Conservatoire national des arts et
métiers
Université Paris 13 - Villetaneuse
Mémoire présenté en vue d'obtenir le
master européen "Formation des adultes : champ de
recherches"
Par
Kim VU
Les dirigeants et le processus d'apprentissage du
leadership hors des salles de cours
Sous la direction de :
Pr. Gilles Brougère - professeur Université
Paris 13
Paris
Le 16 novembre 2012
2 |
TABLE DES MATIERES
Liste des figures : 4
Liste des tableaux : 4
Liste des annexes : 4
Résumé 5
Remerciements 6
Introduction 7
CHAPITRE 1: L'APPRENTISSAGE DU LEADERSHIP 9
1.1 Contexte 9
1.2 Objet de recherche 10
1.3 Plan de recherche 11
Phase 1 : Revue de la littérature 11
Phase 2 : Formulation de la problématique et
construction des hypothèses 12
Phase 3 : Entretiens, recueil des données
12
Phase 4 : Analyse et traitement des données
12
Phase 5 : Vérification des hypothèses
13
CHAPITRE 2: REVUE DE LA LITTERATURE 14
2.1 Littérature sur le leadership 14
2.2 Littérature sur l'apprentissage 19
2.2.1 Skinner et le conditionnement opérant
(néo-behaviorisme) 20
2.2.2 Les cognitivistes et l'apprentissage basé
sur le traitement de l'information 21
2.2.3 Vygotski, le développement et le concept
quotidien 22
2.2.4 L'apprentissage par l'expérience
22
2.3 Littérature sur l'apprentissage informel
25
CHAPITRE 3: PROBLEMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE
29
3.1 Problématiques et hypothèses
29
3.1.1 La variété des significations du
terme « leadership » 29
3.1.2 L'écart dans la compréhension du
terme « dirigeant » 30
3.1.3 L'émergence du terme « sentiment
d'apprendre » 31
3.1.4 La nécessité de la notion «
situation-source » 32
3.2 La question de recherche 33
3 |
CHAPITRE 4: METHODOLOGIE 35
4.1 La recherche qualitative 35
4.2 La population cible, l'échantillon et les
données 35
4.3 Les techniques pour le recueil de données sur
l'action 38
4.4 Entretien d'auto-confrontation et analyse de
l'activité d'apprentissage 41
CHAPITRE 5: LE DEROULEMENT DES ENTRETIENS ET LES
DISCUSSIONS
SUR LES CONSTATS 45
5.1 Le déroulement des entretiens 45
5.2 Les entretiens effectués et les constats
47
5.3 Discussion 62
5.3.1 Le « sentiment d'apprendre » et son
rôle 63
5.3.2 Le fil des pensées des dirigeants
67
5.3.3 La négativité de la «
situation-source » 69
CHAPITRE 6: CONCLUSION ET PLAN POUR LES PROCHAINES
RECHERCHES 72
6.1 Conclusion 72
6.2 Plan pour les prochaines recherches 73
Bibliographie 75
ANNEXES 79
4 |
Liste des figures :
Figure 1 : Les deux catégories de «
situation-source » Figure 2 : Le modèle d'apprentissage par
l'expérience Figure 3 : Les styles d'apprentissage
Figure 4 : Les informations satellites de
l'action
Liste des tableaux :
Tableau I : Résumé des théories du
leadership
Tableau II : Description de
l'échantillon
Tableau III : Le guide d'entretien d'explicitation et de
décryptage Tableau IV : Liste des unités de l'activité de
« donner des ordres » Tableau V : Liste des composantes de
l'activité de « donner des ordres »
Liste des annexes :
Annexe 1 : Liste des auteurs utilisant le terme d'«
apprentissage informel »
Annexe 2 : Schème du fil des pensées des
dirigeants interrogés
Annexe 3 : Le « sentiment d'apprendre » dans
le modèle d'apprentissage de Kolb
Annexe 4 : L'interaction avec autrui dans le
modèle de l'apprentissage (situé) du leadership
5 |
Résumé
La plupart des activités des dirigeants sont
des processus complexes et difficiles à observer. Dans le présent
travail nous nous intéressons à la question suivante : comment
rendre visible l'activité d'apprentissage des dirigeants hors des salles
de cours ? En nous focalisant sur l'analyse de l'activité
d'apprentissage du leadership, dans un premier temps, nous avons essayé
d'explorer les différentes situations durant lesquelles les dirigeants
ont eu le « sentiment d'apprendre ». Dans un deuxième temps,
nous avons adopté l'approche sémiologique dans l'analyse de
l'activité d'apprentissage afin de mettre en évidence le fil des
pensées des dirigeants et la manière dont ils établissent
des liens entre leurs expériences vécues et leur apprentissage du
leadership. Enfin, nous pensons que l'étude sur le « sentiment
d'apprendre » présente un grand potentiel pour les futures
recherches dans le domaine de l'apprentissage informel.
Mots clés : activité, apprentissage,
dirigeant, leadership, processus, sentiment d'apprendre, situation
Abstract
Most activities of the managers are complex and
difficult to observe. In the present work we are interested in the following
question: how to make learning activity outside the classroom of the managers
visible? By focusing on the analysis of leadership learning activity of the
managers, firstly, we have tried to explore different situations in which
leaders have the «feeling of learning». Secondly, we have adopted
semiologic approach in the analysis of learning activity in order to highlight
the train of thought of the managers and the way they establish the connections
between the experiences they have lived and their leadership learning. Finally,
we believe that the study on the «feeling of learning» has a great
potential for the future researches in the field of informal
learning.
Key words : activity, learning, managers, leadership,
process, feeling of learning, situation
6 |
Remerciements
En préambule à ce mémoire, je
souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui
m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à
l'élaboration de ce mémoire ainsi qu'à la réussite
de cette formidable année de formation.
Monsieur Jean-Marie Barbier, Directeur de la
formation, qui m'a donné l'opportunité de suivre cette
année d'études très intense et très
riche.
Monsieur Brougère, mon Directeur de
Mémoire, pour sa disponibilité et ses conseils.
Mme Nadine Faingold pour son cours d'entretien
d'explicitation. Mr. Marc Durand pour son cours d'analyse de
l'activité.
Tous les professeurs qui nous ont enseigné et
qui par leurs compétences nous ont soutenu dans la poursuite de nos
études.
Toutes les personnes interviewées qui ont
accepté de répondre à mes questions en m'offrant
généreusement de leur temps, et sans lesquelles cette
étude n'aurait pu être réalisée.
J'adresse un remerciement très particulier
à Madame Colette Trouvin, Monsieur Sonny Perseil qui ont eu la
gentillesse de lire et corriger mes travaux, à mon amie Laurence
Laillé-Berger pour sa précieuse aide, ainsi qu'à tous mes
amis de groupe MERFA 2011-2012 pour leurs soutiens et leurs
encouragements.
Merci à ma famille pour leur amour.
Pour finir, merci à tous ceux que je ne peux pas
citer ici, pour leur soutien et leur amitié.
7 |
Introduction
«C'est quand une personne ose prendre des risques
et s'impliquer personnellement qu'elle
peut grandir et
évoluer.»1
(Herbert A. Otto - auteur Américain, leader du
mouvement du potentiel humain)
Le point de départ de ce travail de recherche
est ma passion pour l'observation de la manière dont les personnes
vivent les changements et les évolutions. Leurs récits de vie
m'apprennent qu'il n'y a pas que des changements passifs, conditionnés
par les situations, mais qu'il y a aussi des changements voulus par la personne
elle-même. Parmi tous ces récits de vie, celles des personnes qui
sont devenues leaders2 dans le monde des affaires bien
qu'elles soient issues de familles modestes m'intéressent
énormément. Voltaire l'a écrit : « Ce qui touche le
coeur se grave dans la mémoire » (Voltaire, 1764, p. 183). Certains
éléments fortuits, comme un mot, une phrase d'une certaine
personne, une situation spécifique, ce qui s'est passé en dehors
de toutes les activités programmées pour l'objectif
éducatif peuvent se graver dans la mémoire et demeurent une
source inépuisable d'inspiration et de motivation pour
l'apprentissage.
Après avoir été formée et
impliquée depuis près de vingt ans dans la gestion des
entreprises, je n'aurais jamais pensé mener un jour une recherche en
sciences de l'éducation. Pourtant, plus je travaille avec des personnes
de cultures différentes, plus je suis intéressée par les
changements dans leurs comportements et pensées. Actuellement, le
travail d'organisatrice d'une formation de dirigeants provenant d'une quinzaine
de pays me permet de découvrir de nombreuses expériences de
terrain pour lesquels j'ai cultivé une curiosité et une attention
particulière portant sur les aspects humains et sur le
développement personnel des dirigeants d'entreprise. C'est donc dans cet
état d'ouverture d'esprit que j'ai effectué mon année de
formation en Master de Recherche Européen en formation des adultes du
Cnam.
1«Change and growth
take place when a person has risked himself and dares to become involved with
experimenting with his own life.»
2 Personne qui, à
l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mène
les autres membres du groupe, détient le commandement (Source:
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/leader/46518)
8 |
L'intérêt que je porte aux comportements
et pensées m'a finalement conduite vers un domaine totalement nouveau
pour moi : celui de la formation des adultes.
Par ailleurs, dans un environnement concurrentiel
intense et de plus en plus complexe dans la sphère économique
actuelle, les quatre grands soft-skills (compétences «
molles »3) requis par la plupart des entreprises sont
les compétences interpersonnelles, les compétences en
communication, la réflexion stratégique et le leadership
(Geraghty, 2011). Cependant, la question : « comment et où les
dirigeants peuvent-ils réaliser l'apprentissage de ces
compétences » reste un des sujets très peu
connus.
Face à ce constat, j'ai décidé
dans un premier temps de me lancer dans un projet de recherche et de garder une
certaine distance par rapport à ma posture habituelle d'acteur. Dans un
second temps, j'ai réalisé de nombreux entretiens et
sélectionné les observations primordiales avant d'en effectuer
les analyses. Chacune d'entre elles a pour principal objectif de me faire
découvrir et comprendre l'univers personnel des dirigeants, leurs
pensées et leur façon d'apprendre les « compétences
molles », dont le leadership, afin de « pratiquer » leur
métier. Finalement, j'ai essayé de proposer une
interprétation de certains phénomènes se produisant dans
ce que les dirigeants l'appellent « l'apprentissage du leadership »
et de tirer les conclusions à partir de l'analyse
effectuée.
En plus du fait de travailler sur les comportements et
sur les pensées des dirigeants, ce mémoire a été
une formidable opportunité pour me rendre compte qu'une évolution
de mes pensées était nécessaire et bénéfique
ainsi qu'une modification de mes comportements et un changement de mes
manières professionnelles de procéder.
J'espère de tout coeur que ce mémoire
permettra également aux lecteurs qui sont généralement peu
habitués à percevoir les dirigeants en tant qu'apprenants, de
porter un nouveau regard sur les activités d'apprentissage de ces
derniers.
3 Les compétences
dites « molles » (versus « dures »), orientées vers
les interactions humaines
9 |
CHAPITRE 1: L'APPRENTISSAGE DU LEADERSHIP
1.1 Contexte
Aujourd'hui, le leadership4 -
terme emprunté à l'anglais pour définir « la
capacité d'un individu à mener ou conduire d'autres individus ou
organisations dans le but d'atteindre certains objectifs », est une
compétence en gestion largement étudiée et discutée
dans la littérature anglo-saxonne. Steve Kempster5 a
utilisé la question suivante comme titre de son ouvrage « Comment
les dirigeants ont appris à diriger - l'exploration du
développement des pratiques de leadership » (« How
managers have learnt to lead : exploring the développent of leadership
practice ») (Kempster, 2009). Il a orienté ses recherches dans
le programme LEAD, où les dirigeants de PME et d'entreprises familiales
sont en mesure de développer leur capacité de leadership. Drew
Hansen - un employé du magazine Forbes a écrit: « En
moi-même, j'ai examiné les raisons pour lesquelles mes
collègues [...] m'ont encouragé à aller dans une
école de management. [...] Mais je voulais apprendre, grandir et me
développer comme un leader. L'école de management, est-elle en
mesure d'offrir cela ? » (« In my head,
I reviewed reasons why my [...] colleagues
encouraged me to go to business school. [...] But I wanted to learn, grow, and
develop as a leader. Could business school offer that? »). (Hansen,
2011). En France, des questions telles que « le leadership, s'apprend-il
dans les grandes écoles de management? », et « comment les
dirigeants apprennent-ils le leadership? » attendent encore des
réponses.
Certains chercheurs, comme Valérie
Gauthier6 se focalisent sur l'évolution des formations des
dirigeants. En effet, elle a remanié un programme MBA et l'a
restructuré en vue des futurs changements sociétaux et
éducatifs. Dans son article « Pour un apprentissage du leadership
» dans le journal Les Echos du 15 mai 2008, elle a écrit :
« Le leadership est avant
4 Leadership: Fonction ou
rôle de leader d'une entreprise, d'une branche d'activité, etc.
(Source :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/leadership/46519)
5 Directeur de la Business
School de l'Université de Cumbria (Royaume Uni)
6 Valérie
Gauthier a été vice doyenne du programme MBA HEC de 2002 à
2010
10 |
tout un acte, [...]. Nous montrerons ensuite comment
nous avons transformé ce principe en pédagogie dans le cadre du
programme MBA HEC. Nous verrons comment le leadership s'apprend, se construit
et se développe par un travail inscrit dans une structure bien
définie. Nous exposerons comment une formation MBA peut créer un
cadre facilitant le passage du management au leadership. » (p.
8)
En même temps, d'autres chercheurs
s'intéressent en priorité à l'analyse du travail ou de
l'activité des dirigeants. Parmi les recherches récentes sur
l'analyse du travail des dirigeants, l'une d'elles menée sous la
direction de J-M. Barbier pour le Centre de Recherche sur la Formation (CRF) du
Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) montre que « les
dirigeants ont une activité essentiellement immatérielle,
réflexive, qui ne s'effectue pas seulement dans le temps de travail,
mais qui se prolonge fréquemment dans l'univers personnel où le
chercheur n'a pas accès » (Ulmann, 2009, p. 164)
Dans ce contexte, il existe bien un besoin manifeste
d'approfondir l'étude de cette « activité
immatérielle et réflexive » des dirigeants. En partant de la
même idée que « ce sont essentiellement par des
apprentissages informels en situation que les managers développent des
pratiques autodidactes et apprennent leur "métier" » (Cristol,
2010), notre attention s'est bien portée sur l'analyse des processus
d'apprentissage du leadership des dirigeants.
1.2 Objet de recherche
Henry Mintzberg a écrit : « Nul ne peut
fabriquer un leader dans une salle de cours. Mais les dirigeants existants
peuvent améliorer significativement leur pratique dans une classe
où leur expérience alimente la réflexion » (2005, p.
XVII). Et pourtant, en ce qui concerne le leadership, beaucoup de dirigeants en
formation ne semblent pas percevoir ce processus d'amélioration des
pratiques dans une salle de cours comme un apprentissage. Lors de nos
entretiens exploratoires, tous les dirigeants interrogés ont
partagé l'idée que « ce n'est pas dans une salle de cours
que l'on peut apprendre le leadership ». Pour illustrer leur argument, ils
nous ont fait part de situations, de moments de vie, au cours desquels ils ont
ressenti un sentiment puissant d'apprendre. Ce qui est intéressant c'est
qu'il existe bien un paradoxe de
11 |
l'apprentissage du leadership entre l'absence du
« sentiment d'apprendre » dans une salle de cours et la
présence de celui-ci dans les situations réelles.
Voici pourquoi l'activité d'apprentissage du
leadership des dirigeants et tous les facteurs intervenant dans ce type
d'apprentissage en dehors des salles de cours, ont été choisis
comme l'objet de notre recherche.
En plus, l'apprentissage, en dehors des espaces
dédiés, n'est pas toujours visible. Selon Schugurensky (2007, p.
13): « Les apprentissages informels ont toujours existé chez
l'être humain mais, à la manière d'un iceberg, la majeure
partie est immergée et invisible. ». Avec cet objet de recherche,
notre ambition est de pénétrer à l'intérieur de
cette partie invisible de l'« iceberg », ou autrement dit, de rendre
visible l'apprentissage du leadership dans les situations informelles. Nous
souhaitons également attirer l'attention des chercheurs en formation des
adultes sur les situations, les moments significatifs, qui favorisent
l'apparition du « sentiment d'apprendre » et qui suscitent les
processus d'apprentissage du leadership des dirigeants.
1.3 Plan de recherche
En tant qu'acteur dans le domaine de la gestion, nous
avons l'avantage d'observer les activités des dirigeants et un
accès plus ouvert à leur univers personnel que les chercheurs
évoluant dans d`autres domaines d'activités. Cependant, le
défi pour nous consiste à combiner les sciences de la gestion
avec les sciences de l'éducation pour mener une recherche dont
l'objectif est de reconnaître et de comprendre l'essence de ce processus
d'apprentissage. Notre plan de recherche s'articule autour des cinq phases
suivantes :
Phase 1 : Revue de la littérature
Comme l'a constaté Laurent Lapierre : « Le
leadership est un phénomène à la fois omniprésent,
ambigu et fuyant. Le concept lui-même est flou, fourre-tout, trop
à la mode. Il en est question dans le monde politique, dans le milieu
des affaires, dans les activités sportives, dans la vie culturelle,
bref, partout » (2008, p. 12), la notion de « leadership » en
général est une notion largement utilisée et aussi
très discutée. La première phase de cette
12 |
recherche est donc de cerner les théories qui
sont les plus proches du milieu de la gestion des affaires et qui
éttayent l'idée que le leadership s'apprend.
Phase 2 : Formulation de la problématique et
construction des hypothèses
Intriguée par le paradoxe qui consiste en
l'absence du « sentiment d'apprendre » chez les dirigeants dans les
salles de cours alors même qu'ils ont ce « sentiment d'apprendre
» dans les situations de la « vie réelle », notre
intention a été de mettre en évidence la difficulté
à saisir et à formuler ce phénomène à l'aide
des théories existantes. Comme ce phénomène a
été constaté sans être expliqué à ce
jour, nous devons essayer d'élaborer des hypothèses à
partir desquelles nous pourrons l'exprimer. La deuxième phase de cette
recherche constitue donc une formulation de la problématique et des
hypothèses.
Phase 3 : Entretiens, recueil des
données
La troisième phase est consacrée aux
entretiens semi-directifs ou non-directifs menés avec des dirigeants
pour recueillir davantage de témoignages sur leurs pensées et
sentiments - un sujet encore peu approfondi dans la littérature sur
l'apprentissage ou sur le leadership. Si la revue de la littérature
permet d'identifier les modèles et les notions qui ont été
déjà étudiées, les entretiens devraient nous
permettre d'accéder à de nouveaux types d'informations,
d'explorer des nouvelles pistes d'analyse et de justifier la pertinence de
l'utilisation de nouveaux termes. Deux types de données doivent
être recueillis: (a) des récits ou des verbalisations des
vécus lors des entretiens réalisés avec les dirigeants ;
(b) des données d'observation d'activités des
dirigeants.
Phase 4 : Analyse et traitement des
données
En utilisant la méthode d'analyse
sémiologique de l'activité7, nous avons tenté
de ne pas seulement écouter les récits ou les verbalisations des
dirigeants sur ce qu'ils pensaient ou
7 Peirce a décrit
de manière formelle les mécanismes de production de la
signification et a établi une classification des signes. « [...] je
suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de
forêts, dans la tâche de dégager et d'ouvrir des chemins
dans ce que j'appelle la sémiotique, c'est-à-dire la doctrine de
la nature essentielle et des variétés fondamentales de semiosis
[le procès du signe] possibles [...] » (Peirce, 1978, p. 135).
