1.2 Objet de recherche
Henry Mintzberg a écrit : « Nul ne peut
fabriquer un leader dans une salle de cours. Mais les dirigeants existants
peuvent améliorer significativement leur pratique dans une classe
où leur expérience alimente la réflexion » (2005, p.
XVII). Et pourtant, en ce qui concerne le leadership, beaucoup de dirigeants en
formation ne semblent pas percevoir ce processus d'amélioration des
pratiques dans une salle de cours comme un apprentissage. Lors de nos
entretiens exploratoires, tous les dirigeants interrogés ont
partagé l'idée que « ce n'est pas dans une salle de cours
que l'on peut apprendre le leadership ». Pour illustrer leur argument, ils
nous ont fait part de situations, de moments de vie, au cours desquels ils ont
ressenti un sentiment puissant d'apprendre. Ce qui est intéressant c'est
qu'il existe bien un paradoxe de
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l'apprentissage du leadership entre l'absence du
« sentiment d'apprendre » dans une salle de cours et la
présence de celui-ci dans les situations réelles.
Voici pourquoi l'activité d'apprentissage du
leadership des dirigeants et tous les facteurs intervenant dans ce type
d'apprentissage en dehors des salles de cours, ont été choisis
comme l'objet de notre recherche.
En plus, l'apprentissage, en dehors des espaces
dédiés, n'est pas toujours visible. Selon Schugurensky (2007, p.
13): « Les apprentissages informels ont toujours existé chez
l'être humain mais, à la manière d'un iceberg, la majeure
partie est immergée et invisible. ». Avec cet objet de recherche,
notre ambition est de pénétrer à l'intérieur de
cette partie invisible de l'« iceberg », ou autrement dit, de rendre
visible l'apprentissage du leadership dans les situations informelles. Nous
souhaitons également attirer l'attention des chercheurs en formation des
adultes sur les situations, les moments significatifs, qui favorisent
l'apparition du « sentiment d'apprendre » et qui suscitent les
processus d'apprentissage du leadership des dirigeants.
1.3 Plan de recherche
En tant qu'acteur dans le domaine de la gestion, nous
avons l'avantage d'observer les activités des dirigeants et un
accès plus ouvert à leur univers personnel que les chercheurs
évoluant dans d`autres domaines d'activités. Cependant, le
défi pour nous consiste à combiner les sciences de la gestion
avec les sciences de l'éducation pour mener une recherche dont
l'objectif est de reconnaître et de comprendre l'essence de ce processus
d'apprentissage. Notre plan de recherche s'articule autour des cinq phases
suivantes :
Phase 1 : Revue de la littérature
Comme l'a constaté Laurent Lapierre : « Le
leadership est un phénomène à la fois omniprésent,
ambigu et fuyant. Le concept lui-même est flou, fourre-tout, trop
à la mode. Il en est question dans le monde politique, dans le milieu
des affaires, dans les activités sportives, dans la vie culturelle,
bref, partout » (2008, p. 12), la notion de « leadership » en
général est une notion largement utilisée et aussi
très discutée. La première phase de cette
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recherche est donc de cerner les théories qui
sont les plus proches du milieu de la gestion des affaires et qui
éttayent l'idée que le leadership s'apprend.
Phase 2 : Formulation de la problématique et
construction des hypothèses
Intriguée par le paradoxe qui consiste en
l'absence du « sentiment d'apprendre » chez les dirigeants dans les
salles de cours alors même qu'ils ont ce « sentiment d'apprendre
» dans les situations de la « vie réelle », notre
intention a été de mettre en évidence la difficulté
à saisir et à formuler ce phénomène à l'aide
des théories existantes. Comme ce phénomène a
été constaté sans être expliqué à ce
jour, nous devons essayer d'élaborer des hypothèses à
partir desquelles nous pourrons l'exprimer. La deuxième phase de cette
recherche constitue donc une formulation de la problématique et des
hypothèses.
Phase 3 : Entretiens, recueil des
données
La troisième phase est consacrée aux
entretiens semi-directifs ou non-directifs menés avec des dirigeants
pour recueillir davantage de témoignages sur leurs pensées et
sentiments - un sujet encore peu approfondi dans la littérature sur
l'apprentissage ou sur le leadership. Si la revue de la littérature
permet d'identifier les modèles et les notions qui ont été
déjà étudiées, les entretiens devraient nous
permettre d'accéder à de nouveaux types d'informations,
d'explorer des nouvelles pistes d'analyse et de justifier la pertinence de
l'utilisation de nouveaux termes. Deux types de données doivent
être recueillis: (a) des récits ou des verbalisations des
vécus lors des entretiens réalisés avec les dirigeants ;
(b) des données d'observation d'activités des
dirigeants.
Phase 4 : Analyse et traitement des
données
En utilisant la méthode d'analyse
sémiologique de l'activité7, nous avons tenté
de ne pas seulement écouter les récits ou les verbalisations des
dirigeants sur ce qu'ils pensaient ou
7 Peirce a décrit
de manière formelle les mécanismes de production de la
signification et a établi une classification des signes. « [...] je
suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de
forêts, dans la tâche de dégager et d'ouvrir des chemins
dans ce que j'appelle la sémiotique, c'est-à-dire la doctrine de
la nature essentielle et des variétés fondamentales de semiosis
[le procès du signe] possibles [...] » (Peirce, 1978, p. 135).
Inspirée des travaux de Peirce, la théorie sémiologique du
cours d'action (Pinsky, 1992) permet de décrire la dynamique de
l'activité selon le point de vue de l'acteur.
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ressentaient, mais aussi de les faire argumenter leurs
pensées et leurs sensations, afin de faire émerger l'une des
activités les plus représentatives du métier de dirigeant.
Nous visons ensuite à identifier les éléments
significatifs de cette activité.
Le traitement des données a consisté
à identifier (a) les différents thèmes dans le flux de
pensées évoqués durant une situation spécifique ou
dans un entretien après coup au sujet d'une situation spécifique
et les liens possibles entre ces thèmes (b) la dynamique de la
production d'un sentiment qui est souvent associé avec ce qu'ils
appellent « l'apprentissage du leadership ».
Phase 5 : Vérification des
hypothèses
La vérification des hypothèses de notre
recherche constitue le processus par lequel les hypothèses
préalablement formulées, sont confirmées ou
infirmées. Nos hypothèses seront vérifiées par une
tentative d'observation de l'activité réelle d'un dirigeant.
Cette étape comprendra ainsi la discussion des résultats avec le
dirigeant observé sous forme d'un entretien non-directif, avec les
autres chercheurs dans le domaine de la formation des adultes ainsi que des
chercheurs dans le domaine du management. A la suite de la vérification
des hypothèses, les constats de la vérification vont être
dégagés.
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