magie performative de tous les actes d'institution. L'essence
assignée par la nomination, l'investiture, est, au sens vrai, un
fatum364. »
363 Bourdieu, Pierre, « Les rites d'institution »,
op. cit., 178.
364 Idem., p. 181.
101
Dans une lecture bourdieusienne des traces de Diaz, on peut
dire que son investiture en tant que peintre, qui se vérifie dès
ses premiers succès marchands les premières années de
1840, puis au Salon en 1844, lui fait embrasser une vie d'artiste qui lie son
oeuvre à sa vie de plus en plus fortement à mesure que les
discours agissent « magiquement », au sens de Bourdieu, sur lui. Le
fatum de la nomination, du nom d'artiste, a le même sens que la
Fata, Fée marraine qui lie son destin.
Section 3. Une oeuvre pour tout discours
« Dans une forêt peinte par Diaz, il y avait une
tendre mère et son enfant qui faisaient une halte. Ils se trouvaient
à une bonne heure du village. Des troncs noueux conversaient dans une
langue archaïque. La mère disait à l'enfant : " (...) Tu vas
tout de suite cesser de te cramponner à moi, petite peste, espèce
de petit pot de colle365. (...) " »
Rober Walser rend ainsi en 1924 l'air de conte de l'oeuvre,
mêlé à des accents picaresques. Les détails et
motifs récurrents dans l'oeuvre du peintre, qui fait l'opacité
analytique de l'oeuvre n'est expliqué par Diaz nulle part, et force
l'imagination du spectateur. De façon générale, les
paroles de Diaz nous sont toutes parvenues rapportées par des
commentateurs : une poignée de jurons et quelques expressions. Lui, ne
laisse que des papiers ayant traits à ses affaires : les listes des
tableaux qu'il prépare pour l'organisation de ses ventes, une lettre au
surintendant des Beaux-arts, quelques mots sur ses déplacements en
voyage. Ce qui marque le plus est la verve tonitruante de Diaz, et Walser
inclut dans son analyse ce que l'on devine de l'opiniâtreté de
Diaz à se faire connaître sous ce jour. En effet, dans ses
Souvenirs, Philippe de Chennevières ne se remémore
à propos du maître que du jour où le Port
abandonné d'Ambleteuse de Jeanron a été
installé à la place d'une toile de Rousseau. La toile
décrochée de son ami provoque chez Diaz une « violence
abominable de langage, dont le bruit avait retenti dans les bureaux et dans les
ateliers », dont de Chennevières se souvient en ces termes : «
Tu n'es qu'un ouvrier, tu voles la place des maîtres... je te f...rai mon
pilon dans le c...366 ». Le plus souvent, les
familiarités ou vulgarités de Diaz font sourire. Louis-Philippe
est séduit lui-même par la façon dont Diaz dit au maitre de
camp du Palais où il fait les fresques, de le laisser fumer sa pipe
puisque « le maître de maison » lui autorise367. Ces
excès de langage toujours rapportés au sujet du personnage
artistique, construisent la carrière du peintre. En lieu et place d'un
discours sur l'art, mis
365 Walser, Robert, « La forêt de Diaz »,
Histoire d'images, textes choisis par Bernhard Eclite, trad. Marion
Graf, Carrouges-Genève, Éditions Zoé, 2006, p. 45.
366 Rapporté par Chennevière, Philippe de,
Souvenirs d'un Directeur des Beaux-arts, préf. Jacques Foucart
et Louis-Antoine Prat, t. III, Paris, Arthéna, 2001, p. 80. Sur
l'évolution de Jeanron dans les mêmes cercles artistiques que
Diaz, voir Rousseau Madeleine, La vie et l'oeuvre de Philippe-Auguste
Jeanron, peintre, écrivain, directeur des Musées nationaux,
1808-1877. Éditions posthume complétée et
annotée par Marie-Martine Dubreuil, coll. Notes et documents, n°35,
2000.
367 Berthet , Elie, « La pipe de Diaz et Louis Philippe
», Le Musée Universel, avril 1877- septembre1877, t. X,
2e semestre 1877, p. 285.
102
à part son enthousiasme pour la couleur et sa haine de
l'ingrisme qui tiennent plus de déclarations aussi spontanées que
ses jurons, se tient une théâtralisation de son opposition
à une idéalité de convention.