Inspirée des travaux de Peirce, la théorie sémiologique du
cours d'action (Pinsky, 1992) permet de décrire la dynamique de
l'activité selon le point de vue de l'acteur.
13 |
ressentaient, mais aussi de les faire argumenter leurs
pensées et leurs sensations, afin de faire émerger l'une des
activités les plus représentatives du métier de dirigeant.
Nous visons ensuite à identifier les éléments
significatifs de cette activité.
Le traitement des données a consisté
à identifier (a) les différents thèmes dans le flux de
pensées évoqués durant une situation spécifique ou
dans un entretien après coup au sujet d'une situation spécifique
et les liens possibles entre ces thèmes (b) la dynamique de la
production d'un sentiment qui est souvent associé avec ce qu'ils
appellent « l'apprentissage du leadership ».
Phase 5 : Vérification des
hypothèses
La vérification des hypothèses de notre
recherche constitue le processus par lequel les hypothèses
préalablement formulées, sont confirmées ou
infirmées. Nos hypothèses seront vérifiées par une
tentative d'observation de l'activité réelle d'un dirigeant.
Cette étape comprendra ainsi la discussion des résultats avec le
dirigeant observé sous forme d'un entretien non-directif, avec les
autres chercheurs dans le domaine de la formation des adultes ainsi que des
chercheurs dans le domaine du management. A la suite de la vérification
des hypothèses, les constats de la vérification vont être
dégagés.
14 |
CHAPITRE 2: REVUE DE LA LITTERATURE
La revue de la littérature que nous avons
effectuée vise à recenser les ouvrages et les articles
publiés tant en France que dans les pays anglo-saxons, où se
croisent les théories du leadership et les théories
d'apprentissage. Notre revue de littérature n'avait pas pour objectif de
réaliser un état de l'art exhaustif sur l'apprentissage ou sur le
leadership. L'ensemble des ouvrages et articles que nous avons recueillis doit
nous aider à démontrer la pertinence de notre recherche en
révélant des lacunes dans la littérature existante sur le
ressenti des acteurs et le processus d'apprentissage du leadership, ce qui
offre la possibilité d'effectuer une recherche exploratoire dans ce
sens.
2.1 Littérature sur le leadership
Jusqu'aux années 1930, le concept de leadership
n'existait pas dans la pensée du monde de la gestion des entreprises.
Aujourd'hui, la littérature managériale est devenue abondante sur
ce sujet. Une simple recherche sur Google Scholar avec le mot « leadership
» donne un résultat de millions de documents différents. En
2006, une équipe des chercheurs de l'Université Regent
(Etats-Unis) a compilé 160 articles et chacun de ceux-ci contenait de 1
à 25 définitions, ou descriptions du leadership. Comme le
remarque Valérie Gauthier: « Mais à l'heure où tout
le monde parle de leadership, on peut se demander de quel leadership il s'agit
? Certains confondent leadership et pouvoir. D'autres assimilent leadership et
stratégie» (2008, p.8). C'est pourquoi avant d'aller plus loin dans
l'exploration de la littérature sur l'apprentissage du leadership des
dirigeants, il est important de noter que la profession de dirigeant n'est pas
un métier comme les autres. « On y découvre une
activité dirigeante d'une nature tout à fait particulière,
dans laquelle les dimensions du pouvoir et de la parole jouent un rôle
considérable. Cela en fait un métier qui n'est pas tout à
fait comme les autres, mais qui peut en retour jeter un éclairage
inédit sur tous les autres. » (Raveleau, 2007, p. 5)
15 |
Théories
|
Caractéristiques
|
Grand Homme
|
Basé sur la croyance que les leaders sont des
gens exceptionnels, nés avec des qualités innées,
destinés à conduire les autres. L'utilisation du terme
«Hommes» était intentionnelle puisque jusqu'à la fin du
XXe siècle le « leadership » a été pensé
comme un concept qui est essentiellement masculin, militaire et occidental.
Cela a inspiré l'école des théories des Traits de
caractère.
|
Traits de caractère
|
Les listes de traits ou qualités
associés au leadership existent en abondance et continuent à
être produites. Elles s'appuient sur pratiquement tous les adjectifs qui
dans le dictionnaire décrivent un attribut positif et
vertueux.
|
Comportementales
|
Ces théories se concentrent sur ce que les
leaders font réellement plutôt que sur leurs qualités.
Différents modèles de comportement sont observés et
classés comme « les styles de leadership ». Cette école
a probablement eu une influence majeure sur les managers.
|
Situationnelles
|
Cette approche voit le leadership comme étant
spécifique à la situation dans laquelle il est exercé. Par
exemple, certaines situations peuvent exiger un
style autocratique, d'autres peuvent avoir besoin
d'une approche plus participative. Il peut y avoir des différences
dans les styles de leadership à différents niveaux de la
même organisation.
|
Contingence
|
Il s'agit d'un raffinement du point de vue de la
situation qui se concentre sur
l'identification des variables situationnelles qui
prédisent le style de leadership le plus approprié ou le plus
efficace pour répondre à des circonstances
spécifiques.
|
Transactionnelles
|
Cette approche met l'accent sur l'importance de la
relation entre le leader et les suiveurs, en se concentrant sur les
échanges mutuels établis sous la forme
d'un «contrat» à travers lequel le
leader délivre des choses telles que des récompenses ou de la
reconnaissance en contrepartie de l'engagement ou la loyauté des
suiveurs.
|
Transformationnelles
|
Le concept central ici est le changement et le
rôle de leadership dans la stratégie et dans la mise en oeuvre de
la transformation de l'organisation.
|
Tableau I : Résumé des théories du
leadership (Bolden, Gosling, Marturano, & Dennison, 2003)
16 |
Revenons à notre revue de la
littérature, comme notre tâche est d'identifier la
transversalité entre les théories du leadership et les
théories d'apprentissage, nous allons examiner les travaux écrits
par des auteurs se rattachant à des courants théoriques
différents (Tableau I). En même temps nous allons nous concentrer
particulièrement sur les auteurs qui considèrent que le
leadership s'apprend.
En ce qui concerne la théorie du « Grand
Homme », les auteurs pionniers de ce courant considèrent que les
leaders sont nés pour changer le monde. Thomas Carlyle a
déclaré que « l'Histoire du Monde, je l'ai
déjà dit, c'est la Biographie des Grands Hommes » (1888, p.
23). Au début, cette théorie nous semblait n'avoir aucun lien
avec l'apprentissage, parce que si les leaders sont nés leaders, il ne
peut y avoir de place pour l'apprentissage du leadership. Cependant, nous
pouvons constater que dans la littérature sur les Grands Hommes
d'aujourd'hui, les capacités innées ne sont plus l'objet de
discussion, mais plutôt les capacités d'apprendre ou d'inspirer
l'apprentissage chez les autres. L'une des explications possibles est que
« même les plus grands leaders s'inspirent de leaders qui les ont
précédés. » (Marquis, 2011, p. 7). Une des
hypothèses que nous allons examiner dans les chapitres qui suivent est :
L'apprentissage du leadership des dirigeants peut être un processus
inspiré par les exemples de grands leaders.
Etant la suite logique de la théorie du Grand
Homme, le courant axé sur les « Traits de caractère »
se focalise sur les caractéristiques clés des grands leaders. Les
auteurs de ce courant visent à distinguer le leader des «
non-leaders ». On croyait que grâce à cette approche, les
qualités essentielles des leaders auraient pu être isolées
et que les personnes ayant ces traits auraient pu alors être
recrutées, sélectionnées et installées dans les
postes des leaders (Zaccaro, Kemp, & Bader, 2004). Il est
intéressant de noter à cet égard qu'un des traits du
leader moderne est l'engagement pour la croissance. C'est-à-dire que les
leaders n'arrêtent pas d'entreprendre toute démarche
nécessaire pour avancer professionnellement et personnellement et garder
le contact avec les nouvelles tendances et outils ainsi que les
réalités et les technologies de l'activité. Spreitzer et
al, (1997) ont également souligné la capacité d'apprendre
de l'expérience comme une qualité importante du
leader.
17 |
Selon les auteurs du groupe « comportemental
», s'intéressant à la question : « qu'est-ce que le
leader fait ? », les habitudes de comportement constructives de politesse,
de contrôle de soi, de communication bilatérale, de
délégation et d'empathie envers les autres, peuvent s'apprendre
et être mises en pratique. Kurt Lewin, Ronald Lipitte et Ralph K. White
(1939) ont élaboré une classification des styles de leadership
qui offre aux dirigeants un outil d'analyse grâce auquel ils peuvent
consciemment cultiver (apprendre) leur style personnel de leadership pour
être efficace. En effet, c'est le groupe dont les auteurs font tout pour
démontrer que l'apprentissage du leadership est possible. Cependant, ils
n'ont pas suffisamment montré ce que font les « leaders » afin
d'avoir des « suiveurs ». Comme Henry Mintzberg l'a remarqué :
« Lorsqu'un manager apprend qu'une usine détruite par un incendie
est en panne et qu'il conseille à son interlocuteur d'envisager une
solution provisoire pour fournir les clients via une filiale
étrangère, est-il en train de planifier, d'organiser, de
coordonner ou de contrôler? Et lorsqu'il offre une montre en or à
un employé qui part à la retraite, ou qu'il assiste à un
congrès pour rencontrer les gens du métier et revient avec une
idée d'innovation qu'il soumet à son équipe, comment cela
s'appelle-t-il ? » (Mintzberg, 1999, p. 7).
Les théories citées en quatrième
(Situationnelles) et cinquième (Contingence) positions se concentrent
sur les situations et leur relation avec le style du leadership requis. Les
leaders doivent moduler leur style en fonction de la disponibilité et de
la possibilité du groupe à suivre la direction montrée par
le leader. Se basant sur l'ensemble de l'équation « leader-suiveurs
», quatre manières de mobiliser les individus ont été
identifiées (Hersey & Blanchard, 1993):
1. Dire unilatéralement que faire et quoi
faire : à utiliser dans les situations où, soit les
capacités des suiveurs sont faibles, soit ils ne veulent pas prendre de
responsabilités
2. Convaincre et soutenir : dans le cas où la
capacité des suiveurs à prendre des responsabilités serait
modérée mais où ils auraient la volonté de le
faire
3. Faire participer : capacité relativement
grande des suiveurs à prendre des responsabilités, mais ne se
sentent pas assez en sécurité pour le faire
4. Déléguer : capacité des
suiveurs à prendre avec assurance des responsabilités. Ils n'ont
besoin que de peu de soutien.
18 |
La connexion entre ces positions et l'apprentissage se
trouve sous l'influence de la situation et de ses variables (telles que les
caractéristiques et les capacités des suiveurs) sur le choix du
style ainsi que sur l'adaptation du comportement des dirigeants. De plus,
l'existence d'au moins un « suiveur » est un élément
déterminant pour l'existence d'un « leader ». Dans cette
logique, le « followership »8 (le « suivisme
») et « leadership » sont des composantes indissociables d'un
seul et même phénomène. Comme l'a remarqué Barbara
Kellerman (2007, p.84) : « Il n'y a pas de leader sans au moins un suiveur
- c'est évident. » (« There is no leader without at least
one follower - that's abvious »).
Les variables de la situation peuvent être
considérées comme des causes dans une relation cause-effet avec
l'ajustement du style de leadership chez les dirigeants. Dans la prochaine
section, nous reviendrons sur ce type de relation avec le travail de Skinner,
qui nous démontrera la logique de l'apprentissage par
l'ajustement.
Les auteurs du sixième groupe
(Transactionnelles) s'intéressent essentiellement à la
performance organisationnelle ou à la performance du groupe. Ces auteurs
présentent le leadership en tant que relation entre des personnes qui
partagent les mêmes désirs et les mêmes besoins et qui
luttent pour atteindre un but commun, dans le cadre d'un « contrat »
entre le leader et les suiveurs. « Les chefs doivent conclure avec leurs
subordonnés une transaction, échange par lequel ils
énoncent et précisent ce qu'ils exigent de leurs
subordonnés, ainsi que la considération dont ceux-ci feront
l'objet s'ils respectent leurs engagements. » (Yammarino & Bass, 1990,
p. 152). Ce style de leadership s'appuie sur les processus de la gestion :
gestion par objectif, par contrôle et par planification etc. Il a
été donc beaucoup critiqué par ceux qui ne croient pas au
leadership par contrôle et par objectif. « Vous avez appris à
planifier, organiser, animer et contrôler. Bref, à manager ! [...]
Pourtant, vous aimeriez bien retrouver votre place d'avant, ... avant
d'être manager ! » (Delavallée, 2005, p. 11). Selon
Delavallée, l'important n'est pas l'apprentissage des règles et
des techniques, mais l'adaptation et l'application de celles-ci dans des
situations et contextes d'entreprises. Il a écrit « Dès
lors, de telles formations ne peuvent plus être ces "prêts à
penser", culpabilisants pour les managers de la "vraie vie", que sont encore
nombre de
8 Le dictionnaire
Merriam-Webster Online Dictionary définit le « followership »
comme: « la capacité ou la volonté de suivre un leader
». (Source :
http://www.merriam-webster.com/dictionary/followership)
19 |
séminaires ayant la prétention
d'enseigner les prescriptions des manuels de management, le modèle du
manager idéal. Souvent, ces formations préparent les managers
à faire des choses qu'ils ne font pas, voire qu'ils ne feront jamais.
Inversement, elles ne les préparent pas suffisamment à faire ce
qu'ils font dans la "vraie vie" » (ibid., p. 19).
Enfin, selon les auteurs du dernier groupe
(Transformationnel), l'élément le plus important de ces
théories est le rôle de leader dans le processus de la
transformation de l'entreprise. Selon Bass et Riggio : « Une formation en
leadership transformationnel peut être évaluée
réussie si l'organisation a été transformée de
telle manière qu'elle incite les participants comme les personnes de
leur environnement à se développer ainsi que d'autres autour
d'eux. [...] si les dirigeants peuvent se développer pour stimuler et
entraîner intellectuellement leurs subordonnés ou leurs suiveurs
à résoudre les problèmes d'une manière unique et
créative [...] » (« A transformational leadership training
and development program should be evaluated successful if the organization has
been transformed to a level where it challenges participants to develop
themselves as well as others around them. [...] if leaders develop themselves
so that they can inspire their followers, intellectually stimulate them to
solve problems in unique and creative ways [...]»). (Bass &
Riggio, 2005, p. 138)
La façon dont ces auteurs définissent
une formation au leadership réussie nous conduit à penser que
s'il existe une forme d'apprentissage en imitant et en suivant, il pourrait y
avoir aussi une forme d'apprentissage en entraînant et en menant. Nous
pensons aussi que dans une telle structure où se trouve le leadership
transformationnel, l'apprentissage doit exister dans les deux sens, celui des
« suiveurs » en imitant et en suivant le « leader », mais
aussi celui du « leader » en recrutant ses « suiveurs » et
puis en entraînant et en menant efficacement les suiveurs vers
l'objectif.
2.2 Littérature sur l'apprentissage
De la même manière que pour la notion de
« leadership », dans cette section, parmi les nombreux écrits
sur l'apprentissage, nous allons identifier les articles et les ouvrages,
où les théories de l'apprentissage et les théories du
leadership se croisent. Nous commençons par les
20 |
travaux des auteurs des trois courants principaux dans
le domaine de l'apprentissage, qui sont présents pratiquement dans
chaque revue de la littérature des chercheurs en sciences de
l'éducation : Behaviourisme, Cognitivisme et Constructivisme. Nous
terminerons avec un aperçu sur les recherches de David Kolb qui ont
attiré notre attention, puisque dans son travail, l'apprentissage est
considéré comme un processus et l'expérience
concrète comme une source de connaissances.
2.2.1 Skinner et le conditionnement opérant
(néo-behaviorisme)
Skinner a développé les concepts de
« conditionnement opérant » et de « renforcement »,
où il a réussi à appliquer le principe de
Stimulus-Réponse à l'étude de la conduite humaine. Selon
Skinner, l'apprentissage est au centre de la transformation. L'individu apprend
en adoptant un comportement lui évitant les renforcements
négatifs et augmentant les renforcements positifs. Dans son ouvrage
La révolution scientifique de l'enseignement, il a écrit
que « Enseigner n'est rien d'autre, en effet, qu'arranger les conditions
de renforcement dans lesquels les élèves apprendront. Ils
apprennent en fait, sans qu'on les instruise, dans leur milieu naturel, mais
l'enseignement organise les conditions de l'apprentissage, de façon
à leur faciliter, à accélérer l'apparition de
comportements qui, sans cela, ne seraient que lentement acquis, ou
n'apparaîtraient jamais. » (1968, p. 79). La théorie de
Skinner nous amène à penser que l'ajustement de style, d'attitude
d'un dirigeant, en fonction de l'ampleur de la « conséquence »
causée par son action constitue une partie importante de l'apprentissage
du leadership. Nancy Adler (2008) a aussi confirmé par le
résultat de sa recherche que l'ajustement (culturel) constitue une
expérience d'apprentissage qui doit permettre aux managers
expatriés de se développer et d'acquérir une certaine
confiance. Nous allons examiner l'effet du choc culturel sur le processus
d'apprentissage dans les prochains chapitres de notre
mémoire.
Par ailleurs, aussi dans le travail de Skinner (1974,
p. 1) le sentiment de l'individu peut trouver sa place comme cause du
comportement. Il a écrit : « Les sentiments se produisent juste au
bon moment pour servir les causes du comportement...». L'exemple de
Skinner était qu'une personne peut répondre à la question
: « Pourquoi vous avez haussé la voix avec un ami ? » par
« Parce que nous nous sentions en colère ». Le fait que cette
personne associe la colère avec le haussement de ton montre la
façon dont elle pourrait en déduire et
21 |
généraliser une conclusion simplement de
ce qu`elle a vu ou vécu dans une autre situation
antécédente (dans cet exemple, la personne a probablement
déjà parlé fort quand elle a senti de la colère
dans le passé).
La remarque de Skinner sur l'interaction entre
certains sentiments et comportements nous a fait réfléchir aux
sentiments qui se manifestent dans diverses situations de vie et leur
rôle dans l'apprentissage du leadership.
2.2.2 Les cognitivistes et l'apprentissage basé sur
le traitement de l'information
Si Skinner utilise le principe Stimulus-Réponse
pour expliquer le phénomène d'apprentissage, les auteurs
cognitivistes basent leurs explications sur les différents processus
internes tels que la pensée et la mémoire. Ils ont donné
des « explications sur l'apprentissage en mettant l'accent sur les
processus mentaux internes que les individus utiliseraient en essayant de faire
une représentation du monde » (Eggen & Kauchak, 1994, p. 305).
Or, pour expliquer le phénomène d'apprentissage des dirigeants,
Mintzberg souligne : « Les écoles de management commenceront
à former sérieusement des managers lorsqu'elles accorderont la
même place à l'apprentissage pratique qu'à l'apprentissage
cognitif. L'apprentissage cognitif est détaché et informatif,
comme le fait de lire un livre ou d'écouter un cours. Certes, le futur
manager doit assimiler un bon nombre de connaissances importantes, mais un
savoir théorique ne formera pas plus un manager qu'il ne forme un
athlète à la natation. Ce dernier se noiera dès qu'il
plongera dans l'eau, si son instructeur ne l'a jamais sorti de la salle de
cours, afin qu'il se mouille, et puisse juger de ses performances »
(Mintzberg, 1999, p. 27). La remarque de Mintzberg nous a amené à
penser qu'il serait possible de trouver la différence entre deux types
d'apprenants appliquant deux modes d'apprentissage différents : l'un,
qui reste dans une salle de classe en adoptant la méthode de «
l'étude de cas »9 où « le cas est une
expérience vécue de façon indirecte...» (Cherubini,
Smith, Goldblatt, Engemann, & Kitchen, 2008, p. 4) et l'autre, qui passe
son temps en dehors de la salle de cours en « vivant » et tirant des
leçons à partir de sa propre expérience). Si les
apprenants ne font
9 La méthode des
cas est l'utilisation de situations dans le domaine des affaires à des
fins pédagogiques (Hammond, 2002)
22 |
qu'absorber les informations, écouter les
opinions des autres, filtrer, stocker les informations, prendre les
décisions, présenter et discuter leurs pensées avec les
autres, acquièrent-ils les mêmes « aptitudes » dans les
deux cas ? Les principes d'apprentissage des auteurs cognitivistes ne semblent
pas tenir suffisamment compte des facteurs intuitifs intervenant dans
l'apprentissage des dirigeants pour répondre à cette
question.
