L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
C- La clause de réserve de propriétéAu regard de l'article 2367 alinéa 1er du Code civil, « la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie ». Cette clause se rencontre essentiellement dans les contrats de vente. Dans la vente, le transfert de propriété est paralysé jusqu'au complet paiement du prix, le vendeur se réservant la faculté de conserver le bien objet de la créance. La clause de réserve de propriété peut également viser un contrat d'entreprise. A ce titre, la jurisprudence admet que « l'action en revendication des biens dont la propriété est réservée en application d'une clause contractuelle peut être exercée quelle que soit la nature juridique du contrat dans lequel elle figure »314(*). Cette clause s'est révélée inefficace lorsque le débiteur était en faillite car les créanciers pouvaient alors s'en tenir à la solvabilité apparente de celui-ci315(*). Elle est finalement réhabilitée par la loi du 12 mai 1980 qui l'a rendue opposable aux créanciers en cas de procédure collective. Ce texte a été amélioré par deux lois du 25 janvier 1985 et du 10 juin 1994. Les biens vendus avec une clause de réserve de propriété peuvent être revendiqués en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur. Certains auteurs dénigrent toutefois la clause qui a pour but de vider l'entreprise de nombreux éléments d'exploitation et en compromet le redressement316(*). La revendication d'une marchandise couverte par une clause de réserve de propriété peut être exercée tant que la créance qui la fonde n'a pas été acquittée. Elle est possible dès lors que la clause est convenue par écrit317(*)et que la marchandise est déterminable. En principe, la revendication induit que les biens existent encore en nature. Selon l'article L 624-16 alinéa 2 du Code de commerce, « peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété ». En outre, l'incorporation d'un meuble faisant l'objet d'une réserve de propriété à un autre bien ne fait pas obstacle à la revendication lorsque ces biens peuvent être séparés sans subir de dommage318(*). Pour pouvoir être revendiqué avec succès, un bien vendu avec clause de réserve de propriété doit exister en nature au jour de l'ouverture d'une procédure collective. En principe, la charge de la preuve incombe au vendeur mais selon Pierre Crocq, cette application du droit commun de la preuve ne vaut que si la réalisation d'un inventaire des biens n'est pas imposée aux organes de la procédure collective. S'il y a renversement de la charge de la preuve, il appartient alors aux organes de la procédure collective de prouver que les biens revendiqués n'existaient plus en nature au jour de la liquidation319(*). Cette règle de principe est néanmoins tempérée dans certaines situations. En cas de revente du bien, la revendication porte sur le prix pourvu qu'il n'ait été ni payé, ni réglé en valeur ou compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement d'ouverture320(*). Dans un arrêt rendu le 8 mars 1988, la chambre commerciale a refusé la revendication de la créance au motif que les biens n'étaient plus en la possession de l'acheteur « alors que par suite de la revente par la société R de matériels demeurés en leur état initial et qui ne lui avaient jamais appartenu, le prix encore dû à celle-ci se trouvait subrogé aux biens dont la société C. était demeurée propriétaire »321(*). Si la marchandise est détruite et si la charge des risques a été transférée à l'acheteur, l'article 2372 du Code civil énonce que « le droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l'égard du sous-acquéreur ou sur l'indemnité d'assurance subrogée au bien ». Enfin, la revendication peut s'exercer sur des biens fongibles de même espèce et qualité que ceux qui sont détenus par le débiteur ou pour son compte322(*). Cette règle trouve son pendant à l'article L 624-16 alinéa 3 du Code de commerce. Certains auteurs admettent cependant que la revendication est parfois limitée. Ainsi en cas de cession d'entreprise, si le cessionnaire a honoré sa dette, la clause de réserve de propriété ne lui est plus opposable car il peut