Puisque l'artiste voulait manifestement faire connaître
sa manière audacieuse tant en peinture qu'en société, et
qu'il prive la compréhension de son esthétique, c'est
probablement qu'il souhaitait s'écarter radicalement d'une forme
d'estime superflue pour l'idéal. Peut-être méprisait-il le
didactisme théorique autant que la manière lisse d'Ingres. Dans
la courte fable de Walser, celui-ci prête à la mère ce
qu'il comprend de l'intention artistique du maître : « (...) je te
traite avec rudesse, car un traitement trop accommodant ne peut donner que des
gens sans conscience et sans scrupules368 », dit-elle
à son enfant avant de le laisser seul afin qu'il
apprenne la vie et la valeur des sentiments par l'effort. Partant du parcours
laborieux qu'a dû effectuer Diaz, Walser explique le peu de soin que Diaz
accorde à ses figures allégoriques, images d'un idéal qui
ne peut s'accorder de complaisance. Par ailleurs, Bénézit
témoigne déjà d'un oubli soudain et total de la
réelle teneur du personnage : le dictionnaire des peintres fait de lui
un archétype de l'artiste pauvre, détaché des valeurs
matérielles, qui complète si bien le portrait lointain d'un
orphelin unijambiste amoureux de la nature369. Quoique le manque de
traces laissées par Diaz ait laissé une image lacunaire de son
parcours à la postérité, cela n'ôte pas à
Walser sa pertinence. Devant un « tableautin », le spectateur est en
effet ainsi ramené à l'idée qu'il doit fournir un effort
pour atteindre l'idéal moral, lui parvenant de façon floue. Il ne
peut en circonscrire par l'image seulement une véritable idée,
mais doit se confronter à l'expérience, comme Diaz, comme Nerval
ou Nodier, qui sèmera le doute en lui. Les figures «
explosées par une locomotive » reflètent la « vision
atomisée du monde370 » de l'art pour l'art.
L'oeuvre déployée comme une vaste association
d'idées pourrait justifier une lecture psychanalytique comme le font
Miquel371 et Montebello372, car les peintures de Diaz qui
tiennent lieu de discours fragmentent une pensée en morceaux à la
façon dont l'analysant en thérapie dénoue son vécu
en séparant et sous-pesant chaque partie du problème. Mais
l'enfance malheureuse de Diaz n'explique pas à elle seule l'apparence
psychanalytique de l'oeuvre. En revanche, la bohême en tant
qu'expérimentation de l'individu, peut être tenue pour une forme
spontanée de passage initiatique, c'est-à-dire de processus
analytique dans lequel l'individu s'engage pour se réunir au corps
social. Les
368 Walser, Robert, op. cit., p. 47.
369 Cette vision de Diaz prévaut par exemple dans le
Journal de l'Impressionnisme, quoique la formulation est ambigüe
: « Millet, Rousseau, Diaz et Daubigny (...) sont les premiers artistes du
XIXe siècle à ne posséder aucune fortune,
à devoir vivre avec et par leur art... avec eux la peinture devient le
champ d'une révolution sociale et morale.", Blunden, Maria, Journal
de l'Impressionnisme, Genève, Skira, 1970, p. 16.
370 Lund, Hans Peter, « Deux Bohémiens ou l'art de la
folie chez Nodier et Nerval », Romantisme, n°24, 1979, p.
108.
371 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., l'idée
est proposée notamment p. 27.
372 Montebello, Denis, « La forêt intérieure
», Ardemment, en ligne : [
http://ardemment.com/thematiques/foret-diaz-pena.php],
consulté le 14 mai 2013.
103
Jeunes-France de la même génération que
Diaz se comparent comme lui aux modes de vies des siècles passés,
et multiplient déclarations scandaleuses pour bousculer les convenances
quotidiennes : cet habitus social se mettrait-il en place spontanément
pour sublimer, à la façon dont le chamanisme ou la psychanalyse
procèdent par comparaison et fragmentation, l'horreur de la guerre et de
la misère engendrée par la mise en place des États nations
et par l'industrialisation ? Ces réflexions rapides, qui
mériteraient plus de place, donnent une autre portée aux
spéculations sur la sublimation à l'oeuvre chez Diaz. Elles
ouvrent une lecture du rôle sociologique de la bohême artistique,
vis-à-vis du déni face à la mort engendrée par la
violence sociale.