2.2.3 Vygotski, le développement et le concept
quotidien
Parmi les auteurs constructivistes, le travail de Lev
Vygotski, qui a abordé l'apprentissage en mettant l'accent sur
l'interaction entre la personne et l'environnement social nous intéresse
beaucoup. Dans son ouvrage Pensée et langage (1934) Vygotski a
fait clairement la distinction entre les concepts quotidiens (ou
spontanés) et les concepts scientifiques (ou enseignés), qui ne
se développent pas du tout de même façon. Pour illustrer
cela, il a mis en parallèle les deux processus : l'apprentissage de la
langue maternelle (concepts quotidiens) et l'apprentissage d'une langue
étrangère (concepts scientifiques). Selon Vygotski, les concepts
quotidiens sont appris de l'expérience concrète, alors que les
concepts scientifiques sont appris à la suite d'une explication d'un
enseignant (un «médiateur»). Ses distinctions nous ont
amené à l'idée d'appliquer ce principe pour décrire
le processus de l'apprentissage du « leadership » en tant qu'un
concept quotidien, mais non pas en tant que concept scientifique et trouver la
différence entre ces deux schémas. Afin de décrire ce
processus, nous avons décidé de chercher davantage des
publications sur l'apprentissage par l'expérience et sur l'apprentissage
de la situation ou dans une situation donnée.
2.2.4 L'apprentissage par l'expérience
C'est en 1984, que David A. Kolb publiait «
Experiential Learning ». Ce livre expose essentiellement le principe
qu'une personne fait son apprentissage par la découverte et
l'expérience. La théorie de l'apprentissage par
l'expérience (ELT) de Kolb définit « l'apprentissage comme
un processus par lequel la connaissance est créée par la
transformation de l'expérience. La connaissance est acquise à
partir de la combinaison de préhension et de transformation de
l'expérience» (« ELT defines learning as the process
whereby knowledge is created through the transformation of experience.
Knowledge results from the combination of grasping and transforming experience.
») (1984, p. 41)
Expérience
Mise en pratique
Réflexion
Conceptualisation
23 |
Figure 2: Le modèle d'apprentissage par
l'expérience (Kolb, 1984)
Selon Kolb « l'apprentissage doit être
envisagé comme un processus, et non pas en termes des résultats
» (« Learning is best conceived as a process, not in terms of
outcomes ») (ibid. p. 26). Son modèle d'apprentissage
représente un cycle ou un flux d'activités entre quatre
éléments : Expérience concrète (CE), Observation
réflexive (RO), Conceptualisation abstraite (AC) et Expérience
(expérimentale) active (AE) (Figure 2). Kolb a écrit aussi que :
« Les idées ne sont pas des éléments de
pensées fixes et immuables, mais sont formées et
réformées par l'expérience »
(ibid.).
Nous nous sommes très intéressés
par les mouvements, représentés par les flèches entre
quatre éléments dans le modèle de Kolb. Si Kolb a
souligné à plusieurs reprises que l'apprentissage constitue un
processus, nous n'avons pas pu trouver son explication sur le motif de ces
mouvements, qui pousse l'apprenant d'une étape à l'autre dans ce
processus.
Ressentir
ret
concrèteExpérien
on
nceptualisation
e
pratiqueMise en
flectif
Observer
nser
ait
24 |
Figure 3 : Les styles d'apprentissage
(Source : Adapté par l'auteur de Kolb, &
Kolb, 2008)
25 |
De plus, Kolb démontre qu'il y a plus d'un
style d'apprenant (Figure 3). La notion de style d'apprentissage de Kolb «
décrit les différences individuelles dans l'apprentissage en
fonction des préférences de l'apprenant pour l'emploi des
différents éléments du cycle d'apprentissage » (Kolb
& Kolb, 2008, p. 46)
Les deux styles favorisant le contact humain et ayant
« l'expérience concrète » (CE) comme source
d'apprentissage sont ceux qui nous intéressent le plus. Les individus,
ayant le style Divergeant préfèrent ressentir et observer. Ils
sont intéressés par les gens, ont tendance à faire preuve
d'imagination et émotionnelle. Kolb a constaté que « les
individus avec le style Divergeant préfèrent travailler en
groupe, écouter les autres et recevoir des commentaires personnels
» (ibid.). Quant au style « Accommodateur », incluant les
individus préférant ressentir et faire, qui utilisent l'analyse
des autres, et préfèrent prendre une approche pratique, ils sont
attirés par les nouveaux défis et les nouvelles
expériences. « Les personnes ayant un style d'apprentissage
Accommodateur aura une tendance à compter sur les autres pour obtenir
des informations, plutôt qu'à procéder leur propre analyse
» (ibid., p.47).
Enfin, si l'on compare la définition
d'apprentissage et la catégorisation des styles d'apprentissage de Kolb
avec notre objet de recherche - le processus d'apprentissage du leadership dans
les situations de la vie, sur le terrain, dans un milieu familial, nous pensons
que les dimensions utilisées dans le travail de Kolb peuvent
également servir d'indicateurs pour analyser les données
recueillies auprès des dirigeants.
2.3 Littérature sur l'apprentissage informel
Si le modèle de Kolb nous semble être une
piste prometteuse pour analyser l'apprentissage tiré d'une
expérience, d'un vécu concret, nous pensons qu'il y a encore
beaucoup d'autres formes d'apprentissage qui ne suivent pas le même
cycle. A ce stade, parmi des nombreux écrits sur l'apprentissage, ce qui
nous intéresse le plus, c'est la littérature sur les processus,
qui ne sont pas encore visibles ou tout ce qui lié à
l'apprentissage de la vie quotidienne des individus. Comme Gilles
Brougère le remarque: « S'il y a partout une vie quotidienne, elle
diffère selon les sociétés, les milieux sociaux, les
familles, les institutions. Elle a donc été apprise non pas
à l'école, mais par confrontation, immersion, contact. »
(2009, p. 24).
26 |
Selon Daniel Schugurensky : « c'est dans la
sphère «informelle», source de si peu d'intérêt
et de travail de recherche, que s'acquièrent la plupart des
apprentissages significatifs dont on se sert dans la vie de tous les jours.
» (Schugurensky, 2007, p. 14)
Les remarques de Schugurensky nous conduisent vers
l'idée que nous devons approfondir notre recherche dans le domaine de
l'apprentissage informel. En nous détachant de la littérature sur
l'apprentissage formel, nous espérons être en mesure de nous
concentrer sur la recherche de nouveaux indicateurs et de repères nous
permettant de décrire et d'expliquer le processus d'apprentissage du
leadership et l'effet du « sentiment d'apprendre » sur
l'apprentissage du leadership chez les dirigeants.
Bien que la littérature sur l'apprentissage
informel soit très vaste et diverse, nous n'avons pu trouver que
très peu d'ouvrages qui sont proches de notre domaine
d'intérêt. Parmi ces livres, le travail de Jean Lave et Etienne
Wenger sur l'apprentissage situé (situated learning) nous a
donné une nouvelle dimension de l'apprentissage - la relation sociale.
En supposant que l'apprentissage provient en grande partie de notre
expérience de la participation dans la vie quotidienne, leur
modèle de l'apprentissage a proposé que l'apprentissage implique
un processus d'engagement dans une « communauté de pratique ».
Comme Kolb, Lave et Wenger ne considèrent pas l'apprentissage comme
l'acquisition de certaines formes de savoirs, mais plutôt comme le
déplacement de l'apprenant de participation périphérique
légitime vers la « pleine participation » (Lave & Wenger,
1991, p. 37). Selon eux, « une communauté de pratique est un
ensemble de relations entre les personnes, l'activité et le monde,
à travers le temps et en relation avec d'autres communautés
» (ibid., p. 98). Ici, le rôle central de la relation
humaine constitue le point commun entre la théorie de Lave et Wenger et
le leadership transactionnel ainsi que le leadership transformationnel dans le
travail de Bass.
Or, pour Arthur S. Reber, l'apprentissage reste
toujours l'acquisition de connaissances. Cependant son centre
d'intérêt se retrouve particulièrement dans le cadre d'un
processus implicite qui mène à l'acquisition de connaissances
sans effort conscient ou de toute prise de conscience explicite de ce qui a
été appris. « L'apprentissage implicite est l'acquisition
de
27 |
connaissances qui se déroule en grande partie
indépendamment des tentatives conscientes pour apprendre et surtout en
l'absence de connaissances explicites sur ce qui a été acquis.
» (1993, p. 5)
En même temps, Victoria Marsick et Karen Watkins
(1990) font valoir que, même si le lieu de travail fournit des
possibilités d'apprentissage, il existe certaines
caractéristiques personnelles, qui peuvent favoriser l'apprentissage
:
1. Pro-activité - la volonté de prendre
l'initiative dans les situations.
2. Réflexion critique - une tendance à
réfléchir, non seulement sur les événements, mais
sur ce qui sous-tend hypothèses.
3. Créativité - ce qui permet à
une personne de penser au-delà de son point de vue habituel.
Alain Mumford (1995) a identifié quatre approches
d'apprentissage au travail :
1. Apprentissage intuitif - processus inconscient,
provoqué par l'expérience.
2. Apprentissage fortuit - résultat d'un
hasard.
3. Apprentissage rétroactif - capacité
à tirer les leçons de l'expérience.
4. Apprentissage prospectif - Les
événements futurs sont considérés comme des
occasions d'apprendre
Il suggère que différentes personnes
peuvent être enclines à l'une ou l'autre de ces approches de la
même manière qu'elles se penchent vers un style d'apprentissage
particulier.
Après avoir examiné ces extraits de la
littérature récente, nous sommes convaincus que «
l'apprentissage informel » joue un rôle considérable dans le
développement de la personnalité et de l'expertise
professionnelle dans le milieu de travail et dans la vie familiale.
Toutefois, comme l'ont noté Gilles
Brougère et Hélène Bézille : « Si les
différents auteurs qui utilisent l'expression d'éducation ou
d'apprentissage informel sont d'accord sur l'idée que l'éducation
ne se limite pas aux situations socialement construites en fonction d'objectifs
éducatifs et sur l'idée que l'individu acquiert des connaissances
dans une multitude de situations qui n'ont pas été faites pour
cela, la façon dont est circonscrit l'apprentissage informel est fort
variable » (Brougère & Hélène, 2007, p.
122).
28 |
La remarque faite par ces auteurs a non seulement
montré l'usage aussi vaste que varié (Annexe 1) du terme
d'apprentissage informel, mais elle ouvre aussi la voie vers une grande
variété de sujets d'études possibles qui pourraient
être inclus parmi les priorités de la recherche en sciences
humaines y compris l'introduction et la mise en valeur des notions nouvelles
relatives à l'apprentissage des adultes.
29 |
CHAPITRE 3: PROBLEMATIQUE ET QUESTION
DE RECHERCHE
3.1 Problématiques et hypothèses
Depuis plus d'une décade, Henry Mintzberg a
écrit : « En pratique, il s'agit bien d'un management à deux
faces où les activités cérébrale et intuitive
viennent se compléter et s'équilibrer. [...] Dans un monde si
préoccupé par le management, une grande partie des ouvrages de
vulgarisation reste superficielle et la recherche scientifique peu
inspirée. Certes, de nombreuses recherches ont été
effectuées ces dernières années, mais la plupart ne
faisaient que reprendre des études précédentes. Ainsi,
nous sommes toujours terriblement ignorants du contenu fondamental du travail
des managers et nous n'avons fait qu'effleurer les problèmes et dilemmes
majeurs qu'il rencontre » (Mintzberg, 1999, pp. 33-34). L'ignorance de ce
que les dirigeants apprennent de la vie et de ce qu'ils appellent «
l'activité intuitive » constitue justement le défi que nous
voulons relever. Pourtant, d'une part, les termes scientifiques existants ne
semblent pas pouvoir nous aider à expliquer certains
phénomènes tels que le paradoxe entre l'absence du «
sentiment d'apprendre » en salle de cours et sa présence
perçue hors salle de cours, qui a été constaté
seulement de façon empirique. D'autre part, les termes, qui sont
utilisés par les dirigeants pour décrire les activités de
ce type, ne sont pas encore acceptés dans la littérature
scientifique. Notre objectif est donc de trouver un moyen afin que ces
soi-disant « termes quotidiens » soient donc identifiés et
validés pour la description ainsi que pour l'explication de
l'apprentissage du leadership chez les dirigeants avec un maximum de
réalisme.
3.1.1 La variété des significations du terme
« leadership »
Tel que mentionné précédemment
dans le chapitre de la revue de la littérature, le fait que le concept
« leadership » soit entré dans la littérature
académique depuis les années 1930 aux États-Unis dans le
cadre du mouvement « relations humaines » dont le fondateur
était George Elton Mayo10, montre l'importance du leadership
comme une des compétences
10 Source :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Mayo/132447
30 |
managériales des dirigeants. Toutefois, la
problématique est qu'un concept tel que le « leadership comporte
diverses facettes. Lorsque le terme « leadership » est utilisé
par les individus provenant de différents domaines, il semble y avoir
beaucoup « d'hommes aveugles » décrivant un «
éléphant en mouvement ». Cela signifie que la signification
du terme « leadership » peut varier d'une personne à l'autre,
d'une situation à l'autre, également en fonction de
l'évolution des recherches en sciences humaines. Afin de mieux
comprendre et mieux exploiter ce concept, les chercheurs doivent communiquer
les uns avec les autres, tout en continuant à examiner une multitude de
compréhensions et d'interprétations
différentes.
3.1.2 L'écart dans la compréhension du terme
« dirigeant »
Selon le dictionnaire Larousse, le « dirigeant
» est la « personne qui est à la tête d'un organisme
quelconque »11. Bien que le terme « dirigeant »
constitue une des traductions possibles du terme « manager »
dans les littératures anglophones, nous pouvons constater que la
version « anglo-saxonne » met plus particulièrement l'accent
sur le rôle de la personne plutôt que sur sa position dans
l'organisation. Selon le dictionnaire Oxford, le « manager »
est la « personne responsable du contrôle ou de l'administration
d'une organisation ou un groupe d'employés » (« manager
» - a person responsible for controlling or administering an organization
or group of staff »)12. Cela signifie que lorsqu'il n'y a
pas de norme de principe, les dirigeants de différentes cultures et
origines peuvent appréhender ce mot dans une acception beaucoup plus
large qu'un statut de la personne au sein de l'organisation. Le terme «
dirigeant » peut donc s'appliquer non seulement à ceux qui sont
à la tête d'une organisation mais également à ceux
qui participent à l'administration d'une entreprise ou d'une
institution, à tous les niveaux de la hiérarchie. Cela signifie
également que dans la sphère du management opérationnel,
la qualification de « dirigeant » est réservée à
ceux qui prennent la décision et la font exécuter. Ce public est
beaucoup plus varié que celui décrit dans la
littérature.
11 Source :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dirigeant/25795
12 Source :
http://oxforddictionaries.com/definition/english/manager
31 |
3.1.3 L'émergence du terme « sentiment
d'apprendre »
La notion de « sentiment d'apprendre »
n'apparaît encore ni dans la littérature sur l'apprentissage, ni
dans la littérature sur le leadership. Dans la littérature
scientifique, les recherches sur l'apprentissage et sur leadership s'orientent
davantage vers l'explication des processus d'acquisition de nouvelles
connaissances, qui présupposent que l'apprentissage dépend
d'approches (Mumford, 1995) et de « stratégies » (Edith,
2004). Dans la vie pratique, les dirigeants déclarent plus souvent
qu'ils apprennent le leadership sans aucune application d'approche ou de
stratégie précise. Si une partie de leurs commentaires correspond
bien à la définition du Larousse, que l'apprentissage est «
l'ensemble des processus de mémorisation mis en oeuvre par l'animal ou
l'homme pour élaborer ou modifier les schèmes comportementaux
spécifiques sous l'influence de son environnement et de son
expérience »13, le reste qui se réfère
à l'activité intuitive ou au sentiment se produisant sous
l'influence de la situation (l'environnement) demeure encore largement
ignoré de la plupart d'entre nous. Le manque d'un terme adapté
pour décrire ce sentiment constitue un véritable obstacle qui
empêche les chercheurs de comprendre le phénomène que les
dirigeants appellent « l'apprentissage ». Or, à ce jour, le
seul concept lié au sentiment des apprenants que nous pouvons trouver
dans la littérature scientifique sur l'apprentissage est le concept du
« sentiment de compétence » (self-efficacy) qui a
été défini comme les jugements que les gens portent sur
leurs capacités à organiser et à exécuter les
actions requises pour atteindre un type de performance donné (Bandura,
1986).
Selon notre hypothèse, si le « sentiment
de compétence » signifie les jugements sur la capacité
d'exécuter une action, le « sentiment d'apprendre » pourrait
signifier la prise de conscience d'une modification des connaissances (savoir),
de la compétence (savoir-faire) ou des attitudes (savoir-être),
résultant d'une ou de plusieurs situations majeures vécues dans
la cadre de leur vie quotidienne. Autrement dit, le « sentiment
d'apprendre » pourrait constituer un indicateur d'une prise de conscience
d'un processus d'apprentissage.
13 Source :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/apprentissage/4748
32 |
3.1.4 La nécessité de la notion «
situation-source »
Anne-Lise Ulmann a constaté que « les
directeurs faisaient très souvent référence, pour
expliquer leurs manières de faire, à des idéals
professionnels qu'ils s'étaient forgés en observant leur
directeur... » (Ulmann, 2009, p. 164). En plus de l'observation
d'Anne-Lise Ulmann, nous pouvons confirmer que c'est lors de conversations
informelles avec des dirigeants (au cours de déjeuners qui se sont
déroulés dans le cadre de notre travail opérationnel) que
ceux-ci ont souvent évoqué l'influence d'autres facteurs, tels
que l'éducation familiale, l'interaction avec les membres de la famille,
l'amitié, et même, ce n'est pas rare, l'amitié avec les
collègues ou des clients. A notre surprise, ces « conversations au
cours du déjeuner» parfois expliquent et décrivent, de
façon très détaillée, les situations au cours
desquelles ont lieu les moments de transformation perçus par les
dirigeants. Pourtant, si on accepte que le leadership s'apprend à partir
de la vie quotidienne, doit-on s'étonner du fait que certaines
situations peuvent rester gravées dans la mémoire et jouer un
rôle formateur ?
La citation de Voltaire sur « ce qui touche le
coeur... » (1764) nous conduit à admettre que si ces situations
sont à l'origine des souvenirs qui restent « gravées dans la
mémoire », c'est parce qu'elles sont source d'émotions et de
sentiments puissant (« touchent le coeur ») chez la personne. Pour
étayer davantage cette argumentation, nous nous trouvons face à
la nécessité de trouver un « nom » pour les situations
de cette nature. A ce stade de notre réflexion il est impératif
de trouver un terme pour désigner les situations de cette nature.
L'emploi du mot « source » laisse entendre que la situation qui fait
l'objet de notre étude doit être à l'origine (la source)
d'un sentiment spécifique, grâce auquel elle devient inoubliable
et exerce un rôle formateur sur la personne : le « sentiment
d'apprendre ». Conformément à cette idée, une
«situation-source » doit se différencier d'autres situations.
