Section II. Une contrefaçon discriminante au
bénéfice des ayants droit
musulmans.
Mais cette pratique répandue de la contrefaçon
ne peut pas être expliquée par la seule méconnaissance du
droit, mais aussi par des raisons culturelles et politiques amenant les
citoyens des pays arabes à respecter plus les droits des
sociétés locales, que ceux des sociétés
étrangères. John Carroll décrit les étals des
marchands de logiciels où les contrefaçons des logiciels
occidentaux côtoient les copies légales des logiciels des pays
arabes.
« It is interesting to note that Middle Eastern
software vendors may apply a double standard to local and Western
software.
«Amidst this copying oriented atmosphere, it is
amusing to see some original titles being sold. There are Arabic software
titles, mainly developed by Jordanians. Apparently, some sort of
«silent» agreement has been reached between Jordanian software
developers and local pirates shops! The shops only sell originals of local
software as a gesture of support to the local software industry.»
» 17
Cette différence de traitement met tout d'abord en
évidence le sentiment qu'ont les populations des pays musulmans
d'appartenir à un groupe supranational, partageant des
éléments culturels communs. Le principal élément,
au-delà des divergences dogmatiques, est l'Islam. Le lien
créé par la religion est renforcé d'une part par la
langue, l'arabe, qui est parlée dans une très grande partie des
pays
16 Page 558, § 2
Traduction : « Des banques en Arabie Saoudite ont
été accusées d'usage illégal de copies de logiciels
Microsoft. La contrefaçon de logiciel est « hors de contrôle
» au Bahrain, et, avant 1998, la copie non autorisée de logiciels
n'était pas illégale au Koweit. ~ Mrme en Arabie Saoudite, qui a
pourtant une bonne réputation, « de nombreuses compagnies
continuent à considérer qu'elles sont dans leur
droit en achetant un exemplaire légal de chaque
logiciel afin de le copier en interne en l'absence de toute permission de
l'ayant droit ».
17 Page 592, § 3
Traduction : « Il est intéressant de noter qu'au
Moyen Orient les vendeurs de logiciels traitent différemment les
logiciels locaux et les occidentaux.
Au sein de ce milieu de la contrefaçon
orientée, il est amusant de voir un certain nombre de copies
légales en vente. Il s'agit de logiciels arabes, principalement
développés par des jordaniens. Apparemment, des accords tacites
ont en quelque sorte été conclus par les développeurs
jordaniens avec les vendeurs locaux de contrefaçons ! Les seuls
logiciels originaux vendus par ces marchands sont locaux, comme un geste de
soutien à l'industrie locale du logiciel ».
musulmans, notamment par 80% des sunnites18.
D'autre part, les peuples du MoyenOrient et du Nord de l'Afrique partagent une
histoire commune riche à travers l'existence de grands
empires19.
Cependant cette appartenance commune peut aussi se
définir négativement par opposition à la culture
occidentale et la crainte que le commerce avec les pays occidentaux ne se
transforme en une nouvelle colonisation par ces derniers. John Carroll
décrit un comportement contradictoire des musulmans, hésitant
entre l'envie de commercer avec les pays occidentaux d'une part, et de
protéger leur culture d'autre part.
« Iranian malls are packed « with boutiques
crammed with counterfeit Calvin Klein and Ralph Lauren clothing, with
electronics stores featuring all the latest in Japanese gadgetry and with
American-style fast food outlets offering kebabs, burgers and banana
splits~» »20.
Pour conclure sur ce point, la culture en
générale, et la religion plus particulièrement, jouent un
rôle extrêmement important dans le commerce et dans la politique
des pays musulmans. Pour prendre l'entière mesure de ce rôle, il
est nécessaire de comprendre d'une part la place de l'Islam dans le
corps des lois des pays musulmans, et d'autre part dans la vie quotidienne des
croyants.
18 Source : Site Internet de l'Université Laval de
Québec. [en ligne] URL :
http://www.tlfq.ulaval.ca
19 Par exemple l'Empire Mongol, 1205 à 1294, qui
s'étendait de la côte Est de la Chine à l'Ukraine et de la
Russie méridionale aux frontières de l'Inde, ou encore l'Empire
Turc-Ottoman, 1299 à 1922, qui allait de l'Algérie au Golfe
Persique et de l'Autriche au Nord de la Somalie.
20
Page 572, § 4
Traduction : « Les centres commerciaux iraniens sont
remplis « de boutiques pleines de vêtements Calvin Klein et Ralph
Lauren contrefaits, de magasins d'électronique offrant les tous derniers
gadgets japonais et de fast-food à l'américaine servant des
Kebabs, des hamburgers et des banana
split~ » ».
Pour conclure cette introduction, il est nécessaire de
faire le lien entre les différents éléments qui y ont
été inclus. La propriété intellectuelle est un
droit créé par les pays occidentaux dans une logique
économique. Ce droit a été étendu au reste du monde
via le droit international en faisant abstraction des
spécificités culturelles.
Cependant, il est évident que la
propriété intellectuelle n'est pas ou peu respectée dans
les pays musulmans, malgré les lois de ces pays qui reprennent les
standards internationaux en la matière.
Il est donc nécessaire de connaître les raisons
de ce non-respect afin d'augmenter l'efficacité des règles de
propriété intellectuelle et de protéger les acteurs
économiques étrangers qui commerceraient avec ces pays. Eu
égard à la place de la religion dans ces pays, elle pourrait
être un des freins à l'application de la propriété
intellectuelle car elle n'a pas été prise en compte dans la
rédaction des traités internationaux.
C'est pourquoi il est nécessaire de s'interroger sur la
compatibilité entre la Shari'a et le concept de propriété
intellectuelle.
Pour le présent mémoire, le terme de
propriété intellectuelle doit être compris dans son sens le
plus large, comprenant tant la propriété littéraire et
artistique que la propriété industrielle. De plus, les
règles de propriété intellectuelle, qui seront prises en
compte dans le corps de ce mémoire, sont celles des ADPIC. Mon choix
s'est porté sur cet accord international car, par le biais de
l'adhésion à l'OMC, la quasitotalité des pays musulmans
l'a ratifié21.
Tout d'abord, il sera fait une présentation
générale du droit musulman, et notamment de ses sources et de la
place qu'il prend dans la vie des croyants. Il est nécessaire de
connaître les caractéristiques de ce droit pour comprendre
l'intérêt d'en vérifier la compatibilité avec le
concept de propriété intellectuelle. Ce sera l'objet du Titre
I.
Afin de démontrer la compatibilité entre la
Shari'a et le droit de la propriété intellectuelle, il faut tout
d'abord démontrer qu'un actif immatériel peut faire l'objet
21En 2008, 153 pays du monde faisaient partie de
l'OMC.
d'appropriation dans le droit musulman. Cela sera l'objet d'un
Titre II dans lequel sera vérifié la compatibilité entre
les règles régissant le patrimoine dans la Shari'a et le droit de
la propriété intellectuelle.
Il faut aussi démontrer que le droit de la
propriété intellectuelle ne rentre pas en conflit avec les
intérêts fondamentaux de l'Islam que sont la protection de
l'intégrité physique et mentale des croyants. Ce sera l'objet du
Titre II, le respect des intérêts fondamentaux de l'Islam, un
enjeu déterminant pour l'acceptation de la propriété
intellectuelle.
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