Le motif du Maléfice s'installe dans l'oeuvre
de Diaz comme une sensibilité noire dans un une manière
hermétique, laissant de côté la description d'une action
sadique ouverte et confinant au symbolisme. La douceur de sa manière
lumineuse ne doit pas occulter la violence des thématiques qui se
profilent avec pudeur. En passant du romantisme noir aux tableautin charmant
qu'est Le Maléfice de 1844, Diaz se conforme au gout du public
- chez les dramaturges qu'il admirait tant, Molière pouvait lui fournir
un exemple réussi - et transfigure sa sensibilité bohême
sans la quitter, en l'enrichissant de tout ce que l'élite du sentiment
et de la poésie peut déployer de réflexion sur le
fonctionnement humain.
Chapitre 4. Le mont maudit
La chaine des Pyrénées est le sujet montagneux
que Diaz prend pour sujet, à quatre reprises, dont une qui prolonge le
thème de la malédiction dans le paysage. Le Mont maudit
ou La Maladeta, sommet des Pyrénées,
description réaliste, presque crue du massif de la Maladetta, fait
entrer en résonnance l'opacité infranchissable de la montagne
avec le mystère du mot. Le nom du massif est connu depuis le
début du XVIIIe siècle, entouré d'une
légende de malédiction373, provenant du dialecte
aragonais. La peinture renvoie aux représentations du XVIIIe
siècle pour qui « la haute montagne est stérile,
impénétrable, dangereuse, peuplée d'esprits
malfaisants374 », mais seulement dans une acceptation
subjective de la malfaisance qu'évoque le lieu. Le fils prodigue de
Diaz, Émile, compositeur en passe de devenir célèbre et
collectionneur comme son père, sera envoyé en cure à
Eaux-Bonnes et y mourra loin de sa famille à l'âge de 25 ans.
Narcisse Diaz est lui-même envoyé en cure à Pau, dans les
Pyrénées également, pour tenter d'enrayer une rechute
bronchitique en 1872. Les Pyrénées sont le lieu de la maladie,
qui résonne avec le nom du sommet légendaire, la Maladetta, ainsi
que de l'arrachement, la séparation qui prolonge dans la maladie ce que
le passage de l'Espagne à la France pouvait déjà
évoquer à l'artiste. Celui-ci, attentif à sa propre
psyché, ne peut manquer
373 Escudier, Jean, L'Aneto et les hommes, Pau,
MonHélios, 2012, p. 6. 374Rosen, Charles et Zerner, Henri,
op. cit., p. 62.
104
d'interroger la valeur psychologique que prend la chaîne
pyrénéenne pour lui, en la confrontant à ce
qu'évoque le folklore d'un lieu. Peut-être même sait-il,
comme le fait remarquer Denis Montebello, que « toponyme avant
d'être un patronyme, la peña est colline rocheuse, montagne et
souvent isolée des autres375 ». Le sommet
infranchissable, qui cause la chute des plus téméraires, est
à l'image de l'ascension sociale spectaculaire et improbable de Narcisse
Diaz, qui elle aussi menace d'être comme le mythe de Sisyphe, un
éternel recommencement. La chute des aventureux renvoie aussi à
la déchéance sociale, qui frappait Maria Manuela sa mère,
telle une bohémienne passeuse de frontière.
Parmi le maigre répertoire d'oeuvres fantastiques chez
Diaz, la malédiction revient avec une insistance qui déborde sur
le paysage, comme la féérie des scènes de genre se
retrouvait mêlée à la mare aux fées, et permet de
retourner à la magie des paysages de Diaz. Le Mont maudit,
illustre mieux que ne l'aurait fait la Mare aux fées, la
façon dont le mystère est, pour l'artiste, véhiculé
par les mots que l'on met nécessairement sur la réalité.
Dans ce paysage montagneux la féérie de la touche papillotante
est totalement évacuée, et confronte directement un spectateur
attentif au pouvoir évocateur du mot, capable d'infléchir
considérablement l'interprétation des signes visuels.
Diaz peut le savoir particulièrement puisque c'est
grâce à son nom que le public attribue un « caractère
» espagnol à sa peinture, alors même qu'il ne
représente plus de scènes espagnoles. C'est bien la force seule
du nom qui autorise à Diaz toutes ses audaces picturales. Le pouvoir
évocateur de l'Espagne surprend aussi le peintre confronté
à la Maladetta. Pourtant, forcé de reconnaître dans les
Pyrénées la frontière qui le sépare d'origines
qu'il ne connaît pas réellement, il doit s'interroger sur le jeu
des apparences et du nom, face au rideau montagneux qui se dresse entre lui et
la terre de sa famille, comme un voile entre lui et la réelle culture
espagnole. Lui-même a cru au génie artistique des coloristes
espagnols et traqué la magie picaresque de Velázquez et Goya.