Une fois produite elle se fait remarquée par le « sentiment
d'apprendre » qu'elle a provoqué. Dans cette circonstance, une
situation ordinaire pourrait devenir la « situation-source », qui
continue à vivre et à accompagner la personne tout au long de sa
vie. Nous supposons qu'il y a quand-même deux catégories de «
situations-source » à examiner. La première catégorie
regroupe des situations durant lesquelles le « sentiment d'apprendre
» se produit; la deuxième catégorie regroupe des situations,
où le « sentiment d'apprendre » apparaît lors d'une
rétrospection de la situation en question. (Figure 1).
Enfin, il ne faut pas confondre ce terme avec la
« situation d'apprentissage » (ou bien la «situation
apprenante»), qui est une situation typique choisie ou construite par
l'éducateur ou par le formateur dans un but éducatif.
Contrairement à ces termes, qui sont souvent utilisés d'une
manière générale dans l'éducation ou dans la
formation collective, le terme « situation-source » dans notre
étude renvoie à des situations réelles et souvent
singulières, qui sont porteuses de sens pour une seule et unique
personne selon sa propre perception.
Situation-source Rétrospection
de la situation-source
Situation-source
Sentiment d'apprendre
Sentiment d'apprendre
33 |
temps
Figure 1 : Les deux catégories de «
situation-source » (Source : l'auteur)
3.2 La question de recherche
Jean Berbaum, parlant de l'apprentissage de la vie
quotidienne s'exprime ainsi: «L'expérience montre que la vie
quotidienne (l'activité professionnelle comme les moments
34 |
de détente, de vie associative ou familiale)
contribue à l'élaboration de modes nouveaux de comportement et
joue par conséquent le rôle de situation d'apprentissage.
L'apprentissage se présente comme un effet annexe des situations que
propose la vie. Toutes les informations reçues contribuent à
modeler notre manière d'être. » (Berbaum, 2005, p.
10).
Même si la remarque de Jean Berbeaum correspond
à ce que nous voulons faire valoir ici : « les situations que
propose la vie » et leur rôle dans l'apprentissage, il nous manque
toujours des termes adéquats pour expliquer le phénomène.
De plus, notre hypothèse est que certaines situations peuvent être
plus importantes que d'autres et dans certains cas l'apprentissage ne se
présente pas comme un « effet annexe », mais plutôt
comme une action intentionnelle. Dans la sphère du management, certaines
personnes parviennent à anticiper les situations qu'ils
perçoivent comme des opportunités d'apprentissage. Par exemple,
une personne ayant l'ambition de devenir dirigeant peut se porter volontaire
pour les missions les plus difficiles afin de faire la preuve de ses
compétences.
En définitive, la problématique de notre
recherche s'articule autour d'un phénomène nécessitant
d'être décrit et expliqué en détail. Ce qui nous
conduit à examiner cette hypothèse et à vérifier la
pertinence de nouveaux termes destinés à formuler l'objet de
notre recherche. Finalement, la question de recherche soulevée dans le
cadre de cette étude peut être formulée ainsi : dans
quelles conditions et de quelle manière une situation de vie peut
devenir plus signifiante qu'une autre au point de jouer un rôle formateur
dans l'apprentissage du leadership chez les dirigeants ?
35 |
CHAPITRE 4: METHODOLOGIE
Dans ce chapitre nous allons justifier notre choix de
méthode et des techniques à appliquer. Nous allons définir
les données ainsi que l'échantillon de notre recherche. Nous
allons par la suite décrire la procédure utilisée pour le
recueil de données et pour l'analyse de l'activité en exploitant
ces données. Pour terminer, nous nous attacherons à
décrire le rôle du chercheur compte tenu de l'approche et de la
méthodologie de recherche retenues.
4.1 La recherche qualitative
Nous retenons comme méthode, la recherche
qualitative, puisque notre question vise à éclaircir un «
comment ». Selon Yves Poisson, « le chercheur partisan de l'approche
qualitative n'essaie pas d'abord de quantifier les phénomènes
observés afin d'établir des corrélations. Il tente
plutôt de saisir la réalité telle que la vivent les sujets
avec lesquels il est en contact; il s'efforce de comprendre la
réalité en essayant de pénétrer à
l'intérieur de l'univers observé. » (Poisson, 1983, p. 371).
Ceci résume parfaitement l'objectif de notre recherche. C'est pourquoi
nous ne chercherons pas à quantifier ou à mesurer, mais
plutôt à recueillir des données verbales permettant une
démarche interprétative. Nous voulons aussi explorer les
émotions, les sentiments, ainsi que les expériences personnelles
des dirigeants, afin d'obtenir une meilleure compréhension du
fonctionnement de leur apprentissage du leadership. A ce titre, la recherche
qualitative est particulièrement adaptée à notre
ambition.
4.2 La population cible, l'échantillon et les
données
Selon Steven Taylor et Robert Bogdan (1984) la
recherche qualitative produit et analyse des données descriptives,
telles que les paroles écrites ou dites et le comportement
observés des personnes.
36 |
La population cible de notre recherche se compose de
tous les dirigeants issus de formations différentes et venant de divers
milieux professionnels. Cependant, comme nous souhaitons nous détacher
de l'apprentissage formel des dirigeants, notre choix se porte sur les
dirigeants ayant un profil d'ingénieur ou scientifique, plutôt que
sur les dirigeants issus directement des écoles de management. Par
conséquent, bien que nous ayons effectué 27 entretiens y compris
les entretiens exploratoires et les entretiens d'essai (pour valider le guide
d'entretien), notre analyse finale porte sur un échantillon restreint
aux 6 entretiens les plus représentatifs avec 5 individus, avec qui nous
avons travaillé au cours de l'année académique 2011-2012
au CNAM (Conservatoire national des Arts et Métiers).
Nous reprenons ci-après la description de notre
échantillon. (Tableau II).
Individus
|
Entretiens
|
Origine académique
|
Domaine d'activité
|
Origine
géographique
|
Mme A
|
N°01 et 02
|
Comptabilité
|
Service
|
Afrique du Nord
|
Mr B
|
N°03
|
Physique
|
Gestion des projets
|
Europe
|
Mme C
|
N°04
|
Infermière
|
Formation
|
Europe
|
Mr D
|
N°05
|
Vétérinaire
|
Mode
|
Asie
|
Mr E
|
N°06
|
Mathématique
|
Conseil
|
Europe
|
Tableau II : Description de
l'échantillon
37 |
Pourquoi avoir choisi le CNAM comme le terrain de
recherche ? Tout d'abord, il est important de noter que, selon les documents
des archives du CNAM, dans les années 80 la formation professionnelle
devait permettre aux apprenants de maintenir leur compétitivité
en adaptant leurs qualifications aux exigences des entreprises. Dans ce
contexte, en 1987, à la demande des secteurs professionnels industriels,
une formation professionnelle en management a été mise en place,
dans le cadre du Centre de Perfectionnement et de Recherche en
Ingénierie et Management (CEPRIM) du CNAM.
En 1991, cette formation en management pour
l'ingénieur a été homologuée par la Commission
Technique d'Homologation (CTH) au niveau I (3ème cycle), sous
l'intitulé « Diplôme d'études supérieures de
management pour l'ingénieur ». Elle fut ensuite homologuée
sous l'intitulé « Management pour l'ingénieur » en
2003, puis « Manager d'entreprise » en 2005 à la suite d'une
demande de changement d'intitulé. Elle a bénéficié
d'un renouvellement de son enregistrement au RNCP14 en 2007.
Parallèlement avec le titre RNCP niveau I Manager d'entreprise, cette
formation délivre également le diplôme, le plus reconnu
internationalement en matière de management - le MBA.
Dans ce contexte, la plupart des «
étudiants » du CNAM sont des professionnels parmi lesquels on
retrouve de nombreux ingénieurs, scientifiques ou spécialistes
des domaines différents, ayant en moyenne 10 ans d'expérience
professionnelle.
Concernant les données et compte tenu de la
question de recherche, nous avons fait la collecte de récits et de
verbatim des personnes interviewées et observées. Ces
données sont des enregistrements audio d'entretiens ou des notes
d'entretiens en milieu naturel ou des notes d'auto-explicitation du chercheur.
Elles sont donc des données difficilement quantifiables et
catégorisable. Cependant, afin de faire l'analyse des données,
nous considérons la « situation-source » comme une
unité d'analyse en utilisant le schéma proposé par Pierre
Vermersch sur les informations satellites de l'action (1994). Selon
Vermersch,
14 Le
Répertoire National des Certifications Professionnelles
38 |
l'action se situe, en effet dans un ordre
chronologique, dans un contexte donné et comporte des jugements, des
opinions et des commentaires (Figure 4)
|
CONTEXTE
ENVIRONNEMENT
|
|
|
|
|
|
|
DECLARATIF SAVOIR
|
PROCEDURAL ACTION
|
INTENTIONEL BUT
|
JUGEMENTS COMMENTAIRES
Figure 4 : Les informations satellites de l'action
(Vermersch, 1994)
Grâce à sa logique, nous assumons que
dans chaque « situation-source » l'ensemble des informations ne
concernent pas uniquement l'action (l'apprentissage) mais s'attachent
également à des informations gravitant autour de l'action. Il
s'agit des informations concernant le contexte dans lequel s'est
déroulé l'apprentissage, le jugement porté par l'individu
vis-à-vis de son apprentissage, les intentions poursuivies et,
finalement, les connaissances et savoirs sur lesquels l'individu s'est
basé pour agir.
4.3 Les techniques pour le recueil de données sur
l'action
Selon Daniel Schugurensky « [...] certaines
personnes peuvent ne pas être conscientes d'avoir appris quelque chose au
cours d'une expérience particulière jusqu'à ce qu'elles en
parlent avec une autre personne (par exemple un chercheur) qui leur pose des
questions visant à permettre une prise de conscience
rétrospective. » (Schugurensky, 2007, p. 16)
39 |
En suivant l'idée de Schugurensky, nous avons
décidé de choisir une technique d'entretien nous permettant non
seulement d'échanger avec les dirigeants mais aussi de collecter un
large panel des « situations-sources » choisies spontanément
par la personne elle-même pour illustrer ses arguments.
L'objectivité de notre enquête s'appuie principalement sur le
choix spontané de « situation-source » de la
personne.
Pourtant, la difficulté opérationnelle
de cette recherche réside dans le fait que les « situations-sources
» sont souvent des souvenirs de la vie privée et le chercheur doit
avoir toute la confiance de la personne interviewée, pour accéder
à ses souvenirs d'enfance. Beaucoup d'entre eux n'ont pas pris
conscience du lien entre certaines situations du milieu familial, qui se sont
passées entre les membres de famille ou entre les amis... et leur
attitude au travail. De telles situations ne sont pas faciles, voire
impossibles à observer. C'est pourquoi nous avons choisi la technique de
l'entretien d'explicitation15 puis, l'entretien de
décryptage16, pour évoquer les souvenirs de la
personne sur les « situations-sources », d'où la personne a
puisé ses « leçons ».
Par ailleurs, les aptitudes que les dirigeants
acquièrent au travail ou dans la vie quotidienne ne sont pas faciles
à décrire avec des mots. L'entretien d'explicitation est la
technique, concentrant sur l'action, utilisée pour aider la personne
à prendre conscience de sa façon de travailler ou bien, de qui ou
de ce qui influence sa façon de faire les choses. Cette technique s'est
avérée également efficace en aidant la personne à
verbaliser les étapes par lesquelles elle a appris à adopter une
attitude donnée.
D'autre part, les éléments implicites
comme les sentiments, les sens, les valeurs et les convictions de la personne
lorsqu'elle exerce sa fonction de dirigeant sont très souvent
cachés derrière des mots, des gestes répétitifs ou
des images spécifiques. Donc l'entretien de
15 Inventé et mis
au point par P. Vermersch (GREX, CNRS), l'entretien d'explicitation est un
entretien qui vise une description aussi fine que possible d'une
activité passée, réalisée par une personne en
situation de pratique professionnelle ou engagée dans la
réalisation d'une tâche. (Source:
http://www.grex2.com/)
16 Elaborée par N.
Faingold (GREX) une méthodologie de recueil des verbalisations visant
l'accès au sens subjectif de moments du vécu. Les entretiens de
décryptage permettent ainsi, par un accompagnement spécifique de
l'évocation d'un souvenir, d'aider à la prise de conscience et
à la mise en mots des enjeux identitaires de points clés du
parcours de vie (Faingold, 2011)
40 |
décryptage est utilisé pour aider
l'interviewé à se focaliser sur un moment précis et
à verbaliser ce qui s'est passé en lui à un moment et
à « mettre en évidence des analogies structurelles entre les
moments choisis, identifiables par des récurrences de mots, de
thèmes, et [...] de gestes » de la personne. (Faingold, 2011, p.
24)
Pour la mise en place d'une relation de
confiance
|
Explication de l'objectif de la recherche, demande
d'autorisation d'enregistrer en audio la conversation. Prise de notes
évitée pendant l'entretien pour se concentrer sur les mots, les
gestes et l'état d'évocation de la personne. (La prise de notes
peut être faite dès que possible après
l'entretien.)
|
Pour l'entretien
|
Etape 1 : Demander à la personne de raconter une
situation professionnelle récente, dans
laquelle elle a dû diriger un groupe. Demander
à la personne de choisir un moment précis durant lequel elle a
réussit une tâche dans son rôle de
dirigeant.17
Objectif : Explorer l'expérience de la
personne, recueillir le maximum d'informations sur les attitudes qu'elle adopte
lorsqu'elle dirige une ou plusieurs personnes dans une situation choisie comme
signifiante. Lui faire expliciter les sentiments qu'elle a dans cette
situation.
|
Etape 2 : Demander à la personne de retrouver
une autre situation dans le passé, au cours de laquelle, pour la
première fois, ces sentiments lui sont venus à
l'esprit.
Objectif : Accompagner l'interviewé à
remonter dans le passé pour aller plus loin vers d'autres «
situations-sources » de ces sentiments
|
Etape 3 : Demander à la personne de revenir
à la « situation-source » la plus représentative de son
identité de dirigeant, en privilégiant l'arrêt sur un
geste, un mot ou une image.
Objectif : Approfondir la remémoration de la
personne sur la « situation-source ». Explorer l'existence d'une
interaction entre la personne et son environnement à travers des
éléments significatifs
|
Etape 4 : Demander à la personne d'imaginer
comment réagirait-elle face à une situation similaire
?
Objectif : Mettre en évidence des analogies et
des liens entre différentes « situations-sources »
potentielles
|
Tableau III : Le guide d'entretien d'explicitation et
de décryptage
17 Selon Vermersch, la
technique de l'entretien d'explicitation cherche à documenter
précisément ce que fait réellement le sujet dans
l'exécution d'une tâche. (2007)
41 |
Afin de faciliter l'utilisation effective de ces
techniques, nous avons élaboré un guide d'entretien après
avoir effectué plusieurs ajustements des consignes (table III). Au lieu
d'utiliser un questionnaire rigide, nous avons opté pour un guide
d'entretien simple, qui nous permette de centrer l'entretien autour de
thèmes que nous avons définis, tout en laissant une large marge
de manoeuvre à la personne interrogée pour qu'elle puisse
s'exprimer le plus naturellement possible.
En dehors de cela, les limites principales de ces
techniques tiennent au fait qu'elles nécessitent beaucoup de temps pour
créer l'ambiance appropriée avant que la personne
interrogée puisse aller à l'essentiel et que la qualité de
données recueillies dépend étroitement de la relation de
confiance entre l'intervieweur et l'interviewé. C'est la raison pour
laquelle, le guide d'entretien a été construit en deux parties
dont la première comprend la mise en place d'une relation de confiance
sans laquelle l'entretien ne pourrait pas être poursuivi ; la
deuxième partie comprend les démarches importantes correspondant
à chaque étape d'avancement de l'entretien. Ces étapes
servent de points de repère pour aider l'intervieweur à conduire
l'entretien vers le but en respectant le délai prévu.
4.4 Entretien d'auto-confrontation18 et analyse de
l'activité d'apprentissage
Bien que l'entretien d'explicitation et l'entretien de
décryptage permettent au chercheur de se concentrer au maximum sur la
collecte d'informations concernant l'aspect procédural de
l'expérience vécue - l'action (Figure 4), nous pensons qu'ils ne
sont pas suffisants pour nous aider à examiner les autres aspects de la
« situation-source » afin de trouver une réponse plus
complète à notre question : dans quelles conditions une situation
de vie peut-elle devenir un fragment de vie signifiante pour l'apprentissage du
leadership ?
18 La méthode peut être définie
comme un type d'entretien de recherche. Elle consiste à présenter
aux personnes observées les traces les plus nombreuses possibles de leur
comportement et à leur demander de les commenter (Thereau,
1992)
42 |
Toujours selon Schugurensky (2007, p.18), « [...]
une question ouverte sur les connaissances tacites et les apprentissages
informels en tant que tels n'avait aucune chance de déboucher sur une
conversation riche sur ce sujet. » C'est la raison pour laquelle nous
avons besoin de trouver un autre moyen d'explorer plus en profondeur les «
situations-sources » et tout ce qui se passe autour de l'action dans
chaque « situation-source » évoquée.
Ici, nous nous sommes intéressées par
une autre technique - l'auto-confrontation qui doit nous permettre de
recueillir plus d'informations sur divers éléments de la «
situation-source » vécue ainsi que de collecter les commentaires de
la personne interrogée. En outre, nous pensons que cette technique peut
également nous permettre de vérifier nos interprétations
de données en comparant nos constats avec les commentaires
formulées par la personne interrogée sur leurs propres
récits ou actions. Cependant, dans le cadre concret de notre recherche,
la limite principale de cette technique réside dans le fait que les
« activités immatérielles » des dirigeants ne peuvent
pas être filmées.
Pour relever ce défi méthodologique,
nous avons essayé de nous soumettre à la même question que
nous voulions poser à nos interlocuteurs. Tout en cherchant la
réponse, nous nous sommes souvenus d'une situation intéressante,
qui a été mentionnée par un dirigeant de notre
connaissance au sujet du jour où il a dû donner un ordre sans
savoir comment le donner. Selon son récit, le problème peut venir
du côté des subordonnés comme le remarque Serieyx : «
Plus une population est éduquée, informée, plus elle
exige, avant d'obéir, éventuellement, de comprendre pourquoi on
lui demande de le faire. » (2009). La difficulté peut venir aussi
de la situation dans laquelle les dirigeants peuvent se trouver. « Selon
les moments, les lieux et les interlocuteurs, il faut être tantôt
détendu et apte à faire des concessions, ou au contraire à
donner le change et à taper du poing sur la table. » (Milspelblom,
2010, p. 267).
Depuis le moment où le dirigeant a
témoigné, il a dit qu'il a déjà tiré
beaucoup de leçons. S'il s'agit d'une forme d'apprentissage, la question
maintenant est : comment analyser cette activité d'apprentissage et ses
composantes ? La difficulté la plus importante repose sur le fait que
les activités managériales sont difficiles à observer ou
à enregistrer en cours d'action.
43 |
Pour cette raison, notre première idée
est d'interroger les dirigeants-acteurs dans un premier temps pour ensuite
analyser les éléments significatifs évoqués lors de
l'entretien d'auto-confrontation de l'acteur à ses propres
récits. Ici, nous empruntons l'hypothèse
«représentative » qui « considère
l'activité cognitive, les stratégies et les habiletés
déployées par des professionnels pour faire le métier en
s'informant et se formant, en argumentant leur pratique et en agissant dans
l'espace de la profession. » (Morandi, 2005, p. 36)
La deuxième idée vient du fait que, pour
les dirigeants, les activités réflexives sont souvent
associées avec les événements de parole et
orientées vers les interactions interpersonnelles. Mispelblom a
constaté que : « Si encadrer est travailler, alors l'essentiel du
travail porte sur les mots. Et dans cette dimension de la parole, se produisent
des événements, se constituent des enjeux, se jouent des luttes :
des positions établies sont bousculées, les évidences en
cours sont mises en cause, des changements d'orientations se produisent.»