bénéficier de l'article 2276 du Code civil, « en fait de meuble, possession vaut titre ». De ce fait, le titulaire d'une clause de réserve de propriété n'est pas assuré de pouvoir revendiquer son bien, d'autant plus qu'il doit s'effacer devant le créancier gagiste et le sous-acquéreur de bonne foi323(*). Ce titulaire n'est pas nécessairement le vendeur initial. La Cour de cassation a admis que le vendeur pouvait transmettre le bénéfice de sa clause à plusieurs cessionnaires324(*). Cette solution a été consacrée par l'article 2367 alinéa 2 du Code civil selon lequel « la propriété ainsi réservée est l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement ». Elle est avantageuse puisque le banquier peut se faire subroger dans les droits du vendeur afin de se prévaloir de la réserve de propriété et s'épargner tout concours avec les créanciers de l'acquéreur. L'efficacité de la clause réside dans le fait qu'elle permet au créancier de demander la restitution du bien en cas de non-paiement du prix à l'échéance, en vertu de l'article 2371 alinéa 1er du Code civil. Si le débiteur fait l'objet d'une procédure collective, la revendication peut s'exercer dans un délai de trois mois suivant la publication du jugement d'ouverture325(*). En cas de refus des organes de la procédure dans un délai d'un mois à compter de la réception de cette demande, le créancier doit dans un délai d'un mois à compter de ce refus saisir le juge-commissaire d'une action en revendication, au regard de l'article 114 du décret en date du 28 décembre 2005. Il est clair que la revendication n'entraîne pas la résolution puisque ces deux mécanismes ne sont pas liés. La résolution nécessite une demande en justice et appelle une appréciation du juge alors que la revendication est l'action tendant à voir reconnaître un droit de propriété sur une chose. Selon l'article L 624-16 alinéa 4 du Code de commerce, il n'y a pas lieu à revendication si le prix est payé immédiatement. Le juge-commissaire peut également accorder un délai de règlement et le créancier bénéficie alors du privilège de l'article L 622-17 du Code de commerce. En définitive, l'action en revendication éteint la créance du vendeur à l'égard de l'acheteur à concurrence de la valeur du bien repris. La valeur du bien repris est alors imputée à titre de paiement, sur le solde de la créance garantie et lorsque la valeur du bien repris excède le montant de la dette garantie, encore exigible, le créancier doit au débiteur une somme à la différence326(*). La nature juridique de la clause de réserve de propriété est controversée. Les professeurs Simler et Delebecque rejettent la qualification de « terme » car le terme et un évènement certain alors que le paiement est en l'occurrence incertain. En revanche, elle peut être assimilée à la condition qui est un évènement futur et incertain dont la réalisation dépend de la volonté de l'acquéreur. « La vente avec réserve de propriété apparaît ainsi comme une vente étalée dans le temps où l'obligation de donner qui la caractérise est suspendue à l'obligation de payer »327(*). La clause de réserve de propriété est donc une sûreté efficace pour le vendeur. Elle produit ses effets tant que le prix n'est pas intégralement payé et ses titulaires sont à l'abri d'un éventuel concours avec d'autres créanciers. Laurent Aynès et Pierre Crocq affirment que la clause de réserve de propriété réunit bien les conditions d'une sûreté. En premier lieu, elle a un caractère accessoire. En second lieu, elle ne doit pas procurer au créancier un enrichissement supérieur à celui qu'il aurait obtenu du fait de l'exécution par le débiteur de son obligation. Enfin, l'ordonnance de 2006 étend l'application du jeu de la subrogation réelle à la clause de réserve de propriété328(*). Néanmoins, la clause de réserve de propriété révèle une certaine fragilité. En effet, le créancier garanti n'a pas la possession du meuble et elle ne fait l'objet d'aucune mesure de publicité. Le vendeur peut contourner la difficulté en stipulant une clause qui transfère la charge des risques à son cocontractant. Il s'agit d'une technique efficace permettant de contrer l'adage « resperit domino ». * 314Cass. Com, 19/11/2003, n° 01-01137. * 315Civ, 28/03/1934, DP 1934, I, 151, note Vandame : « Dès lors que les marchandises sont entrées dans les magasins de l'acheteur, le vendeur ne peut les revendiquer en se prévalant à l'encontre de la masse de la condition mise à la vente par laquelle il s'est réservé la propriété jusqu'à complet paiement ». * 316F. DERRIDA, P. GODE, J-P SORTAIS, « Redressement et liquidation judiciaires des entreprises », 3ème édition, Dalloz, 1991, n° 251. * 317Article 2368 du Code civil : « La réserve de propriété est convenue par écrit ». * 318 Article 2370 du Code civil issu de l'ordonnance du 23 mars 2006 : « L'incorporation d'un meuble faisant l'objet d'une réserve de propriété à un autre bien ne fait pas obstacle aux droits du créancier lorsque ces biens peuvent être séparés sans subir de dommage » ; Cass. Com, 02/03/1999, n° 95-18643 : « la revendication des biens meubles qui n'appartiennent pas au débiteur ne peut s'exercer, à l'égard de la procédure collective, que dans les conditions fixées par les articles 115 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ; les biens litigieux avaient été incorporés à l'immeuble de sorte qu'ils n'existaient plus en nature au sens de l'article 121 de la loi du 25 janvier 1985 ainsi le droit de propriété invoqué par l'entrepreneur n'était pas opposable à la procédure collective ». * 319Cass. Com, 01/12/2009, n° 08-13187, RTD civ 2010 p.361 : « la charge de prouver que les biens revendiqués, restés en la possession du débiteur lors du redressement judiciaire et de l'exécution du plan de continuation, n'existaient plus en nature au jour du prononcé de la liquidation judiciaire, incombait au liquidateur, représentant la société débitrice, en l'absence de réalisation de la formalité obligatoire de l'inventaire ». * 320 Article L 624-18 du Code de commerce. * 321Cass. Com, 08/03/1988, n° 86-15751. * 322 Article 2369 du Code civil : « La propriété réservée d'un bien fongible peut s'exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte ». * 323 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, « Droit civil, Les sûretés, la publicité foncière », Précis Dalloz, 2012, p.666. * 324Cass. Com, 15/03/1988, Coudray, n° 85-18623 : « pour l'application d'une clause de réserve de propriété lorsque l'acheteur a été soumis à une procédure collective, il n'y a pas lieu de distinguer selon que la revendication est exercée par le vendeur ou par un tiers subrogé dans ses droits ; que si le paiement avec subrogation a pour effet d'éteindre la créance à l'égard du créancier, il la laisse subsister au profit du subrogé qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au créancier et qui se rattachaient à cette créance avant le paiement » ; Cass. Com, 15/03/1988, Cauzette-Rey, n° 86-13687 : « la subrogation conventionnelle a pour effet d'investir le subrogé, non seulement de la créance primitive, mais aussi de tous les avantages et accessoires de celle-ci ; qu'il en est ainsi de la réserve de propriété, assortissant la créance du prix de vente et affectée à son service exclusif pour en garantir le paiement ». * 325Article L 624-9 du Code de commerce : « La revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure ». * 326 Article 2371 alinéas 2 et 3 du Code civil ; Cass. Com, 05/03/1996, n° 93-12818 : « La créance du vendeur qui a revendiqué dans la procédure collective les marchandises vendues avec clause de réserve de propriété et retrouvé le droit d'en disposer est éteinte à concurrence de la valeur des marchandises reprises. Si cette valeur excède le solde du prix resté dû lors de l'exercice de l'action, le vendeur doit restituer à l'acheteur la somme reçue en excédent ». * 327 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, « Les sûretés, la publicité foncière », Dalloz, Droit civil, 2012, p.661. * 328 L. AYNES et P. CROCQ, « Les sûretés - La publicité foncière », 5ème édition, Defrénois, 2011, p.383-384 : La jurisprudence admet cette qualification de sûreté, Cass. Com, 09/05/1995, n° 92-20811, Cass. Com, 23/01/2001, n° 97-15817. |
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