Le déterminisme du nom causé par des
réflexes sociaux permet à Diaz de considérer l'idée
de prédestination et la façon dont les mots que l'on met
nécessairement sur les événements construisent une
légende. Nodier parodie l'idée dans la Fée aux
miettes, et s'en sert pour construire la narration comme un conte
doublé de l'histoire d'un fou nommé Michel et frappé par
le destin invariablement le jour de la Saint-Michel. La question du folklore
revient, comme élément créant du déterminisme dans
la relation ontologique de l'homme au monde. Ainsi chez Diaz un paysage est
nécessairement porteur d'un sens irrationnel et symbolique. L'artiste
est aussi par un concours de circonstances, le profil parfait de l'artiste de
génie : marginal par naissance, il lui suffit de cultiver la suffisance
et la désinvolture pour devenir le jeune artiste qui brise la monotonie
du colorisme et de la peinture romantique. Le folklore du romantisme que
constitue la figure de l'artiste visionnaire et
375 Montebello, Denis, « La forêt intérieure
», op. cit.
105
marginal, accentuée par le climat du Second Empire,
dissipe tous les doutes sur son essence artistique : bien qu'on ne l'aime pas,
on le collectionne. Diaz sait que le monde est traversé d'imaginaire, et
que son impact est aussi important que le travail technique.
Le peintre peut s'interroger sur la façon dont les
éléments de sa biographie sont traqués pour créer
une légende. Diaz, homme et peintre, confronte nécessairement son
spectateur à la question de la coïncidence, à la vision de
correspondances fortuites desquelles un ordre semble s'imposer. Certains
éléments de la vie de Diaz sautent au regard des historiens comme
une poétique faisant ressortir la vie du peintre comme un
élément digne d'être conté, comme le nom du
témoin de sa naissance, « un artiste dramatique de passage, Louis
Nicolas Delacroix376 ».
Les noms sont le principal vecteur d'analyse dans une oeuvre
liée à la vie de l'artiste, comme si lui-même avait
tissé un vaste rêve, empli de métamorphoses et de
déguisements, mettant en scène ces correspondances que voit
l'oeil humain entre lui et le hasard de la vie, la nature. Aussi il est
difficile de savoir, pour La mare aux Vipères, s'il s'agit d'un
nom qu'on donnait à une mare de Barbizon et qui ne serait pas
resté, ou s'il s'agit d'un nom que lui donne Diaz. Enfin, le cas
échéant, ce nom est-il sciemment lié à l'amputation
de la jambe gauche qu'il aurait subi à cause de la morsure d'une
vipère ? Si c'était le cas, cela abonderait dans la
démonstration du rapport intime qu'entretient Diaz avec la forêt,
et de la projection qu'il fait sur la nature de son propre vécu. C'est
ce type d'argument qui a poussé jusqu'ici à faire une lecture
biographique de l'oeuvre de Diaz : à chaque tableau correspondrait un
trait de caractère ou un évènement de sa vie. Rien ne
permet pourtant de le démontrer, d'autant que Roger Ballu à la
mort de Diaz en 1877 livrait encore une version différente de celle de
la vipère : la gangrène provoquée par l'enfant qui gratte
et envenime une piqure bénigne377. Cependant, l'information
n'est pas essentielle pour comprendre que Diaz, en parcourant la forêt et
en revenant en des lieux précis, choisit ceux qui résonnent le
mieux avec son sentiment poétique. Les morceaux de forêt sont donc
en premier lieu un témoignage, une biographie. Si c'est plutôt la
mare aux Vipères qui installe définitivement la version
de la morsure d'une vipère, c'est bien l'imaginaire d'une parole, qui
influe sur le réel et fait une réputation, une destinée :
précisément cette fois-ci ce que l'on pourrait tirer de la
coïncidence entre la vie et l'oeuvre de Diaz, que lui-même pourrait
déployer comme un propos dans sa peinture. Diaz s'intéresse
à la « pensée sauvage », empreinte d'une sensation du
mystère dans des correspondances qui parfois sont suscitées par
la faculté humaine d'attribuer un sens, « la sensation du
présage » dont parlera Giorgio de Chirico :
376 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p.10.
377 Ballu, Roger, « Diaz. Les artistes contemporains »,
op. cit., p. 291.