(ibid. p. 237). Lors des conversations des dirigeants avec les autres
interlocuteurs, nous pouvons identifier des éléments qui se
déroulent avant, pendant et après l'événement. Ce
lien nous a donné l'idée de pénétrer dans cet
univers réflexif selon les trois étapes suivantes :
a) Définir un événement de
parole net et représentatif pour aider l'interviewé à
verbaliser son activité sans l'orienter
b) Faire une analyse de l'activité
basée sur les éléments significatifs extraits du
récit, c'est-à-dire les éléments qui font «
signe » pour l'acteur à l'aide d'un entretien
d'auto-confrontation
c) Faire une analyse sur les processus de
transformation et de production des connaissances de l'acteur
4.5 Le rôle du chercheur
Depuis 2003, après avoir été
diplômée d'un MBA, l'auteur de ce Mémoire travaille en tant
qu'organisatrice - dirigeante de la formation « MBA - Manager d'entreprise
du Cnam » où on peut rencontrer un public très varié
en termes d'origines géographiques, de backgrounds académiques,
de parcours professionnels et d'âges. Les participants de cette formation
peuvent être ingénieurs, informaticiens, chercheurs scientifiques,
juristes, consultants, cadres,
44 |
responsables de projets, directeurs de
PME19 etc. Certains occupent déjà le poste de
dirigeant depuis une dizaine d'années. Très souvent, nous nous
sommes demandé : que cherchent-ils encore à apprendre dans cette
formation ? De plus, puisque l'investissement pour la formation de type MBA est
toujours très élevé (le frais de scolarité
s'élève à 30 000 euros en moyenne), cela donne
l'impression que la préoccupation prioritaire des participants concerne
uniquement les « gains financiers » ou le « retour sur
l'investissement », malgré leur volonté très forte de
transformer leur « façon de penser » (« way of
thinking »).
Dans ce contexte, nous croyons qu'il est aussi
important de présenter ici les difficultés que nous avons
rencontrées tout en menant la recherche sur le même terrain de
notre travail opérationnel. D'une part, nous devons garder à
l'esprit que, contrairement à un acteur sur le terrain, notre nouveau
rôle de chercheur ne consiste ni à trouver une solution, ni
à intervenir dans l'action, mais plutôt à observer et
à aider les dirigeants à expliciter leurs sentiments et leurs
pensées. D'autre part, afin de suivre de près toutes les
étapes de leurs opérations et de vérifier notre
hypothèse nous devons utiliser le raisonnement d'un acteur ou même
la technique de l'observation participante (observer en participant aux
activités des dirigeants sans être soumis au centre de l'action)
pour pénétrer dans l'univers personnel de la personne que nous
étudions.
19 La catégorie des
petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui
occupent moins de 250 personnes et qui ont un chiffre d'affaires annuel
inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan
n'excédant pas 43 millions d'euros.
(Source :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/petite-moyenne-entreprise.htm)
45 |
CHAPITRE 5: LE DEROULEMENT DES ENTRETIENS ET LES
DISCUSSIONS SUR LES CONSTATS
Dans ce chapitre, nous allons présenter les
différentes étapes de la réalisation de notre
enquête sur le terrain, les constats, ainsi que les discussions sur les
constats. Tous ces éléments influent les uns sur les autres. La
réalisation concrète de l'enquête, les limites de notre
méthode de recherche ainsi que les difficultés que nous avons
rencontrées qui peuvent nous amener à formuler de nouvelles
hypothèses pour nos prochains travaux de recherche.
5.1 Le déroulement des entretiens
Notre intention était de faire des entretiens
avec les dirigeants mais sans trop altérer leurs manières
d'exprimer avec le vocabulaire spécifique à la gestion ou
à la littérature managériale. Nous ne voulions pas nous
limiter aux généralités, mais au contraire, nous voulions
découvrir des situations originales et des moments uniques qui font
« signes » dans la vie quotidienne de chaque individu. Nous voulions
entendre autre chose que les propos habituels formulés par un groupe de
dirigeants dans une salle de cours, en réponse à des questions
prescrites. Nous voulions, autant que possible, éviter que ceux-ci ne
préparent leurs réponses, leurs discours, ce qui en aurait
diminué la spontanéité et aurait risqué de modifier
leurs propos s'ils en avaient discuté entre eux. Pour ce faire, nous
avons abordé les interviewés potentiels en évoquant notre
participation au programme Master de recherche européen en formation des
adultes en leur donnant pour seul repère la référence
à un travail de fin d'études dont le sujet concerne les
situations significatives et les éléments spécifiques dans
la vie quotidienne des dirigeants. Le retour général a
été très encourageant. Beaucoup de personnes ont
exprimé leur volonté de participer à notre enquête.
Ensuite nous avons écrit, le 22 mars 2012, à l'ensemble des
participants du MBA du CNAM - promotion 2011-2012, afin de leur demander de
nous rencontrer individuellement après leurs cours pour une discussion
informelle entre collègues sur le développement des
`compétences-molles' (soft-skills). Après
46 |
avoir répondu à quelques demandes de
clarification sur le thème de la discussion auxquelles nous avons
répondu, nous avons reçu rapidement 100% de réponses
positives.
L'étape suivante a consisté à
négocier avec chaque personne quels seraient le lieu, la date et la
durée de cet entretien. Nous ne fixions pas le lieu pour nos entretiens,
mais la plupart des individus ont accepté de nous rencontrer à
notre bureau hors temps de travail. Pour les entretiens, qui sont
effectués à l'extérieur de l'institution dans un lieu
public, où il est parfois difficile d'enregistrer, nous devions compter
sur nos notes ainsi que sur la technique de l'auto-explicitation20
(Vermersch, 2007) sur le moment de l' l'entretien.
Nous avons essayé de réaliser les
entretiens dans un climat de grande liberté avec un maximum de
flexibilité, tout en respectant le temps annoncé et en suivant le
guide d'entretien. Pourtant, au cours des premiers entretiens, nous
étions très inquiète parce que de nouvelles questions se
posaient, les différentes techniques d'entretien se mélangeaient,
nous conduisant ainsi hors du schéma prévu. Cependant, à
partir du quatrième entretien, nous nous sommes familiarisés avec
les différentes techniques de l'entretien, ce qui nous a permis de les
combiner en fonction de la situation ou de l'activité
évoquée. Ainsi tout fonctionnait avec de plus en plus de
fluidité. Il faut noter également qu'au début de chaque
entretien, nous rappelions le cadre de cette recherche et nous assurions les
personnes interrogées d'une totale confidentialité. Ainsi les
participants, au moment de l'entretien, étaient certains que leurs
propos étaient destinés à un usage de retranscription
avant d'être intégralement effacés.
Afin de permettre aux personnes interrogées
d'expliciter clairement leurs activités, après de nombreux
essais, nous avons décidé de choisir les mots « donner des
ordres » pour décrire l'activité cible de l'analyse. Pour
démarrer un entretien, la question utilisée le plus souvent
était : « Tu te souviens encore d'une situation professionnelle
précise, dans laquelle tu avais à donner des ordres à tes
subordonnés ». Ces trois mots se sont effectivement
révélés être un bon déclencheur. La plupart
des personnes interrogées ont tenté de citer toutes leurs
activités
20 L'auto-explicitation
est une introspection auto guidée permettant le chercheur de prend sa
propre expérience comme objet de description (Vermersch,
2007)
47 |
sauf « donner des ordres » pour justifier le
fait qu'ils « n'aiment pas donner des ordres » et qu'ils
« ne donnent pas d'ordres » et que « ces mot sont
trop forts »21.
5.2 Les entretiens22 effectués et les constats
Avant d'aller dans les détails de ce qui s'est
passé au cours de nos entretiens, nous voudrions d'abord exprimer
quelques remarques générales tirées de l'ensemble de cette
enquête. Premièrement, sur la base d'un échantillonnage
volontaire, le contrat de confiance a été facilement mis en
place. Deuxièmement, les scènes de la vie quotidienne, en dehors
des salles de cours sont présentes de façon très
spontanée dans tous les entretiens. Des notions abstraites et
intangibles telles que le sens des responsabilités, les relations
humaines, le respect de soi-même ou envers les autres et l'audace de
faire les choses sont également très présentes dans les
paroles des dirigeants. Ces notions sont souvent exprimées à
travers les métaphores, les anecdotes, ou les images, ou bien
associées avec un geste, un objet, ou même un mot. Enfin, parmi
les dirigeants interrogés beaucoup ont exprimé leurs souvenirs de
l'enfance, de la jeunesse, provoquant des émotions fortes lorsqu'ils se
sont mis dans l'état d'évocation. A ce stade, il convient de les
reprendre successivement afin de mesurer leur impact sur les questions que nous
avons soulevées dans notre recherche. Comme le but de nos entretiens est
d'aider la personne interrogée de retrouver des moments précis
à expliciter ou des situations particulières à commenter,
nous allons présenter les entretiens effectués sous deux
perspectives : la première se focalise sur les extraits importants de
l'entretien illustrant la scène où les éléments
significatifs ont été évoqués par la personne
interviewée ; la seconde se concentre sur les constats ainsi que sur les
interprétations des données par l'intervieweur.
21 Extraits de l'entretien
N° 06-E
22 Explication des
signes:
Tout ce qui se trouve entre guillemets et en italique
rapporte les propos des individus interviewés.
.... : silences dans le récit
[...] : partie omise
[texte] : notes de l'intervieweur
A, B : indicateur pour les personnes
interrogées
01, 02 : numéro de l'entretien
a, b : indicateur pour les extraits différents
du même entretien
48 |
Dans le premier entretien, la personne
interrogée est une dirigeante de terrain, directrice d'un hôtel.
En répondant à notre demande de retrouver un moment précis
où elle exerce son rôle du dirigeant, elle a évoqué
la notion de responsabilité, mais à travers ce terme de
responsabilité, elle a aussi parlé de la prise de conscience du
lien entre sa nouvelle responsabilité et ses
compétences:
« J'étais serveuse, mais le chef a vu
que je parlais anglais et que j'étais polyvalente, il m'a donné
plus de responsabilité, donc j'ai commencé à diriger une
femme de chambre et un cuisinier. » (01-A-a: l'extrait du
récit de la personne « A » sur la situation « a »,
lors de l'entretien 01)
L'interlocutrice a commencé le récit par
une longue phrase, contenant beaucoup d'informations satellites à
l'action. Grâce au schéma de Vermersch (Figure 4), nous avons
identifié les informations telles que : l'aspect déclaratif
(j'étais serveuse) les commentaires (mais le chef a vu que...), ainsi
que l'action (j'ai commencé à diriger...). Ensuite, lorsque la
personne a été interrogée à propos de la
difficulté rencontrée dans l'exercice de sa nouvelle fonction en
tant que dirigeante, elle a évoqué la relation humaine entre elle
et sa subordonnée, qui est aussi son ancienne collègue et
expliqué comment elle a reconstruit la relation humaine dans ce cas.
L'explication ci-dessous nous a donné de nombreuses informations
à la fois sur le raisonnement ainsi que sur l'intention de la
personne.
« Je faisais la chambre avec elle et je lui
montrais comment il fallait faire. Je ne disais pas « fais ci, fais
ça, ça. [...] J'étais comme elle,... »
(01-A-b)
[En suite, sans aucune relance de la part du
chercheur] « Je sais faire des choses, depuis très longtemps.
Tu sais, j'ai quitté très tôt ma famille, à 16 ans.
Ma famille est très modeste. On a eu plein de soucis, de
problèmes. Mes parents ne parlent pas français. Donc je les
connaissais... les soucis, dès l'enfance... ».
(01-A-c)
Le brusque changement de thème (même si
la personne a commencé son discours en parlant d'une situation
liée à son travail, mais tout en cherchant réponse
à notre question sur l'apprentissage du leadership, elle a soudainement
tourné vers une autre situation liée à son enfance et
à sa famille) a montré que la pensée de la personne au
sujet de l'apprentissage du leadership se déplace indépendamment
du temps, de l'ordre chronologique ainsi que des autres aspects
procéduraux de l'action. En revanche, la seule chose qui peut servir de
lien
49 |
entre ces thèmes dans sa pensée est le
savoir-faire que la personne a pensé avoir acquis dès l'enfance.
Sa pensée semblait être dirigée vers les situations,
où le « sentiment d'apprendre » a
émergé.
Un des premiers constats intéressants pour le
chercheur a été l'évocation spontanée
d'éléments significatifs de la part de personne
interrogée. Par exemple, en répondant à la question du
chercheur : « Comment es-tu arrivée à comprendre les soucis
de ta famille si jeune ? », la personne interrogée, avec le regard
comme accroché à un point éloigné, a répondu
:
« ... Des lettres. [l'image des lettres
est venue brutalement à son esprit.]. Comme mes parents ne parlaient
pas français, c'était moi et ma soeur, plutôt moi, qui
lisaient les lettres et les traduisaient pour eux. J'avais 12 ans ».
[sa voix est devenue plus grave] (01-A-d)
Notre intérêt ici se porte d'abord sur
l'évocation du lien entre l'âge et le souvenir de l'interlocutrice
à propos de sa compréhension enfantine des « soucis ».
À l'âge de 12 ans, l'interviewée commence à
comprendre ce que signifient les « soucis » à travers l'image
des « lettres », qui revient dans l'extrait de l'entretien N°
02-A ci-dessous.
Il est important de noter aussi la façon dont
l'image claire du père apparaissait à côté de
l'image floue de la mère. Cette scène classique a illustré
la pensée de notre interlocutrice à propos d'un « leadership
masculin » en contraste avec ses compétences par rapport aux
compétences des autres membres féminines de sa famille
:
« Tout ce qui est argent, banque, c'est mon
père. [...] ...Hum... J'ai un père très nerveux. [...] Je
me souviens parce que mon père, une fois, n'était pas content. Il
a cru que j'avais mal fait mon travail. Que je n'avais pas bien
expliqué. Il ne comprenait pas très bien. Il ne pouvait pas
s'exprimer mais, mais il était très exigeant. Ma mère,
elle ne parlait pas.» (01-A-e)
Une heure après le premier entretien, pour
reprendre la conversation sur ce qui s'est passé dans son enfance, nous
avions décidé d'essayer une autre technique d'entretien,
l'entretien de décryptage pour décrypter le sens de l'image des
lettres pour cette personne.
50 |
« J'ai appris déjà...hum...
trop vite, tous les soucis d'adulte. Les soucis qu'on a maintenant, quand on
est adulte. 1...] J'ai appris très vite le problème de l'argent,
les problèmes de la vie...et les systèmes aussi. Les
systèmes administratifs. 1...] Ce que j'ai appris sur l'administration.
Je me disais plus tard quand je serai plus grande, je vais faire bien les
choses, au bon moment, pour que tout passe... Si tu oublies quelque chose...,
car t'es obligée...tu perds beaucoup de temps avant de revenir dans
l'ordre. C'est pourquoi maintenant, je suis très carrée là
dessus. » (02-A)
Comme indiqué précédemment, le
retour de l'image de « lettres » nous a montré comment un
élément qui pourrait sembler sans importance, a pu être
gravé dans la mémoire d'un enfant et le rapport entre celui-ci et
l'acquisition de certaine aptitude de la personne quand elle est arrivée
à l'âge adulte :
« Moi maintenant, quand je reçois des
lettres. Je fais en sorte de faire attention à ce que tout soit en
ordre, car cela peut créer des problèmes graves après.
1...] Quand je vois la tête de Marianne [la figure sur l'enveloppe
de la lettre administrative], 1...] j'ai appris de décrypter tout de
suite ce qu'écrit la lettre. L'objet, de quoi ça parle. En deux
secondes, si je la prends ou ... poubelle. » (02-A) (l'aspect
déclaratif)
Notre interprétation est que le motif
sous-jacent, poussant la personne à acquérir cette attitude, est
lié directement à plusieurs pressions dont la pression des
autorités et la pression familiale.
« Je devais [faire les choses de cette
manière], parce que j'avais une pression, 1...]. Il faut que
ça soit fait. Tu comprends ce que je veux dire...car quand il y a une
lettre ...je veux la réponse.» (02-A) (L'aspect
intentionnel)
Dans le troisième entretien, nous avons
commencé l'interrogation par une demande simple à notre
interlocuteur - un ingénieur diplômé d'une Grande Ecole
dans les années 70 - de partager avec nous ses expériences
signifiantes dans sa vie personnelle et professionnelle. Cependant, comme la
personne connaissait pas déjà l'objet de notre recherche, il nous
a cité tout de suite la scène où il avait
échoué à « donner un ordre » à son fils
de 4 ans, de ne pas s'approcher du feu et comment il avait eu peur ... Cette
« leçon de l'accident » (03-B-a) l'a aidé
à conclure un principe fondamental, qu'il a ensuite appliqué,
testé dans d'autres
51 |
situations. Selon lui, « si tu veux «
lead » (diriger) les autres, il faut être devant ». Afin
d'expliquer comment il est arrivé à cette conclusion, notre
interlocuteur a évoqué une autre scène liée
à sa présence dans l'armée :
« Tu sais pourquoi ?... J'étais dans
l'armée. [...] Je me rappelle d'un capitaine. Un officier très
calme. [...]Il doit emmener cent personnes traverser une grande montagne. [...]
Le temps est mauvais, tout le monde n'a pas dormi. Les gens sont
épuisés. [...] Il a fait traverser la montagne à tous avec
une corde. [...] Il a aidé les soldats un par un. Après
ça, s'il demande n'importe quoi, tout le monde s'exécute avec un
énorme respect. Il est devant dans le temps, dans la performance... Le
leader, ce n'est pas de pousser les autres mais de tirer. »
(03-B-b)
Le fait que la notion du respect soit apparue en
faisant le lien entre l'échec d'un jeune papa (N°03-B-a) et la
réussite d'un officier (N°03-B-b), montre le fil des
pensées23 de la personne et le cheminement de son
raisonnement dans les autres expériences similaires. Il a
illustré tout ça par la scène suivante, toujours quand il
était dans l'armée :
« Dans une des situations, où il faut
sauter au dessus des flammes...Tout le monde était terrorisé.
J'avais très peur, moi aussi, mais je me disais qu'il faut que j'y
aille, parce que pour être suivi, il faut être devant. »
(03-B-c)
Son raisonnement ne se limite pas à
l'idée que le leader doit montrer l'exemple, mais aussi doit oser
traverser les épreuves de la vie, afin de permettre à
soi-même de prendre des risques et de se donner les moyens
d'évoluer. Nous avons reconnu également que ses pensées ne
se limitent pas qu'à des remarques isolées, mais elles sont
développées ou transformées en
généralisations sous forme d'une « leçon
».
« ...à un moment donné on a une
opportunité. Il n'y a pas des opportunités comme ça tous
les jours. Il y en a moins de 10 fois dans la vie. Il faut garder la fraicheur
pour accepter ces opportunités pour pourvoir se dire : Tiens, on peut
faire quelque chose...» (03-B)
23 Le fil de pensée
ou une chaîne de pensée se réfère à
l'interconnexion dans l'ordre des idées exprimées lors d'un
discours connecté ou la pensée, ainsi que la séquence
elle-même, en particulier dans la discussion comment cette
séquence conduit d'une idée à une autre. (Source :
l'auteur adapté de Léviathan (Hobbes, Martinich &
Battiste (ed)., 2011, p. 584))
52 |
Le quatrième entretien a été fait
avec une dirigeante dans le domaine de la formation professionnelle. La
personne interrogée a évoqué le même
élément du respect mais d'une façon complètement
différente et dans des relations beaucoup plus complexes. Au
début de l'entretien, le déclencheur « donner des ordres
» ne semblait pas marcher, donc nous devions trouver tout de suite un
autre déclencheur, car étant formatrice et référent
d'un groupe d'élèves professionnels elle n'a jamais dirigé
les subordonnés. Elle dirige uniquement ses étudiants - les
futurs professionnels.
