2.2/ Un outil d'analyse pour penser
le travail social dans un phénomène d'exclusion
Étudier le phénomène des enfants en
situation de rue au Népal implique le choix d'un angle particulier et
d'une question précise. Ici, on souhaite d'abord savoir pourquoi des
enfants préfèrent continuer à vivre dans la rue
malgré les possibilités qui leur sont données d'aller dans
des foyers ; et ensuite pourquoi les réponses apportées par
les différentes ONG au phénomène des enfants en situation
de rue ne fonctionnent que pour certains enfants, alors qu'à nous,
adulte occidentale, elles nous semblent bien plus séduisantes que
l'option de la rue. Le choix de tenter de répondre à ces
questions en étudiant les représentations sociales du
phénomène qu'ont les différents groupes en présence
est largement encouragé par plusieurs travaux présentés
ici.
Pour Abric (1994) en effet, la compréhension de la
dynamique des interactions sociales et des déterminants des pratiques
sociales passe par l'étude des représentations sociales. Ces
dernières jouent, selon lui, un rôle majeur dans les
problèmes d'exclusion sociale. Il suggère ainsi d'étudier
d'une part les représentations sociales qui sont à l'oeuvre au
sein de la population exclue en répondant à trois questions :
- « Quelle représentation le groupe
concerné a-t-il de lui-même ? [...]
- Quelle représentation le groupe a-t-il du
problème auquel il est confronté ? [...]
- Quelle représentation l'individu (ou le groupe)
concerné a-t-il des objectifs et de l'avenir qu'on lui propose ? »
(p. 14-15)
D'autre part, pour l'analyse des représentations
sociales des agents sociaux, les deux questions essentielles sont :
- « Quelle représentation les agents sociaux de
l'insertion ont-ils de leur rôle ? [...]
- Quelle représentation ces agents sociaux ont-ils des
populations sur lesquelles ils interviennent ? » (p. 15-16)
L'auteur envisage l'étude des représentations
sociales comme un indicateur indispensable du fonctionnement de l'aide
proposée, de ses blocages et de ses possibilités.
Lucchini (1998) évoque le décalage entre les
représentations des intervenants et les expériences telles que
vécues par l'enfant en Amérique Latine et soutient qu'une
représentation plus proche de la réalité des enfants chez
les intervenants facilite leur travail. Il considère que ce
décalage provient entre autre du « besoin de l'intervention [...]
de définir son activité en termes de rôles professionnels
et de finalités » (p. 347) et de l'image
«client/usager» qui en découle. Ainsi,
efficacité et normalisation de l'enfant en situation de rue
définissent l'intervention. Les attentes de l'opinion publique et les
organismes financeurs ont également une influence certaine. De plus,
Lucchini considère que la définition du type d'intervention est
largement inspirée par l'image idéale de l'enfant qu'ont les
décideurs et les travailleurs sociaux. Selon l'auteur,
« l'expérience de la rue telle qu'elle est vécue par
l'enfant, même si elle est perçue par certains professionnels,
n'est pas intégrée dans les représentations et dans les
discours des intervenants. » (p. 364).
D'autres travaux (Baubet, 2003 ; Rivard, 2004) confirment que
les représentations sociales des différents groupes qui
travaillent avec les enfants en situation de rue ont un impact direct sur les
actions mises en place. Il s'agit d'une question complexe et capitale. Les
représentations doivent être interrogées pour permettre une
meilleure approche dans les solutions proposées. Baubet (2003) ajoute
une dimension culturelle en précisant l'importance de mettre à
jour les représentations de l'enfant idéal et de l'enfant en
situation de rue dans la société considérée et pour
les intervenants des ONG occidentales car elles peuvent se
révéler très divergentes. Selon lui, si les
représentations ne sont pas analysées, cela peut entraîner
des programmes et des objectifs inadaptés et donc une fragilité
au sein des équipes et la subjectivité des enfants en situation
de rue peut ne pas être prise en considération.
C'est donc par l'étude des représentations
sociales que nous abordons le phénomène des enfants en situation
de rue et les difficultés rencontrées par les intervenants
sociaux dans leurs missions.
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