106
« C'est comme une preuve éternelle du non-sens de
l'univers. Le premier homme devait voir des présages partout, il devait
frissonner à chaque pas378 ».
Diaz face au paysage cherche le rapport premier de l'homme
à la nature, et y trouve la perception humaine à l'origine du
mythe, de toute la condition sociale. Les variations mêmes de la couleur
naturelle sont soumises à une perception mystérieuse, ce qui
pousse Diaz à développer la plupart du temps sa poésie
dans la « réflexion », aux deux sens du terme, que provoque la
lumière dans les feuillages, et son interprétation par l'oeil ;
il abandonne la couleur locale, pour mieux traduire la façon dont
l'esprit attribue une couleur en même temps qu'une valeur symbolique aux
choses. La conscience du poète romantique de ne trouver le romantisme
nulle part ailleurs que dans sa propre perception est exprimée de
façon acerbe par Champfleury dans un poème où un
poète allant dans les bois ne trouve que son double pour
inspiration379.
Diaz tendrait à confirmer idée de Zerner selon
laquelle les expériences de Barbizon mettent en pratique des
théories existantes en Allemagne autour de 1800380. La
peinture de Diaz mêle comme le roman du Cercle d'Iéna,
autobiographie, poésie lyrique, drame, histoire et conte de fées,
et cherche dans la vie réelle ce qui tient du roman : comme dans le
Mont maudit, le hasard de la nature et du folklore faisant écho
à l'oeuvre et la vie du peintre. Comme s'il voulait confirmer une
intuition de Schiller en 1794, Diaz représente des idées par le
paysage, évoque les mouvements de l'âme de façon
allégorique, mais surtout, donne à réfléchir sur la
signification que l'on attribue par réflexe psychologique au
monde381.
378 De Chirico, Giorgio, « Mystère et
création », Le Surréalisme et la peinture, 1928,
présenté dans Art en Théorie :19001990, Hazan,
1997, p. 91.
379 Champfleury, Chien Caillou. Fantaisie d'hivers,
texte présenté et annoté par Bernard Leuilliot, Paris,
Édition des Cendres 1988. Voir Bonnefant Luc, op. cit.,
p.-130.
380Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit.,
p. 64.
381 Voir Zerner, « Friedrich et l'art du paysage »,
op. cit., p. 53 s.
107
Conclusion
A l'instar de l'idée néo-platonicienne, la magie
est Eros, chez Marcel Ficin, la magie qu'évoque Diaz à travers
une poignée de tableaux est celle de l'amour, qui transpire de ses
morceaux de nature et se trouve maintes fois allégorisée à
travers diverses formes sous le pinceau de Diaz. Le peintre puise justement
dans un univers ovidien et fait de son oeuvre une vaste métamorphose. Au
cours de cette étude c'est bien l'Amour chez Diaz qui semble donner de
façon équivalente une approche globale de son oeuvre. Pulsion
érotique à l'oeuvre dans sa démarche projective face
à la nature, où après les leçons d'Alexander Cozens
il dépose des taches avant d'en trouver un motif correspondant ;
fascination pour Eros dont il semble suivre la trace dans la vie secrète
des arbres ou dans les yeux de ses enfants pour leur mère, qui l'aide
à approcher les Idées, à la façon dont Platon le
recommandait. Amour qui rythme la vie de l'homme de sa naissance à sa
mort, amour qui alimente les conversations de tous les hommes depuis un Orient
lointain jusqu'au Grand Siècle. Clé du succès, c'est
l'intuition de ce qui plaira au public qui en fait un « magicien »,
capable de faire fortune avec une facilité déconcertante.
Faire un sujet sur Eros chez Diaz nous aurait permis de
parcourir efficacement son oeuvre, mais nous aurait posé le même
problème de méthode que l'angle de la fantaisie du peintre : quel
corpus réunir, alors que l'Amour et la fantaisie sont
précisément omniprésents ? Sur une poignée
d'oeuvres réunies autour du thème de la magie, nous avons pu non
seulement développer notre lecture globale de l'oeuvre de Diaz, mais
aussi approcher le personnage qu'il était de son vivant dans le milieu
de l'art parisien, et analyser l'insistance avec laquelle ses contemporains
l'ont appelé « magicien ».