« Je suis formatrice, [...], donc je suis
référent d'une promotion d'étudiants. [...] Pour moi, le
premier [principe] que je veux qu'il soit respecté c'est le respect.
C'est le respect du fonctionnement, des règles de l'équipe
pédagogique, de moi en tant que référent de la promotion
et le respect entre eux. » [La personne répète souvent
les phrases, les mots importants avec une intonation très expressive].
(04-C)
Dès le début, la présence de
l'image des élèves a déjà été
très signifiante pour elle. Pour parler du respect, la première
« situation-source » qu'elle a choisie, concernait sa première
expérience en tant que responsable de la promotion avec un
élève.
« Eh bah, il y en a un, très
précisément... c'est un étudiant qui est un petit peu
marginal...non ... plutôt original » [La personne fait
attention aux choix des mots]. (04-C)
La « situation-source » dont elle a
parlé était la scène quand notre interlocutrice a
convoqué l'élève pour discuter son résultat et lui
demandé d'attendre devant son bureau. La scène critique
était l'acte de parole entre notre formatrice et l'élève
(N°04-C-a). Le début de son récit contenait plusieurs
informations sur le contexte. Alors que dans les parties suivantes du discours,
son récit n'était pas seulement riche en verbes mais aussi en
adjectifs forts et soigneusement sélectionnés. Cela montre que la
personne est consciente de son style du leadership autoritaire.
« Je lui ai dit qu'il n'avait pas le choix et
donc qu'il attendrait le temps nécessaire. » (Le
déclaratif)
« Je ne suis pas en colère ... non,
pas en colère mais très ferme. Je pense que j'ai un visage
fermé quand même. » (Le jugement)
« J'étais, mais alors,
extrêmement virulente ». (Le jugement)
53 |
« Donc, mon intention était de le
déstabiliser, pour qu'il comprenne que c'était vraiment mal, ce
qu'il avait fait, [...] de la manière qu'il avait réagi,
même s'il avait peur, tant pis. » (L'intentionnel)
« Tout ca [les excuses de
l'élève], je l`ai stoppé mais... net. »
(L'action)
En effet, à cet instant, nous avons voulu
savoir si le style autoritaire, qu'elle avait délibérément
choisi était destiné à s'adapter à une situation
particulière ou non. Pourtant, comme notre principe est de ne pas
imposer notre opinion sur la personne interrogée, nous avons
décidé de laisser assez de temps afin que la personne puisse
poursuivre sa logique. Il s'agit d'une bonne décision, car avant que
nous intervenions, la personne a déjà poursuivi d'elle-même
avec l'image d'un autre élève.
« Pourquoi je t'ai dis ça, parce que
je suis en train de penser qu'il y a deux jours, non, c'était hier. Il y
a un étudiant, qui a eu son diplôme... en juin de cette
année... là [elle tape sur la table]. Ce n'est
même pas un an qu'il a eu son diplôme, qu'il s'est
déjà fait virer. » (04C-b)
Encore une fois, derrière l'image de ses
étudiants, la personne nous a montré le fil de ses
pensées, le lien entre le respect et la responsabilité. Comme le
fil de pensées de la personne interrogée est un
élément très important pour notre analyse, notre approche
a toujours été d'aller pas à pas dans le passé,
d'accompagner la personne pour remonter dans le temps, une expérience
après l'autre, tout en gardant le thème évoqué au
début de l'entretien. Dans cet entretien, en faisant cela, nous avons pu
voir comment le respect est lié à la responsabilité et
puis au résultat du travail.
« Ma responsabilité a
été engagée de former des professionnels. Je ne peux pas
laisser passer les gens comme ça, qui peuvent être potentiellement
dangereux sur le terrain... Mais, derrière, c'est l'humain, c'est des
enfants, des personnes âgés, une maman, un papa... »
(04C)
Nous avons également vu comment le recours au
style autoritaire a d'abord été réalisé dans une
situation précise (04-C-a) et puis « validé » à
une autre occasion (04-C-b) jusqu'à devenir un élément
à part entière de son attitude (04-C-c).
54 |
« Eh voilà, [...] cette année,
il y a trois étudiantes [...] Je ne les ai pas laissé passer
l'examen. Elles ne regrettent pas d'avoir redoublé. [...] Là,
j'ai bien confiance en elles [...] et la relation est tout à fait
honorable... ». (04-C-c)
En remontant le temps avec la personne, nous
étions presque convaincus que son style autoritaire avait
été acquis exclusivement pendant le travail, or, la personne nous
a montré qu'il ne fallait pas tirer des constats trop
rapides.
« Ça [le principe du
respect], c'est pendant le travail, c'est sûr. Je pense que le reste
était induit par la culture professionnelle, dans le travail des
équipes... ... ou alors ... dès l'enfance... [la voix est
ralentie, le regard est fixe]. Oui, certainement ma maman nous a toujours
élevés dans le respect de l'autre hein... oui, oui »
(04-C)
Nous avons remarqué l'hésitation lorsque
la personne cherchait l'origine de son principe du respect. Le mouvement dans
la pensée de la personne commençait à partir de
l'idée que ce principe a été induit au travail et par la
culture professionnelle dans une nouvelle direction que ce principe du respect
a été en fait le résultat de l'influence de sa mère
sur elle.
En effet, elle commençait à avoir cette
attitude depuis son adolescence.
«J'avais 14 ou 12-13 ans. Et donc bah,
c'était moi la deuxième référence d'autorité
sur mes frères et soeurs après ma mère. J'étais son
soutien [de sa mère] incontestablement...», « Je les
[frères et soeurs] punissais. J'étais autoritaire. Ah
oui, j'étais dure. » (04-C)
Or, à son adolescence, elle ne s'était
pas rendu compte tout de suite de son autorité et de son pouvoir sur ses
frères et soeurs.
« C'était implicite ..., tout s'est
passé de façon tellement spontanée »
(04-C)
En « fouillant » dans sa mémoire pour
trouver le moment à partir duquel elle est devenue dure, autoritaire
avec ses frères et soeurs, la première chose qui lui est venue
à l'esprit était une scène de la vie de famille, une
situation « dramatique »:
« Le jour où elle [sa
mère] est partie, où elle nous a dit : faites vos valises.
Oui, là, c'est le jour où j'ai pris les choses en main, avec
elle. Pas avant ça, parce que les circonstances n'étaient pas les
mêmes. » (04-C-d)
55 |
Ici, en appliquant les trois
catégories24 d'expérience de Peirce
(1931-1935)25, nous avons trouvé que la scène 04-C-d
décrite ci-dessous illustre bien la « situation-source »
où la personne interrogée a ressenti son nouveau rôle en
tant que le « deuxième parent » pour ses soeurs et
frères. Cette scène a la caractéristique d'une
expérience de la catégorie Potentielle. L'adoption du style
autoritaire se caractérise par la révélation de soi au
monde en comparant soi-même avec sa mère. Ensuite, dans son
expérience en tant que référent d'un groupe des
étudiants, la situation 04-C-a ou 04-C-b porte la caractéristique
d'une expérience de la catégorie Actuelle. Enfin la situation
04-C-c quand notre interlocutrice est devenue la présidente du jury et
quand elle s'est assurée que son style décisive et autoritaire
résultant des généralisations de ses expériences
précédentes corresponde tout à fait à son travail
d'un « dirigeant ». C'est là que ce constat nous conduit
à l'idée d'analyser l'activité du dirigeant avec l'aide
d'un entretien d'auto confrontation sur son propre récit
d'expérience. Nous allons décrire cette tentative « peu
canonique » plus en détail à travers un autre entretien plus
loin ci-dessous (05-D).
C'est seulement à la fin de l'entretien, que la
personne a évoqué plusieurs mots, phrases, images de
différentes personnes de son entourage proche: « ma petite
soeur, qui l'a dit : «stop, tu n'es pas mon père, ni ma
mère», mes filles, qui m'ont appris de voir les choses à
"moitie plein au lieu de à moitie vide» ». Les
réactions de ses filles quand elles ont dit : « tu pourrais me
dire "c'est bien" plutôt que me dire "je pourrais faire mieux" ou «
Tu me n'écoutes pas. Tiens, je reviendrai quand tu m'écouteras
» sont transformée en ses
24 Selon Peirce, trois
catégories sont nécessaires et suffisantes pour rendre compte de
toute l'expérience humaine. Ces catégories correspondent aux
nombres : premier, second, troisième. Elles sont désignées
comme « priméité » (potentielle), «
secondéité » (actuelle), « tiercéité
» (virtuelle).
La priméité est la catégorie
d'expérience d'un acteur tel qu'il est. La priméité se
rattache au mode potentiel dans la mesure où elle constitue pour
l'acteur une ouverture liée à ses expériences
passées - de possibles non actualisés dans l'expérience
présente.
La secondéité est la catégorie
d'expérience d'un acteur lors de la concrétisation d'un fait.
Elle traduit l'expérience pour l'acteur d'une interaction
particulière avec son monde. La secondéité se rattache au
mode actuel dans la mesure où elle est l'actualisation concrète
d'un ou plusieurs possibles pour l'acteur.
La tiercéité est la catégorie
d'expérience d'un acteur donnant lieu à l'élaboration de
raisonnements, à la généralisation. Elle est le mode de la
construction de connaissances. La tiercéité permet la
typicalisation de son rapport au monde à partir des expériences
passées et présentes. Elle se rattache au mode virtuel dans la
mesure où elle produit et/ou modifie les connaissances de l'acteur selon
un mode dégagé des contingences.
25 Publication des volumes
I à VI des Collected Papers de Peirce dans les « Harvard
University Press » entre 1931 et 1935
56 |
expériences « Virtuelles »,
résultant de ses généralisations produites à partir
des expériences précédentes. (04-C).
Enfin, elle a évoqué les deux images de
deux différentes personnes : son ancienne patronne et sa
supérieure actuelle, qui ont influencé son attitude et son
principe. Concernant son ancienne patronne :
« Il y a une personne, c'est mon ancien chef.
C'est comme je lui dois toute ma carrière. Des chefs comme ça il
n'y en a pas beaucoup. C'est la seule personne en tant que chef, qui a
réussit à me manager comme j'aime.» (04-C)
Quant à sa nouvelle supérieure, son
image représente un contre-exemple pour notre
interlocutrice.
« Toutes ses phrases commencent par un "Non,
mais". Elle te dévalorise tout le temps. Ma première chef, elle
n'a jamais fait cela. Jamais. » (04-C)
Nous pensons que la tendance à comparer une
personne à une autre et de garder dans sa mémoire, côte
à côte, l'exemple et l'anti-exemple ; mérite d'être
analysée plus profondément dans les prochaines recherches sur
l'activité des dirigeants.
Comme nous l'avons exprimé
précédemment, notre ambition est, à travers des
récits d'expérience des dirigeants, de mettre en évidence
le lien entre leur « sentiment d'apprendre » et les modifications de
leurs connaissances, compétences et attitudes. Nous voulons
également nous appuyer sur les trois catégories
d'expérience de Peirce pour décrire ce phénomène.
L'entretien (N°05-D) suivant a donc pour but d'illustrer cette
tentative.
L'acteur dans cette analyse est un dirigeant
hongkongais, d'environ trente-cinq ans. La raison du choix de cette personne
est qu'il a un profil assez atypique par rapport aux autres étudiants
MBA en général. En termes de profil académique, son
diplôme n'est pas dans le domaine de l'économie ou du commerce. De
plus, il a un diplôme d'un niveau inférieur au niveau
général26 pour la formation MBA. En termes
d'expérience professionnelle, il a travaillé pendant environ dix
ans avant d'entrer dans la formation MBA. Sa dernière
26 La plupart des MBA exige
un niveau « Bachelor » ou Licence à
l'entrée
57 |
expérience avant le MBA se déroulait
dans le service de vente d'une grande firme dans le domaine des vêtements
en cashmere. En contraste avec les remarques que « les étudiants en
M.B.A. sont des individus actifs, compétitifs et agressifs qui aiment
exercer de l'influence, dominer ... » (Allaire & Toulouse, 1973, p.
481), cet étudiant « est réservé, timide,
observateur, parfois surprenant. Il parle rarement pendant la classe, mais il
peut apporter des commentaires originaux et justes... »27
Selon le même principe que pour tous les autres
entretiens effectués dans le cadre de cette recherche,
l'expérience qui est présentée ci-dessous est donc choisie
par l'interviewé lui-même. C'était quand il a
été embauché pour la première fois pour le poste de
Manager Marketing et Vente (poste « numéro deux », sous la
PDG), et expatrié en Chine afin de restructurer le système de
vente de la société en Chine. C'est sa première
expérience en tant que cadre dirigeant supérieur (le niveau le
plus élevé par rapport à ses postes
précédents). De plus, c'était la première fois
qu'il devait diriger des personnes issues d'une autre culture28. La
« situation-source » choisie consiste à la rencontre avec ses
subordonnées où il doit donner les directives
(ordres).
Les paragraphes ci-dessous sont les extraits du
verbatim de l'interviewé (05-D)
1. « C'était excitant et en
même temps, drôle, car les employés chinois sont très
polis. Ils avaient beaucoup de respect envers moi. Ils ne me traitaient pas
comme un chinois. C'était vraiment excitant ».
2. « C'est aussi drôle, parce qu'ils
vous respectent, mais en même temps, s'ils ne sont pas d'accord avec
vous, ils peuvent vous affronter directement. J'étais choqué. Ils
sont plus directs. A Hongkong ce n'est pas comme ça. Les hongkongais
respectent les cadres supérieurs. Ils ne se confrontent pas directement
comme ça. Je n'ai jamais osé m'opposer à mon chef
directement comme eux l'ont fait. »
27 Extraits des
commentaires de ses professeurs et ses collègues de classe, que nous
avons pu recueillir, non pas en tant que chercheur, mais en tant qu'acteur dans
le cadre de la formation.
28 Selon l'acteur,
ça veut dire la culture chinoise - continentale, traditionnelle vs la
culture à HK, qui a été occidentalisée
3.
58 |
« Dès que j'ai reçu cette
offre, j'ai effectué de nombreux voyages en Chine. Dans les deux
premiers mois, j'ai dû voyager dans tant d'endroits, même des
lieux, où je n'avais jamais imaginé d'aller. La première
chose que j'ai apprise c'est la langue. J'ai appris vraiment la langue en
l'utilisant, pas autrement ».
4. « En Chine, je suis nouveau, le
marché est nouveau. Je dois venir avec un plan après avoir fait
l'étude de marché par moi-même. Je dois restructurer et
changer l'image des produits ».
5. « J'étais vraiment
choqué de découvrir un chiffre d'affaires si bas en juillet. A
Hong Kong tout doit être rapide. Ici je devais aller plus lentement.
»
6. « Je devais faire les choses
étape par étape. Je devais comprendre le fait que la culture est
différente. Je devais comprendre leur façon d'abord, puis
proposer ma façon, car je ne peux pas me contenter de leur imposer ma
façon comme ça. »
7. « A Hong Kong j'ai beaucoup appris
en travaillant avec des personnes de différents départements. Ils
avaient besoin de moi pour être soutenus. En retour, ils m'ont soutenu
quand j'en avais besoin. Cela m'a aidé à découvrir un peu
le concept que j'allais appliquer dans mon travail en Chine.
»
Pour faire une analyse locale, avec l'aide d'un
entretien d'auto-confrontation sur les mots répétés, les
mots qui font signes à l'interviewé, nous avons établi le
tableau des unités d'activités significatives ci-dessous (Tableau
IV).
Lors de la première unité, l'acteur
compare ses attentes avec les « réactions » des
employés locaux. Ce qui s'est passé correspond assez positivement
avec ses attentes (le respect des subordonnés chinois envers lui). Ce
n'est pas une nouvelle connaissance construite pour l'acteur, mais plutôt
une validation de sa connaissance ancienne.
La deuxième unité est très
importante, il exprime, ce que qui se passe « ici et maintenant » et
ce qui l'a choqué. La connaissance validée de la première
unité est transformée en une nouvelle connaissance par
l'invalidation de celle-ci lors de la deuxième unité.
59 |
Au moment suivant, il se souvient du fait qu'il a
appris la langue pendant ses voyages en Chine en l'utilisant activement. C'est
une connaissance construite dans le passé, qui a poussé l'acteur
à voyager avant de passer à l'action : « donner des ordres
».
A la quatrième unité, il se rend compte
qu'il est nouveau, le marché est nouveau etc., il anticipe les
difficultés en se basant sur la connaissance construite à partir
de la dernière expérience.
La généralisation lors de la
cinquième unité évoque une nouvelle attitude, une
connaissance potentielle de l'acteur.
A la sixième unité, il a opté pour
une stratégie à valider.
Et à la dernière unité, il essaye
de mobiliser les outils et les méthodes, qu'il a appris
précédemment dans la nouvelle situation.
#
|
Récits
|
Unités
|
1
|
Excitant. Drôle. Ils ne me traitent pas comme un
chinois.
|
J'imagine l'image que je donne aux employés
locaux. J'observe leur réaction, en même temps je
m'ajuste.
|
2
|
Je suis choqué. Ils sont plus directs.
|
J'ai appris une nouvelle différence culturelle
entre le Hong Kong et la Chine
|
3
|
J'ai beaucoup voyagé, j'appris la
langue, je dois l'utiliser.
|
Je me souviens d'avoir appris la langue en parlant. Je
souhaite avoir la même chance pour apprendre la langue
française.
|
4
|
Je suis nouveau, le marché est nouveau, les
produits sont nouveaux.
|
Je m'inquiète. J'anticipe les
obstacles.
|
5
|
Je dois aller plus lentement.
|
Je choisis d'être prudent.
|
6
|
Je dois comprendre leur façon, je ne peux pas
leur imposer ma façon.
|
J'opte pour la stratégie de faire les choses
étape par étape.
|
7
|
J'ai appris des « concepts » de mes
collègues au HK. Je vais les appliquer en Chine.
|
Je pense aux méthodes et « concepts »
du passé, qui peuvent être mobilisés et
utilisés.
|
Tableau IV : Liste des unités de
l'activité de « donner des ordres »
60 |
A partir de cette liste des unités extraites du
récit nous avons fait aussi une analyse locale des composants hexadiques
de cette activité (Table V)
Nous pouvons faire deux remarques :
Premièrement, le fait de devenir dirigeant d'une équipe dont les
membres ont une autre culture, met l'acteur dans une nouvelle situation avec de
nouvelles relations interpersonnelles. Les sentiments forts tels que «
excitant », « choqué » ont marqué la prise de
conscience de la personne d'un écart entre ses « connaissances
anciennes » et la « réalité », ce qui l'a
motivé à poursuivre l'acquisition d'autres connaissances en
s'impliquant dans des confrontations multiculturelles.
Deuxièmement, les transformations importantes
de l'acteur résultent d'un processus de production et de transformation
des connaissances qui renvoie à l'apprentissage du langage, des
attitudes, des comportements, ainsi que des conflits potentiels entre les
intérêts, les méthodes de travail et les
personnalités des individus de différentes cultures.
