II.2. STATUT DU PIDGIN AU
CAMEROUN
Déterminer le statut du Pidgin English implique
également se poser la question de savoir si ce parler convient bien
d'être appelé une langue. Et si tel est le cas, dans quelle
catégorie la classe-t-on ? Bénéficie-t-elle d'un
usage institutionnel ou mi-institutionnel ? Où convient-il tout
simplement de ne la considérer que, comme instrument de communication
transnationale ?
Comme nous l'avons dit plus haut, le Cameroun est un pays
plurilingue qui a le français et l'anglais comme langues officielles et
une multitude de langues locales. Totalement différente de ces langues
officielles et locales se trouve une langue de contact, une langue
véhiculaire appelée : Cameroon Pidgin English qui n'est ni
européen, ni langue locale au sens strict du terme, mais, qui est une
langue composite structurée à base des langues officielles et
locales.
Bien que le Pidgin English se soit imposé sur
l'étendue du territoire national au point de se faire un nom, il n'a pas
encore acquis le même statut ou « prestige »
accordé au français et à l'anglais, qui sont reconnus
comme langues officielles dans la Constitution et recommandés dans
l'enseignement. C'est pour cela que Simo Bobda (2001) et Wolf (2001) disent que
le pidgin English n'a pas encore acquis sa « lettre de
noblesse ».
Cependant, nous aimerions savoir si cette affirmation de Simo
Bobda tient encore de nos jours au regard des démarches entreprises aux
départements de langues africaines (Université de Yaoundé
I) et de linguistique (Université de Buea) d'une part ; et d'autre
part par de nombreux linguistes quant à la standardisation de cette
langue et son éventuel usage dans nos différentes institutions.
Ceci semble tout simplement dire que le Pidgin English conquiert bon gré
mal gré sa « lettre de noblesse ».
Bien plus, Mbangwana,(1983 :90) considère qu'il a
un caractère national, un avis que partage Toddselon qui le pidgin est
parlé par près de 50% des Camerounais. Ce dernier, affirme du
reste qu'il est entrain de devenir une langue maternelle dans certaines
communautés urbaines.
De même, les enseignants du département de
linguistique de l'Université de Buea dans : « Cameroun
pidgin English, un outil pour l'autonomisationet le
développementnational».(2006), soutiennent
plutôt qu'au lieu de viser l'éradication du pidgin, il vaudrait
mieux le promouvoir vu les multiples rôles qu'il joue au sein de notre
société.
De prime abord, le pidgin est une langue adoptée comme
langue d'échange dans les villes et autres zones urbaines. Pour eux, le
pidgin peut servir dans l'éducation et la sensibilisation de masse, et
peut résoudre de nombreux problèmes. Ici, l'écart entre
instruits et non instruits peut être fortement réduit par le
truchement du pidgin. En plus de son caractère non ethnique, il pourrait
devenir le palliatif au tribalisme résultant le plus souvent de la
simple découverte de la provenance tribale de l'autre.
Dans le même sillage, Mbufong.(2001) propose
que le pidgin soit utilisé dans l'ensemble de la zone anglophone du
Cameroun comme moyen d'instruction dans les outils éducatifs pour
adultes, les campagnes de sensibilisation et le théâtre populaire.
Se souciant du sort des non alphabétisés dans la
communication médiatique, il soutient aussi que le pidgin doit
être d'avantage utilisé dans la télé et la radio
pour permettre à un public large d'accéder facilement aux
informations.
Par ailleurs, les mêmes enseignants estiment que le
pidgin peut servir comme source d'extension culturelle et comme véhicule
dans la recherche de l'emploi. Schröder.(2003:119) parlant du
statut du pidgin au Cameroun, dira que le statut de toute langue peut
être réévalué et revu en fonction de son
évolution, de son ampleur et de son rôle social. Cette assertion
apporte un plus à cette partie. Mais ce que Schröder (2003) ne dit
pas, c'est qui devrait évaluer la fonction de la langue dans une
société afin de lui attribuer un statut. Est-ce les usagers de la
langue ou le gouvernement?
Néanmoins, en ce qui concerne le pidgin au Cameroun,
bien qu'il ne soit pas reconnu officiellement et que son usage n'est pas
reconnu par les institutions en place, nous avons observé qu'il a
gagné du terrain vu la manière dont il est utilisé en
situation informelle ou mi institutionnelle et est au regard de sa
considération par certaines personnes comme la langue
première.
En plus des suggestions faites plus haut, Feral repris par
Schröder quelques années plus tard affirme que : «ce
qu'on appelle Pidgin English au Cameroun est en vérité une langue
qui a un éventail fonctionnel beaucoup plus large que celui qu'on
attribue ordinairement au pidgin »(2003)..
Bien avant cela, Bernard Fonlon (1969) faisait
déjà remarquer que le pidgin fut et continue d'être l'une
des langues véhiculaires les plus répandues au Cameroun :
« Pidgin English was and is still the most wide spoken lingua
franca in Cameroon ».
En somme, dire que le pidgin avait un statut de langue
anormale, ou de langue de masse et de rue, au début, cela était
tout à fait compréhensible. Et l'avis de Bobda tient sa place
lorsqu'il déclare en 1980 que, c'est une langue qui perd de sa valeur et
tend à disparaître. Or Alobwede (1989 :54-61), 18 ans plus
tard, réfute cette assertion et rehausse le statut du pidgin en ces
termes : « it has been a low status language under German,
French and British administration ».
Cette
langue était piétinée pendant la période coloniale
et maintenant, elle refait surface et prend plutôt des allures d'une
« langue nationale ». Cette langue sert de pont, de moyen
de rapprochement, entre les différents groupes ethniques.
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