1. Discussion
1.1. Le modèle
NPPEN
La recherche réalisée dans le cadre de cette
thèse s'est appuyée sur le concept de la niche écologique,
sensu Hutchinson, et d'un modèle d'habitat. Cette
démarche a permis de (1) cartographier la distribution spatiale moyenne
des poissons et (2) de proposer des scénarios d'évolution
géographique des ressources marines et spécialement des poissons
marins à fort intérêt commercial ou écologique. Ce
travail s'inscrit dans le contexte très particulier du changement
climatique, où la distribution des espèces risque de subir de
forts déplacements latitudinaux (Parmesan & Yohe, 2003 ;
Deutsch et al., 2008). Pour pouvoir évaluer l'impact du
réchauffement climatique sur la répartition spatiale des poissons
marins, il convient de disposer d'informations fiables sur leur distribution
spatiale actuelle. Or, il s'avère que ces informations restent encore
parcellaires, le plus souvent représentées sous la forme d'un
trait côtier (Louisy, 2002) ou d'un ombrage (FAO) sur une carte,
codées de façon binaire (présence certaine, absence).
Nous avons donc créé un nouveau modèle
d'habitat basé sur la distance généralisée de
Mahalanobis et proposons, pour la première fois, un test
non-paramétrique pour évaluer sa significativité. Le
modèle d'habitat NPPEN cartographie la distribution spatiale d'une
espèce en fonction de l'adéquation entre les contraintes de sa
niche écologique et les ressources offertes par l'habitat disponible. Ce
modèle a le très gros avantage de ne requérir que des
données de présence, ce qui le rend fort utile à
macro-échelle pour étudier la biogéographie des
espèces marines, pour lesquelles les données de présence
sont seules disponibles (Brotons et al., 2004 ; Guinotte et
al., 2006). Le nouveau modèle NPPEN est donc plus adapté
pour répondre aux objectifs de la thèse que les modèles
fonctionnant obligatoirement à partir de la présence et l'absence
ou basé sur l'abondance, tels les modèles additifs
généralisés (GAM ; Hastie & Tibshirani, 1990),
les modèles linéaires généralisés
(GLM ; McCullagh & Nelder, 1983), les méthodes neuronales
(ANN ; Lek et al., 1996 ; Mastrorillo et al., 1997)
ou les arbres de classification (CART, Thuiller et al.,2003).
L'autre avantage, conféré par l'utilisation de
données d'observation pour reconstruire la niche écologique, est
de ne pas en définir les contours de façon arbitraire et de ne
pas avoir besoin d'utiliser de seuils ou de règles de décision
pour en déterminer les limites. En ce sens, le NPPEN constitue une
alternative aux modèles déjà existants, utilisés
pour certains dans le milieu marin (Rose, 2005 ; Kaschner et al.,
2006 ; Cheung et al., 2008a, b). Ces outils décrivent la
niche écologique sous différentes formes, conditionnant ainsi
leurs prédictions. Les modèles BIOCLIM, HABITAT et le
modèle AquaMaps (Kaschner et al., 2007), sont basés sur
une niche écologique aux formes imposées, décrivant
respectivement : un volume rectiligne, une enveloppe convexe et un
trapèze (Carpenter et al., 1993 ; Kaschner et
al., 2006). Cette vision simplifiée de la niche comporte le risque
d'exclure, de façon non justifiée, des points
géographiques de l'aire de répartition des organismes (Carpenter
et al., 1993). Ainsi, il est primordial, avec ce genre de
modèle, de définir le plus justement possible les contours de la
niche, et donc d'avoir une bonne connaissance des exigences environnementales
de l'espèce étudiée. En 1993, Carpenter et al.
(1993) pour résoudre ces problèmes, présentèrent le
modèle DOMAIN qui utilise la métrique de similarité point
par point de Gower (Legendre & Legendre, 1998). Néanmoins, un seuil
de significativité de cette métrique doit être
établi. De la même façon, le modèle de l'entropie
maximale (MAXENT ; Philips et al., 2006) a besoin qu'un seuil
précis et exact soit défini pour pouvoir fournir des
résultats robustes.
La quantité et la qualité des données de
présences sont des paramètres déterminant pour tous les
types de modèles d'habitat (Stockwell & Peterson, 2003). La
pré-procédure d'homogénéisation du modèle
NPPEN permet d'éviter les problèmes liés à
l'absence de plan d'échantillonnage. Les données sont fortement
hétérogènes. Si souvent
l'hétérogénéité est réelle (Fig.