E (Engagement) : Les préoccupations:
connaître les nouveaux employés, donner une image positive de lui,
convaincre ses nouveaux employés d'accepter les mesures du
changement
|
A (Actualité potentielle) : Les attentes : du
respect envers le manager
|
S (Référentiel) : Les connaissances
mobilisées sont : l'expérience à Hongkong,
l'expérience des voyages en Chine
|
R (Représentamen) : Les éléments
significatifs : la contestation directe d'un certain employé
local
|
U (Unité élémentaire) : Les faits :
les ordres donnés ; les sentiments : excitant, choqué
|
I (Interprétant) : Les connaissances
construites ou valides/invalides : le système en Chine est moins formel
(moins standard), il faut faire les choses étape par étape, il
faut apprendre la langue en l'utilisant.
|
Tableau V: Liste des composantes de l'activité
de « donner des ordres »
61 |
Le dernier entretien (N°. 06-E) a eu pour but de
vérifier notre hypothèse. C'est la raison pour laquelle nous
l'avons effectué spécialement après l'observation de
l'activité réelle d'un dirigeant lors d'une
réunion29. L'objet principal de la réunion
était un projet dont l'échéance approchait et il y avait
un risque énorme que la date de livraison serait retardée. Afin
de résoudre ce problème, le dirigeant (E) a voulu que tous les
membres de l'équipe exécutent son plan d'urgence avec la
répartition des tâches « point par point ». Cependant,
durant toute la réunion de deux heures, il ne pouvait pas imposer son
plan à ses membres de l'équipe. Jusqu'à un moment
donné, il perdit patience et soudainement éleva la voix sur ses
membres. La réunion s'est terminée sans résultat
concret.
En ce qui concerne l'entretien, qui a eu lieu
l'après-midi du même jour, nous essayions d'intervenir aussi peu
que possible et de laisser un maximum de flexibilité à la
personne interrogée afin qu'elle exprime ses ressentis ainsi que ses
commentaires sur ce qui s'est passé. En outre, nous espérions
qu'en restant « passive », nous pouvions voir l'occurrence
spontanée de nouveaux éléments, ce qui pouvait nous aider
à tester notre hypothèse de manière plus objective et
convaincante.
Au début de cet entretien, malgré tous
nos efforts pour inciter la personne à se mettre en état
d'évocation en le détachant des généralités,
la seule réponse que nous avons obtenue est :
« Donner les ordres... non, non...les mots
sont trop forts, ... je ne dis pas ça. Je préfère demander
gentiment à la personne concernée de faire les choses
plutôt que de donner des ordres.» (06-E)
En répondant à la question du chercheur:
« Mais comment fais-tu quand la personne n'a pas suivi tes instructions
», l'interviewé hésitait « Ah...ça
dépend... Je peux commencer par parler avec la personne. Puis, si
ça ne fonctionne pas, je vais faire appel à l'autorité
formelle et puis à l'application des lois... Comme tu l'as vu
d'ailleurs... » [A ce moment le dictaphone pour l'enregistrement
audio s'est arrêté, faute de piles. Lorsque nous étions en
train de nous excuser pour le problème technique, la personne
interrogée a commencé à évoquer une
autre
29 Une réunion de
la direction d'un projet, à laquelle le dirigeant en question a
participé en tant que chef du projet et le chercheur - en tant que
secrétaire chargé de prendre des notes en vue d'établir un
compte-rendu de la réunion.
62 |
scène de sa vie au cours de laquelle la notion
de « respect » était malheureusement associée avec une
grande déception.]
« Je vais te raconter une chose, qui m'est
arrivée quand j'étais jeune. [une longue pause]
J'avais eu un Directeur. Il m'a fait l'honneur de m'accepter dans son
équipe. Il était comme un père pour moi,
peut-être plus qu'un père. [...] Puis, une fois,
alors que je lui rendais un travail, il a brusquement
changé. Il n'a pas critiqué mon travail, mais il a dit
qu'il ne comprenait rien à ce que j'avais fait ... Après un
certain temps, on m'a dit qu'il a publié ce que j'ai écrit.
La déception était énorme. Je me sentais comme ... la
mort du père. Tu comprends... Pendant quelques
années après ça, je refusais d'avoir un chef quelconque.
» (06-E)
De même que les cinq entretiens
précédents, ce dernier entretien confirme notre hypothèse
principale qu'il existe une connexion implicite mais assez résistante
entre ce qui est exprimé par les interviewés comme «
l'apprentissage en dehors des salles de cours » et une situation radicale
- une « situation-source ». D'autre part, lors du dernier entretien,
nous avons été très impressionnée par l'occurrence
des émotions négatives : la déception, la colère
dans les récits de ce dirigeant et, surtout, par leur impact sur
l'évolution des attitudes de ce dernier. Le refus d'avoir un chef
quelconque montre la perte de la confiance dans le leadership, ou même la
foi en sa propre capacité d'être un « leader ». La
personne n'a pas dit un mot à propos de ce qui s'est passé
à la réunion du matin. Toutefois, la déception, la
colère sont les seuls points communs entre la scène critique de
la réunion que nous avons observée et la « situation-source
» dont il a parlé.
5.3 Discussion
Revenons à notre problématique initiale:
peut-on discerner les différents éléments et la
façon, dont ils fonctionnent et contribuent à la dynamique de
l'apprentissage du leadership des dirigeants ? Après avoir
analysé les récits d'expérience et exposé les
constats principaux dans la section précédente, il convient
d'aborder trois thèmes de discussion : 1) le « sentiment
d'apprendre » et son rôle dans l'apprentissage du leadership ; 2) le
fil de pensées qui lie différents éléments de la
vie quotidienne avec la compréhension du leadership et qui
conduit
63 |
la personne à l'apprentissage du leadership et
enfin, 3) la négativité de la « situation-source » et
son influence sur l'occurrence du «sentiment d'apprendre
».
5.3.1 Le « sentiment d'apprendre » et son
rôle
En ce qui concerne le « sentiment d'apprendre
», il est important de noter que nos entretiens confirment la pertinence
de la théorie des trois catégories de Peirce, car lors de
l'analyse des données nous avons effectivement pu identifier trois
sortes de « sentiment d'apprendre » apparaissant dans trois types de
« situations-sources » différentes. La première
catégorie (Potentielle) est caractérisée par le fait que
le « sentiment d'apprendre » peut se produire à partir de la
« situation-source indirecte », à travers une
expérience vécue par d'autres personnes. Dans une «
situation-source » de la première catégorie, par exemple
dans la situation N°03-B-b (le capitaine), le « sentiment d'apprendre
» de la personne a été généré à
partir de l'observation d'une scène réelle. Cependant,
l'observateur ne pensait pas nécessairement à
répéter exactement la même chose que le capitaine, mais il
pensait plutôt à des situations « Potentielles » ou
« possibles non-actualisées » comme les appelait Peirce. Dans
l'enseignement et l'apprentissage formel, les auteurs de la méthode
d'étude de cas ou de la méthode d'enseignement du leadership en
donnant les exemples de personnes extraordinaires peuvent affirmer que les
apprenants peuvent inspirer leur « sentiment d'apprendre » et
alimenter leurs pensées par les exemples des autres. En revanche, aucun
des dirigeants interrogés n'a évoqué de l'influence des
grands leaders lors de leur conversation avec nous sur ce qu'ils
considèrent comme « l'apprentissage hors des salles de cours
». Ce constat nous a fait penser en quelque sorte à la double
facette du concept « leadership », y compris le « leadership
» étudié dans les livres, reposant essentiellement sur
l'exemple des grands leaders (comme un « concept scientifique ») et
le « leadership » appris dans la vie avec l'exemple des gens
ordinaires comme leurs amis, proches (un concept « quotidien
»).
La deuxième catégorie (Actuelle) se
réfère au « sentiment d'apprendre » qui se produit
directement à partir de ce que la personne a réalisé
elle-même. Le « sentiment d'apprendre » de ce groupe correspond
plus particulièrement à la « mise en pratique » du
cycle d'apprentissage de Kolb (1984). Ce qui conduit à se demander si le
« sentiment d'apprendre » se produit à partir de chaque
expérience vécue par la personne? Dans la
64 |
recherche sur le choc culturel et son impact sur
l'ajustement des dirigeants expatriés, Adler remarque que «
Étonnamment les dirigeants expatriés (« global managers
») les plus efficaces souffrent souvent le choc culturel le plus
sévère. En revanche, les dirigeants expatriés, qui ne sont
pas particulièrement efficaces se décrivent comme subissant peu
ou pas du tout de choc culturel. » (2008, pp. 277-278). Aussi selon cet
auteur, « un choc culturel sévère est souvent un signe
positif indiquant que l'expatrié est de plus en plus impliqué
dans la nouvelle culture au lieu de rester isolés dans un ghetto
d'expatriés » (ibid., p.278). Les résultats de la
recherche d'Adler ont nous aidé à démontrer que « le
sentiment d'apprendre » constitue l'« indicateur » d'un
processus de l'ajustement particulier. Les analyses des données
recueillies dans l'entretien N° 05-D illustrent clairement la façon
dont la personne (D) ayant un caractère timide et réservé,
se déplace d'un style « divergeant » vers un style
plutôt « accommodateur ».
De plus, le « sentiment d'apprendre » qui a
été généré par la première rencontre
avec les nouveaux subordonnés est devenu plus tard le moteur de
nouvelles tentatives de changement. C'est ce qui explique l'origine du
changement de style, ce qui peut parfois surprendre ceux qui l'entourent. Cet
exemple révèle que dans certaines conditions, le « sentiment
d'apprendre » d'une personne, une fois généré et
mémorisé, il pourrait se reproduire et se transformer d'un effet
en une cause de l'action.
Au cours de notre recherche, le récit des
dirigeants confirme également qu'il existe une tendance de combinaison
de certains traits de caractère de la personne selon leurs
différentes approches d'apprentissage ou leurs styles de leadership. Une
personne ayant des caractéristiques personnelles de type «
réflexion critique » comme le dirigeant du dernier entretien (06-E)
peut avoir une tendance à opter en faveur d'une approche d'apprentissage
« rétroactif » et d'un style de groupe « assimilateur
». Or, les exigences du métier de dirigeant peuvent les priver de
leur préférence ou tendance naturelle et les obliger à
adopter d'autres styles ou à appliquer d'autres approches même si
ces styles et approches sont contraires à leur nature.
Enfin, la troisième catégorie
(Virtuelle) représente le « sentiment d'apprendre »
généré lorsque ces dirigeants ont tiré des
généralisations à partir de plusieurs
expériences
65 |
accumulées, y compris les expériences
des deux catégories mentionnées précédemment. Le
sentiment de la troisième catégorie peut tout à fait
servir la cause de la « soif de connaissances », qui poussent la
personne vers la recherche de nouvelles « situations-sources »
éventuelles. Cela confirme aussi la remarque de Skinner que le sentiment
peut servir la cause du comportement. A quelque niveau que ce soit, le «
sentiment d'apprendre » peut conduire la personne vers d'autres situations
qu'elle peut explorer ou tester pour valider ou invalider ces nouveaux
savoirs.
Maintenant, il devient plus évident, à
partir de ces récits, que les dirigeants présentés dans
notre recherche partagent un point commun - un désir d'apprendre non pas
seulement « à faire », mais à « bien faire »
son « métier », même si c'est un métier complexe
universel qui implique toute leur vie professionnelle ainsi que leur vie
personnelle comme le métier de dirigeant. Ils confirment les
résultats des études précédentes, qui
démontrent que les « bons » leaders ne cessent jamais
l'apprentissage. Tous les dirigeants de notre enquête démontrent
un niveau très élevé dans leur capacité d'apprendre
: apprendre tout le temps et en toute circonstance. Contrairement aux
études qui montrent que l'apprentissage est causé comme un «
effet annexe » de la situation proposée par la vie, dans cette
étude, ce sont les dirigeants interrogés qui ont affirmé
la place centrale de l'activité d'apprentissage dans chaque situation
radicale de leur vie. Pour ces dirigeants, nous pouvons dire que
l'apprentissage implicite du leadership n'existe pas. Si Reber a dit qu'il
existe des processus d'acquisition de connaissances sans effort conscient ou
sans toute prise de conscience explicite de ce qui a été appris,
dans l'apprentissage du leadership, même en dehors des salles de cours,
l'apparition du « sentiment d'apprendre » est la preuve que les deux
éléments sont toujours présents : l'effort conscient et la
prise de conscience de ce qui a été appris.
C'est aussi une des raisons pour lesquelles les
récits de ces dirigeants sur leur « apprentissage informel »
sont toujours très riches. Selon le schéma de Kolb, les
dirigeants sont continuellement en activité et en mouvements: ils
observent, ressentent, jugent, réfléchissent à chaque fois
sur leurs propres expériences ainsi que sur les expériences des
autres. En déplaçant d'une action à l'autre, ils modifient
leurs attitudes qu'ils avaient adoptées, afin de ne pas
répéter l'expérience de la même manière.
C'est pourquoi, au lieu de se concentrer sur les quatre composants
(expérience, réflexion, conceptualisation, mise en
66 |
pratique) du cycle d'apprentissage en un état
fixe, nous nous focalisons particulièrement sur la dynamique de ce cycle
ou le motif des déplacement de l'apprenant quand il passe d'un
étape à l'autre (de ressentir à observer, de penser
à faire etc.) . Par conséquent, nous trouvons que le
modèle de Kolb demeure pertinent et que le rôle du «
sentiment d'apprendre » constitue bien le moteur de ces mouvements.
Autrement dit, l'une des contributions les plus importantes de notre
étude porte sur le fait que nous pouvons compléter le
schéma de Kolb avec un nouvel élément : le «
sentiment d'apprendre ». (Annexe 3).
Selon la classification de Schugurensky (2007), il y a
trois formes d'apprentissage informel: les apprentissages auto-dirigés
(conscients et intentionnels), les apprentissages fortuits (non-intentionnels,
mais conscients) et la socialisation (apprentissages non intentionnels, non
conscients). En ce qui concerne la dernière forme, il a écrit :
La socialisation (ou apprentissage tacite) renvoie à l'assimilation
presque naturelle des valeurs, attitudes, comportement, savoir-faire et
connaissances qui se produit dans la vie quotidienne. Non seulement l'apprenant
n'aucune intention préalable de les apprendre, mais il n'est absolument
pas conscient qu'une activité d'apprentissage a eu lieu. »
(ibid, p.16). Ici, nous voulons démontrer que, sous certaines
conditions, l'apprentissage peut être parfois un processus intentionnel
mais non-conscient. La preuve est que dans certain cas, les dirigeants
interrogés nous avons montré qu'une personne ayant l'ambition de
devenir un « dirigeant - leader » garde souvent à l'esprit un
ou plusieurs « exemple » à suivre (ou un ou plusieurs «
anti-exemple à éviter). Bien que l'intention est présente
dès que le début, le « sentiment d'apprendre » comme un
indicateur de la conscience de l'apprentissage peut apparaître
après coup. Cela signifie que pendant une première phase du
cycle, la conscience de l'apprentissage a été absente, alors que
l'intention a déjà été là.
De plus, ces constats montrent que dans le contexte de
l'apprentissage du leadership hors de salle des cours, la richesse de la vie
sociale, dans laquelle nos dirigeants peuvent se nourrir des exemples des
autres doit avoir un impact signifiant sur leurs aptitudes ainsi que sur leur
attitude au travail. Il est intéressant de noter que « le sentiment
d'apprendre » le leadership ne peut se produire que dans les «
situations-sources » où les relations interpersonnelles jouent un
rôle dominant dans la pensée de la personne.
67 |
Pour terminer notre discussion au sujet du «
sentiment d'apprendre », l'argument que nous voulons développer ici
est que l'interaction avec autrui joue un rôle déterminant dans
les processus d'apprentissage du leadership des dirigeants. D'ailleurs, la
plupart de leurs récits sur les relations interpersonnelles confirment
des études antérieures qui démontrent l'influence des
personnes clés de l'entourage comme les parents, les enfants, les amis
proches, les anciens chefs ainsi que les subordonnés sur le dirigeant.
Puisque le leadership - l'une des « compétences molles » ou
compétences sociales, ne peut pas être appris dans des conditions
isolées, sans interaction avec autrui. Cependant, les constats
tirés de récits de nos interlocuteurs, montrent que l'interaction
avec autrui dans leur apprentissage du leadership ne fonctionne pas de la
même façon que celle qui existe dans l'apprentissage des concepts
scientifiques. Plus particulièrement, lorsque l'autrui est un ou
plusieurs suiveurs. En plus, avec ces récits nous voulons
démontrer que l'interaction avec autrui sert un facteur important qui
incite le déplacement du non-leader de la zone « participation
périphérique » en zone « participation centrale »
du leader (Annexe 4).
5.3.2 Le fil des pensées des dirigeants
Notre attention a particulièrement
été attirée par le fait que, selon les recherches de Kolb
et Vygotski, l'apprentissage implique la transformation des connaissances.
Tandis que selon les récits des dirigeants interrogés, leurs
pensées impliquent la généralisation des connaissances. Il
apparaît important de noter que les récits des personnes
interrogées durant l'enquête offrent une visibilité
étonnante sur ce qui se passe dans leurs pensées, sur la
façon dont ils absorbent les différents éléments de
l'expérience puis les généralisent et les intègrent
à leurs propres connaissances. Les techniques comme l'entretien
d'explicitation, l'entretien de décryptage et l'entretien
d'auto-confrontation nous ont menés à observer tous les «
recoins » de la pensée de ces personnes. Il est aussi
intéressant de remarquer une grande tendance à associer la «
pensée » représentant une grande partie immatérielle
et réflexive de l'activité des dirigeants, avec ce qu'ils
appellent « l'apprentissage du leadership ». D'ailleurs, un lien
inséparable entre le concept de « respect » - un concept
quotidien et le concept de « leadership » a été
identifié dans chaque verbalisation de leur pensée. Le respect et
le leadership forment un « parallélisme », même si c'est
implicite, dans leur pensée. Selon ces
68 |
dirigeants, nous ne pouvons pas avoir l'un sans
l'autre. D'une part, dans les entretiens N°01-A, N°03-B et
N°05-D nos interlocuteurs ont classé tout ce que ces personnes
faisaient afin de gagner et de maintenir le respect d'autrui envers
eux-mêmes, que se soit leurs subordonnés ou leurs
supérieurs, leurs frères et soeurs ou leurs parents, dans leur
« apprentissage du leadership ». D'autre part, dans les entretiens
N°01-B, N°06-E, même si le mot « respect » n'est pas
apparu dans leurs récits, le couplage « respect » - «
leadership » existe toujours, mais sous forme d'« anti-exemple »
d'un père nerveux ou d'un directeur malhonnête. Plus
particulièrement, dans l'entretien N°04-C, la comparaison entre les
deux supérieurs nous a clairement démontré que les effets
de contraste contribuent à la dynamique de réflexion du
dirigeant.
En dépit de la tendance qui considère
que l'apprentissage est une activité comme les autres, la
variété des thèmes abordés dans les pensées
des dirigeants interrogés montre que l'apprentissage semble ne pas tout
à fait correspondre au schéma de Vermersch (Figure 4) où
nous pouvons facilement trouver l'action au centre de l'expérience
vécue. Dans la verbalisation des pensées des dirigeants de notre
enquête, nous avons constaté qu'au lieu de l'information sur
l'action procédurale, les dirigeants se focalisent
particulièrement sur les actions cognitives et les informations
satellites de l'action (les jugements, les déclaratifs et les
intentions). Dans leurs récits, il y a beaucoup d'images de proches
(père, mère, frère, soeur, enfants...), d'adjectifs
soigneusement sélectionnés (N°04-C) ainsi que des
métaphores et des anecdotes, provoquant de nombreuses émotions.