Les Fées, dont le nom reprend le phrasé de
Nodier « La fée aux miettes », nous ont permis de balayer la
carrière et la vie de l'artiste en en mettant au jour son
caractère de conte de fées. Diaz construit lui-même un
conte, d'une façon qui parait traduire une philosophie de vie
bohème. OEuvres métaphysiques, elles symbolisent
l'oeuvre-même du peintre, en y restant insolites, placées dans un
décorum radicalement différent des bois qui d'ordinaire sont la
matrice de toutes les projections de Diaz. Fée aux fleurs,
Fée aux bijoux, Fée aux joujoux, se sont penché
toutes trois sur l'oeuvre pour lui faire des dons. Diaz analyse ce qui dans son
faire a jusqu'alors fonctionné, dans un moment de recul où la
faillite le guette. L'artiste attribue lui-même à sa
sensibilité esthétique une attention particulière à
la beauté éphémère et à la grâce, au
narcissisme, et au jeu. Partant d'une forme allégorique tirée
d'un motif conventionnel, Diaz passe par des essais allégoriques qui
annoncent une sensibilité symboliste.
108
Les magiciennes de Diaz sont venues faire écho et
illustrer plus précisément la « magie »
attribuée à Diaz, sous la plume des critiques. Un usage de la
couleur audacieux et réalisant habilement une synthèse des
maîtres passés, ainsi que le programme romantique l'avait
appelé de ses voeux, font de Diaz un Bateleur. Figure du magicien, ou
autrement dit, de l'individu habile qui a réuni les conditions
nécessaires à son succès, le bateleur, qui fait des tours,
correspond bien à Diaz qui le premier explore plus profondément
les potentialités de la vente aux enchères, et tire de ses
esquisses et dessins à l'essence une deuxième et une
troisième fortune. Obéissant au principe de plaisir, Diaz trouve
une façon d'allier la facilité et la réflexion. Ses
oeuvres ont la profondeur que prend son introspection et sa méditation
sur le monde, profondeur contenue dans son attitude projective où il
sollicite son imagination. Marginal, Espagnol à la jambe de bois,
l'artiste a tôt fait d'être mêlé à la figure
d'un magicien, d'une part parce que la proximité entre
marginalité, art et magie sont liées ; d'autre part parce que
lui-même entretient une affinité avec le thème.
Lorsque Paul Mantz résume : « Diaz n'a
été trop souvent qu'un peintre singulièrement habile
à mettre des tons délicieux sur des formes
inexactes382 », il ne fait pas de rapprochement avec une
pensée axée autour des apparences, car la pensée
artistique chez Diaz est effectivement à distinguer d'une théorie
artistique. Cependant Mantz nie la volonté affirmée de Diaz
à produire ces « formes inexactes ». Le peintre ne pense pas
en amont de sa production, n'applique pas d'idée, mais conçoit
dans un mouvement à la fois intellectuel et concret que son oeuvre est
le fruit d'un geste et d'une volonté unifiés. La
désinvolture de Diaz est un principe de plaisir qui lui permet aussi de
tenir tête à l'Académie et à la peinture finie. La
« médiocrité dans toute sa nudité » est peut
être comprise dans le mécanisme qui attribue la valeur de l'art,
pour un artiste admiratif du travail de ses maîtres et de ses
contemporains, qui comprend de quels rouages mercantiles et psychologiques il
apprend à jouer.
Ces formes inexactes sont tout de même un écho
permanent dans l'oeuvre à un art qui attire l'attention vers
l'apparence, l'artifice interdisant de connaître un mystère
impénétrable tant dans l'esprit de ses personnages que dans la
matière du tableau et du monde sensible plus vaste. De multiples indices
profilent l'oeuvre de Diaz dans une relecture de l'art Renaissant qui n'est pas
seulement une imitation mais une réflexion commune sur le mythe. La
collection de Diaz, le style de sa maison à Barbizon, l'importance qu'il
accorde à Eros dans son oeuvre et aux divinités païennes
accusent la conscience qu'avait l'artiste de se replonger dans l'art de vivre
Renaissant383. L'art de mêler sa vie de famille et son atelier
lui fait revisiter la pratique de Rembrandt, membre de sa large famille de
coloristes. Prenant au sérieux l'importance du jeu, Diaz ne se limite
pas à un pastiche de la
382 Mantz, Paul, op. cit., p. 150.
383 Pour une vision globale des thématiques que l'on
connaît de la Renaissance, voir Margaret Aston (dir.), Panorama de la
Renaissance, Thames and Hudson.
109
Renaissance, mais aboutit à une synthèse de
styles passés dont la désinvolture dit la modernité, et
qu'il unifie dans sa vision personnelle.
110
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