Chapitre II. La Shari'a droit fondamental des pays
musulmans.
Tous les pays musulmans n'appliquent pas la Shari'a, et ceux
qui le font ne peuvent limiter leur corps de règles aux prescriptions
religieuses car cela ne suffirait pas à répondre aux besoins de
l'ensemble des activités de la société. En effet la
Shari'a est un corps de règle figé qui ne peut en aucun cas
être modifié ou évoluer. C'est ce qui sera
étudié dans la Section I.
Les juristes musulmans vont alors séparer ce qui
dépend de la Loi (Sar) de la politique (Siyasa), afin que puisse
être administrée la communauté. C'est le sujet de la
seconde Section du présent Chapitre.
Section I. La Shari'a, un corps de règles
figé.
La Shari'a est un ensemble de règles immuables,
figées, que l'homme ne peut ni modifier, ni compléter. En effet,
légiférer est interdit à l'homme car cela reviendrait
à corriger le travail de Dieu. Des méthodes ont néanmoins
existées afin de prendre en compte l'évolution sociale et les
manques éventuels de la Shari'a.
L'istihsan, par exemple, permettait de prendre en compte le
bien commun dans l'exécution de la Shari'a, pouvant mener l'acceptation
de lois ou d'institutions préexistantes à l'Islam ou même
à des solutions contraires à la Shari'a. Émile Tyan, dans
son ouvrage « Méthodologie et sources du droit en Islam
(Isti?sân, Isti?lâ?, Siyâsa ðar?iyya) »
29, en donne l'exemple suivant :
« Exemple de solutions contraires à un texte
coranique. C'est l'argumentum classique d'une armée d'infidèles
qui, dans la bataille, fait avancer devant elle, pour la protéger, un
groupe de captifs musulmans. On se demande alors s'il est permis aux
combattants musulmans de tirer sur ce groupe et de tuer éventuellement
des musulmans, alors qu'une disposition du Coran fait un crime et un
péché du meurtre d'un croyant. On y répond
affirmativement, par l'istihsan, en faisant prévaloir sur la
29 Tyan, Emile. Méthodologie et sources du droit en Islam
(Isti?sân, Isti?lâ?, Siyâsa ðar?iyya). Studia Islamica,
N° 10 ,1959, p 79-109.
règle formelle du texte spécial coranique,
des considérations supérieures tirées de la
nécessité de la conservation de l'ensemble de la
communauté. » 30
Son effet sera donc de temperer la rigidité du droit
religieux afin d'arriver à une solution plus conforme à
l'intéret général, il a « pour objet de
prévenir « les conséquences exorbitantes, les excès
» (Satibi, I'tisam, II, 321) de ce droit, de le maintenir dans les limites
du raisonnable et de l'utile » 31.
Suite à « la fermeture des portes à
l'ijtihad32 », les juristes musulmans considerèrent que
ne devait plus etre fait d'effort de compréhension de la Shari'a. Cet
evènement a fige le droit musulman interdisant l'émergence de
toute nouvelle règle de droit. Jusqu'à cet
évènement, les juristes avaient contourné l'interdiction
qui leur etait faite de créer des règles de droit un invoquant
qu'ils découvraient de nouvelles règles encore inconnues.
C'est au XIème et XIIème
siècle que les theologiens vont decider que plus aucune règle ne
reste à découvrir dans la Shari'a et que le travail de
compréhension des textes sacres est clos. Pour Andre Poupart, Professeur
à la Faculte de Droit de l'Université de Montréal, cette
fixation correspond à une periode de ralentissement de la societe
musulmane. « La fermeture des portes » est pour lui l'effet le plus
visible de ce ralentissement. Cette fixation juridique en apporte à elle
seule la preuve eu egard à l'importance du droit dans la societe
musulmane (le thème de la place du droit musulman dans la vie des
croyants est aborde plus loin dans le même Titre). Dans son ouvrage
« Adaptation et Immutabilite en Droit Musulman » 33, Andre
Poupart justifie son point de vue ainsi :
« Dans le cadre d'une société~ dont le
but est de mettre le croyant sur la voie qui le mènek vers
l'Au-delà, il n'est pas surprenant que le droit, la Shari'a, exerce une
fonction prééminentek C'est par le droit que l'islam manifeste le
mieux sa façon
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32 L'ijtihad est un effort intellectuel fourni par le juriste
afin de faire émerger une nouvelle solution du texte.
33Poupart Andre. Adaptation et Immutabilite en Droit
Musulman, Edition l'Harmattant, 2010.
d'assurer le bonheur de ses adeptes sur terre et dans la vie
future ; c'est par le droit
que son évolution peut etre le mieux
évaluée et exprimée. » 34.
C'est ainsi que les Etats musulmans firent face à une
grande difficulté. D'une part la société évoluait
et nécessitait de nouvelles normes qui puissent répondre à
ces évolutions. D'autre part, leur corpus juridique était
figé dans le temps et interdisait tout acte législatif.
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