L'entretien N° 03-C constitue une illustration claire de cet argument. De
plus, les données de notre enquête montrent également que
l'apprentissage du leadership n'est pas non plus un processus d'apprentissage
comme les autres, qui peut être réalisé dans les espaces
dédiés comme dans les formations de type MBA (Gauthier, 2008) et
actualisé par l'application de stratégies spécifiques
(Edith, 2004). Les liens entre des thèmes différents (Annexe 2)
dans la verbalisation des pensées des dirigeants montrent que c'est un
processus implicite, spontané et fortuit (entretien N°04-C). Rien
ne peut indiquer que les dirigeants appliquent des méthodes ou des
stratégies particulières pour devenir leaders. A la
différence d'une action procédurale, l'apprentissage du
leadership regroupe en même temps plusieurs actions cognitives. Les
dirigeants peuvent à la fois ressentir et se remémorer,
réfléchir et considérer, comparer et
généraliser. Comme il s'agit d'actions cognitives, la notion du
temps semble perdre sa valeur.
69 |
Effectivement, dans notre enquête, les
récits des interviewés montrent que la dimension du temps et
l'ordre chronologique dans le fil de leurs pensées ne sont pas
significatifs. Les dirigeants interrogés peuvent en même temps
penser à des thèmes divers, indépendamment du moment
où ces thèmes sont apparus dans leur vie. Une autre remarque
importante est que la « situation-source » la plus mémorable
est souvent la plus ancienne. De plus, certaines d'entre elles ont
été présentées sous forme d'une « blessure
ouverte », qui peut être reliée avec chaque
événement similaire du présent. Dans une situation de ce
type, la personne en question n'a pas pu traiter sa frustration et son conflit
intérieur dans l'immédiat. Le dernier entretien peut confirmer la
pertinence de cette remarque. La personne interrogée n'a pas dit un mot
au sujet de la scène de la réunion du matin (N°06-E). Pour
lui le « problème » semble être trop récent pour
être évoqué et ce qui cause un dilemme entre le manque de
réflexion pour une résolution efficace et l'incapacité
d'accepter ce qui s'était passé. C'est là que nous pensons
avoir trouvé la raison de l'existence des mouvements, des actions
sous-jacentes représentées par les flèches entre les
quatre éléments dans le cycle d'apprentissage par
l'expérience du modèle de Kolb (Figure 2 et 3).
5.3.3 La négativité de la «
situation-source »
Quant à la négativité de la
« situation-source » et son impact sur l'apprentissage, nos
entretiens montrent que les sentiments négatifs de nuances
différentes surgissent dans la plupart des « situations-sources
» : la sensation de pression et de souci dans la pensée d'une fille
de 12 ans (entretien N° 02-A), la peur d'un jeune père pour son
fils (entretien N°03-B), la virulence d'une formatrice envers ses
élèves et sa colère face aux dysfonctionnements du
système d'évaluation, (N°04-D), le choc culturel d'un
dirigeant face à ses nouveaux employés étrangers
(N°05-E) et enfin la déception et la perte de « foi »
d'un mathématicien, chercheur envers son directeur, qui «
était plus qu'un père » (N°06-D). Les émotions
négatives générées au cours de ces situations
n'empêchent pas les dirigeants d'avancer et d'apprendre le leadership.
Bien au contraire, il nous semble qu'elles les aident plutôt à
stimuler leur réflexion et l'ajustement de leurs comportements.
L'interlocutrice (A) a appris à être « carrée »
dans la façon dont elle traite les lettres administratives, pour
éviter toutes les
70 |
conséquences négatives
représentées par le mot « soucis » dans sa
pensée. Elle a appris à construire une relation humaine en «
faisant la chambre » avec sa subordonnée afin d' « effacer
» l'image d'une personne « nerveuse », rappelant l'image de son
père. Le dirigeant (B) a appris à contrôler sa peur et
à gagner le respect des autres.
Dans l'enseignement classique, l'émotion
négative a le potentiel de perturber la capacité de raisonner ou
d'apprendre. Alors que dans chacun des six cas de notre enquête, les
dirigeants ont réussi à tirer des leçons à partir
de ceux qui ont causé leurs émotions négatives. L'aptitude
à percevoir une situation « difficile » comme une source
inépuisable pour « tirer des leçons » a
créé chez eux un réflexe d'apprentissage en permanence. Le
point commun de ces récits réside dans le fait que ces
émotions négatives peuvent être des motifs importants, qui
aident la personne à anticiper les conséquences inattendues ou
les « dangers » à éviter. Telle est l'explication que
nous donnons au fait que le « sentiment d'apprendre » a bien
existé et servi l'élément grâce auquel les
dirigeants ont pu maintenir leur équilibre émotionnel pour
avancer. Ces exemples confirment que le « sentiment d'apprendre »
peut être généré à partir de l'écart
entre ce que la personne savait ou ne savait pas et ce que la personne a su
dans l' « après-coup ». Cet argument a été
illustré clairement par les cinq premiers cas de façon positive.
Quant au dirigeant présenté dans le dernier cas, la
déception causée par la « situation-source » dans sa
jeunesse a généré un « sentiment d'apprendre »
fort mais de façon très négative. La personne a
refusé complètement d'utiliser sa compétence de «
leader », ou autrement dit d'actualiser son « leadership », bien
qu'il ait reçu une bonne formation et qu'il ait acquis d'excellentes
connaissances en gestion pour assumer sa fonction de dirigeant. Dans ce dernier
exemple uniquement, la personne (E) apparemment n'a toujours pas pu «
réussir » à regagner sa confiance en un leader. La perte de
confiance causée par la déception dans ce récit
représente la négativité d'un niveau
particulièrement élevé. Si, dans d'autres cas, la
négativité de la « situation-source » a juste un effet
stimulant sur le « sentiment d'apprendre », alors que la
négativité causée par la perte de confiance a un impact
considérablement destructif sur l'apprentissage.
Les anciens Grecs disaient « par la souffrance la
connaissance », les Anglais disent : « no pain, no gain »
(pas de souffrance, pas de résultat) et selon les bouddhistes :
toute vie implique la souffrance. Au sujet de la négativité de la
« situation-source », même si nos
71 |
interprétations faites à partir de six
entretiens ne peuvent pas être représentatives, avec ces proverbes
populaires, apparus parfois depuis des siècles, nous pouvons affirmer
que le « sentiment d'apprendre » de la vie quotidienne est
très attaché aux émotions fortes, des émotions
provoquées par la négativité de la situation de
vie.
Le dernier argument que nous voulons soulever est
inspiré par le travail de Vygotski qui a distingué,
l'apprentissage des concepts quotidiens de l'apprentissage des concepts
scientifiques. Les entretiens avec les dirigeants de notre enquête ont
démontré que l'émotion générée par la
négativité des situations de vie peut les influencer de
manière totalement différente que celle dont elle influence les
apprenants dans les formations classiques. Nous avons remarqué dans
certains récits que, les dirigeants interrogés ajoutaient assez
souvent les mots tels que : « Tu sais ...». En même temps,
lorsque la personne évoquait une émotion forte, voire
négative, nous avons pu constater, à travers son regard, son
intonation une sensation de fierté, la fierté implicite d'avoir
surmonté les épreuves difficiles de la vie. Diriger les
subordonnés et gérer les relations humaines ne sont pas des
tâches simples. Bien au contraire, ces tâches impliquent de
nombreuses prises de décisions et de nombreux de défis à
relever. De plus, c'est souvent dans des situations d'incertitude et de
complexité que le leadership du dirigeant devient un facteur
déterminant. La fierté peut être
générée de manière très variée dans
des situations différentes. Chez les dirigeants de notre enquête,
la fierté de se sortir de situations difficiles représente un
élément déterminant. C'est la raison pour laquelle aucun
de nos cinq dirigeants interviewés n'a choisi une situation de joie ou
une situation de succès facile comme « situation-source ». Ils
ont tous commencé leur récit en évoquant une ou plusieurs
situations difficiles d'où ils ont pu « se sortir » en
ajustant leurs comportements et attitudes.
Enfin, nous pouvons ajouter que les entretiens
effectués nous ont permis de confirmer la pertinence de nos
hypothèses sur le « sentiment d'apprendre » ainsi que sur la
« situation-source ». Nous pouvons aussi, à ce stade, inviter
les autres chercheurs à utiliser et tester ces termes, qui nous semblent
appropriés pour les autres recherches à l'avenir.
72 |
CHAPITRE 6: CONCLUSION ET PLAN POUR LES PROCHAINES
RECHERCHES
6.1 Conclusion
L'objet de cette recherche était
d'étudier les éléments et de faire une étude «
anatomique » du processus d'apprentissage des dirigeants dans leur vie
quotidienne. Les premiers résultats ont démontré une
occurrence importante du « sentiment d'apprendre » et son rôle
ainsi que sa position dans le cycle d'apprentissage des dirigeants. Ces
premiers résultats nous ont aidés également à
mettre en évidence et à tracer les liens, qui connectent les
différents termes dans le fil des pensées des dirigeants,
à l'égard de l'apprentissage du leadership.
Cette étude nous permet de mieux comprendre les
sentiments ainsi que le fil des pensées, les façons de raisonner
au travail ainsi que les manières d'être dans la vie quotidienne
des dirigeants. La contribution essentielle de cette étude est d'avoir
proposé le concept du « sentiment d'apprendre » comme un
élément important de l'apprentissage dans les situations
informelles. Certes, le phénomène n'a pas été
traité quantitativement, mais les occurrences importantes de ce
sentiment semblent avoir un impact considérable sur l'apprentissage de
« compétences-molles » telles que le leadership. Ainsi, nous
avons constaté que la présence du « sentiment d'apprendre
» lors des situations difficiles, qui ont provoqué des
émotions fortes, voire négatives, n'était pas neutre par
rapport à la capacité d'apprendre des dirigeants.
Néanmoins, notre recherche présente un
certain nombre de points sur lesquels des approfondissements pourraient
être nécessaires dans les prochaines recherches.
Tout d'abord, en ce qui concerne la pertinence de
l'échantillon étudié, celui-ci paraît
particulièrement approprié à notre recherche dans la
mesure où il est essentiellement constitué de dirigeants de
niveau bas ou de niveau intermédiaire de l'échelle
hiérarchique, qui peuvent garder un esprit ouvert face aux
opportunités d'apprendre dans ce que la vie quotidienne peut leur
offrir. Toutefois, l'échantillon des cadres dirigeants de
niveau
73 |
supérieur, occupant déjà des
postes très importants dans la hiérarchie, n'était
peut-être pas le plus pertinent concernant le « sentiment
d'apprendre ».
En ce qui concerne la méthodologie, l'approche
qualitative nous a permis de pénétrer dans l'univers des
pensées et des sentiments des dirigeants - apprenants. En revanche, nous
n'avons pas pu confronter notre méthode, visant à explorer les
éléments encore « invisibles » à des
méthodes d'analyse quantitative en termes de l'objectivité dans
l'interprétation des résultats. C'est pourquoi, nous pensons
qu'il est également nécessaire d'adapter les méthodes
traditionnelles pour le recueil des données intangibles telles que les
sentiments. En effet, nous nous sommes intéressés à des
questionnaires sous forme de carte heuristique30, la liste des
indicateurs d'apprentissage informel de Schugurensky (2007,
pp.26-27).
6.2 Plan pour les prochaines recherches
La première piste qui pourrait être
explorée lors de notre prochaine recherche est axée sur le
rôle des signes significatifs dans l'apprentissage informel. Nous nous
intéresserons aussi sur les différentes formes d'apprentissage
des « compétences-molles ». Nous espérons pouvoir
identifier les différences entre les formes de l'apprentissage des
« compétences-molles » et celles de l'apprentissage des «
compétences dures ». A propos des formes d'apprentissage des «
compétences-molles », nous pensons à approfondir
l'étude sur la pratique du jeu de rôle (JDR) pour les
apprenants-adultes. Ces exercices peuvent mettre les adultes dans la position
d'« une autre personne », de sorte qu'ils doivent « vivre »
et réagir comme que le personnage de leur rôle. Bien que les
situations vécues dans les JDR ne soient pas un miroir
représentatif de la réalité, on peut se demander : le
« sentiment d'apprendre » pourrait-il se réveiller par le
biais de cette méthode ?
La seconde piste pourrait consister à tester la
pertinence de l'existence du « sentiment d'apprendre » dans d'autres
formes non-traditionnelles d'apprentissage telles qu'apprendre en voyageant,
apprendre à travers de l'utilisation des appareils de haute technologie,
apprendre en jouant à un jeu vidéo, en participant au
réseau social etc. Notre démarche exploratoire a
30 Une Mind Map (ou carte
heuristique) est un schéma, calqué sur le fonctionnement
cérébral, qui permet de suivre le cheminement associatif de la
pensée. (Source :
http://www.tonybuzan.com/about/mind-mapping/)
74 |
débouché sur une proposition d'un
nouveau paramètre de l'activité d'apprentissage - le «
sentiment d'apprendre ».
Enfin, la troisième piste pourrait consister
à étudier comment l'apprentissage des «
compétences-molles » est influencé par les émotions
fortes et négatives, provoquées par des situations significatives
dans la vie quotidienne. Nous pensons à son impact sur la
réussite personnelle ainsi que professionnelle de l'individu. Notre
approche qualitative pourrait être combinée avec une approche
quantitative qui tenterait de corroborer les résultats à partir
d'une étude approfondie.
Pour clore, nous revenons à l'une des questions
principales concernant le leadership : le leadership peut-il être appris?
Le leadership, tout comme n'importe quelle autre compétence sociale, ne
peut pas être enseigné, mais il peut être appris et
développé. A notre avis, ce sont les verbes « stimuler
» et « faciliter » qui doivent remplacer le verbe «
enseigner ». A partir de cette recherche exploratoire, nous pensons qu'il
est nécessaire de donner l'occasion aux dirigeants d'acquérir les
connaissances et la compréhension des comportements humains ainsi que de
créer la possibilité de pratiquer et de développer les
compétences requises par l'apprentissage par l'action ou l'apprentissage
par l'expérience. Encore une fois, l'apprentissage du leadership n'exige
pas une « recette » mais plutôt la « sagesse »
permettant les apprenants de savoir quand et comment utiliser leurs aptitudes
et qualités qui constituent leur leadership. Enfin, nous pouvons dire
que l'apprentissage du leadership c'est l'apprentissage de l'art de vivre et de
diriger. Les dirigeants doivent être les meilleurs apprenants qui
mèneront les autres à apprendre.
« Avec le meilleur leader au-dessus d'eux,
les gens savent à peine qu'il existe. Le meilleur leader parle peu. Il
ne parle jamais négligemment. Il oeuvre sans intérêt
personnel et ne laisse aucune trace. Quand tout est fini, les gens disent,
«Nous l'avons fait par nous-mêmes.» (Lao Tzu, Tao Te
Ching, "The Book of the Way". 600 BC-531 BC)
75 |
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79 |
ANNEXES
Annexe 1 : Liste des auteurs utilisant le terme
d'« apprentissage informel » (Adaptée du travail de
Brougère & Bézille, 2007)
Année
|
Auteur
|
Thème
|
1967
|
R D Laing
|
Le rôle central de l'expérience comme
ressource formative, dans le contexte de la vie quotidienne, au travail et dans
les loisirs.
|
1970
|
J Dewey
|
Apprentissage par l'expérience
|
1970
|
A Tough
|
Pratiques d'apprentissage adulte «
autoprogrammées » et
intentionnelles, métaphore « iceberg
»
|
1971
|
Freire, Illich
|
Trio : formel, non formel et informel.
|
1972
|
E Faure et al
|
«l'éducation diffuse » définie
comme « le processus permanent grâce auquel tout individu adopte des
attitudes et des valeurs,
acquiert des connaissances grâce à son
expérience quotidienne
|
1974
|
P Coombs
|
Référence sur le non-formel
|
1976
|
C Rogers
|
L'expérience de la vie est formatrice en
elle-même.
|
1988
|
R Monjo
|
L'enjeu majeur est de développer des
sciences de l'éducation qui ne soient pas
enfermées dans un paradigme scolaire
|
1989
1990
|
A Pain
|
Des activités dont l'objectif n'était
pas éducatif, provoquaient des effets chez les participants, qu'on ne
pouvait pas attribuer à une
volonté intentionnelle. Il n'y avait ni but
éducatif explicite, ni programme formalisé ni animateur ou
enseignant désigné, mais des changements de comportement et
l'acquisition d'informations étaient repérables chez les
spectateurs
|
1998
|
Boshier Jarvis
|
Une opposition entre le champ institutionnel et collectif
d'une part et d'autre part la sphère privée
|
2000
|
D.W.
Livingstone
|
Distinction entre explicit informal learning et tacit
informal learning
|
2000
|
G. Foley
|
Ce qui distingue les différentes formes
d'éducation et d'apprentissage
est leur degré de formalisation, selon lequel
les activités d'apprentissage sont socialement organisées et
contrôlées.
|
2000&2
|
D Schugurensky
|
Trois formes selon la présence
d'intentionnalité et d'une conscience
|
80 |
006
|
|
(awareness) d'apprendre au moment même
où l'expérience est vécue.
L'apprentissage auto-dirigé (self-directed) est
caractérisé par la présence des deux, l'apprentissage
fortuit (incidental) par la conscience d'apprendre sans intentionnalité
et la socialisation par l'absence des deux
|
2002
|
Colley,
Hodkinson & Malcom
|
Dimensions de la situation qui peuvent être
analysées selon des systèmes d'opposition entre un pôle
formel et un pôle informel : ces adjectifs ne s'appliquent pas
globalement mais de façon spécifique au processus, au lieu, au
but ou au contenu
|
2004
|
I Illich
|
« C'est sorti de l'école, ou en dehors,
que tout le monde apprend à vivre, apprend à parler, à
penser, à aimer, à sentir, à jouer, à jurer,
à se débrouiller, à travailler »
|
2005
|
Cléopâtre Montan- Don
|
Ainsi une situation peut être partiellement
informelle au niveau du lieu qui n'est pas conçu pour une
activité éducative, du processus qui n'est pas structuré
avec un enseignant mais avoir un but d'apprentissage reconnu. Toutes les
combinaisons sont possibles.
|
2005
|
P Carré
|
« Les contextes dans lesquels les
Européens pensent avoir appris quelque chose au cours des douze derniers
mois sont le domicile (69 %), des rencontres informelles (63 %), des
activités de loisir (50 %), la formation sur le tas (44 %), le lieu de
travail (41 %), les bibliothèques ou centres culturels locaux (31 %).
Viennent loin ensuite les sessions de formations formelles
sur le lieu de travail (18 %), les cours ou
séminaires dans une institution éducative (17 %).
»
|
être devant
corde
tirer
capitane-soldats
père-fils
système
lettres
souci
autorité
père, mère
respect
étudiants
engagement
subordonnés
directeur (père)
danger
relation humaine
déception
choqué
drôle/excitant
mère, frères, soeurs, filles
vie humaine
ancienne><nouvelle patronnes
culture Chine/HK
diriger
donner des ordres
responsabilité
polyvalence
femme de chambre
81 |
Annexe 2 : Schème du fil des pensées des
dirigeants interrogés (Source : l'auteur, inspiré de la carte
heuristique de Tony Buzan, 2011)
Sentiment d'apprendre
Accommodateur Accommodateur
Mise en
ActifActif
RéflectifRé
ConceptualisationCo
AbstraitAbstr
Convergeant Convergeant
Sentiment d'apprendre
Sentiment d'apprendre
Assimilateur Assimilateur
FaireFair
Ressentir
ConcretConc
Expérience
Observer
RéflexionRéflexi
Sentiment d'apprendre
DivergeantDi vergeant
PenserPe
82 |
Annexe 3 : Le « sentiment d'apprendre » dans le
modèle d'apprentissage de Kolb (Source : L'auteur, inspiré par le
modèle de Kolb )
Dirigeant-Leader
Non-Leader
L'interaction avec autrui
Annexe 4 : L'interaction avec autrui dans le
modèle d'apprentissage (situé) du leadership (Source : l'auteur,
inspiré par les théories de Vygotski et de Lave et
Wenger)
83 |
|