III.2 et Figs. Annexes III.S3-S9), elle peut parfois subvenir à cause du
contexte socio-économique (concentration de la pêche dans certains
secteurs déterminée par le contexte juridique ou
économique). Les espèces étudiées ne
présentent pas toutes les mêmes intérêts commerciaux
et scientifiques. De plus, des espèces rares ou à la niche
écologique très étroite, ou encore des espèces
migratrices à la niche écologique multimodale, peuvent ne pas
être observées en quantité suffisante pour pouvoir
valablement estimer les contours de la niche. La procédure
d'homogénéisation qui a été mise en place a permis
d'améliorer significativement la modélisation par le
modèle NPPEN (Figs. II.6 et III.3). L'exemple de la modélisation
de la distribution spatiale d'organismes tels que le sprat européen ou
Calanus finmarchicus illustre le comportement différent du
NPPEN, en fonction de la représentativité des données de
présence. Bien qu'en nombre réduits, les données de
présence du sprat européen (Chapitre III) sont réparties
sur la totalité de la niche et permettent donc une modélisation
de la distribution spatiale satisfaisante. Par contre, les données de
présence de C. (Chapitre V), bien qu'en très grand
nombre, étaient concentrées que sur un sous-ensemble de la niche.
Il a été donc nécessaire de compléter la niche
empiriquement.
Le caractère non-paramétrique du test de
permutations du modèle NPPEN permet de s'affranchir du besoin de la
normalité des variables utilisées, avantage très
intéressant en écologie, où cette condition est rarement
remplie (exemple : la bathymétrie). La normalité des
données limite l'application de modèles tels que l'analyse
factorielle de la niche écologique (ENFA ; Hirzel, 2001 ;
Hirzel et al., 2002) pour laquelle des transformations de
normalisation sont indispensables au préalable. Enfin, le faible nombre
de variables environnementales utilisées pour décrire la niche
écologique des espèces (température de surface,
bathymétrie, salinité et nature du fond, Figs II.1, III.2 et
IV.S1-S2) peut être considéré comme un désavantage
ou une limitation, de prime abord. Toutefois, à macro-échelle, un
soin particulier dans le choix des descripteurs par une connaissance rigoureuse
des facteurs qui influent le plus sur la distribution des organismes, par
exemple en effectuant une analyse en composantes principales (ACP), permet de
considérer comme bénéfique ce faible nombre de
descripteurs utilisés, faisant du modèle NPPEN un outil simple
aux paramètres d'utilisation (« inputs ») facilement
définissables.
Le modèle NPPEN est basé sur la distance
généralisée de Mahalanobis (Mahalanobis, 1936). Cette
distance prend en compte les différences d'échelles entre les
descripteurs environnementaux, contrairement à la distance Euclidienne
ou à la distance de Gower utilisée dans le modèle DOMAIN
(Legendre & Legendre, 1998). Elle considère aussi la
corrélation entre descripteurs, ce que ne permettent ni la distance
Euclidienne et a fortiori la distance de corde (Fig. II.4).
Comme tous les modèles d'habitat, le modèle
NPPEN est probablement sensible à l'autocorrélation spatiale des
données abiotiques. (Diniz-Filho et al., 2003 ; Segurado
et al., 2006 ; Dormann, 2007). Cependant,
l'autocorrélation spatiale semble toucher plus fortement les techniques
de régressions telles que le GAM ou le GLM (Dormann, 2007) et ses
possibles effets sur le NPPEN sont limités par la procédure
d'homogénéisation utilisée dans la préparation des
données. Nous avons aussi noté un effet de bord
géographique avec le modèle NPPEN. Les probabilités de
présence calculées en limite géographique (interface
continent et mer) sont à interpréter avec plus de
précautions. En effet, la probabilité peut chuter fortement
près de telles interfaces sans raison écologique (Fig. II.6). Cet
effet peut être limité empiriquement (voir Reygondeau &
Beaugrand 2010).
A la vue de ces différents avantages, la distance de
Mahalanobis est une métrique de plus en plus utilisée dans les
modèles d'habitat. Néanmoins, l'approche NPPEN est
également novatrice dans la façon dont est utilisée cette
distance. Le NPPEN teste la distance de Mahalanobis par un test non
paramétrique de permutations qui provient d'une simplification du test
proposé par (Mielke et al., 1981, Beaugrand &
Healouët, 2008). Ce test a l'avantage de fournir des probabilités
de présence plutôt que de se contenter de classer les distances
mesurées par déciles (Nogués-Bravo et al., 2008)
et, de s'affranchir de la multi-normalité des variables contrairement au
D² testé par un ÷² (Ibañez, 1981) ou
à la procédure de décomposition factorielle de la distance
de Mahalanobis (MADIFA ; Calenge et al., 2008).
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